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Résumé

Pays traversé par la matrice coloniale, l’Inde constitue un exemple pertinent pour penser les situations touristiques et montrer comment des acteurs institutionnels (gouvernement indien) et non institutionnels (entreprises, touristes domestiques, membres de la diaspora) mobilisent des imaginaires touristiques pour soutenir ou redéfinir les identités collectives et les altérités - voire parfois les renforcer. Cette contribution s’attache, d’une part, à questionner les processus par lesquels le tourisme en Inde est devenu un instrument politique, permettant de réécrire le mythe national en effaçant le stigmate de la colonisation tout en réifiant l’Occident, et d’autre part, à montrer, à partir de situations d’entre-deux – diaspora indienne et tourisme domestique indien – comment se forgent des hybridations dans lesquelles les paradigmes post- et décoloniaux agissent sur les identités.

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Texte intégral

Introduction : la décolonisation par le tourisme domestique

1Les déplacements touristiques, toujours plus massifs, n’ont cessé de s’étendre à travers le monde. Réservées hier à quelques élites, ces mobilités internationales concernent aujourd’hui des populations restées historiquement à l’écart de la mondialisation touristique. Comme le suggèrent Keen and Tucker, “the world of tourism is changing as increasing numbers of people from ’non-western’ countries (often former colonised sites) become tourists […] Just as postcolonial theory has been useful in pluralizing modernity, this is clearly raises the need to pluralise the tourist gaze, to reconsider tourists expectations, perceptions and motivations, indeed what is to be a tourist” (Keen and Tucker, 2012, p. 101). On peut également ajouter, qu’au sein des pays émergents, malgré son indubitable importance culturelle et économique, le tourisme intérieur a fait l’objet d’une tradition de négligence scientifique par rapport au tourisme international (Scheyvens, 2007). Pour Singh, le tourisme domestique constitue dans le champ de la recherche the largest, and most unaddressed, proportion of the tourism iceberg (Singh, 2009, p. 3). Néanmoins, ce serait oublier les nombreux travaux de Nelson Graburn (1983, 1999, 2001, 2002 et 2009) et en particulier l’importance du rôle pionnier de la revue Annals of Tourism Research (Anthropology of Tourism, 1983) qui ont ouverts la voie à de multiples questionnements féconds pour les études portant sur le tourisme domestique.

  • 1 M’inscrivant dans la lignée des travaux de Peyvel, plus que de tourisme intérieur, je préfère parle (...)

2Dans le cas de l’Union indienne, selon le dernier rapport du World Travel and Tourism Council, le secteur du tourisme et des loisirs a généré 209 milliards de dollars, soit l’équivalent de 9,6 % du PIB, propulsant le pays à la 7ème place en valeur absolue. En outre, ce secteur a créé 40,3 millions d’emplois en 2016, ce qui classe l’Union indienne au 2ème rang mondial pour le nombre d’emplois créés. Ce secteur d’activité représente 9,3 % du total des emplois du pays. Il a également connu la croissance la plus rapide parmi les pays du G20, avec un taux de 8,5 % en 2016. Ainsi, la conquête touristique de la planète s’achève progressivement – contribuant à faire coïncider la Terre et le Monde (Knafou, 2011) – et chaque année des catégories nouvelles de populations des pays dits « émergents » accèdent aux loisirs et au tourisme. Ceci est d’autant plus significatif en Inde où le tourisme intérieur est le principal moteur de la croissance du secteur : les devises dépensées par les voyageurs étrangers ne représentaient, en 2016, que 12 % des recettes touristiques. Les données de l’Organisation Mondiale du Tourisme des Nations Unies (OMT) montrent que le pays n’a reçu que 9 millions d’arrivées internationales en 2016 (10,2 millions pour 2017, selon le rapport du ministère du Tourisme), ce qui le place au 40ème rang des destinations touristiques dans le monde. Dans le même temps, l’Union indienne enregistrait 1,6 milliard de déplacements relevant de touristes domestiques, l’Etat du Tamil Nadu apparaissant en tête du classement. Ces pratiques domestiques1, sans remettre en cause un des privilèges majeurs des élites, la multi-résidentialité, mettent néanmoins en évidence les vertus émancipatrices d’un accès plus aisé des pratiques touristiques à un plus grande nombre. Le prix, tout comme la multiplication des circuits touristiques ciblant cette clientèle indienne, facilitent désormais le flux des touristes indiens issus des couches moyennes. Dans cette perspective, le tourisme ne peut plus être considéré ni comme une pratique exclusivement occidentale, ni comme une pratique réservée aux plus aisés. De plus en plus d’Indiens sont ainsi de plus en plus mobiles et cette mobilité géographique permet, même partiellement, d’observer ce que Stock (2007) nomme le « recreational turn », c’est-à-dire une généralisation et une diversification des pratiques, des lieux et des temps de recréation dans les sociétés contemporaines.

  • 2 « L’un des enjeux actuels de la recherche touristique pourrait alors consister à renouveler le cadr (...)
  • 3 Alors même que les discours des orientalistes soulignaient un enracinement profond de l’Inde dans l (...)

3Face à cela, et prolongeant la proposition de Marie Dit Chirot (2017) de « rematérialiser les études touristiques »2, il convient, en prenant l’Inde comme cas d’étude, de penser les effets des recompositions du capitalisme dont la mise en tourisme du monde représente un élément majeur, soucieux de remettre en question les catégories « pays du tiers-monde », « tropicaux », « en voie de développement », mais aussi « du/des Suds » et « émergents » qui témoignent pour beaucoup d’un enfermement dans un paradigme colonial. Selon Collignon, « on peut parler de paradigme colonial car il s’agit bien d’une forme globale de pensée, qui dépasse largement l’ordre politique lié à la période historique du colonialisme. Son fondement est cet ordonnancement du monde construit en Europe sur une opposition binaire entre "eux", les Autres, et "nous", les Européens » (Collignon, 2007). Comme le mentionne Spivak, « le plus clair exemple de cette violence épistémique est le vaste projet, hétérogène et orchestré à distance, de constitution du sujet colonial comme Autre. Ce projet constitue aussi en l’occultation asymétrique de la trace de cet Autre dans sa précaire subject-ivité » (Spivak, 2009, p. 37). Pour Maldonado-Torres, le projet colonial est un modèle de pouvoir consubstantiel à l’idée de modernité et de renaissance. Selon cet auteur, la colonialité serait au cœur de l’expérience moderne, plus que cela, “beneath the ‘I think’ we can read ‘others do not think’, and behind the ‘I am’ it is possible to locate the philosophical justification for the idea that ‘others are not’ or do not have being. In this way we are led to uncover the complexity of the Cartesian formulation. From ‘I think, therefore I am’ we are led to the more complex and both philosophically and historically accurate expression: I think (others do not think, or do not think properly), therefore I am (others are-not, lack being, should not exist or are dispensable)” (Maldonado-Torres, 2007, p. 252). Tout est fait comme si l’Europe et le monde occidental avaient pensé un système de création de distances et de proximités à partir de dispositifs spatiotemporels, en situant notamment les sociétés non-occidentales sur une échelle de temps imaginaire indiquant leur distance respective par rapport au présent euro-américano-atlantique (Grosfoguel, 2007, p. 214). De plus, ces catégories qui ont souvent été construites et émises par des acteurs non scientifiques mais politiques et économiques (et situés dans d’anciennes métropoles coloniales), obligent le chercheur à faire des contorsions, à obscurcir son objet de recherche, et à mettre des guillemets, des pluriels et des « dits » (« du Sud », « émergents », etc3.). Cet occidentalo-centrisme se révèle problématique parce que nos concepts et méthodologies sont contaminés par une « géopolitique du savoir » ou « bodypolitics of knowledge » (Grosfoguel, 2007, p. 213) : nos lunettes ne nous permettent pas de voir les spécificités de tels contextes, mais plutôt de souligner ce qui apparaît comme des lacunes, nous rendant parfois incapables de saisir, et donc de comprendre, des contextes qui fonctionnent au moins en partie différemment de ceux de l’Occident. Comme le note Coronil, “Occidentalism is inseparably tied to the constitution of international asymmetries underwritten by global capitalism” (Coronil, 1996, pp. 56-57).

4Dans cet article je mobiliserai le concept de colonialité tel que le définit Maldonado-Torres afin de rendre visible ceux qui sont invisibles, ici les nombreux touristes indiens visitant leur pays, et de questionner les mécanismes qui produisent cette invisibilité. Pour Maldonado-Torres, la colonialité survit au colonialisme, “coloniality (…) refers to long-standing patterns of power that emerged as a result of colonialism, but that define culture, labor, intersubjective relations, and knowledge production well beyond the strict limits of colonial administrations. [Coloniality] is maintained alive in books, in the criteria for academic performance, in cultural patterns, in common sense, in the self-image of peoples, in aspirations of self, and so many other aspects of our modern experience. In a way, as modern subjects we breath coloniality all the time and everyday” (Maldonado-Torres, 2007, p. 243). Il faut dire, comme le mentionne Peyvel qu’« admettre que l’ancien indigène puisse être touriste dans son propre pays relève d’un dépassement de la pensée coloniale, car cela revient à reconnaître qu’il est sujet et acteur de ses mobilités, et non pas seulement objet de curiosités exotiques » (2017, p. 302). Cela revient d’une certaine façon à décoloniser les populations mobiles, à contester l’hégémonie épistémique de l’Occident, qui est apparue comme le lieu privilégié d’énonciation et de production de connaissances. Le monde occidental a été décrit comme un ici-absolu. Il s’agit dès-lors de contester ce solipsisme pour relativiser sa centralité ainsi que la prétention hégémonique de l’universalisme abstrait moderne. Des auteurs comme Chambers et Buzinde (2015) ont formulé de vives critiques sur les connaissances actuelles en matière de recherche touristique. Pour ces auteurs, ces dernières restent essentiellement coloniales et nécessitent une décolonisation épistémologique qui décentraliserait les perspectives occidentales. Mais qu’impliquent ces actes de décentrement ? A quoi doivent-ils ressembler ? Dans les études sur le tourisme, la théorie postcoloniale a souvent été considérée comme une approche pertinente pour comprendre la manière dont le tourisme s’est développé aux Suds et pour démontrer comment les épistémologies et ontologies occidentales ont dominé la compréhension des sociétés coloniales et les effets de cette domination, ce positionnement permettant de penser les asymétries de pouvoir et in extenso les rapports de domination. De nombreuses recherches sur le tourisme ont adopté une telle perspective (Echtner & Prasad, 2003 ; d’Hauteserre, 2011 ; Hall et Tucker, 2004 ; Jacobs, 2010 ; Chambers et Buzinde, 2015 ; Peyvel, 2016). Cette recherche est elle-même influencée par les théoriciens postcoloniaux, et en particulier par le concept de « tiers espace » développé par Bhabha (2007) qui permet de situer la production de la culture dans des espaces d’entre-deux, d’hybridité et d’ambiguïté, permettant d’échapper aux visions binaires et duales. Pour Bhabha, « le processus d’hybridité culturelle donne naissance à quelque chose de différent, quelque chose de neuf, que l’on ne peut reconnaître, un nouveau terrain de négociation du sens et de la représentation » (2006, pp. 99-100).

  • 4 En 2006, le nom est officiellement revenu à la dénomination précoloniale, Puducherry. Tant à l'éche (...)

5Pays traversé par la matrice coloniale, l’Inde constitue un exemple pertinent pour repenser les situations touristiques Cette contribution s’appuie sur des recherches en cours menées dans le cadre d’une délégation CNRS à l’Institut Français de Pondichéry4 qui portent sur les effets des mobilités touristiques et récréatives pratiquées par les Indiens sur les processus d’urbanisation et de métropolisation en Inde du Sud (particulièrement au Tamil Nadu et à Puducherry). La recherche s’appuie principalement sur une méthodologie qualitative et plus spécifiquement sur des entretiens « compréhensifs » (au sens de Kaufmann, 2016) et récits de vie. Cet article s’appuie plus singulièrement sur des premières enquêtes menées du 20 décembre au 16 janvier 2019, correspondant aux vacances de fin d’année des Indiens et au pic de fréquentation de Puducherry par les touristes indiens. Durant cet intervalle de temps, j’ai mené 24 entretiens en anglais auprès des membres appartenant à la classe moyenne anglophone (11 étaient de Bangaluru, 6 de Pune, 3 de Chennai, 2 de Mumbai et 2 autres de Kolkatta), auxquels s’ajoutent des entretiens auprès de représentants du gouvernement (Département du Tourisme), d’associations de protection du patrimoine (INTACH, POndyCan) et d’acteurs privés du tourisme. Plus spécifiquement, mon ambition est de montrer comment des acteurs institutionnels (gouvernement indien notamment) ou non (touristes domestiques, membres de la diaspora) mobilisent des imaginaires touristiques pour soutenir ou redéfinir les identités collectives - voire parfois les renforcer. Il s’agira également de comprendre comment ces divers acteurs s’approprient ces représentations pour comprendre « dans quelle mesure l’imaginaire touristique n’apparait plus seulement comme une façon de « voir » le monde mais également une façon de « faire » le monde » (Boukhris, 2012). Cette redéfinition conduit certains opérateurs à se réapproprier des grilles de pensée coloniale produisant des hybridations identitaires complexes, le tourisme devenant « une arène dans laquelle s’exercent des relations de pouvoir et de domination opérant à différentes échelles d’espace et de temps » (Marie Dit Chirot, 2018, p. 12).

6Mon propos sera divisé en deux parties. La première interroge les processus par lesquels le tourisme en Inde est devenu un instrument politique, permettant de réécrire le mythe national en effaçant le stigmate de la colonisation tout en réifiant l’Occident. Plusieurs auteurs ont pu souligner qu’au cours de la période postcoloniale, le tourisme domestique dans les anciennes colonies a servi à étayer les récits d’identité politique sur l’État postcolonial qui servent ses propres objectifs idéologiques, mettant souvent l’accent sur des récits de résistance aux puissances coloniales européennes (Bandyopadhyay & Morais, 2005 ; Patil, 2011b).

7Dans les études sur le patrimoine et le tourisme postcoloniaux, on a supposé qu’il existait un clivage fondamental entre les touristes des anciennes puissances coloniales et ceux des anciennes colonies. Par exemple, Graham et al affirment que “in postcolonial states, the principal dissonance is between new national identities based upon revised and unifying heritage values, and tourism economies, which perpetuate colonial heritage in order to sell them to visitors from former metropolitan countries who recognise their own heritage in them” (Graham et al, 2000, p. 94). Néanmoins, à partir de situations d’entre-deux – diaspora indienne et tourisme domestique indien – nous avons pour ambition de montrer comment se forgent des hybridations dans lesquelles les paradigmes post- et décoloniaux agissent sur les identités. Dans cette seconde partie nous analyserons les pratiques et aspirations touristiques des classes moyennes indiennes. C’est ainsi que nous mettons diaspora et tourisme domestique sur le même plan, car dans les deux cas ces classes moyennes représentent un groupe de consommateurs de plus en plus nombreux qui intègre et mélange de plus en plus des modes de vie plus occidentalisés avec des aspects de la culture indienne. On pourrait également ajouter, concernant la diaspora, “because their tourist traits (for example, tendency to travel to places that foreign tourists do not go, often in order to visit friends and family and attend important social and cultural events) are more closely related to those of domestic tourists than foreign tourists” (Scheyvens, 2007, p. 309)

I. Orientalisme et occidentalisme : héritage colonial et nationalisme hindou

8L’origine de l’institutionnalisation du tourisme dans l’Inde indépendante remonte à 1949, année de la création d’une Tourist Traffic Branch sous la tutelle du ministère des Transports, et « la première représentation touristique indienne outremer est fondée à New York, en 1952 » (Bautès, 2004, p. 423). Ce n’est qu’en 1958 que le gouvernement créa un ministère du Tourisme distinct, alors que celui-ci constituait jusqu’alors un simple Département rattaché au ministère de l’Aviation et était principalement consacré à la promotion d’un tourisme intérieur élitiste. Bien que le tourisme fût à ce moment intégré aux différents plans quinquennaux, ce n’est que lors du septième Plan, entre 1980 et 1985, que l’élaboration d’une nouvelle politique du tourisme conduisit à une plus grande décentralisation, chaque État prenant la responsabilité de promouvoir et développer son propre secteur touristique (Bhatia, 1978). Face à la très grande hétérogénéité linguistique, religieuse et culturelle du pays, les gouvernements successifs ont tenté de créer un sentiment d’appartenance nationale par le biais du tourisme, en effaçant le stigmate de la colonisation. Comme le rappellent Boukris et Chapuis, « penser le tourisme, c’est aussi penser la question de la formation nationale (ses caractéristiques, ses mémoires historique et collective, son futur) et du pouvoir de l’Etat (du gouvernement central aux administrations locales) » (2016). Analysons les rhétoriques et les images touristiques employées par le gouvernement et les médias indiens pour comprendre dans quelle mesure ces derniers se sont appropriés les stéréotypes occidentaux de l’Orient pour les détourner et entretenir une forme particulière de nationalisme postcolonial.

A. Occidentalisme et orientalisme

  • 5 Tous ces spécialistes étaient et sont spécifiquement attachés à l’étude des textes sanskrits et véd (...)

9L’Inde apparaît souvent aux yeux des occidentaux comme le pays de l’Orient le plus excessif dans l’horreur comme dans la beauté (Sharma, 2002). Ces deux images contradictoires ont duré jusqu’à l’époque des Lumières, pendant laquelle l’accent fut mis sur la gloire de l’Inde, niant ainsi la marche du temps, fixant le pays dans une immutabilité. Tout cela a autorisé l’élaboration d’une altérité orientale indépassable qui en miroir a permis de construire une identité européenne et de justifier son projet colonial (Saïd, 1978). Ce n’est qu’au XIXe siècle, avec la découverte des textes épiques et philosophiques de la civilisation indienne, qu’un engouement fait de spécialistes (indianistes, orientalistes et philologues5), insufflera à la littérature et aux arts un esprit nouveau. Ces images kaléidoscopes ont fondé une image archétypale de l’Inde, ambivalente, tout en réactivant le paradoxe d’un Occident fasciné et méfiant devant une Inde insaisissable issue de l’enchevêtrement des realia et des mirabelia (Weinberger-Thomas, 1988). Les conceptions occidentales de l’Inde ont surtout eu tendance à accentuer les dimensions mystérieuse, féminine, irrationnelle et religieuse de la culture indienne par opposition à une culture occidentale civilisée, masculine (pour ne pas dire virile, car les premiers textes coloniaux présentaient les Indiens comme efféminés), rationnelle et matériellement avancée. Encore aujourd’hui, pour beaucoup d’Occidentaux, l’Inde semble encore construite comme une terre pétrie de sagesse ancienne, la contrepartie mystique/spirituelle au rationalisme occidental, son image inversée, renforçant le cliché de la pensée indienne : ni rationnelle ni scientifique, découlant de l’imagination plutôt que de la raison (Louiset, 2008). Ainsi, les voyageurs occidentaux ont tendance à percevoir l’Inde comme un refuge spirituel (Assayag, 1999), ce qui a pris un élan avec la génération beatnik et le phénomène hippie : les voyageurs conçoivent leur périple en Inde comme une rupture (Lagadec, 2003). En somme, « l’image de l’Inde dans les esprits des Occidentaux nostalgiques des années 1960, des chercheurs de spiritualité, des adorateurs de gurus, des haschischins non-violents et des psychédéliques crédules. Pour eux, tous les Indiens sont végétariens et pacifiques. L’Inde, étape sur les chemins de Kathmandu, est le pays du pavot et du Kama Sutra. Beatles et Gandhi, même combat » (Landy, 1993, p. 93).

  • 6 “Located its own subjectivity in the spiritual domain of culture, where it considered itself superi (...)

10Ces contrastes exagérés ont été renforcés, manipulés et diffusés par les Indiens eux-mêmes, selon un processus parfois teinté d’auto-orientalisme ou « self-orientalism » (Echtner et Prasad, 2003). Il faut dire que le tourisme constitue parfois une tautologie puisque les touristes – par leur déplacement – ne font, en somme, que confirmer ce que les discours et divers médias leur ont vendu ou vanté. La promotion du tourisme peut être perçue comme une forme d’impérialisme à travers laquelle les traces fantomatiques du colonialisme continuent d’être visibles. Par exemple, presque tous les circuits proposés en Inde incluent ce que l’on appelle communément le « Triangle d’or », dont les sommets sont constitués par Delhi, Agra et Jaipur (Landy, 1993, p. 96). L’accent est mis sur le passé, la religion et une culture ancienne et mystique. Ces constructions constituent une forme de reification partielle et simpliste perpétuant l’équation orientaliste de l’Inde pour des clients qui souhaitent faire l’expérience de cultures qu’ils considèrent intemporelles et immuables. Mais, cette dichotomie a également été renforcée par les nationalistes indiens eux-mêmes qui ont « situé leur propre subjectivité dans le domaine spirituel de la culture, où elle se considérait supérieure à l’Occident et donc sans rapport de domination et souveraine »6 (Chatterjee, 1989, p. 632).

11La démolition d’Hampi Bazaar (très détaillée dans la presse locale) constitue un bon exemple de cette rhétorique où les élites religieuses, et plus particulièrement le discours ethno-nationaliste entretenu par certains prêtres, a donné corps à une opposition binaire entre Occident et Orient. Cette condamnation discursive menée par les élites postcoloniales cible non seulement les touristes occidentaux mais également les citoyens ordinaires cherchant à gagner leur vie grâce au tourisme. En 1986, l’UNESCO a classé (aux regards des critères I, II, III et IV) l’ancienne capitale de l’empire Vijayanagar, dans l’Etat du Karnataka (Cf. document 1). Si Hampi est un site classé par l’Unesco, la localité est aussi un lieu important de pèlerinage. Hormis les pèlerins qui se rendaient au temple de Virupaksha, lieu de vie de Hampi, et une poignée de hippies, la cité n’était pas, au cours de la décennie 1980, une destination de voyage bien courue. Progressivement, vers le milieu des années 1990, les compagnies de bus privées ont établi une seconde ligne entre Goa et Hampi. Cela a attiré une foule différente, principalement de jeunes touristes internationaux « fatigués » des plages surpeuplées de Goa. Leur présence a contribué à structurer l’offre touristique locale : de nombreuses familles indiennes non originaires de Hampi sont venues s’y installer pour ouvrir des auberges, proposant une cuisine non végétarienne et de l’alcool : des éléments peu tolérés dans un site sacré. Le tourisme domestique s’est également intensifié durant cette même décennie, faisant de Hampi un lieu où se juxtaposent plusieurs catégories de touristes.

Document 1 : Hampi, du paysage culturel au site classé

Document 1 : Hampi, du paysage culturel au site classé

Alors que des villages entiers sont inclus dans la limite du site inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco, Hampi n’a jamais été reconnue comme constituant un paysage culturel (un paysage construit associant aux monuments laissées en héritage des chaos granitiques, des rizières et champs de canne à sucre) mais seulement comme un simple « site », ce qui a grandement affecté la capacité de mettre en place une politique de conservation associant les experts et les habitants. Ne sont pris en considération par cette politique de patrimonialisation que les temples hindous et jaïns, les tombeaux, des mosquées et d’autres monuments sous la responsabilité de l’Archeological Survey of India et du State Archaeology Department.

12En 1999, l’Unesco classe Hampi parmi les sites du patrimoine mondial en danger pour cause d’urbanisation anarchique, en particulier autour du temple de Virupaksha. En 2002, l’Assemblée législative du Karnataka prend en considération les recommandations de l’Unesco et met en place la Hampi World Heritage Area Management Authority (HWHAMA). Bien qu’un plan de gestion intégrée (Integrated Management Plan)7, développé par Nalini Thakur soit rédigé et approuvé par le comité international (ICOMOS), la HWHAMA ne l’adopte pas. En 2006, un plan directeur est adopté pour Hampi par cette même autorité, engendrant un processus de muséification et l’éviction de centaines de familles. Fin juillet 2011 (après 5 années d’inaction), le sous-commissaire du district de Bellary (et membre de la HWHAMA) avertit oralement les habitants que la démolition de leurs magasins et de leurs maisons doit commencer dans les 24 heures8. Tôt le lendemain matin, les bulldozers commencent leur ouvrage. Plus de 320 familles perdent leur résidence et leurs moyens de subsistance. Sur l’ensemble de ces familles, installées depuis plus de deux décennies, seules 11 ont des documents légaux, ce qui complique encore plus leur réinstallation et la mise en place de compensations financières9. Ce qui est troublant dans ces actions de démolition et d’expulsion (il y a eu d’autres actes en 2015 et 2017)10, c’est la rhétorique employée pour la justifier et la rendre légitime. En effet, celles-ci ont été précédées par des condamnations fermes et véhémentes des comportements des touristes internationaux et de l’ensemble de l’économie qui gravite autour de ces derniers. Il faut dire que depuis quelques années, « the seemingly innocent and perfectly secular agenda of promoting tourism has become a channel for pumping taxpayers’ money into promoting temples, ashrams, and pilgrimage spots” (Nanda, 2011, p. 109). Progressivement, l’hindouisme domine de plus en plus la sphère publique grâce aux politiques économiques néolibérales qui profitent aux dieux hindous et au nationalisme hindou. Un élément important de ce processus est ce que Nanda nomme le « state-temple-corporate complex » dans lequel le tourisme de pèlerinage est un élément important de la banalisation du nationalisme hindou (Nanda, 2011, pp. 108-111). Comme le montre Bloch (2017), le discours de ces prêtres est empreint d’une construction discursive qui est l’image inversée de l’orientalisme. Ce discours essentialisé sur l’Occident donne à penser les touristes de ces pays comme des « Barbares » (Bloch, 2017) immoraux, hypocrites, décadents, matérialistes, aliénés et aux mœurs en inadéquation totale avec un site de pèlerinage (consommation de viande, d’alcool et sexualité débridée). Les Occidentaux constituent une menace de contamination pour l’identité nationale entendue ici comme hindoue11. Cette condamnation discursive cible aussi ces non-originaires de Hampi venus tirer profit du tourisme. En les expulsant et en détruisant leur maison, ces élites religieuses créent de nouvelles formes, internes cette fois, de subalternité (Bloch, 2017).

  • 12 On pourrait dire que la vision des touristes occidentaux et la vision des nationalistes hindous se (...)

13Ainsi, si l’orientalisme demeure à la base de l’identité touristique de l’Inde chez de nombreux voyageurs occidentaux, le tourisme devient un instrument politique pour le gouvernement fédéral, permettant de réécrire le mythe national en effaçant le stigmate de la colonisation et en réifiant l’Occident en même temps qu’il réifie l’Inde12. « Il y a de la fierté, chez beaucoup d’Indiens complexés par leur statut d’ancien peuple colonisé, à voir tous ces Blancs admirer des temples hindous du VIII siècle, à rendre en quelque sorte hommage à une civilisation qui se trouve ainsi comme réhabilitée » (Landy, 1993, p. 100). Hampi illustre la manière dont les relations de pouvoir inscrites dans le tourisme et le nationalisme recoupent les sociétés postcoloniales et produisent des régimes de citoyenneté. En effet, selon Chatterjee, ‘‘official nationalism has a performative as well as a pedagogical function. In the performative mode, it must display the unity and singularity of the nation and the equal place within it of all citizens. In the pedagogical mode, however, official nationalism must reckon with the fact that all citizens cannot be treated equally, because all are not yet ‘proper’ citizens; they must be educated into full membership of the ‘true” body of national citizens ” (Chatterjee, 2011, p. 155).

B. Héritage colonial et nationalisme hindou : vers une reconstruction du récit national par le tourisme ?

14C’est en ce sens qu’il faut aussi porter une attention particulière aux campagnes touristiques offensives lancées par l’Inde depuis 2002, date de lancement de la première campagne Incredible !ndia dont l’objectif était de développer une véritable stratégie de marque pour conforter la destination Inde. Plusieurs moments sont repérables dans cette campagne. De 2002 à 2003 il s’agissait surtout de faire connaître le logo et le fameux point d’exclamation à la place du I de India générant la surprise. Une fois la marque positionnée et connue, la campagne s’est dans un second temps (2004 à 2005) focalisée sur la diffusion d’images en lien avec le tourisme spirituel. De 2006 à 2007, il s’agissait surtout de déconstruire l’orientalisme en créant un décalage entre l’image et les quelques lignes de texte mises en exergue. A partir de 2007, les campagnes se sont démultipliées et les messages se sont adaptés au marché visé. La dernière campagne met en scène cette fois-ci des Occidentaux. Précisons que de 2004 à 2014, le BJP ne gouverne pas mais est seulement en situation de parti politique d’opposition. Ces campagnes n’incarnent pas seulement des outils économiques conçus pour augmenter la balance des paiements, mais constituent également une plate-forme privilégiée pour définir les positions géopolitiques et redonner vie à l’image du pays en tant que puissance mondiale montante (Geary, 2013). Il faut prendre en considération les significations idéologiques plus larges qui entourent cet effort de « nation branding » (Fan, 2006).

15Bandyopadhyay et al (2008) ont ainsi analysé les représentations et perceptions du patrimoine indien véhiculées par le gouvernement, qui crée des récits nationaux dominants, acceptés par l’industrie touristique puis diffusés dans les médias populaires nationaux. Il existe cependant quelques différences notables dans l’utilisation du patrimoine de l’Inde par le gouvernement indien et par l’industrie du tourisme. Le premier mobilise une rhétorique nationaliste13 et met l’accent sur les atrocités commises par les colons et la résistance héroïque du peuple dans sa représentation de l’héritage colonial, tandis que le second limite les représentations de l’héritage colonial aux attributs physiques de l’architecture de l’époque et aux plaisirs hédoniques, le tout décontextualisé des stigmates de la colonisation. Plus spécifiquement, le gouvernement met en scène un passé glorieux qui est ‘‘in some ways an attempt to assuage the hurt of having been reduced to being a colony’’ (Thapar, 2003)14. Les nationalistes en reviennent à l’âge d’or, donc invariablement à l’Antiquité, celle des Védas. Le nationalisme hindou s’inscrit dans le cadre de l’invention totale d’une « nation » hindoue des origines, censée redonner à l’Inde sa vitalité perdue. Ainsi, les nations se réclament de l’Antiquité (Bhabha, 2007). L’hindouisme devient le socle d’une nation indienne supposée avoir existé depuis des millénaires en Asie du Sud, rejetant la théorie de migrations indo-aryennes venant d’Asie centrale et de Perse. Cette vision de l’histoire, pourtant invalidée par l’ensemble du corpus scientifique disponible en matière d’archéologie et de linguistique, offre l’intérêt de construire un imaginaire fondé sur l’idée d’ethnicité (Meyer, 2007). Promouvoir l’hindutva (l’indianité déterminée par la naissance dans l’aire indienne, le lien racial et l’inscription dans une géographie du sacré) revient pour les nationalistes à faire de l’Inde ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être si elle ne s’était pas laissée dominer par des « étrangers ». L’Autre, dans ce cadre, devient le musulman ou le chrétien, quelle que soit par ailleurs l’ancienneté de ses racines familiales.

16Plus globalement, ces diverses campagnes de promotion nous amènent à nous poser les questions suivantes : qui a autorité pour parler ? Quelles valeurs sont diffusées et représentées ? Cette question du nationalisme hindou trouve un écho particulier avec la mobilisation de la figure de Mother India ou Bharat Mata dans la campagne Incredible !ndia, donnant à voir des formes d’hybridations pertinentes. Dans le nationalisme hindou, Bharat Mata incarne la personnification de l’Inde en tant que divinité. Cette iconographie de l’identité nationale est généralement représentée en sari couleur safran, la tête coiffée d’une couronne, avec une carte de l’Inde en arrière-plan, et le drapeau tricolore indien est généralement placé de façon très visible sur l’image. Cette allégorie de l’Inde qui symbolise l’union entre la nationalité et la divinité, est aujourd’hui détournée dans la dernière campagne Incredible !ndia marquant avec force les liens entre géopolitique et tourisme. Selon Geary, “In this final case, “Motherland: India” is not only about destination marketing, but it is also about appropriating the “Other” into its global nationalist vision: a creative device with particular resonance for the Indian diaspora who may wish to return to the motherland as tourists and potential investors” (Geary, 2013, p. 54).

Document 2 : Motherland : India (Copyright Incredible India)

Document 2 : Motherland : India (Copyright Incredible India)

II. Des situations d’entre-deux : hybridations des subjectivites ?

  • 15 Notons que la publicité touristique de l’Inde ne vise pas explicitement un public européen ou occid (...)

17Les diverses campagnes menées sous la marque Incredible !ndia, témoignent ainsi d’un désengagement progressif de l’Inde de l’opposition binaire Orient / Occident en intégrant ces deux polarités, pensées comme diamétralement opposées, dans un même élan. En multipliant les dispositifs stylistiques mêlant humour et décalage, les supports de communication parviennent à donner à voir une distance entre l’identité indienne et les sujets présentés, démontrant que l’Inde sait utiliser à son avantage l’orientalisme comme moyen de communication. Ainsi, l’Inde dépasse la seule perspective du « self-orientalism » qui signifierait que l’orientalisme n’est pas simplement une création autonome de l’Occident, mais que l’Orient participe à la construction et au renforcement des images orientales, pour proposer des formes hybrides de communication s’adressant aussi à un public pensé comme multiple et divers15.

Document 3 : Incredible !ndia « Tous les Indiens ne sont pas polis, hospitaliers et végétariens »

Document 3 : Incredible !ndia « Tous les Indiens ne sont pas polis, hospitaliers et végétariens »
  • 16 Le gouvernement indien dissocie les international tourist arrivals (ITA) des foreign tourist arriva (...)

18Ces images permettent d’attirer les membres de la diaspora indienne, cible privilégiée des gouvernements successifs depuis le milieu des années 1990. D’un point de vue théorique, les mobilités suscitées par les diasporas « sont particulièrement intéressantes, car elles transcendent les catégories habituellement utilisées pour saisir les flux touristiques, opposant l’international au domestique : entre dedans et dehors, elles interrogent nécessairement pays d’accueil comme pays de départ dans le projet de construction transnationale qu’ils peuvent mener » (Peyvel, 2017, p. 306). Les obligations sociales (maintien des liens familiaux, de parenté, obligation de rendre et recevoir l’hospitalité), mais aussi aller pour voir, s’imprégner, confronter son imaginaire à la réalité, retrouver les traces de la vie d’avant racontée par un parent, génèrent d’importants flux touristiques liés à un besoin d’expérimenter la proximité corporelle. Ces obligations donnent lieu à des pratiques touristiques diverses qui font l’objet de processus d’institutionnalisation de la catégorie très convoitée des Non Resident Indians (NRI). En 2016, 5,77 millions d’arrivées de NRI ont été enregistrées en Inde, avec un taux de croissance de 9,7 % par rapport à 2015 (rapport du ministère du Tourisme 2017-2018), représentant presque 40 % des touristes internationaux16.

  • 17 Alors que les anciennes classes moyennes étaient freinées dans leur consommation par le socialisme (...)
  • 18 Slogan marketing popularisé par le parti Bharatiya Janata (BJP), alors au pouvoir, pour les électio (...)

19L’État néolibéral et post-colonial indien construit ainsi des images variées et contradictoires de ce qu’est l’Inde et de ce que sont les habitants, interpellant de multiples publics sur des axes changeants. Il s’engage lui-même dans la production ou la reproduction de multiples centres et périphéries. Comme l’écrivent Coles et Dallen, les récits touristiques expliquent aux communautés de la diaspora who they are and how they came to be (2004, p. 13). Dans ce cas, comme le suggère Patil (2011a), il faudrait appliquer cette idée aux classes moyennes indiennes dont l’emblème serait incarné par les pratiques des NRI. Avec l’émergence, les modes de vie évoluent et, en particulier, l’accès aux loisirs se développe. La new middle class ou NMC pourrait représenter une incarnation de l’Inde engagée dans sa transition libérale (Fernandes, 2006)17. Celle-ci induit des transformations économiques et spatiales de grande ampleur faisant coexister extrême pauvreté et opulence, définissant l’Inde comme un « pays-iceberg » (Landy et Varrel, 2015, p. 6) marqué par de multiples grands écarts socio-spatiaux. Cette NMC, éduquée et anglophone, dont les pratiques de consommation sont “a sign of the promise of a new national model of development, one with a global outlook that will allow India to catch up with larger processes of economic globalization” (Fernandes, 2000, p. 92), semble encouragée à adopter une nouvelle subjectivité. Shining India18 est un autre terme associé au désir et à la capacité d’apprécier et d’avancer dans ce nouveau modèle de développement fait de promesses de confort et de prospérité où de nouveaux groupes professionnels (issus des secteurs des technologies de l’information), de nouveaux espaces de consommation et de nouvelles pratiques en sont les marqueurs les plus évidents. L’accès à ces nouvelles pratiques constitue également autant d’éléments permettant d’entretenir des mécanismes de distinction sociale qui se cumulent aux lignes de clivages classiques que sont la caste et la parenté, tout en leur donnant un nouveau sens. Comme le stipule Brosius, “now in the light of India Shinning, groups as heterogeneous as the new middle classes make new claims to cosmopolitanism as a way of life. The claim is to belong to "world-class" and still remain "distinctly Indian". […] Cosmopolitanism is not a state but a discursive process through which the new middle classes in India (and overseas) seek to reach and stabilise their ’ideal’ position in the social field. It shapes the ways in which people consume and experience pleasure, or anxiety” (Brosius, 2010, pp. 25 et 28).

20C’est ainsi que Puducherry tend à devenir un « hyper-lieu » (Lussault, 2017), une signature de la mondialité où se côtoient touristes occidentaux et Indiens. Cette coprésence semble renforcée dans la mesure où de nombreux acteurs du tourisme semblent jouer de l’exotisme dans un but lucratif, en développant des produits conformes aux imaginaires coloniaux, dans le mobilier, la scénographie mobilisée, les ambiances recréées, la distinction mise en scène entre ancienne ville coloniale, dite « blanche », et ville tamoule (anciennement appelée ville « noire »), la création d’archétypes patrimoniaux etc. Cette volonté de « consommer la nostalgie coloniale » (Peleggi, 2005) anime les projets de redéveloppement de la cité et de réhabilitation du patrimoine. A travers ces politiques de développement, c’est plus la recherche de profits soutenus par l’expansion du tourisme qu’une construction sensible et nuancée de la mémoire qui éviterait de susciter des griefs – qu’ils soient fondés sur des clivages politiques ou des intérêts idéologiques contrastés – qui est recherchée.

Document 4 : Flux de touristes à Puducherry (2004-2018)

Document 4 : Flux de touristes à Puducherry (2004-2018)
  • 19 Un crore représente 10 millions de roupies.
  • 20 Parmi elles notons la création d’un centre d’interprétation de l’artisanat et un centre d’interprét (...)

21La croissance continue du tourisme domestique à Puducherry est due à un effort concerté du gouvernement et des opérateurs touristiques privés. Comme le souligne Mohamed Mansoor (ministre du Tourisme de Puducherry), “our focus is now on the domestic tourism. Because we don’t need to do any campaign of communication to attract the foreigners. Thanks to this international township constituted by Auroville the foreigners are naturally attracted by Puducherry when they arrive in India. Regarding the Indian tourists, if they come to Tamil Nadu, if they come to Mahabalipuram, we can make them to come here. It is our duty. We don’t have a big promotional program, a big budget like other states. So what we are trying to maximize is the Indian traveler who is now much fleshed money, with a high disposal income, like software workers, probably CEO (chief executive officer) of the company, who can take decisions, to come here as the part of a pleasure and leisure” (extrait d’entretien, 6 juin 2019). Ainsi, des campagnes de marketing touristique soutenues menées par le gouvernement ont ciblé les visiteurs haut de gamme des grands centres urbains de la région, tels que Chennai (capitale de l’État voisin du Tamil Nadu, autrefois connu sous le nom de Madras) et Bengaluru (la capitale du Karnataka, anciennement Bangalore). Puducherry se singularise en Inde parmi les destinations de week-end et pour les loisirs (le fait que les taxes sur le vente d’alcool y soient moins élevées, joue également un rôle important). Néanmoins, la stratégie du département du tourisme, telle qu’elle m’a été décrite par Mohamed Mansoor vise désormais à faire de Puducherry une destination de long séjour. Il ne s’agit pas d’attirer plus de touristes, mais d’allonger la durée de leur séjour, so we were a week-end gateway, now we are postionning ourselves as a week-long destination. So we have adding 7 new beaches, for a total cost of 80 crores19. We have to provide more reasons to stay in Puducherry. What we hope to do is to tell them different stories. You have to experience. This is not enough to see. Seeing to feeling. Storytelling is important. Intach is doing this job, but only on the French angle, we go beyond. Colonial legacy is important in our project, but if you are telling stories you should be able to tell all the stories. Nearby Puducherry the Dutch were there as the Portuguese in Porto Novo. This is not well documented, but Indians could be attracted by these stories”. Pour se faire de nombreux projets de réhabilitation du patrimoine et de nouvelles constructions20 sont en cours de réalisation. Pour lui, stratégiquement il est politiquement opportun de revendiquer une identité distincte fondée sur l’histoire coloniale française. Cette dernière ayant été la seule cause de la création de Puducherry en tant qu’entité politique et administrative postcoloniale, cet héritage est désormais souligné comme un facteur conférant une identité distincte à l’existence continue du territoire de l’Union. C’est cette distinction qui fait venir les touristes Indiens. Pour lui, il s’agit de capitaliser sur cette dernière.

22Des circuits basés sur cet ancien établissement français en Inde se développent à destination des classes moyennes urbaines de Chennai, Hyderabad et Bengaluru (ces deux dernières métropoles étant desservies par l’aéroport de Puducherry).

Document 4 : Une classe moyenne cosmopolite

Document 4 : Une classe moyenne cosmopolite

Comme à chaque fin de semaine, les restaurants de la « white town » connaissent leur pic de fréquentation. Les membres de la NMC s’y pressent pour témoigner en photos de leur manière de consommer. Si l’alcool constitue depuis le 19e siècle un grave problème sanitaire (pendant longtemps l’alcool était bien moins cher à Puducherry du fait de la frontière avec le Tamil Nadu, alors rigoriste et prohibitionniste), la nouveauté tient en une consommation qui se fait sur un autre registre, celui de la mondanité. Bien sur l’alcool continue à constituer un défouloir typique de la pesanteur sociale du système des castes, une sorte de désespoir fataliste, mais il donne lieu à de nouvelles manières de faire avec l’espace. Si sa consommation reste majoritairement cachée (un public masculin s’enfermant à plusieurs dans une chambre d’hôtel pour boire et jouer), pour la NMC, il s’agit de la mettre en scène, “for many members of the new urban and educated middle classes the consuption of alcohol in public has been socially stigmatised as a westernised and morally weak practice. Hence, to them, the introduction of drinks as a means of socialising is a challenge to some groups” (Brosius, 2010, p. 16).

  • 21 Notre interlocuteur est l’un des trustees de l’Indian National Trust for Art and Cultural Heritage (...)
  • 22 C’est ce que j’ai pu constater lors des visites patrimoniales organisées par l’INTACH ou encore par (...)
  • 23 « A dynamic in which multiple pasts jostle against each other in a heterogenous present ».
  • 24 Les acteurs du tourisme : INTACH, ministère du Tourisme et Smart city mission (pour ne citer que le (...)

23L’altérité recherchée par les touristes réside dans l’illusion de remonter le temps, d’avoir un moment la sensation de découvrir l’Inde française. C’est en cela que l’Inde nous invite à penser le post-postcolonialisme. Bien entendu, nous n’omettons pas l’existence de pratiques de mobilités anciennes, populaires et massives à l’instar des pèlerinages, d’autant plus que l’Ashram de Sri Aurobindo polarise depuis longtemps déjà des flux considérables vers Pondichéry. Cependant, « les jeunes qui habitent à Bangalore, ils veulent venir au bord de la mer et puis il y a l’influence française, le côté français, et puis le soir la promenade, le front de mer » (extrait d’un entretien mené avec l’un des membres de l’INTACH21 le 20/12/2018). Ce fossé générationnel est perceptible dans l’ensemble des entretiens que j’ai pu mener. Si le passé colonial de Pondichéry n’est jamais évoqué frontalement, le cosmopolitisme, la qualité des espaces publics (le fait que l’on peut se déplacer à pied), l’architecture (et particulièrement les portes des maisons) sont mis en avant comme éléments déclencheurs de la visite. Pour les touristes Indiens, c’est l’héritage colonial français qui constitue le passé intemporel à visiter. Ici comme ailleurs, l’activité touristique exige de la variété, de l’altérité. Puducherry représente ainsi quelque chose d’insolite en Inde pour les membres de cette NMC. L’idée étrange que l’Inde a eu affaire avec la France hante vaguement les consciences, ou bien reste à découvrir, et avec étonnement souvent, car les édifices coloniaux gardent une certaine puissance d’évocation et piquent la curiosité des individus22. Comme pour les Indiens, « l’Inde crève de monotonie ; l’héritage colonial britannique est le contexte historique prédominant, l’héritage d’histoires coloniales plus marginales peut apparaître comme un facteur qui confère aux localités une identité unique dans une perspective touristique » (entretien avec Raphaël M. du 13 septembre 2019, les membres de l’INTACH tiennent des propos similaires). Puducherry suscite donc auprès de ses visiteurs un exotisme inversé. « Les Indiens y consomment un patrimoine colonial qu’ils qualifient de pittoresque et charmant, ils viennent y trouver une autre atmosphère. D’une certaine façon, nous autres Français trouvons Pondichéry suffisamment proche de nous (culturellement, voire même visuellement peut-être) et pourtant suffisamment éloignée, mystérieuse (puisqu’inconnue) et étrange pour être désirable, mais pour des raisons diamétralement opposées. Tous les éléments d’un mythe, d’une illusion, d’un mirage sont là » (entretien avec Raphaël M. du 13 septembre 2019). Tout cela témoigne d’une dynamique dans laquelle plusieurs passés s’entrechoquent dans un présent hétérogène (Rothberg, 2013, p. 372)23. Le ministère du Tourisme de cette ville au statut si particulier comme les divers acteurs du tourisme jouent de ces imaginaires. C’est notamment perceptible à travers le logo de la ville « Peacefull Pondicherry. Give time a break », des opérations de réhabilitation du patrimoine et de réhabilitation des anciens espaces industriels en lieux de culture (à l’instar du projet de transformation de l’ancienne distillerie). Plus globalement, ce city branding, où la ville blanche (White Town) devient un élément du récit du marketing urbain, s’enchâsse dans le projet smart-city dans lequel le tourisme est un élément incontournable de la production de la ville néolibérale24.

Document 5 : Un serveur observant la « beach road », quand le vocable « white town » devient argument de vente.

Document 5 : Un serveur observant la « beach road », quand le vocable « white town » devient argument de vente.

Ce slogan “Come, eat, drink, relax we are in white town” affiché au dos de tous les polos des serveurs de ce restaurant du front de mer illustre parfaitement le fait que l’hybridation est indissociablement politique, puisqu’elle modifie l’espace commun entre l’un et l’autre. Selon Bhabha, « le tiers-espace, quoi qu’irreprésentable en soi, constitue les conditions discursives d’énonciation qui attestent que le sens et les symboles culturels n’ont pas d’unité ou de fixité primordiales, et que les mêmes signes peuvent être appropriés, traduits, réhistoricisés et réinterprétés » (Bhabha, 2007, p. 82).

24Les touristes qui se rendent à Puducherry sont majoritairement issus de la nouvelle bourgeoisie urbaine et employés du secteur croissant des TIC (technologies de l’information et de la communication). Ils viennent principalement de Bangaluru, Chennai et Pune. Le paysage de Puducherry se transforme pour satisfaire cette nouvelle activité économique. Dans l’épicentre des sociabilités festives et récréatives de la « White Town » (partie sud-est de la ville en cours de patrimonialisation), les petits commerces ont disparu tout comme les vendeurs ambulants, rejetés au-delà de ce périmètre, laissant place à des investisseurs financiers venant de Mumbai ou appartenant à la diaspora franco-pondichérienne. Dans ce périmètre, tout est dédié à ce qui constitue la substance de cette NMC : la consommation. Il ne s’agit pas seulement de manger ou de boire, mais surtout de mettre en scène ces actions car ce sont elles qui permettent de compter dans la société indienne, d’être visible. La consommation est, en somme, un acte de reconnaissance et cet acte est très codifié.

Document 6 : Le café des arts

Document 6 : Le café des arts

Comme souvent dans la rue Suffren, les touristes indiens sont nombreux à flâner et surtout à se prendre en photo devant la façade du « café des arts », où tout rappelle le vieux continent. Il est vrai que dorénavant Puducherry fournit en abondance tout ce qui pourrait paraître comme rattaché à la France, à sa culture (noms de rue écrits en français, boulangerie, crêperie bretonne, drapeau tricolore, institutions). Cette devanture est l’une des plus photographiée de Pondichéry et donne à voir des transactions verbales et des contorsions multiples quant à l’emplacement idoine pour le selfie parfait qui sera ensuite posté sur les réseaux sociaux.

  • 25 Certaines de ces images sont diffusées dans cette vidéo de la chaîne Youtube de la campagne Incredi (...)

25En 2017, pour atteindre cette NMC, le gouvernement indien a lancé une nouvelle campagne de promotion touristique visant notamment à mettre en valeur les Etats du Nord-Est. Cette campagne objective et exotise les populations dites « tribales ». Le slogan est évocateur : « North East, paradise unexplored », et les campagnes publicitaires persistent à diffuser des images de communautés « traditionnelles », profondément ancrées dans leur milieu, comme si la construction coloniale du sauvage se retrouvait par un détour postcolonial en Inde25. Cette représentation s’appuie fortement sur une version très nostalgique de l’ère de l’exploration coloniale. En effet, ces espaces situés à la marge, sont supposés sauvages, recouverts d’une végétation inhospitalière et étrange hébergeant des animaux rares et souvent dangereux. Cette nouvelle frontière du tourisme n’est pas sans rappeler les expériences touristiques décrites par Lucie Dejouhanet qui a bien montré de quelles manières les populations Adivasis qui habitent plus au sud, dans les montagnes des Ghâts et sur leurs piémonts, « se sont vues attacher deux visions essentialistes qui influencent encore le regard porté sur elles : celle de tribus préservées vivant en harmonie avec la nature dans une approche de romantisme écologique, et celle de peuples arriérés, restés en dehors de la civilisation » (Dejouhanet, 2017). Tout cela illustrant les effets performatifs du « triangle magique » (Abélès et Cullerai, 2001) reposant sur l’idée répandue au sein du tourisme d’une commune singularité des groupes, des lieux et des modes de vie, dit autrement de l’association déterministe entre une culture, un territoire et une identité.

  • 26 Il s’agit aussi par la mise en valeur touristique de ces confins territoriaux d’assurer le contrôle (...)

Document 7 : Le Nord-Est, la nouvelle frontière26 du tourisme ? (copyright : Increbible !ndia)

Document 7 : Le Nord-Est, la nouvelle frontière26 du tourisme ? (copyright : Increbible !ndia)

Conclusion : vers de nouvelles asymétries : tribaux et dalits, les nouveaux « damnés » du tourisme ?

26A travers cette étude nous avons voulu montrer comment des acteurs multiples mobilisent des imaginaires touristiques pour soutenir ou redéfinir les identités collectives. Nous avons montré de quelles manières ces imaginaires sont façonnés par la marque d’histoires contestées (celles de l’impérialisme, du colonialisme, de la décolonisation et, plus récemment, de la restructuration néolibérale) et en retour comment ils remodèlent ces histoires. En cela les théories postcoloniales ouvrent la perspective du tiers-espace, permettant d’échapper à des visions binaires pour proposer une troisième voie : celle d’hybridations.

27« Qui contrôle l’espace touristique ? Qui en est exclu ? Dans quelle mesure les luttes pour l’espace touristique contribuent-elles à la reproduction, ou au contraire, à la redéfinition des hiérarchies sociales ? » (Marie dit Chirot, 2018, p. 12). Dans le cas indien, ce questionnement est particulièrement pertinent pour un pays marqué par une forte hétérogénéité linguistique, sociale et religieuse correspondant à autant de récits contradictoires sur la nation, son patrimoine et son identité. L’identité hindoue prônée par l’Etat indien, n’est pas celle mise en avant par le Département du tourisme de Pondichéry ou encore ce que nous disent les pratiques de consommation des membres de la NMC. En s’alignant sur la référence occidentale des « world class city », les membres de cette dernière ne font pas que mimer la modernité occidentale, ils composent avec, en s’arrangeant des conditions locales et en particulier d’une autre dimension inhérente au cas indien : la caste.

28Les oubliés de l’émergence sont nombreux, aux premiers rangs desquels se trouvent les « Adivasis », qui permettent d’une certaine façon, à la NMC, la réplication d’une subjectivité coloniale dans un contexte postcolonial, mais aussi les ex-Intouchables, les Dalits. Ces derniers apparaissent, pour reprendre la terminologie de Fanon, comme « les damnés » de l’Inde et du tourisme en Inde, justifiant grandement les propos de Boukhris et Chapuis : « les pratiques touristiques apparaissent comme des produits des rapports sociaux et leur analyse permet de repenser le politique comme l’expression d’un monde social conflictuel, fondé sur des rapports antagonistes entre groupes sociaux » (2016). Pourtant, beaucoup d’analystes de la société indienne affirment que l’ascension de la NMC, qui reflète les changements majeurs de l’Inde (tertiarisation de l’économie, urbanisation mais aussi fragmentation), impliquerait nécessairement l’affaiblissement et le déclin des anciennes identités par lesquelles on a l’habitude d’avoir prise sur la société indienne : castes et communautés. Pourtant les rapports antagonistes de castes se prolongent dans le tourisme et j’aimerais conclure en donnant la parole à Appu, guide originaire de Tiruvannāmalai qui s’est établi à Pondichéry lorsqu’il a eu 18 ans. Appu ne travaille qu’avec des touristes occidentaux parce que :

« En Inde, dès que tu as face à toi d’autres Indiens, la question qui revient sans cesse est toujours celle du qui ? Non pas qui je suis dans un sens métaphysique, mais qui es-tu ? Qui est ce guide là en face de moi ? Ce qui signifie d’où vient-il ? Quelle est sa religion ? Mais surtout quelle est sa caste ? Je suis originaire d’un bidonville (slum) de Tiruvannāmalai, je suis un dalit, un intouchable. Même si cela ne se voit pas on dirait que je le porte en moi. Les gens font appel une seule fois à moi. Ils découvrent vite que je suis un dalit et ne veulent plus faire appel à mes services. C’est pour cela que je travaille avec les Occidentaux et seulement les Occidentaux, car eux sont à la recherche de ce qui est métaphysique. Cette « caste-line » ils ne la perçoivent pas. A cette « caste-line » en Inde il faut ajouter la « color-line » et les qualités supposées que l’on attribue à certaines catégories de personnes. Tu as bien remarqué que dans les grands groupes hôteliers et restaurants la main d’œuvre n’est pas tamoule mais népalaise. Tout cela pour éviter le conflit social. Ils sont hors-sol ici et corvéables à merci. Je ne les envie pas. […] C’est souvent que des Indiens m’interpellent pour me demander comment je fais pour être ami avec des Occidentaux et notamment des femmes. Un jour l’un d’entre eux, il était originaire de Pune, voulait approcher une de mes clientes, originaire des Etats-Unis, je lui en ai parlé et elle a dit oui. Le type a immédiatement posé sa carte de visite, dit qu’il est déjà allé aux Etats-Unis pour les vacances et a donné le montant de ses dépenses durant ses vacances. Il a conclu qu’à Pondichéry il dépensait 1000 dollars par jour. La conversation s’est terminée là. Tu vois, cette classe sociale que tout le monde appelle middle-class on dirait qu’elle ne peut s’accomplir que par l’argent, que l’argent signifie aussi le statut. Je gagne aussi beaucoup d’argent, mais je ne me sens pas appartenir à cette classe sociale car elle n’efface pas pour autant les autres lignes de pouvoir. En plus il faut consommer, consommer. C’est cette consommation qui a fait émerger une culture qui n’existait pas avant : celle des cafés. Ils cherchent tous cela, à mimer l’Occident, à s’assoir, boire des cafés et se prendre en selfie. Mais en Europe c’est différent, dis-moi si je me trompe mais il y a ce que vous appelez l’Etat-Providence. Ici il y a une middle-class et pas d’Etat-Providence. Et une classe moyenne qui défend ses intérêts par les associations et les ONG. Du coup on est encore perdants. Croire au marché, à la consommation c’est une connerie. Cela génère encore plus d’exclusions et de pauvreté. C’est pourquoi mon argent je l’investis dans ma communauté, auprès des membres de mon slum » (extrait d’un entretien mené le 21/12/18 à Pondichéry).

29L'intérêt des études postcoloniales est ainsi double : il permet de penser les hégémonies mais aussi de questionner la dimension politique du tourisme.

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Bibliographie

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Notes

1 M’inscrivant dans la lignée des travaux de Peyvel, plus que de tourisme intérieur, je préfère parler de tourisme domestique parce que cette expression témoigne d’un processus d’appropriation de nouvelles compétences afin de construire, pour les sociétés en question, leurs propres mobilités récréatives : il s’agit d’une manière de domestiquer de nouvelles pratiques. Le tourisme constitue en effet « un médium au travers duquel les gens peuvent acquérir des connaissances, construire une vision renouvelée d’eux-mêmes et des sociétés » (Peyvel, 2019 : 20).

2 « L’un des enjeux actuels de la recherche touristique pourrait alors consister à renouveler le cadre d’une interprétation matérialiste du fait touristique tout en évitant les écueils des approches critiques qui ont longtemps dominé ce champ de recherche, notamment en géographie » (Marie-Dit-Chirot, 2017).

3 Alors même que les discours des orientalistes soulignaient un enracinement profond de l’Inde dans la tradition et la religion, cette profusion onomastique témoigne sans doute de la perplexité, voire de l’anxiété grandissante parmi les pays occidentaux, de constater que l’Inde (un pays en développement, du « third-world ») revendiquera bientôt le statut de pays industrialisé (ou « first world »), voire dépassera les économies et hégémonies occidentales.

4 En 2006, le nom est officiellement revenu à la dénomination précoloniale, Puducherry. Tant à l'échelle internationale qu'en Inde, il reste connu sous le nom de Pondichéry, ce qui explique que ce nom colonial continue d'être utilisé dans le matériel de promotion touristique, où il a le potentiel d'attirer l'attention sur quelque chose de plus immédiatement familier au public.

5 Tous ces spécialistes étaient et sont spécifiquement attachés à l’étude des textes sanskrits et védiques alors même que l’Inde contemporaine apparaît comme un des leaders des nouvelles écritures, celles liées aux technologies de l’information et l’externalisation des services ou BPO (Business Process Outsourcing).

6 “Located its own subjectivity in the spiritual domain of culture, where it considered itself superior to the West and hence undominated and sovereign” (Chatterjee, 1989, p. 632).

7 Ce plan préconisait une vision fluide et compréhensive de la politique de patrimonialisation tout en appelant à une démarche participative. Il a été pensé comme un modèle du genre pouvant être répliqué à d’autres sites (Kammeier, 2007).

8 https://www.deccanherald.com/content/187423/probe-sought-eviction-families-hampi.html

9 http://www.newindianexpress.com/states/karnataka/2011/nov/28/asi-nod-for-rehabilitation-of-hampi-encroachers-314706.html

10 https://bangaloremirror.indiatimes.com/bangalore/others/virupapura-gadde/articleshow/47114272.cms

11 Rappelons à ce titre qu’en 2015, Mahesh Sharma, alors ministre du tourisme et membre du Bharatiya Janata Party (BJP), parti nationaliste hindou, avait déclaré que " for their own safety, women foreign tourists should not wear short dresses and skirts ... Indian culture is different from the western » (https://www.theguardian.com/world/2016/aug/29/india-female-tourists-skirts-safety-advice).

12 On pourrait dire que la vision des touristes occidentaux et la vision des nationalistes hindous se ressemblent et se complètent : « c’est que les images de l’Inde sont aussi, pour partie, produites en Inde » (Louiset, 2008 : 9).

13 Ce nationalisme postcolonial s’accompagne également d’une volonté de renommer un certain nombre de villes et lieux publics pour effacer l’héritage musulman du pays : en 2017, l’Etat de l’Uttar Pradesh a retiré de sa brochure touristique le Taj Mahal.

14 Le document est désormais disponible en ligne : https://www.outlookindia.com/website/story/history-as-politics/219991

15 Notons que la publicité touristique de l’Inde ne vise pas explicitement un public européen ou occidental. Les mêmes annonces, avec les mêmes images et les mêmes titres, ont été utilisées dans le monde entier.

16 Le gouvernement indien dissocie les international tourist arrivals (ITA) des foreign tourist arrivals (FTA). La première catégorie comprend les NRI et les FTA

17 Alors que les anciennes classes moyennes étaient freinées dans leur consommation par le socialisme de Nehru ou les idéaux d’austérité de Gandhi, cette NMC doit son explosion aux lois de libéralisation économique et à la révolution des médias de la décennie 1990 diffusant des modèles de liberté et d’accomplissement de soi. Bien entendu, je n’omets pas les débats portant sur ce que signifie cette NMC et ses limites, mais ce qui est pertinent c’est que l’expansion de cette NMC n’est pas seulement numérique, la NMC est aussi une catégorie subjective d’auto-identification.

18 Slogan marketing popularisé par le parti Bharatiya Janata (BJP), alors au pouvoir, pour les élections générales indiennes de 2004, qui faisait dès lors référence au sentiment général d'optimisme économique de l’époque.

19 Un crore représente 10 millions de roupies.

20 Parmi elles notons la création d’un centre d’interprétation de l’artisanat et un centre d’interprétation d’Arikamedu, un ancien port dédié au commerce avec la Rome Antique.

21 Notre interlocuteur est l’un des trustees de l’Indian National Trust for Art and Cultural Heritage Pondicherry. Cet organisme est un acteur ambigu des politiques de patrimonialisation à Pondichéry car il est à la fois prescripteur, maître d’œuvre, et assure aussi la maîtrise d’ouvrage des opérations d’embellissement. Comme tous les acteurs importants des politiques de patrimonialisation à Pondichéry, ces derniers ne sont pas Tamouls mais Nord-Indiens, ou étrangers et appartiennent à une élite bourgeoise anglophone. Il sont ont tous la même vision de ce que devrait être Pondichéry : une ville propre, hygiénique, paisible, débarrassée de ses pauvres, autrement dit de ceux qui ne peuvent pas consommer.

22 C’est ce que j’ai pu constater lors des visites patrimoniales organisées par l’INTACH ou encore par storytrail, lors de son sentier découverte intitulé « french connections trail » (https://www.storytrails.in/trails/french-connections-trail/).

23 « A dynamic in which multiple pasts jostle against each other in a heterogenous present ».

24 Les acteurs du tourisme : INTACH, ministère du Tourisme et Smart city mission (pour ne citer que les plus importants) ne partagent pas la même vision du patrimoine et ce qui mérite de faire l’objet d’une politique de patrimonialisation. Par exemple, la distillerie et l’ancienne prison (dernier bâtiment du XVIII siècle de Pondichéry) ont été rasés, le premier pour devenir un espace muséographique, le second un parking, car pour certains acteurs il ne s’agissait pas de patrimoine.

25 Certaines de ces images sont diffusées dans cette vidéo de la chaîne Youtube de la campagne Incredible !ndia : https://www.youtube.com/watch?v=CW_EJ1UCseQ

26 Il s’agit aussi par la mise en valeur touristique de ces confins territoriaux d’assurer le contrôle de ces territoires frontaliers de la Chine et du Bangladesh. Précisons que cet objectif n’existe pas dans le cas décrit par Lucie Dejouhanet, ce qui prouve que le tourisme ethnique peut se développer sans objectif géopolitique.

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Table des illustrations

Titre Document 1 : Hampi, du paysage culturel au site classé
Légende Alors que des villages entiers sont inclus dans la limite du site inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco, Hampi n’a jamais été reconnue comme constituant un paysage culturel (un paysage construit associant aux monuments laissées en héritage des chaos granitiques, des rizières et champs de canne à sucre) mais seulement comme un simple « site », ce qui a grandement affecté la capacité de mettre en place une politique de conservation associant les experts et les habitants. Ne sont pris en considération par cette politique de patrimonialisation que les temples hindous et jaïns, les tombeaux, des mosquées et d’autres monuments sous la responsabilité de l’Archeological Survey of India et du State Archaeology Department.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/docannexe/image/4212/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 932k
Titre Document 2 : Motherland : India (Copyright Incredible India)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/docannexe/image/4212/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 52k
Titre Document 3 : Incredible !ndia « Tous les Indiens ne sont pas polis, hospitaliers et végétariens »
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/docannexe/image/4212/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 76k
Titre Document 4 : Flux de touristes à Puducherry (2004-2018)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/docannexe/image/4212/img-4.jpg
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Titre Document 4 : Une classe moyenne cosmopolite
Légende Comme à chaque fin de semaine, les restaurants de la « white town » connaissent leur pic de fréquentation. Les membres de la NMC s’y pressent pour témoigner en photos de leur manière de consommer. Si l’alcool constitue depuis le 19e siècle un grave problème sanitaire (pendant longtemps l’alcool était bien moins cher à Puducherry du fait de la frontière avec le Tamil Nadu, alors rigoriste et prohibitionniste), la nouveauté tient en une consommation qui se fait sur un autre registre, celui de la mondanité. Bien sur l’alcool continue à constituer un défouloir typique de la pesanteur sociale du système des castes, une sorte de désespoir fataliste, mais il donne lieu à de nouvelles manières de faire avec l’espace. Si sa consommation reste majoritairement cachée (un public masculin s’enfermant à plusieurs dans une chambre d’hôtel pour boire et jouer), pour la NMC, il s’agit de la mettre en scène, “for many members of the new urban and educated middle classes the consuption of alcohol in public has been socially stigmatised as a westernised and morally weak practice. Hence, to them, the introduction of drinks as a means of socialising is a challenge to some groups” (Brosius, 2010, p. 16).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/docannexe/image/4212/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 3,4M
Titre Document 5 : Un serveur observant la « beach road », quand le vocable « white town » devient argument de vente.
Légende Ce slogan “Come, eat, drink, relax we are in white town” affiché au dos de tous les polos des serveurs de ce restaurant du front de mer illustre parfaitement le fait que l’hybridation est indissociablement politique, puisqu’elle modifie l’espace commun entre l’un et l’autre. Selon Bhabha, « le tiers-espace, quoi qu’irreprésentable en soi, constitue les conditions discursives d’énonciation qui attestent que le sens et les symboles culturels n’ont pas d’unité ou de fixité primordiales, et que les mêmes signes peuvent être appropriés, traduits, réhistoricisés et réinterprétés » (Bhabha, 2007, p. 82).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/docannexe/image/4212/img-6.jpg
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Titre Document 6 : Le café des arts
Légende Comme souvent dans la rue Suffren, les touristes indiens sont nombreux à flâner et surtout à se prendre en photo devant la façade du « café des arts », où tout rappelle le vieux continent. Il est vrai que dorénavant Puducherry fournit en abondance tout ce qui pourrait paraître comme rattaché à la France, à sa culture (noms de rue écrits en français, boulangerie, crêperie bretonne, drapeau tricolore, institutions). Cette devanture est l’une des plus photographiée de Pondichéry et donne à voir des transactions verbales et des contorsions multiples quant à l’emplacement idoine pour le selfie parfait qui sera ensuite posté sur les réseaux sociaux.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/docannexe/image/4212/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 5,4M
Titre Document 7 : Le Nord-Est, la nouvelle frontière26 du tourisme ? (copyright : Increbible !ndia)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/docannexe/image/4212/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 223k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Anthony Goreau-Ponceaud, « Colonialité et tourisme : la fabrique des identités et des altérités en Inde », Via [En ligne], 16 | 2019, mis en ligne le 30 mars 2020, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/4212 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/viatourism.4212

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Auteur

Anthony Goreau-Ponceaud

Institut Français de Pondichéry, UMIFRE 21 CNRS-MEAE
Université de Bordeaux, IUT de Bordeaux, UMR 5115 LAM

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