Avant-Propos
Texte intégral
1Le phénomène des migrations internationales d’étudiants n’a cessé de croître au cours des trois dernières décennies.
2Un accord s’est fait récemment pour ranger ces flux migratoires dans la catégorie que les chercheurs de langue anglaise désignent par les termes de « skilled migrations »1, termes généralement traduits dans notre langue par l’expression « migrations de compétences » ce qui ne paraît pas particulièrement heureux ...
3Leur inclusion dans cette catégorie va dans le sens de la tendance qui a longtemps prévalu de situer leur examen essentiellement dans le cadre des questions soulevées par les phénomènes dits d’« exode des cerveaux » (ou « brain-drain » ...).
4Cependant l’ampleur même du phénomène fait craindre que sous le trait commun trop général de « mobilité internationale a finalité universitaire » ne soient amalgamées des réalités trop dissemblables pour rendre satisfaisante leur appréhension sous un concept unique.
5L’un des résultats de la recherche que nous avons conduite sur ce thème2, et dont sont issus les textes présentés ci-après, a été précisément d’apporter quelque clarté a ce problème conceptuel.
6Il est apparu que ces flux pouvaient, et devaient, être regroupés en deux types principaux se différenciant par les contextes de relations internationales fort contrastés dont ils relèvent.
7Le premier de ces types est celui auquel répondent de façon tout à fait exemplaire, les flux importants d’étudiants originaires du Maghreb qui, a partir de la décolonisation, et dans son sillage, jusqu’à nos jours se sont traditionnellement dirigés vers les universités françaises. Le contexte de ces migrations est celui auquel renvoie l’idée de coopération au sens d’aide au développement, On peut estimer que ce type de flux représente une des multiples facettes de ce complexe de rapports inégaux que l’on a pris l’habitude de désigner par les termes de « relation Nord-Sud ».
8Le second contexte est celui qui s’instaure a partir de années 80 et qui voit les échanges universitaires entre pays du « Nord » -et particulièrement au sein de la communauté européenne- s’accroître considérablement, mais, cette fois, dans la logique du développement d’un « marché de la formation supérieure ». Les flux internationaux d’étudiants prennent ici un tout autre sens. Ils représentent à la fois un enjeu et un indice d’attractivité au sein d’un système de relations qui mêle inextricablement logique de compétition et logique de coopération.
9Comme le montre L.Vollenweider-Andresen dans son article sur les contours statistiques globaux du phénomène, la situation actuelle est caractérisée par un accroissement constant des flux du second type (Nord-Nord...) coïncidant avec un déclin relatif des flux du premier type (Sud-Nord...)
10Une telle évolution, qui semble priver la problématique du « brain-drain » d’une partie de sa pertinence, appelle toutes sortes d’explications et d’interprétations. Mais elle porte d’abord à s’interroger sur les politiques suivies en la matière par les pays concernés par ces migrations étudiantes.
11Les articles que nous présentons ici, à l’exception du premier, traitent tout particulièrement de cet aspect.
12Dans les quatre premières de ces contributions, des analyses conduites respectivement par C. Wilpert et G. Wilpert, G, Campani, J. Streiff-Fenart et V.Borgogno et L. Vollenweider-Andresen font le point sur la situation dans ce domaine en Allemagne, en Italie et en France, trois pays européens figurant parmi ceux qui accueillent des étudiants étrangers. Ces analyses soulignent d’abord la convergence des politiques suivies par ces pays. Celles-ci ont pour point commun de paraître s’efforcer de limiter voire de réduire, par l’imposition de contrôles plus rigoureux et de règles plus strictes, la part de leur immigration étudiante en provenance des pays du Sud.
13Les contraintes économiques jouent certainement un rôle non négligeable dans une telle réorientation. Mais on doit y voir aussi, et sans doute surtout, une conséquence des termes identiques dans lesquels est aujourd’hui posé dans ces pays, le problème politique de l’immigration en général. Elle est le signe que ces migrations « spécialisées » sont désormais gérées à partir d’un point de vue qui les banalise et tend à souligner exclusivement leur appartenance à un immigration « à risques », par opposition à un point de vue davantage fondé sur des considérations, et des valeurs, universitaires.
14Ces contributions ne se limitent heureusement pas à scruter ce schéma politique commun. Elles montrent comment cette situation se décline de manière variable dans les trois pays en fonction de tout ce qui peut les séparer à toutes sortes de point de vue. Le phénomène migratoire est à même ici, une fois de plus, de jouer ce rôle de puissant révélateur des particularités des sociétés d’accueil qui lui a été depuis longtemps reconnu...
15Les deux contributions suivantes sont consacrées à l’analyse des politiques suivies par deux pays à forte émigration d’étudiants : l’Algérie dont le cas est traité par Hocine Labdelaoui et la Grèce qui fait l’objet d’une analyse particulièrement approfondie conduite par Ross Fakiolas.
16Le travail d’H.Labdelaoui est riche d’enseignements qui, au delà du cas algérien, valent sans doute aussi pour les autres pays du Maghreb ou d’autres pays dits « en voie de développement » à fort contingent d’étudiants expatriés. Sa première vertu est sans doute de nous rappeler l’importance que revêt, aujourd’hui encore, pour ces pays la possibilité de recourir aux systèmes d’enseignement supérieur de pays étrangers pour la formation d’une partie de leurs cadres. Non moins importante est la distinction qu’il nous invite à opérer entre une émigration étudiante « libre » et une émigration gérée et financée par l’Etat, participant du processus de reproduction des classes dirigeantes, et devenue un puissant enjeu social.
17Le cas de la Grèce est plus singulier. Désormais intégré à la communauté européenne, ce pays se distingue par une émigration étudiante encore aujourd’hui très importante. Les conditions dans lesquelles se sont historiquement inscrits ces flux, que R. Fakiolas analyse longuement, conduisent à leur attribuer la signification d’une sorte de privatisation par ce pays d’une partie de sa formation supérieure, opérée sur la base d’un rigoureux système de sélection à l’entrée des universités nationales. Aujourd’hui, la signification de ces migrations semble modifiée. Les faiblesses structurelles qu’elles trahissaient initialement sont en partie surmontées et ces flux, qui tendent désormais à s’inscrire dans la logique du système d’echanges universitaires « Nord-Nord », semblent privés, pour une partie au moins, de justification. Cette situation appelle selon l’auteur une politique qui, sans rompre avec les logiques sur lesquelles est fondé le développement du « marché » international de la formation supérieure (qu’il n’entend nullement récuser) s’efforce d’en corriger les excès par une régulation fondée sur le principe d’une sorte de « division internationale du travail de la formation supérieure » permettant à un pays comme le sien de valoriser au mieux ses ressources propres. Thèses stimulantes sans doute mais propres à susciter de larges débats...
Notes
Pour citer cet article
Référence électronique
Victor Borgogno, « Avant-Propos », Cahiers de l’Urmis [En ligne], 2-3 | 1997, mis en ligne le 22 octobre 2007, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/urmis/410 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/urmis.410
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