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Star Trek : The Next Generation (1987-1994) ; un procès caché de l’humanité en sept saisons

Jessy Neau

Résumés

Les questionnements éthiques sont au cœur de Star Trek : The Next Generation (1987-1994). Le vaisseau Enterprise explore la galaxie, guidé par les principes de la Directive Première, laquelle n’empêche pas l’équipage d’être confronté à des choix souvent difficiles. Chaque épisode permet de découvrir une nouvelle planète et, dès lors, de générer une réflexion anthropologique sur l’universalité de l’éthique. Les déséquilibres à l’ordre hiérarchique (enlèvements du capitaine, conflits entre membres de l’équipage) sont nécessaires, à la fois au rythme du récit et à une réflexion de nature sociale : ces déséquilibres étant partiellement rétablis mais oubliés l’épisode suivant, leur règlement temporaire permet de poursuivre indéfiniment la mission. A priori, la valeur cumulative de toutes ces expériences est donc assez peu mise en avant. Et pourtant, un deus ex machina fait bien de cette expédition spatiale une adjonction d’épreuves à valeur éthique, surgissant dans le pilote et revenant dans l’épisode final : celui du procès des humains intenté par « Q », Némésis du capitaine Picard. Créature omnipotente, Q peut apparaître comme l’orchestrateur et l’arbitre de toutes les situations auxquelles l’équipage fait face : lors du pilote, il a prévenu que les humains seront jugés selon le comportement qu’ils auront montré au cours de cette mission. Juge et procureur du point de vue éthique, Q ne serait-il pas aussi « grand imagier » du point de vue narratif ? C’est donc cette dimension dissimulée, différée et oubliée du procès des humains autant que de l’archinarrateur dans Star Trek : TNG qu’il convient d’interroger.

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Texte intégral

  • 1 Je donnerai désormais l’abréviation usuelle « Star Trek : TNG » pour « Star Trek : The Next Generat (...)
  • 2 Je donnerai désormais l’abréviation usuelle « Star Trek : TOS » pour « Star Trek : The Original Ser (...)

1Star Trek : nouvelle génération (Star Trek : The Next Generation1), deuxième production de la franchise créée par Gene Roddenberry et diffusée en syndication entre 1987 et 1994, recourt davantage à la diplomatie que sa prédécesseuse, c’est-à-dire la série a posteriori intitulée Star Trek : The Original Series2 (ABC, 1966-1969). Il est vrai que des décennies se sont écoulées depuis les aventures intergalactiques du capitaine Kirk (William Shatner) et de son équipage, même si le vaisseau spatial cette fois dirigé par Jean-Luc Picard (Patrick Stewart) s’appelle lui aussi l’Enterprise. Dans les deux cas, la mission première de l’expédition est assez similaire : au nom de la Starfleet, organisation à la fois militaire et scientifique qui représente la Fédération des Planètes Unies, elle consiste à explorer de nouveaux territoires de l’espace. Mélange entre l’ONU et la NASA, la Starfleet est donc, aussi bien avec Picard qu’avec Kirk, une institution de promotion de la paix universelle.

2La mission de défense militaire de la Starfleet est davantage explicitée par Star Trek : TNG, puisque les attaques des ennemis de la Fédération des Planètes Unies sont extrêmement nombreuses au cours des sept saisons de la série, lesquelles vont faire naître des antagonistes ponctuels (comme l’entité maléfique Armus, S01E23, « Skin Evil ») ou récurrents (comme les « Borg » qui apparaissent pour la première fois dans l’épisode S02E16, « Q Who ? »), qui vont se prolonger au-delà de cette série vers d’autres productions de l’univers Star Trek. Cependant, le capitaine Jean-Luc Picard se conduit en véritable diplomate. Il compte d’abord sur la discussion avec l’ennemi avant de recourir à la force armée. Il s’agit sans doute de l’une des caractéristiques de Star Trek : TNG qui la distinguent d’autres productions de space opera : les scènes de combats sont finalement assez pauvres, au pire proches du grotesque lors des rares occurrences de luttes au corps-à-corps, au mieux assez répétitives lorsque les protagonistes affrontent leurs ennemis au « phaser ». Les séquences guerrières ne sont guère plus spectaculaires lorsqu’elles concernent des échanges de torpilles entre l’Enterprise et un vaisseau ennemi. La dramaturgie de ces séquences est en effet monotone – son caractère itératif faisant, toutefois, partie du plaisir de l’expérience de visionnage de cette série – et chorégraphiée par une suite très attendue (alerte rouge, ordre de lever les boucliers du vaisseau, plusieurs essuis de torpilles faisant trembler les sièges du pont de commandement de l’Enterprise, égrenage angoissant du pourcentage restant des systèmes informatiques de l’Enterprise, etc.). Invariants narratifs jusqu’à constituer un point nodal de la série, ces scènes sont néanmoins bien moins originales et riches en variations que celles dans lesquelles Picard tente de négocier avec l’ennemi et de trouver une issue non violente au conflit : en réalité, on peut même postuler que c’est parce que la série fait la part belle aux dialogues que les scènes de combat sont traitées de cette manière.

  • 3 On trouve des gifs « Keep calm and follow the Prime Directive » ou bien des memes proposant une com (...)

3Si le but de la Fédération est d’intégrer les planètes découvertes qui en émettent le désir, sa mission n’est pas d’ordre impérialiste : la Starfleet est guidée par les principes de la Directive Première, sorte de code de conduite régissant la Fédération, lesquels ont pour philosophie la non-interférence avec les mondes au développement technologique moins avancé. La Directive Première agit ainsi comme boussole politique et éthique pour Picard et ses acolytes, et constitue grosso modo ce qui empêche Star Trek de se transformer en … Star Wars. La Directive Première est tant de fois mentionnée au cours des 178 épisodes de TNG qu’elle en devient une sorte de gimmick, et même un objet de détournements divers et, de manière plus contemporaine, de memes3.

  • 4 Certaines séries de la franchise mettent en scène des personnages plus belliqueux, comme Star Trek  (...)
  • 5 La présentation de la revue The Journal of Ethics balaye ainsi le champ des études de droit, de phi (...)
  • 6 Alejandro Bárcenas et Steve Bein, « “Make It So”: Kant, Confucius, and the Prime Directive », in Th (...)
  • 7 Par exemple Emma J.Winn, « Racial Issues and Star Trek's Deep Space Nine », KINEMA, Printemps 2003, (...)
  • 8 Victor Grech et Mariella Scerri, « Evil doctor, ethical android : Star Trek’s instantiation of cons (...)

4Ce préambule sur la dimension essentiellement pacifiste de l’univers Star Trek, et en particulier de Star Trek : TNG4, a été nécessaire pour comprendre les raisons qui font que les études sur les enjeux éthiques de cette série sont nombreuses. Dans son sens le plus large possible (diplomatie, morale, codes guerriers, droit universel5), l’éthique est sans doute l’un des aspects de Star Trek les plus traités, parmi lesquels la teneur kantienne ou confucéenne de la Directive Première6, les allégories en matière de justice sociale fournies par diverses oppressions d’aliens7, ou bien le statut légal des intelligences artificielles8.

  • 9 Daniel Vaillancourt, « Théorie de la circonvolution : le corpus comme un dispositif », Nouvelle Rev (...)
  • 10 Idem.

5Très diverses, et procédant de disciplines académiques variées, ces études opèrent par « prélèvement », en isolant, dans le désordre et au sein de toute la franchise Star Trek, tel ou tel épisode qui illustre à profit une question éthique singulière. Ce mode d’interprétation relève bien d’une démarche « anthologique9 » (un mode d’agencement des textes qui opère un recours à une « donnée extérieure à l’acte de lecture10 », un a priori transcendantal comme un thème ou un critère générique), que j’expliciterai dans une première partie, en montrant que tout cela est adossé au dispositif « semi-feuilletonnant épisodique » de la série.

  • 11 Claire Cornillon, « Définitions et typologie des formes de récits sériels audiovisuels », billet du (...)
  • 12 On peut penser aux dégâts subis fréquemment par le vaisseau, magiquement réparés l’épisode suivant.
  • 13 Par exemple S03E26, « The Best of Both Worlds », Pt. I, et S04E01, « The Best of Both Worlds », Pt. (...)

6En effet, Star Trek : TNG relève bien de ce format sériel défini par Claire Cornillon comme une narration hybride, proposant à la fois une autonomie d’épisode (chacun d’entre eux repose sur un récit bouclé) et un arc narratif global qui se dessine au fur et à mesure des épisodes et saisons11. Si ce dernier est plus important que dans Star Trek : TOS, grâce à des rencontres avec des ennemis récurrents (Borg, Romuliens) devenues plus complexes, et grâce à des quêtes au long cours que connaissent certains personnages comme Data (Brent Spiner), aspirant à l’humanité, cet aspect « feuilletonnant » demeure tout de même modeste dans Star Trek : TNG. On n’y trouve aucun cliffhanger, et on note bien peu de conséquences d’une mésaventure subie dans un épisode au cours d’un autre12 : deux épisodes consécutifs se trouvent systématiquement séparés par une ellipse temporelle peu quantifiable – les cas contraires sont signalés par des épisodes, généralement situés à cheval entre deux saisons, et qui, en réalité, ne forment qu’un très long épisode mais coupé en deux parties numérotées13.

7La série est, en outre, à tendance « semi-feuilletonnante épisodique » : chaque épisode n’applique pas une « formule » préétablie (ce qui est le cas des séries policières par exemple, avec une procédure d’enquête immuable). L’autonomie de l’épisode relève plutôt d’un élément thématique – problème technique sur le vaisseau, incursion sur une planète, tonalité plus romantique ou comique, etc. Dès lors, il est aisé, et tentant, de classer les épisodes de Star Trek : TNG par regroupements thématiques, par personnages, ou bien par types de question éthique.

8Cependant, je souhaiterais vérifier l’intuition selon laquelle TNG propose bel et bien une évolution éthique cohérente – laquelle peut être éprouvée en prêtant attention à l’ordre des épisodes et à la typologie des problèmes et résolutions amenées, sans toutefois complètement se résumer à une question d’arc narratif, lequel est toujours furtif, mais plutôt d’évolutions en zigzags. Le capitaine Picard, mais aussi ses subordonnés comme le Lieutenant William Riker (Jonathan Frakes), le docteur Beverley Crusher (Gates McFadden), la conseillère Deanna Troi (Marina Sirtis) ou encore l’androïde Data deviennent-ils plus sages, sont-ils mieux armés pour régler des problèmes éthiques au fur et à mesure qu’ils passent du temps sur l’Enterprise ?

9Ce mode de lecture s’appuie ainsi sur la chronologie des épisodes et saisons, se donnant un périmètre temporel : en somme, c’est sur l’aspect a priori plus « feuilletonnant » de la série qu’il s’appuie, même si, on le verra, il s’agit surtout de s’intéresser à la fois à une lecture fanique de Star Trek, ainsi qu’au méta-dispositif qui encadre toute la série : celui du procès de l’humanité intenté dans le pilote et seulement achevé lors du tout dernier épisode.

10On verra alors que Star Trek : TNG représente un format presque idéal de structure semi-feuilletonnante épisodique, et à ce titre les modes de lecture anthologique comme chronologique se percutent en vertu d’une concentration inévitable sur tel ou tel personnage, ce qui crée des itinéraires fléchés, des effets « généalogiques ». Tout cela est amplifié par l’aspect inhérent et sans doute assez spécifique à Star Trek, celui de l’immense corpus fanique qui examine cette franchise à l’aune des effets de « continuité » que l’on peut établir. L’examen de ces divers modes doit ainsi permettre de voir les distinctions entre la série telle qu’elle déploie une réflexion éthique au niveau de chaque épisode, telle qu’elle la construit par évolution longue, et enfin comment elle se construit par effets d’imbrications métonymiques.

  • 14 Sur la comparaison entre les différents formats de ces séries et sur l’histoire du space opera à la (...)

11Dès lors, Star Trek : TNG constitue une forme presque parfaite d’exploration axiologique, éthique et épistémologique de soi et des autres. Là où la série originale, formulaire, nous montrait une planète différente chaque semaine, et là où les séries postérieures à TNG, avec des formats beaucoup plus feuilletonnants, nous montrent des conflits au long cours souvent concentrés sur une ou plusieurs populations aliens, TNG propose une forme qui négocie de manière tout à fait équilibrée l’exploration des possibilités d’existences individuelles et collectives14.

Une lecture anthologique de Star Trek : The Next Generation, où l’apprentissage du spectateur par braconnage

  • 15 Henry Jenkins, « Star Trek rerun, reread, rewritten: Fan writing as textual poaching », Critical St (...)

12Prélever des scènes, des motifs ou des micro-récits pour illustrer des questions éthiques relève d’un mode d’interprétation anthologique des textes : selon une logique thématique, figurale, on arrange des éléments ensemble pour produire du sens. Le mode de lecture anthologique est l’une d’une des manifestations – certes, académiques – d’un mode de lecture qui n’est pas éloigné de ce qu’Henry Jenkins a qualifié, au sujet des fans en général et ceux de Star Trek en particulier, de « braconnage ». Star Trek n’est pas seulement un texte à relire, mais à réécrire selon un ordre et des préoccupations qui sont personnels, pour en faire un « meilleur producteur de sens et de plaisir15 ».

13Ce mode de lecture est favorisé par une série comme Star Trek : TNG, dont la valeur épisodique est clairement établie et évidente. La série ne peut être qualifiée de « formulaire » au niveau de son schéma fictionnel, car les aventures de l’Enterprise sont variées, mais chaque épisode est doté d’une structure narrative assez itérative, qu’il est possible de scinder en cinq actes : un premier acte dans lequel un élément se présente et pose problème (panne technique, altercation avec des aliens hostiles, anomalie spatio-temporelle, membre de l’Enterprise infecté par un virus inconnu) ; un deuxième acte dans lequel une première décision intervient (par exemple, une première incursion de groupe sur une planète grâce au transporteur), un troisième acte qui apporte le climax, un quatrième avec toute une série de résolutions, et le dénouement-épilogue qui boucle parfaitement le récit.

  • 16 Cela, contrairement à d’autres séries de la franchise, par exemple Star Trek : Deep Space Nine (syn (...)
  • 17 Même si des séries comme Star Trek : Strange New Worlds (Paramount +, 2022-) ou bien la série animé (...)

14Comme pour beaucoup de séries semi-feuilletonnantes à tendance épisodique, la valeur cumulative de toutes les expériences vécues par les membres de l’Enterprise est assez peu exposée, ou du moins son déploiement à l’échelle des sept saisons16. Cela, contrairement à d’autres séries de la franchise, par exemple Star Trek : Deep Space Nine (syndication, 1993-1999), dont l’arc narratif global est plus important puisqu’il repose sur le long conflit armé entre les Cardassiens et la Fédération. Il s’agit là d’une série beaucoup plus feuilletonnante : d’une manière générale, les séries les plus récentes de la franchise comme Star Trek : Discovery (CBS, 2017-) ou Star Trek Picard (CBS, 2020-2023) s’inscrivent dans le « troisième âge d’or de la télévision », lié à l’émergence des plateformes de VOD qui favorisent le visionnage marathonien17.

  • 18 S01E05, « The Last Outpost » : peut-on détruire un ennemi potentiel (les Ferengi) avant qu’ils ne r (...)

15Le dispositif narratif de TNG, à l’inverse, favorise cette mécanique de prélèvement de récits prenant valeur d’exemplum. Comme dans Star Trek : TOS, de nombreux épisodes permettent de découvrir de nouveaux aliens, et génèrent ainsi des considérations anthropologiques sur l’universalité en matière d’éthique. Tout cela transparaît à la lumière d’une approche qui sélectionne des épisodes dans une sorte de pulsion d’inventaire. En effet, il est facile d’identifier des typologies de conflits éthiques, depuis des questions très générales, quoique tout à fait emblématiques de la science-fiction. Le statut juridique et moral de toutes les formes de vie et d’intelligence artificielle est une question posée à l’avant-plan par des épisodes comme S05E04 (« Silicon Avatar ») dans lequel une entité cristalline menace l’intégrité du vaisseau, mais que Data veut protéger en vertu de sa possible qualité organique. Les questions écologiques, dans la lignée de nombreuses œuvres de science-fiction, sont également centrales (par exemple dans l’épisode S01E07, « When a Bough Breaks », où les habitants d’une planète polluée tentent de survivre en enlevant des enfants). Les impératifs concernant les distorsions temporelles sont, là aussi de manière classique relativement au genre, bien représentés : peut-on, et surtout doit-on, empêcher l’avenir de se réaliser18 ?

  • 19 S04E03, « Brothers » : l’androïde Data doit-il être loyal à son « père », l’inventeur Noonien Soong (...)
  • 20 S04E14 : à la suite d’une faille temporelle, tout l’équipage de l’Enterprise, à l’exception de Data (...)

16D’autres questionnements éthiques sont plus spécifiquement liés à l’univers de Star Trek : le conflit entre les valeurs culturelles d’un personnage comme Worf (Michael Dorn), qui appartient au peuple Klingon, et qui, dans l’épisode S03E07 (« The Enemy »), est tiraillé entre une loyauté envers sa culture d’origine et celles de la Starfleet à laquelle il appartient désormais – en même temps que son camarade Geordi La Forge (LeVar Burton) se retrouve obligé de collaborer, dans le but de survivre, avec un membre de la race des Romuliens, ennemis jurés de la Fédération. Enfin, de nombreux épisodes proposent une problématique éthique tout à fait générale et universelle : loyauté envers ses proches ou envers sa hiérarchie19 ? Devoir de révéler une vérité ou de protéger des personnes des conséquences néfastes de cette connaissance20?

  • 21 S05E16, « Ethics » : Worf est gravement blessé et refuse d’être soigné par le Dr Crusher, car il po (...)
  • 22 S01E25, « Conspiracy », Picard est tiraillé entre une amitié de longue date et sa loyauté absolue e (...)

17Si aucun personnage de l’Enterprise n’est doté d’une doctrine immuable, certaines caractéristiques morales peuvent être cependant liées à l’identité ou à la fonction. Ainsi, le Dr Beverley Crusher rentre souvent en conflit avec le capitaine Picard parce que sa déontologie médicale, tenant au serment d’Hippocrate et donc à l’obligation de prodiguer des soins à autrui en toutes circonstances, peut occasionnellement heurter la Directive Première21. Jean-Luc Picard, parce qu’il est le capitaine, est souvent confronté à des choix en termes de conséquentialisme (quels résultats positifs pour le vaisseau et la Federation ?) mais aussi entre sa loyauté indéfectible envers Starfleet et un sens non moins aigu de l’amitié22. Il est souvent placé devant le choix de sacrifier l’un des siens pour le bien collectif : dans l’épisode bien nommé, « Codes of honor » (S01E04), Picard est confronté à un dilemme entre deux mauvaises solutions (car conduisant forcément à la mort), alors qu’une population extraterrestre a enlevé une membre de l’Enterprise, le lieutenant Tasha Yar (Denise Crosby), et l’oblige à mener un combat à mort contre une rivale pour occuper la position de première épouse du chef des aliens et ainsi survivre. Tout cela conduit Picard à devoir accepter les termes d’un contrat mortifère pour espérer la survie de Tasha. En réalité, il s’avère que Tasha éprouve une attirance pour son ravisseur, ce qui influence Picard dans sa décision d’accepter les termes de cet arrangement.

  • 23 Ken Marsalek, compte-rendu de The Ethics of Star Trek, Judith Barad et Ed Robertson, New York, Harp (...)

18À l’échelle macroscopique, ce qui prédomine dans Star Trek : TNG est constitué par un « solide fondement de vertu aristotéliciennes, de sensibilités existentialistes, et de principes kantiens qui autorisent cependant des exceptions de type prima facie23 ». Ce sont évidemment ces divergences qui fondent les épisodes les plus remarquables, comme « Symbiosis » (S01E22). Dans cet épisode, l’Enterprise recueille des humanoïdes des planètes Brekka et Ornara, qui se disputent un remède contre un virus décimant les Ornariens. On finit par apprendre que ce virus n’en est pas un, mais le résultat d’une addiction à ce même remède. La supercherie est découverte par le médecin en chef de l’Enterprise, Beverly Crusher. Les Ornariens sont donc exploités par les Brekkiens, et contraints de leur vendre leurs ressources en échange de ce médicament, qui leur est présenté comme une solution à leur maladie fictive. Cependant, Picard ne dispose pas de la possibilité de divulguer cette découverte aux Ornariens en raison de la Directive Première. Face à une Beverley Crusher désemparée, Picard explique que

  • 24 « the Prime Directive is not just a set of rules. It is a philosophy, and a very correct one. Histo (...)

la Directive Première n’est pas juste un ensemble de règles. C’est une philosophie, tout à fait juste de surcroît. L’Histoire nous a prouvé maintes et maintes fois que lorsque les humains interfèrent avec une civilisation moins développée, même avec les meilleures intentions du monde, les résultats sont invariablement désastreux24.

19Dans un même temps, il avoue qu’il ignore si la décision qu’il a prise est la meilleure : seule l’avenir pourra le dire. L’argument temporel (« l’Histoire a prouvé que » ; « les temps futurs décideront ») intervient fréquemment en appui à une rhétorique d’ordre plus doctrinaire, afin de justifier par une sorte de substance narrative un texte qui pourrait, sinon, s’avérer dogmatique.

  • 25 S03E09, « Trusted Sources ».

20Cet épisode constitue ainsi un cas d’école, interprété à la lumière de l’impératif kantien : la manière dont Picard formule la nécessité de s’en tenir à l’absolu principe de non-interférence suppose une universalité de principe. À noter que l’on a pu interpréter, au cours de cet épisode, le discours anti-drogue (« Drugs are bad »), prononcé par Tasha Yar comme une imitation (parodique ou non) du fameux « Just Say No » de la campagne menée par Nancy Reagan dans les années 1980 pour déconseiller à la jeunesse américaine tout usage de stupéfiant. Une règle absolue et arbitraire de plus, ici érigée en règle moralisante – éventuellement détournée ? Star Trek : Lower Decks25 parodie d’ailleurs cet épisode en soulignant l’aspect pseudo-rigoriste des principes de Star Trek : TNG, alors même que la série tout entière passe son temps à les défier.

21En outre, l’ouverture vers l’avenir à laquelle appelle Picard raisonne comme un appel à ce deuxième mode de lecture que l’on peut mettre en œuvre au sujet de Star Trek, un mode plus attentif au déroulement long de la série, même si, en attendant, la série confirme tout à fait sa dimension épisodique, et une tendance feuilletonnante faible. Lors de l’épisode qui suit « Symbiosis » que l’on vient d’évoquer, tout est pardonné, oublié : le conflit entre Picard et Crusher, celui entre les Brekkiens et les Ornariens, etc. Cela convient bien à une série qui repose, après tout, sur une surface spatiale et un agencement social assez vides de régimes de contraintes disciplinaires, puisqu’il n’y a pas de police dans l’univers de Star Trek. Les affaires s’y règlent de manière interne, ou bien de manière très ponctuelle par la Starfleet.

Une lecture « généalogique » de Star Trek : The Next Generation, où l’apprentissage par zigzags continus

22Si elle est assez peu « feuilletonnante », la série peut cependant être examinée, dans ses sept saisons, selon une étude plus systématique et exhaustive des types de problèmes éthiques rencontrés : nature des conflits, personnages impliqués, existence ou non d’un dispositif narratif singulier sont les éléments principaux qui structurent cet examen. D’emblée, des effets de répétition sont notables entre épisodes qui communiquent entre eux par différents systèmes de reprise thématique ou narrative.

23Certaines tendances évolutives se dégagent distinctement. Il est évident, par exemple, que les deux premières saisons tendent à privilégier des types de conflits entre identités individuelles et impératifs transcendants, soulignant la nécessité de valoriser le libre-arbitre et de ne pas se précipiter dans des choix opportunistes, même si ces derniers peuvent avoir des conséquences positives. On peut ainsi trouver les épisodes S01E05 (« The Last Outpost »), dans lequel Riker décide d’épargner les Ferengi, et S01E02 (« The Naked Now »), où un étrange virus inconnu provoque des émois sexuels dans tout le vaisseau, et Picard décide de ne pas en profiter pour avoir une relation amoureuse avec Beverley Crusher malgré leur attirance mutuelle ; ou encore S01E10 (« Hide and Q ») dans lequel Riker refuse la possibilité de devenir un dieu, et ce malgré tout le bien que cela pourrait lui permettre de faire. Il s’agit ainsi de mettre en place, au cours de ces deux premières saisons, une forme de garantie morale qui s’établit par plusieurs mises à l’épreuve : malgré les tentations, la fin ne justifie jamais les moyens. Star Trek présente ainsi d’emblée une vision de la justice fondée sur l’équilibre, et non sur des conceptions absolutistes. Cela est visible dès le début de la série avec l’épisode S01E08 (« Justice »), qui se déroule sur la planète Edo, où une société en apparence utopique s’avère être en réalité construite sur une vision de la justice tout à fait impitoyable, qui fait exécuter tout citoyen commettant le moindre délit, y compris marcher sur une pelouse interdite. Ni relativisme total – ce que la Directive Première semble embrasser à première vue – ni rigorisme absolutiste, l’attitude des aventuriers de l’Enterprise relève d’une proximité avec de nombreux principes chers à la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, mélangés à la Magna carta et d’autres textes comme la Constitution américaine : respect de la vie et de la propriété, droits fondamentaux assurés, poursuite individuelle du bonheur et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

24Cependant, une autre tendance qui se développe dans les troisième et quatrième saisons vient offrir une forme de critique interne à ce système, notamment par l’alternance de certains épisodes. En effet, à chaque fois qu’un épisode aborde un conflit qui semble clairement condamner l’hédonisme le plus outrancier, il est suivi d’un épisode qui met en scène un peuple contrôlé – par exemple les Borg, ce peuple cyberconnecté qui assimile tous les autres extraterrestres et pour qui l’individu n’existe pas, ce qui représente dès lors, à l’inverse, un repoussoir. On peut en conclure que plus la série progresse, plus elle semble remettre en cause l’hédonisme, tout en critiquant également la possibilité d’organisations collectives aux règles transcendantales.

25Il faut également noter un effet de progression en termes de typologie des dilemmes éthiques, ce qui confère une unité à une même saison. La quatrième saison, par exemple, pose de plus en plus de questions éthiques singulières et notamment en lien avec le domaine biomédical (par exemple le suicide des personnes âgées dans l’épisode S04E22, « Half a Life ») ou sur la liberté des individus de choisir une situation qui leur est défavorable, en particulier les enfants. C’est le cas dans l’épisode S04E034 (« Suddenly Human »), dans lequel un jeune humain, Jono, est sauvé des Talariens qui l’avaient kidnappé, puis adopté et élevé. Picard se rend compte que Jono est maltraité, bien qu’il soit attaché à son ravisseur talarien. À la fin, Jono poignarde Picard et retrouve son père agresseur. Picard est conforté dans sa conviction, quoique fortement éprouvée au cours de l’épisode, qu’il ne convient pas d’interférer avec le système de valeurs d’autrui et les choix individuels d’un individu, fût-il un enfant.

  • 26 Il faudra attendre la dernière saison de Star Trek : Picard (Paramount, 2023), pour donner un vrai (...)

26Picard, comme chaque personnage de l’Enterprise, est ainsi en mesure de faire l’expérience d’une altérité possible, davantage sur le mode des potentialités de l’être que d’un apprentissage linéaire. Les deux épisodes, à la fin de la troisième saison et au début de la quatrième saison (S03E26, « The Best of Both Worlds, I » ; S04E01, « The Best of Both Worlds, II ») qui montrent l’assimilation de Picard par les Borg, puis sa libération, ouvrent, de manière différée, à des expériences empathiques avec d’autres personnages masculins plus jeunes et eux-mêmes soumis à un contrôle extérieur ; d’abord avec Jono, puis avec Hugh, un Borg capturé par l’Enterprise (S05E23 « I, Borg »). La relation quasi filiale que Picard entretiendra avec chacun d’eux devient ainsi un itinéraire d’apprentissage de la paternité, ce qui met en lumière une contradiction déjà latente dans la construction du personnage de Picard : ce dernier affirme en effet régulièrement ne pas aimer les enfants, et il agit pourtant en véritable patriarche pour tout l’Enterprise, par sa posture d’autorité et de compassion envers ses subordonnés. Ce cheminement paternel ne se concrétisera jamais dans TNG26, il se construit en zigzags, par brèches temporairement ouvertes, culminant dans deux épisodes : avec S05E25 (« The Inner Light »), dans lequel Picard vit toute une existence alternative d’homme marié et de père dans un autre espace-temps, puis avec S07E22 (« Bloodlines »), dans lequel un jeune homme se présente à lui, affirmant être son fils. Picard finit par développer une relation affectueuse avec lui, avant de finalement se rendre compte – dans un mélange de regret et de soulagement – qu’il n’est en réalité pas son père biologique. Ces « mixed feelings » caractérisent bien Picard, mais aussi d’autres personnages de Star Trek : TNG, tous soumis à des possibles existentiels qui sont explorés le temps d’un épisode, en particulier les relations amoureuses latentes (Deanna Troi et William Riker, Deanna Troi et Worf, Picard et Beverley Crusher, Data et Tasha Yar). Entretemps, la mécanique d’oubli temporaire de ces épreuves et de ces possibles est mise à profit par l’aspect épisodique de TNG. Les déséquilibres à l’ordre sont partiellement rétablis mais oubliés l’épisode suivant, leur règlement permettant de poursuivre indéfiniment la mission.

27Les grands événements de la vie privée de chacun des personnages de l’Enterprise, voire ceux qui se rapportent à leur état civil (mariage, parentalité, deuil) ne trouvent d’aboutissement concret que dans les productions parallèles ou postérieures à la série, et surtout qui résultent d’un autre format narratif : les films Star Trek : Insurrection (Jonathan Frakes, 1998) et Star Trek : Nemesis (Stuart Baird,2002) voient survenir (enfin !) le retour des deux ex-amants, Deanna Troi et William Riker, puis leur mariage ; ainsi que la mort de Data. La série Star Trek : Picard (Paramount, 2023) est à la fois reboot, retour critique et, à bien des égards, série de fan service sur Star Trek : TNG : un Picard retraité et amer reprend du service dans la Starfleet, ce qui lui permet de connaître de nouvelles aventures, mais surtout de tenter de ressusciter Data, de régler enfin leur sort aux Borg, et donc de revisiter et réparer le passé. D’un côté, le format standard des films de cinéma, de l’autre celui tout à fait feuilletonnant d’une série des années 2020 : on le voit par contraste, ces bouclages de récits à l’échelle individuelle et au niveau des relations inter-personnelles ne peuvent opérer dans une série beaucoup plus épisodique comme Star Trek : TNG.

  • 27 Pour Ralph Waldo Emerson, chaque humain peut contribuer à élever, moralement et intellectuellement, (...)

28Or, la dimension éthique de cet univers est liée à cette distinction en matière de formats. Si chacun des personnages est pourvu d’un certain fil conducteur au cours des saisons de Star Trek : TNG, souvent modelé par ses expériences possibles, le personnage le plus significatif est l’androïde Data, puisque la série le charge, contrairement à d’autres personnages, d’une quête personnelle manifeste : accéder à l’humanité. Et justement, l’humanité n’est pas une donnée dans l’univers de Star Trek, elle s’acquiert et, de manière très émersonienne27, concerne tous les personnages, comme le rappelle Picard dans l’épisode S01E26 (« The Neutral Zone ») à trois humains du XXe siècle, des milliardaires cryogénisés qui se retrouvent décongelés par l’Enterprise quatre siècles après. TNG livre fréquemment une critique en règle de l’ère pré-« warp » (avant la rencontre des Terriens avec les autres planètes), qu’elle considère comme une sorte de préhistoire ultraviolente, un Léviathan tout à fait hobbesien. Cupides, narcissiques, belliqueux et éternellement insatisfaits, les trois humains du passé recueillis par l’Enterprise sont ainsi sommés par Picard d’évoluer : « Nous avons grandi depuis notre enfance », affirme-t-il, les encourageant à s’améliorer à leur tour. Non seulement cela nous rappelle que l’humanité est, selon TNG, un idéal à atteindre davantage qu’une donnée biologique, ce qui est incarné par Data, mais aussi que cette condamnation morale du passé évoque, par métonymie, le procès que Q intente à l’espèce humaine lors du pilote de Star Trek : TNG.

29En effet, les sept saisons de Star Trek : TNG mettent en abyme les dispositifs qui sont au centre de la mécanique à la fois narrative et éthique de la série, à savoir la relation mobile entre l’oubli et la mémoire, notamment grâce à des structures temporelles alternatives. C’est le cas de l’épisode S04E14, « Clues », dans lequel une anomalie gravitationnelle s’est produite, provoquant l’effacement d’une journée entière de la mémoire de l’Enterprise, et dans lequel seul Data est épargné en tant qu’androïde. Finalement, des indices laissés sur le vaisseau conduisent à une enquête, et il devient évident que Data a menti sur la durée du blackout pour protéger l’équipage, car des événements violents se sont produits. L’équipage prend alors des mesures pour rétablir la situation, mais à la fin, personne ne se souvient de ce qui s’est passé, sauf Data. On retrouve la même structure dans l’épisode S01E07 (« Lonely Among Us »), dans lequel une entité extraterrestre prend possession de plusieurs membres de l’Enterprise, dont Picard qui ne se souvient de rien à la fin. Il est à noter que, dans le répertoire infini des théories de fans sur Star Trek, beaucoup échafaudent, à partir de ces épisodes, certaines hypothèses sur l’éventuel blocage permanent de l’Enterprise dans tel ou tel continuum spatio-temporel, ce qui les ferait évoluer à partir d’un point donné, variable selon les fans, dans une réalité alternative ou fictive – voire plusieurs réalités possibles, selon la figure des chats de Schrödinger.

30Cela s’avère symétrique à tous ces nombreux épisodes dans lesquels des passés alternatifs sont montrés pour l’existence de Picard – l’épisode déjà mentionné S05E25 (« The Inner Light »), mais aussi, à des degrés moins radicaux, S01E24, (« We’ll always have Paris ») ou S06E15, « Tapestry ». Il s’agit davantage d’explorer la possibilité de changer le passé et d’imaginer les conséquences de ces bouleversements sur le présent. Cette accélération thématique est tout à fait réflexive par rapport à la série : la mémoire tronquée ou sélective est à l’image de ce dispositif semi-feuilletonnant épisodique. En outre, ces nombreux épisodes de mise en abyme évoquent également le deus ex machina qui contrôle les esprits de Star Trek et dirige leurs aventures…. tout en se faisant régulièrement oublier.

Une lecture fanique de Star Trek : TNG, où l’apprentissage par métonymies

  • 28 Ou « Trekkies », selon l’appellation préférée par telle ou telle communauté.

31À première vue, les lectures faniques de Star Trek : TNG fonctionnent massivement sur un mode anthologique. Les « Trekkers 28», sur les différents sites de fandom consacrés à leur univers fictionnel favori, sélectionnent certains épisodes, selon une logique a-chronologique et thématique, c’est-à-dire les épisodes qui leur semblent les plus intéressants en termes de dilemmes éthiques. Que ce soit de manière listée ou par classement explicite, les mêmes épisodes reviennent souvent, lorsqu’il s’agit d’évoquer les dilemmes éthiques : S02E09, « Measure of a Man », S04E14, « Clues » ou S04E21, « The Drumhead ». C’est souvent un chronotope particulier qui justifie cette élection : l’épisode S01E08, « Justice », est situé dans une dystopie extraterrestre. C’est aussi parfois la mécanique narrative de l’épisode qui est privilégiée, car ce dernier peut offrir une construction inédite. Ainsi, « Measure of a Man » met en scène un procès, dans lequel Picard défie une jurisprudence de la Starfleet qui fait des androïdes sa propriété – ce qui entraînerait des mises à jour opérées sur Data qui effaceraient son identité acquise. Parfois, un épisode est mémorable parce qu’il montre une issue relativement inhabituelle pour un personnage. Dans S03E07, « The Enemy », le lieutenant Worf, sommé de sauver un Romulien alors que ses parents ont été assassinés par ce peuple, désobéit à Picard. Nous sommes bien dans le domaine de l’étude de cas, le choix d’un écart par rapport aux schémas habituels.

  • 29 Henry Jenkins, Textual Poachers: Television Fans & Participatory Culture, New York, Routledge, 1992 (...)
  • 30 Les choses se sont d’ailleurs encore complexifiées avec l’ouverture de la « Kelvin timeline » produ (...)

32Cependant, aux côtés de ce mode de prélèvement et d’élection par les fans, en existe un autre, très souvent indissociable, et à première vue paradoxal : celui de la continuité – les fans tiennent à mettre en avant que ces phénomènes se reproduisent. La continuité est d’ailleurs l’un des traits les plus communément associés au phénomène fanique de Star Trek, et c’est précisément cet effet de lecture qu’analyse Henry Jenkins dans Textual Poachers29 : les « continuity freaks » prêtent une attention démesurée à la reconstruction temporelle cohérente des aventures de la saga, manifestant une obsession pour la chronologie historique des aventures spatiales (la « timeline » des événements30).

  • 31 « The reason Star Trek is so popular is that […] it never ends, because travelling the galaxy offer (...)
  • 32 « Gene taught me a new language ; and now I have become relatively fluent ». Rick Berman, « Roddenb (...)
  • 33 Daniel L. Bernardi, Star Trek and History : Race-ing Toward a White Future, New Brunswick, NJ, Rutg (...)

33Il apparaît donc qu’une série comme Star Trek : TNG ne propose un univers riche d’un point de vue éthique que parce qu’elle met en jeu ce double mode de lecture. Brent Spiner, l’interprète de Data, a évoqué l’infini de Star Trek, à savoir l’idée que le succès de cette saga repose sur le potentiel illimité de récits qu’elle offre31. Rick Berman, le continuateur de Star Trek après la mort de son créateur, Gene Roddenberry, soutient l’exact inverse : Star Trek est un univers cohérent et limité, où des règles sont à respecter32 et qui se répètent pour tisser un dense réseau, un « méga-texte33 ». En réalité, tout cela est moins de l’ordre du conflit entre autonomie d’un épisode et linéarité des saisons que d’un système d’échos venant nourrir l’ethos d’un personnage et participer à l’élaboration d’un langage narratif.

34Un exemple de commentaire d’épisode par les fans est ainsi emblématique de ce mouvement à l’œuvre dans Star Trek. Il évoque l’épisode « Tin Man » (S03E20), dans lequel un allié de la Starfleet, Tam Elbrun (Harry Groener) enquête sur une forme de vaisseau organique sur le point d’exploser pour devenir une supernova. En parallèle, les Romuliens menacent à la fois le vaisseau inconnu et l’Enterprise. Finalement, Elbrun choisit de se faire exploser avec la supernova et demande l’assistance de Picard pour accomplir cette dernière volonté, ce qui laisse Picard dans une posture classique de dilemme face à un individu qui choisit volontairement la mort. Les ingrédients de cet épisode sont ainsi tout à fait classiques par rapport à Star Trek : TNG : l’épisode, en mettant à la fois en scène des ennemis et des alliés, des phénomènes spatiaux et organiques étranges et des dilemmes moraux, n’effectue aucune sortie de piste significative par rapport aux deux saisons déjà écoulées. En réalité, la critique du fan est entièrement construite sur cet ordinaire. Il s’agit d’un épisode à la fois magistral dans sa manière de condenser un ensemble de tropes trekkiens et de rester dans une logique tout à fait classique :

  • 34 « ‘Tin Man’, conversely, is reasonably formulaic. There are no stand-out villains or enigmatic char (...)

« Tin Man », à l’inverse, est assez banal. Il n’y a pas de méchants remarquables ou de personnages énigmatiques pour notre équipage : il s’agit simplement d’une aventure ordinaire avec quelques vedettes invitées. Je pense que c’est ce qui fait sa spécificité34.

35Si la tension entre différenciation et répétition est ainsi fondamentale, c’est aussi l’imaginaire de l’épisode unique comme métonymique, maximisant à lui seul les multiples facettes de Star Trek, qui est lisible ici. Dès lors, les évolutions constatées et la multiplication des épisodes à thématique de mémoire et d’oubli apparaissent comme métaphoriques de la manière dont on voit Star Trek et dont on en intègre la richesse philosophique – il n’est ainsi pas anodin que le plus grand site de fandom s’intitule Memory alpha – et que sa construction, là aussi, relève davantage de la forme rhizomique.

Q ou le grand ordonnateur : le procès des humains de Star Trek : The Next Generation

36Reste à évoquer le dispositif supra-narratif qui encadre les sept saisons de Star Trek : TNG, celui d’un procès implicite de l’humanité. En effet, un deus ex machina fait bien de cette expédition spatiale une adjonction d’épreuves à valeur éthique, surgissant dans le pilote et revenant dans le final : celui du procès des humains par « Q », le meilleur ennemi du capitaine Picard. Créature omnipotente, atemporelle et qui fait figure de mischief maker shakespearien, Q intervient dans le pilote en deux parties intitulé « Encounter at Fairpoint » (S01E01 et S01E02). Q se présente comme l’un des représentants d’un ensemble d’êtres divins et supérieurs, des créatures qui échappent au continuum de l’espace-temps et qui ont déterminé que l’espèce humaine était trop violente et primitive pour étendre son existence dans la galaxie. Alors que Picard se rebelle contre cette sentence, Q décide de se faire procureur de l’humanité, et même son Inquisiteur. Après avoir montré à l’Enterprise quelques crimes de masse commis par l’humanité au XXe siècle, il finit par décider de reporter son jugement. Il annonce à l’équipage qu’il observera tout ce que Picard et ses acolytes feront lors de leur expédition afin de décider si l’humanité mérite d’être épargnée. Au long des sept saisons de TNG, Q survient lors de quelques épisodes où il oscille entre figure autoritaire et créatrice de chaos. Il soumet par exemple William Riker à la tentation en lui proposant de devenir un dieu (S01E10, « Hide and Q »), et il embarque l’Enterprise dans un voyage temporel où tout l’équipage se retrouve dans les rôles du récit de Robin des Bois (S04E20, « Qpid »). Il rappelle souvent, avec malice, qu’il pourrait bien être à l’origine de nombreux déboires que connaît la mission dans sa globalité, même lorsqu’il n’apparaît pas physiquement.

37Dans le double épisode final de TNG (S07E25 et S07E26, « All Good Things », I et II), Q réapparaît devant un Picard du futur pour lui annoncer, tout d’abord, que l’humanité n’a pas été sauvée. Picard se lance alors dans une tentative désespérée de faire valoir le mérite des humains et s’insurge contre cette sentence qui a créé un espace-temps alternatif, où les événements de l’Enterprise ne se sont jamais produits. Face à cette contradiction – si l’humanité a été détruite par Q des années auparavant, comment se fait-il que Picard soit encore là ? – les personnages tentent de comprendre ce qu’il s’est passé, et de relier les pans des divers espaces-temps desquels ils sont prisonniers, tout en essayant de se rappeler les événements produits. Picard et ses acolytes choisissent de continuer leur voyage, et de voir comment les événements se présentent pour régler l’anomalie temporelle créée par Q. Data souligne alors que Q a toujours été fasciné par les humains, et par Picard en particulier, qu’il considère en quelque sorte comme son « animal de compagnie » à qui il aime jouer des tours. Le double épisode effectue de nombreux allers-retours entre passé, présent et avenir, et à l’issue de multiples rebondissements, il s’avère qu’il s’agissait, encore une fois, d’une mise à l’épreuve. Picard se retrouve de nouveau face à Q, qui lui révèle cette fois que l’humanité a été sauvée. Star Trek : TNG s’achève ainsi, même si Q laisse deviner que rien n’est jamais terminé : « le procès se poursuit toujours », affirme-t-il, renforçant ainsi la valeur inachevée du titre de ce double épisode, marqué de points de suspension (« All Good Things… »).

  • 35 Albert Laffay, Logique du cinéma, Paris, Masson, 1964, p. 77.

38Dès lors, Q peut apparaître comme l’orchestrateur et l’arbitre de toutes les situations auxquelles l’équipage fait face au cours de ses aventures spatiales. Or, cet état de fait tantôt dissimulé, tantôt révélé, est mis en scène dans d’autres épisodes avec d’autres créatures omnipotentes qui sont à l’origine de mésaventures pour les membres de l’Enterprise et qui les observent comme des rats de laboratoire. Ainsi, dans l’épisode S02E02, « Where Silence Has Lease », une créature alien tient sous emprise l’équipage de l’Enterprise et assassine la moitié de ses effectifs simplement par curiosité, afin de voir comment les humains réagissent à cette situation de crise. Juge et procureur du point de vue éthique, Q apparaît ainsi comme une sorte de « grand imagier », selon l’expression d’Albert Laffay35 , ce qui lie les deux dimensions éthique et narrative. D’autre part, en tant que série de science-fiction, TNG possèderait de ce point de vue une valeur encore plus réflexive sur l’éthique – ce deus ex machina interrogeant les conditionnements machiniques des êtres, ce qui fait impression sur l’être et le façonne, notamment par la technologie et le pouvoir de divertissement. Q serait ainsi une sorte d’incarnation du « biopolitique ».

39À bien des égards, Q incarne même toutes les facettes des enjeux éthiques de Star Trek : TNG en lien avec la narration. D’une part, il est un personnage récurrent ; un gimmick mais une fois parti, il est oublié lors des autres épisodes ; il contribue à faire avancer de manière remarquable certains aspects du récit long, notamment, dans l’épisode S02E16 (« Q Who »), puisqu’il va provoquer la première rencontre entre Picard et les Borg, antagonisme capital pour la suite des aventures de l’Enterprise ; il joue le rôle de grand ordonnateur, potentiellement le créateur de toute la fabrique fictionnelle ; et enfin, il incarne une sorte de Léviathan, ordonnateur et liant plusieurs épisodes entre eux, tout en introduisant une forme de chaos, puisqu’il échappe au continuum de l’espace-temps humain et créé des effets entropiques.

40Les approches anthologiques et les approches de continuité sont indissociables de la manière de s’immerger dans une série comme Star Trek. Les connexions s’opèrent par rapprochements et mettent souvent en jeu la mémoire du public qui n’est pas celle de la stricte chronologie. Cela met en avant le fait que Star Trek : TNG propose une extrême récurrence ainsi qu’un univers familier, permettant des lectures élisant des matrices singulières. Il est ainsi possible d’interpréter tout TNG à l’aune d’un seul épisode, en prenant appui sur une configuration qui fournira ensuite une mise en série d’éléments personnels.

  • 36 Algee-Hewitt, Mark et al, « Canon/Archive. Large-Scale Dynamic in the Literary Field », Stanford Li (...)

41C’est en tous cas bien la logique fanique dont on connaît la propension au « braconnage » : il s’agit de prélever de manière parfois clandestine certains éléments et de les intégrer dans sa logique propre. La distinction que fait le laboratoire littéraire de Stanford, entre « l’archive » (ce qui est disponible) et le « corpus » (ce que l’on sélectionne36) est, dans le cas de Star Trek : TNG, à réévaluer selon une dynamique de circonvolutions – l’anthologie crée des itinéraires fléchés, grâce à la structure épisodique autonome, et la continuité rebat sans cesse les cartes de ces mêmes trajets. En matière éthique, cette dynamique est sans nul doute tout aussi évocatoire, suggérant que ce n’est pas tant le savoir cumulatif et linéaire qui construisent un sujet moral, ni une adjonction purement additionnelle, mais une exposition cyclique, récurrente, dont certaines latences émergent plus tardivement et peuvent faire retour, tout en étant parfois dissimulées et différées.

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Bibliographie

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Notes

1 Je donnerai désormais l’abréviation usuelle « Star Trek : TNG » pour « Star Trek : The Next Generation ».

2 Je donnerai désormais l’abréviation usuelle « Star Trek : TOS » pour « Star Trek : The Original Series ».

3 On trouve des gifs « Keep calm and follow the Prime Directive » ou bien des memes proposant une comparaison comique entre Star Wars et Star Trek, généralement pour souligner le côté plus intellectuel et moins brutal de Star Trek par rapport à d’autres multivers.

4 Certaines séries de la franchise mettent en scène des personnages plus belliqueux, comme Star Trek : Enterprise (CBS, 2017-) qui est une préquelle à la série originale.

5 La présentation de la revue The Journal of Ethics balaye ainsi le champ des études de droit, de philosophie morale, des déontologies professionnelles et, d’une manière générale, des « interactions individuelles ». Présentation, The Journal of Ethics, en ligne : https://0-www-jstor-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/journal/jethics, consulté le 28 janvier 2024.

6 Alejandro Bárcenas et Steve Bein, « “Make It So”: Kant, Confucius, and the Prime Directive », in The Ultimate Star Trek and Philosophy : The Search for Socrates, éd. Kevin S. Decker, Jason T. Eberl, Oxford, Wiley, 2016, p. 36-46.

7 Par exemple Emma J.Winn, « Racial Issues and Star Trek's Deep Space Nine », KINEMA, Printemps 2003, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.15353/kinema.vi.1046 (consulté le 31 janvier 2024) ; Denise A. Hurd, « The monster inside : 19th century racial constructs in the 24th century mythos of Star Trek », Journal of Popular Culture, n° 31, 1997, p. 23-35, et surtout Daniel L. Bernardi, Star Trek and History : Race-ing Toward a White Future, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 1998.

8 Victor Grech et Mariella Scerri, « Evil doctor, ethical android : Star Trek’s instantiation of conscience in subroutines », Early Hum Dev, 2020, 10.1016/j.earlhumdev.2020.105018 (consulté le 25 janvier 2024).

9 Daniel Vaillancourt, « Théorie de la circonvolution : le corpus comme un dispositif », Nouvelle Revue Synergies Canada, nº 16, 2022, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.21083/nrsc.v2022i16.6653 (consulté le 22 janvier 2024).

10 Idem.

11 Claire Cornillon, « Définitions et typologie des formes de récits sériels audiovisuels », billet du 10 avril 2017, carnet de recherches Épisodique, https://episodique.hypotheses.org/tag/formulaire#:~:text=d'une%20part%2C%20la%20s%C3%A9rie,une%20intrigue%20globale%20se%20dessine (consulté le 8 juillet 2024).

12 On peut penser aux dégâts subis fréquemment par le vaisseau, magiquement réparés l’épisode suivant.

13 Par exemple S03E26, « The Best of Both Worlds », Pt. I, et S04E01, « The Best of Both Worlds », Pt. II.

14 Sur la comparaison entre les différents formats de ces séries et sur l’histoire du space opera à la télévision, voir Florent Favard, Le Récit dans les séries de science-fiction. De Star Trek à X-Files, Paris, Armand Colin, 2018.

15 Henry Jenkins, « Star Trek rerun, reread, rewritten: Fan writing as textual poaching », Critical Studies in Mass Communication, n° 5, 1988, p. 85-107.

16 Cela, contrairement à d’autres séries de la franchise, par exemple Star Trek : Deep Space Nine (syndication, 1993-1999), dont l’arc narratif global est plus important puisqu’il repose sur le long conflit armé entre les Cardassiens et la Fédération.

17 Même si des séries comme Star Trek : Strange New Worlds (Paramount +, 2022-) ou bien la série animée Star Trek : Lower Decks (Paramount +, 2021-) montrent bien que le semi-feuilletonnant épisodique subsiste, semblant particulièrement plébiscité lorsque la tonalité s’avère plus comique (Star Trek : Lower Decks) ou nostalgique (Star Trek : Strange New Worlds).

18 S01E05, « The Last Outpost » : peut-on détruire un ennemi potentiel (les Ferengi) avant qu’ils ne représentent une menace, alors même qu’ils n’ont pas encore agi ? S04E17, « Night Terrors » : Deanna Troi est en proie à des cauchemars terrifiants qui concernent l’intégrité du vaisseau. Doit-elle traiter ces rêves comme des prémonitions, et surtout agir en conséquence, en empêchant ces visions de se réaliser ?

19 S04E03, « Brothers » : l’androïde Data doit-il être loyal à son « père », l’inventeur Noonien Soong (Brent Spiner), ou bien à l’Enterprise ? Dans cet épisode, Data fera preuve d’humanité en choisissant, paradoxalement, de refuser l’implantation d’un dispositif technologique qui le rendrait « plus humain ».

20 S04E14 : à la suite d’une faille temporelle, tout l’équipage de l’Enterprise, à l’exception de Data, n’a aucun souvenir d’une journée particulièrement mouvementée. Data doit-il leur dire la vérité sur ce qu’il s’est passé ou les protéger des conséquences néfastes de ces révélations ?

21 S05E16, « Ethics » : Worf est gravement blessé et refuse d’être soigné par le Dr Crusher, car il pourrait être infirme à la suite de son traitement. En tant que Klingon, ses valeurs guerrières lui interdisent de vivre une existence diminuée et il préfère mourir. Crusher fait face à un triple dilemme : choisir entre son devoir de médecin, le nécessaire respect des valeurs culturelles et choix d’autrui, et son amitié pour Worf.

22 S01E25, « Conspiracy », Picard est tiraillé entre une amitié de longue date et sa loyauté absolue envers la Starfleet.

23 Ken Marsalek, compte-rendu de The Ethics of Star Trek, Judith Barad et Ed Robertson, New York, Harper Collins, 2001, publié dans Philosophy Now, n° 34, https://0-philosophynow-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/issues/34/The_Ethics_of_Star_Trek_by_Barad_and_Robertson (consulté le 8 juillet 2024).

24 « the Prime Directive is not just a set of rules. It is a philosophy, and a very correct one. History has proved again and again when humanity interferes with a less developed civilization, no matter how well-intentioned that interference may be, the results are invariably disastrous ». Je traduis.

25 S03E09, « Trusted Sources ».

26 Il faudra attendre la dernière saison de Star Trek : Picard (Paramount, 2023), pour donner un vrai fils à Jean-Luc Picard en la personne de Jack (Ed Speelers), issu de sa relation amoureuse avec Beverley Crusher.

27 Pour Ralph Waldo Emerson, chaque humain peut contribuer à élever, moralement et intellectuellement, toute l’humanité, ce que le concept d’« évolution spirituelle et existentielle » désigne. Voir Harold Fromm, « Overcoming the Oversoul: Emerson’s Evolutionary Existentialism », Hudson Review, n° 57, 2004, p. 71-95.

28 Ou « Trekkies », selon l’appellation préférée par telle ou telle communauté.

29 Henry Jenkins, Textual Poachers: Television Fans & Participatory Culture, New York, Routledge, 1992.

30 Les choses se sont d’ailleurs encore complexifiées avec l’ouverture de la « Kelvin timeline » produite par les films réalisés par J.J. Abrams, Star Trek (2009) et Star Trek : Into Darkness (2013) : les Romuliens y apparaissent et réécrivent en partie l’histoire de Kirk et Spock, ce qui permet de justifier le reboot de Star Trek : TOS, ici et dans différentes productions postérieures de la franchise. Le terme « Kelvin timeline » provient du nom du vaisseau USS Kelvin, qui apparaît dans le film de 2009, et s’oppose donc à la « Prime timeline », nom dès lors attribué à la chronologie traditionnelle développée par Star Trek : TOS.

31 « The reason Star Trek is so popular is that […] it never ends, because travelling the galaxy offers thousands of stories to explore. » Brent Spiner, “Data Retrieval”, Star Trek Monthly Magazine, mars 2001, p. 6, cité par Lincoln Geraghty, The Influence of Star Trek on Television, Film and Culture, Jefferson, NC, MarFarland, 2008, p. 15. Je traduis.

32 « Gene taught me a new language ; and now I have become relatively fluent ». Rick Berman, « Roddenberry's Vision » in Farewell to Star Trek : The Next Generation, TV Guide Collector's Edition, éd. Lee Ann Nicholson, Toronto, Telemedia Communications, 1994, p. 2 [p. 2-6].

33 Daniel L. Bernardi, Star Trek and History : Race-ing Toward a White Future, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 1998, p. 7.

34 « ‘Tin Man’, conversely, is reasonably formulaic. There are no stand-out villains or enigmatic character moments for our main crew: just a run-of-the-mill adventure with a few guest stars. I think that’s what makes it special, though. » John Concagh, « One underrated episode sums up the very best of Star Trek TNG », The Digital Fix, 29 septembre 2023, en ligne : https://www.thedigitalfix.com/star-trek/tng-underrated-episode-tin-man, consulté le 30 janvier 2024. Je traduis.

35 Albert Laffay, Logique du cinéma, Paris, Masson, 1964, p. 77.

36 Algee-Hewitt, Mark et al, « Canon/Archive. Large-Scale Dynamic in the Literary Field », Stanford Literary Lab, Pamphlet 11, 2016, https://litlab.stanford.edu/LiteraryLabPamphlet11.pdf, cité par Vaillancourt, p. 2.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jessy Neau, « Star Trek : The Next Generation (1987-1994) ; un procès caché de l’humanité en sept saisons »TV/Series [En ligne], 23 | 2024, mis en ligne le 25 octobre 2024, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tvseries/8210 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12lhs

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Auteur

Jessy Neau

Jessy Neau est maîtresse de conférences en littérature comparée à l’université de Poitiers et membre du FoReLLIS. Ses recherches portent sur les relations entre littérature et écrans, les théories de la fiction et de la transfictionnalité, ainsi que sur les univers fantastiques. Sa thèse, soutenue en 2017, a porté sur les adaptations cinématographiques de Wojciech Has. Elle a dirigé plusieurs numéros de revue consacrés aux séries télévisées, et co-dirigé, avec Daniel Vaillancourt, un volume intitulé Police et savoirs, paru en 2024 chez Hermann. Elle a enseigné dans plusieurs universités en Ontario ainsi qu’à l’université de Mayotte.

Jessy Neau is Associate Professor in Comparative Literature at the University of Poitiers and a member of FoReLLIS. Her research focuses on the relationship between literature and visual media, theories of fiction and transfictionality, and fantasy worlds. Her doctoral dissertation, defended in 2017, focused on the film adaptations of Wojciech Has. She has edited several journal issues dedicated to television series, and co-edited, with Daniel Vaillancourt, a volume entitled Police et savoirs, published in 2024 by Hermann. She has taught at several universities in Ontario and at the University of Mayotte.

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