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AccueilNuméros16PhotographieUne plage habillée, sans bains : ...

Texte intégral

1Les populations africaines possèdent des relations singulières à la plage (eau, sable, soleil, corps). Un univers sensoriel, une corporéité spécifique, entraînent chez elles une aversion pour le sable, un évitement du soleil, l’absence de dénudement des corps, un faible intérêt pour les bains hédoniques marins. Des raisons historiques, ethniques, anthropologiques, religieuses, contribuent à façonner une culture de plage très éloignée des 4 « S » (sea, sand, sex, sun) propres aux civilisations occidentales. Sur les plages de l’Afrique subsaharienne ainsi qu’à Madagascar, une culture de plage spécifiquement africaine, comportant très peu d’emprunts et d’hybridation avec les 4 « S », s’est mise en place.

2La plage de Fidjrossè à Cotonou, au Bénin, constitue une plage publique, ouverte. Tout Cotonou s’y retrouve. Ce lieu, en particulier pour la jeunesse de la capitale économique du pays, est à la mode pour faire la fête le week-end (musique, danse, alcool, narguilé), principalement le dimanche après-midi. Cet espace de détente, sans horaires d’ouverture, pallierait le manque d’espaces verts publics, de loisirs, au centre de l’agglomération (jardins, parcs publics) (Coralli, 2007). Cet ample cordon sableux sert de vaste aire ludique, récréative, de repos, d’oisiveté.

3L’Européen, même vêtu à l’occidentale, qui parcourt ce territoire atypique, pour photographier et enquêter, est bien accepté par la population. Par contre, le yovo (occidental ou tout ce qui n’est pas noir) ne peut pas prendre place sur la plage en maillot de bain (Coralli, op.cit.). Hommes et femmes entièrement vêtus, portent des tenues élégantes, endimanchées, que l’on revêt dans le reste de la ville un jour de fête. L’ostentation d’un bel habillement participe de la conscience de vivre un moment important et singulier. Les habits africains traditionnels, par rapport à des tenues internationales occidentalisées, sont utilisés par les deux-tiers des personnes présentes. A la différence d’autres plages d’Afrique noire, le vêtement ne constitue pas un marqueur identitaire, ni une affirmation religieuse (Kenya) (Rieucau, 2014). La quasi absence de bains, la non recherche de l’héliolâtrie, excluent le port de maillots de bain.

4Si l’eau fonde largement l’économie de la ville de Cotonou (trafic portuaire, activité halieutique) elle est également crainte. Chez les Fon (38,4 % de la population du pays, principale langue africaine du Bénin), dans l’Histoire, les cours d’eau suscitent la peur. Dans leur perception de l’au-delà, l’âme des défunts les emprunterait pour rejoindre la mer et atteindre l’autre monde (Coralli, op. cit.). La grande dangerosité des plages du golfe du Bénin (fréquence des noyades), le fait qu’une écrasante majorité des Béninois ne savent pas nager, s’ajoutent aux freins culturels (absence de culture balnéaire, croyances ethno-religieuses) pour fonder cette répulsion aux bains marins, à l’exception d’un barbotage dans les premières vagues.

5La plage de Fidjrossè concentre des populations exclusivement africaines. Elle est marquée par une mixité sociale urbaine. Cette plage « africaine » est dépourvue de touristes internationaux et d’expatriés européens. La fréquentation du lieu est mixte, moitié d’hommes, moitié de femmes et n’est pas mono-sexuée comme sur d’autres littoraux africains (Kenya). Ce territoire côtier, de nature familiale, accueille de nombreux enfants et se décompose à la fois en groupes de familles, en cercles d’amis masculins, en rassemblements de femmes. Les adultes aux deux-tiers debout, immobiles, pour une minorité d’entre eux assis, mais jamais allongés sur le sable, le regard tourné vers l’horizon marin, sont dans une attitude contemplative face au spectacle de la mer. Observer, se montrer, mais sans déambuler, caractérise cette plage. Passer quelques heures à la plage n’a pas pour objectif de se baigner, mais d’observer le panorama marin, ce qui explique que personne ne s’allonge sur le sable.

6Cheminant parmi les usagers de la plage, un nombre considérable de vendeurs ambulants, arpentent et quadrillent le sable pour proposer : oranges pelées, cacahuètes, boissons, jouets. Dans ce petit pays classé comme Pays le Moins Avancé, cette économie alternative pallie l’absence d’emplois fixes. L’omniprésence de ces petits vendeurs s’explique d’autre part, par l’absence de services commerciaux à proximité.

Forte érosion marine et violence des vagues sur les plages de Fidjrossè et de la route des Pêches

Forte érosion marine et violence des vagues sur les plages de Fidjrossè et de la route des Pêches

Octobre 2018 : photographie de gauche, juillet 2019 : photographie de droite

J. Rieucau

7Toutes les plages de Cotonou sont menacées par l’érosion marine et présentent une grande dangerosité. Durant des décennies, la principale plage de la ville était située à l’est de celle-ci, en avant du quartier des ambassades. L’avancée de l’océan Atlantique, dans cette zone a provoqué, son abandon.

8La plage de Fidjrossè située au sud-ouest de la ville, à proximité du Ministère des Affaires étrangères, marque le début de la route des Pêches qui relie Cotonou à Ouidah. Cette route, parallèle à la mer, est en fait une piste qui se faufile entre des cocoteraies, des palmeraies et des villages de pêcheurs. Une micro falaise sépare la ligne du rivage du haut de plage où sont entreposées des pirogues effilées. La plage de Fidjrossè, à la morphologie littorale proche de celle de la route des Pêches, constitue une plage multi-fonctionnelle, faisant alterner l’activité halieutique (en semaine) et les loisirs (en fin de semaine). Le week-end, les vendeurs ambulants, les enfants, les habitants de Cotonou remplacent les pêcheurs.

Un fourmillement de scènes de plage (juillet 2019)

Un fourmillement de scènes de plage (juillet 2019)

J. Rieucau

9Les plages africaines accueillent fréquemment des animaux, ici un cheval et son cavalier qui propose une promenade sur la plage, des dromadaires (Kenya), quand les estrans sableux ne sont pas envahis par des volailles et des troupeaux de zébus (Madagascar).

10L’arrière plage de Fidjrossè, de très grande dimension, peu densément occupée, porte des filets pour le volley-ball, de micro-buts pour le football. De petits orchestres masculins, ailleurs des danseurs nigérians de hip-hop, vont donner une aubade aux différents cercles d’amis assis sur des tapis. Ces groupes recherchent un abri ombragé sous les cocotiers et profitent de la brise marine. La Direction Générale des Eaux, Forêt et Chasse mène des opérations de boisement du haut de plage. Mais, cette vaste plage très fréquentée ne possède pas de toilettes publiques ni de poste de secours pour secourir les rares baigneurs intrépides.

Guinguettes et restaurants à Fidjrossè et au début de la route des Pêches (juillet 2019)

Guinguettes et restaurants à Fidjrossè et au début de la route des Pêches (juillet 2019)

J. Rieucau

11Les nombreuses buvettes, guinguettes et bars-restaurants, bâtis en arrière de la plage, sont fréquentées par toutes catégories sociales. L’accès se fait en voiture tout-terrain, en zémidjan (moto-taxi) ou bien taxi automobile. Dans les bars-restaurants sont servis des menus traditionnels, à base de riz et de poisson. La nuit les bars-restaurants se transforment en salle de danse, sur fond de musique béninoise et congolaise. Des écrans plats diffusent des matchs de football des championnats européens et font le plein de spectateurs lors de la coupe d’Afrique des nations de football.

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Bibliographie

Coralli, M. (2007), "Bénin, la plage de Cotonou, un lieu pour se montrer", Urbanisme, n° 355, 5 p.

Rieucau, J., Odiara, B. (2014), "Plage occidentale exclusive, plage africaine inclusive, sur le littoral swahili, : Whitesands Beach et Jomo Kenyatta public beach", dans Rieucau, J. (Ed.), Le Kenya dans la 3eme révolution touristique. Au-delà du safari, l’Harmattan, Paris, pp. 109-138.

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Table des illustrations

Crédits J. Rieucau
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Titre Forte érosion marine et violence des vagues sur les plages de Fidjrossè et de la route des Pêches
Légende Octobre 2018 : photographie de gauche, juillet 2019 : photographie de droite
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Titre Un fourmillement de scènes de plage (juillet 2019)
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Titre Guinguettes et restaurants à Fidjrossè et au début de la route des Pêches (juillet 2019)
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean Rieucau, « Une plage habillée, sans bains : Fidjrossè à Cotonou (Bénin) », Via [En ligne], 16 | 2019, mis en ligne le 30 mars 2020, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/4791 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/viatourism.4791

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