1L’expérience est un objet ardu à étudier du point de vue ethnographique : dans quelle mesure ai-je accès à l’expérience d’écoute des autres ? J’ai dû passer par le niveau du discours, en partant de questions idiotes, telles que : « que ressens-tu ? » ou « quelle est ton expérience quand tu écoutes ceci ? ». Mais le discours n’offre qu’un accès très limité à l’expérience. Une autre manière de procéder consiste à interroger ma propre expérience ou à observer les réactions des autres, par exemple les déplacements des gens dans la salle de concert : décrire ce qui se produit lorsqu’un son très bruyant sort de l’enceinte. Certains s’en écartent, d’autres s’en approchent ; ces mouvements, tout comme le fait de se boucher les oreilles, ou d’avoir l’air choqué, contribuent à étiqueter les membres du public comme appartenant ou non à la « culture noise ». Je précise au passage que cette question du haut volume sonore n’est pas propre à la noise : la plupart des musiques actuelles sont fortement amplifiées. L’intensité sonore est cruciale parce qu’elle affecte les corps et les esprits ; elle y fait bouger des choses, crée quelque chose – mais la noise a un son « bruyant » indépendamment du volume sonore.
2Lorsque je parle de la noise dans un contexte universitaire, en général je commence par présenter le concept de mondialisation en évoquant mon terrain ethnographique. À ce stade, la plupart de mes auditeurs hochent la tête, montrant par-là qu’ils comprennent. Puis je diffuse de la noise, à un volume sonore modéré. Et là, ils s’agrippent à leurs fauteuils, ont un mouvement de retrait ; certains se bouchent les oreilles ; d’autres grimacent. À chaque fois, j’observe leurs visages et les réactions sont les mêmes. Il se passe quelque chose dans la pièce, et à partir de ce moment, la conférence n’est plus la même. À la fin de l’allocution, il y a généralement deux types de personnes qui viennent me parler. Il y a ceux qui viennent me dire : « Vous savez, je dois vous avouer quelque chose, je n’aime pas du tout ces sons. » Je réponds généralement : « Évidemment ; c’est de la noise, des sons très abrasifs… » Mais ils insistent : « Mais non je vous assure ! Je ne suis pas fermé d’esprit, j’écoute John Cage et toutes sortes de choses… » Je vois qu’ils sont bien intentionnés, et c’est un peu comme s’ils me disaient : « Je n’y peux rien, et je me sens coupable de ne pouvoir apprécier quelque chose que vous trouvez si important. »
3Ce type de réaction en dit long sur la culture de l’écoute telle qu’elle existe dans ce genre de contexte. La noise met à mal les normes, reconfigure les positions habituellement constitutives de l’écoute, et elle le fait sur un plan viscéral. Elle transforme l’écoute en expérience sonore. Ensuite, il y a ceux qui viennent me dire : « Il faut que je vous dise quelque chose, je trouve ça génial ! Où est-ce que je peux trouver d’autres choses de ce genre ? » Mais au-delà de leurs différences, ces deux profils d’auditeurs sont susceptibles de me poser la même question : « Qu’est-ce qui a bien pu arriver à ces gens [les artistes de noise] pour qu’ils en viennent à faire ces sons ? » Que cela les intéresse ou non, tous auront ce sentiment : « Non mais c’est quoi ce truc, à quoi ça sert ? », « est-ce que les gens écoutent vraiment ça ? » Des deux côtés, ils semblent surpris de découvrir l’existence d’une telle chose. Se dessine alors l’idée que même s’ils n’ont jamais entendu parler de la noise, c’est quelque chose qui existe bel et bien.
Mikawa Toshiji des Incapacitants, hypnotisé par le bruit
Photo de John Cameron
- 1 Colloque « Spectres de l’audible : sound studies, cultures de l’écoute et arts sonores », organisé (...)
- 2 Voir le « Manifeste du mur bruitiste » de Romain Perrot (2013).
4Si la noise est une chose qui existe, en quel sens s’agit-il de musique ? Il y a toutes ces questions générales autour du statut de la noise comme musique. Mais au-delà de ces questions, on observe une contradiction profonde entre le vocabulaire du « genre » musical, et celui de l’expérience sonore. Certains parlent de « son noise », mais personnellement je ne suis pas sûr que l’on puisse trouver une telle cohérence au sein de la noise. Ce que fait Merzbow est communément décrit comme de la harsh noise, et dans le programme du colloque 1, Romain Perrot était présenté comme le pionnier du harsh noise wall, du « mur de son bruitiste 2 » qui est un sous-genre au sein d’un genre plus général. Ce type de discours adhère complètement à l’idée que la noise est un genre, puisqu’il est possible d’en être le pionnier ou de faire partie d’un courant périphérique. Je pense personnellement que le harsh noise wall est un type de sonorité spécifique au sein de la noise et que les gens peuvent différencier différentes familles de sons noise. De ce fait, à la question plus large de savoir si la noise est ou non de la musique, on peut alors répondre oui, puisque les gens sont en mesure de dire « oui, ceci est de la harsh noise », ou encore « ah tiens, ça c’est du Merzbow ». À partir de là, les gens peuvent également considérer que ceci est de la bonne ou de la mauvaise noise, et réintroduire un ensemble d’interrogations qui sont essentiellement musicales. Mais si la noise est simplement un genre musical, qu’est-ce qui, dans ce genre, est particulier au point de susciter chez les auditeurs les réactions que je viens de décrire ? Si vous faites une analyse musicologique d’un morceau de noise, vous constaterez qu’on n’y trouve ni rythme, ni mélodie, ni structure. En ce sens, la noise présente toutes les caractéristiques de l’avant-garde. N’importe quel amateur de musique d’avant-garde vous l’accordera : la noise met à mal les principes de la composition musicale ainsi que leur évolution historique. Mais je dirais également qu’il est difficile voire impossible de prendre la noise au sérieux comme un type de musique savante. On est comme en bout de ligne. Le livre d’Axel Ross (2010) s’intitule The Rest is Noise et même s’il ne parle pas de la noise comme genre en soi, le mot « noise » est employé pour désigner une impasse dans l’avancement de l’histoire de la musique. Cette situation de la noise est à la fois terriblement romantique, brutale, et totalisante. Le concept est très séduisant : la fin de l’histoire de la musique. D’une certaine façon, c’est ce que l’on dit de l’évolution de la composition musicale depuis longtemps, à savoir qu’il s’agit d’une progression vers le bruit, et invoquer le bruit revient à invoquer la fin du discours musical.
5Les performances de noise ont quelque chose de spectaculaire, les concerts sont peut-être ce qu’il y a de plus fascinant et de plus estimé dans le genre. Pourtant, aux États-Unis, la réception de la Japanoise s’est faite à partir des enregistrements, de manière décorrélée de ce qui la rendait si captivante à travers les concerts. Quand on écoute un enregistrement, on est plongé dans un contexte complètement différent. Je me suis donc posé un ensemble de questions à propos de la réception de la musique à travers un médium, questions auxquelles je voulais répondre à partir de cet exemple.
- 3 NdE : l’auteur joue ici sur le double sens de infamous (notoire et infâme) en opposition à famous.
6La question de la relation entre enregistrement et performance est cruciale pour comprendre non seulement la circulation mondiale des musiques populaires en général, mais aussi la réception des groupes de noise devenus célèbres – ou plutôt notoires 3 – aux États-Unis grâce à leurs enregistrements. Pour les fans américains, les concerts étaient rares ; l’idée de la « Japanoise » existait surtout de manière fantasmée dans une sorte de médiasphère mondiale. Donc, quand il y avait des concerts, les gens venaient donner une réalité à la noise, ils « réalisaient » la circulation des enregistrements. On utilise ce terme à propos des concerts de musique électroacoustique : « réaliser » une pièce, c’est la jouer dans un espace-temps déterminé. Une scène musicale imaginée au niveau mondial devient « réalité » grâce à ces moments rares au cours desquels tous ces auditeurs « réalisent » ensemble leur expérience. C’est vraiment quelque chose qui, plus généralement, me fascine à propos de la pop aujourd’hui : l’expérience de cette musique se fait essentiellement à travers le médium qu’est l’enregistrement, et pourtant c’est le live qui devient un moment privilégié, au cours duquel la médiation des enregistrements est reléguée au second plan. Je précise qu’un grand nombre de mes idées sur ce sujet sont inspirées de la lecture de l’ouvrage de Phil Auslander (1999). En observant ces gens assembler de toutes pièces la « scène noise » lors de ces rassemblements rares et brefs, je me demandais : comment savent-ils ce qu’il faut faire ? On voit tous ces gens qui ne se connaissent pas : ils arrivent au même endroit, se mettent à écouter et à réagir ensemble, se voient les uns les autres, accédant collectivement à leurs souvenirs d’écoutes médiatisées. Et dans le cas de ce genre inventé, fantasmé qu’est la Japanoise, c’est comme si le public se disait : « J’ai toujours rêvé que ce genre existe, et à présent il existe. »
Le public aux États-Unis aurait tout à fait pu se dire : « C’est simplement une nouvelle occurrence de quelque chose que nous connaissons déjà. » Mais ils ont fait autrement : ils ont décidé qu‘il s’agissait d’un genre inédit, et ont baptisé ce genre « Japanoise ». Ils ont eu envie de savoir ce que c’était, de comprendre pourquoi ça venait du Japon, plaçant la noise dans cette catégorie de « chose que l’on n’a pas encore comprise ». Cet aspect de la réception par le médium, perçu comme une transmission directe venue d’une autre culture, était une caractéristique essentielle de cette circulation.
7Il y avait de nombreuses autres questions pratiques auxquelles il fallait que je réponde, sur la manière dont les circuits de distribution des enregistrements ont influencé les idéologies de l’histoire de la musique. Comment les gens ont-ils eu accès à cette musique aux différents moments de ces trente années d’histoire ? Si, comme c’était le cas dans les années 1980, ils s’échangeaient des cassettes par la poste, alors comment savaient-ils où les envoyer ? Au début des années 1990, je travaillais à la radio, et on recevait tous ces enregistrements vraiment barrés – en provenance du Japon bien sûr, mais aussi d’un peu partout – et on n’avait aucun moyen de comprendre d’où ça sortait. On n’avait aucun élément de contexte social : qui produit ces sons, qui les écoute, et est-ce que c’est quelque chose qui a du succès ? – toutes les questions que j’ai mentionnées plus haut, et que la noise suscite chez un auditeur novice. La question des possibilités affectives d’un médium donné, et de la manière dont un médium fonctionne pour produire des affects sonores, m’interpellait aussi. La noise induit une écoute viscérale, affective, très brute : comment peut-on avoir une telle expérience avec un simple enregistrement ? Je voulais traiter ces questions tout en m’éloignant de la dialectique dans laquelle l’expression musicale est typiquement prise, où l’on considère le live comme le contexte réel, premier, et où l’on attribue à l’enregistrement un degré de matérialité secondaire – un statut de phénoménologie mimétique. Ce que j’avais observé me conduisait à vouloir restituer à l’enregistrement son autorité : à observer la manière dont les enregistrements étaient à la source de l’affect de la noise tel qu’il se déployait ensuite dans le contexte des concerts, mais constituaient aussi la source d’un imaginaire social autour du Japon chez ces auditeurs qui n’avaient qu’un accès très limité à cette culture. Et puis, la manière dont les auditeurs étrangers ont réagi aux enregistrements puis aux concerts a nourri en retour les conditions de création de ceux qui produisaient ces enregistrements au Japon et qui travaillaient à présent avec un nouveau concept de genre (la Japanoise), et se trouvaient intégrés dans une nouvelle relation de circulation.
Incapacitants vs. le public, au No Fun Fest à Brooklyn, en 2007
Capture par David Novak
8J’ai commencé à envisager le son de la noise comme un phénomène relationnel de circulation, au sein duquel les expériences du son live – « vivant » – et du son enregistré – « mort » – créaient une boucle sur le modèle du feedback [rétroaction], s’alimentant mutuellement. Pour moi, ce caractère « mort » de l’enregistrement était un type de matérialité médiatisée exemplifié par la noise, mais qui – comme je voulais le montrer – était caractéristique du rapport social que nous entretenons au médium musical. En premier lieu, le caractère vivant du live peut être inscrit dans les enregistrements ; les auditeurs perçoivent la qualité sonore d’un espace – la représentation de l’espace était d’ailleurs une des manières principales de communiquer l’origine culturelle d’un enregistrement. En effet, quand on écoute un enregistrement, on imagine un espace, et on peut imaginer le contexte social, historique au sein duquel l’enregistrement a été réalisé. C’est sur ces éléments que peut s’appuyer l’imagination, pour se représenter d’autres gens, d’autres lieux, d’autres époques – tout cela simplement en partant de la spatialité perçue dans l’enregistrement. Sur ce point, j’ai été très influencé par le travail de Louise Meintjes sur le live dans Sound of Africa. L’enregistrement de terrain, le field recording, en est un très bon exemple. Le terrain est ce qui vient avant, qu’on enregistre, pour pouvoir enfin l’imaginer, le visualiser, pour entrer en contact avec le son en tant qu’il est un environnement social. Si on écoute les grands disques de jazz comme Live At The Village Vanguard de John Coltrane, on peut imaginer le club, les créateurs, avec Rudy Van Gelder affairé à la console, ou encore d’autres ingénieurs comme Geoff Emerick en studio avec les Beatles. Le contexte historique de la création de l’enregistrement est même parfois fétichisé par sa réception culturelle.
9Donc, quand on décrit un son comme « mort », ce n’est ni une qualification esthétique, ni un jugement moral, mais simplement une assignation technique : on veut dire qu’il ne fournit aucune information sur son contexte d’enregistrement. Et de même que la noise est l’opposé de la musique, la deadness, le son mort, est l’opposé du concept de liveness sur un plan sonore : il n’y a pas de son ambiant, il n’y a pas de réverbération – comme si cette forme voulait être appréhendée hors de l’histoire, sans que des coordonnées spatio-temporelles lui soient attribuées, ce qui rend difficile le fait de lui associer un imaginaire social. Pour moi, l’emploi de ce terme n’était pas seulement métaphorique : il décrivait également la noise sur le plan acoustique, parce que la plupart des enregistrements de noise, à l’époque, procédaient par « injection directe », c’est-à-dire qu’on branchait la source électronique – un microphone de contact, une table de mixage bouclée sur elle-même – directement dans l’enregistreur : il n’y avait pas de microphone venant capturer les vibrations de l’air, il n’y avait pas d’ambiance.
Quand bien même il s’agirait de l’enregistrement d’une performance que l’on s’efforcerait de percevoir comme la captation d’un concert, l’impression n’est pas du tout la même que, disons, pour le live de Coltrane au Village Vanguard : avec la noise, on a plutôt l’impression d’être directement mis en rapport avec un environnement technologique.
10Ce caractère « mort » du son invite à un autre type d’écoute – une manière d’éprouver le son comme s’il n’y avait pas d’espace entre lui et nous, comme si nos sens étaient mis en contact direct avec lui. C’est quelque chose que j’ai beaucoup entendu chez les auditeurs de noise. Lorsque je les interrogeais sur leur expérience du son, ils me décrivaient simplement une réaction immédiate : « J’ai senti mes dents grincer. » Ils me parlaient de leurs corps, de quelque chose d’assez extrême, de douloureux même ; les descriptions faisaient davantage penser à une expérience d’électrocution qu’à une rencontre avec une œuvre d’art. Cette sensation de son « mort » est celle que procure une technologie œuvrant à créer un accès direct à l’expérience sonore. Mais ce caractère « mort » du son n’est pas propre à la Japanoise. Il caractérise plus fondamentalement le rapport social que l’on entretient aujourd’hui avec les sons enregistrés.
11La plupart du temps, la musique électronique est « morte ». Pour la « réaliser », la rendre réelle et vivante, il faut la déplacer dans un contexte social : dans une boîte de nuit, avec des gens qui dansent… Ce caractère « mort » du son n’est donc pas propre aux musiques électroniques ni même à la Japanoise. Il caractérise plus fondamentalement le rapport social que l’on entretient aujourd’hui avec les sons enregistrés. On est constamment pris dans cette relation créative qui consiste à donner une réalité au son musical, que ce soit en dansant dans une boîte de nuit, ou en écoutant de la musique au casque dans les transports en commun.
12Quand j’ai commencé mon travail de terrain, je me suis immédiatement rendu compte que le feedback occupait une place centrale dans les pratiques de création des musiciens noise. J’ai constaté que c’était à la fois un outil fondamental et un signifiant sonore essentiel pour désigner le chaos, le désordre, un système hors de contrôle. De toute évidence, quand on entend le son du feedback, c’est le signe d’un dysfonctionnement. Mais il m’a également semblé que c’était une métaphore opérante pour illustrer la mondialisation musicale dans toutes ses complexités ainsi que les manières dont des malentendus et des représentations erronées de formes musicales ont généré de nouvelles scènes et des relations transculturelles. Mais il me fallait tout d’abord relier cela au son. Avant de penser le feedback comme un concept relatif à des interactions culturelles, il m’est d’abord apparu comme une création technologique qui ne venait pas à proprement parler d’une culture spécifique, mais de machines qui ne parvenaient même pas à communiquer proprement. Ce sont des dispositifs de transmission ou d’amplification défectueux ou surchargés qui produisent le feedback sonore. Je n’ai donc pu penser théoriquement au feedback qu’à partir du moment où j’ai compris comment il était perçu et utilisé dans le contexte sonore de la noise : comme un son sortant d’une table de mixage que l’on renvoie dans une de ses entrées ad infinitum, le son d’une boucle de feedback finissant par émerger, pour être à son tour manipulé par plusieurs modulateurs au sein de ce circuit.
13J’emploierai une autre métaphore pour expliquer comment le feedback crée des connexions. On reconnaît généralement au feedback des vertus communicationnelles, on dit par exemple « peux-tu me faire un retour sur mon idée ? ». On parle aussi de feedback lorsqu’un consommateur fait des retours à une entreprise. Le feedback implique donc qu’un dialogue soit rendu possible dans un mode de circulation généralement conçu comme unidirectionnel : je crée un produit, vous l’achetez. Bien sûr, il y a feedback que vous l’achetiez ou non : si vous ne l’achetez pas, alors ce n’est pas un bon produit, mais si vous l’achetez, c’est un bon produit. Le message retour est censé expliquer pourquoi vous l’achetez ou non. De même, si je donne une conférence et que vous me faites des remarques sur ma présentation, il y a une communication unidirectionnelle ; vos retours ne sont pas au même niveau que la présentation. Ce n’est donc pas un modèle dialogique de communication, mais c’est tout de même un modèle de communication. J’étais donc intéressé par l’idée que le feedback trouvait sa source dans la communication, mais qu’il existe aussi des problèmes d’égalité de communication et de circulation, si bien que ces dysfonctionnements du dialogue finissent par occuper une place centrale au sein du réseau de communication. Dans ce contexte, le feedback est donc comme un décalage temporel, créant une rupture au cœur du système de communication, et non pas un simple accident ou une erreur, comme on peut généralement le percevoir. Ces erreurs de communication fructueuses influencent fondamentalement notre façon de concevoir le fonctionnement de la communication interculturelle et du dialogue à un niveau mondial.
14Ce qui m’intéresse, c’est de penser à nouveaux frais les effets culturels de la circulation des médias. Je me suis attardé sur le concept de « réception », que je trouve très problématique au sein des media studies. Ce terme est gênant sur le plan conceptuel parce qu’il ne prend pas en compte la manière dont la circulation mondiale des médias entraîne une mise en relation des subjectivités, une interaction et une transformation de celles-ci. Il me semble aussi que ce concept laisse trop de place aux objets que sont les médias, et qu’il assigne des positions fixes aux agents, positions qui sont déterminées culturellement, et définies par le cadre d’une communication dialogique. Dans une telle perspective, le médium n’est rien d’autre qu’un « intermédiaire » entre des parties : un troisième terme entre deux parties qui communiquent ensemble, et qui, de ce fait, ne soulève que des questions de sémiotique. Mais de nos jours, alors que les médias évoluent rapidement, les positions des agents changent également, ce qui entraîne à chaque fois des modifications écologiques complexes au sein du réseau. C’est pourquoi je mets l’accent sur la circulation comme production relationnelle, sur le modèle du feedback, qui n’est pas un système dialogique de va-et-vient dans lequel un groupe « reçoit » le « message » d’un autre puis y réagit. Le feedback relie les sujets dans une sorte de confusion qui crée de nouvelles formes culturelles.
15Je pense que la noise n’a pu émerger comme genre musical qu’à travers ce feedback, cette boucle qu’était l’échange de cassettes par envoi postal dans les années 1980 entre le Japon, l’Amérique du Nord et l’Europe. Je vise ici spécifiquement la manière dont les cassettes de noise étaient appréhendées par ceux qui les écoutaient sans disposer d’éléments contextuels pour en expliquer le contenu. La situation de nos médias contemporains est bien différente : quelqu’un qui entend du Merzbow pour la première fois peut facilement obtenir des informations sur ce dont il s’agit, trouver un appareil critique qui lui permettra d’interpréter le son. Dans la culture de l’échange de cassettes, il n’y a aucun appareil critique. Les artistes ont délibérément effacé tout élément de compréhension extérieur : il n’y a ni photo ni de livret de présentation… La noise est tributaire pour son émergence de ce contexte précis. Je ne dis pas qu’aujourd’hui une autre forme de noise ne pourrait pas émerger, mais ce serait nécessairement sous une forme très différente.
16Au-delà de cette enquête historique sur la culture de la cassette, ce qui m’intéressait également était le retour de la cassette comme format dans les années 2000, et l’équilibre très délicat entre numérique et analogique qui s’est alors mis en place : des formats physiques analogiques circulent dans un contexte de distribution numérique, ce qui est une manière de réinventer les possibilités des « médias alternatifs » ou « participatifs ». On a pu dire de l’intérêt contemporain pour la cassette qu’il est « hipster ». La justification d’un tel propos revient à voir les cassettes comme des objets fétiches, qui permettent d’isoler un sous-groupe au sein d’une circulation de masse. En soi, ce n’est pas un problème ; il serait d’ailleurs difficile d’imaginer un médium qui serait véritablement underground de nos jours… Le recours à l’underground est généralement issu d’un dysfonctionnement au sein de la circulation de masse. Or internet semble mettre fin à ce problème au sens où il est possible d’avoir un site sur le même réseau que tous les autres sites, accessible depuis les moteurs de recherche... Il y a théoriquement une accessibilité égale à tous les sites – même si cela reste théorique… Si l’on se penche sur l’idéologie que la circulation numérique propose, du point de vue de l’open-access numérique, vouloir échanger des cassettes alors que les mêmes enregistrements sont accessibles en ligne relève d’un fétichisme élitiste et complètement artificiel – point de vue qui ne me semble pas totalement faux. Cependant, je voulais voir pour quelles autres raisons quelqu’un pouvait, dans les années 2000, opter pour le format cassette.
17Il se trouve que j’ai écrit le chapitre de Japanoise consacré à la cassette quand j’étais à Paris en 2005. Je me demandais alors si ce que j’observais se produirait encore au moment de la parution du livre, et je n’avais aucun moyen de savoir si ça allait durer. Mon sentiment était qu’il s’agissait d’une simple réaction, provisoire, à l’arrivée du numérique, lequel impliquait un changement de fond du côté des autorités culturelles chargées de représenter la musique. Le numérique remettait en cause les labels, les disquaires, les clubs et les obligeait à se transformer. La cassette m’est donc d’abord apparue comme une réaction absurde à la circulation numérique : pourquoi en revenir à une technologie bas de gamme, inaccessible et bon marché ? Bien évidemment, il y avait le fétichisme du vinyle, mais je ne pense pas que ça ait trait à la circulation des cassettes telle qu’elle a lieu dans la scène noise. C’est un problème de médium, et non une question de qualité sonore comme on a pu le dire à propos du vinyle.
Cassette en provenance du Generator Sound Art archive
Photo de David Novak
18Or du point de vue de l’accès à la musique, c’est en réalité ce caractère limité de la circulation – en l’occurrence des cassettes – qui permet de créer une forme de lien social entre les auditeurs. Et puis, la cassette est également liée à une forme de tradition. Les amateurs de noise au Japon dans les années 1980 n’étaient pas jeunes, ils avaient la trentaine, maintenant ils ont plutôt la cinquantaine ou la soixantaine et ils ont gardé certaines habitudes. Au Japon, les habitudes ne changent pas facilement ; soit elles sont naturalisées et s’intègrent à la « culture japonaise », soit, dans le cas de certaines modes très populaires, elles disparaissent au sein d’une même génération. Les musiciens noise que j’ai étudiés au Japon ne sont pas vraiment dans la transmission de ce qu’ils font. Bien sûr, il y a une nouvelle scène qui émerge après eux, et qui utilise aussi la cassette. Mais en ce qui concerne ce groupe, ils ont tout simplement continué à utiliser la cassette comme ils le faisaient depuis le début. Ce choix rendait leur noise plus mystérieuse et permettait aux amateurs de devenir collectionneurs, et en fin de compte, leur musique a, grâce à ces cassettes, circulé davantage qu’elle ne l’aurait fait s’ils avaient juste balancé leurs morceaux sur internet.
19Je pense qu’il est de nos jours plus fréquent de questionner les termes de l’accès à la circulation numérique. Mais quand internet est apparu, tout le monde était tellement fasciné ; on pensait qu’internet rendrait possible des formes de démocratie totalement participative. On pensait aussi que l’accès libre au numérique allait compenser les inégalités d’accès à la culture et à l’éducation, permettre de développer des alternatives aux modes de production capitalistes, et que tout cela allait également rendre possible la formation de nouveaux réseaux musicaux. D’une certaine façon, cela résonnait véritablement avec ce qu’on disait de la cassette dans les années 1980, c’est pourquoi je me suis penché sur ce cas historique. Quand la cassette est apparue et est devenue un objet commercialisable pour l’industrie musicale, cela a permis à tout le monde de produire un objet en tous points similaire à la production industrielle. Auparavant il fallait presser un disque vinyle, ce qui était très compliqué à faire. Mais avec la cassette, les milieux alternatifs pouvaient produire des objets au même format que l’industrie musicale. Le même processus s’est enclenché avec le MP3 et la distribution numérique. Je me suis donc demandé : puisque tout cela s’est déjà produit par le passé, cela a-t-il débouché sur une démocratie participative radicale à l’époque ? Certains diront que, dans une certaine mesure, c’est ce qui s’est passé : on ne peut en effet pas nier le fait que la cassette a permis l’émergence et la circulation de formes musicales majeures à un niveau mondial.
20Il est cependant évident – en particulier si l’on se penche sur la culture de la cassette dans la scène noise – que le réseau musical underground international qui s’est développé par ce biais s’est surtout construit autour de musiques très spécifiques, très conscientes d’elles-mêmes, et difficiles d’accès. L’idée selon laquelle l’accessibilité entraînerait nécessairement davantage de démocratie est trompeuse. Il faut observer les différentes manières qu’ont les gens de s’approprier politiquement ces espaces médiatiques. Que font-ils une fois qu’ils ont accès à la cassette ? Il fallait observer ces différents moments qui ont chacun leurs propres logiques de circulation et d’accessibilité. Et je voulais figer tout cela dans un même cadre : 2005, l’ère de la démocratie participative numérique et 1985, l’ère de la culture de la cassette. J’aurais pu, si j’avais voulu, écrire un tout autre livre ; me renseigner et documenter ce qui se passait avec la noise sur le net en 2005. Je l’ai un peu fait, mais il me semblait que cela ne découlait pas nécessairement de la façon dont j’avais menée mes observations ethnographiques. Je voulais en finir avec certaines idées reçues à propos de l’accessibilité et montrer qu’internet ne permettait ni de faciliter ni d’améliorer la communication interculturelle – par exemple, d’aider les musiciens japonais à trouver un public aux États-Unis. En ce qui concerne la noise, internet a en réalité creusé l’écart et diminué l’accès en raison de la barrière de la langue, aussi parce qu’internet n’est pas du tout arrivé au Japon de la même manière qu’aux États-Unis, ce qui a participé à marginaliser certains musiciens japonais de la scène noise numérique émergente.
21Un autre problème est également apparu : de plus en plus d’internautes occidentaux ont investi internet pour diffuser leurs informations et connaissances autour de la noise, expliquant et conditionnant de ce fait la réception de sons qui circulaient auparavant sans plus d’explications. Chaque processus de circulation est fait de relations instables. À l’ère de la cassette, les amateurs de noise qui voulaient en savoir davantage devaient aller au Japon, nouer une relation avec quelqu’un, envoyer une cassette pour qu’on leur en envoie une, ce qui inscrivait les gens dans une sorte de collectivité sociale. Mais la manière dont les gens rédigent collectivement des pages Wikipédia sur des musiciens noise avec qui ils n’ont aucune relation, et sans être directement impliqué dans cette scène, est une chose complètement différente. Je voulais donc critiquer cette conception de l’accessibilité comme « bien social » et montrer qu’elle n’aboutit pas nécessairement à la production d’un plus grand savoir, ou d’un domaine plus égalitaire et démocratique. En somme, je voulais démontrer qu’une accessibilité limitée peut engendrer des formes de circulation plus créatives et équitables. Donc si le retour de la cassette autour de 2005 prenait des airs de position délibérément élitiste – une sorte de positionnement avant-gardiste qui dirait « je ne fais que 500 copies de ceci, et tu ne peux pas te le procurer car tu ne comprendrais pas, et tu ne fais pas partie de ce groupe » –, il faut reconnaître que cette restriction est aussi précieuse quand les objets circulent. Elle engage en effet les gens dans une sorte de productivité sociale qu’il est difficile de développer en ligne. Or cette productivité sociale est indispensable à l’émergence d’une relation affective à une scène ou à un événement musical, et c’est cette relation affective qui donne aux gens l’envie de se procurer l’enregistrement.
22À bien des égards, il s’agissait de penser le feedback comme une réaction à ce qu’on pourrait appeler un « postmodernisme vulgaire ». Quand j’ai commencé mes recherches, le postmodernisme en tant que théorie avait déjà fait son temps et avait été écarté du champ des sciences sociales, car l’idée d’un détachement sémiotique par rapport au contexte culturel d’origine posait problème. En ethnomusicologie, la critique ciblait plus particulièrement l’appropriation culturelle et, à ce titre, le postmodernisme gênait car il faisait abstraction des subjectivités des producteurs culturels. En outre, il était aveugle aux dommages que pouvaient causer des représentations culturelles erronées dans la prétendue ouverture des « flux » postmodernes – ce que Steven Feld (1996) a qualifié de « mimesis schizophonique ». Son travail sur le sampling et le remix se concentre essentiellement sur les problèmes éthiques du détachement du son de sa source, mais ce qui m’intéressait aussi avec la noise, c’était d’étudier la manière dont une communication défectueuse engendre quelque chose et rend possible le contact. La Japanoise est de toute évidence un cas de malentendu culturel et de communication défectueuse, mais il me semblait que c’était aussi une forme créative et fructueuse, qui mettait en valeur des nouvelles formes de culture à l’échelle mondiale et qui complexifiait la question de la circulation médiatique. Dans le champ des cultural studies, Stuart Hall et Paul Gilroy ont fourni des analyses similaires de ce jeu de circulations imprévisibles, comparant les circulations de la culture populaire à un grand jeu de téléphone arabe, et d’une certaine manière, je ne pouvais faire autrement que de reconnaître le pouvoir subversif et créatif généré par un son séparé de sa source, par un signe dont on aurait changé le contexte, sans traduction – comme dans un cycle créatif. Mon propos sur les sources et les significations originales est donc en cela différent, et peut-être plus diffus. Même si je ne pense pas que la Japanoise soit un signifiant « vague » ou « flottant », ni que l’étudier requiert particulièrement d’avoir recours aux théories postmodernes, je me suis tout de même attaché à développer cette analyse en usant d’exemples historiques et ethnographiques qui puisent leurs sources dans ce moment postmoderne, au tournant du nouveau millénaire, entre le Japon et les États-Unis, et plus particulièrement dans ce mouvement de vaste expansion puis de dissolution des industries musicales mondiales.
- 4 Nous traduisons ainsi la notion de « cultural grey-out » développée par Alan Lomax (1980).
23La littérature ethnomusicologique dont j’avais connaissance se montrait très critique à l’égard de la production industrielle et de la consommation des musiques du monde, mais voyait aussi parfois les circulations mondiales d’un très mauvais œil. L’ethnomusicologie a très longtemps considéré que la technologie corrompait les musiques traditionnelles et leurs identités culturelles. On peut à ce titre mentionner, en guise d’analyse typique, la notion de « ternissement culturel » d’Alan Lomax 4, qui exprime bien cette peur de la modernisation comme force ravageuse de la culture mondiale. Je pense aussi à cette illustration stupide dans le livre de Wallis et Malm (1984), Big Sounds From Small Peoples, The Music Industry in Small Countries, présentant des musiciens africains en costumes traditionnels, assis sous un grand nuage où l’on voit écrit « musique disco ». On voit cette grande tempête de la technologie arriver et les musiciens jeter leurs percussions pour se saisir de synthétiseurs. Il me semblait que c’était une façon incroyablement réductrice et dommageable de décrire l’arrivée massive de la technologie, comme si elle ne pouvait pas fournir un nouveau terrain de création à ces gens. En outre, je me suis toujours principalement intéressé à la musique qui présentait déjà à l’époque cette forme de synthèse transculturelle, comme dans le cas de l’afropop ou du rock cambodgien, etc. Ces derniers constituaient des nouvelles formes locales, créées en quelque sorte en réaction massive à l’arrivée des technologies des musiques populaires, rendue possible grâce aux circulations dans les médias populaires.
- 5 On désigne par « Nihonjinron » (日本人論, littéralement : discours/théories sur les Japonais) un genre (...)
24Ironiquement, si l’on observe les réseaux technologiques au prisme de l’ethnomusicologie – qui est une discipline obsédée par la soi-disant « adaptation culturelle » à la technologie par des populations que l’on croit dépourvues de culture technologique – alors le Japon semble être un cas à part. En effet, il est perçu comme hyper-technologique, et la technologie est censée être au-delà de la culture. À un tel point que la culture japonaise est souvent considérée comme une culture postmoderne idéale et inauthentique, dépourvue de mémoire historique, ou du moins une culture qui entretiendrait une relation étrange et cassée entre la mimesis culturelle et les technologies mondiales, de telle sorte que vous pouvez voir un moine se promener dans la rue avec un téléphone portable. Le Japon était l’incarnation typique de ce fameux « choc des cultures », offrant ainsi une sorte de résolution magique de ce problème, grâce à la synthèse typiquement japonaise entre formes « traditionnelles » et « modernes ». Mais cela n’a rien de spécifique au Japon. En revanche, la perception de cette technoculture comme spécifiquement japonaise, était, elle, vraiment caractéristique de la réception occidentale de la culture japonaise, dans un contexte d’émergence de la mondialisation culturelle. Il était plus simple de voir le Japon ainsi associé au dit « miracle » de la révolution technologique de l’après-guerre. Pourtant, cette transformation avait débuté bien avant, quand leur propre machine de guerre coloniale fut mise en route. De ce fait, des symboles comme la bombe atomique ou cette idée d’un traumatisme ontologique de la crise technologique ont également influencé la réception de la Japanoise. Beaucoup de Japonais ont pu aussi se percevoir eux-mêmes comme des êtres à part, ayant une valeur spéciale, en raison de leurs inventions hypertechnologiques, de toutes ces innovations techniques, comme avec Sony et ce qu’ils ont appelé les Nihonjinron 5, où cette idée d’un statut culturel singulier devient quelque chose de proprement technologique dans l’après-guerre. Il y avait donc une confusion de type orientaliste qui mêlait des éléments culturels, d’histoire de l’art, avec d’autres principes postmodernes du même ordre, ce qui a créé une sorte d’ouragan autour de la Japanoise, contribuant à prouver à tout le monde que la Japanoise pouvait réellement exister en tant que forme musicale.
25Dans un esprit moderniste, la technologie est généralement perçue comme une source de violence déshumanisante à laquelle l’art doit résister. Évidemment les Japonais ne sont pas les seuls impliqués dans une telle dialectique ; c’est aussi le cas des Américains, des Européens, et de tous les pays engagés dans des projets de modernité à l’échelle mondiale. Mais, ironiquement, on en parlait constamment comme de quelque chose de « japonais ». De ce fait, la Japanoise devenait « bonne à penser » en ces termes. Or il m’est apparu que les musiciens de noise, quel que soit le contexte culturel dont ils sont issus, semblent de manière générale très hostiles au fait d’être désignés comme des musiciens « électroniques », bien qu’ils utilisent constamment la technologie – et que certains d’entre eux auraient sans doute acheté un synthétiseur électronique s’ils en avaient eu les moyens, au lieu de connecter un tas de pédales d’effet bon marché dans une boucle de feedback. Dans la noise, il y a comme une vague connaissance de la production technologique et un refus de savoir comment ça fonctionne, invitant à envisager le sujet de la création et de la circulation mondiale dans de nouvelles directions. Avec la Japanoise, beaucoup de musiciens ont dû se considérer comme Japonais pour la première fois, et devaient faire face à cette question dans un cadre musical. L’idée de la boucle de feedback pourrait tout à fait être une conception deleuzienne du sujet, mais ce n’est pas ce que je voulais analyser ; je voulais décrire ce qu’était l’expérience des gens face à la Japanoise à un certain point de cette boucle, décrire ce qu’ils ressentaient à un instant précis, lors d’un événement particulier, et comment cela se connectait à d’autres perceptions du son et de l’écoute. Il aurait été facile de dire que la Japanoise n’était rien de plus qu’un malentendu créé par la mauvaise interprétation américaine de la culture japonaise, mais d’un point de vue technologique, elle était également profondément liée à des perspectives culturelles typiques et des expériences de la musique électronique spécifiques à l’histoire du Japon d’après-guerre. Le feedback est un processus générateur, et il nous donne à penser ce concept, très fonctionnel mais aussi très creux de « culture japonaise », que l’on remplit avec l’objet ténu qu’est la Japanoise, comme élément de différence culturelle sur le plan mondial.