1Le droit d'accès à l'information environnementale est l'un des droits environnementaux les plus importants d'un point de vue procédural. Sur le plan international, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (2021) a considéré ce droit comme fondamental et indispensable à la mise en œuvre d'autres droits humains, tels que le droit de vivre dans un environnement sain et le droit à la santé. Il constitue également une garantie essentielle pour la réalisation du développement durable et pour la démocratisation des politiques publiques environnementales (Zaouaq, 2016).
2Ce droit a été établi sur le plan international par la déclaration de Rio de 1992, qui stipule dans son principe 10 que « les États doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à disposition de celui-ci » (Nations Unies, 1992). Il est également soutenu par plusieurs accords internationaux et régionaux, tels que la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, adoptée à Aarhus le 25 juin 1998 (Nations Unies, 1998). Cet instrument, juridiquement contraignant, est considéré en 2014 par Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies, comme un cadre majeur accordant le droit d’accès à l’information environnementale (Nations Unies, 2014). Après la Convention d’Aarhus, un autre accord est venu renforcer les principes qu’elle a établis : la Convention, officiellement appelée l’Accord régional sur l’accès à l’information, la participation du public et la justice en matière d’environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes d’Escazú (Nations Unies, 2018).
3En effet, de nombreux pays ont intégré ce droit dans leur législation, principalement en réponse aux directives émanant d’organisations internationales et régionales appelant à son adoption, ainsi qu'aux pressions exercées par les médias et les organisations de la société civile, une observation relevée par le Conseil d’État français (2013). Il est important de noter que la reconnaissance du droit d'accès à l'information a évolué progressivement à l'échelle mondiale, particulièrement depuis sa consécration lors de la Conférence de Rio de Janeiro en juin 1992.
- 1 Définition conceptuelle du droit d'accès à l'information environnementale, à partir de la conventio (...)
4En réalité, le droit d'accès à l'information environnementale est un droit procédural dont toute personne physique ou morale peut se prévaloir pour demander ou recevoir des informations relatives à l'environnement auprès des autorités publiques compétentes1. Il sert donc de levier pour une protection environnementale accrue (Baril, 2009). Il est étroitement lié à l'enracinement d'une culture de transparence, de responsabilité et de participation des citoyennes dans la gestion de leurs affaires publiques.
5Ce droit peut être exercé de deux manières : la divulgation passive, qui consiste à mettre les informations sur les activités et travaux administratifs à la disposition du grand public, et la divulgation proactive, initiée par une demande explicite des citoyens pour obtenir un document ou une information environnementale spécifique (Al-Tawil, 2021).
6Ainsi, le droit d'accès à l'information environnementale constitue une pierre angulaire pour renforcer la pratique démocratique et atteindre les objectifs de développement durable. Son importance se manifeste par son rôle central dans la promotion des principes de bonne gouvernance, en améliorant la transparence et en encadrant l'action administrative. Ce droit permet également de légitimer l'action publique en renforçant le pouvoir des citoyens à contrôler la mise en œuvre de l'intérêt général, garantissant ainsi leur participation active à la formation de décision administrative. En outre, il accroît leur capacité à participer à l'élaboration des politiques environnementales, ce qui contribue efficacement à la réalisation de la démocratie environnementale (Sauvé, 2013).
7Conscient de l'importance du droit d'accès à l'information en général, en tant que condition essentielle pour consolider la démocratie environnementale et renforcer la confiance et la transparence dans la relation entre l’administré et l'administration, le législateur Marocain a constitutionnalisé le droit d'accès des citoyens à l'information dans l'article 27 de la constitution de 2011 (Constitution marocaine, 2011). Pour mettre en œuvre cet article, la loi n°31.13 a été promulguée en 2018, définissant le champ d'application, les conditions et les modalités d’exercice de ce droit (Bulletin officiel Maroc, 2018).
8Il convient de souligner que l'impact de ces textes législatifs, en termes de facilitation de l’accès à l’information au public, dépend de leur conformité avec les normes internationales pertinentes en matière de droit d'accès à l'information environnementale, en particulier les références normatives. D'où l'utilité d'analyser le cadre juridique marocain régissant ce droit, pour évaluer dans quelle mesure le législateur a réussi à concilier les garanties et les restrictions liées à son exercice. Ainsi se pose la question : dans quelle mesure les garanties légales au Maroc permettent-elles un exercice effectif du droit d'accès à l'information environnementale ?
9Pour répondre à cette question, nous devons distinguer deux axes fondamentaux : le premier aborde les garanties qui facilitent la mise en œuvre de ce droit, tandis que le deuxième concerne les restrictions qui limitent son exercice.
- 2 Le principe de légalité peut se définir simplement comme la soumission de l'administration au droit
10Les garanties administratives et judiciaires jouent un rôle clé dans la protection et la facilitation de l'exercice du droit d'accès à l'information environnementale. Ces mécanismes assurent le respect du principe de légalité tout en restreignant le pouvoir discrétionnaire de l'administration2, ce qui oblige l'administration à respecter les dispositions de la loi et à ne pas s'en écarter. Il existe plusieurs sources législatives permettant de protéger le droit d'accès à l'information. Au sommet de la hiérarchie législative se trouve la protection constitutionnelle, elle élève ce droit au rang constitutionnel, favorisant ainsi la transparence, la liberté d'opinion et d'expression au sein de la société.
- 3 L'article 27 de la constitution précise que : « Les citoyennes et les citoyens ont le droit d'accéd (...)
- 4 Le préambule de la constitution de 2011 affirme que le Royaume du Maroc reste fidèle à son choix ir (...)
11Le Maroc s'est appuyé sur les garanties administratives et judiciaires dans sa protection de ce droit. En effet, l'article 27 de la Constitution marocaine stipule que les citoyens ont le droit d'accéder à l'information détenue par l'administration publique, les institutions élues et les organismes investis d'une mission de service public et, ce droit ne peut être limité que par la loi3. Ainsi, la garantie constitutionnelle figure parmi les piliers les plus solides du système juridique de l'État. L'inclusion de ce droit dans la Constitution de 2011 est l'aboutissement d'un processus prolongé, aligné sur les engagements internationaux du Maroc en matière de droits et de libertés4, étant donné que la constitution marocaine a réaffirmé l’engagement du Royaume d’accorder aux conventions internationales dûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la constitution et des lois du Royaume, la primauté sur le droit interne du pays.
12Pour mettre en œuvre l'article 27 sus-cité, la loi n°31.13 relative à l’exercice du droit d’accès à l’information a été promulguée. Elle prévoit un mécanisme de recours administratif interne lorsque l'administration ne répond pas à une demande d'accès à l'information dans les délais prescrits. Si cette démarche échoue, le recours ultime consiste à ce que la personne intéressée peut s'adresser à la commission du droit d'accès à l'information. En dernier ressort, après l’épuisement des voies de recours administratives par le requérant, il existe une protection judiciaire qui lui permet de faire appel devant le tribunal administratif compétent contre la décision de refus de sa demande.
13Le premier mécanisme administratif mis en place par le législateur marocain pour garantir l'exercice du droit d'accès à l'information permet à la personne demandeur de porter plainte auprès du président de l'institution ou de l'organe chargé du traitement de sa demande, et ce, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n°31.13, qui affirme qu’en cas de non-réponse ou de réponse négative à sa demande, le demandeur peut déposer une plainte dans un délai de 20 jours ouvrables suivant l'expiration du délai réglementaire imparti. Le président de l'institution concernée doit ensuite étudier la plainte et informer le demandeur de la décision prise dans un délai de 15 jours. Ce recours administratif est un préalable obligatoire à toute action en justice, favorisant ainsi la résolution amiable des litiges ou des différends et limitant les complications procédurales pour les deux parties.
14Lorsqu'on compare la situation au Maroc avec celle d'autres pays, on remarque des différences notables. Par exemple, en Tunisie, l'article 29 de la loi fondamentale n°22 relative au droit d'accès à l’information permet au demandeur insatisfait de déposer un recours gracieux auprès du chef de l'organisme concerné dans un délai de 20 jours suivant la notification de la décision (Bulletin officiel Maroc, 2018). Le chef de l'entité concerné est tenu de lui répondre dans les plus brefs délais possibles à condition de ne pas dépasser un délai maximum de 10 jours à compter de la date du dépôt de la demande en révision. La non-réponse du chef de l’organisme concerné, pendant ce délai, vaut refus tacite, et la législation tunisienne permet au demandeur de passer outre l'étape du recours au chef de l'entité administrative et de faire un recours directement auprès de l’instance d’accès à l’information.
- 5 L’article L231-4 précise que « le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décisio (...)
15Le législateur français, quant à lui, a pris une approche distincte en mettant fin à la pratique du refus implicite de l'administration. Selon la directive européenne n°2003/4/CE, le silence de l'administration est considéré comme une violation du principe de légalité. Par conséquent, toute décision de refus doit être explicite, écrite et motivée, avec une indication claire des voies et délais de recours, sous peine de nullité (Union européenne, 2003). Ainsi, le législateur français accorde une attention particulière aux demandes d'accès à l'information environnementale en obligeant l'administration à répondre de manière explicite à ces demandes et à étudier chaque cas individuellement, considérant que les dispositions de l'article L.232-4 du Code des relations entre le public et l'administration ne sont pas applicables en cas de refus de fournir l'information environnementale5.
16En ce qui concerne le deuxième mécanisme adopté par le législateur marocain pour protéger le droit d'accès à l'information et accorder d'autres garanties aux demandeurs, on a le recours à la commission du droit d'accès à l'information. Selon l'article 20 de la loi n°31.13, si un demandeur ne reçoit pas de réponse à sa demande d'information, il a la possibilité de saisir cette commission dans un délai n'excédant pas 30 jours. Ce délai court à partir de l'expiration du temps réglementaire imparti pour la réponse du président de l'institution ou de l'organisme concerné. La commission a 30 jours suivant la réception du recours pour statuer sur la saisine. À noter que le requérant a le choix d'adresser sa plainte soit par courrier recommandé, soit par courrier électronique avec accusé de réception. Cette voie de recours n'est toutefois accessible qu'après avoir épuisé les procédures administratives internes auprès de l'organe compétent.
- 6 Selon le 2e paragraphe de l’article 30 de la Loi organique n°2016-22, relative au droit d’accès à l (...)
17En comparaison, la loi tunisienne n°22 prévoit un délai d'appel plus court pour les demandeurs qui souhaitent faire appel à l’instance d'accès à l'information6, par rapport au délai fixé par la loi marocaine n°31.13. Par ailleurs, en France, le délai pour saisir la commission d'accès aux documents administratifs est de 60 jours, similaire donc au délai fixé par la législation marocaine. Toutefois, la France se distingue en dispensant le demandeur de l'obligation de déposer préalablement une plainte auprès du chef de l’organe concerné. Ainsi, le demandeur peut contester directement toute décision de refus devant la commission compétente.
18En outre, il est important de souligner que la création de la commission du droit d'accès à l'information au Maroc représente une avancée significative pour garantir et protéger ce droit. Le cinquième chapitre de la loi n°31.13 est entièrement consacré à cette commission, détaillant ainsi, sa composition, ses missions, et les pouvoirs qui lui sont attribués. Placée sous l'autorité du chef du gouvernement, la commission a pour principale mission de veiller sur le respect du droit d'accès à l'information (Article 22, Bulletin Officiel Maroc, 2018).
19Outre les garanties administratives mentionnées précédemment, la loi n°31.13 offre également des garanties judiciaires, le demandeur d'information peut contester devant le tribunal administratif compétent toute décision du responsable de l'institution ou de l'organisme concerné qui n'a pas donné suite favorable à sa demande. Ce recours doit être introduit dans un délai de 60 jours à compter de la date de réception de la réponse de la commission du droit d'accès à l'information concernant sa plainte, ou à partir de l'expiration du délai légal imparti pour répondre à cette plainte. Avant de saisir le Tribunal, le demandeur doit obligatoirement épuiser la procédure de recours interne devant la commission, pour que sa demande de recours soit recevable par l’autorité judiciaire. À noter que l'article 21 de la loi n°31.13 ne fixe pas de délai précis pour que le tribunal administratif statue sur les litiges, notamment en cas d'urgence. Il aurait été souhaitable que la loi exige explicitement des délais raisonnables pour le traitement judiciaire des recours relatifs à l’accès à l’information environnementale, surtout dans les situations urgentes.
20Contrairement au législateur tunisien, qui a mis en place dans le chapitre 8 de la loi fondamentale n°22 une série de sanctions à l'encontre de toute personne entravant intentionnellement l'accès à l'information, le législateur marocain n'a pas défini de sanctions à imposer aux institutions et organismes d'État en cas de refus de divulguer des informations, en dehors des cas prévus par la loi n°31.13. Il s'est limité à instaurer des sanctions disciplinaires visant la personne chargée de la mission de recevoir les demandes d'accéder à l'information, de les étudier et de fournir les informations demandées, s'il s'abstient de fournir les informations demandées, sachant que l'exécution de la sanction ne peut être infligée si le prévenu prouve sa bonne foi. Chose qui reste subjective et non fondée.
21Le législateur marocain aurait donc pu mettre en œuvre des garanties plus substantielles et adéquates pour promouvoir l'accès à l'information publique. Pour ce faire, il pourrait s'inspirer des lois comparables, telles que les modèles tunisien et français, qui ont inclus des dispositions spécifiques pour faciliter l’exercice de ce droit. Parmi ces dispositions, on pourrait citer la simplification des procédures de recours administratives, comme l'exemption au demandeur d’information de l'obligation de déposer une plainte auprès du chef de l'organisme concerné, ou encore lui permettre de s'adresser directement à la commission responsable de la protection du droit d'accès à l'information. En outre, le législateur pourrait réduire le délai légal durant lequel le demandeur peut introduire un recours devant la commission du droit d'accès à l'information en cas de non réponse à sa demande. Ce faisant, il pourrait s'inspirer de modèles démocratiques ayant fait des progrès significatifs dans la promotion du droit d'accès à l'information, notamment en matière environnementale, en soumettant ce droit à des procédures légales particulières et spéciales, à l'instar de la législation française.
22Il ne fait aucun doute que le Maroc a franchi des étapes importantes sur le plan législatif afin de promouvoir la culture du droit d’accès à l'information. De nombreuses garanties ont été mises en place pour protéger ce droit, avec en tête, les garanties constitutionnelles, suivies des garanties légales apportées par la promulgation de la loi n°31.13.
23Cependant, l'adoption de cet arsenal juridique reste encore loin de satisfaire aux exigences des bonnes pratiques internationales liées à l'exercice du droit à l'information environnementale.
24En effet, l'exercice de ce droit est soumis à de nombreuses contraintes qui vont à l'encontre des objectifs des lois régissant la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations. Ces contraintes résultent principalement de l'inadéquation des législations actuelles pour établir une pratique correcte de ce droit. Elles concernent tant les restrictions imprécises qui limitent l'exercice de ce droit que les sanctions stipulées dans le sixième chapitre de la loi n°31.13, relatives à l'utilisation ou à la réutilisation des informations obtenues.
25Quant aux restrictions liées à l'exercice du droit à l'information, elles sont énoncées dans le deuxième chapitre de la loi n°31.13 et se répartissent en trois types.
26Le premier type comprend les restrictions soumises à une confidentialité totale pour l'intérêt public. Elles concernent toutes les informations relatives à la défense nationale, à la sécurité intérieure et extérieure de l'État, ainsi que celles liées à la vie privée des personnes ou qui revêtent un caractère de données personnelles. S'ajoutent à celles-ci les informations dont la divulgation porterait atteinte aux libertés et droits fondamentaux prévus par la constitution, ainsi qu'à la protection des sources d'information.
27Le deuxième type concerne les restrictions relatives, qui englobent les informations dont la divulgation pourrait causer un préjudice à l'un des domaines suivants :
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Les relations avec un autre pays ou une organisation internationale gouvernementale ;
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La politique monétaire, économique ou financière de l'état ;
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Les droits de propriété industrielle, les droits d'auteur ou les droits connexes ;
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Les droits et intérêts des victimes, témoins, experts et dénonciateurs ;
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Le caractère confidentiel des délibérations du conseil des ministres et du Conseil du gouvernement ;
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Les principes de concurrence libre, légale et loyale, ainsi que l'initiative privée ;
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La confidentialité des délibérations du conseil des ministres et du conseil du gouvernement.
28Quant aux exceptions conditionnelles, elles sont soumises à l'exigence d'obtenir une autorisation préalable des autorités compétentes. Elles concernent les informations liées à la confidentialité des investigations et enquêtes administratives, ainsi qu'à celles liées au déroulement des procédures juridiques et des procédures introductives y afférentes.
- 7 « Un test selon lequel l’information ne peut être maintenue secrète que lorsque l’intérêt du public (...)
29Il est à remarquer que les exceptions énoncées dans l'article 7 de la loi n°31.13 sont larges et non précises, et ne sont pas soumises au test du préjudice et d’introduire la primauté de l'intérêt public (Article 7, Bulletin Officiel Maroc, 2018)7. Cela ouvre la porte à des interprétations qui pourraient vider la loi de sa substance. De plus, la loi marocaine ne prévoit pas de délais pour la levée des interdictions sur les informations dont la divulgation est interdite, de sorte que la plupart des informations secrètes finissent par être divulguées. En revanche, la loi tunisienne n°22 relative au droit d'accès à l'information soumet les exceptions énumérées dans son chapitre 4 au test de préjudice, et les soumet également au test de l’intérêt public.
30À cet égard, il est à noter que le Conseil national des droits de l'homme (2016), dans son avis sur le projet de loi numéro 31.13, a appelé à l'inclusion d'une disposition juridique pour encadrer ces restrictions. Le but serait de limiter le pouvoir des instances concernées dans la définition des restrictions, et ceci, en conformité avec l'observation générale numéro 34 émise par le comité des droits de l'homme. Cette dernière stipule que « les mesures restrictives doivent être conformes au principe de proportionnalité ; elles doivent être adaptées à leur fonction protectrice et proportionnées à l'intérêt qu'elles sont censées protègent » (Comité des droits de l’homme des Nations Unies, 2011). Le conseil a également suggéré de s'inspirer de la loi-type africaine afin de définir de manière précise les restrictions relatives à la défense nationale. En effet, le législateur marocain n’a pas explicitement défini le terme « défense nationale » dans l’article 187 du Code pénal marocain, se limitant uniquement aux informations, objets et outils considérés comme des secrets de défense nationale (Code pénal marocain, 1962). Quant à la sécurité nationale, les principes de Tshwane sur la sécurité nationale et le droit à l'information ont considéré qu'il n'y a pas de restrictions limitant le droit d'accès à l'information pour des raisons de sécurité nationale, à moins que le gouvernement ne puisse démontrer et prouver ce qui suit :
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Que ces restrictions sont prévues par la loi ;
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Qu'elles sont nécessaires dans une société démocratique ;
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Qu'elles protègent les intérêts légitimes de la sécurité nationale ;
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Que la loi fournisse des garanties suffisantes contre leur mauvaise utilisation, y compris un contrôle immédiat, complet et efficace de la validité de ces restrictions, supervisé par un organe indépendant de surveillance, et qu'elles soient soumises à un examen complet par les tribunaux (Open Society Foundations, 2013).
31De même, le rapporteur spécial de l’ONU chargé de promouvoir et de protéger le droit à la liberté d'opinion et d'expression, M. Frank La Rue, dans son rapport sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, estime que les principes de Tshwane servent de référence pour les états souhaitant s’assurer que les lois et les pratiques nationales relatives à la rétention de l’information pour des raisons de sécurité nationale se conforment amplement aux normes internationales relatives aux droits de l’homme (Nations Unies, 2013).
32Par ailleurs, il est à noter que les exceptions de nature relative que nous avons classées comme 2e type, énoncées dans l'article 7 de la loi n°31.13, sont réglementées par des dispositions législatives spéciales selon l'interprétation littérale du texte juridique. Toutefois, ce dernier n'a pas renvoyé aux lois qui encadrent ces exceptions, ce qui élargit nécessairement leur portée. Conscient de cet enjeu, le Conseil national des droits de l'homme a appelé à définir les exceptions relatives aux informations dont la divulgation pourrait compromettre les relations extérieures marocaines et ce, conformément à des critères spécifiques et connus, d'autant plus que cette confidentialité est protégée par le droit international.
33De plus, il demeure inacceptable que les droits de propriété industrielle continuent de servir de prétexte aux entreprises pour échapper à la divulgation proactive ou passive d'informations environnementales. Ce constat a été évoqué par le rapporteur spécial, Baskut Tuncak, dans son rapport sur les incidences sur les droits de l'homme de la gestion et de l'élimination écologiquement rationnelle des produits et déchets dangereux, où il a affirmé que de nombreuses informations sur les substances utilisées, produites et émises par les activités industrielles et gouvernementales, ainsi que sur leur élimination en tant que déchets, demeurent encore largement méconnues. Tel est le cas des nouveaux additifs chimiques ajoutés aux aliments sans l'aval des autorités et sans que le grand public puisse accéder à des informations sur l'identité et l'innocuité de ces substances (Nations Unies, 2015). De ce fait, les informations fournies aux consommateurs sur les substances dangereuses restent limitées et indisponibles sous prétexte de droits de propriété industrielle. Cela conduit à classer de nombreuses informations sur les caractéristiques des substances dangereuses comme des secrets commerciaux, dépassant ainsi largement les impératifs de protection de ces secrets (Knox, 2013). Par conséquent, l'état est tenu de prendre des actions concrètes pour lutter contre les dommages environnementaux susceptibles d'affecter le droit au respect de la vie privée et familiale, que la pollution provienne d'activités publiques ou privées (Knox, 2013). Cela implique la levée de la confidentialité sur les informations environnementales, surtout en cas de risque environnemental menaçant la santé humaine et l'intégrité des écosystèmes.
34En outre, la loi n°31.13 qualifie d'informations comme confidentielles celles dont la divulgation nuirait aux principes de concurrence libre, légale et loyale, ainsi qu'à l'initiative privée, sans en préciser la signification. Cette ambiguïté peut ouvrir la voie à une interprétation extensive, élargissant ainsi le champ des exceptions et limitant l'exercice du droit d'accès à l'information. Outre les restrictions mentionnées ci-dessus, d'autres ont été imposées quant à l'utilisation et à la réutilisation des informations. C'est le cas de celles évoquées par l'article 29 de la loi n°31.13, qui mentionne que toute altération du contenu des informations obtenues, ayant porté préjudice à l'organisme concerné, ou toute utilisation ou réutilisation de ces informations ayant porté atteinte à l'intérêt général ou aux droits d'autrui, expose la personne qui a obtenu ou utilisé lesdites informations à des sanctions pénales. Bien que cette loi se fonde sur les principes de divulgation maximale, stipulant que ses dispositions prévalent en cas de conflit avec d'autres dispositions légales ou réglementaires (Déclaration universelle des droits de l’homme, Article 19, 1999), cette prérogative est contredite par le paragraphe 5 de l'article 7 de la loi n°31.13 qui considère également comme une exception au droit d'accès à l'information les informations couvertes par la confidentialité en vertu des dispositions législatives spéciales en vigueur.
35Parmi les autres obstacles entravant l'exercice du droit d’accès à l'information environnementale figure la nécessité de respecter le secret professionnel, comme en témoigne l'article 28 de la loi n°31.13. Ce dernier affirme que toute personne enfreignant les dispositions de l'article 7 de cette même loi, qui détermine les exceptions à l'exercice du droit d’accès à l’information au Maroc, est considérée comme ayant commis un crime de divulgation du secret professionnel et s'expose à une peine d'emprisonnement allant d'un mois à six mois et à une amende allant de 1 200 à 20 000 dirhams.
- 8 Selon l'article 446 du Code pénal marocain : « toutes personnes dépositaires, par état ou professio (...)
36Il apparaît que le législateur marocain a voulu, à travers l'instauration de ces sanctions dans les articles 28 et 29 de la loi n°31.13, imposer une restriction supplémentaire au droit d'accès à l'information. L'accent est mis davantage sur la protection des institutions et des organismes publics lorsqu'ils publient des informations de manière proactive ou interactive. Toutefois, il renforce la sanction pour tout demandeur d'information ayant enfreint les dispositions de l'article 7 de la loi précitée, en se référant à l'article 446 du Code pénal8.
37En guise de conclusion, il est évident que la législation marocaine n'a pas pris en considération la spécificité de l'information environnementale lors de sa réglementation, surtout lorsqu'elle a défini les restrictions relatives à l'exercice du droit d’accès à l'information. En effet, ces restrictions sont formulées de manière vague et non précises, sans être soumises au test du préjudice et d’introduire la primauté de l'intérêt public. En désaccord avec les termes suggérés dans l'Accord d'Aarhus, ainsi qu'aux lignes directrices et bonnes pratiques pour l’élaboration d’une législation nationale sur l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice dans le domaine de l’environnement. Ces dernières stipulent qu'un nombre limité d'exceptions peut être invoqué pour refuser l'accès aux informations environnementales.
38Il est indiscutable que la limitation de l'exercice du droit d'accès à l'information environnementale entrave la participation du public aux prises de décisions publiques. Cela contrevient à l'approche participative que la constitution de 2011 a établie comme principe fondamental, en plaçant le citoyen au cœur du processus décisionnel et en lui permettant de participer activement aux décisions qui le concernent. Le citoyen est ainsi considéré comme l'expert de son cadre de vie, ce qui peut améliorer l'action publique et développer la culture civique.
39Ainsi, l'exercice du droit d'accès à l'information environnementale commence par l'obligation pour les institutions et les organismes publics de publier le maximum d'informations environnementales en leur possession. Ils doivent aussi se référer aux principes directeurs des Nations unies relatifs à la gestion et à la diffusion de l'information environnementale. Cela inclut le principe de divulgation maximale des informations environnementales, la limitation des restrictions à l'exercice de ce droit, qui doivent être conformes au principe de la proportionnalité, ainsi que la nécessité de protéger les lanceurs d'alerte sur les violations environnementales contre les représailles, les sanctions disproportionnées et le traitement injuste.