Désir et plaisirs du tourisme
Texte intégral
1Le problème que rencontre tout chercheur en tourisme semble a priori être le même que celui du gynécologue-obstétricien. Ce dernier peut-il dans le domaine de la sexualité, lui qui voit tous les dessous de l’affaire, prendre du plaisir à l’objet du désir ? Et pour le premier peut-il prendre du plaisir à être en vacances? Je remarquais au fur et à mesure que ce sujet d’étude accaparait mes pensées que je n’arrivais pas à me détacher d’un regard analytique des situations que je rencontrais lorsque j’étais moi-même en vacances. Etais-je bien d’ailleurs en vacances ? Car là aussi tout était brouillé. Il m’arrivait de passer mes vacances sur mes terrains d’étude favoris et inversement de me retrouver sur d’autres lieux de vacances dans le cadre cette fois de missions d’études.
2Cette confusion ne cessait de me distancier. Je ne pouvais ainsi ignorer une erreur de marketing, un défaut de service… il m’arrivait même d’en faire part au moment de l’enquête de satisfecit que l’on remplit au moment où l’on quitte son lieu de vacance. Ainsi peu à peu je me formais une sorte de carapace qui m’éloignait d’un Plaisir simple.
3Jusqu’au jour récent où justement sur l’un de mes terrains, une île des Tuamotu, je me retrouvais sur un minuscule motu (îlot d’un atoll) à partager ce site paradisiaque au quotidien avec des touristes venus d’Europe. Quelle ne fut pas ma stupeur à la fin du séjour, lors du debriefing, de voir à quel point j’avais pris plus de plaisirs simples que mes congénères. Ils se mirent à critiquer des détails (tel plat était jugé “non exotique”, tel room service insuffisant…). Certes la présence des moustiques et des nonos n’était pas sans inconvénients, ainsi que le caractère répétitif des animations. Mais toute la spontanéité polynésienne dans le service, le sens de la fête, le rire, l’improvisation était porté au négatif de l’offre. Leur séjour de rêve, qui s’était en quelque sorte bien passé, avait été gâché à leurs yeux par ces manquements réels ou imaginaires. Habitué de ces îles depuis des années je trouvais au contraire qu’il y avait une nette amélioration et une professionnalisation qui n’avait pas trop affecté la spontanéité. En clair j’étais pleinement satisfait et pour le coup j’étais en retrait de la batterie de critiques qui était déployée par mes convives. J’appréciai surtout l’ennui qui nous avait envahit peu à peu, dans la mesure où il n’y avait rien à faire, et qui aboutissait à ce que toute projection dans le temps s’estompait. Le temps s’écoulait plus lentement, plus paisiblement. J’avais retrouvé des sensations que je croyais avoir définitivement perdues.
4Alors que j’en étais avant ce séjour à me demander s’il ne valait pas mieux que je passe mes futures vacances chez moi, celles-ci m’ont convaincu que je pouvais me détacher d’un regard critique et apprécier le moment présent en pleine zénitude, et ce où que je sois! Chez moi ou ailleurs. Une belle réconciliation avec mon objet d’étude.
Table des illustrations
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Fichier | image/jpeg, 744k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Philippe Bachimon, « Désir et plaisirs du tourisme », Via [En ligne], 22 | 2022, mis en ligne le 12 décembre 2022, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/9328 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/viatourism.9328
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