Bernward Halbscheffel, Canterbury Scene: Jazzrock in England
Bernard Halbscheffel, Canterbury Scene: Jazzrock in England, Leipzig, Halbscheffel Verlag, 2014
Texte intégral
1Le musicologue Bernward Halbscheffel, très actif à travers plusieurs ouvrages bien documentés sur le rock progressif (Progressive Rock: Die ernste Musik der Popmusik, Leipzig, Halbscheffel, 2012), s’était déjà intéressé à la scène de Canterbury à travers un long article de la revue Jazzforschung/Jazz research (n° 22, 1990) intitulé « Früher Jazzrock in Großbritannien – Die Canterbury Strömung » (p. 139-179) où il traitait entre autres du terme « Jazz-rock » et du parallélisme entre les représentants américains (Miles Davis, Larry Coryell, Herbie Hancock, etc.) et les musiciens européens, en se concentrant particulièrement sur le rôle du batteur Robert Wyatt comme l’un des initiateurs de ces croisements stylistiques, notamment dans Soft Machine.
2Dans l’ouvrage assez volumineux (341 pages) de 2014, Halbscheffel propose tout d’abord une introduction sous forme de réflexion personnelle sur son rapport à ces musiques et sur la réception de ces groupes à Berlin lorsqu’il commença à s’y intéresser en 1977, bien avant de soutenir sa thèse en 2000 sous la direction de Tibor Kneif à la Freie Universität Berlin (Rockmusik und klassisch-romantische Bildungstradition) ; thèse qui abordait d’ailleurs surtout d’autres formes d’expression (le jazz, le rock progressif dans son ensemble, etc.). Dans son ouvrage sur la « scène de Canterbury », Halbscheffel exprime bien sa dette envers les travaux d’Aymeric Leroy (notamment son site Calyx), sans lesquels il n’aurait pas pu écrire ce volume.
3Le livre se présente d’abord au lecteur comme un grand dictionnaire des musiciens, groupes, instruments et notions propres à cette scène de Canterbury (de la page 11 à la page 253 !), de « Allen » à « Zeuhl ». Chaque entrée du dictionnaire est précise, bien documentée, et se termine par des références discographiques et des sites Internet (la bibliographie étant regroupée à la fin du livre). En soi cet ensemble est très utile, et permet de revenir sur certaines questions terminologiques comme le « Jazz-rock » dans une comparaison entre les courants américains et les manifestations européennes, entre les éléments vocaux et instrumentaux (ce en quoi Soft Machine occupait une place tout à fait spécifique). On appréciera aussi dans cette partie l’ouverture à des groupes ou artistes parfois considérés en marge de la scène de Canterbury (voir Henry Cow, Fred Frith, Kevin Ayers, Lol Coxhill par exemple) et les entrées concernant des festivals ou des labels (Burning Shed, Cuneiform, Deram, Virgin, etc.).
4La partie finale de l’ouvrage (de la page 257 à 314) est intitulée simplement « Canterbury Scene », et est articulée en une section historique/culturelle, et une autre plus précisément musicologique : l’auteur y traite tout d’abord l’orchestre de « lycéens », les premières rencontres entre les musiciens puis la fondation en 1967 des Wilde Flowers. Dans le chapitre « Steigerung » (Progression), Halbscheffel évoque les débuts de Soft Machine et de Caravan, mais aussi les groupes moins connus qu’étaient Delivery, Uriel et Egg ou moins directement associés à la scène de Canterbury dans un premier temps : Henry Cow, Nucleus. Dans son chapitre « Peripetie », l’auteur aborde la question de la diffusion de ces musiques, en considérant que l’apogée de cette scène se situe entre 1972 et 1975, ce qui correspondait à la publication d’un important nombre d’albums, à la fois ceux des artistes ayant déjà œuvré avant 1970 (Kevin Ayers, Robert Wyatt, Caravan, Soft Machine, Egg, Gong), mais aussi ceux des « nouveaux-venus » : Matching Mole, Khan, Gilgamesh, Hatfield and the North, Henry Cow, Slapp Happy, Quiet Sun et Isotope. La grande diversité de ces albums mena rapidement, selon l’auteur, à une sorte d’érosion de cette notion de « scène de Canterbury », ou au moins à la multiplication des albums solos (notamment de Kevin Ayers et Robert Wyatt). Dans le chapitre « Retardation » de ce livre, Halbscheffel montre ensuite comment l’arrivée des disques dans les bacs des disquaires s’est faite avec un délai important, dans les années 1973-75, au moment où les groupes les plus anciens (Soft Machine, Caravan, Gong) n’étaient parfois plus vraiment en activité selon les caractéristiques qui avaient été celles des premiers albums, et moins présents sur le plan mondial. Le label Virgin (créé en 1972) est cité ici comme un élément-clé d’une série de changements musicaux s’opérant très vite : après avoir eu sous contrat les groupes Henry Cow, Slapp Happy, Faust, Gong et Tangerine Dream, son directeur Richard Branson rompit le contrat avec Henry Cow et s’orienta vers les Sex Pistols en 1977, le punk rock puis la new wave en délaissant progressivement les anciens groupes. Henry Cow fut d’ailleurs un cas intéressant d’autogestion et d’autonomie par rapport à l’industrie du disque à cette période (avec le collectif « Rock in Opposition »). Halbscheffel rappelle que de nombreux groupes de la scène de Canterbury se sont séparés à partir de 1974 (le premier fut Egg) et combien les musiciens ont évolué entre différents groupes ou projets : il cite ici le cas de Hugh Hopper après son départ de Soft Machine. Cette section historique se termine (« Schluss ohne Ende ») en revenant sur la notion de « scène » et sur l’impact de ces groupes et artistes sur les générations suivantes (Steven Wilson Band), sur le rôle de certaines revues ou fanzines des années 1990 (Facelift, Canterbury Nachrichten) et sur le médium idéal que fut Internet pour la diffusion de ces musiques, d’où l’expression d’Andy Bennett : « Making of a Virtual Scene ».
5L’ultime section du livre, « Die Musik », se concentre (avec des exemples musicaux) sur quelques cas : les deux premiers albums de Soft Machine et surtout « Save Yourself » (reprise d’une partie de l’article de 1990 évoqué précédemment), la chanson « Place of my own » du premier album de Caravan, et enfin une analyse détaillée de « Living in the Heart of the Beast » de l’album In praise of Leaning de Henry Cow.
La conclusion du livre (« Erfolg ») revient encore sur la spécificité de cette scène qui correspondait selon l’auteur à un type de musique bien délimité, à un « son » particulier. Pour lui les trois groupes fondamentaux se définissent par une appartenance stylistique spécifique : Soft Machine comme groupe de jazz-rock, Caravan comme groupe de rock progressif avec un pendant folk, et Henry Cow comme groupe « post-Canterbury ».
6On retient de cet ouvrage une recherche de documentation précise, et une orientation un peu différente de celle d’Aymeric Leroy dans son livre L’école de Canterbury (Marseille, Le Mot et le Reste, publié plus tard, en 2016) : là où Halbscheffel semble intégrer Henry Cow à cette scène de Canterbury, Leroy ne mentionne aucun musicien de ce groupe dans ses « 10 figures centrales » (p. 706) et n’en parle quasiment pas. Sans avoir la richesse et la substance de l’ouvrage de Leroy, ce livre allemand ne manque pas d’intérêt, et il a le mérite, comme principal essai allemand sur ces musiques, de rappeler outre-Rhin l’importance de ces groupes anglais dans l’histoire du rock et du jazz.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre Michel, « Bernward Halbscheffel, Canterbury Scene: Jazzrock in England », Volume !, 19 : 1 | 2022, 177-179.
Référence électronique
Pierre Michel, « Bernward Halbscheffel, Canterbury Scene: Jazzrock in England », Volume ! [En ligne], 19 : 1 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/volume/10235 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/volume.10235
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