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Résumés

Cet article propose d’analyser la série The Good Place (NBC, 2016-2020) sous l’angle de la réflexivité et du métadiscours qu’elle déploierait sur la sérialité contemporaine en la comparant à d’autres séries riches en métatexte qui explorent des thèmes similaires. Comme Westworld (HBO, 2016-2022), The Good Place décrit un simulacre infernal basé sur une succession de reboots qui ne produisent d’abord aucun sens, du fait de l’amnésie de leurs protagonistes. La série partage aussi avec Person of Interest (CBS, 2011-2016) un discours similaire sur la valeur de la vie humaine face à des algorithmes et des systèmes de surveillance de plus en plus inhumains et déshumanisants, à mettre en regard de la diffusion internationale de The Good Place, qui prend place sur la plateforme Netflix. Enfin, les liens prégnants qui existent entre The Good Place et Lost (ABC, 2004-2010) permettent d’explorer le discours que tient la première sur la « promesse de dénouement » et la « bonne » fin des séries.

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Texte intégral

1« This is the Bad Place! » s’exclame Eleanor (Kristen Bell) au terme de la première saison de The Good Place (NBC, 2016-2020). Elle vient alors de réaliser que l’au-delà dans lequel elle s’est retrouvée après sa mort n’est pas le « Bon Endroit », comme le lui a fait croire Michael (Ted Danson), figure démiurgique au sourire carnassier ; il s’agit en réalité du « Mauvais Endroit ».

2Ce twist n’a rien d’étonnant pour elle : après tout, elle le sait depuis le début, elle était loin d’être un ange, et la vie qu’elle a menée ne lui aurait jamais ouvert les portes du paradis. Croyant d’abord qu’il y a eu erreur sur la personne et qu’elle a été confondue avec une homonyme autrement plus philanthrope, elle comprend bien plus tôt que d’autres qu’elle ne mérite pas de vivre éternellement dans le « Quartier » bucolique et pastoral conçu par l’Architecte Michael. Chidi (William J. Harper), Tahani (Jameela Jamil) et Jason (Manny Jacinto) pensent eux aussi avoir fait les frais d’une erreur de casting, et sont bien vite convaincu·es que leurs vices, leurs mensonges et leur culpabilité grandissante sont la cause du délitement du Bon Endroit, entre attaque de coccinelles géantes et failles béantes engloutissant d’autres habitant·es. Tout ceci s’avère être une vaste opération de torture psychologique mise en place par Michael, démon du Mauvais Endroit à la recherche de nouvelles façons de tourmenter les âmes humaines.

3Ré-imagination du Huis clos de Sartre, la première saison de The Good Place pose ainsi les fondations d’une série qui se veut comique et philosophique : Chidi, professeur de philosophie morale, tente d’enseigner à ses comparses comment devenir une meilleure personne, et peut-être, mériter un jour d’entrer au Bon Endroit – le vrai, celui-là. La série se fait alors l’écho de diverses écoles de pensée, cite régulièrement des philosophes, d’Aristote à T. M. Scanlon, et confronte ses protagonistes à des mises en situation parfois littérales de problèmes éthiques insolubles tels que le Dilemme du tramway.

  • 1 On retiendra notamment James M. Russel, The Forking Trolley, An Ethical Journey to The Good Place, (...)
  • 2 Guillaume Soulez, « La double répétition », Mise au point, no3, 2011, http://journals.openedition.o (...)
  • 3 L’ouvrage, qui s’inscrit dans la veine contractualiste de la philosophie morale, est régulièrement (...)

4Que The Good Place soit une série philosophique ne fait aucun doute : elle est probablement l’une des rares à pousser si loin le concept, qui plus est de manière aussi explicite ; et dans le domaine universitaire, elle a fourni le support idéal pour les collections explorant la philosophie au prisme de la pop culture1. La matrice de la série, au sens de Guillaume Soulez, son horizon philosophique2, nous renvoie à nos propres questionnements sur « ce que nous devons les uns aux autres », selon l’expression de T. M. Scanlon,3 que les protagonistes répètent à l’envi durant quatre saisons.

  • 4 David C. Giles, « Parasocial Relationships » in Characters in Fictional Worlds: Understanding Imagi (...)
  • 5 Sandra Laugier, Nos vies en séries, Paris, Climats, 2019.
  • 6 Soulez, op. cit., paragraphe 8.
  • 7 Claire Cornillon et Sarah Hatchuel, « Analysing Semi-Serialized Television Fictions: the Ethical St (...)

5On pourrait y voir une mise en abyme du rôle que les fictions peuvent jouer dans nos vies, nous amenant parfois, par le biais d’environnements fictionnels et des relations para-sociales4 que nous pouvons tisser avec leurs personnages, à faire évoluer notre point de vue sur le monde. C’est précisément la thèse de Sandra Laugier, dans Nos Vies en séries5, que l’on peut aussi faire découler de la notion de matrice telle que théorisée par Soulez, qui « comporte un problème, une question qui demande à être développée, et même plus spécifiquement retravaillée, c’est-à-dire réexaminée plusieurs fois, sous des angles différents » et qui renvoie « le spectateur à son travail et son engagement sériel6. » Claire Cornillon et Sarah Hatchuel rappellent combien il est important de ne pas limiter l’analyse de ces horizons philosophiques au contenu : la forme est tout aussi cruciale, et les modalités variables de la sérialité ont une influence notable sur le travail que le public est invité à réaliser7. C’est en marchant dans leurs pas que je m’intéresserai à la structure du texte ainsi qu’à celle du monde fictionnel, et à la façon dont elles se répondent au sein de l’univers en constante reconfiguration de The Good Place.

  • 8 En prenant bien sûr en compte la grande variabilité des critères employés à travers les époques et (...)

6L’approche que j’adopterai au gré de cet article prendra donc la série à revers : en exploitant sa forte dimension réflexive et sa proximité avec d’autres fictions, notamment les séries Lost (ABC, 2004-2010), Westworld (HBO, 2016-2022) et, dans une moindre mesure, Person of Interest (CBS, 2011-2016), j’émets l’hypothèse que The Good Place peut être lue comme une série qui s’interroge, et nous interroge, sur ce que pourrait être une « bonne » série – entendons par-là, non pas une série « de qualité », au-dessus des autres, mais bel et bien, une « bonne » série, une série qui fait du bien et qui fait le bien (et, accessoirement, qui le fait bien8).

7Après avoir passé en revue les éléments qui cristallisent la métatextualité de la série et l’apparente notamment à Westworld, puis sa critique appuyée des systèmes de surveillance de masse qui la rapproche de Person of Interest, j’explorerai les leçons que The Good Place pourrait avoir tirées de Lost afin d’évoquer quelques pistes qui pourraient mener vers un Bon Endroit télévisuel.

1. Ce que les séries doivent aux autres séries

8Michael Schur, le créateur de The Good Place, a su faire de la philosophie à la fois la source d’inspiration de ses protagonistes et le matériau de nombreuses punchlines, au rang desquelles figure la scène d’introduction du S01E03, devenu un mème sur internet, dans laquelle Chidi fait découvrir à Eleanor les grands penseurs de la Grèce Antique :

Eleanor: Are we sure we should be paying attention to these guys? It’s like, who died and left Aristotle in charge of ethics?
Chidi : Plato.

9De la même façon que ces blagues d’initié enrobent une réflexion stimulante – quoique généralement ahistorique et quelque peu décontextualisée – sur les grands principes de la philosophie morale, les fréquents clins d’œil métatextuels de la série pourraient être l’arbre qui cache la forêt.

10La dimension réflexive de The Good Place est mise en place de manière furtive dans la première saison, lorsque Eleanor, pensant qu’on l’a confondue avec son homonyme, tente de se faire passer pour cette femme que Michael lui décrit en termes élogieux. Bien vite, elle comprend que Jason suit la même stratégie pour ne pas être envoyé dans le Mauvais Endroit, et prétend être un moine taïwanais. Par intérêt personnel, Eleanor, Jason, Chidi et Tahani jouent un rôle, quitte à mettre en danger le Bon Endroit lorsque leurs « mauvaises ondes » provoquent des événements catastrophiques. L’apparition de la « véritable » Eleanor, ramenée du Mauvais Endroit, n’est qu’une étape de plus dans la torture psychologique infligée par Michael.

  • 9 Claire Cornillon, « La forme semi-feuilletonnante formulaire : l’exemple d’Ally McBeal », TV/Series(...)

11Lorsque les masques tombent à la fin de la première saison, la performance change de camp : Michael est en réalité un démon, de même que les autres habitant·es du « Bon Endroit », et jusqu’à la « véritable » Eleanor. Le huis clos de The Good Place n'est pas une pièce de théâtre ; c’est un artifice, un simulacre, une superproduction hollywoodienne qui n’a rien à envier au Truman Show (Peter Weir, 1998) : elle est aussi sérielle, chaque jour amenant son lot de péripéties, et une occasion de plus pour les quatre humains de se sentir coupables d’être au Bon Endroit. La structure de la première saison penche ainsi du côté d’un format semi-feuilletonnant épisodique, sans formule claire9, où l’intrigue à long terme se nourrit d’intrigues bouclées dans le temps d’un épisode (le cours de vol du S01E02 ; le gala du S01E04 ; Janet distribuant des cactus dans le S01E08, etc.).

12La mise en abyme apparaît d’autant plus évidente durant la seconde saison : Michael efface la mémoire de ses quatre cobayes – et en profite pour réinitialiser Janet, la base de données anthropomorphe qui l’assiste – avant de recommencer l’expérience, encore et encore, en changeant le script à chaque fois. Ces multiples reboots donnent l’occasion aux démons d’affiner leur talent pour la comédie, tandis que Vicky, le démon qui incarnait la « véritable » Eleanor, se plaint d’avoir été reléguée au rang de figurante (« Everything is Great !, Part 1 », S02E01) et remplacée dans le rôle principal par un autre démon, Angélique :

Vicky: It just feels like I used to be Real Eleanor, and now I'm Denise.
Michael: Denise is a good part, with a... a great backstory. You run the best pizza place in the Neighborhood. You have a cat, and that's cool.
Vicky: I took this job because it seemed fun and different, and in the original version, I got to break Chidi's heart, like, 20 times, and it was great. I mean, he was miserable. And now, Angélique gets to torture him? […] I am a Ferrari, okay? And you don't keep a Ferrari in the garage.
Michael: I hear your concern. I do. And I promise you, there is a great arc coming for Denise the pizza lady in about 80 years or so. Chidi is going to accidentally kill your cat. It's gonna give you a great chance to shine.

13La construction d’un vaste simulacre fondé notamment sur la qualité des backstories et des story arcs ; des protagonistes amnésiques qui recommencent constamment à zéro pour le plaisir sadique de figures manipulatrices se faisant passer pour leurs semblables : tous ces éléments nous permettent de dresser un parallèle avec Westworld. Dans la série créée par Jonathan Nolan et Lisa Joy, en effet, ce sont des androïdes qui perdent chaque jour la mémoire des expériences horribles que leur font régulièrement vivre les visiteur·ses humain·es du parc à thèmes futuriste, aux attractions soigneusement conçues par un narrative designer mégalomane (voir figures 1 et 2).

Figures 1 et 2 : Lee Sizemore présente la nouvelle storyline et les nouveaux personnages de Westworld aux équipes du parc (S01E02) ; Michael présente le Quartier du Bon Endroit et ses personnages aux humains qui ne se doutent de rien (S01E01).

Figures 1 et 2 : Lee Sizemore présente la nouvelle storyline et les nouveaux personnages de Westworld aux équipes du parc (S01E02) ; Michael présente le Quartier du Bon Endroit et ses personnages aux humains qui ne se doutent de rien (S01E01).
  • 10 Florent Favard, « “The maze wasn’t made for you”: Artificial consciousness and reflexive narration (...)

14Si dans Westworld, cet effacement perpétuel de la mémoire est étroitement lié à la question de l’émergence de la conscience10, dans The Good Place, c’est la capacité à devenir une meilleure personne qui se retrouve entravée par les amnésies répétées que Michael inflige aux humains. Dans les deux cas, les protagonistes luttent à armes inégales pour un libre-arbitre qui paraît illusoire face à l’omnipotence de figures démiurgiques capricieuses et volatiles : à l’influence combinée de l’insupportable Lee Sizemore (Simon Quaterman), Head of Narrative de Westworld, et du concepteur du parc, Robert Ford (Anthony Hopkins), semble répondre le facétieux Michael, figure de showrunner cruel, qui porte le prénom de son propre créateur, Michael Schur (tout comme Jacob, dans Lost, porte le second prénom de J. J. Abrams).

  • 11 Voir par exemple Pacôme Thiellement, La Victoire des Sans-Roi, Paris, PUF, 2017, p. 180.

15On retrouve là un motif que ne renierait sans doute pas Pacôme Thiellement, qui voit l’influence de la théosophie gnostique dans la pop culture11, et ce d’autant plus que Robert Ford comme Michael, des êtres en apparence omnipotents (en apparence seulement) sont déterminés à contrôler une protagoniste que l’on pourrait assimiler à la Sophia car ils craignent son pouvoir : Dolores (Evan Rachel Wood) et Eleanor voient clair dans leur jeu (figures 3 et 4). Si Dolores, dans Westworld, apparaît comme une figure de pureté destinée à s’émanciper par tous les moyens, y compris les plus violents, Eleanor suit un parcours qui, sans être l’exact inverse, l’emmène d’une misanthropie assumée à un altruisme sans bornes. Toutes deux parviendront, d’une manière ou d’une autre, à briser leurs chaînes, et c’est là que la comparaison s’arrête : Dolores tue son démiurge ; Eleanor s’en fait un allié.

Figures 3 et 4 : Robert Ford, concepteur du parc, et l’androïde Dolores, avec Bernard, l’androïde au service de Ford, et une reproduction de la Création d’Adam de Michel-Ange ; Michael, démon manipulateur, et Eleanor, humaine misanthrope, avec Janet, l’anthropoïde au service de Michael, et un portrait de Doug Forcett, le seul humain à avoir deviné comment fonctionne l’algorithme du Bon Endroit.

Figures 3 et 4 : Robert Ford, concepteur du parc, et l’androïde Dolores, avec Bernard, l’androïde au service de Ford, et une reproduction de la Création d’Adam de Michel-Ange ; Michael, démon manipulateur, et Eleanor, humaine misanthrope, avec Janet, l’anthropoïde au service de Michael, et un portrait de Doug Forcett, le seul humain à avoir deviné comment fonctionne l’algorithme du Bon Endroit.
  • 12 Michael J. Clarke, « Lost and Mastermind Narration », Television & New Media, Vol. 11, n°2, 2010, p (...)
  • 13 Le lien entre The Good Place et le Magicien d’Oz serait totalement fortuit, de l’aveu même de Micha (...)

16Il est d’autant plus troublant de constater que, si elle s’inscrit dans la lignée d’autres séries comme Lost, mettant en scène aux marges de la diégèse des figures de mastermind12 manipulatrices que n’aurait pas renié Le Magicien d’Oz13, The Good Place partage spécifiquement avec Westworld un goût pour la figure du narrative designer sadique, d’autant plus proche du démiurge gnostique. Voici comment Lee Sizemore présente la nouvelle attraction du parc Westworld dans « Chestnut » (S01E02) :

Lee Sizemore: This storyline will make Hieronymus Bosch look like he was doodling kittens. I have vivisection, self-cannibalism, a special little something I call the "whoroborus." Now, I don't want to appear immodest, but this is the apex of what the park could provide—

17Les démons ne sont pas plus avares en détails, qui décrivent régulièrement des formes de tortures aussi originales que terrifiantes : abeilles pourvues de dents, décapitations partielles et araignées sortant des entrailles... Rien, toutefois, qui n’égale le génie créatif de Michael, félicité par son supérieur Shawn (Marc Evan Jackson) dans « Leap of Faith » (S02E09) :

Shawn: When you proposed this new form of torture, we all laughed behind your back. […] But against all odds, it seems you've pulled it off. What you've done here is truly amazing.
Michael: Really?
Shawn: Yes, these reports are remarkable. Your humans are experiencing emotional torture at the same level of physical torture, created by our squiggliest eyeball corkscrews. I'm jubilant.

18Les deux séries mettent en scène un public aussi sadique que les concepteurs des attractions, friand de torture, de misère et de chaos. Dans Westworld, ce sont les humains qui visitent le parc sans que les androïdes ne soupçonnent leur véritable nature ; dans The Good Place, les démons qui se plaisent à passer pour des humains afin de participer à la torture psychologique des protagonistes. À quel type de public pourraient faire référence Westworld et The Good Place au gré de ces mises en abyme ? Assurément, dans les deux cas, à un public qui se sent supérieur aux créations ou rats de laboratoire qui tournent en rond dans Westworld et le Quartier ; un public qui les méprise, les déteste, et aime à les voir souffrir (voir figures 5 et 6).

Figures 5 et 6 : Robert Ford contrôle ses androïdes et présente une nouvelle storyline au public (S01E10) ; Michael tente de persuader les démons mécontents que son écriture va gagner en sadisme (S02E01).

Figures 5 et 6 : Robert Ford contrôle ses androïdes et présente une nouvelle storyline au public (S01E10) ; Michael tente de persuader les démons mécontents que son écriture va gagner en sadisme (S02E01).

19On pourrait voir ici tantôt une référence aux pratiques de hate-watching, tantôt une réflexion sur une pop culture contemporaine sombre, violente et sans espoir, de Game of Thrones à The Walking Dead en passant par Black Mirror. Cependant, au contraire des téléspectateur·ices du Truman Show que l’on aperçoit régulièrement devant leurs télévisions, le public notamment impliqué dans le S01E10 de Westworld et celui des deux premières saisons de The Good Place possèdent le double point commun d’être impliqué artistiquement et économiquement dans le simulacre. Si mise en abyme il y a, il ne s’agit pas d’une audience, mais d’une équipe impliquée dans la production du simulacre.

20Dès le S01E02 de Westworld, Bernard (Jeffrey Wright) rappelle à Robert Ford que les actionnaires s’impatientent car la nouvelle storyline du parc se fait attendre ; c’est cette storyline cruelle que leur présente Ford sur la plage, dans le dernier acte du S01E10. Si l’argent n’a pas d’importance dans l’au-delà, les démons de The Good Place, en torturant les âmes humaines, n’en font pas moins leur travail, et la série se plaît à les représenter comme des cols-blancs qui rendent des rapports et doivent des comptes à leurs supérieurs sous peine d’être licenciés pour l’éternité (voir figures 7 et 8).

Figures 7 et 8 : L’environnement de travail du Mauvais Endroit évoque une banque ou les locaux d’un journal d’avant-guerre ; dans son bureau, Shawn s’entretient avec Michael dans une configuration qui rappelle celle du bureau de Michael dans le Quartier qu’il a créé (figure 4).

Figures 7 et 8 : L’environnement de travail du Mauvais Endroit évoque une banque ou les locaux d’un journal d’avant-guerre ; dans son bureau, Shawn s’entretient avec Michael dans une configuration qui rappelle celle du bureau de Michael dans le Quartier qu’il a créé (figure 4).
  • 14 On consultera par exemple Erin Gianni, « Using and (Dis-)Abusing Religious and Economic Authority o (...)

21The Good Place n’est pas la seule à proposer une vision néolibérale et technocratique de la gestion de l’au-delà dans laquelle le système a pris la place du divin. Dans Supernatural (The CW, 2005-2020), l’ange Zachariah annonce à Dean Winchester que « God has left the building », laissant des anges en costume cravate et des démons gratte-papier programmer la fin des temps sans une once de compassion14. Dean lui demande, dans l’épisode « Lucifer Rising » (S04E22), pourquoi avoir maintenu l’Apocalypse. S’en suit l’échange suivant:

Zachariah: Why not? "The Apocalypse." Poor name, bad marketing, puts people off. When all it is, is Ali/Foreman, on a slightly larger scale, and we like our chances. When our side wins - and we will - it's Paradise on Earth! What's not to like about that?
Dean: And what happens to all the people during your little pissing contest?
Zachariah: Well, can't make an omelet without crackin' a few eggs. In this case, truckloads of eggs, but you get the picture. Look. It happens. This isn't the first planetary enema we've delivered.

22La Juge (Maya Rudolph) dans The Good Place ne fait guère preuve de plus d’humanité lorsqu’elle doit statuer sur la bonté des humains dans la seconde moitié de la série, et décide de « cancel » la planète Terre pour résoudre le problème de l’algorithme de l’au-delà dans « The Funeral to End All Funerals » (S04E08), via une double référence à la « culture de l’annulation » sur les réseaux sociaux, et à l’arrêt de la production d’une série télévisée :

La Juge: Now, in terms of how we handle this moving forward, obviously, Earth is cancelled.
Eleanor: Buhh... Earth is what, now?
La Juge: All humans on Earth and in the afterlife will be extinguished, and we will start the entire human race over from scratch. And you know what's so funny? In a very roundabout way, I am actually rebooting Ally McBeal because I'm rebooting everything!

  • 15 Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem: A Report on the Banality of Evil, New York, Viking Press, 196 (...)
  • 16 Person of Interest lorgne quant à elle vers une trame mythologique, lorsque Greer, qui cherche à s’ (...)

23Au-delà de la critique d’un capitalisme tardif aliénant, il est possible de voir dans ces scènes une application littérale et jusqu’au-boutiste du concept de banalité du mal d’Hannah Arendt15 : les puissances supérieures, qu’elles soient effectivement divines ou en possèdent les qualités16, ne s’inquiètent guère de la moralité de leurs actions, du moment que le système continue de fonctionner avec un maximum d’efficacité et que les règles sont respectées. Du moment, en un sens, que l’argent rentre et que le simulacre infernal continue. C’est ici que la représentation des actionnaires dans Westworld, et des démons en col blanc dans The Good Place, m’amène à tisser l’interprétation suivante, au croisement de la production et de la programmation de fictions, des frasques narratives de Ford et Michael au codage d’une réalité simulée : et si le Mauvais Endroit se trouvait quelque part entre Hollywood et la Silicon Valley, sur les plateformes de streaming ?

2. Ce que les séries doivent au monde

24Lost, Westworld et Person of Interest sont toutes trois produites par Bad Robot, la société de production de J. J. Abrams, et fonctionnent sur le concept éprouvé – et parfois éprouvant – de la « boîte mystère17 » mis en avant par ce storyteller majeur du système hollywoodien. Person of Interest, créée par Jonathan Nolan, se trouve aussi être le creuset de Westworld, co-créée par Nolan et Lisa Joy, puisque la seconde recycle, parfois jusqu’à l’auto-plagiat, les thèmes et les horizons visuels et philosophiques de la première : l’amnésie comme entrave à la conscience ; la mainmise des gouvernements et de magnats cupides sur le développement d’intelligences artificielles ; « le temps et la perte comme éléments moteurs du storytelling et de la définition de l’humanité18 » ; last but not least, comme les fans des deux séries l’auront remarqué, Samaritain, la super-intelligence meurtrière qui menace de contrôler l’humanité dans Person of Interest, trouve son jumeau (jusque dans son interface) dans Rehoboam, qui sert d’antagoniste dans la saison 3 de Westworld (voir figures 9 et 10).

Figures 9 et 10 : Interface de Samaritain avant sa destruction dans Person of Interest (S05E13) ; interface de Rehoboam avant sa destruction dans Westworld (S03E08).

Figures 9 et 10 : Interface de Samaritain avant sa destruction dans Person of Interest (S05E13) ; interface de Rehoboam avant sa destruction dans Westworld (S03E08).
  • 19 Sébastien Lefait, Surveillance on Screen: Monitoring Contemporary Films and Television Programs, La (...)

25En apparence, peu de choses lient Person of Interest, techno-thriller de science-fiction qui vire à la dystopie cyberpunk, et The Good Place, qui lorgne plutôt du côté du surnaturel et du surréalisme. Pourtant les deux séries présentent ce point commun d’avoir comme moteur de l’intrigue un algorithme capable de jauger les actions humaines, et de mettre en scène un « (super)panopticisme19 » oppressant et implacable, bénéficiant d’un habillage visuel alliant chiffres, formules et probabilités, typique des séries tirant vers le cyberpunk. Si elle se déroule dans l’au-delà, The Good Place mobilise en effet, à sa manière surréaliste, le champ sémantique de la science-fiction, et abonde d’écrans, d’hologrammes et de concepts scientifiques à même de décrire l’infinité de l’espace, du temps… et du Big Data, ce qui la place dans la même veine que Person of Interest et Westworld et permet de pousser plus loin la comparaison (voir figures 11 à 14).

Figures 11 et 12 : Surabondance informationnelle de la Machine, élément visuel récurrent de Person of Interest ; surabondance informationnelle de l’algorithme de l’au-delà dans The Good Place (ici, dans le S01E01).

Figures 11 et 12 : Surabondance informationnelle de la Machine, élément visuel récurrent de Person of Interest ; surabondance informationnelle de l’algorithme de l’au-delà dans The Good Place (ici, dans le S01E01).

Figures 13 et 14 : Le système Samaritain identifie Sameen Shaw (Sarah Shahi) comme une menace dans Person of Interest ; le système de l’au-delà compte les points de l’insupportable Brent (Ben Koldyke) dans The Good Place (S04E08).

Figures 13 et 14 : Le système Samaritain identifie Sameen Shaw (Sarah Shahi) comme une menace dans Person of Interest ; le système de l’au-delà compte les points de l’insupportable Brent (Ben Koldyke) dans The Good Place (S04E08).
  • 20 Cette activité proprement épisodique (la « personne d’intérêt » de la semaine) perdure même dans le (...)

26Dans Person of Interest, qui se nourrit des angoisses de l’Amérique post-11 septembre, la Machine, initialement conçue pour prévenir les actes terroristes, se trouve capable de prévoir tous les meurtres ; puisque le gouvernement n’est intéressé que par les premiers, le créateur du système, Harold Finch (Michael Emerson), engage une équipe de vigilantes pour sauver autant de vies que possible, avec ce caveat que la Machine ne donne que le numéro de sécurité sociale d’une « personne d’intérêt », sans dire si elle sera victime ou criminelle. On pensera, et c’est volontaire, à Numéro 6 s’exclamant « Je ne suis pas un numéro ! Je suis un homme libre ! » dans The Prisoner (ITV, 1967-1968), à cette différence qu’ici, la Machine se limite au numéro pour justement laisser les protagonistes humains seuls juges des actions des individus ciblés20. L’algorithme de l’au-delà dans The Good Place fait précisément le contraire, qui, pour déterminer si une âme rejoindra le Bon ou le Mauvais Endroit, assigne des points aux actions les plus évidentes comme les plus absurdes sans qu’il soit toujours possible de jauger leur gravité : si mettre fin à l’esclavage donne 814292,09 points, et commettre un génocide en retire 433115,25, on peine à comprendre pourquoi manger un sandwich fait gagner 1,04 points, quand évider une aubergine et la remplir de sauce pimentée et de petite monnaie fait perdre 9,88 points (voir figures 12, 15 et 16).

Figures 15 et 16 : Point de vue de la Machine sur la foule new-yorkaise, avec les pourcentages de menace ; point de vue de l’algorithme sur les morts, avec le quota de bonté (S01E01).

Figures 15 et 16 : Point de vue de la Machine sur la foule new-yorkaise, avec les pourcentages de menace ; point de vue de l’algorithme sur les morts, avec le quota de bonté (S01E01).
  • 21 Jason Mittell, Complex TV: The Poetics of Contemporary Television Storytelling, New York, Londres, (...)
  • 22 Aris Mousoutzanis, « “Enslaved by Time and Space”: Determinism, Traumatic Temporality, and Global I (...)

27La longue liste d’actions incongrues que les personnages égrènent durant les quatre saisons de The Good Place a d’abord vocation à provoquer l’hilarité ; elle appuie aussi l’opacité de l’algorithme, dont les protagonistes découvrent dans la saison 3 qu’il n’a plus envoyé personne dans le Bon Endroit depuis des siècles. La raison en est simple, et elle est liée à la tendance des récits des dernières décennies – notamment des séries dites « narrativement complexes21 » et des grandes franchises transmédiatiques – à mettre en avant la forte interconnexion entre des personnages, des lieux, des éléments d’un système, ainsi qu’entre les épisodes eux-mêmes – une tendance au « tout est lié » qu’Aris Mousoutzanis repère dès la diffusion de Lost puis Heroes (NBC, 2006-2010), et associe à une interprétation déterministe, erronée, de la théorie du chaos22. Ainsi que l’explique Michael à la Juge dans le S03E11, même les humains qui cherchent à être bons ne peuvent envisager toutes les conséquences de leurs actions :

Michael: Your Honor, I once stood in front of you and said I thought there was something wrong with the points system. I finally know what it is. Life now is so complicated, it's impossible for anyone to be good enough for the Good Place. I know you don't like to learn too much about life on Earth to remain impartial, but these days just buying a tomato at a grocery store means that you are unwittingly supporting toxic pesticides, exploiting labor, contributing to global warming. Humans think that they're making one choice, but they're actually making dozens of choices they don't even know they're making.

  • 23 Anna Krawczyk-Łaskarzewska, « Person of Interest or Crime and Surveillance on Post-9/11 Network TV  (...)

28Les décisions du système s’avèrent incompréhensibles, et donc injustes. En cela, The Good Place critique les usages flous du Big Data et des algorithmes, l’évaluation de l’engagement sur les réseaux sociaux, mais aussi les systèmes de crédit social comme ceux actuellement expérimentés par la république populaire de Chine ; bien que la série se déroule dans un au-delà surréaliste, elle s’inscrit dans la lignée de Person of Interest en dénonçant des systèmes de surveillance et de contrôle si complexes et opaques qu’ils en deviennent proprement inhumains. Ce portrait glaçant peut être lu au prisme de la dimension de plus en plus dystopique et sombre des séries portant sur la surveillance de masse ; Anna Krawczyk-Łaskarzewska montre combien le thème, considéré comme pure science-fiction jusqu’à la fin du xxe siècle, a gagné en préscience avant d’être dépassé par une réalité que les séries américaines se sont empressées de normaliser dans le climat post-11 septembre en vantant les atouts de la frappe préventive23.

  • 24 Krawczyk-Łaskarzewska, op. cit., p. 82.
  • 25 Éric Dufour, Le Cinéma de science-fiction, Paris, Armand Colin, 2011, p. 189 et suivantes.

29Person of Interest n’y échappe pas, en partie au moins, et échoue à être véritablement « anti-système » puisque les protagonistes se voient forcés « d’employer des méthodes de surveillance, c’est-à-dire, les armes de leurs oppresseurs24. » Eleanor se retrouve dans une situation similaire dans The Good Place lorsque, dans la saison 4, elle devient Architecte d’un nouveau Quartier (et donc, potentiellement complice du système) dans le but de prouver que les humains peuvent s’améliorer et devenir meilleurs, y compris dans l’au-delà. Elle est alors forcée de manipuler et d’espionner Chidi, qui a accepté de faire partie de l’expérience et doit à nouveau perdre la mémoire. Les protagonistes de Person of Interest et The Good Place se retrouvent dans une position ambiguë, en ce que, incapable de révolutionner le système, ils en sont réduits à le réformer autant que faire se peut, et semblent condamnés à illustrer l’impossibilité pour la science-fiction mainstream audiovisuelle, notamment hollywoodienne, de critiquer la société d’une manière qui serait intolérable à cette même société25.

  • 26 Marieke Jenner, Netflix and the Re-invention of Television, Cham, Palgrave McMillan, 2018.
  • 27 Benjamin Campion, « Regarder des séries sur Netflix : l’illusion d’une expérience spectatorielle au (...)
  • 28 Jason Jacobs, « Television, Interrupted: Pollution or Aesthetic?  », in Television as Digital Media(...)
  • 29 Campion, op. cit., paragraphe 3.
  • 30 Romain Blondeau, Netflix, l’aliénation en série, Paris, Seuil, 2022, p. 21-22.

30À ce titre, il y a quelque ironie à ce que The Good Place, diffusée aux États-Unis sur NBC, se retrouve distribuée à l’international par Netflix. « You are being watched, » nous annonce Person of Interest, série paranoïaque, à chaque générique d’ouverture ; « I am watching you on Netflix, » répond la plateforme au gré d’un des chemins du film interactif Bandersnatch (David Slade, 2018), tiré de l’univers d’une autre grande dystopie cyberpunk, Black Mirror (Channel 4>Netflix, 2011-présent). La métatextualité de Bandersnatch procède d’un discours qui met en abyme l’aliénation de la spectature d’une nouvelle ère de la télévision26 de manière ludique : aux choix (utiles pour le ciblage publicitaire) des formes interactives répondent les renoncements à la matière sérielle27, qui nous proposent un texte pur28, débarrassé de ses oripeaux paratextuels (les génériques, les résumés des épisodes précédents). Les plateformes de SVoD imposent le binge-watching non plus comme possibilité mais comme modalité privilégiée par le passage du « flux » au « contenu » ; la livraison des séries par blocs saisonniers plutôt qu’épisodiques, typique de Netflix, tend à nier l’individualité de l’épisode et nous empêche de « rêver collectivement la série29 », d’être « des spectateurs agissants » qui prennent « le temps de penser ce qui [a] été vu et d’imaginer ce qui [sera] vu la semaine suivante30. »

  • 31 Emily VanDerWerff, « Netflix is accidentally inventing a new art form — not quite TV and not quite (...)
  • 32 Jenner, op. cit., p. 109.
  • 33 À la suite de Romain Blondeau, on pensera notamment, dans le cas des séries de l’imaginaire, aux de (...)

31Pire encore, peut-être, à mesure que la critique s’empare de cette « nouvelle forme artistique31 », ni vraiment film, ni vraiment série, il apparaît évident qu’à l’heure de la Peak TV et de l’uniformisation des formats (un esperanto transnational de 2 à 3 saisons de 8-12 épisodes), la logique de contenu veut que les séries deviennent d’autant plus annulables, et donc oubliables : parce qu’il faut immédiatement passer à la suivante, sélectionnée par l’algorithme ; parce que la quantité de séries disponibles vaut mieux que l’intégrité artistique, quitte à générer une « paralysie du choix32 » ; parce que les séries contemporaines des plateformes, de plus en plus uniformes, ne laissent que peu de place à des projets audacieux et originaux33 ; parce que des pans entiers du vaste catalogue télévisuel des dernières décennies nous deviennent inaccessibles, la gestion des droits de diffusion pouvant paraître aussi opaque au commun des mortels que le système à points de The Good Place. Royaume de l’algorithme, de l’oubli, de la reproduction du même, qui au lieu de générer l’originalité par la variation, en finit par tourner en rond et diminuer les séries (dans leur longueur ; dans leur amplitude ; dans leur ambition) : Netflix ressemble à bien des égards au Quartier du Mauvais Endroit, que l’on nous vend comme un paradis quand il ne sert qu’à faire tourner la machine infernale qui lentement se déplace d’Hollywood et ses studios à la Silicon Valley et aux GAFAM. « This is the Bad Place ! » s’exclame Eleanor, sur Netflix : les démons du capitalisme de l’attention, en quête de nouvelles formes de torture, auraient-ils jeté leur dévolu sur la fiction audiovisuelle ?

3. Ce que les séries se doivent à elles-mêmes

32De la même façon que Westworld, en sortant les protagonistes du parc à la fin de sa seconde saison, cultive par la suite une veine réflexive plus furtive (notamment en saison 3), The Good Place, en quittant le Quartier en milieu de saison 2 par suite de l’échec de l’expérience de Michael, déploie des mises en abyme plus ponctuelles, mais aussi plus appuyées, puisque nous sont donnés à voir des spectateurs et spectatrices en particulier plutôt qu’une foule face à un écran. À ce titre, au large public régulièrement réuni dans le parc du Quartier au gré des deux premières saisons répond, à la fin de la saison 3, le couple solitaire Eleanor/Chidi observant sur le grand écran les meilleurs moments de leurs multiples vies dans l’au-delà, un best-of des trois premières saisons de The Good Place (voir figures 15 et 16).

Figures 17 et 18 : Dans « Pandemonium » (S03E12), Chidi s’apprête à perdre la mémoire pour participer à l’expérience dirigée par Eleanor dans la saison 4 ; le couple se remémore ses meilleurs moments dans une mise en abyme des épisodes récapitulatifs que l’on peut généralement trouver dans les sitcoms.

Figures 17 et 18 : Dans « Pandemonium » (S03E12), Chidi s’apprête à perdre la mémoire pour participer à l’expérience dirigée par Eleanor dans la saison 4 ; le couple se remémore ses meilleurs moments dans une mise en abyme des épisodes récapitulatifs que l’on peut généralement trouver dans les sitcoms.

33Quand Michael avoue apprécier Friends (NBC, 1994-2004), le personnage de la Juge fait de fréquentes références à NCIS (CBS, 2003-présent), Ally McBeal (Fox, 1997-2002), Deadwood (HBO, 2004-2006), Friday Night Lights (NBC, 2006-2011) ou encore Justified (FX, 2010-2015). C’est d’ailleurs parce que la Juge décide finalement de « cancel » la planète Terre que les protagonistes demandent à Janet de faire apparaître l’acteur Timothy Olyphant dans « You’ve Changed, Man » (S04E10). En lieu et place des exécutifs d’une chaîne ou d’une plateforme, c’est la Juge qu’il faut convaincre de trouver une alternative à l’annulation pure et simple de l’humanité : au-delà du clin d’œil, le fait que Timothy Olyphant, acteur bien installé dans le paysage télévisuel américain, fasse office de médiateur permet de filer la métaphore réflexive de la série.

34En effet, la négociation tendue du S04E08 au S04E10, qui sert de climax à The Good Place, n’est pas sans rappeler celle qui peut prendre place entre des scénaristes convaincu·es qu’une série doit continuer, au moins le temps de trouver une alternative à l’interruption abrupte de la trame narrative34, et les instances de production visant uniquement la rentabilité, sans aucune compassion pour les artistes engagé·es dans le projet. Ce désalignement des intérêts artistiques et économiques est une constante de l’histoire des séries télévisées ; déjà, The Fugitive (ABC, 1963-1967), sur l’impulsion du producteur Leonard Goldberg, propose in extremis un des premiers series finale concluant la quête du Dr. Kimble, quand la chaîne comptait à l’origine annuler la série sans la résoudre35. Le finale est devenu d’autant plus important aujourd’hui, au moment où la logique de contenu transnational privilégie des séries courtes, souvent annulées sans que les raisons de la plateforme – Netflix la première – ne soient clairement explicitées, prédictibles même, masquées derrière l’opacité de l’algorithme.

  • 36 Favard, 2019, p. 233-234.
  • 37 Josef Adalian, « How Mike Schur and Damon Lindelof’s Unlikely Bromance Shaped The Good Place », Vul (...)

35The Good Place esquisse ainsi une réflexion sur la capacité mais aussi la difficulté des séries télévisées, plus largement des formes sérielles, progressives, improvisées, raturées, palimpsestiques, à se terminer selon leurs propres termes. C’est d’autant plus flagrant que The Good Place, passée la révélation de sa première saison, fait elle-même la promesse d’un dénouement36, typique des narrations complexes des deux dernières décennies : l’objectif des humains est de pouvoir un jour mériter d’entrer au Bon Endroit, et cet objectif tend le récit vers sa fin, alors même que cette dernière est sans cesse retardée par une infinité de reboots et de reconfigurations du monde fictionnel. Convaincre la Juge de ne pas annuler la Terre, c’est aussi laisser la série poursuivre quelques épisodes encore, le temps que les protagonistes arrivent enfin à bon port. La comparaison avec Lost peut s’avérer utile, en ce que Michael Schur, le créateur de The Good Place, a cherché le conseil de Damon Lindelof, co-créateur de Lost, à propos du déploiement d’une série de genre de l’imaginaire37.

  • 38 Pacôme Thiellement, Les Mêmes yeux que Lost, Paris, Éditions Léo Scheer, coll. « Variations », 2011 (...)
  • 39 On retiendra notamment à ce propos les contributions rassemblées dans Roberta Pearson (éd.), Readin (...)

36Lost fait partie de ces œuvres qui ont profondément transformé le rapport à la fin des séries dans le courant des années 2000, notamment en obtenant, à la fin de sa troisième saison, un renouvellement record pour trois saisons supplémentaires, qui permettait enfin aux scénaristes de planifier l’intrigue sur le long terme et de programmer (ou pas…) une réponse aux grandes questions posées dans le « premier cycle38 » de la série. On ne compte plus les travaux portant spécifiquement sur les difficultés rencontrées par Damon Lindelof et Carlton Cuse, les deux showrunners, pour mener à bien leur projet39, et la série est un cas d’école dont l’épisode final a polarisé les fans à jamais.

  • 40 Jason Mittell, « Previously on: Prime time serials and the mechanics of memory », in Intermediality (...)
  • 41 Dans un entretien pour la Writer’s Guild Association, Inside the Writers Room with Lost (2009), dis (...)
  • 42 Julie Ambal et Florent Favard, « “Guys, where are we?” Trouver son chemin sur l’île de Lost », Sais (...)
  • 43 On retrouve cet usage des motifs circulaires et sa liaison avec une prison-fiction dans The Truman (...)

37Les scénaristes, durant et après la série, répètent à l’envi qu’ils se sentaient « prisonniers » durant les trois premières saisons, tiraillés entre la nécessité de faire progresser le récit, et le délayage constant de la narration dû au succès de la série, qui aux yeux d’ABC devait durer le plus longtemps possible. Ce « modèle infini de narration40 » ne tenait pas pour Lost, et Lindelof le compare à un avion tournant autour de l’aéroport dans l’attente d’un atterrissage41. On a pu montrer que cette métaphore est là encore mise en abyme dans le monde fictionnel, où les personnages tournent littéralement en rond durant les trois premières saisons, via de constants allers-retours entre plusieurs pôles, avant, dans les trois dernières, de donner l’impression de tracer leur chemin en lignes droites (quand bien même il ne s’agit que de boucles plus étendues)42. Ce sont ces mêmes boucles dans lesquelles est piégée la Machine de Person of Interest dans les deux premières saisons, forcée de se réinitialiser tous les jours ; les mêmes boucles (« loops ») qui définissent les storylines rigides – les prisons narratives – des androïdes de Westworld – et bien que Dolores pense y échapper à la fin de la saison 2, elle ne fait qu’exécuter une boucle plus grande, mais toujours prédéterminée, dont l’habillage visuel circulaire de Rehoboam se fait l’écho, qui renvoie au panoptique43. Ce sont ces mêmes boucles infernales que subissent les protagonistes de The Good Place : d’abord en saison 2, lorsque Michael cherche désespérément à trouver le meilleur script pour torturer les humains qui, malgré leurs mémoires sans cesse effacées, finissent toujours par comprendre de quoi il retourne ; puis en saison 3, quand, pour prouver leur capacité à s’améliorer, les humains sont renvoyés, amnésiques, dans le monde réel afin de mener une seconde vie ; enfin, en saison 4, quand Eleanor supervise un nouveau Quartier, ramenant toute la série à sa première saison dans une énième boucle. Cette dernière n’est d’ailleurs pas sans rappeler le retour au cadre narratif initial esquissé par la saison 4 de Westworld, annulée avant une cinquième et ultime saison : comme Eleanor, Dolores devient narrative designer contre son gré, démiurge à son corps défendant (puisqu’elle a aussi oublié qui elle était). En un sens, Eleanor « venge » sa collègue Dolores en allant plus loin qu’elle, en parvenant à revenir aux origines (le Parc, le Quartier) et en obtenant symboliquement la conclusion de sa propre série.

  • 44 Jean-Pierre Esquenazi, Les Séries télévisées : L’Avenir du cinéma ?, Paris, Armand Colin, 2010.

38Dans The Good Place, n’en déplaise à Sartre, l’enfer, ce n’est pas « les autres » ; ce ne sont pas non plus les boucles en elles-mêmes car, de la « formule » de Jean-Pierre Esquenazi44 à la « matrice » de Guillaume Soulez, la répétition et ses plus infimes variations produisent du sens. L’enfer, c’est d’oublier. Seule l’anamnèse permet aux androïdes du parc Westworld d’accéder pleinement à la conscience ; seule l’anamnèse donne aussi son plein potentiel à la Machine ; l’anamnèse, encore, libère les protagonistes de Lost lorsqu’ils se trouvent enfin capables de remember, let go, move on dans l’ultime saison 6. La pensée gnostique n’est jamais loin, et The Good Place n’y échappe pas, qui multiplie les moments d’anamnèses, souvent par média interposé : la vidéo tournée dans l’Endroit Moyen (S02E03), le best-of du couple Chidi/Eleanor (S03E12) ou encore les révélations que font Michael et Janet aux humains dans le S03E05.

39La détresse créative du démon Michael face aux centaines de reboots infructueux qu’il fait subir aux humains en saison 2 semble trouver un écho dans une remarque qu’Eleanor, alors amnésique, adresse à un barman dans le S03E04 (« No more Spider Man Movies. There's way too many Spider-Man movies. Too many dorky, little, twerpy Spider-Men. »), mais aussi dans la joie de l’implacable Juge comprenant que, si elle reboot la planète Terre, elle reboot également Ally McBeal (S04E08). Les « reboots » amnésiques traversés par les personnages sont perçus comme une impasse aussi improductive que l’annulation sans pitié prononcée par la Juge : The Good Place pointe à la fois le reboot amnésique et l’annulation comme de mauvaises alternatives.

  • 45 Anne Besson montre d’ailleurs combien les films animés du studio Sony, Spider-Man: Into the Spider- (...)

40Le terme même de reboot, s’il est devenu omniprésent à une époque où l’on compte pas moins de quatre itérations cinématographiques de Spider Man en 20 ans45, renvoie bien sûr au vocabulaire de l’informatique, spécifiquement à la réinitialisation d’un système : c’est exactement ce qui arrive à la Machine de Person of Interest et aux androïdes de Westworld ; dans une moindre mesure, c’est aussi ce que le conflit « ludique » entre Jacob et l’Homme en noir fait subir aux diverses générations de personnages guidés vers l’île sans le savoir, et qui, dans les S06E04 et S06E05 de la série Lost, ont la désagréable surprise de se voir attribuer des numéros par Jacob, dans une référence à peine cachée au Prisonnier. Dans The Good Place, il n’y a aucune distinction entre l’au-delà et un univers simulé géré par un programme informatique : tout n’y est que constantes et variables, deux termes qui traversent Person of Interest et Westworld, bien sûr, mais aussi, de manière singulière, la série Lost. L’Homme en noir (celui de Lost, pas de Westworld) voit de manière épisodique et amnésique (« It always ends the same. ») quand Jacob, dans le S05E16, lui oppose un point de vue, sinon feuilletonnant, au moins semi-feuilletonnant, et surtout, anamnésique : « It only ends once. Anything that happens before that… is just progress. » C’est aussi la clé du climax de The Good Place : se souvenir des boucles pour voir enfin the big picture. C’est en se souvenant de toutes ses vies que Chidi, celui des humains qui a été de loin le plus « réinitialisé », parvient à imaginer la réponse à leurs problèmes dans l’épisode « The Answer » (S04E09), ce qui n’est pas une mince affaire :

Michael: It's not that easy. He lived a whole life and then 802 afterlives, and a second life, then a second afterlife, and then a third "first" afterlife. His psyche is like a giant bowl of M&M Peep chili.

41La solution qu’il conçoit avec Eleanor dans le S04E10 est précisément une anamnèse : permettre aux âmes d’apprendre de leurs erreurs et de s’améliorer dans un environnement simulé, un Quartier neutre où opèrent des agents du Mauvais et du Bon Endroit. Complices du système, oui, mais avec un twist : si les âmes qui peinent à s’améliorer voient leur mémoire effacée pour repartir dans une nouvelle boucle, elles retiennent toutefois l’échange et le bilan qui ont lieu entre chaque itération avec les agents de l’au-delà : comme le public qui prend le temps de penser à l’épisode visionné, d’imaginer la suite, les âmes ont ce temps pour rêver leur philosophie de vie entre chaque boucle, pour produire du sens dans la répétition, et un jour, peut-être, devenir la meilleure version d’elles-mêmes. C’est le même projet que Dolores esquisse dans ce qui n’avait pas été pensé comme l’épisode final de Westworld (S04E08), et qu’elle n’aura jamais l’occasion de mettre en œuvre suite à l’annulation de la série, car elle a, en somme, une saison de retard sur Eleanor :

Dolores: This game ends where it began. In a world like a maze. That tests who we are. That reveals what we are to become. One last loop around the bend. Maybe this time we'll set ourselves free.

  • 46 Paul Ricœur, Temps et récit 1, l’intrigue et le récit historique, Paris, Points Seuil, 1983, p. 130

42Ces analogies appuient aussi la dimension circulaire de leur narration, typique de ce que l’on pourrait appeler une « pulsion rétrospective » des séries arrivant sur leur fin : prenant au pied de la lettre la formule de Ricœur sur la fin comme « le point de vue d’où l’histoire peut être aperçue comme formant un tout46 », et jouant sur le caractère légitimant de l’unité d’action aristotélicienne, elles ont tendance à « boucler la boucle » par des jeux d’échos, des flashbacks, des mise en abyme… The Good Place semble là encore pousser plus loin les ambitions des séries avec lesquelles je la compare car, après les jeux d’échos avec la saison 1, la saison 4 se termine sur les humains entrant enfin au Bon Endroit… pour y découvrir qu’une éternité de confort abrutit tant les âmes que le bonheur infini devient lui-même un enfer.

  • 47 Tristan Garcia, « Les séries qui nous quittent, les séries que nous quittons », TV/Series, no7, 201 (...)

43La réponse des protagonistes à cet anti-climax est de bâtir une arche que chaque âme pourra franchir pour quitter le Bon Endroit, aller au-delà de l’au-delà, et cesser d’exister pour se disperser à travers le cosmos en étincelles de bonté. Au-delà d’une critique des algorithmes et des reboots, et d’un plaidoyer contre l’annulation brutale et imprévue, The Good Place semble clamer haut et fort le droit d’une série, non seulement à progresser, à s’améliorer, mais aussi, à se terminer d’elle-même, en quelque sorte, à nous quitter de son plein gré pour filer la métaphore de Tristan Garcia47. Chaque série devrait avoir le droit de se terminer dans la dignité, « quand elle est prête », ainsi que le scande le titre du series finale, « Whenever You’re Ready » (S04E13&14). Il n’y a qu’ainsi, semble nous souffler The Good Place, que les séries et leurs publics pourraient trouver la paix intérieure qui vient avec la satisfaction d’une série qui s’arrête au Bon Endroit, au Bon Moment, et que, peut-être, les séries trouveront le moyen de nous inspirer, une fois dispersées à travers le cosmos en étincelles de fiction.

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Notes

1 On retiendra notamment James M. Russel, The Forking Trolley, An Ethical Journey to The Good Place, Londres, Palazzo, 2019 ; Steven A. Benko, Andrew Pavelich (éd.), The Good Place and Philosophy, Get an Afterlife, Chicago, Open Court, 2020 ; Kimberly S. Engels (éd.), The Good Place and Philosophy, Hoboken, John Wiley and Sons, 2021.

2 Guillaume Soulez, « La double répétition », Mise au point, no3, 2011, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/map/979.

3 L’ouvrage, qui s’inscrit dans la veine contractualiste de la philosophie morale, est régulièrement cité – il sert même de titre au S01E06 – et mis en concurrence avec d’autres systèmes de pensée, notamment aristotéliciens. Voir T. M. Scanlon, What We Owe to Each Other, Cambridge, Harvard University Press, 1998.

4 David C. Giles, « Parasocial Relationships » in Characters in Fictional Worlds: Understanding Imaginary Beings in Literature, Film, and Other Media, éd. Jens Eder, Fotis Jannidis et Ralf Schneider, Berlin, New York, Walter De Gruyter, 2010.

5 Sandra Laugier, Nos vies en séries, Paris, Climats, 2019.

6 Soulez, op. cit., paragraphe 8.

7 Claire Cornillon et Sarah Hatchuel, « Analysing Semi-Serialized Television Fictions: the Ethical Stakes of Narrative Structures », SERIES, VoI. 6, no1, 2020, p. 57-64, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.6092/issn.2421-454X/10393.

8 En prenant bien sûr en compte la grande variabilité des critères employés à travers les époques et les cultures pour définir une « bonne » histoire, dans une perspective « storyologique. » Voir Marie-Laure Ryan, « Cheap plot tricks, Plot Holes, and Narrative Design », Narrative, vol. 17, no1, 2009, p. 56-75.

9 Claire Cornillon, « La forme semi-feuilletonnante formulaire : l’exemple d’Ally McBeal », TV/Series, no15, 2019, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tvseries/3400.

10 Florent Favard, « “The maze wasn’t made for you”: Artificial consciousness and reflexive narration in Westworld (HBO, 2016-) », TV/Series, no14, 2018, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tvseries/3040. Voir aussi Hélène Breda, « Les "mondes possibles" de Westworld : du "méta-storytelling" à l’immersion transmédia », Synergie Italie, n°13, 2017, p. 107-118.

11 Voir par exemple Pacôme Thiellement, La Victoire des Sans-Roi, Paris, PUF, 2017, p. 180.

12 Michael J. Clarke, « Lost and Mastermind Narration », Television & New Media, Vol. 11, n°2, 2010, p. 123-142.

13 Le lien entre The Good Place et le Magicien d’Oz serait totalement fortuit, de l’aveu même de Michael Schur ; pourtant ses quatre protagonistes avec chacun leur défaut, manipulés par un mastermind pas si omnipotent qu’il en a l’air, se lancent dans une quête tout à la fois spatiale (le Kansas, le Bon Endroit) et introspective (confronter leurs défauts et s’améliorer) qui n’a pas manqué d’intriguer les fans de la série. Voir Anna Menta, « Mike Schur Explains the Tiny Details and Hidden Messages in 'The Good Place' », Newsweek, 18 septembre 2018, https://www.newsweek.com/2018/09/28/mike-schur-interview-good-place-season-3-1124018.html.

14 On consultera par exemple Erin Gianni, « Using and (Dis-)Abusing Religious and Economic Authority on Supernatural », in TV Goes to Hell: An Unofficial Road Map to Supernatural, éd. Stacey Abbott et David Lavery, Toronto, ECW Press, 2011. Ce motif trouve des échos plus récents, par exemple dans Good Omens (Amazon, 2019-présent), adaptation du roman de Neil Gaiman et Terry Pratchett (1990).

15 Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem: A Report on the Banality of Evil, New York, Viking Press, 1963.

16 Person of Interest lorgne quant à elle vers une trame mythologique, lorsque Greer, qui cherche à s’emparer de Samaritain, cite Hamlet dans « Deus Ex Machina » (S03E23) : « What a piece of work is your machine, Harold. In action, how like an angel. In apprehension, how like a god. »

17 On consultera la conférence TED donnée par Abrams (https://www.ted.com/talks/j_j_abrams_the_mystery_box), ou encore Paul DiRado, « Rabbit’s Feet, Hatches, and Monsters: Mysteries versus Questions in J. J. Abrams’s Stories », in The Philosophy of J. J. Abrams, éd. Patricia Brace et Robert Arp, Lexington, University Press of Kentucky, 2014, p. 255-268.

18 Catherine Zimmer, « Serial Surveillance: Narrative, Television, and the End of the World », Film Quarterly, no72(2), 2018, p. 21 [p. 12–25].

19 Sébastien Lefait, Surveillance on Screen: Monitoring Contemporary Films and Television Programs, Lanham, The Scarecrow Press, 2013, chapitre 1.

20 Cette activité proprement épisodique (la « personne d’intérêt » de la semaine) perdure même dans les saisons les plus feuilletonnantes de la série, mettant l’accent sur l’importance de chaque vie humaine : comme l’expliquent Claire Cornillon et Sarah Hatchuel, « if we reject the numbers, if we disparage the week’s “person of interest”, we become exactly like Samaritan, endorsing a dehumanizing ideology », op. cit., p. 61.

21 Jason Mittell, Complex TV: The Poetics of Contemporary Television Storytelling, New York, Londres, New York University Press, 2015.

22 Aris Mousoutzanis, « “Enslaved by Time and Space”: Determinism, Traumatic Temporality, and Global Interconnectedness », in Looking for Lost: Critical Essays on the Enigmatic Series, éd. Randy Laist, Jefferson, Londres, McFarland, 2011, p. 43-58.

23 Anna Krawczyk-Łaskarzewska, « Person of Interest or Crime and Surveillance on Post-9/11 Network TV », in Crime, Deviance and Popular Culture, éd. Dimitris Akrivos et Alexandros K. Antoniou, Cham, Palgrave McMillan, p. 76-81 [p. 73-88].

24 Krawczyk-Łaskarzewska, op. cit., p. 82.

25 Éric Dufour, Le Cinéma de science-fiction, Paris, Armand Colin, 2011, p. 189 et suivantes.

26 Marieke Jenner, Netflix and the Re-invention of Television, Cham, Palgrave McMillan, 2018.

27 Benjamin Campion, « Regarder des séries sur Netflix : l’illusion d’une expérience spectatorielle augmentée », TV/Series, no15, 2019, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tvseries/3479.

28 Jason Jacobs, « Television, Interrupted: Pollution or Aesthetic?  », in Television as Digital Media, éd. James Bennett et Niki Strange, Durham, Duke University Press, 2011.

29 Campion, op. cit., paragraphe 3.

30 Romain Blondeau, Netflix, l’aliénation en série, Paris, Seuil, 2022, p. 21-22.

31 Emily VanDerWerff, « Netflix is accidentally inventing a new art form — not quite TV and not quite film », Vox, 30 juillet 2015, https://www.vox.com/2015/7/29/9061833/netflix-binge-new-artform.

32 Jenner, op. cit., p. 109.

33 À la suite de Romain Blondeau, on pensera notamment, dans le cas des séries de l’imaginaire, aux deux annulations symboliques que furent celles de Sense8 (2015-2018) et The OA (2016-2019). Blondeau, op. cit., p. 23.

34 Un « dernier tour de manège » prenant généralement la forme d’une ultime saison. Florent Favard, Écrire une série TV : La Promesse d’un dénouement, Tours, Presses Universitaires François-Rabelais, 2019, p. 233-236.

35 On consultera l’interview du producteur ici : https://interviews.televisionacademy.com/interviews/leonard-goldberg. Voir aussi Vladimir Lifschutz, This is the end. Finir une série TV, Tours, Presses Universitaires François-Rabelais, 2018, p 80.

36 Favard, 2019, p. 233-234.

37 Josef Adalian, « How Mike Schur and Damon Lindelof’s Unlikely Bromance Shaped The Good Place », Vulture, 2 février 2018, https://www.vulture.com/2018/02/mike-schur-damon-lindelof-vulture-fest-interview.html.

38 Pacôme Thiellement, Les Mêmes yeux que Lost, Paris, Éditions Léo Scheer, coll. « Variations », 2011, p. 54-55.

39 On retiendra notamment à ce propos les contributions rassemblées dans Roberta Pearson (éd.), Reading Lost, Londres, New York, I. B. Tauris, 2009.

40 Jason Mittell, « Previously on: Prime time serials and the mechanics of memory », in Intermediality and storytelling, éd. Marina Grishakova et Marie-Laure Ryan, Berlin, Walter de Gruyter, 2010, p. 81.

41 Dans un entretien pour la Writer’s Guild Association, Inside the Writers Room with Lost (2009), disponible à cette adresse : http://youtu.be/tz6p_Z1OsYI.

42 Julie Ambal et Florent Favard, « “Guys, where are we?” Trouver son chemin sur l’île de Lost », Saisons, la revue des séries, vol. 2, no4, 2022, p. 65-80.

43 On retrouve cet usage des motifs circulaires et sa liaison avec une prison-fiction dans The Truman Show, qui voit le personnage joué par Jim Carrey « going round and round and round » dans le dôme qui sert de studio à l’émission, où les acteur-ices tournent aussi en rond.

44 Jean-Pierre Esquenazi, Les Séries télévisées : L’Avenir du cinéma ?, Paris, Armand Colin, 2010.

45 Anne Besson montre d’ailleurs combien les films animés du studio Sony, Spider-Man: Into the Spider-Verse (2018) et Across the Spider-Verse (2023) se moquent de la répétition jusqu’à l’absurde des « origin stories » des différentes versions du héros, dans un clin d’œil aux trois séries de films en prises de vue réelles lancées dans les vingt dernières années. Voir Anne Besson, « "Into the Spider-Verse" : la méta-sérialité comme moteur narratif », Cahiers de Narratologie, no43, 2023, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/narratologie/14341.

46 Paul Ricœur, Temps et récit 1, l’intrigue et le récit historique, Paris, Points Seuil, 1983, p. 130.

47 Tristan Garcia, « Les séries qui nous quittent, les séries que nous quittons », TV/Series, no7, 2015, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tvseries/286.

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Table des illustrations

Titre Figures 1 et 2 : Lee Sizemore présente la nouvelle storyline et les nouveaux personnages de Westworld aux équipes du parc (S01E02) ; Michael présente le Quartier du Bon Endroit et ses personnages aux humains qui ne se doutent de rien (S01E01).
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Titre Figures 3 et 4 : Robert Ford, concepteur du parc, et l’androïde Dolores, avec Bernard, l’androïde au service de Ford, et une reproduction de la Création d’Adam de Michel-Ange ; Michael, démon manipulateur, et Eleanor, humaine misanthrope, avec Janet, l’anthropoïde au service de Michael, et un portrait de Doug Forcett, le seul humain à avoir deviné comment fonctionne l’algorithme du Bon Endroit.
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Titre Figures 5 et 6 : Robert Ford contrôle ses androïdes et présente une nouvelle storyline au public (S01E10) ; Michael tente de persuader les démons mécontents que son écriture va gagner en sadisme (S02E01).
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Titre Figures 7 et 8 : L’environnement de travail du Mauvais Endroit évoque une banque ou les locaux d’un journal d’avant-guerre ; dans son bureau, Shawn s’entretient avec Michael dans une configuration qui rappelle celle du bureau de Michael dans le Quartier qu’il a créé (figure 4).
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Titre Figures 9 et 10 : Interface de Samaritain avant sa destruction dans Person of Interest (S05E13) ; interface de Rehoboam avant sa destruction dans Westworld (S03E08).
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Titre Figures 11 et 12 : Surabondance informationnelle de la Machine, élément visuel récurrent de Person of Interest ; surabondance informationnelle de l’algorithme de l’au-delà dans The Good Place (ici, dans le S01E01).
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Titre Figures 13 et 14 : Le système Samaritain identifie Sameen Shaw (Sarah Shahi) comme une menace dans Person of Interest ; le système de l’au-delà compte les points de l’insupportable Brent (Ben Koldyke) dans The Good Place (S04E08).
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Titre Figures 15 et 16 : Point de vue de la Machine sur la foule new-yorkaise, avec les pourcentages de menace ; point de vue de l’algorithme sur les morts, avec le quota de bonté (S01E01).
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Titre Figures 17 et 18 : Dans « Pandemonium » (S03E12), Chidi s’apprête à perdre la mémoire pour participer à l’expérience dirigée par Eleanor dans la saison 4 ; le couple se remémore ses meilleurs moments dans une mise en abyme des épisodes récapitulatifs que l’on peut généralement trouver dans les sitcoms.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Florent Favard, « The Good Place, ou ce que les séries se doivent les unes aux autres »TV/Series [En ligne], 23 | 2024, mis en ligne le 25 octobre 2024, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tvseries/8237 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12lht

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Auteur

Florent Favard

Florent Favard est maître de Conférences en Théorie et Pratique du Cinéma, de l’Audiovisuel et du Transmédia à l’IECA de Nancy (Université de Lorraine), et travaille plus spécifiquement sur la complexité narrative des séries télévisées et des franchises transmédia de l’imaginaire, dans une perspective narratologique transmédiale et contextualiste. Il a notamment publié Écrire une série TV aux PUFR (2019) et Le Récit dans les séries de science-fiction chez Armand Colin (2018).

Florent Favard, Associate Professor in Theory and Practice of Cinema, Audiovisual and Transmedia at IECA (Lorraine University, Nancy), focuses on the narrative complexity of contemporary SFF television series and transmedia franchises, using an approach centered on transmedial and contextualist narratology. He has published various papers and books on television series narratives (Écrire une Série TV, PUFR, 2019; Le Récit dans les séries de science-fiction, Armand Colin, 2018).

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