- 1 Cet article expose des parties d’un travail plus vaste qui a été présenté en tant que mémoire de fi (...)
1En 2020, et dans le contexte de la « réurbanisation » de certains des quartiers populaires de la ville autonome de Buenos Aires (CABA), le gouvernement local, qui jusqu’à il y a une décennie suggérait encore de déplacer ces quartiers, a lancé une série de mesures, partagées entre trois agences gouvernementales, visant à promouvoir le tourisme urbain communautaire (le TCU). Depuis plusieurs décennies, dans les zones de bidonvilles de différentes parties du monde, des activités touristiques ont été menées, des pratiques qui, dans la littérature universitaire, sont connues sous le nom de « tourisme des bidonvilles ». Elles se caractérisent par la présentation d’une image fétichisée et exotisée de la pauvreté, construite à partir d’une vision extérieure. En opposition à ce phénomène, ces dernières années, ont émergé – en particulier au Brésil et en Colombie – des expériences dans lesquelles les habitants cherchent à s’approprier ce type tourisme, à le gérer avec une plus grande autonomie, et ainsi à recueillir les avantages – pas seulement économiques – de ce que l’on appelle le « tourisme communautaire urbain ».
2Si, la notion de tourisme communautaire est présente dans la littérature depuis les années 1990, l’essentiel de la littérature se concentre sur les communautés paysannes ou les peuples autochtones, en se référant à la manière dont ces communautés autogèrent le tourisme sur leurs propres territoires. Le tourisme communautaire a évolué en Amérique latine sur une longue période en tant qu’approche d’un développement inclusif basé sur des principes de durabilité. Ce modèle se distingue des pratiques traditionnelles et dominantes en privilégiant l’équité socio-économique des communautés où il est mis en œuvre, tout en favorisant le respect de l’environnement et du patrimoine culturel (Inostroza, 2008 ; Sansolo et Burstzyn, 2009 ; Cañada, 2013 ; Cabanilla, 2018 ; Hruby et al., 2019). Bien qu’il existe différentes façons de le conceptualiser, son trait commun fait référence à la participation de la communauté locale, qui joue un rôle actif dans le processus de prise de décisions. Dans cette perspective, nous pouvons nous interroger sur la notion de « communauté » qu’utilise le Plan réalisé par le Gouvernement de Buenos Aires. Ce programme comprenait trois étapes : celle de la promotion personnelle et de l’inclusion professionnelle, celle du développement du tourisme, et celle de la communication et de la promotion. Dans un premier temps, les actions ont été menées dans deux quartiers populaires situés au centre de la ville, entourés de multiples attraits touristiques : le Barrio Mugica (Villa 31) et le Barrio Rodrigo Bueno (Villa Costanera Sur). Ce travail se concentre sur le cas du quartier Rodrigo Bueno (depuis le debut du programme et jusqu’en 2022), et s’interroge sur les spécificités des actions qui y ont été ménées ainsi que sur les contradictions du projet de « développement touristique durable » promu par un gouvernement de d’idéologie néolibérale.
3La principale question qui a guidée cet article aura été de comprendre comment les projets de tourisme communautaire mis en œuvre par le gouvernement local ont pu être présentées comme des outils de développement ou des stratégies de mise en œuvre du néolibéralisme. L’idée était de trouver un moyen d’adapter les connaissances existantes sur le tourisme communautaire paysan et ethnique à la zone de la ville autonome de Buenos Aires (la CABA). Et ce, à l’analyse de l’émergence d’initiatives que l’on pouvait identifier comme « touristiques », et dont le modèle de gestion est basé sur le communautarisme. Des recherches, dans différentes disciplines scientifiques, qui analysaient de telles initiatives, avaient commencé à apparaître. Les questions qu’elle posaient étaient les suivantes : a. comment ces offres étaient organisées ; b. Quelle raison avait motivé leur création ; c. Quels impacts cela avait-elles sur les personnes qui les réalisaient ; d. Quel lien avaient-elles (ou non) avec les nouvelles tendances touristiques mondiales observées dans la CABA ; et e. Comment et pourquoi le gouvernement de la ville de Buenos Aires (le GCBA) s’impliquait comme moteur du développement du tourisme dans des zones où les inégalités sont très contrastées. A propos de ces enjeux, au vu des avancées notables sur les différents quartiers populaires de la ville qui sont en cours de (ré)urbanisation, des questions se posaient sur la pérennité de ces communautés, dans une ville positionnée comme une destination touristique importante au niveau international. En transférant les cas de certains projets présentant des caractéristiques similaires dans d’autres pays d’Amérique latine et d’autres villes d’Argentine, notre choix a été de concentrer la recherche sur le rôle de la pratique touristique et sa contribution au développement humain inclusif et durable. Par conséquent, notre questionnement a été construit en en prennant en compte le cas spécifique de la CABA, sur la base des quelques études similaires existantes sur le TCU.
4Pour la méthodologie, une étude qualitative descriptive est proposée dans cet article. On doit l’entendre comme une étude qui cherche à « caractériser et spécifier les propriétés importantes des personnes, des groupes, des communautés ou de tout autre phénomène soumis à l’analyse » (Batthyány & Cabrera, 2011, p. 33). Ainsi, il s’est agit d’enregistrer les caractéristiques des initiatives touristiques du quartier Rodrigo Bueno, en mettant l’accent sur leurs faiblesses et leurs forces, et en tenant compte de leur relation avec le modèle de développement touristique qu’elles représentent. La conception méthodologique prévoyait l’utilisation de différentes techniques de collecte de données, à la fois de sources primaires et secondaires. D’une part, il comprenait trois entretiens approfondis avec les habitants qui participent aux initiatives, et deux entretiens avec des membres des administrations impliquées dans le développement de ces entreprises ; tous étaient de nature semi-structurée. Il a été décidé de conserver l’anonymat des personnes interrogées. D’autre part, l’observation participante a également été utilisée, à travers l’appui aux entreprises analysées, qui a impliqué des visites systématiques dans le quartier pendant trois mois. Pour compléter la collecte des données primaires, la dimension virtuelle a également été prise en compte, et des informations ont été collectées à partir des réseaux sociaux officiels des entreprises et des canaux officiels de l’entité touristique de la ville. Le travail empirique, qui a duré 12 mois a été terminé fin 2021. Actuellement, le contact est maintenu avec le terrain, dans le cadre de nouveaux projets de recherche. Pour les sources secondaires, la recherche d’articles connexes a été effectuée dans des bases de données scientifiques spécialisées, y compris des articles scientifiques, des thèses (de premier et de troisième cycle) et des communications faites à des conférences. A ce stade, il est important de souligner que le choix, qui a consisté à privilégier la bibliographie écrite en espagnol par des auteurs latino-américains, relève d’un positionnement politique et épistémologique, et ce afin de pouvoir dialoguer et discuter des problèmes spécifiques de la région. Dans le même temps, les communiqués de presse sur le cas analysé ont été pris en compte, ainsi que des vidéos ou des publications sur les réseaux sociaux, et ce afin de rendre compte de la situation actuelle.
5Comme l’expliquent Almeida et Pérez Martín (2023), le néolibéralisme est défini comme un ensemble de politiques économiques libérales qui incluent des aspects politiques, idéologiques et culturels. L’analyse de ces éléments nous aide à comprendre plus précisément les circonstances et l’environnement qui génèrent des réponses collectives au néolibéralisme. Dans le même temps, Grimson (2007) explique que ce terme implique aussi des configurations socioculturelles, qui permettent à ces politiques économiques d’exister, et qui en découlent. Aussi, cet article s’attache à analyser les répercussions que les politiques publiques ont sur les habitants.
6En ce qui concerne la relation entre le tourisme et le néolibéralisme, différents auteurs ont proposé divers points de vue et réflexions. Pour Ferreira Da Silva, et al. (2020), il est essentiel de connaître la vision critique des acteurs impliqués dans les dynamiques touristiques. Ainsi, si le développement de l’activité touristique peut apporter des retombées économiques aux habitants des sites visités, il existe également un risque que la marchandisation des valeurs culturelles se fasse à leur détriment. Pour sa part, Wallingre (2017) affirme que dans les pays dits « en développement », le néolibéralisme a eu un grand impact, car il impliquait que « la distanciation aux modèles centrés sur l’État, imprégnait les stratégies de privatisation, de déréglementation, de déréglementation et leur instrumentation politique en faveur d’un capitalisme transnational à grande échelle » (2017, p. 6). De cette façon, le tourisme, parmi d’autres activités considérées comme des « services », a connu un processus de désintégration
7En ce qui concerne la ville de Buenos Aires, Pírez (2022) explique que pour « produire une ville », il faut du terrain. De cette façon, l’intervention visant à fournir des terrains appropriés pour le développement immobilier au cours des dernières décennies a suivi deux approches principales : la marchandisation et l’appropriation. Au sein de la CABA, ces approches se sont matérialisées à travers deux politiques différentes. L’une d’entre elles cherche à privatiser des terrains publics en les cédant à des promoteurs immobiliers, tandis que l’autre, plus complexe et contradictoire, cherche à intégrer dans le marché formel des terrains occupés de manière irrégulière (Pírez, 2022). C’est pourquoi, nous allons révisiter, ci-dessous, l’histoire d’un quartier qui est passé du statut d’objet des politiques de « relocalisation » à celui de protagoniste du plan de « positionnement touristique ».
8Le quartier Rodrigo Bueno a émergé pendant la dictature de 1976 en raison de la précarité de l’emploi et du déficit de logements. Il est né de la fusión de deux occupations foncières. L’une qui était dans la réserve écologique de Costanera Sud rejoignant une seconde qui était le long de l’avenue d’Espagne. Au départ, ce quartier manquait d’infrastructures et était perçu comme un « établissement informel ». Mais au fil du temps, les habitants l’ont transformé en un quartier constitué de quatre pâtés de maisons (Lekerman, 2016 ; Carman et al., 2017). Au fil des années, il a été confronté à des transformations découlant de projets tels que celui de Puerto Madero et celui de la Cité sportive de Boca Juniors, attirant des résidents fortunés et générant des pressions demandant sa destruction. À partir de 2004, la suppression du quartier est programmée. Elle est justifiée par le lancement de projets urbains plus vastes, tandis que pour l’enclancher le gouvernement local recourent tantôt à l’ « inertie » tantôt au « harcèlement ». Le programme de récupération des terres de la réserve écologique a été mis en œuvre en 2005 pour éradiquer le village en échange de prêts hypothécaires, au prétexte de l’importance environnementale de la réserve et de l’impact négatif de l’occupation qui y était constatée (Lekerman, 2016). Entre 2005 et 2009, les diverses tentatives du gouvernement visant à utiliser les terres pour « d’autres usages » ont porté leurs fruits. Ainsi, sous l’argument de l’accès à l’espace public, les habitants de Rodrigo Bueno ont été stigmatisés et présentés comme des envahisseurs qui empêchaient la protection de l’environnement et le développement de certaines entreprises urbaines pour les loisirs (Rodríguez, 2009). Par conséquent, le problème était traité sur le plan environnemental plutôt que social, et ce alors que la crise du logement et la crise économique fragilisaient ses habitants (Yacovino, 2010), sachant qu’en 2005, on estimait qu’environ 500 familles vivaient dans Rodrigo Bueno, selon le Secrétariat au développement social du GCBA (Crovara, 2016).
9Comme l’explique Rogers (2021), en 2005, les habitants de Rodrigo Bueno, avec le soutien de l’Assemblée permanente des droits de l’homme (APDH), ont présenté une demande de protection juridique contre les décrets d’expulsion. Le tribunal a statué que le gouvernement de la ville de Buenos Aires devait garantir le droit à un logement décent à travers le développement du quartier ou en fournissant des logements adéquats dans la ville, conformément à la Constitution locale et nationale et aux traités internationaux. Le jugement a mis en évidence le manque d’équité dans l’attribution des terres, profitant aux entreprises au détriment des secteurs les plus vulnérables. Le « droit à la ville » a été reconnu comme un droit fondamental, et ce réponse aux actions contradictoires du gouvernement local. Bien qu’elle ait fait l’objet d’un appel, puis qu’elle ait été annulée, cette décision de justice a souligné l’importance de protéger les droits des habitants de Rodrigo Bueno et de promouvoir leur inclusion sociale et la réhabilitation de leur quartier. Elle a démontré la viabilité de la coexistence entre la réserve écologique et le quartier, discréditant les arguments en faveur de l’éradication du bidonville et soulignant la nécessité d’intégrer les secteurs vulnérables dans la ville (Rogers, 2021).
10Suite à cette phase de va-et-vient entre les différentes administrations du GCBA et les habitants de Rodrigo Bueno, ces derniers ont à leur tour mis en avant la relation de bon voisinage qu’ils entretenaient avec leur territoire (ce qu’ils ont transcrit dans un document de défense de leur droit à habiter ces terres), ce qui a permis d’entamer l’étape du « réhabilitation ». Durant le mandat de Rodriguez Larreta comme gouverneur de la ville, le processus d’intégration socio-urbaine a pu être initié dans le quartier de Rodrigo Bueno et il se poursuit aujourd’hui, en cherchant à « renforcer la communauté à travers le réaménagement, le zonage et l’intégration sociale et culturelle et urbaine ». En 2017, la loi n° 5 798 a été promulguée pour garantir le droit de résidence des habitants du quartier, selon des principes « d’égalité, de justice spatiale, d’intégration et de non-discrimination ». La « réurbanisation » a reconnu l’autonomie des habitants dans la configuration du territoire (Sánchez et Aldao, 2020). L’émergence du mégaprojet urbain IRSA sur le terrain de l’ancienne ville sportive de Boca a joué un rôle fondamental dans le développement du quartier, puisqu’il prévoyait de construire une « deuxième tranche de Puerto Madero » près de Rodrigo Bueno. Malgré les critiques et les défis sociaux et environnementaux, le projet « Costa Urbana » a été approuvé en décembre 2021. Le début du processus d’intégration socio-urbaine a suscité des critiques concernant l’administration, la dette extérieure et la vente de biens publics. La vente du terrain « Casa Amarilla » au Club sportif Boca Juniors a coïncidé avec le développement immobilier de la région.
Figure 1 : Comparaison entre l’emprise de Rodrigo Bueno et celle du projet de cité sportive de Boca
Source : Image propriété de GCBA - 2016
11Concernant la particularité du processus de réaménagement, il s’est fait sur le recours à différentes instances de conciliations entre résidents, ainsi que sur ce qu’avait établi le processus judiciaire. Pour que cela se fasse, les données officielles d’un recensement réalisé en 2016 par l’IVC ont été prises comme référence. Elles indiquaient que 2 665 personnes vivaient dans le quartier dans 563 logements, ce qui représentait un total de 996 familles (Housing Institute, GCBA, 2016). Les statistiques publiées la même année indiquaient qu’au moment de l’enquête, la plupart des logements donnaient sur un passage (81 %), disposaient de branchements informels pour accéder au service public d’eau (88 %), n’avaient pas d’éclairage électrique (99,2 %), s’approvisionnaient en bouteilles de gaz (95,9 %) et utilisaient des fosses septiques (57 %) qui se déversaient parfois dans le Río de la Plata (38 %).
12Un facteur important a été la création des Comités de Gestion Participative (MG), prévus dans la Loi 5798, dont l’objectif était d’assurer la participation effective des résidents du quartier au cours des différentes étapes du processus d’urbanisation. Soit : le diagnostic, la conception, l’exécution, le contrôle, le suivi et l’évaluation du projet. Y participèrent : l’IVC, les représentants du Comité des délégués de quartier, les représentants du ministère public de la Défense de la ville autonome de Buenos Aires, le bureau du médiateur de la ville autonome de Buenos Aires, le bureau du procureur général de la ville autonome de Buenos Aires et le ministère public de la ville autonome de Buenos Aires (Instituto de la Vivienda). Dans le même temps, les groupes de travail furent ouverts à la communauté, ainsi qu’aux parties intéressées (qu’il s’agisse d’organisations sociales ou d’autres acteurs). Enfin, la loi établit dans son article n° 5 que les POP seraient les lieux où se décidont les lignes directrices d’intervention sur différentes questions, telles que la construction et l’attribution de logements, l’ouverture de voies publiques et l’installation d’infrastructures de services urbains. En ce qui concerne les critères prioritaires pour le déménagement des familles dans de nouveaux logements, il fut décidé de commencer par les maisons et les entreprises en danger d’effondrement, ainsi que celles touchées par l’ouverture de rues. Et ce en plus de donner la priorité aux personnes victimes de violence sexiste, aux personnes en situation de handicap et aux personnes âgées (Casali, 2021).
13C’est dans ce cadre que, la construction de nouveaux ensembles d’habitations et la réhabilitation de certaines constructions préexistantes ont été envisagées. Au total, 611 nouvelles maisons de 2, 3 et 4 pièces ont été construites. Au moment où se déroulait cette recherche, 400 familles avaient emménagé et 6 locaux commerciaux avaient été ouverts (situés au rez-de-chaussée des nouveaux consortium) (Institut du Logement, 21/05/2021). À cette fin, « chaque propriétaire avait reçu un prêt accordé par l’IVC et Banco Ciudad et devait payer une redevance qui ne pouvait dépasser 20 % de ses revenus » (Giambartolomei, 2019, s/n). Cinq cents réhabilitations de logements avaient également été prévues, pour lesquelles aucune information n’était encore disponible (City Observatory, 2021). Selon le Bureau du Défenseur du peuple (en charge du suivi des PGM), ces améliorations passaient par « la connexion aux services publics et l’amélioration structurelle des logements pour garantir des conditions de vie adéquates à leurs occupants en plus des finitions, de l’équipement, etc. » (Bureau du médiateur, 2021, s/n). L’IVC a exprimé par écrit, suite aux rencontres participatives, que le budget proposé en 2019 n’étant pas suffisant, il procéèderait étape par étape, en commençant par 223 logements. Comme l’indiquent Sánchez et Aldao (2020, p. 61), « l’exécution du budget a été principalement orientée vers de nouveaux complexes de logements tandis que la rénovation des logements existants a été reléguée au second plan ». Cela a généré une différenciation entre ceux qui ont effectivement pu accéder aux nouvelles constructions et ceux qui restent encore dans la partie historique, et qui n’ont parfois pas pu accéder aux services et aux infrastructures. D’autre part, l’ouverture de trois rues a été réalisée, ce qui a nécessité la démolition d’une partie des maisons situées dans la partie ancienne (les maisons mêmes qui étaient habitées par ceux qui ont déjà déménagé dans les nouvelles constructions) [Voir figure 2]. Il est ici nécessaire de souligner, afin de comprendre l’analyse conduite, le pouvoir accordé aux MGP dans l’article susmentionné, qui établit qu’ils sont chargés de décider de la « Mise en œuvre d’actions concrètes qui privilégient le développement des activités productives et économiques des habitants du quartier ». C’est dans ce cadre que les actions liées à la promotion du tourisme dans le quartier ont été incluses, comme nous l’expliquons dans la suite de ce travail.
Figure 2 : Vue aérienne du quartier en court de ré-urbanisation
Sur la gauche, vous pouvez voir la réserve écologique, puis les nouveaux bâtiments, et sur la droite « la partie historique » du quartier. À l’extrême droite se trouve l’ancienne Cité sportive de Boca. À la limite supérieure se trouve le Río de la Plata, et à l’extrémité inférieure se trouve l’Avenue d’Espagne.
Source : Photographie de Ricardo Pristupluk - LA NACION. Juin 2019.
14Comme l’ont exprimé les responsables de la zone de développement touristique d’ENTUR, le Plan de tourisme de la communauté urbaine (PTCU) de l’entité touristique de la CABA est né après deux ans de travail avec l’IVC dans les quartiers populaires de la ville. Fin 2017, l’Institut du logement de la ville (IVC) a contacté cette direction et a demandé la collaboration d’ENTUR dans le cadre de différents projets d’intégration socio-urbaine. Il a lui a été demandé tout d’abord de consituter une banque données des emplois touristiques potentiels, dans le but d’aider à l’insertion professionnelle des habitants du quartier de Lamadrid, qui est situé dans le quartier de La Boca (où se trouve l’un des Offices du tourisme de la ville les plus visités). Cependant, comme l’ENTUR ne disposait pas d’un tel fichier, une proposition alternative lui a été proposée, celle d’offrir des formations, en collaboration avec la Direction de la formation du ministère du Tourisme. De cette façon, une équipe d’ENTUR a commencé à proposer différentes formations et séminaires de sensibilisation touristique à quelques habitants du quartier de Lamadrid. Pour ce faire, elle utilisa les ressources de l’Institut d’Enseignement Supérieur (qui dispense des formations en tourisme), qui se trouve dans le quartier de Caballito. Il y eut des conférences et des ateliers qui traitèrent des thèmes suivants : Qu’est-ce que le tourisme ? Quels sont ses impacts sur la ville ? Et quelles sont ses opportunités d’emploi ? Selon les membres d’ENTUR, « cela a remporté un certain succès, car neuf personnes, enthousiastes, ont commencé le diplôme technique en tourisme, et à ce jour, trois d’entre-elles ont déjà obtenu leur diplôme » (Canal DEyA UNQ, 2021, pp. 51-53).
15Le Plan de Tourisme de la Communauté Urbaine (le PTCU) de l’Office du Tourisme de la Ville Autonome de Buenos Aires (CABA) a vu le jour après deux ans de collaboration avec l’Institut du Logement de la Ville (IVC). En 2017, l’IVC a sollicité la coopération d’ENTUR pour des projets d’intégration socio-urbaine dans des quartiers tels que celui de Lamadrid à La Boca. Là, l’ENTUR a offert une formation touristique aux résidents, ce qui a permis de former et d’obtenir l’emploi de neuf personnes dans le domaine du tourisme. Cette approche a ensuite été étendue au quartier de Mugica par le biais du Secrétariat à l’intégration sociale et urbaine (le SISU), dans le but de rendre visible et de promouvoir le tourisme dans la région. S’inspirant du tourisme communautaire urbain de Medellín, l’ENTUR a initié des collaborations avec des professionnels colombiens pour adapter le modèle aux quartiers de Buenos Aires. En 2019, une fois les progrès réalisés dans la transformation et l’intégration sociale des quartiers, l’ENTUR a présenté le PTCU à l’IVC. C’est ainsi qu’a commencé à être conçu un projet centré sur le quartier Rodrigo Bueno (RB). Car non seulement ce quartier avait déjà assez avancé dans ses travaux de réaménagement, mais il présentait également des caractéristiques qui permettaient à l’Office de tourisme d’effectuer des travaux plus en profondeur que dans le Barrio. Après que le City Housing Institute (l’IVC) l’ait contacté pour générer une action dans Rogrigo Bueno, une réponse positive fut donnée avec comme argument que : « c’était beaucoup plus facile d’y travailler car ce quartier était plus petit et plus compact (que les autres), et qu’il y était bien plus facile de pouvoir s’y exprimer » (fonctionnaire 1, interview, novembre 2021).
16L’IVC et le ministère du Développement humain et de l’Habitat prirent conjointement en charge la question de l’intégration sociale et urbaine du quartier, comme nous le verrons dans la partie suivante de cet article. Selon une personne interrogée, la demande que ces organisations firent à l’ENTUR découlait de l’opportunité qu’il y avait à faire « la promotion du quartier à partir du tourisme pour générer un plus grand développement économique et faire qu’il s’intègre dans le tissu urbain de la ville » (officiel 1, interview, novembre 2021). Bien que le tourisme communautaire n’ait pas encore commencé à être envisagé, des actions commencèrent à être planifiées. Après avoir effectué plusieurs visites et enquêtes dans le quartier RB, l’ENTUR détecta que son « potentiel touristique (…) n’avait jamais été pris en compte ». Aussi, ce n’est que plus tard, que « Rodrigo Bueno devint le quartier pilote sur lequel nous avons développé le modèle TCU dans la CABA » (fonctionnaire 1, interview, novembre 2021). Une fois schématisé le Plan de tourisme de la Communauté urbaine, au début de l’année 2020, les travaux commencèrent dans le quartier Rodrigo Bueno. Plus tard, cette exepérience fut reproduite dans le quartier de Mugica, en collaboration avec le SISU. Le choix de ces quartiers était dû au fait qu’ils étaient situés dans la principale zone d’afflux touristique de la ville.
17Bien qu’il soit situé dans une zone proche des principales attractions touristiques de la CABA, ce n’est qu’au moment où le plan de réaménagement fut lancé qu’il a commencé à être pensé en termes touristiques. Comme le dirent les responsables d’ENTUR, les membres de l’IVC ont approché l’entité dans le but de créer un lien où la dynamique productive de Rodrigo Bueno pourrait être renforcée dans le cadre du projet d’intégration sociale. C’est pourquoi le quartier fut le projet pilote sur la base duquel le plan de tourisme de la communauté urbaine ENTUR susmentionné fut développé. Le choix de commencer par le quartier Rodrigo Bueno était, d’une part, dû au fait que le projet d’urbanisation y était assez avancé grâce à l’auto-organisation qui le caractérisait. Et, que d’autre part, ses caractéristiques géographiques et démographiques (le fait d’être situé dans une zone de grande attraction touristique de la ville et d’être de petite taille) a permis de générer des actions concrètes pour tester le modèle du TCU dans la CABA.
18Le Patio gastronomique Rodrigo Bueno (PGRB) et La Vivera Orgánica (LVO) y ont été créés en 2019. Les deux entreprises ont été développées par l’IVC en collaboration avec d’autres entités afin de renforcer le profil productif du quartier. Dans le même temps, lors de diverses réunions tenues dans le cadre de la MGP (Table ronde de la Gestion Participative), on a parlé de la promotion du tourisme dans le quartier et, après que les habitants aient exprimé leur consentement, le travail sur le tourisme a commencé.
« Grâce à ces initiatives, que furent La Vivera et le Patio, qui s’ajoutèrent à la transformation du quartier et au désir exprimé par ses habitants dans les tables rondes participatives, l’IVC a invité l’Office du Tourisme en 2019 à promouvoir le tourisme dans le quartier » (officiel N° 2, interview, janvier 2022).
19Après un premier contact avec l’IVC et les membres du ministère du Développement social et de l’Habitat (le MDSyH), en 2019, des enquêtes ont commencé à être menées afin de mieux connaître la zone, car il s’agissait d’une zone qu’ENTUR n’avait pas prise en compte auparavant dans ses projets. Plus tard, une fois que le PTCU fut officiellement créé, le travail a pu commencer sur ses axes de travail en fonction des particularités de RB. Le PTCU ayant été conçu pour contribuer à l’intégration urbaine des quartiers populaires, ses objectifs visaient principalement au développement humain de leurs habitants. Selon les mots d’un ancien fonctionnaire de la Direction du développement touristique :
« Nous ne voulions pas que les touristes aillent voir à quoi ressemblent les quartiers vulnérables de la ville de Buenos Aires. Ce que nous voulions, c’est que les personnes qui vivent dans ces quartiers puissent améliorer leur niveau de vie grâce au tourisme » (officiel N° 1, interview, novembre 2021).
20C’est sur cet aspect que la vision d’ENTUR diffère d’autres projets de développement touristique dans les communautés vulnérables d’Amérique latine, où la pratique touristique est davantage liée à l’observation de la réalité négative des communautés visitées (tourisme des bidonvilles), comme cela a pu se produire dans certains cas dans les favelas du Brésil. Comme l’indique l’interviewé : « Nous nous sommes rendu compte, comme cela se faisait à Rocinha au Brésil, que ce n’était pas le modèle que nous voulions appliquer ici. Notre approche consistait à faire que les touristes aillent voir comment les gens vivaient dans le quartier » (officiel N° 1, interview, novembre 2021).
21Les axes, leurs objectifs et leur mise en œuvre respectifs, sont présentés dans le tableau suivant.
PCTU de Rodrigo Bueno
PCTU de Rodrigo Bueno
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ETAPE
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DESCRIPTION
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OBJETIF
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MISE EN ŒUVRE
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COMMENTAIRES
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1.
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Développement des talents et inclusion professionnelle
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Proposer aux habitants des outils qui leur permettent d’avoir une approche du tourisme.
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Formations d’« hôtes touristiques » destinées aux habitants du quartier ayant terminé leurs études secondaires. Une seule personne a suivi ce cours.
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“L’idée était de les former, d’abord sur ce qu’il en était du tourisme, son importance pour la CABA, comment le tourisme impacte la ville et comment, à son tour, ce tourisme peut générer des retombées dans le quartier. Disons sur l’importance que le tourisme peut avoir pour eux dans le développement de leurs activités” (officiel N° 1, interview, novembre 2021).
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Consolider l’ entreprenatiat
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Grâce à cette promotion, deux projets du quartier (Patio gastronomique et Pépinière biologique) ont été mis en oeuvre.
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“Le tourisme est, je peux vous le dire, un invité spécial. Celui-ci peut rentrer chez vous et il faut savoir en prendre soin, bien l’accueillir et lui donner tout ce dont il a besoin, en faisant preuve de confiance. Il me semble que c’est ce que nous attendons du tourisme. Pour moi c’est ça le tourisme. Et sans tourisme nous ne grandirions pas en tant que quartier” (membre du PGRB N° 1, interview, janvier 2021).
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Promouvoir l’enseignement supérieur dans le tourisme et l’inclusion professionnelle
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Sensibilisation au tourisme, à travers des ateliers ouverts à la communauté.
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2
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Développement touristique
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Etude des perceptions
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Réalisée par l’observatoire du tourisme de la ville. L’échantillon comprenait des résidents directement et indirectement liés au secteur du tourisme, ainsi que des personnes non liées à cette activité. L’étude de l’ENTUR a révélé une disposition favorable au développement touristique du quartier. Ceux qui n’ont aucun lien avec le tourisme ont montré pour la plupart une indifférence à l’égard de la proposition, même si leurs réponses étaient variées. Certains résidents ont exprimé des inquiétudes quant à la sécurité des touristes.
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“On a vérifié s’il y avait réellement un intérêt de la part de la communauté à accueillir le tourisme afin de ne pas introduire cette activité de manière forcée » (officiel N° 1, interview, novembre 2021).
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Plan des infrastructures, équipements et signalétique.
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Travail avec le quartier
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“Pendant une grande partie de 2020, vous ne pouviez même pas sortir de chez vous, et donc nous ne pouvions pas faire du tourisme dans la ville. Tout a été différé et nous nous sommes concentrés dans un premier temps sur ce qui concernait la mise au point ainsi que sur les enquêtes de proximité. C’était également difficile pour nous car nous ne pouvions nous rendre sur les lieux. On doit reconnaitre qu’au regard de ce plan ambitieux nous avons pu réaliser que de petites choses” (Officiel N° 1, interview, novembre 2021).
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Développement de circuits touristiques
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Inclusion dans le circuit de Puerto Madero. Il n’y a pas de circuits propres pour le moment.
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Génération et co-création d’expériences touristiques
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De nouvelles initiatives dédiées exclusivement au tourisme n’ont pas encore été réalisées.
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3
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Comunication et promotion
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Visites avec des journalistes, des influenceurs et des prestataires touristiques.
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Présence des médias traditionnels et des réseaux sociaux
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“L’idée a toujours été de pouvoir intégrer les attractions du quartier dans l’offre générale, comme un plus, tout en étant en même temps prudent et conscient que le touriste ne sait pas dans quoi il s’embarque. Car il y a aussi parfois des réalités surprennantes.” (officiel N° 1, interview, novembre 2021)
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Notes Web et intégration de contenu en landing page
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Deux notes sur le site officiel du tourisme de la CABA
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Contenu dans les présentations commerciales.
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Discussions avec des opérateurs locaux et des universités
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Source : l’auteur.
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Source : l’auteur.
22Le processus d’urbanisation réalisé dans le quartier de Rodrigo Bueno est le résultat de l’effort constant de la communauté. Malgré les difficultés rencontrées au cours des dernières décennies, ses habitants ont pu consolider leur implantation sur leur territoire, après de nombreux allers et retours avec la GCBA et un long processus judiciaire qui a finalement statué en leur faveur et qui a abouti à la loi 5798/2017. De cette façon, de nouveaux projets ont vu le jour qui visent à développer le quartier selon des critères de durabilité, dans le cadre de son réaménagement, et qui, en plus de prendre en compte les aspects classiques de l’urbanisation, a également pris en compte une intégration sociale, urbaine et économique participative. C’est ainsi qu’en 2019, ont été créés La Vivera Orgánica (une entreprise de jardinage autonome gérée par 14 résidents du quartier) et El Patio Gastronómico Rodrigo Bueno (qui intègre des entreprises de restauration latino-américaine de 7 résidents du quartier). Ces projets ont été approuvés par le GCBA et ont bénéficié de l’appui de différents secteurs gouvernementaux, ainsi que d’entreprises privées et d’organisations non gouvernementales.
23À cela, s’est ajouté le Plan de Tourisme Communautaire ENTUR, qui a été créé dans le cadre de Rodrigo Bueno et a proposé d’y positionner les deux entreprises susmentionnées pour le tourisme, en profitant de la proximité de ce quartier avec d’autres attractions de la CABA. À cette fin, la communauté locale a été reconnue comme promoteur touristique, des résidents ont été formés et des actions de promotion ont été menées pour augmenter le nombre de visiteurs. De cette façon, on a pu faire connaître, non seulement le projet de la Pépinière et du Patio Gastronomique, mais aussi les actions menées par le GCBA dans le cadre de la transformation du quartier. La Vivera et le Patio Gastronomique ont été conçus pour être des projets durables dans le temps. Cependant, tous deux présentent des résultats différents lorsqu’on les analyse aux critères de ce qui compose le développement du tourisme durable. Bien que les engagements soient assez récents (et ce ajouté au fait que la pandémie a paralysé l’activité touristique), certaines caractéristiques présentes dans le projet peuvent être soulignées pour analyser sa durabilité. D’une manière générale, il présente une certaine dépendance économique et politique puisqu’il s’agit d’un projet promu et soutenu par la GCBA. En ce qui concerne l’environnement, bien qu’il paraisse avoir été traité avec le plus grand soin, il semble que l’existence de nouveaux projets immobiliers in situ puisse l’affecter négativement. Enfin, sur l’aspect socioculturel, le tourisme à Rodrigo Bueno dépend fortement des résultats du processus d’intégration sociale mené par l’IVC.
24Le Plan Tourisme Communautaire se positionne comme un moyen de promouvoir le « tourisme durable », puisqu’en théorie ce type d’expérience peut contribuer de manière significative à la construction de villes plus durables. C’est en ce sens que, le PTCU proposé par l’entité touristique de la CABA, qui est actuellement en cours de réalisation dans deux quartiers populaires de la ville, a été analysé. Le projet a été proposé en prenant en compte les particularités du tourisme communautaire et il a cherché à adapter ce modèle, jusque-là plus présent en milieu rural, aux caractéristiques de la CABA. La plus principale question qui subsiste, lorsqu’il s’agit de cataloguer ou non certaines initiatives dans le terme « tourisme communautaire », réside dans l’absence de consensus quant à sa définition, ce qui se manifeste dans la multiplicité des variantes que l’on rencontre. Pour simplier on pourrait retenir que : le tourisme de proximité peut se développer en milieu urbain à condition que sa caractéristique fondamentale, c’est-à-dire la participation active de la communauté, soit respectée.
25En ce qui concerne le cas analysé, à Rodrigo Bueno, il n’y a toujours pas de propositions communautaires dédiées exclusivement à la fourniture de services touristiques. Dans le même temps, la GCBA mène des activités touristiques, telles que des visites guidées et l’inclusion du quartier dans des festivals et des événements urbains, qui ne correspondent pas à un critère « communautaire », dans la mesure où ils induisent peu de participation de la communauté locale. Jusqu’à présent, le tourisme est présenté comme une activité de plus qui complète les revenus de certains habitants du quartier. Bien que, d’après la théorie, le plan de tourisme d’ENTUR vise à contribuer au développement humain et durable de ses habitants, dans le cas de Rodrigo Bueno, les activités touristiques ne relèvent pas encore de l’autogestión communautaire.
26Comme cela a été abordé dans ce texte, concernant Rodrigo Bueno, dans le cadre du PTCU il a été décidé de travailler sur le positionnement touristique des deux initiatives préexistantes que sont la Vivera Orgánica et le Patio gastronomique Rodrigo Bueno. D’abord, il ne s’agit pas de projets touristiques à proprement parler. Mais, en raison de leurs caractéristiques, il s’agit de projets qui cherchent à se positionner comme des attractions, en partie parce qu’ils sont proches d’autres attractions (en particulier de Puerto Madero et de sa réserve écologique). Cela coïncide avec l’idée de Puig et Mere (2014) selon laquelle le tourisme pourrait « venir plus tard », c’est-à-dire que la communauté devrait d’abord être renforcée et organisée, puis s’ouvrir à l’activité touristique. Cependant, à l’aune de la théorie présentée et du matériel empirique mobilisé, on peut affirmer que La Vivera est constituée de manière communautaire, tandis que El Patio Gastronómico est composé de divers membres qui ne constituent pas « une communauté », dès lors qu’il intègre des acteurs publics et privés qui ne sont pas résidents du quartier. Aussi, s’il est évident que les entreprises analysées contribuent avant tout au développement de leurs membres, leur durabilité pourrait être affectée en raison de leur degré de dépendance vis-à-vis des acteurs extérieurs. En ce sens, le tourisme urbain a de grands impacts territoriaux qui contribuent à produire des changements symboliques et matériels dans différentes parties de Buenos Aires. Les discours officiels de la GCBA soulignent que le secteur du tourisme doit se développer en termes de durabilité, et l’ENTUR affirme qu’il ne presente pas actuellement de problèmes en termes d’environnement (Natale, 2021). On note cependant, dans la diversification de l’offre touristique de la ville, l’arrivée de nouvelles attractions et l’émergence de nouvelles propositions telles que le LVO et le PGRB.
27En ce qui concerne la motivation de l’adminsitration locale à mettre en œuvre ce type de tourisme, on a pu observer que l’activité touristique, dans le cas étudié, répond aux besoins découlant d’autres projets. C’est ici qu’entrent en jeu les lectures sur la néolibéralisation de l’espace. C’est pourquoi un aspect central de la recherche aura été d’établir le lien entre l’activité touristique dans les quartiers populaires liée aux processus de redéveloppement et l’intégration socio-urbaine qui y a été menée depuis 2016. Cependant, dans le positionnement de ces activités, principalement promues par différents services de la ville, l’image de ces espaces qui a été transmise est toujours liée à la transformation promue par la GCBA. Notons que l’accent est généralement mis sur les aspects positifs et la nature participative du processus, alors qu’en général la question des conflits qu’il engendre est évitée. En même temps, cela se trouve coïncider avec le vaste processus de marchandisation de la terre, qui pour Pírez (2022) correspond à une stratégie néolibérale d’accaparement de nouveaux espaces, comme on a pu l’observer dans ce quartier populaire.
28Pour terminer, je m’intéresserai à reprendre certaines des discussions théoriques présentées au début de ce travail. Comme nous l’avons vu, l’idée de « tourisme communautaire » en Amérique latine a eu différentes significations au fil du temps. Au debut il s’agissait d’un phénomène lié à la notion de « communauté » avec des interprétations ethniques, et ce jusqu’à aujourd’hui, où ce terme fait référence à un modèle de gestion. Cela nous permet d’observer la nature performative du tourisme, et les différentes implications qu’il a lorsque ce type de projet est proposé à partir de visions extérieures à la « communauté » qui gère le tourisme. Dans le cas de Rodrigo Bueno, nous avons observé que les intentions du gouvernement de recourir à une rhétorique communautaire pour développer le tourisme dans le quartier n’ont pas eu les résultats escomptés. L’image officielle construite à propos du quartier, à travers différents moyens de communication, a changé au cours de ces dernières décennies en fonction des besoins et des intérêts spécifiques des différents gouvernements. Comme cela a été souligné, les pratiques observées ne correspondent pas nécessairement aux pratiques du tourisme communautaire, ce qui nous conduit à nous interroger sur l’utilisation de ce terme par des agents extérieurs en vue de créer une représentation territoriale ad hoc.
29Toutefois, il convient de noter qu’au moment de la rédaction de cet article, le PTCU était encore en cours d’élaboration et que, à son tour, la pandémie a ralenti l’activité touristique et ralenti le rythme de mise en œuvre du plan. En outre, il existe des projets en cours de mise en œuvre (tels que le développement immobilier de Costa Urbana, des opérations urbanistiques propres au quartier et de nouveaux projets touristiques), qui pourraient avoir une implication directe sur le tourisme à Rodrigo Bueno. En ce sens, il est essentiel qu’à l’avenir il fasse l’objet d’un suivi afin d’analyser, avant tout, les impacts, tels qu’ils sont perçus par la population locale. De cette façon, il ne s’agit pas de souligner négativement, en terme de « marchandisation », la construction du quartier en tant qu’attraction touristique, mais plutôt de mettre en évidence l’action de ses propres acteurs dans la prise de décision concernant le processus observé. Ainsi, l’appropriation par les habitants d’outils de gestion communautaire dans leur pratique touristique pourrait devenir la question fondamentale.