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AccueilCahiers de l'Urmis5Éditorial

Texte intégral

1Ce numéro des Cahiers de l’Urmis présente les Actes du séminaire de recherche qui s’est tenu à Nice les 2 et 3 décembre 1998. Co-organisées par l’Unité de Recherche Migrations et Sociétés et par l’Ecole Doctorale Lettres, Sciences Humaines et Sociales de Nice, ces journées étaient consacrées à l’analyse des politiques d’immigration à partir d’une démarche résolument pluridisciplinaire et comparatiste.

2La confrontation d’approches disciplinaires diverses est ici doublement utile : non seulement pour les effets de connaissance produits par des éclairages multiples d’un phénomène, mais aussi pour une analyse des effets de méconnaissance produits par l’utilisation biaisée des notions et des savoirs élaborés par les différentes disciplines des sciences sociales : comme le souligne C. Quiminal, les phantasmes et les stéréotypes sur l’immigration et les immigrés sont d’autant plus puissants qu’ils s’appuient sur des pseudos-savoirs : qu’on pense ici à l’extrême difficulté qu’ont eu les sociologues à récuser la notion de “seuil de tolérance”, aux us et abus de la notion de “distance culturelle”, ou encore au mythe de l’assimilation “sans problème” des immigrations passées.

3Quant aux mises en perspectives toujours fructueuses que permet la comparaison internationale, elles sont d’autant plus éclairantes s’agissant d’analyser les politiques de gestion de l’immigration, que celles-ci sont fondamentalement porteuses d’un type de rapport à l’étranger, en prise avec des représentations historiquement constituées de la nation : nation d’immigrants comme se célèbrent les Etats-Unis, patrie des Droits de l’Homme et terre d’hospitalité républicaine dans le cas de la France, nation d’unité récente comme l’Italie dans laquelle l’imaginaire a été plus marqué par l’émigration que par l’immigration.

4Quels invariants ces comparaison internationales permettent-elles de dégager ? Au premier abord, c’est la variation qui domine. Les Etats-Unis, la France, La Grande Bretagne et l’Italie, les quatre pays qui font ici l’objet de la comparaison, n’ont pas été exposés depuis aussi longtemps ni avec la même intensité aux phénomènes migratoires. Le sens commun estime que les problèmes posés par les immigrés s’estompent à proportion du temps écoulé depuis leur arrivée : plus l’arrivant est ancien et plus il a des chances d’être intégré. Ce principe explicatif si tant est que cela en soit un, ne semble pourtant pas d’une grande utilité pour comprendre les réaction des états ou des opinions publiques relativement aux ^phénomènes migratoires. Bien plus puissante semble être l’incidence des conjonctures économiques qui apparaît majeure dans tous les pays et à toutes les périodes. D’où l’impression d’incohérence, de variations brutales, de navigation à vue que suggère l’étude des politiques d’immigration quel que soit les pays considéré. De ces mouvements browniens, naissent des zones d’incertitudes que savent utiliser les employeurs, mais que peuvent aussi exploiter les immigrés eux-mêmes : ils profitent de la confusion et des contradictions pour gagner un peu d’autonomie, chèrement payée par ailleurs.

5Par delà les variations, cependant, un postulat semble parcourir les différences expériences : l’étranger est réputé poser d’autant plus de problème que sa culture, sa couleur, sa religion, sa langue, sont moins “proches” de la culture, la religion, les valeurs… de la société vers laquelle il migre. Ce raisonnement, aussi “raisonnable” soit-il en apparence, puisqu’il est partagé bien au-delà des mouvances politiques ouvertement anti-immigrés, est pourtant essentiellement xénophobe : il sous-tend toutes les opérations, mentales autant qu’institutionnelles, par lesquelles certains “autres” se voient attribuer la caractéristiques d’un péril mortel pour l’identité et l’intégrité nationale.

6La généralité de ce mode de pensée dans les pays d’immigration conduit à relativiser des différences aussi tranchées que celle qui oppose le modèle ‘assimilationniste’ français et le modèle pluraliste américain. Au-delà des conceptions en effet très diverses du rapport à l’étranger qui se manifestent dans ces deux modèles, ils incluent un principe préalable de hiérarchisation des groupes et de sélection ethnique : le melting-pot américain souhaité par les nativistes est selon les termes de Denis Lacorne un « petit melting-pot de bons européens », tandis qu’en France, la politique d’assimilation est d’emblée allée de pair, comme le souligne Ralph Schor, avec l’établissement préalable d’un ordre de préférence, plaçant les populations européennes voisines au sommet et les populations coloniales à la base.

7On retrouve donc en arrière-plan des politiques migratoires les plus diverse le même souci assumé de façons plus ou moins explicite selon les périodes : comment trier les étrangers assimilables des autres et interdire l’entrée des seconds en tolérant ou même en facilitant l’entrée des premiers. Les solutions relèvent souvent du « bricolage », comme celle qui consiste, dans le cas de la Grande-Bretagne, à manipuler la définition de la nationalité par de subtiles distinctions juridiques.

8Autre relativisation : quelles que soient les idéologies officielles et les principes juridico-politiques qui sous-tendent les politiques migratoires, leur mise en œuvre est toujours soumises à des régulations sociales, politiques ou économiques sui tendent à en atténuer ou à en contrer les effets. Les intérêts de différentes groupes s’affrontent, les différentes forces sociales se heurtent, comme le montrent par exemple les contradictions qui surgissent aux Etats-Unis entre les niveaux local et fédéral de la gestion politiques (D. Lacorne), ou dans le cas de la France, les dérogations locales aux principes étatiques de non discrimination, qui conduit les organismes de logement à pratiques de fait unes gestion ethnique des locataires (P. Simon).

9Le rôle de l’Etat, dont on attend en France qu’il soit prépondérant, connaît dans ce domaine d’étroites limites ? La première limitation tient au fait que les différents groupes politiques peuvent se neutraliser mutuellement et rendre inefficaces des politiques pourtant réfléchies (R. Schor). A d’autres moments, des partis politiques opposés sur les plan des principes avoués, mènent des politiques migratoires semblables comme en France dans une période récence (Y. Gastaut, V. Borgogno et J. Streiff-Fénart) ou se partagent le travail pour poursuivre un objectif commun : limiter l’immigration autant que faire ce peut, comme en Grande-Bretagne (M. Lemosse). Toujours pourtant, prédomine l’impression d’une relative impuissance des Etats à maîtriser véritablement les faits migratoires, tandis que se renforce leur prétention à l’exercice de la souveraineté, réduite de plus en plus souvent à l’arbitraire et la répression.

10Les dérives des politiques migratoires conduisent aussi à interroger le rôle des chercheurs en sciences sociales dans le débat public sur l’immigration. Comme le rappelle R. Schor, l’enrôlement des chercheurs et des intellectuels dans la définition des politiques migratoires est ancien en France et il comporte toujours le risque de voir utiliser des résultats de recherche pour fonder un discours d’autorité. L’effort qui est fait ici est plutôt de réfléchir à la façon de concilier la dimension critique des sciences sociales et l’adhésion des chercheurs aux valeurs qui sont constitutives de ces mêmes sciences, celles notamment qui posent le principe d’égalité comme fondement de la relation à l’autre.

11Il ne s’agit pas de prôner une attitude « généreuse », avec la condescendance que suggère la notion de générosité vis-à-vis de ceux qui en sont la cible. Générosité qui peut d’ailleurs bien souvent n’être que le masque des logiques d’exclusion. C. Quiminal à propos des sans papiers, V. Borgogno et J. Streiff-Fénart à propos des étudiants étrangers, relèvent que les politiques dites de co-développement, lorsqu’elles ne rompent pas avec l’obsession du retour et s’exercent dans l’ignorance des dynamiques positives set de la rationalité des projets des migrants peuvent, sous les apparences de la générosité, n’être qu’un moyen de refuser de repenser les rapports Nord-Sud.

12La question centrale, dont Abdelmalek Sayad avait fait un thème clef de son questionnement sur les politiques d’immigration, est celle de la légitimité de la présence de l’étranger, de son droit à faire valoir des droits. En montrant que le seul domaine où cette reconnaissance lui soit pleinement octroyée est celui de la santé, D. Fassin interroge, bien au-delà de la question de l’immigration, “la raison humanitaire” qui dans le monde contemporain, fait de la vie le fondement ultime de la morale politique, et du corps souffrant l’instrument de la reconnaissance de l’autre.

13L’ensemble de ces contributions montrent à l’évidence que ce qui est en jeu, à travers l’accueil et le traitement des immigrés, est bien plus complexe et important que ne le laissent entendre les discours qui réduisent la question de l’immigration à une police des frontières ou à des arguments étroitement économicistes. Le rôle des chercheurs est alors avant tout d’aider à faire comprendre, comme s’y attache ici M. Chemillier-Gendreau, que pour les démocraties occidentales, le rapport à l’étranger est fondamentalement un rapport à leur propre devenir : celui de l’Etat de droit, de l’idée de citoyenneté dans le cadre de la construction européenne et plus généralement celui de la démocratie dans le cadre de la mondialisation.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Héraux et Jocelyne Streiff-Fénart, « Éditorial »Cahiers de l’Urmis [En ligne], 5 | 1999, mis en ligne le 19 juin 2003, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/urmis/333 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/urmis.333

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Auteurs

Pierre Héraux

Responsable à l’Université de Nice-Sophia Antipolis du DEA Sociologie-Anthropologie

Jocelyne Streiff-Fénart

Responsable du Soliis-Urmis

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