Asya Draganova, Shane Blackman & Andy Bennett (dir.), The Canterbury Sound in Popular Music
Asya Draganova, Shane Blackman & Andy Bennett (dir.), The Canterbury Sound in Popular Music, Bingley, Emerald Publishing, 2021
Texte intégral
1Publié dans la collection Studies in Popular Music and Place de l’éditeur Emerald, The Canterbury Sound in Popular Music a le mérite non seulement de donner de la visibilité à la scène de Canterbury – un sujet trop souvent négligé dans le cadre des popular music studies – mais aussi de le faire avec une approche tout à fait originale. Tout en étant structuré comme un ouvrage collectif assez ordinaire, le livre offre une image poignante de la variété de parcours humains se rencontrant virtuellement à Canterbury, grâce à dix-huit chapitres très diversifiés au niveau des contenus, des approches et des registres utilisés. Le point de départ du projet éditorial de Draganova, Blackman et Bennet fut une recherche ethnographique pour repérer un ensemble de musiciens, chercheurs, intermédiaires culturels et archivistes indépendants liés à la scène de Canterbury, qui furent ensuite invités à la journée d’études « The Canterbury Sound : Place, Music and Myth » (organisée à la Christ Church University de Canterbury en 2017) et dont les contributions sont recueillies dans l’ouvrage en question.
2La diversité des profils des auteurs représente sans doute l’aspect le plus original de cette publication : si, d’une part, la présence de « non-chercheurs » fait que la rigueur scientifique soit suspendue par moments, d’autre part le livre peut accueillir, à côté des recherches proprement dites, aussi les témoignages des « protagonistes » de la scène (volontairement laissés dans une mise en forme « brute », de manière à restituer la proximité de l’entretien, avec les phrases entrecoupées, les intercalaires, etc.), les anecdotes, les opinions personnelles. Cette mixité au niveau des approches représente peut-être le meilleur hommage à l’univers canterburien, imperméable à toute orthodoxie stylistique et né de la rencontre d’influences musicales et culturelles hétérogènes (parmi lesquelles le free jazz, les chorales anglicanes, l’humour nonsense, les avant-gardes musicales et littéraires du vingtième siècle, la pop).
- 1 « [Sound] is symbolically linked with the notion of travel: it counteracts the perception of a scen (...)
3Dans l’introduction de l’ouvrage, les éditeurs discutent le choix de privilégier l’expression Canterbury Sound, plutôt que Canterbury Scene, le « son » étant « lié symboliquement avec la notion de voyage : il contrebalance la perception des frontières figées d’une scène en s’adaptant à la fluidité d’une musique moins ancrée à un positionnement, où le lieu est autant une métaphore romantique qu’une expérience vécue1 » (p. 1). En partant de cette conception élargie du « son », le livre échappe au risque de canoniser une époque, un lieu ou un groupe figé d’artistes et, au contraire, saisit la dimension évolutive de la scène de Canterbury et interroge la possibilité d’en entendre le « son » de différentes manières, par exemple en discutant la production d’artistes d’aujourd’hui basés à Canterbury et leur lien plus ou moins assumé avec la scène des années 1960-70, ou bien en abordant le sujet de l’activité musicale canterburienne à l’heure actuelle (à cet égard, le chapitre de Sam Bailey sur Free Range, une saison de concerts et évènements culturels organisée à Canterbury, est particulièrement éclairant, car il montre la manière dont l’approche ouverte et curieuse vis à vis de la musique et de l’expérimentation initiée par un Daevid Allen a pu se perpétuer au fil des décennies).
- 2 « [the Canterbury Sound] was [...] generally forgotten about [...] for almost 30 years. »
- 3 Nous faisons références à des magazines tels que Impetus, Audion et Rubberneck au Royaume Uni, Atem(...)
4Malgré le choix de privilégier le discours sur le « son » à celui sur la « scène », la notion de scène est néanmoins abordée à plusieurs reprises, notamment dans le premier chapitre, où Andy Bennett propose une interprétation permettant de conjuguer d’une part la réticence des membres historiques de la scène de Canterbury, tels que Robert Wyatt ou Hugh Hopper, à accepter cette catégorisation créée par la presse musicale et, d’autre part, le fait que l’expression « scène de Canterbury » soit toujours vivante et significative plus de cinquante ans après sa création. Le chercheur propose la notion de « scène virtuelle », à savoir une scène où l’élément de la localisation géographique perd d’importance, et où le sens d’appartenance se crée plutôt grâce aux interactions des fans (notamment à travers des outils numériques tels que les mailing lists et les blogs). La notion de scène virtuelle – évoquée à plusieurs reprises dans l’ouvrage – nous paraît convaincante et utile ; cependant, l’idée que le concept de « Canterbury Sound » ait été « généralement oublié […] pendant presque 30 ans2 » (p. 13), jusqu’à la diffusion d’internet au milieu des années 1990, est incorrecte, comme le témoigne un grand nombre de magazines musicaux qui non seulement continuèrent à parler de « scène » (où « son », ou « école ») de Canterbury entre les années 1970 et les années 1990, mais qui constituèrent un point de repère essentiel pour le maintien d’un sens d’appartenance parmi les fans3.
5Malgré la diversité des perspectives abordées, celle des cultural studies reste privilégiée parmi les chapitres proprement scientifiques, alors que des véritables approfondissements analytiques de la musique sont malheureusement absents. Cela nous paraît presque paradoxal, étant donné que l’objet de l’ouvrage est le « son » de Canterbury : tout en comprenant les précautions vis-à-vis d’approches analytiques trop « poussées », le choix de consacrer un ouvrage presque exclusivement au contexte d’une scène musicale, sans en présenter de façon critique la musique (sauf quelques mentions hâtives sur les accords de neuvième et les métriques impaires) ne nous semble pas justifié, notamment puisque la musique en question ne peut pas vanter une littérature scientifique développée, qui pourrait éventuellement combler les lacunes de cette publication pour les aspects musicologiques.
6De manière générale, les contributions des musiciens, des intermédiaires et des journalistes s’avèrent plus intéressantes que celles des chercheurs universitaires. Malgré quelques tendances auto-référentielles de trop parmi les musiciens et la méthodologie parfois non rigoureuse du point de vue scientifique, les témoignages des « non-chercheurs », leurs histoires et leurs anecdotes nous permettent de comprendre de manière concrète en quoi une scène musicale et ses évolutions – le long des décennies et à cheval des continents – consistent, et représentent donc des sources significatives pour des ultérieures recherches. En revanche, à l’exception des chapitres, effectivement précieux et bien conçus, de Bennet et Smith (ce dernier discutant la notion de scenius, où la dimension individualiste du génie est remplacé par celle partagée d’une « génialité collective » liée aux interactions de plusieurs acteurs), les contributions des chercheurs universitaires restent, dans le meilleur des cas, des exercices académiques assez stériles, et, dans le pire (l’article de Draganova et Blackman, qui en plus dirigent l’ouvrage), un travail très approximatif au niveau du traitement des données et clairement non relu pour ce qui concerne la ponctuation et la mise en forme.
7En conclusion, The Canterbury Sound in Popular Music est sans doute une ressource précieuse, non seulement pour les chercheurs s’intéressant à la scène de Canterbury, mais aussi pour les non spécialistes (ce qui – selon notre humble opinion – représente un point positif pour une publication universitaire). Cependant, un travail plus rigoureux de sélection et de relecture des chapitres aurait rendu l’ouvrage encore plus efficace.
Notes
1 « [Sound] is symbolically linked with the notion of travel: it counteracts the perception of a scene's fixed borders as it suits the fluidity of a music less attached to location, where place is a romantic metaphor as well as lived experience. »
2 « [the Canterbury Sound] was [...] generally forgotten about [...] for almost 30 years. »
3 Nous faisons références à des magazines tels que Impetus, Audion et Rubberneck au Royaume Uni, Atem, Notes et Intra-musiques en France, Gong et Muzak en Italie, Open System Project en Belgique, Sound Choice et Op aux États Unis. Nous remercions Alessandro Achilli pour les renseignements.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Jacopo Costa, « Asya Draganova, Shane Blackman & Andy Bennett (dir.), The Canterbury Sound in Popular Music », Volume !, 19 : 1 | 2022, 174-176.
Référence électronique
Jacopo Costa, « Asya Draganova, Shane Blackman & Andy Bennett (dir.), The Canterbury Sound in Popular Music », Volume ! [En ligne], 19 : 1 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/volume/10392 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/volume.10392
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