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Notes de lecture

Bruno Coquet, Un avenir pour l’emploi, sortir de l’économie administrée

Paris, Odile Jacob, 2017
Michaël Zemmour
p. 106-109
Référence(s) :

Bruno Coquet, Un avenir pour l’emploi, sortir de l’économie administrée, Paris, Odile Jacob, 2017, 160 p.

Texte intégral

1Dans son ouvrage Un Avenir pour l’emploi, Bruno Coquet se livre à une critique des politiques publiques d’emploi et de protection sociale menées en France depuis les années 1990. Cet ouvrage tient de l’essai au sens où l’auteur déroule une analyse et des prescriptions, et du pamphlet au sens où pour porter sa vision, l’auteur recourt à un discours et des formules volontairement polémiques (« de la politique publique au soviétisme », « le secteur public dispensé de réforme »).

2Pour B. Coquet, les problèmes économiques actuels de la France sont connus : coût du travail trop élevé, travail insuffisamment payant, protection sociale trop coûteuse, dépense publique trop élevée et droit du travail trop rigide. Ces éléments ne sont pas réellement discutés, à la différence des politiques publiques mises en œuvre pour y répondre. La thèse de l’auteur est que la France a, depuis plusieurs décennies, préféré le dirigisme à la libéralisation et privilégié la mise en place de « dispositifs » au détriment d’une véritable « réforme » du marché du travail et de l’économie française. Pour lui, cette véritable « réforme » nécessiterait de modifier les institutions du marché du travail pour en accentuer le fonctionnement marchand. À l’inverse, le recours aux « dispositifs » a consisté à mettre en œuvre une politique publique permanente (et généralement coûteuse) qui est venue se superposer aux institutions existantes. Une prothèse en somme, dont on ne sait plus se passer une fois qu’elle est posée : exonérations, crédits de formation, emplois aidés, etc.

3Ce raisonnement est décliné sur différents champs au gré de courts chapitres : le statut des emplois publics, la protection sociale, l’assurance chômage, la formation professionnelle, le logement, les politiques de l’emploi, etc. L’ouvrage est bref et les sujets abordés nombreux, nous n’en résumons ici qu’une partie.

4Concernant le marché du travail, la réforme consisterait pour B. Coquet à supprimer la principale rigidité que constituent le statut de la fonction publique et les emplois à statuts du secteur public, sauf exceptions qu’il conviendrait de justifier au cas par cas. Au contraire, selon l’auteur, les politiques publiques se sont concentrées sur des réformes marginales, modifiant régulièrement la législation concernant le secteur privé et contournant systématiquement la question du fonctionnariat.

5S’agissant de la protection sociale, il faudrait diminuer les coûts, et donc les protections, pour rendre possible une baisse des prélèvements sur le travail et par conséquent une baisse du coût du travail. À la place de cette politique, la France a préféré des dispositifs (essentiellement les exonérations de cotisations employeur) pour réduire le coût du travail sans diminuer la protection sociale, ce qui reporte son financement sur le reste de l’économie.

6Dans le domaine de l’assurance chômage, là où la théorie néoclassique reconnaît comme utile une assurance sociale collectant des cotisations et versant des prestations, B. Coquet déplore que l’Unedic remplisse d’autres fonctions, qui créent autant de distorsions économiques : participation au financement du service public de l’emploi, équilibrage du régime spécial de l’intermittence, financement de l’emploi discontinu en lieu et place des employeurs.

7La seule politique d’intervention à laquelle l’auteur reconnaît quelques mérites est la politique publique des services à la personne, politique sectorielle d’emploi massive mais ne bénéficiant d’aucun pilotage, et seuls quelques-uns des dispositifs qui la composent – comme les crédits ou réductions d’impôt associés à l’emploi d’un salarié par un particulier – ont fait l’objet d’une évaluation méthodique.

  • 1  Pour une définition du néolibéralisme, voir Amable B., Guillaud E., Palombarini S. (2012), L’Écono (...)

8Le plus convaincant dans cet ouvrage est la critique théorique adressée aux politiques publiques françaises. L’auteur fait clairement apparaître l’écart entre la théorie des manuels néoclassiques et la doctrine dominante de la politique économique. Ce point de vue est original, dans la mesure où pour des raisons différentes, les porteurs de la politique publique de l’emploi comme ses opposants ont généralement tendance à faire passer les réformes pour une simple mise en œuvre des modèles. Or, la confection des réformes relève en pratique de bricolages qui concilient la théorie, les contraintes politiques, économiques et la prise en compte de l’existant. Cette politique de réforme, que B. Coquet qualifie de « dirigisme », mime, via l’intervention publique, une libéralisation, sans la mettre tout à fait en œuvre : la baisse des prélèvements sociaux prend la forme d’exonérations qui sont en réalité compensées par l’État ; la baisse de l’impôt sur les sociétés est en partie simulée par des crédits d’impôts. Selon nous, les politiques conduites relèvent plutôt du « néolibéralisme », c’est-à-dire d’un interventionnisme constant de la puissance publique (multiples réformes du droit du travail, multiplication des crédits d’impôts, instauration d’une politique d’assistance conditionnelle à l’emploi) au service d’une régulation concurrentielle de l’économie1. Mais, quel que soit le terme retenu, il y a un écart certain entre théorie économique et politiques mises en œuvre, et c’est un mérite de l’ouvrage de le faire apparaître à travers son point de vue, résolument libéral.

9Le deuxième aspect convaincant concerne le manque de cohérence interne des politiques mises en œuvre, qui font pourtant l’objet d’un fort soutien de la part des pouvoirs publics. Par exemple, B. Coquet remarque que « les politiques d’allégements des cotisations employeur bénéficient (…) d’un privilège réel dans la manière dont elles sont évaluées, qui consiste à voir le verre bien plein alors qu’il est plutôt vide », soulignant par-là la mise en avant systématique des créations d’emploi, tandis que le coût considérable des effets d’aubaines de cette politique est relativement ignoré (p. 49). Est également pointée l’incohérence qu’il y a à mettre en œuvre d’importantes politiques de formations initiale et continue, tout en favorisant le développement d’emplois à bas salaires par de multiples dispositifs (chapitre 7).

10Là où l’ouvrage est nettement moins convaincant, c’est sur ses diagnostics généraux et les solutions qu’il propose. Sur le diagnostic, le discours porté par B. Coquet sur la France paraît très décliniste, au sens où il présente comme une spécificité française des éléments qu’on retrouve en fait dans de nombreux pays développés. Il aurait été utile de mettre en perspective les reproches (souvent légitimes) faits à nos politiques publiques par une comparaison internationale raisonnée. Par exemple, le recours à des « dispositifs » publics peu efficients qui se rendent d’eux-mêmes indispensables se retrouve dans toute l’histoire des dépenses fiscales aux États-Unis. De même, les exonérations de cotisations employeur sont en vigueur dans les pays bismarckiens munis d’un salaire minimum (Belgique, Pays-Bas, Autriche). Et la juste critique du couplage d’emplois insuffisamment rémunérateurs à des dispositifs sociaux (chapitre 4 « des emplois subventionnés dont on ne peut pas vivre »), loin d’être un mal français, pourrait être étendue à de nombreux pays (USA, Royaume-Uni, Allemagne ou encore République Tchèque).

11Du côté des solutions envisagées, leur horizon commun est la « désescalade », le « désarmement » de la dépense publique. En matière de protection sociale, B. Coquet propose une solution « gratuite » : faire ressentir le coût de la protection sociale aux salariés, en mettant en place une cotisation salarié unique (en renommant les cotisations employeur « cotisations employé »), afin de générer une impopularité des prélèvements sociaux et de rendre politiquement possible une baisse de la protection sociale. Sur le marché du travail, supprimer le statut de la fonction publique – sauf exception – pour générer un grand marché du travail concurrentiel unifié. En matière de formation professionnelle, « proposer un moratoire de cinq ans sur toutes les dépenses [sociales] de formation professionnelle, hors apprentissage, alternance et formation des chômeurs » (les entreprises finançant d’elles-mêmes les dépenses réellement efficientes).

12Cet inventaire de réformes, certes radicales pour certaines, n’est pas suffisant pour emporter la conviction du lecteur qui ne serait pas déjà convaincu. Là encore, une comparaison internationale raisonnée aurait permis de montrer si, partant d’une situation comparable, des réformes similaires ont été mises en œuvre ailleurs et avec quelles conséquences.

13Par exemple, lorsque B. Coquet propose de renommer les cotisations employeur « cotisations salariés » pour en faire ressentir le coût véritable aux salariés, on aurait aimé qu’il discute les deux faits suivants. Premièrement, au Danemark, l’autre pays avec la France à avoir le plus haut niveau de dépenses sociales, il n’existe aucune cotisation sociale. Deuxièmement, parmi les pays de l’OCDE où les cotisations sociales ont cours, la part des cotisations employeur dans les cotisations sociales varie entre 25 % (Pays-Bas) et 85 % (Estonie), sans qu’aucune corrélation significative ne puisse être décelée entre niveau de dépenses sociales et part des cotisations employeur.

14Une autre limite du côté des solutions proposées concerne leurs effets économiques et distributifs attendus. Même si l’auteur évoque régulièrement les fortes résistances politiques aux réformes, il examine rarement leurs éventuels perdants et gagnants, ce qui est tout de même au cœur des enjeux lorsqu’on envisage de geler la formation professionnelle ou de réduire la protection sociale. Le mot d’ordre de l’emploi suffit-il à justifier en lui-même toutes les conséquences ? C’est un peu le sous-entendu de l’ouvrage.

15À aborder de multiples sujets dans un ouvrage aussi court, B. Coquet se laisse parfois emporter à des affirmations discutables, d’autant plus problématiques que le livre est publié dans une collection de vulgarisation scientifique. Pour ne citer qu’un exemple, concernant le financement de la protection sociale, l’auteur écrit, pour expliquer le niveau trop élevé des dépenses sociales : « Le fait est qu[e les employeurs] n’ont pas voulu ou ne sont pas parvenus à refréner la hausse des cotisations sociales » (p. 58). C’est inexact : le fait historique majeur du financement de la protection sociale est que les taux de cotisation sociale employeur (hors exonérations) sont gelés depuis le milieu des années des années 1990 – ils sont aujourd’hui à 45 % du salaire brut, c’est-à-dire au même niveau qu’en 1994.

  • 2  Askenazy Ph. (2011), Les Décennies aveugles. Emploi et croissance (1970-2010), Le Seuil.

16En 2011, dans son ouvrage Les Décennies aveugles2, Philippe Askenazy soulignait comme B. Coquet que la politique économique française consiste en la répétition du même : des politiques dites « structurelles », centrées sur la baisse du coût du travail sur la base de dispositifs coûteux, s’accumulant sans résultat spectaculaire. Mais là où ce dernier invite à une réforme structurelle « authentique », s’appuyant sur la conviction que les acteurs économiques sur le marché ne feront pas moins bien que l’État, le premier se faisait l’avocat d’une stratégie économique de relance d’une politique industrielle basée sur quelques secteurs moteurs. Prenant l’exemple du Royaume-Uni avec l’industrie financière, ou de l’Allemagne avec le secteur automobile, il plaidait pour que la France favorise le développement de secteurs tels que la santé (soins, industrie pharmaceutique, recherche, matériel de pointe) comme force d’entraînement pour le dynamisme de l’ensemble de l’économie. Bien que très opposées, ces deux approches soulignent l’une comme l’autre que la politique de l’emploi peut ne pas se concevoir comme une somme de mesures autonomes ou complémentaires, plus ou moins efficaces, mais qu’elle doit résulter d’une stratégie économique cohérente, qui peut être analysée, débattue et évaluée en tant que telle.

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Notes

1  Pour une définition du néolibéralisme, voir Amable B., Guillaud E., Palombarini S. (2012), L’Économie politique du néolibéralisme – Le cas de la France et de l’Italie, Opuscules du Cepremap, p. 23.

2  Askenazy Ph. (2011), Les Décennies aveugles. Emploi et croissance (1970-2010), Le Seuil.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michaël Zemmour, « Bruno Coquet, Un avenir pour l’emploi, sortir de l’économie administrée »Travail et Emploi, 151 | 2017, 106-109.

Référence électronique

Michaël Zemmour, « Bruno Coquet, Un avenir pour l’emploi, sortir de l’économie administrée »Travail et Emploi [En ligne], 151 | juillet-septembre 2017, mis en ligne le 11 juillet 2019, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/travailemploi/7733 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/travailemploi.7733

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Auteur

Michaël Zemmour

Université de Lille

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CC-BY-SA-4.0

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