Recension : Penny Starfield et Fabien Boully (dir.), Écrans, n° 15, « Mémoire et réécritures dans les séries télévisées », Paris, Classiques Garnier, 2021 – 1 (279 p.)
Penny Starfield et Fabien Boully (dir.), Écrans, n° 15, « Mémoire et réécritures dans les séries télévisées », Paris, Classiques Garnier, 2021 – 1 (279 p.)
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1Écrans est une revue interdisciplinaire semestrielle lancée en 2014. Ses numéros thématiques portent sur le domaine audiovisuel (avec une prédilection pour le cinéma) et traitent des problématiques contemporaines des cultures et des arts de l’image. Après avoir consacré un premier dossier aux séries télévisées en 2015 (« L’analyse des séries télévisées », sous la direction de Jean-Pierre Esquenazi), la revue y revient six ans plus tard en se concentrant sur une thématique plus spécifique : la mémoire et les réécritures sérielles.
2C’est toutefois une acception particulièrement large de la « série télévisée » qu’adopte ce quinzième numéro d’Écrans, puisqu’il y est également question de séries de films (les James Bond des années 1960), de jeux vidéo (God of War), d’un film interactif créé pour une plateforme de streaming (Bandersnatch, issu de la série britannique Black Mirror), ou encore d’une série documentaire (The Keepers). À des perspectives internationales ou transnationales s’associent des textes écrits en anglais (deux sur quatorze, le reste étant en français) et des études de transfictionnalité, d’interactivité et de réception.
3Comme l’expliquent Penny Starfield et Fabien Boully en introduction, le sujet de la mémoire télévisuelle est tellement vaste qu’il ne s’agit pas d’en livrer une analyse exhaustive mais, plus modestement, un « panel d’études qui constituent autant de coups de sonde » (p. 19). Là aussi, la perspective est encore élargie par l’annexion des réécritures sérielles – ce dont s’expliquent les directeurs de publication en considérant que « la question de la réécriture est consubstantielle à celle de la mémoire » et en se demandant de façon rhétorique si « réécrire, [ce n’est pas] de toute façon s’appuyer sur un texte premier que le texte second garde en mémoire ? » (p. 18).
4Il en résulte un plan en trois parties se voulant ouvertement « en trompe-l’œil » (Ibid.), les notions de mémoire et de réécriture étant souvent abordées de front au sein des différents articles. La première partie, « Réécritures sérielles », se penche sur les procédés d’échange, de reprise et de transfert interfictionnels en prenant pour objets d’étude le cinéma et la télévision britanniques des années 1960 (Jonathan Bignell, « Adventures between TV and film, and between Britain and America »), la minisérie franco-germano-suisse Winnetou le Mescalero, diffusée en 1980 sur Antenne 2 (Penny Starfield, « Réécritures en série. Le cas Winnetou »), la série de jeux vidéo God of War (Andrei Valla, « Kratos et la colère d’Achille. Réécriture des origines de l’Occident par la violence »), le film interactif produit pour Netflix Bandernatch (David Gaillard, « Bandersnatch. Collaboration entre interactivité et transfictionnalité dans un film actable »), ainsi que les séries policières les plus populaires en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis (Dominique Sipière, « Mémoire et réécritures dans les séries policières »).
5Les articles de la deuxième partie, « Mémoire et oublis », explorent la (perte de) mémoire en se focalisant sur les séries télévisées, que celles-ci soient américaines, britanniques ou, pour la dernière abordée, belge. Philippe Ortoli revient sur la cinquième et dernière saison de Prison Break, revival de neuf épisodes diffusé sur Fox en 2017, six ans après l’arrêt de la série (« La grande évasion. Prison Break et la tragédie de Michael Scofield »). Raphaëlle Costa de Beauregard s’intéresse aux souvenirs des personnages et à la mémoire des lieux des deux premières saisons de Downton Abbey, série britannique diffusée sur ITV de 2010 à 2015 (« Remembering and forgetting in television series. The case of the first two seasons of Downton Abbey »). Faika Saci analyse le cas très particulier de Twin Peaks: The Return, suite à la fois annoncée et inespérée de la série de David Lynch et Mark Frost (« Twin Peaks: The Return ou l’irruption du souvenir d’une série »). Florent Favard embrasse une perspective plus transversale en théorisant les « mondes palimpsestiques » et les « personnages-vestiges » que produisent des séries des genres de l’imaginaire comme les Star Trek, Doctor Who et The Good Place (« Mondes palimpsestiques et personnages-vestiges. Comment (ne pas) faire table rase dans les séries télévisées »). Quant à Hélène Breda, elle s’intéresse spécifiquement à la saison inaugurale de la série belge La Trêve (RTBF, 2016-2018), en réinvestissant son concept doctoral de tissage narratif (« Tisser les (trous de) mémoires dans le récit de la série télévisée belge La Trêve »).
6La troisième et dernière partie de ce quinzième numéro d’Écrans, intitulée « Mémoire et histoire, mémoire et vérité », élargit encore le spectre de recherche en se penchant sur la coproduction anglo-américaine Rome (Victor Faingnaert, « Rome, un retour aux sources »), la série espagnole Verano Azul, diffusée sur TVE1 entre 1981 et 1982 (Nadia Ait Bachir, « Changement, consensus et réconciliation. Pour des représentations – simplifiées et didactiques – de la Transition espagnole dans la série Verano Azul »), la série Narcos, plus colombienne qu’étatsunienne (Nadia Tahir, « Narcos, une histoire d’archives »), ainsi que la minisérie documentaire The Keepers, inscrite dans le genre du « True crime stories » (Fabien Boully, « The Keepers, une éthique de la mémoire »).
7C’est donc à un voyage dense, original et hétéroclite que nous convie ce nouveau numéro de la revue Écrans, à travers les méandres de la mémoire sérielle et de ses diverses réécritures. Dans leur introduction (qui vaut pour un article à part entière, tant son propos ouvre des brèches et appelle de nouveaux développements), Penny Starfield et Fabien Boully n’hésitent d’ailleurs pas à considérer les séries télévisées comme « l’une des plus grandes formes d’exploration contemporaine de la mémoire » et à y voir « un formidable terrain de création de dispositifs mémoriels » (p. 13). Tous deux ajoutent que lesdites séries ne sont plus les seules à avoir désormais une mémoire : la plupart de spectateurs d’aujourd’hui sont, eux aussi, « habités par des souvenirs de séries » (p. 17). Celles qui abreuvent nos écrans depuis une décennie étant de plus en plus attachantes (au sens où l’articulation feuilletonnante de leur narration nous pousse à regarder la suite), elles en viennent à représenter un « terreau mémoriel fondamental de la culture visuelle » (Ibid.). La mémoire n’est donc pas seulement historique ou matière fictionnelle ; elle peut être composée par les séries télévisées elles-mêmes, selon une « circularité médiatique et postmoderne » (p. 16) qui atteste que le sujet n'a pas fini de s’étendre et de susciter de nouvelles exégèses.
Pour citer cet article
Référence électronique
Benjamin Campion, « Recension : Penny Starfield et Fabien Boully (dir.), Écrans, n° 15, « Mémoire et réécritures dans les séries télévisées », Paris, Classiques Garnier, 2021 – 1 (279 p.) », TV/Series [En ligne], 23 | 2024, mis en ligne le 25 octobre 2024, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tvseries/8327 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12lhx
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