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Notes de lecture

Ross Hagen, Darkthrones A Blaze in the Northern Sky

Baptiste Pilo
p. 233-236
Référence(s) :

Ross Hagen, Darkthrones A Blaze in the Northern Sky, New York, Bloomsbury Academic, 2020

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Artiste :

Darkthrone
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Texte intégral

1La collection 33 1/3 de l’éditeur Bloomsbury Academic propose pour la première fois un ouvrage consacré à un album de black metal : A Blaze in the Northern Sky de Darkthrone, paru en 1992. Ce choix dalbum apparaît amplement justifié : second opus du groupe mais premier dans un style black metal, A Blaze in the Northern Sky est une œuvre essentielle en raison de sa place centrale dans l’émergence du black metal en tant que scène et style musical. Lauteur de louvrage, Ross Hagen, est un musicologue bien connu dans le champ des metal studies. Il fut notamment lun des premiers à proposer une recherche musicologique sur le sujet (Hagen, 2005 ; 2011). Hagen est actuellement chargé de la communication de lInternational Society for metal Music Studies (ISMMS). Dans le format court habituel de la collection (une centaine de pages), l’ouvrage propose aux lecteurs une approche contextualisée de lalbum de Darkthrone.

2Lintroduction restitue le contexte de production de lalbum dans la carrière du groupe (notamment le passage du death metal au black metal) et évoque l’émergence des metal studies. Hagen aborde les aspects problématiques du metal et du black metal : lauteur affirme à cet égard être tout à fait conscient du fait que les « espaces du metal [] restent implicitement ou ouvertement peu accueillants pour les femmes, les personnes de couleur et les participants identifiés comme queers » (p. 11-12). Il rappelle limportance de lextrême-droite dans la scène black metal et souligne à quel point la recherche sur le black metal peut s’avérer un « champ de mines éthique et moral » (p. 13). Cest tout à lhonneur de lauteur de ne pas éluder ces aspects, nous rappelant en cela quune recherche sur le black metal ne peut pas faire l’économie des dimensions idéologiques et politiques du genre.

3Le premier chapitre propose une courte exploration de lhistoire du black metal. L’auteur aborde lhabituelle division de lhistoire du genre en trois « vagues », tout en soulignant son caractère schématique et construit, et évoque la panique morale ayant suivi les faits criminels de la scène norvégienne. Dans un deuxième temps, lauteur aborde la récupération et lincorporation du black metal par la société et le mainstream. Il dialogue alors habilement avec les travaux de Dick Hebdige (1979) tout en critiquant les limites du modèle de subculture, comme ont pu le faire dautres chercheurs avant lui (voir notamment McRobbie, 1991 ; Miles, 1998, Clarke, 1990 ; Brown, 2003). Hagen traite ensuite de l’épineuse question de lauthenticité et de linauthenticité. Il souligne (de manière nuancée) le fort conservatisme stylistique du black metal, dont les premiers albums de Darkthrone seraient le modèle. Hagen, dans la foulée dautres chercheurs, réaffirme lauthenticité comme base du black metal (Reyes, 2013 ; Hainaut, 2017 ; Pilo, 2018). Il insiste également sur limportance pour la scène de se situer dans un espace précis (la Norvège) pour marquer cette authenticité.

4Le second chapitre aborde le black metal norvégien à travers la notion de « boréalisme ». Le musicologue présente la notion comme la manière dont « les régions scandinaves et de l’Atlantique Nord ont longtemps été considérées comme une frontière exotique de l’Europe continentale, qui n’a été intégrée que très récemment dans le giron de la “civilisation” » (p. 44). Le Nord est alors vu par le reste de lEurope un « autre » permettant de se définir. Lauteur utilise la notion pour montrer comment les Norvégiens ont cherché à norvégianiser leur production artistique (voir Pilo, 2018), voire à lexotiser et même à en faire un « fonds de commerce ». Cette manière de faire a eu pour effet de profondément ancrer le black metal dans un espace : celui du Nord. Cet ancrage spatial a ainsi profondément influencé la réception du black metal. Le chapitre traite ensuite de limaginaire pagano-viking et notamment de ses liens avec les idées politiques dextrême-droite. Enfin, il évoque le tourisme et lintét pour la Norvège qua généré le black metal, ainsi que la patrimonialisation et la reconnaissance par les institutions du genre dans le pays, un sujet qui mériterait que lon sy attarde plus longuement.

5Le troisième chapitre est consacré à lanalyse musicale de lalbum. Lauteur fait le choix de la simplicité et privilégie la pédagogie ce qui pourra frustrer les musicologues souhaitant lire une analyse détaillée. Le but est ici de mettre en lumière quelques-uns des aspects spécifiques du style de lalbum et la manière dont ils sont devenus des éléments centraux du style black metal. Le chapitre étudie lharmonie, la construction des riffs, du rythme et enfin le son. Lidée est de montrer comment ces éléments ont été « blackened » par Darkthrone pour créer une musique proche de ce que lon reconnaît comme du black metal.

6Le dernier chapitre propose alors, à la manière dune conclusion, de sattarder sur l’évolution de la carrière de Darkthrone. À partir des années 2000, le groupe va s’éloigner de son style black metal pour proposer une musique proche du Thrash metal et du punk des années 1980. Cette approche « conservatrice » ou plutôt nostalgique de la musique amène à une longue réflexion, s’appuyant sur le Retromania de Simon Reynolds (2011), à propos de nostalgie dans les musiques metal ainsi que sur la place et limpact du web sur les pratiques musicales et d’écoutes. Le livre se termine par une réflexion sur le rapport entre la modestie des musiciens de Darkthrone qui ne souhaitent pas être des rock-stars et lidée que les sociétés scandinaves accordent davantage de valeur à lhumilité, au consensus et au bien de la communauté. Bien que riche didées qui mériteraient à elles seules un livre, ce chapitre aurait pu être loccasion pour lauteur de recentrer son propos sur A Blaze in the Northern Sky, notamment sa réception.

7Louvrage prend le parti de se concentrer davantage sur le black metal que sur A Blaze in the Northern Sky. Ce point pourra déstabiliser certains lecteurs et décevoir ceux désireux de lire une monographie consacrée à l’album. Le livre offre une synthèse de ce qui peut être dit, en ce début de décennie, sur le black metal. Il propose toutefois de nombreuses pistes de recherche à suivre et développer. Par ailleurs, le propos dHagen resitue régulièrement le black metal dans le contexte plus général du metal, ce qui permet au lecteur de mieux comprendre les enjeux propres au sous-genre. Bien que souffrant du format court du livre, il énonce de nombreuses idées stimulantes. Le style est facile et agréable à lire ; les évocations du musicologue de ses propres expériences liées au metal renforce le plaisir de lecture.

8Plusieurs points peuvent néanmoins faire lobjet de critiques. Nous en aborderons deux en particulier. Dans le chapitre 1, reprenant Ian Reyes (2013), Hagen affirme que le black metal dans les années 1980 n’était pas un genre musical distinct et quaucun des groupes (Bathory, Venom, Hellhammer) associés au genre ne se considéraient eux-mêmes comme « black metal ». Cette seconde considération néglige un fait essentiel : le terme « black metal » était largement employé dans les années 1980 afin de désigner les groupes (dont les groupes cités par lauteur) aux thématiques anti-chrétienne, satanisante ainsi quoccultisante (voir Pilo, 2020 : 47-81). Ainsi, sil est vrai que les Norvégiens se sont créés un héritage en se réclamant et en se réappropriant le black metal des années 1980, il est cependant nécessaire de ne pas trop déconstruire cette « généalogie construite » au point den faire une fiction ; cest-à-dire affirmer que le « black metal » dans les années 1980 nexistait pas.

9Dans le chapitre 2, la vision du boréalisme comme une forme intentionnelle de « branding » (p. 103) néglige peut-être trop la dimension esthétique et poétique du boréalisme tel que la définit actuellement Sylvain Briens (2018). Il faut souligner que lutilisation du terme « exotique » par le musicologue tend à présenter le « boréalisme » comme une forme d’« exotisme » appliqué au Nord. Ce terme étant lié au colonialisme occidental (voir notamment Saïd, 1980), il pose, à nos yeux, problème. Les Occidentaux, en tout cas les Européens, nont jamais eu un rapport colonial au Nord de lEurope. Lauteur ne sarrête pas là, il propose de faire un parallèle surprenant entre la world music des années 1980, quil considère comme une forme d’« exotisme musical » (p. 48), et le black metal des années 1990. Selon lui, il existe des similitudes entre la dynamique culturelle qui sous-tend la création des deux genres. Le black metal serait perçu par certains fans non-Nordiques avec la même aura dexotisme que la world music. Or, la world music est construite de manière à correspondre aux attentes du public (occidental). Pour Hagen, les musiciens norvégiens procèdent, dans les années 1990, de la même manière pour faire entendre une musique se voulant être une fenêtre sur le grand Nord. Lidée est surprenante et particulièrement forte. Elle mériterait d’être approfondie. Le raisonnement de lauteur n’évoque cependant pas la question fondamentale du rapport de domination existant entre la construction de la world music et lOccident. Laltérité construite dans la world music ou dans ce que lon nomme les « musiques du monde » est de nature (post)coloniale (Weiss, 2013 ; Field, 2000). Selon nous, la forme daltérité possible entre le black metal et les auditeurs nest fondamentalement pas de même nature. Au-delà de ces critiques de fond, il faut signaler quune bibliographie aurait été la bienvenue. Les seules notes de bas de page (employées lorsque les idées sont directement empruntées) ne permettent malheureusement pas à lauteur de restituer lensemble de ses lectures.

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Bibliographie

Briens Sylvain (2018), « Boréalisme Pour un atlas sensible du Nord », Études Germaniques, 2018/2, no 290, p. 151-176.

Brown Andy (2003), « Heavy metal and Subcultural Theory : A Paradigmatic Case of Neglect ? », in Muggleton David & Weinzierl Rupert (eds.), The Post-Subcultures Reader, Oxford, Berg, p. 209-222.

Clarke Gary (1990), « Defending Ski-Jumpers : A Critique of Theories of Youth Subculture », in Frith Simon & Goodwin Andrew (eds.), On Record : Rock, Pop and the Written Word, Londres, Routledge, p. 81-96.

Field Steven (2000), « Lullaby for World Music », Public Culture, no 12, p. 145-71.

Hagen Ross (2005), Norwegian black metal : Analysis of Musical Style and its Expression in an Underground Music Scene, Mémoire de Master of Music, Université du Colorado, Jeremy Smith dir.

Hagen Ross (2011), « Musical Style, Ideology, and Mythology in Norwegian black metal », in Jeremy Wallach, Berger Harris M. & Greene Paul D. (eds.), metal Rules the Globe Heavy metal Around the World, Durham, Londres, Duke University Press, p. 180-199.

Hainaut Bérenger (2017), Le style black metal, Château-Gontier, Aedam Musicae.

Hebdige Dick (1979), Subculture : The Meaning of Style, Londres, Routledge.

McRobbie Angela (1991), Feminism and Youth Culture, Londres, Macmillan.

Miles Cressida (1997), « Spatial Politics : A Gendered Sense of Place », in Redhead Steve, Wynne Derek & O’Conner Justin (eds.), The Clubcultures Reader : Readings in Popular Cultural Studies, Oxford, Blackwell Publishers, p. 66-78.

Pilo Baptiste (2018), « True Norwegian black metal : Nationalism and Authenticity in the Norwegian black metal of the 90s », in Karjalainen Toni-Matti (ed.), Sounds of Origin in Heavy metal Music, Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, p. 41-69.

Pilo Baptiste (2020), Emergence et essor du black metal Norvège entre 1991 et 1999 : Histoire, imaginaire, idéologie, musique, Thèse de doctorat, Rennes 2, Hervé Lacombe dir.

Reyes Ian (2013), « Blacker than Death : Recollecting the Black Turn in metal Aestetics », Journal of Popular Music Studies, no 25, p. 240-257.

Reynolds Simon (2011), Retromania : Pop Cultures Addiction to Its Own Past, New York, Faber and Faber.

Saïd Edward (1980), LOrientalisme : lOrient créé par lOccident, Paris, Seuil.

Weiss Sarah (2013), « Écouter le monde mais nentendre que soi », Volume ! La revue des musiques populaires, vol. 10, no 1, p. 91-109.

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Pour citer cet article

Référence papier

Baptiste Pilo, « Ross Hagen, Darkthrones A Blaze in the Northern Sky », Volume !, 19 : 1 | 2022, 233-236.

Référence électronique

Baptiste Pilo, « Ross Hagen, Darkthrones A Blaze in the Northern Sky », Volume ! [En ligne], 19 : 1 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/volume/10299 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/volume.10299

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Auteur

Baptiste Pilo

Baptiste Pilo est docteur en musicologie de l’Université Rennes 2, chercheur associé à l’équipe d’accueil Histoire et Critique des Arts (EA 1279). Sa thèse, sous la direction d’Hervé Lacombe, portait sur l’émergence et l’essor du Black Metal en Norvège dans les années 1990. Il est membre de l’IASPM-bfe et de l’ISMMS. Il est actuellement post-doctorant au sein du projet ANR Musicovid.

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