1Ce numéro des Cahiers de l’Urmis réunit des articles issus de communications présentées lors du colloque Les espaces de la migration lusophone : circulations, régulations, représentations, qui s’est tenu à l’université Paris Diderot les 18 et 19 septembre 2014. Ces deux journées, qui marquent chaque année le début du calendrier universitaire se donnent pour objectif premier d’introduire les étudiants du Master Migrations et relations interethniques à de grandes questions théoriques et méthodologiques de leur domaine de spécialisation. Elles sont aussi pour les chercheurs de l’Urmis l’occasion de faire le point sur des thématiques transversales aux travaux qu’ils mènent.
- 1 Michel Oriol et Albano Cordeiro ont notamment joué un rôle décisif dans les recherches menées en Fr (...)
2En 2014, c’est donc le thème des migrations lusophones qui a été retenu. Il trouve son origine dans l’intérêt de longue date de l’Urmis pour l’immigration portugaise en France et dans la présence en son sein de chercheurs et de doctorants travaillant sur des pays lusophones comme le Brésil et le Mozambique1. Ces derniers sont d’ailleurs à l’origine du Groupe de Travail sur les Migrations Lusophones (http://lusophones.hypotheses.org) qui réunit régulièrement celles et ceux (anthropologues, géographes, historiens, linguistes et sociologues) qu’intéresse la diversité des phénomènes migratoires dans ces sociétés. Loin cependant de proposer une approche culturaliste, prendre pour objet la « migration lusophone » offre une focale originale pour réfléchir dans une perspective interdisciplinaire à des questions de nature diverse qui, si elles se posent dans des espaces distants les uns des autres, n’en ont pas moins souvent des points communs et des relations étroites.
- 2 L’ouvrage collectif dirigé par Michel Cahen et Éric Morier-Genoud en présente une partie (CAHEN et (...)
3Les territoires colonisés par les Portugais ont en effet donné lieu à de très nombreux phénomènes migratoires dont il n’est pas le lieu ici de faire la liste2. Citons seulement, à titre d’illustrations de cette diversité, les migrations du Portugal vers le Brésil qui continueront de façon intensive plus d’un siècle après son indépendance en 1822, l’installation d’Indiens de Goa au Mozambique, les flux de Madère vers l’Afrique du Sud dès la fin du XIXe siècle, l’arrivée de plus d’un million de Portugais en France en 1957 et 1974, ou, plus récemment, avec la crise économique qui frappe le Portugal, le départ de centaines de milliers de jeunes Portugais vers le reste du monde et, notamment, l’ancienne colonie d’Angola, en plein essor, trente ans après que plus de 500 000 Portugais ont dû abandonner précipitamment les provinces d’outre-mer au lendemain de la Révolution des Œillets.
4L’article d’Albano Cordeiro qui ouvre ce dossier revient sur les recherches menées en France sur les Portugais. Il souligne que le nombre limité d’études sur cette population a contribué à l’entretien de stéréotypes, qu’il s’agisse de sa représentation sous les traits d’une immigration temporaire destinée à revenir dans les villages dont elle était massivement issue ou de couples composés d’un homme travaillant dans le bâtiment et d’une femme gardienne d’immeuble. Or cette population s’est considérablement diversifiée, et ce manque relatif d’études interdit de mettre clairement en évidence ce qui la rapproche et la différencie, tant des couches populaires constituées de Français natifs que des autres immigrations.
5Dans son texte, Sónia Ferreira se donne pour objet d’analyser la relation entre médias et performance en contexte migratoire, à partir des questions soulevées dans l’émission de télévision « Magazine Contacto », production apparue en 2003 à la Radiotélévision Portugaise Internationale. À partir du cas de la France comme espace de production de contenus « diasporiques », l’objectif de son article est ainsi d’articuler les questions qui circulent entre l’anthropologie des médias et de la performance et la discussion sur la construction de l’identité nationale dans les espaces dits de la « diaspora portugaise ».
6On reste dans le domaine des discussions sur les médias avec Manuel Antunes da Cunha qui livre une analyse du programme « Portugueses pelo Mundo », diffusée depuis 2010 sur la chaîne publique RTP1. Cette série documentaire est devenue un espace de référence en ce qui concerne la visibilité médiatique des émigrés dans leur pays d’origine. Centrée autour des deux premières saisons, cet article dévoile le profil et le(s) discours de 85 expatriés, pour la plupart de jeunes diplômés qui valorisent leur vécu multiculturel et le succès de l’intégration, au détriment d’éventuelles adversités inhérentes au parcours migratoire.
7Dans sa contribution qui concerne également l’image, Filomena Silvano réfléchit sur l’observation du tournage du documentaire - Esta é a minha casa, du cinéaste João Pedro Rodrigues – qui porte sur une famille d’émigrants portugais. En faisant une ethnographie multi-située, l’auteure veut comprendre les processus de construction des univers culturels et identitaires des différents membres de la famille, en tenant compte du fait qu’ils vivent en voyage constant entre deux petits villages portugais et la ville de Paris.
8Toujours dans un contexte de traversées des frontières, Paula Godinho interroge les changements du travail dans un contexte qui incorpore en permanence la frontière entre le nord du Portugal et la Galice : la zone entre Chaves et Verín. Sa contribution résulte d’une enquête ethnographique de longue durée, commencée dans les années 1980 et riche en retours sur le terrain, et complétée par des recherches documentaires dans les archives centrales, régionales et locales, aussi bien publiques que privées. Elle fait l’histoire et interroge une frontière qui ne sert plus à maintenir les personnes mais qui a gagné des vertus emblématisantes et patrimonialisées.
9À partir des archives du Conseil National du Patronat Français (CNPF) portant sur la population immigrée du Portugal en France dans les années 1960/70, Inês Espírito Santo rend compte du discours de cette organisation sur les travailleurs portugais, de ses objectifs et de son impact sur l´espace des représentations français. Elle montre que l’« intérêt » du CNPF pour les immigrés portugais constitue une réponse à l´opinion publique qui appelait à la responsabilisation du patronat quant aux conditions de leur logement.
10En se plaçant dans le contexte brésilien et afin de répondre au débat historiographique sur la politique migratoire pendant l’Ère Vargas (1930-1945) Mônica Raisa Schpun déplace le regard et concentre son attention sur les itinéraires et les expériences des migrants eux-mêmes, et non pas sur l’État et les élites politiques, qui occupent habituellement dans cette littérature le centre de la scène. L’auteure suit ainsi les parcours migratoires d’un groupe de personnes aux profils très variés qui ont quitté l’Allemagne par le port de Hambourg avant de s’installer à São Paulo, dans une histoire racontée « par le bas » ayant le but de dresser un portrait des expériences migratoires, des difficultés vécues et des opportunités saisies par un groupe de Juifs allemands arrivés au Brésil à la fin des années 1930.
11Les trois derniers articles du dossier nous amènent dans les anciennes colonies portugaises en Afrique.
12L’étude de Susana Trovão et Filomena Batoréu compare les pratiques entrepreneuriales transnationales des Ismaéliens qui se sont installés dans les territoires des colonies britanniques et portugaises de l’Afrique orientale et dans l’actuelle Angola. Son objectif est de discuter l’impact des expériences coloniales dans la reconfiguration de leur culture entrepreneuriale transnationale, ce qui permet de comprendre les avantages compétitifs acquis par les Ismaéliens dans différents contextes africains, coloniaux et postcoloniaux.
13Dominique Vidal s’intéresse aux migrants du Mozambique dans le Johannesburg de l’après-apartheid. Ceux-ci ne viennent plus pour la plupart dans le cadre du labour migrant system qui, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1980, canalisait les migrations du sud du Mozambique vers les installations minières de la métropole sud-africaine. C’est en mettant en œuvre une logique qui exploite au mieux les interstices de l’espace qu’ils s’adaptent à une ville où il existe aujourd’hui une forte xénophobie à l’encontre des Africains originaires d’autres pays.
14L’article d’Irène dos Santos qui clôt le dossier porte sur le rapport au passé colonial d’individus ayant récemment migré du Portugal en Angola. Or, qu’ils soient seulement de nationalité portugaise ou des binationaux nés de couples mixtes, beaucoup ont des liens familiaux avec ce territoire, dont le départ massif des colons au moment de l’indépendance avait entraîné une augmentation de 5 % de la population de la métropole. C’est donc l’articulation des subjectivités migrantes avec les mémoires familiales et les liens entre les générations qui est ici explorée.