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Enquêter en tant que Libanaise et être ethnicisée comme « autre » dans des milieux migratoires libanais en Afrique de l’Ouest

Investigating as a Lebanese woman and being ethnicized as "other" in Lebanese migratory circles in West Africa
Marwa El Chab

Résumés

Il n’est pas rare que des chercheurs en sciences sociales éprouvent des difficultés à se faire accepter parmi leurs enquêtés, même lorsqu’ils maitrisent les principaux repères culturels des milieux sociaux qu’ils étudient. Cet article relate l’expérience d’une chercheuse et anthropologue libanaise enquêtant auprès de populations libanaises en Afrique de l’Ouest, avec lesquelles elle entretient des relations familiales. Pensant initialement pouvoir revendiquer un statut de « native » parmi eux, elle découvre à son arrivée à Ouagadougou, à Abidjan et à Dakar, que son assimilation aux groupes libanais locaux ne va pas de soi. Sur la base d’éléments physiques, comportementaux et sociaux, ses interlocuteurs l’ethnicisent comme « autre » – marocaine, égyptienne ou française, en particulier – et lui apposent un label « d’outsider ». Les circonstances et contextes de ce terrain d’étude soulèvent des questions d’ordre méthodologique. La proximité culturelle qui légitimait intellectuellement l’approche de la chercheuse se heurte sur le terrain à des mécanismes de distanciation entretenus par les enquêtés. Ceux-ci prennent la forme de négociations et de redéfinitions des identités ethniques et culturelles, affectant à terme aussi bien la chercheuse que son sujet de recherche.

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Notes de l’auteur

Je suis profondément reconnaissante aux évaluateurs qui, par leurs remarques et commentaires, ont élevé le niveau de la réflexion théorique présentée dans cet article.

Texte intégral

Introduction

  • 1 C’est ainsi que le continent africain est dénommé, dans la prononciation arabe et libanaise : أفريق (...)

1Peu de temps après ma naissance en 1988 à Beyrouth, mes parents ont pris la décision de s’installer à Conakry, en Guinée. J’ai gardé peu de souvenirs de ces années, seulement quelques images de notre voyage de retour au Liban qui signa la fin de ce que ma mère considérait comme des années « d’exil ». C’était en 1993 et j’avais cinq ans. Je me rappelle avoir joué dans l’avion, puis regardé par la fenêtre et avoir aperçu une ville en modèle miniature et des voitures circuler – nous étions au-dessus de Beyrouth. Je me rappelle également le retour dans l’appartement de ma grand-mère, l’accueil familial chaleureux, les étreintes qui n’en finissaient pas. Je pensais que ce séjour serait court, que nous allions rentrer « chez nous » bientôt. Je cherchais souvent en vain à retrouver la route que nous avions empruntée pour la refaire dans l’autre sens et repartir. Mais je ne la retrouvais jamais. J’ai finalement compris que nous étions déjà « chez nous ». La guerre civile libanaise avait officiellement pris fin en 1990 et une nouvelle décennie de reconstruction s’annonçait. Mais nos attaches en Afrikia1 restaient bien vivantes tant que mon père y restait. Il continuait en effet de travailler en Guinée-Conakry en tant que commerçant en quincaillerie. Dans la famille, nous vivions son absence parfois de manière vive. Avec mes frères nous attendions le passage des avions dans le ciel pour courir nous agglutiner sur le balcon et agiter nos mains frénétiquement en criant « Baba ! Baba ! Baba ! ». Ma mère, elle, attendait impatiemment les sommes d’argent que mon père pouvait envoyer de manière irrégulière pour subvenir à nos besoins, complétant ainsi son salaire d’institutrice dans une école publique à Beyrouth.

  • 2 Il s’agit ici de la notion de mémoire définie par Halbwachs (1950) et reprise par Paul Ricœur : « [ (...)

2Plusieurs années après notre retour de Guinée, je continuais à répondre à mes camarades de classe, qui trouvaient que j’étais très mate de peau pour une Libanaise, que c’était parce que « je [venais] d’Afrique ». J’ai également gardé une cicatrice au front, à la suite d’une chute que j’avais faite à Conakry. Mon identification à l’Afrique suscitée et aiguisée par ces relations et questions s’exprimait à travers plusieurs registres. En effet, mon imaginaire africain, produit d’une assignation autant que de tentatives ambivalentes d’appropriation, s’était ancré en moi d’abord physiquement, à travers les interprétations que je donnais à ma « couleur de peau » ou à cette cicatrice que j’exhibais fièrement. Il prenait forme ensuite dans les petites statuettes en ivoire avec lesquelles ma mère décorait l’appartement beyrouthin, dans les mangues qu’elle nous achetait épisodiquement et dans les histoires qu’elle évoquait au sujet de notre vie à Conakry. Mais plus que tout, cet imaginaire africain, cette mémoire2 familiale africaine (Ricœur, 2000) se manifestait dans le vide que laissait l’absence de mon père dans notre petite famille – ma mère, mes deux frères, ma sœur et moi – qui se débattait au quotidien pour sa survie. Aussi, bien que je ne me rappelle que peu de choses du séjour de ma famille à Conakry, les images que j’en gardais, mais aussi les objets présents dans notre quotidien, les photos, les marques physiques, les histoires, les expériences avec les autres enfants, manifestations d’une expérience précoce d’altérisation, conduisaient à ce que je fasse mienne une « histoire africaine » que j’avais pourtant peu vécue.

3Je me suis engagée dans un projet de recherche doctorale de plusieurs années, qui à l’origine comprenait aussi une forte volonté d’apprendre à connaître mon père. Ayant passé une grande partie de mon enfance et la majorité de mon adolescence sans lui, j’avais en quelque sorte un fort désir de réappropriation de « mes origines » paternelles. Il s’agissait pour moi, dans cette recherche doctorale, de comprendre également mon père à travers ses choix de vie (pourquoi est-il resté là-bas ?), ses échecs entrepreneuriaux (pourquoi n’a-t-il jamais fait fortune comme d’autres Libanais ?), et de comprendre comment je venais m’ajouter à cette équation. Qu’est-ce qui finalement faisait de moi sa fille ? Ces questionnements se sont traduits dans ma recherche par la mise en perspective et l’analyse de parcours individuels entrepreneuriaux et familiaux, appuyées par un travail de terrain dans trois espaces urbains ouest-africains : Abidjan, Dakar et Ouagadougou. Je pensais me retrouver ainsi parmi des gens auxquels je m’identifiais aussi culturellement, avec qui je partageais un certain vécu et une histoire familiale. Il existe une littérature riche en sciences sociales qui traite de la place du chercheur sur son terrain lorsque celui-ci est confronté à sa société d’origine. Je pensais offrir un regard nouveau dans la mesure où je me confrontais à des questionnements que rencontrent les chercheurs issus de pays du « Sud » qui y enquêtent (Altorki & El-Solh, 1988 ; Ouattara, 2004), tout en ayant une position particulière puisque j’enquêtais en tant que Libanaise auprès d’acteurs de même nationalité, mais en situation migratoire à l’extérieur du Liban et dans des sociétés où je n’avais pas vécu. Assez rapidement, je m’étais intéressée à ces questions en tentant de tirer des leçons sur la manière de formuler ce qui paraissait une évidence à mes yeux par mon vécu, mais qui nécessitait un travail de traduction en des termes accessibles et scientifiques au lectorat francophone et français qui lira ma thèse. Je me voyais, à travers la réappropriation de l’histoire africaine de ma famille et ce travail de recherche, comme une « native » de ces « sociétés » que j’étudiais en construisant des ponts entre différentes cultures. Cette vision ne prenait pas en compte la réception que les acteurs rencontrés lors de mes différents terrains me réservaient, sur la base de critères liés à mon apparence physique et à bien d’autres aspects que je développerai dans les pages qui suivent.

  • 3 Le traitement discriminatoire des travailleurs immigrés au Liban est sévèrement critiqué par des or (...)
  • 4 Les critères de beauté associés à la forme des lèvres ou au type de cheveux sont variables en fonct (...)
  • 5 Sur la théorie de l’étiquetage (Labeling theory) voir Becker (1963).

4En effet, mon apparence physique fut partie prenante de mes rencontres sur le terrain. J’étais le plus souvent confondue avec une Marocaine, une Egyptienne, une Colombienne ou une Caribéenne, en raison de ma couleur de peau – cela m’arrive autant au Liban qu’en France, en Allemagne, au Maroc ou en Afrique de l’Ouest. A Dakar, lors d’un mariage auquel j’assistais, mes interlocuteurs trouvèrent que je ressemblais à l’ex-présentatrice de Canal+, aux origines italiennes et guadeloupéennes, Isabelle Giordano. La différence de degré entre ma couleur de peau et celle de nombre de mes compatriotes peut paraitre dérisoire. Or, comme dans de nombreuses sociétés, l’importance de l’élément chromatique dans la société libanaise se lit dans son enchevêtrement avec les questions de statuts socioprofessionnels et de classes sociales. En effet, « peau sombre », « populations défavorisées » et « travailleurs africains » sont des catégories qui se croisent et la discrimination des personnes associées à l’une ou à plusieurs de ces catégories peut être brutale3 (Hachem & Longuenesse, 2013). A des degrés différents, la discrimination des individus aux couleurs de peau plus sombres est perpétuée au sein même des villages et familles libanais. L’histoire de mes grands-parents maternels – tous deux originaires d’un même village du sud-Liban – illustre bien cette question. Ces derniers se sont mariés contre l’avis de l’autorité parentale qui refusait de laisser mon grand-père épouser une femme plus mate de peau – qu’ils connaissaient pourtant bien. L’argument invoqué était que l’ascension sociale de leurs descendants serait en partie conditionnée par leur couleur de peau, leur apparence physique générale4, en plus du succès économique de cette union, des fréquentations sociales du couple, du niveau d’éducation des enfants, etc. Ma mère, issue de cette union, a subi durant son enfance maintes critiques de la part de cousins et camarades en raison de son teint trop foncé, au regard des canons de beauté des classes moyennes et supérieures beyrouthines : elle fut à certaines occasions traitée de « négresse » par moquerie. En ce qui me concerne, à l’âge où les enfants sont cruels entre eux dans les cours de récréation, je fus traitée de « Sri Lankaise » en référence aux employées domestiques au Liban qui – à cette époque dans les années 1990 – provenaient en grande majorité du Sri Lanka, mais aussi des Philippines et de l’Ethiopie. Cette migration de main-d’œuvre non qualifiée est organisée par des agences de recrutement d’employés de maison et inclut de plus en plus de migrantes africaines. La labellisation dont je faisais l’objet, dans le contexte libanais de mon enfance, me remplissait d’un sentiment d’humiliation5 qui m’a plus tard poussée à interroger ses catégories raciales et ethniques. Au cours du travail de terrain pour ma thèse à Abidjan, Dakar et Ouagadougou auprès de populations libanaises, je me rendis compte que cette considération chromatique continuait à avoir son importance.

  • 6 Selon Jean-Luc Primon, « […] dans les analyses sociologiques, il est souvent difficile de distingue (...)
  • 7 Sur la circulation des catégories dans l’interaction, voir Schegloff (2007).
  • 8 En référence à la frontière ethnique de Fredrick Barth, qui définit le groupe plutôt que le « matér (...)

5Ma couleur de peau appartient à la panoplie des éléments et signes socialement pertinents, à côté de mon style vestimentaire, de mon expression orale et de mon comportement vis-à-vis de mon entourage, mobilisés dans les modes de catégorisation. Ces signes socialement pertinents constituent le support des processus d’ethnicisation et de racialisation des sujets et des rapports sociaux, ainsi que le rappelle Jean-Luc Primon (2007)6. L’analyse anthropologique permet de réfléchir sur ma propre position vis-à-vis de mon terrain d’étude et de mes enquêtés. Elle permet également d’interroger les catégories ethniques et raciales qui m’ont été assignées et leur circulation dans les interactions qui m’impliquaient7, reconnaissant par là, qu’en tant que chercheuse, je suis actrice à part entière de ces dynamiques sociales (Tedlock, 1991). Dans le cadre de cet article, j’interroge ces mécanismes de différenciation pour comprendre en quoi ils sont partie prenante des dynamiques quotidiennes de construction des identités collectives libanaises dans trois mégalopoles ouest-africaines, et surtout, comment au cours du terrain, ma position a contribué à questionner les catégories et les frontières ethniques8 des groupes libanais auprès desquels j’enquêtais.

Méthodologie et conditions inhérentes au travail de terrain

  • 9 « Suivre le fil des processus culturels de manière empirique suppose de se diriger vers un travail (...)
  • 10 En 1999, un coup d’État renversa le pouvoir en place avec à sa tête le président Henri Konan Bédié. (...)
  • 11 Dakar occupa dès le début du XXe siècle une place centrale dans l’administration coloniale, devenan (...)
  • 12 La Côte d’Ivoire et Abidjan en particulier étaient le moteur économique de la région ouest-africain (...)
  • 13 Le Sénégal compte environ 30 000 Libanais et la Côte d’Ivoire 120 000, selon les représentations di (...)
  • 14 Le commerce arachidier connut une croissance exponentielle durant la colonisation et offrit des opp (...)
  • 15 En 1975, une guerre civile éclata au Liban entre les différents partis qui constituaient son paysag (...)

6Ma thèse de doctorat était motivée initialement par la volonté de mettre en perspective des histoires entrepreneuriales collectées sur le terrain auprès d’acteurs libanais en Afrique de l’Ouest, à travers une approche socio-économique. Pour cela, j’ai procédé à une enquête multi-située à Ouagadougou au Burkina Faso, à Abidjan en Côte d’Ivoire et à Dakar au Sénégal. J’ai choisi Ouagadougou pour une raison personnelle : mon père y habite depuis 2000 et y exerce une activité de commerce de quincaillerie. Mais cette recherche multi-située était également motivée par le besoin de comprendre un processus qui ne se cantonne pas aux limites géographiques9. En effet, un grand nombre de mes interlocuteurs présents à Ouagadougou avaient auparavant vécu et travaillé à Abidjan. Suite à la crise politique en Côte d’Ivoire10, ils avaient décidé de se réinstaller et d’investir dans un pays au contexte politique plus stable. Une migration libanaise, moins importante, vient aussi de Dakar. Les trajectoires sont peu souvent linéaires de Dakar ou Abidjan vers Ouagadougou. Bien d’autres pays de la région ouest-africaine figurent dans le schéma circulatoire des Libanais rencontrés au Burkina Faso. Mais la place du Sénégal au cœur de l’histoire coloniale entre la fin du XIXe siècle et jusqu’aux indépendances en 196011, l’ancien rôle de moteur économique de la Côte d’Ivoire dans la sous-région12, ainsi que la composante historique et la taille des communautés libanaises des mégalopoles de ces pays13 finirent par me persuader, dès les premières semaines de mon terrain, de les inclure dans mon travail de recherche. À partir des années 1930, le Sénégal s’est en effet imposé comme foyer de concentration de Libanais en Afrique occidentale française (Taraf-Najib, 1994). Nombre de migrants libanais participaient au commerce arachidier14. Ils jouaient des rôles d’intermédiaires entre les grandes maisons de commerce européennes, telles que la Compagnie française d’Afrique de l’Ouest, et les populations locales productrices d’arachides en milieu rural. A partir des années 1970, l’assouplissement des politiques migratoires de la Côte d’Ivoire, tout particulièrement à l’égard des titulaires de passeports libanais, de même que la croissance économique impressionnante du pays (Michailof, 2005) ont pu conduire de nombreux « Libanais d’Afrique », à savoir les personnes s’identifiant comme libanaises et vivant sur ce continent, qu’elles y soient nées ou pas, à privilégier cette destination jusqu’aux années 2000. Parmi ces Libanais, nombreux venaient du Sénégal et la Côte d’Ivoire semblait également attirer les candidats à la migration depuis le Liban. La guerre civile libanaise qui éclata en 197515 accentua d’ailleurs cette tendance.

  • 16 Les études sur la question se concentrent généralement sur un foyer migratoire libanais particulier (...)
  • 17 Il s’agit de la procédure la plus commune pour demander un visa qui consiste à fournir une attestat (...)
  • 18 Parmi mes enquêtés, certains possèdent aussi des nationalités européennes.

7J’ai donc opté pour un terrain dans trois zones urbaines, estimant qu’en comprenant ces trois villes dans leurs relations les unes aux autres à travers les parcours des entreprises et des entrepreneurs Libanais enquêtés, je pourrai apporter sur le sujet une perspective nouvelle16. Ainsi, la configuration des migrations libanaises régionales en Afrique de l’Ouest m’a poussée dès les débuts de ma thèse à envisager une étude multi-sites. En pratique, cela signifiait que je m’engageais à développer un réseau social en partant de mes contacts à Ouagadougou et en remontant les trajectoires migratoires à rebours vers la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Mon père, par exemple, m’a mise en contact avec son ancien associé lorsqu’il travaillait à Conakry, qui accepta de m’héberger à Abidjan, tandis qu’un autre informateur, également lié à mon père, me confiait les coordonnées des membres de sa famille basée à Dakar. Ainsi, je reproduisais le même procédé social adopté par mes interlocuteurs qui avaient opté pour la migration régionale en Afrique de l’Ouest (El Chab, 2016) : j’usais de relations personnelles pour obtenir des informations sur les parcours et nouveaux lieux de migration, pour établir de nouveaux contacts afin d’ouvrir mon terrain, et, dans le cas particulier de Dakar, pour faciliter l’obtention de mes visas en tant que ressortissante libanaise17. Alors que mes visas pour le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire étaient produits en 24 heures sans difficulté apparente, ceux pour le Sénégal s’avéraient plus difficiles à obtenir et soumis à une condition primordiale : je devais fournir les preuves d’un contact national en mesure de me prendre en charge au cours de mon séjour et de justifier ma présence. La personne qui accepta de me rendre ce service et de me faire confiance, un entrepreneur libano-sénégalais, devint par la suite mon hôte, informateur principal et ami à Dakar. Sans pour autant servir de données statistiques, les rencontres de terrain donnent une image approximative de la composition démographique d’un milieu social donné : mes informateurs libanais, contrairement à moi, étaient nombreux à bénéficier d’un cumul de nationalités leur permettant une circulation dans la région ouest-africaine plus facile. Sur les 135 personnes18 référencées dans mon travail de thèse, dont 119 sont libanais, 33 seulement ne possèdent que la nationalité libanaise. La combinaison la plus fréquente est la binationalité libano-sénégalaise, puis la binationalité libano-burkinabé. Très fréquemment je rencontrais aussi des acteurs ayant une triple nationalité : libanaise, française et sénégalaise. D’autres éléments pesaient sur mon accès au terrain, que je n’avais pas perçus en amont. Lors de ma première enquête à Abidjan en 2012, la ville était encore meurtrie par les combats qui avaient eu lieu entre 2010 et 2011. L’aspect urbain en était très affecté, ainsi que mes interlocuteurs qui s’inquiétaient sans cesse du renouveau des offensives, sans parler de la responsabilité qu’avaient alors mes hôtes de devoir garantir ma sécurité, en plus de celle des membres de leur famille.

  • 19 “[…] urban anthropological fieldwork is characterized by flexibility, inventiveness and a reliance (...)

8Trois zones urbaines ouest-africaines se sont retrouvées au cœur de ma réflexion – au regard de l’importance de leur impact infrastructurel et administratif sur la conduite de mon terrain (l’acquisition de visas, les différents modes de déplacement, la taille de la ville, etc.) et de leur impact sur l’histoire des différentes installations libanaises. Leur passé et leur présent participent, en compagnie d’autres facteurs que j’ai explorés, à la fabrication d’un sens de la place des Libanais dans ces sociétés ouest-africaines. L’élément urbain, en tant qu’espace dynamique et mouvant, impose son rythme à l’ethnographe, un élément dont je devais avoir conscience quotidiennement durant mes enquêtes de terrain. Notamment parce que mes enquêtés entrepreneurs étaient d’une grande mobilité dans la ville, souvent occupés et pressés : certains de mes entretiens avaient lieu dans leur voiture, d’autres au cours d’une livraison ou d’une supervision de la production. Certains annulaient nos rencontres pour maintes raisons professionnelles et personnelles, d’autres ne pouvaient m’accorder qu’un temps extrêmement réduit pour discuter, et les interruptions au cours des entretiens pour répondre au téléphone, donner une directive et saluer un client, étaient monnaie courante. Pour Jaffe et De Koning (2015), l’ethnographe en milieu urbain doit faire preuve d’une grande flexibilité, d’inventivité et d’une croyance immuable dans la sérendipité19 (Jaffe & De Koning, 2015, p. 16). C’est, me semble-t-il, une manière positive de représenter ce qui, au cours du travail de terrain, peut parfois provoquer un sentiment de désarroi et de perte de contrôle.

9En dehors de courtes périodes à l’hôtel, j’étais le plus souvent logée dans des familles d’accueil libanaises : trois à Abidjan, deux à Dakar, et à Ouagadougou je restais chez mon père. À l’exception d’une famille rencontrée par le biais de mon père à Abidjan, tous les autres hébergements sont le fruit des rencontres faites au cours du terrain.

  • 20 90 % des Libanais à Dakar et à Abidjan appartiennent à cette confession selon les représentations d (...)

10La grande majorité des Libanais en Afrique de l’Ouest est de confession musulmane chiite20. Toutes les familles qui m’ont accueillie étaient, en conséquence, musulmanes chiites, à des degrés différents de pratiques, à l’exception de l’une de mes familles d’accueil à Dakar, dont les membres se disaient athées. Mon implication dans les dynamiques familiales était plus ou moins forte. Lorsque mon système de valeurs éthiques et religieuses était accepté, dans la mesure où je ne pratique ni la religion de mon père, musulman chiite, ni celle de ma mère, chrétienne orthodoxe, je pouvais être traitée comme un membre à part entière, participant à des activités et à des décisions familiales quotidiennes : choisir les repas, les lieux de sorties, faire les courses, cuisiner, participer au rangement, etc. A contrario, dans l’une de mes familles d’accueil à Abidjan par exemple, le fait que je ne priais pas, que ma mère soit chrétienne et que je fasse mes études en France intriguait. On se montrait curieux de connaitre mon style de vie — mon rapport à la religion musulmane, mon habitat en France, ma consommation d’alcool, mes relations amoureuses — et on m’informait de l’inadéquation de ces pratiques avec les valeurs de cette famille. Dans ce contexte, je ne pouvais pas cuisiner, car on me considérait comme inapte à reproduire les règles de la pureté musulmane. Par ailleurs, partout où j’accompagnais les membres de cette famille, on me présentait en mentionnant particulièrement l’appartenance chrétienne de ma mère et mes études en France. Je restais donc très consciente de mon statut d’invitée, observant simplement les interactions familiales, écoutant les remarques au sujet de leur milieu d’interconnaissances, participant aux discussions et aux évènements religieux et sociaux quand j’étais invitée à le faire, sans m’impliquer dans la vie familiale à proprement parler.

11J’ai privilégié dans le cadre de cette thèse d’anthropologie des outils ethnographiques. Le but était de proposer une description et une analyse de la présence libanaise en Afrique de l’Ouest sous un angle combinant une perspective sociale, économique et politique. Aussi, j’utilisais l’observation participante dans les milieux de travail (commerces, bureaux d’entreprises et zones industrielles), les espaces privés et lors d’évènements sociaux et religieux, ainsi que des entretiens semi-directifs, dont les questions ont évolué avec l’avancement de ma recherche et selon les profils des informateurs pour collecter des récits de vie. Je m’intéressais aux parcours migratoires à l’échelle des individus et de leur famille, à leur vie professionnelle et aux histoires entrepreneuriales. Mes enquêtés étaient en grande majorité des hommes, employés ou chef d’entreprise, que je rencontrais sur les lieux de travail ou à domicile. Je rencontrais également beaucoup de femmes, bien que moins nombreuses dans les commerces et sur les marchés, mais toujours aussi présentes dans la vie sociale des familles. Afin d’éviter d’être trop dépendante de rencontres par personne interposée et pour diversifier mes sources d’information, je choisis de faire le tour des marchés et des avenues commerciales pour y localiser des entrepreneurs libanais et solliciter des entretiens. Je tentais dans la mesure du possible de revoir certaines personnes rencontrées lors de premières enquêtes afin de produire un récit évolutif de leur parcours de vie et de celui de leur entreprise. Je m’attardais alors sur les changements de perspectives, la perception du marché économique, les évolutions des statuts personnels et des aspirations des enquêtés.

  • 21 L’arabe libanais appartient à la famille de l’arabe levantin, parlé au Liban, en Syrie et en Palest (...)
  • 22 Les études en sociolinguistique sur les langues comme barrières à l’intégration dans les milieux de (...)
  • 23 Les prénoms et certains éléments bibliographiques ont été modifiés pour préserver l’anonymat de mes (...)

12Les entretiens se déroulaient soit en arabe libanais21 soit en français, parfois les deux à la fois. La majorité des entretiens menés à Dakar a été conduite en français, tandis que la majorité de ceux réalisés à Abidjan et à Ouagadougou l’a été en arabe libanais. Cette différence vient de l’ancienneté de la présence libanaise à Dakar, les descendants des migrants ayant davantage perdu l’usage de l’arabe au quotidien entre eux. Un travail de traduction des discours tenus en arabe était, quoi qu’il en soit, nécessaire. Ma capacité à communiquer en arabe ainsi qu’en français me sembla essentielle au moment où je préparais mes enquêtes, dans la mesure où cela permettait aux individus de s’exprimer dans la langue qui leur était la plus commode pour rester fidèle à leurs propos. Cependant, certains éléments liés à la confiance qui devait s’instaurer avec mes enquêtés, ainsi qu’au processus d’identification dont je faisais l’objet, s’imposèrent dès les premiers entretiens. Ma maitrise de l’arabe libanais me rendait apte, aux yeux de mes interlocuteurs, à cerner au mieux le sens de leurs paroles. Souvent, alors même que l’entretien se faisait en français, certains enquêtés considéraient que des termes en arabe libanais reflétaient mieux leur pensée. Le plus souvent, ces mots insérés en arabe dans le discours en français visaient à exprimer un sentiment, tel que du mépris ou de l’affection. Il servait également à citer des expressions populaires de « sagesse  ». L’utilité de la maitrise de la langue arabe ne s’arrêtait pas là. Les observations que je conduisais auprès des entreprises, des domiciles, des lieux cultuels et culturels me montraient l’existence d’une barrière «  communautaire  » ravivée, entre autres, par la langue. Le français étant une langue très pratiquée en Afrique de l’Ouest — avec des niveaux de maitrise qui varient et reflètent des réalités sociales et économiques différentes — la langue arabe libanaise devient un outil de distinction sociale et identitaire propre aux Libanais22. Au cours de mon travail de terrain à Ouagadougou et à Abidjan, j’observais qu’une frontière sociale et linguistique se dessinait entre d’une part les Libanais et d’autre part les salariés africains, ainsi que dans les espaces privés avec leurs employés de maison et dans les espaces publics. Dans les entreprises où travaillaient des employés libanais et locaux, les premiers se transmettaient des informations le plus souvent en arabe pour fixer les prix, pour décider d’une transaction, pour commenter tel employé ou tel client, etc. À titre d’exemple, dans la boutique de vente de textile à Ouagadougou dans laquelle j’ai conduit une grande partie de mes observations, Jad23 était un employé en charge du commerce de gros. Les négociations étant aléatoires en fonction des quantités commandées, des stocks et de la fidélité des clients, il ne pouvait donner suite aux transactions sans l’accord du gérant. Mon entretien avec ce dernier s’est ainsi retrouvé parsemé de renseignements transmis en arabe au sujet des prix et des quantités de marchandises.

13Je constatais cependant que mon accent sud-libanais lorsque je parlais arabe — que l’on trouve peu élégant dans certains milieux à Ouagadougou et Abidjan (notamment parmi les résidents libanais qui se réclament d’une culture citadine par opposition à l’image «  villageoise  » qu’ils accolent aux individus originaires du Sud-Liban) — impliquait parfois certaines corrections de ma part. Je n’hésitais pas non plus à démontrer mon habileté linguistique en corrigeant mon arabe ou en parlant français, voire anglais, quand l’occasion se présentait. Par exemple, l’un de mes interlocuteurs à Ouagadougou, un homme d’affaires ayant fait des études supérieures aux États-Unis qui parlait couramment arabe et français, accepta de m’accorder un entretien à condition de le conduire entièrement en anglais.

  • 24 Dans leur quotidien, mes enquêtés libanais utilisaient souvent le terme «  africain  » pour désigne (...)
  • 25 Ce racisme est aussi à comprendre dans le cadre de la discrimination dont les Libanais d’Afrique fo (...)

14Enfin, au cours de rencontres avec des groupes de Libanais dans l’espace public, j’observais qu’une barrière de la langue, par le recours à l’arabe, se maintenait en ma présence et me permettait d’assister à des discussions au cours desquelles mes interlocuteurs se sentaient suffisamment en confiance pour exprimer et questionner la frontière sociale ethnoracialisée qu’ils construisaient entre «  Libanais  » et «  Africains24  », ainsi les raisons du racisme structurel25 dans lequel ils vivaient et qu’ils reproduisaient à travers ces labellisations. Ainsi, alors que je passais une soirée dans l’un des cafés situés sur l’avenue Kwame Nkrumah à Ouagadougou en compagnie de trois jeunes hommes, la discussion prit une tournure intéressante lorsque l’un d’eux raconta comment son père — qui lui a légué son entreprise et lui a appris son métier — lui avait toujours répété de «  se méfier des Burkinabè  ». Un débat s’ensuivit entre mes interlocuteurs, discutant le fondement de leur méthode entrepreneuriale, de la confiance qu’ils étaient en mesure d’accorder plus facilement aux Libanais qu’aux Burkinabè, et des leçons tirées de leur quotidien. Celles-ci leur avaient finalement enseigné que même entre Libanais, la méfiance était de mise. Je pouvais donc, grâce à mon bilinguisme, avoir accès à ce qui se communiquait entre acteurs libanais et au-delà de cette frontière socio-ethnique, et récolter un plus vaste matériau. L’usage de la langue arabe permettait une certaine spontanéité qui m’invitait au cœur des doutes, des peurs et des jugements de valeur de mes enquêtés.

Genre, couleur de peau et assignations identitaires de l’enquêtrice

  • 26 L’atteinte à cet honneur apparait plus grande lorsqu’il s’agit des membres féminins de la famille.

15Je ne prétends pas à une objectivité ethnographique, compte tenu de mon histoire personnelle en tant que fille de commerçant libanais installé à Ouagadougou. Je ne pouvais pas — et ne souhaitais pas — échapper à la vie communautaire de mes enquêtés. J’ai accepté des invitations à diner dans des familles avec ou sans mon père, tissé des amitiés, accompagné des amis à des activités sportives ou dans leurs sorties. À bien des égards, ma connaissance de la langue et des codes sociaux libanais, ainsi que mon histoire familiale, permettent de légitimer ce travail scientifique. Cependant, j’ai tenté tout au long des enquêtes de terrain «  de demeurer dans l’incertitude morale  » (Rubbers, 2009, p. 23). Je considère, en effet, que mon éthique est autant un construit social que celle de mes interlocuteurs, et que, par conséquent, mes jugements de valeur au sujet de leurs activités économiques formelles ou informelles et de leurs comportements sociaux en public et en privé, entre eux et avec leur entourage, devaient rester flous face à mes enquêtés. Je préférais par exemple ne pas réagir aux commentaires misogynes qu’un de mes hôtes adressa à sa femme, ou lorsqu’un Libanais que je rencontrais dans un marché formula des remarques racistes au sujet des «  Noirs  », ou encore lorsqu’un Burkinabé agressa verbalement un commerçant libanais devant des fonctionnaires du ministère du Travail à Ouagadougou en l’accusant de racisme pour une affaire qui avait mal tourné. Je me forçais à interroger au cours de mon terrain les frontières raciales entre les catégories «  Libanais  » et «  Africains  », selon les termes évoqués par mes enquêtés, ainsi que les frontières de classes entre Libanais. Je me suis également rendue quelques fois dans des lieux socialement stigmatisés dans le discours de mes interlocuteurs, même par ceux qui les fréquentaient. À Ouagadougou, par exemple, certains bars et boites de nuit ont une mauvaise réputation parmi les Libanais en raison de la présence de femmes — surtout marocaines et ukrainiennes — qui proposent des services de prostitution. Les familles craignent le déshonneur si leurs membres26 y sont aperçus ou si des relations amoureuses résultent de ces rencontres — sans mentionner la crainte de grossesses non désirées. Or, ces lieux m’intéressaient tout particulièrement, car ils représentaient des espaces de fête et de défoulement pour les jeunes hommes libanais, toutes confessions confondues, en fin de journée de travail et durant les week-ends. Je cherchais, de manière générale, à donner la parole à des personnes d’origines sociales variées ayant des trajectoires et des histoires individuelles différentes.

  • 27 « […] a definite sense of doing more than just ethnography, and it is this quality that provides a (...)

16Cela étant, la marge de manœuvre de l’enquêteur reste limitée par ce que Marcus définit comme l’activisme de l’ethnographe, la certitude sur le terrain multi-situé de faire «  un peu plus que de l’ethnographie27  » (Marcus, 1995, pp. 113-114). Mon accès à certaines sphères étant conditionné par l’identité que m’attribuaient mes interlocuteurs, par la nature de mon travail en tant que doctorante venue de France, par le genre et par ma classe sociale, je devais en conséquence faire preuve de discrétion quant à certaines fréquentations et éviter de cultiver une mauvaise réputation parmi les enquêtés les plus conservateurs. Je devais m’assurer que mes interlocuteurs ne souffriraient pas en me faisant entrer dans leur intimité et qu’ils pouvaient me faire confiance. À Ouagadougou, j’étais connue comme la fille de mon père, commerçant libanais musulman. Le monde majoritairement masculin des entreprises libanaises dans lequel je circulais s’ouvrait à moi du fait de la capacité de mes interlocuteurs à m’identifier par rapport à mon père et grâce au principe des faveurs rendues aux uns et aux autres qui se prolongeait au fil des rencontres. À titre d’exemple, un de mes contacts, commerçant de quincaillerie au grand marché à Ouagadougou que j’avais approché via mon père, me permit quelques semaines après notre rencontre de contacter son frère, gérant de la SITAB, usine de transformation d’acier. Également, mon principal informateur à Dakar, du fait de son activité professionnelle, me permit de rencontrer ses clients libanais qui, selon ses dires, lui devaient «  une fière chandelle  ».

  • 28 Il s’agit ici de cas extrêmes d’hommes qui considéraient que la présence d’une femme dans un milieu (...)

17Mon statut de femme pouvait souvent faciliter le contact dans les espaces dominés par les hommes — les commerces et les industries. Me situant de facto à l’extérieur de la compétition masculine, je m’attirais plus facilement leur sympathie et leur bienveillance vis-à-vis de mon travail. Cependant, il m’arrivait de constater le contraire. À Abidjan, dans les bureaux d’une grande entreprise d’import-export, je fus rapidement perçue comme une source de distraction pour les employés libanais, tous masculins, et ma présence devint peu appréciée par les gérants. Aucune explication ne me fut donnée, il est vrai cependant que mon arrivée dans les bureaux provoqua une forme d’agitation. Certains parmi les employés me connaissaient par amis interposés et se précipitaient pour discuter, d’autres souhaitaient faire ma connaissance par curiosité vis-à-vis de mon travail, et enfin, d’autres semblaient mal à l’aise avec ma présence et refusaient simplement d’interagir avec moi par principe religieux28.

  • 29 À Dakar, c’est au cours d’un repas entre amies que Meriam — Libanaise se rapprochant de la soixanta (...)
  • 30 À Dakar, des femmes âgées me racontaient autour d’une tasse de café comment les mères libanaises de (...)
  • 31 En janvier 2014, je fis le tour des industriels libanais à Dakar en compagnie de quelques femmes me (...)

18Être une femme me donnait très certainement un accès privilégié au monde féminin et aux rencontres réservées aux femmes, sources inépuisables d’informations sur les dynamiques sociales entre Libanais, car elles apparaissent comme les principales tenantes de la mémoire sociale collective. Ce sont les femmes qui prenaient le temps de me raconter leurs enfances passées en Afrique29, qui m’évoquaient l’incertitude constante quant au retour définitif de leur famille au Liban ou leur prochaine destination migratoire30. Les femmes étaient au cœur des activités sociales, créatrices d’évènements à l’échelle des familles, voire de l’ensemble des Libanais de la ville où elles résidaient — comme les kermesses et les célébrations religieuses et culturelles organisées par les associations libanaises presque exclusivement composées de femmes à Dakar, Abidjan et Ouagadougou. Elles organisaient les collectes de dons pour venir en aide aux plus démunis31 parmi la population libanaise en Afrique de l’Ouest principalement, mais elles mettaient aussi en place des opérations d’aide aux classes sociales défavorisées africaines (programmes d’aide à la scolarisation, d’accès aux soins médicaux, etc.). Elles amorçaient ainsi des rencontres entre individus, nécessaires à la conduite des affaires entre entrepreneurs, et contribuaient également à véhiculer une image positive des Libanais dans leurs différentes villes de résidence par des actions de solidarité et des dons.

  • 32 Cette pratique, qui existe dans différentes sociétés moyen-orientales, consiste à déchiffrer dans l (...)
  • 33 J’ai par exemple accompagné la mère de ma famille d’accueil à Abidjan à son cours d’aérobic réservé (...)
  • 34 La dabké, danse libanaise, qui connait plusieurs variations, fait également partie des référents cu (...)
  • 35 Le Plateau est un des quartiers du centre-ville de Dakar qui fut investi au cours de la colonisatio (...)

19La règle religieuse en vigueur dans certaines familles que je visitais imposait une séparation entre femmes et hommes au cours d’évènements religieux et parfois sociaux  ; dans ces conditions, je devais suivre cette assignation genrée. Ainsi, à Ouagadougou, j’assistais aux soirées de rupture du jeûne durant le mois de Ramadan avec les femmes. À Abidjan, je «  lisais  » avec elles l’avenir inscrit dans le marc de café32 et les accompagnais aux prières à la mosquée, ainsi qu’aux activités sportives qui leur étaient réservées33. À Dakar je participais au travail de l’association des femmes Al-Houda, ce qui me permit de tisser de solides liens de confiance avec plusieurs d’entre elles qui m’aidèrent à me loger et à établir des contacts au cours du terrain. Cela me permit également d’observer de près un processus particulier de préservation identitaire ou de réappropriation de caractéristiques identitaires, à destination des Libanais. Il s’agissait en l’occurrence d’organiser un atelier de danse traditionnelle34, en contactant un artiste qui venait pour cette occasion du Liban, en préparant les affiches relatives à l’évènement et en distribuant celles-ci dans les différentes boutiques libanaises du Plateau35 à Dakar. Ces interactions sociales, familiales et amicales renforçaient mon ancrage dans ces milieux, à travers des expériences et un vécu partagés. Les femmes percevaient mes efforts pour gagner leur confiance et une forme de complicité et de solidarité en résultait. Ces interactions cependant n’étaient pas uniquement motivées par la recherche, elles faisaient aussi écho au besoin que j’avais d’être assurée que ma présence parmi les hommes était acceptée et légitimée par leurs femmes, sans créer de tensions dans les couples. Mais nos échanges n’en étaient pas moins remplis de questionnements de leur part sur la particularité de mon style de vie, différent du leur ou de ce qu’elles autorisaient à leurs propres filles. En effet, l’accord de mes parents de me laisser habiter seule en France depuis mes 18 ans, mes longues études et l’absence d’une perspective maritale les rendaient perplexes. Certaines me souhaitaient alors, avec beaucoup de sincérité et de bonté, qu’«  Allah mette fin à mes calvaires d’étudiante en m’envoyant un mari  », ce à quoi je répondais simplement par «  Inchallah  ».

20Enfin, être une femme sur ce terrain d’étude renvoyait également à une forme de vulnérabilité. Ainsi, il m’arrivait de me retrouver dans des situations indésirables face à des interlocuteurs aux avances sexuelles dérangeantes, aux propos terriblement crus ou aux mains baladeuses. Mes sorties et mes fréquentations — notamment masculines — étaient aussi surveillées de très près par mes familles d’accueil. Je subissais le terrain et ses dynamiques sociales, à travers mon identité – proche de celle de mes enquêtés par ma nationalité et mon vécu familial, et parallèlement éloignée de certaines de leurs normes en raison de mon parcours individuel – mon genre, mon âge, mon apparence et mon statut social, dans mes interactions avec les enquêtés.

21Certains de mes informateurs pouvaient avoir un avis tranché sur mon style vestimentaire — mes sandales ouvertes, l’absence d’un voile ou des habits qu’ils trouvaient peu féminins. Ces remarques me renseignaient sur les stratégies d’approche que je devais adopter en rencontrant mes différents interlocuteurs, surtout les hommes et femmes d’affaires, qui aimaient afficher leur statut économique et social supérieur. Pour avoir accès à leur histoire, j’essayais de les impressionner, sans pour autant me montrer provocatrice ou aguicheuse. Aussi, je commençais par remplacer mes T-shirts par des chemisiers et mes sandales par des ballerines. Quant au voile, celui-ci s’imposait au cours d’évènements religieux musulmans et lors de mes rendez-vous avec les cheikhs des communautés. Les remarques de mon entourage quant à mon apparence vestimentaire révélaient aussi la relation d’autorité existant avec certains interlocuteurs auquel je me soumettais en espérant avoir accès à leur carnet d’adresses. Cette forme de contrôle sur mes rencontres s’avérait à la fois délicate et importante en certaines circonstances. Par exemple, lorsque deux de mes interlocuteurs à Abidjan décidèrent indépendamment l’un de l’autre de m’organiser un rendez-vous avec un même cheikh, cela généra des conflits et des tensions entre eux. Je ne pouvais alors qu’observer sans intervenir — les enjeux de ces relations de pouvoir me dépassaient complètement — et étudier les stratégies de déploiement du capital social de mes enquêtés. Car c’était aussi de cela qu’il s’agissait lorsque mes interlocuteurs souhaitaient impressionner tel ou tel représentant religieux ou politique en lui présentant une chercheuse libanaise installée en France, qui s’intéressait à son parcours de vie et à son rôle dans la vie communautaire locale. Une autre fois, à la fin d’un entretien avec la directrice générale d’un groupe du secteur de l’édition et de l’imprimerie à Abidjan, je demandais à mon interlocutrice libanaise de m’aider à obtenir un rendez-vous avec le directeur général d’un autre groupe dans le secteur de l’import-export. Elle me répondit : «  D’accord, mais tu n’iras pas avec cette tenue  », en regardant sévèrement mes cheveux coiffés rapidement, mon grand T-shirt et mes baskets. Dans la mesure où elle me recommandait pour un rendez-vous, mon apparence vestimentaire avait un impact important sur l’image qu’elle renverrait à cet autre directeur. Par ailleurs, son statut de femme d’affaires dans un monde principalement masculin suggérait une pression supplémentaire à son égard, qu’elle se chargeait de me transmettre par sa remarque.

  • 36 La catégorie distinctive «  égyptienne  » est répandue dans l’imaginaire collectif et les représent (...)
  • 37 Entretien J. S. le 04/08/2012 à Ouagadougou

22Les négociations que suscitaient mon statut de femme, jeune et non mariée pour réaliser mon terrain d’étude croisait un flou identitaire que m’assignaient mes enquêtés au regard de ma couleur de peau. Un jour, alors que la famille de mon hôte à Abidjan se réunissait chez lui, je les entendis parler de moi. Puis, mon hôte me posa une question qui semblait intriguer le reste des invités et qui me surprit : «  pourquoi es-tu si mate de peau  ?  » Je lui répondis vaguement : «  je ne sais pas bien. Ma mère est mate, sa mère aussi.  » Une discussion, dans laquelle j’avais peu d’espace d’expression, autour des «  origines  » hypothétiques de ma famille maternelle, anima l’assemblée pendant un certain temps. Ils s’accordèrent finalement sur ses possibles «  origines  » égyptiennes36. Ma surprise était grande, en constatant tant d’interrogations suscitées par la couleur de ma peau. J’adoptais en outre à cette époque une attitude décontractée vis-à-vis de l’usage de la crème solaire, donc je bronzais vite. Durant cette discussion chez mon hôte, je me suis retournée pour interroger la jeune fille assise à côté de moi, de manière quelque peu innocente, et lui ai demandé : «  suis-je plus mate que toi  ?  » Elle s’écria : «  bien sûr  !  », et je pouvais lire dans ses yeux l’injure que lui faisait une telle question de ma part. Ces interrogations dont je faisais l’objet peuvent s’inscrire dans les conceptions identitaires que j’observais dans les milieux libanais, dont plusieurs logiques visent à conserver un privilège social et de couleur vis-à-vis des résidents africains et au sein du groupe libanais. Par exemple, Georges37, gérant de supermarché à Ouagadougou, m’expliquait en me parlant au cours d’un entretien de l’éducation de ses trois filles : «  je suis raciste et je n’ai pas honte de le dire  ». Pour cet homme, la possibilité que l’une de ses filles entretienne une relation avec un «  homme noir  » était une aberration : la couleur de peau matérialisait à ses yeux toutes sortes d’asymétries en termes de culture, d’éthique, de classes sociales. Dans la mesure où cette logique racialisée est produite dans les relations sociales, de nombreux Libanais l’invoquent aussi pour justifier leurs stratégies matrimoniales discriminatoires. Si pour certains, la couleur de peau est l’expression d’une différence irréconciliable et d’une incompatibilité avec des individus «  africains  », d’autres invoquent davantage des justifications culturelles qu’ils posent comme naturelles au «  groupe libanais  » – ce qui n’efface pas la logique racialiste qu’elles sous-tendent.

23Aussi loin que je puisse remonter dans l’arbre généalogique de ma famille maternelle et paternelle, je sais que nous sommes originaires du Sud-Liban. À l’exception du court épisode africain, j’ai passé mon enfance à Beyrouth et je ne possède pas de nationalité autre que celle du Liban. Pourtant, beaucoup parmi mes interviewés en Afrique de l’Ouest éprouvaient des difficultés à me catégoriser. Ma couleur de peau et mon style vestimentaire (avant qu’il ne soit transformé) perturbaient leur lecture de mon appartenance identitaire et je me retrouvais parfois dans des interactions étranges. Mes rencontres avec mes interviewés pouvaient aussi en être affectées. Un jour, à la suite d’une promenade le long de l’avenue Cheikh Anta Diop à Dakar qui regroupe plusieurs types de commerces, je choisis de rentrer dans une boutique qui vendait des miroirs, en espérant obtenir un entretien avec le gérant libanais. À peine m’aperçut-il qu’il s’avança vers moi arborant un grand sourire, me donnant l’impression d’avoir été reconnue après une précédente rencontre dont je ne me souvenais pas. Pourtant, le moment où je me présentais comme libanaise sembla faire évanouir sa joie. «  Je te croyais marocaine  », me dit-il. Je précise à ce sujet que les femmes marocaines de mon âge s’affichant seules en ville, que ce soit à Ouagadougou, à Abidjan ou à Dakar, ont une réputation de prostituées ou de femmes faciles parmi les résidents libanais. Le reste de l’entretien se déroula sans incident particulier. Pourtant le souvenir de cette rencontre m’évoque à ce jour un sentiment de malaise et d’inconfort eu égard à la manière que mon interlocuteur avait de me regarder et à son insistance sur mon retour le lendemain lorsqu’il apprit que j’étais sans famille à Dakar — ce que je m’abstins de faire.

  • 38 Cette image est reproduite et manipulée par les médias, en l’amplifiant ou en l’interrogeant. Dans (...)
  • 39 L’association de l’individu occidental «  blanc  » à la ponctualité est un stéréotype hérité de la (...)
  • 40 Un décret français en 1872 érigea Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis en communes françaises, don (...)

24Au-delà de mon teint mat, je réalisais que mes vêtements décontractés, mon sac à dos, mon attitude détendue et mon parcours de vie participaient à une autre forme d’ethnicisation de mon identité lors de mes rencontres avec des interlocuteurs libanais. Ma vie d’étudiante en France a particulièrement influencé ma manière de me vêtir, me poussant plus souvent à opter pour le confort et un aspect pratique que de penser à l’élégance de mes vêtements, notamment lorsque je prévoyais une longue journée de marche. Or, cela portait préjudice à la perception de mon identité libanaise qui devait plutôt suggérer, pour mes enquêtés, l’image d’une femme soignée, maquillée et élégante en toutes circonstances, selon les codes sociaux des milieux que je fréquentais38. Par ailleurs, ma perception du temps et l’organisation de mes journées apparaissaient également, pour mes interlocuteurs, comme le reflet de mon assimilation à une culture française qui me plaçait de l’autre côté de la frontière, celle des Occidentaux («  eux  »), ici opposée aux non-Occidentaux («  nous  »). Par exemple, il m’arrivait d’être considérée comme une «  Blanche  » par ma sœur qui trouvait mon insistance à respecter l’horaire des rendez-vous fixés entre nous quelque peu excessive39. De plus, et contrairement à la majorité des femmes libanaises rencontrées à Abidjan et Ouagadougou, je me montrais à l’aise et peu intimidée dans un milieu principalement masculin. Dans ces deux villes, j’étais souvent «  francisée  » (des enquêtés libanais m’apposaient une nationalité française) et cela avait un impact sur l’attitude de mes interlocuteurs à mon égard. Il m’arrivait de me retrouver dans des situations où certains paraissaient fiers de parader en ma compagnie. Il m’est aussi arrivé d’être prise à partie dans des stratégies matrimoniales où la «  francisation  » de mon identité était un enjeu. La confusion était telle parfois que j’ai un jour été demandée en mariage par un couple libanais à Abidjan : déjà mariés, ils m’avaient invitée à diner, dans l’espoir que j’accepte de transmettre la nationalité française à leur famille. Cette étiquette ne s’imposait pas à Dakar, où la culture française a affecté le style de vie libanais par plusieurs biais : la colonisation et l’imposition de la langue française  ; la transmission de la nationalité française lorsque Dakar devint l’une des Quatre Communes au XIXe siècle, assimilée au territoire français (Dozon, 2003)40  ; la poursuite récurrente des études supérieures en France pour les enfants de la majorité des familles libanaises qui en ont les moyens  ; enfin, l’absence du renouvellement des flux migratoires libanais qui aurait pu rafraichir et rattacher la mémoire locale collective à des codes sociaux directement issus du Liban. Les Libanais à Dakar se sentent en effet plus proches de la France, aussi lorsque j’y étais «  francisée  », cela restait dans un schéma identitaire qui leur était familier. À Ouagadougou, mon image de «  femme rangée  » vivant chez son père était appréciée et un jeune homme — que je n’ai pas rencontré — lui avait fait parvenir une demande en mariage qui fut rejetée : on apprit au jeune homme mon parcours en France et mon niveau d’étude plus élevé que le sien. À Abidjan et à Dakar, je restais moins courtisée, et lorsque je l’étais, c’était davantage pour des raisons sexuelles. En effet, étant plus souvent perçue comme «  française  » dans ces deux villes où je résidais en dehors de ma famille contrairement à Ouagadougou, j’étais aussi considérée comme plus ouverte aux pratiques sexuelles hors mariage.

  • 41 L’Abaya est un vêtement féminin musulman long que l’on porte au-dessus d’autres vêtements. Il est d (...)

25En dehors d’échanges brefs au contenu étonnant, cette ambivalence identitaire qui m’était assignée et liée à la difficulté de mes interlocuteurs à m’identifier comme libanaise pesait peu comme une contrainte sur mon travail de terrain. Cela me permettait en effet de conserver une marge de liberté dans mes déplacements et sur les lieux de mes enquêtes — tant que je n’étais pas formellement identifiée par des connaissances. J’avais ainsi davantage de liberté qu’une collègue sino-américaine qui faisait une étude de terrain à Lagos et qui me racontait se faire interpeller par des commerçants chinois au cours de ces tournées au marché, ou être régulièrement conseillée de rentrer au plus vite chez elle, car les rues n’étaient pas un lieu sûr pour une jeune femme chinoise. De même, à Ouagadougou, les résidents libanais que je côtoyais — dont mon père — s’inquiétaient souvent de voir une jeune femme libanaise — très identifiable par son aspect physique, l’abaya41 qu’elle portait et son voile — faire le tour du marché à pied pour proposer ses pâtisseries : ils l’accostaient alors pour se renseigner et s’enquérir de sa situation. Jamais je ne reçus ce genre d’attention qui aurait pu entraver mes enquêtes.

Conclusion

26Voici ce que je retiens de mon travail de terrain auprès des Libanais d’Afrique de l’Ouest que j’ai côtoyés et que je souhaiterais que le lecteur conserve : l’ethnographe est au cœur des dynamiques sociales de son objet de recherche, plus encore, il participe par sa présence à une reformulation des frontières de son objet de recherche, par la tentative des enquêtés de s’en distancier ou de s’en rapprocher. Au cours de mon travail et de nos échanges, certains de mes interviewés furent poussés à réinterroger leur identité libanaise et/ou musulmane et ma place dans les familles libanaises fut le reflet de ces négociations de frontières identitaires. La famille qui me trouvait «  si mate  » de peau est aussi la famille qui éprouvait le plus de difficultés à comprendre mes choix de vie. C’est également la famille qui me garda à distance tout au long de mon séjour, avec un statut d’invitée. Mon grain de peau et mon apparence physique dans le contexte particulier de cette famille ont au fond moins d’importance que la raison pour laquelle l’attention de mes interlocuteurs fut portée sur ce type de détails. Mon apparence était en effet instrumentalisée selon les logiques des distinctions identitaires locales et les ajustements que je m’efforçais de faire, en fonction des remarques de mes interlocuteurs, illustraient mes tentatives de négociation vis-à-vis de ces démarcations.

27Mais alors que j’écris ce papier, j’interroge aussi les stéréotypes raciaux que j’avais assimilés par mon éducation et mon entourage. Pourquoi ai-je toujours insisté, en grandissant au Liban, pour évoquer des «  origines  » africaines lorsqu’on me trouvait très mate au lieu de défendre une «  histoire réelle  »  ? N’était-ce pas une forme de réappropriation en des termes différents du racisme local qui considère qu’une peau trop mate ne pouvait être celle d’une Libanaise  ? Et qu’en était-il de ce «  retour vers les origines  » que j’avais imaginé en m’engageant dans un travail de terrain en Afrique de l’Ouest  ? Je m’étais accrochée à des a priori sur les acteurs que j’allais interviewer, qu’ils soient Libanais ou Libano-Africains, en imaginant une “proximité culturelle” que mes enquêté·es me déniaient souvent, me renvoyant à une ethnicité autre. Cependant, au-delà des considérations d’ordre culturel, cette réflexion peut être poussée en reformulant la difficulté posée par le travail d’enquête. En effet, ainsi que le prescrit la méthode ethnographique, je me retrouvais dans un univers – que j’avais considéré familier – à devoir interroger des logiques sociales qui semblaient aller de soi. Ainsi, les négociations des individus autour des lignes confessionnelles, la séparation des femmes et des hommes dans certaines cérémonies religieuses, les rapports avec des employés de maison étaient des éléments auxquels les Libanais étaient confrontés de manière courante. Mes enquêtes me forçaient à poser un regard nouveau sur ces comportements tout en observant — non sans difficulté et parfois des échecs — un équilibre entre ma description et mon analyse du terrain. La contextualisation d’un travail de recherche en anthropologie questionne en effet la positionnalité du chercheur, dans son parcours de vie et dans son rapport à l’objet d’étude. Je pensais trouver sur mes lieux d’enquête des personnes auxquelles je pourrais m’identifier en raison de mon contexte familial et d’une proximité sociale et culturelle supposée. Or, je me suis trouvée confrontée à des assignations identitaires qui m’extériorisaient par rapport au groupe libanais et interrogeaient mes normes et conceptions de la féminité, ainsi que mon appartenance religieuse. Mes interactions avec mes enquêtés remettaient en cause mon ethnicité libanaise. J’avais connu le racisme en France et les conséquences des étiquettes distinctives qu’il produit, mais je ne m’attendais pas à devoir y être confrontée dans les milieux migratoires libanais que je côtoyais, ni à y faire face en raison de ma couleur de peau, de mon style de vie et de certains aspects mon ascendance familiale. Une situation similaire sur certains points est décrite par Mamadou Diawara, à propos du dilemme que vit le chercheur issu des milieux sociaux dans lesquels il travaille (Diawara, 1985). Se rajoutait à mon expérience la problématique que rencontre tout chercheur – même issu du cru – sur un terrain non-occidental, liée à la méthode d’enquête « selon ‘les normes scientifiques’, donc étrangères au terrain  » (ibid. p. 14).

28Enfin, lorsqu’il enquête dans un environnement perçu comme familier mais où il se voit assigné à un statut d’étranger ou de semi-étranger, comme c’était finalement mon cas, le chercheur doit parvenir à dépasser ses frustrations associées à l’étiquetage social, et parfois ethnoracial dont il peut faire l’objet. Frustrations d’autant plus exacerbées que le chercheur croyait en sa proximité sociale et culturelle avec ses interlocuteurs. Il doit accepter et faire la paix avec les regards et jugements sociaux portés sur lui, car il ne pourra sans doute pas s’en affranchir et parce qu’en définitive, cette altérisation inattendue peut aider à construire la distance intellectuelle avec le groupe enquêté et à disposer sur le terrain de marges de manœuvre qu’une appartenance sans conteste aurait pu compromettre. Cette altérisation permet donc d’adopter une posture heuristique de marginal man/woman (Stonequist, 1935 ; Park, 2013), d’être du dedans et du dehors, outsider et insider. Cette question reste peu abordée dans la littérature en sciences sociales et constitue peut-être l’un des aspects les plus difficiles de ce type de travail d’enquête.

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Notes

1 C’est ainsi que le continent africain est dénommé, dans la prononciation arabe et libanaise : أفريقيا. C’est aussi le terme de référence que l’on utilise dans les discours locaux, de manière vague, lorsque l’on parle d’un pays africain.

2 Il s’agit ici de la notion de mémoire définie par Halbwachs (1950) et reprise par Paul Ricœur : « […] c'est à partir d'une analyse subtile de l'expérience individuelle d'appartenir à un groupe, et sur la base de l'enseignement reçu des autres, que la mémoire individuelle prend possession d'elle-même. » (Ricœur, 2000, p. 147). Aussi, ce ne sont pas seulement ni principalement les éléments du passé et les souvenirs qui font la mémoire, mais les enjeux du présent. Elle est un récit qui appartient au présent sur un passé reconstruit et reconstitué, permettant de s’approprier une histoire et une mémoire.

3 Le traitement discriminatoire des travailleurs immigrés au Liban est sévèrement critiqué par des organisations internationales de défense de droits de l’Homme qui s’inquiètent des dérives violentes contre ces populations, notamment lorsque ces actes sont perpétrés par les forces de l’ordre (Amnesty International, 2012).

4 Les critères de beauté associés à la forme des lèvres ou au type de cheveux sont variables en fonction des tendances, influencées en partie par la mode en Occident, mais surtout par les images des célébrités du Moyen-Orient. Ces critères ont ainsi subi une évolution notable. Les lèvres charnues, indésirables jusqu’aux années 1980, sont aujourd’hui incontournables aux yeux de nombreuses femmes beyrouthines issues des classes sociales favorisées, quitte à ce qu’elles se fassent opérer. Les cheveux se devaient d’être portés plus ou moins longs et raides, en fonction de la mode en vigueur, mais le tournant des années 2000 a réintroduit la culture des cheveux volumineux et caractériels, et de plus en plus de femmes libanaises assument leurs boucles et frisettes.

5 Sur la théorie de l’étiquetage (Labeling theory) voir Becker (1963).

6 Selon Jean-Luc Primon, « […] dans les analyses sociologiques, il est souvent difficile de distinguer ces concepts, sauf à dire que l’ethnicisation présume la mise en jeu d’un référent culturel ou ethnique (une même origine présumée) alors que la racialisation et la racisation font intervenir des marqueurs biologiques ou somatiques dans la catégorisation sociale. » (Primon, 2007, p. 8)

7 Sur la circulation des catégories dans l’interaction, voir Schegloff (2007).

8 En référence à la frontière ethnique de Fredrick Barth, qui définit le groupe plutôt que le « matériau culturel qu’elle renferme (1995, p. 213), et qui construit des distinctions, parfois sur la base de discriminations, vis-à-vis d’autres groupes, ainsi que des formes d’auto-identification.

9 « Suivre le fil des processus culturels de manière empirique suppose de se diriger vers un travail de terrain multi-situé » (Marcus, 1995, p. 97).

10 En 1999, un coup d’État renversa le pouvoir en place avec à sa tête le président Henri Konan Bédié. En avril 2000, Laurent Gbagbo fut élu président. Il gouverna sous tensions politiques jusqu’en 2010, date des élections présidentielles remportées par Alassane Ouattara. Ce fut le début d’affrontements armés, qui durèrent cinq mois et qui divisèrent Abidjan, entre Sudistes, fidèles à Gbagbo et Nordistes, supporters de son opposant. Ces conflits aboutirent à une guerre civile en 2011.

11 Dakar occupa dès le début du XXe siècle une place centrale dans l’administration coloniale, devenant la capitale de l’Afrique occidentale française (Chenal et al., 2009, p. 66) et bénéficia de grands plans d’aménagement urbain.

12 La Côte d’Ivoire et Abidjan en particulier étaient le moteur économique de la région ouest-africaine, surtout durant la période allant de 1960 à 1978 qui fut caractérisée de « miracle ivoirien » grâce à l’exportation de produits de rente, notamment le cacao.

13 Le Sénégal compte environ 30 000 Libanais et la Côte d’Ivoire 120 000, selon les représentations diplomatiques libanaises respectives. Ils sont majoritairement installés dans les centres urbains de Dakar et Abidjan.

14 Le commerce arachidier connut une croissance exponentielle durant la colonisation et offrit des opportunités économiques aux migrants libanais jusqu’à la crise survenue dans les années 1960.

15 En 1975, une guerre civile éclata au Liban entre les différents partis qui constituaient son paysage politique et confessionnel, des milices libanaises et des groupes armés palestiniens. La Syrie fit également intervenir son armée sur le territoire libanais. Les affrontements se poursuivirent avec l’invasion israélienne en 1982 qui atteint la capitale Beyrouth. Le conflit ne prit fin officiellement qu’en 1990 avec l’établissement de l’accord Taëf.

16 Les études sur la question se concentrent généralement sur un foyer migratoire libanais particulier, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone, au Ghana, etc. Deux études ont introduit une dimension comparative, celle de Fuad Khuri (1965), comparant l’ancienne Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et la Sierra Leone, et Boutros Labaki (1993) qui présente un panorama descriptif de la présence libanaise en Afrique de l’Ouest. Or, en construisant une lecture comparative des différents foyers migratoires et des interactions entre les individus provenant de ces points géographiques, je propose dans ma thèse de considérer ces derniers dans leurs singularités africaines, familiales et entrepreneuriales – et de considérer la confrontation de ces singularités.

17 Il s’agit de la procédure la plus commune pour demander un visa qui consiste à fournir une attestation d’hébergement et de prise en charge du demandeur une fois arrivée dans le pays d’accueil.

18 Parmi mes enquêtés, certains possèdent aussi des nationalités européennes.

19 “[…] urban anthropological fieldwork is characterized by flexibility, inventiveness and a reliance on serendipity. It involves what can be described as eclecticism or even a kind of ‘pragmatic amateurism’ […], qualities that seem well suited to urban settings.” (Jaffe & De Koning, 2015, p. 16)

20 90 % des Libanais à Dakar et à Abidjan appartiennent à cette confession selon les représentations diplomatiques. À Ouagadougou, ils sont en majorité chrétiens, bien que la population libanaise musulmane semble rapidement rattraper son retard quantitatif depuis l’arrivée de migrants libanais venus de Côte d’Ivoire et qui ont fui les conflits en 2010-2011.

21 L’arabe libanais appartient à la famille de l’arabe levantin, parlé au Liban, en Syrie et en Palestine. Dans cet article, je ne fais pas de distinction entre arabe et arabe libanais, car les deux se confondent dans le discours de mes enquêtés.

22 Les études en sociolinguistique sur les langues comme barrières à l’intégration dans les milieux de travail multiethnique s’intéressent aux frontières entre employés descendants de migrants et employeurs nationaux dans des sociétés européennes et américaines (Thuesen, 2016). Le cas des Libanais en Afrique de l’Ouest est intéressant en ce qu’il inverse ce rapport de pouvoir et donne à réfléchir sur les enjeux d’intégration, similaires ou différents de ceux qui se jouent dans les sociétés européennes.

23 Les prénoms et certains éléments bibliographiques ont été modifiés pour préserver l’anonymat de mes interlocuteurs.

24 Dans leur quotidien, mes enquêtés libanais utilisaient souvent le terme «  africain  » pour désigner des individus «  noirs  », de nationalité burkinabé, ivoirienne ou sénégalaise. Le clivage «  nous  » (Libanais)/»  eux  » (Africains) recouvrait une différenciation raciale fondée sur «  l’origine  » et la couleur de peau, même lorsque les premiers possédaient la même nationalité que les seconds. En sens inverse, les langues locales usent aussi d’un terme spécifique pour désigner et catégoriser de manière ethnicisée et raciale les individus libanais (par exemple, le terme «  naar  » en wolof au Sénégal). Toutefois, mes enquêtes ont montré que des solidarités entre descendants de migrants libanais et leurs compatriotes africains existent en reposant sur leur nationalité commune. De même, des ruptures identitaires entre descendants de migrants libanais détenteurs de différentes nationalités africaines peuvent être observées. A Ouagadougou par exemple, l’arrivée d’un grand nombre de Libanais de Côte d’Ivoire au début des années 2000 a provoqué des dissensions avec les Libanais de nationalité burkinabé.

25 Ce racisme est aussi à comprendre dans le cadre de la discrimination dont les Libanais d’Afrique font l’objet de la part des Libanais du Liban. En 2012, Jeune Afrique a consacré un article à la représentation des Libanais d’Afrique parmi leurs compatriotes au Liban : «  Par un étrange jeu de miroirs, les clichés répandus dans le pays du Cèdre sur les Libanais d’Afrique évoquent furieusement les poncifs qui courent sous les baobabs sénégalais. […] ‘Des chiites coloniaux cousus de dollars mal acquis’  » (De Saint Perier, 2012). La stigmatisation dont les Libanais d’Afrique font l’objet au Liban est due à une réappropriation d’un discours colonial sur l’Afrique, d’une part, et de l’autre à l’illustration d’un racisme interne à la société libanaise à l’égard des populations chiites, majoritairement de classe inférieure, issue des milieux ruraux. Voir à ce sujet Weiss (2007).

26 L’atteinte à cet honneur apparait plus grande lorsqu’il s’agit des membres féminins de la famille.

27 « […] a definite sense of doing more than just ethnography, and it is this quality that provides a sense of being an activist for and against positioning in even the most self-perceived apolitical field-worker » (Marcus, 1995, pp. 113-114).

28 Il s’agit ici de cas extrêmes d’hommes qui considéraient que la présence d’une femme dans un milieu masculin attisait les désirs sexuels, ce qui apparaissait préjudiciable à leur statut en public de par les comportements qu’elle pourrait provoquer. Fort heureusement, je ne fus pas souvent confrontée à ces situations.

29 À Dakar, c’est au cours d’un repas entre amies que Meriam — Libanaise se rapprochant de la soixantaine — me raconta son enfance dans la «  brousse  » à Diourbel et les bagarres entre groupes de jeunes issus de différentes familles libanaises, au motif de passions amoureuses ou pour contrôler le territoire. Des histoires comme celles-ci n’ont jamais été prises en compte dans les études sociologiques sur les Libanais en Afrique de l’Ouest.

30 À Dakar, des femmes âgées me racontaient autour d’une tasse de café comment les mères libanaises de leur enfance collectaient les beaux objets de décoration — tels que la vaisselle en porcelaine, des statues en ivoire, des tissus luxueux, etc. — qu’elles gardaient précieusement dans une caisse en bois dans l’espoir de s’en servir une fois rentrées au Liban.

31 En janvier 2014, je fis le tour des industriels libanais à Dakar en compagnie de quelques femmes membres de l’association Al-Houda. En plus de l’observation de leurs activités, ceci me permit d’établir des contacts avec des entrepreneurs pour ensuite leur demander des entretiens.

32 Cette pratique, qui existe dans différentes sociétés moyen-orientales, consiste à déchiffrer dans le marc du café des indications quant à l’avenir de la personne qui a bu dans la tasse. Elle est très largement pratiquée par les femmes de tout âge et de toute classe sociale. Ayant appris l’art de cette pratique dans ma famille avec ma grand-mère, je m’en servais pour tisser des liens avec mes interlocutrices en leur proposant mes services de «  voyante  » au cours de matinées entre femmes.

33 J’ai par exemple accompagné la mère de ma famille d’accueil à Abidjan à son cours d’aérobic réservé aux femmes, qui, dans ces conditions, peuvent se mettre à l’aise en tenue de sport et enlever leur voile.

34 La dabké, danse libanaise, qui connait plusieurs variations, fait également partie des référents culturels syrien et palestinien.

35 Le Plateau est un des quartiers du centre-ville de Dakar qui fut investi au cours de la colonisation pour y loger les populations et l’administration européennes, dans un cadre de modernité architecturale et économique. Des immeubles y furent ainsi érigés et des boutiques installées. Aujourd’hui encore, on y retrouve une forte concentration de boutiques qui vendent des articles européens, tenues par des Sénégalais, des Européens ou des Libanais.

36 La catégorie distinctive «  égyptienne  » est répandue dans l’imaginaire collectif et les représentations sociales libanaises, y compris dans les milieux migrants, et plus largement au Moyen-Orient. Les images ethnicisées et racialisées auxquelles cette catégorie se rapporte sont renforcées par l’importante circulation de films et séries télévisées égyptiennes. Dans les milieux libanais, le stéréotype d’une personne au teint sombre, voire «  noir  », notamment si elle est issue du sud de l’Égypte, est très courant.

37 Entretien J. S. le 04/08/2012 à Ouagadougou

38 Cette image est reproduite et manipulée par les médias, en l’amplifiant ou en l’interrogeant. Dans le monde de l’esthétique et des cosmétiques, la «  femme libanaise  » ou le «  maquillage libanais  » sont des catégories à part entière avec des codes spécifiques : des articles ainsi que des tutoriels en ligne montrent les étapes à suivre pour observer ces canons. Le recours à la chirurgie plastique est très courant dans la société libanaise, et les publicités s’adressent particulièrement à la population féminine.

39 L’association de l’individu occidental «  blanc  » à la ponctualité est un stéréotype hérité de la période coloniale qui a été réapproprié par plusieurs groupes sociaux «  non blancs  » et qui peut être réactivé dans les frontières «  eux  » (Occidentaux)/»  nous  » (non Occidentaux) (Le Renard, 2016).

40 Un décret français en 1872 érigea Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis en communes françaises, donnant accès aux originaires de ces lieux (c’est-à-dire à toute personne qui y était née) à la nationalité française (Dozon, 2003  ; Chenal et al., 2009, p. 66). Les Libanais de Dakar furent nombreux à bénéficier de ce décret transmettant la nationalité française de génération en génération, en plus de la nationalité libanaise et plus récemment de la nationalité sénégalaise.

41 L’Abaya est un vêtement féminin musulman long que l’on porte au-dessus d’autres vêtements. Il est d’usage dans plusieurs pays musulmans dont le Liban, particulièrement parmi les populations du Sud-Liban.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marwa El Chab, « Enquêter en tant que Libanaise et être ethnicisée comme « autre » dans des milieux migratoires libanais en Afrique de l’Ouest »Cahiers de l’Urmis [En ligne], 19 | 2020, document 5, mis en ligne le 26 juin 2020, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/urmis/1868 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/urmis.1868

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