- 1 Claude Chastagner est professeur de civilisation américaine à l’Université de Montpellier et spécia (...)
1« If you remember the 60’s, you weren’t there. » En choisissant non sans malice de débuter son introduction par cette citation de l’humoriste américain Charlie Fleisher (1982), Claude Chastagner1 invite le lecteur à saisir la complexité de la contre-culture américaine des sixties et à prendre garde aux clichés sur la période. Il rappelle ainsi, à la suite de Terry H. Anderson (1995 : 4), que seule une minorité a pris part à l’activisme politique et contre-culturel de la décennie qui ne peut d’ailleurs pas se résumer au triptyque « sex, drugs and rock’n’roll ». Pour autant c’est bien cette petite minorité agissante, à travers ses révoltes et ses utopies, ses luttes et ses expérimentations, qui est l’objet de cet ouvrage de synthèse destiné aux agrégatifs d’anglais comme à tous les curieux. L’auteur délivre un panorama aussi exhaustif que possible des débats historiographiques sur la contre-culture américaine des années 1960. Pour certains auteurs (Goffman & Joy, 2004) ce terme désignerait tout acte de dissidence remettant en cause les conventions mais pour d’autres il serait aujourd’hui presque exclusivement associé aux États-Unis des années 1960 (Brownstein & Doyle, 2002 :10). Dans tous les cas il s’agit d’un « ensemble de convictions et de valeurs en opposition aux normes, valeurs et pratiques de la culture dominante (…) [qui chercherait à abolir] les contraintes imposées à l’épanouissement de l’individu » (17-18).
2Le rapport entre contre-culture et militantisme politique s’avère un élément essentiel de l’historiographie de la période et de nombreux historiens ont longtemps opéré une distinction entre les deux mais cette approche a été battue en brèche à compter des années 1990. Cela justifie le choix de l’auteur d’envisager la contre-culture « dans son imbrication avec les combats politiques et sociaux des années 60 » (28). Optant pour un plan chronologique, il s’intéresse au décalage entre les attentes d’une génération post Seconde Guerre mondiale ayant reçue une éducation progressiste et la réalité d’une société américaine anxieuse dans le contexte de la Guerre Froide. Une partie minoritaire mais croissante de la jeunesse des années 1950 s’intéresse à des formes culturelles dont la contre-culture revendiquera peu ou prou l’influence, que ce soit le mouvement des transcendantalistes, la Beat Generation, la culture de masse ou encore les travaux d’intellectuels critiques vis-à-vis de la société de consommation comme Charles W.Mills ou Herbert Marcuse. Il aurait alors été intéressant de pousser l’investigation sur les liens entre la contre-culture américaine et les avant-gardes européennes du xxe siècle et surtout sur la question des transferts culturels – notamment sur les influences réciproques entre les USA et l’Europe.
3La volonté de « changer le monde » s’exprime par la multiplication et le succès des organisations politiques étudiantes à commencer par le SDS et par des mobilisations de plus en plus radicales contre la guerre du Vietnam, l’armement nucléaire, les inégalités de richesse et la ségrégation. Le mouvement des droits civiques joue alors un rôle fondateur et fédérateur dans la politisation d’une nouvelle génération. Les déçus d’un militantisme jugé trop dogmatique et trop intellectuel peuvent rejoindre les adeptes de la bohème « beat ». Pour les hippies la modification du psychisme de chacun est un préalable au renversement des structures sociales et politiques. La contre-culture s’exprime par toutes les formes artistiques possibles du théâtre au cinéma, des arts graphiques à la musique et elle s’appuie sur une presse underground chargée de dévoiler ce qui est tu par la presse mainstream. La fin des années 1960 est marquée par une montée du radicalisme corollaire d’un discours plus ferme de l’État (Nixon est élu en 1968, réélu en 1972) et de « l’essoufflement d’un mouvement que les arrêts des combats au Viêt Nam prive de sa finalité principale » (121). À la fin de la décennie les luttes féministes et LGTB (lesbiennes, gays, bi et transgenres) « perpétuent les révoltes et les utopies, la dissidence et l’insurrection, et incarnent ce projet singulier des années soixante, l’entrelacement des valeurs de la contre-culture et du militantisme » (142).
4Claude Chastagner conclut cette traversée des sixties sur la question de l’héritage en rappelant que la critique conservatrice l’affuble de tous les maux (échec scolaire, violence, racisme, crise de la famille traditionnelle) et que le discours de gauche est souvent teinté de déception quant aux avancées de la période. L’auteur exprime ici à juste titre son désaccord en soulignant le bilan positif de la décennie avec notamment la modification des rapports à la technologie, à l’environnement, au corps et la reconnaissance des différentes formes de différences.