Éditorial
Texte intégral
1Cette livraison des Cahiers de l’Urmis rassemble des contributions présentées aux Journées d’études sur la discrimination organisées conjointement par l’unité de recherche Migrations et société (Urmis-Soliis) et le Laboratoire de psychologie expérimentale et quantitative (LPEQ) en mai et décembre 2005 à la Maison des sciences de l’homme (MSH) de Nice dans le cadre du programme « L’étranger dans la cité ».
2Si le thème de la discrimination a été retenu pour la séance inaugurale de ce programme, c’est d’abord parce qu’il nous a semblé que les questions qu’il soulève sont à l’articulation des trois grands thèmes transversaux (Frontières, marges, discontinuités) autour desquels se sont construits les programmes de cette MSH.
3La discrimination pose de façon cruciale la question de la frontière, entendue dans ses dimensions à la fois cognitive et sociale plus que géographique. Si de façon générale, les sociétés sont organisées en référence à une frontière au-delà de laquelle se situent les étrangers, c’est en fait lorsque ces étrangers se trouvent être non pas en dehors des limites territoriales, mais dedans, des Autres parmi Nous, qu’ils sont, d’une manière ou d’une autre, l’objet de catégorisation et de désignation altérisante expliquant et légitimant la différence. Ils sont aussi très généralement l’objet de procédures sociales, politiques et juridiques de mises à distance, qui les maintiennent aux marges de la cité, et qui se manifestent par toutes sortes de restrictions, de limitations, de privations de l’accès aux biens et aux ressources. On peut penser à la restriction des franchises et des privilèges aux seuls civis dans les communes médiévales, aux restriction du droit d’ester en justice aux seuls citoyens athéniens, à la restriction du droit de vote et de l’accès aux emplois de la fonction publique aux seuls nationaux dans les démocraties contemporaines, et de façon générale à toutes les restrictions du droit de cité (concernant les conditions de l’admissibilité et du séjour, l’expulsabilité, les entraves à la liberté de circulation, l’exclusion de la participation politique, etc.). Enfin, la question de la discontinuité est à l’horizon de la discrimination, lorsque la catégorie sociale qui est l’objet d’un traitement différentiel en vient à être essentialisée comme étant une espèce différente et inférieure d’être humain, et lorsque les stéréotypes sont utilisés, pour reprendre les termes d’un des intervenants à ces journées, pour infra-humaniser les Autres.
4Ce qui caractérise les sociétés démocratiques contemporaines qui sont l’objet de nos travaux, c’est que la discrimination y est considérée comme un problème social, objet de mesures politiques, de directives européennes, doté d’institutions spécifiques (depuis longtemps dans la société britannique avec la création de la Commission for Racial Equality en 1976, depuis très peu de temps en France avec la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité). En France, cette prise en compte récente de la discrimination se focalise en particulier sur les « problèmes d’intégration » des jeunes issus de l’immigration, la discrimination qu’ils subissent dans les institutions (école, justice, entreprise.. ), pouvant être vue comme un signe d’échec du modèle républicain d’intégration, et de son impuissance à abolir la frontière sociale qui sépare ces jeunes de la société majoritaire, en dépit de leur assimilation culturelle et juridique. C’est pourquoi un grand nombre de contributions sont consacrées au pratiques discriminatoires s’exerçant à l’encontre des dites « deuxièmes générations » (dans le cadre scolaire ou universitaire, dans les situations d’embauche ou de travail) et à la façon dont ces jeunes perçoivent ces discriminations, et y réagissent.
5Deuxième raison du choix de ce thème, c’est qu’il se prête particulièrement bien au dialogue et au débat interdisciplinaire entre deux disciplines constitutives de cette MSH, la sociologie et la psychologie sociale. Michel Oriol met en évidence à la fois la difficulté de l’exercice consistant à croiser les résultats obtenus à l’aide d’une grande diversité d’outils méthodologiques : études statistiques, enquêtes qualitatives, dispositifs expérimentaux, mais aussi l’intérêt d’éclairer différentes facettes de la discrimination à partir de questions-clefs de nos disciplines respectives : les relations intergroupe, la catégorisation sociale, les préjugés et les stéréotypes d’une part, et d’autre part l’intégration ou l’exclusion sociale, le racisme, et les politiques publiques.
6Nous espérons avoir réussi, à travers ces premiers échanges, à amorcer un dialogue. Tout l’intérêt d’une structure comme la MSH est d’offrir un cadre idéal pour le poursuivre.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jocelyne Streiff-Fénart et Dirk D. Steiner, « Éditorial », Cahiers de l’Urmis [En ligne], 10-11 | 2006, mis en ligne le 07 décembre 2006, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/urmis/177 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/urmis.177
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