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Vobis legimus

Anne-Marie Favreau-Linder, Sylvie Franchet-d’Espèrey et André Rehbinder (dir.), Dialogue, dialogisme et polyphonie. Questions d’énonciation dans les textes rhétoriques et philosophiques de l’Antiquité

Bordeaux, Ausonius, Collection « Scripta Antiqua » 163, 2022
Mickaël Ribreau
Référence(s) :

Anne-Marie Favreau-Linder, Sylvie Franchet-d’Espèrey et André Rehbinder (dir.), Dialogue, dialogisme et polyphonie. Questions d’énonciation dans les textes rhétoriques et philosophiques de l’Antiquité, Bordeaux, Ausonius, Collection « Scripta Antiqua » 163, 2022, 441 p.

Texte intégral

1Ce très beau volume répond à un certain manque dans la bibliographie, puisque les études consacrées au dialogisme dans l’Antiquité sont peu nombreuses, contrairement à ce que l’on rencontre dans les domaines littéraires de l’époque moderne ou linguistiques. Il s’inscrit dans le sillage qu’avait tracé J.-P. de Giorgio et A.-M. Favreau-Linder, l’une des directrices de ce beau volume, dans leur volume consacré à la diatribe et au dialogisme. Le présent travail est issu de deux colloques organisés à Paris et à Clermont-Ferrand. Le choix a été fait de se concentrer sur la littérature rhétorique et philosophique grecque et latine jusqu’au IIe siècle après Jésus-Christ. On pourrait regretter peut-être ce choix, dans la mesure où plusieurs travaux consacrés à Augustin par exemple (comme en particulier l’ouvrage récent d’A. Vareille) ont pu montrer l’importance de ces notions chez les Pères de l’Église.

2L’ouvrage se signale par sa clarté, la finesse des analyses et l’utilisation rigoureuse des concepts et ce dès l’introduction. Dans cette dernière, les auteurs expliquent leur projet et rendent alors hommage aux travaux de Bakthine, qui a été, dans les études sur le dialogisme, une source évidente d’inspiration depuis la traduction en anglais et en français des travaux du formaliste russe. On peut se demander s’il est pertinent de considérer la lettre comme un dialogue, malgré la formule traditionnelle, dans la mesure où le dialogue est bien fictif ; il serait ainsi plus cohérent de le considérer comme un dialogue fictif, et, à ce titre, comme un lieu privilégié du dialogisme, ce que plusieurs communications montrent. De même, on peut s’interroger sur la pertinence du terme anachronique « traité » pour évoquer les théories sur le dialogisme. Cependant l’introduction reste une excellente clé de lecture pour l’ensemble de l’ouvrage et un bon guide pour en comprendre les grandes articulations et l’organisation.

3L’ouvrage comprend trois parties : I « Aspects rhétoriques : théorie et pratique » ; II « Le dialogue socratique de Platon à l’Antiquité tardive : dispositifs énonciatifs, dispositifs philosophiques » ; III « Voies et voix du dialogue à l’époque impériale ». Chaque partie comprend des sous-parties qui réunissent le plus souvent deux articles. Le livre est neuf en ce qu’il associe, on le voit dès que l’on regarde l’architecture globale, dialogue et dialogue fictif, alors qu’il existe déjà plusieurs collectifs consacrés à la question du dialogisme, dans les dialogues, de Platon en particulier.

4L’ensemble est précédé de prolégomènes de F. Cossuta, consacrés aux genres dialogiques, qui seraient comme à l’origine du dialogue. L’article est inspirant, même si les exemples sont rapidement traités, et auraient pu être étoffés. L’auteur souligne avec force comment le dialogisme est une dimension constituante du dialogue philosophique, le dialogue serait alors un « amplificateur dialogique ».

5Dans la première sous-partie « Figures et exercices », S. Franchet d’Espèrey et P. Chiron proposent des études extrêmement précises des antécédents dialogiques de la rhétorique antique, dans l’Institution oratoire, IX, 2 de Quintilien et dans le De figuris d’Alexandros. Les deux auteurs soulignent la difficulté de trouver un véritable équivalent au dialogisme. S. Franchet d’Espèrey, à la suite de F. Desbordes, montre que l’énonciation est pensée dans le cadre des figures, et que, par conséquent, ce n’est pas le dialogisme en lui-même qui compte, mais la fictio. Elle montre également comment le théâtre représente une forme d’impensé qui traverse cependant toute la réflexion de Quintilien. F. Berardi montre ensuite comment l’éthopée s’est figée en une forme monologique qui garde cependant trace de la dimension dialoguée ancienne grâce au dialogisme. Puis, dans le deuxième sous-ensemble « Voix de la déclamation », N. Papakonstantinou et C. Schneider s’attachent au dialogisme dans les Déclamations du Pseudo-Quintilien. Elles montrent l’importance de la polyphonie à l’œuvre dans ses discours fictifs, notamment dans un cadre réfutatif. Dans la dernière sous-partie « discours », S. Gotteland et I. David s’intéressent au discours. S. Gotteland étudie en particulier l’hypophore dans les discours d’Eschine et insiste sur la diversité des allocutions pour dire le vrai ; elle souligne la possible influence du fait qu’Eschine ait été un ancien acteur de théâtre. Quant à I. David, elle revient sur la prosopopée du père et du fils dans le Pro Caelio, en soulignant, comme l’avait fait F. Dupont, la différence fondamentale entre l’actio de l’orateur et celle de l’acteur.

6Dans la deuxième partie, F. Trabattoni souligne le lien entre le dialogue platonicien et la discursivité de la pensée, et O. Renaut, à partir du Théétète, avec le dialogue avec l’âme, lié au conflit psychique. Puis trois auteurs étudient trois œuvres précises : A. Macé s’attache à l’Ion et à la rapsodie homérique ; A. Balansard au monologue dialogique de Socrate, face au silence de Calliclès, et enfin A. Rehbinder étudie l’importance de la place de l’autre dans la structure logique de la preuve de l’immortalité de l’âme dans le Phèdre. En contrepoint à ces études platoniciennes, K. Jazdzewska et P. Pontier s’attachent aux Mémorables de Xénophon et la construction de Socrate comme enseignant face à des professeurs. La seconde partie se conclut par un article passionnant de S. Van der Meeren consacré à l’étude de la polyphonie dans les dialogues platoniciens selon les commentateurs tardifs. L’auteur souligne l’importance de la bigarrure, et de l’organicité des dialogues.

7Dans la troisième partie, M. Bourbon et J. Dross, tout d’abord, s’attachent aux « dialogues » de Sénèque. J. Dross y montre comment le De tranquilitate animi conduit aux Lettres à Lucilius et est une sorte de « ballon d’essai » de l’épistolaire. M. Bourbon, grâce au thème du miroir, montre comment le dialogisme mime la pensée du disciple, comme un alter ego. Puis, J.-L. Vix et J. L. Lopez Cruces et J. Campos Daroca s’intéressent aux discours d’Aélius Aristide et de Maxime de Tyr afin d’en démontrer les effets polyphoniques, comme étant une réponse aux attaques de Platon contre la philosophie. Le volume se clôt sur trois articles consacrés à Plutarque et Lucien. M. Solitario montre comment chez Lucien et Plutarque le dialogue permet de s’inscrire dans les débats du temps de façon moins dogmatique. Puis M. Briand étudie avec finesse le Sur la danse de Lucien en soulignant les effets de polyphonie des discours au sein du cadre dialogal. Enfin, A.-M. Favreau-Linder s’intéresse à la figure de l’acteur dans plusieurs textes de Lucien ; il serait un modèle ou un contre-modèle du sophiste et du philosophe.

8Ces quelques lignes ne peuvent rendre la richesse de ce très beau volume qui constituera un jalon dans l’histoire du dialogue et du dialogisme antiques.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mickaël Ribreau, « Anne-Marie Favreau-Linder, Sylvie Franchet-d’Espèrey et André Rehbinder (dir.), Dialogue, dialogisme et polyphonie. Questions d’énonciation dans les textes rhétoriques et philosophiques de l’Antiquité »Vita Latina [En ligne], 204 | 2024, mis en ligne le 01 février 2024, consulté le 14 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/vita/417 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/vita.417

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