Ce qui se donne à voir. Sur le futur antérieur du photographique
Résumés
On a longtemps parlé de l’année 1839 comme de l’année de l’invention de la photographie, ce qui a depuis lors été déconstruit et considéré comme un indéfendable poncif. Il n’existe pas une photographie ni même un acteur unique, mais bien, depuis le début, une diversité de procédés photographiques et un important groupe de pionniers. La date de 1839 prend cependant toute sa signification lorsqu’on interroge les stratégies de publication en lien avec le photographique. Jacques Louis Mandé Daguerre fut le premier, en janvier 1839, à faire entrer ce procédé dans l’espace public – ou plutôt dans l’espace presque public. Mais pourquoi Daguerre n’a-t-il jamais, ni en 1839 ni plus tard, consenti à montrer publiquement des épreuves d’un procédé si intimement lié à son nom ? Cet article de tente de reconstruire les raisons d’une étrange distance, car à vrai dire, au début d’une histoire des expositions photographiques se trouve une exhibition qui n’a jamais eu lieu.
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Mots-clés :
Daguerre (Jacques Louis Mandé), Lafaye (Prosper), exposition, historiographie de la photographie, invention de la photographieKeywords:
Daguerre (Jacques Louis Mandé), Lafaye (Prosper), exhibition, historiography of photography, invention of photographyNotes de la rédaction
Traduction de l’allemand par Jean Torrent
Texte intégral
1Au musée Carnavalet, le musée d’histoire de Paris, se trouve une peinture de l’artiste français Prosper Lafaye. Pour la plupart des visiteurs, elle ne vaut probablement guère plus qu’un regard furtif. Présentée sur velours rouge au milieu d’un mobilier d’époque, elle apparaît comme l’élément décoratif d’un salon de la monarchie de Juillet. Mais sans doute n’est-ce pas seulement à cause de cet arrangement muséal, dans le style d’une period room, que le tableau de Lafaye est rarement regardé avec plus de soin. Dans son insignifiance, le sujet visiblement brossé à la manière d’une esquisse n’est pas fait pour susciter grande attention. Il mérite pourtant qu’on y revienne à deux fois : nous avons affaire ici à une peinture d’histoire d’un genre insolite (fig. 1). Ce n’est pas un événement politique du règne du « roi citoyen » Louis-Philippe qu’on nous raconte. L’objet de cette peinture est plutôt l’histoire, alors toute jeune, d’un médium. Plus exactement : nous suivons ici le récit d’un récit. C’est le soir, une trentaine de personnes se sont réunies, les unes assises, les autres debout, dans un salon manifestement élégant, éclairé par deux lampes. Quand on regarde bien, il apparaît qu’une majeure partie des hôtes se tourne vers un homme en particulier. Lafaye l’a relégué tout à droite de son tableau. Comme l’illustre sa main droite levée, le personnage s’apprête à tenir une causerie à la société rassemblée devant lui. En dépit de son coup de pinceau rapide, le peintre laisse entendre à travers l’attitude du public que l’attention, ce soir-là, n’était pas des moindres.
1. Prosper Lafaye, Conférence dans le salon de M. Irisson sur la découverte de la photographie en 1839, 1844

Huile sur toile, 71 x 98 cm. Paris, musée Carnavalet.
- 1 C’est en particulier à Stephen Bann que l’on doit une étude précise du rapport entre ces deux image (...)
- 2 Michael North, Novelty. A History of the New, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 201 (...)
2Une aquarelle réalisée plus de trente ans plus tard témoigne du vif intérêt que Lafaye a dû porter à l’objet de cette esquisse à l’huile peinte en 1844 (fig. 2). L’aquarelle reprend la composition du tableau, qu’elle modifie légèrement, en accordant cette fois-ci à l’orateur – il est de toute évidence le personnage principal de la scène – une place bien plus éminente. Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que Lafaye ajoute au bas de son aquarelle une légende qui donne la clé de ce qui restait encore sans explication dans la peinture1. Se laissent ainsi identifier un grand nombre des personnes réunies dans ce salon. L’orateur est le peintre Horace Vernet. Mais la légende nous apprend aussi assez précisément de quoi Vernet entretient ses auditeurs : « Invention de la Photographie » s’inscrit au-dessus des deux premières colonnes de texte, « La vérité sur la découverte » au-dessus des deux autres. Il est assez intéressant que soient juxtaposées ici deux conceptions de la nouveauté qui se démarquent l’une de l’autre : d’un côté l’invention, de l’autre la découverte2. Mais en dernière analyse, ce qui demeure surtout remarquable, c’est qu’un artiste comme Lafaye ait jugé en 1844, puis une seconde fois vers 1878, qu’une discussion de salon sur la photographie valait la peine qu’on lui consacrât un tableau.
2. Prosper Lafaye, Conférence dans le salon de M. Irisson sur la découverte de la photographie en 1839, vers 1878

Aquarelle d’après le tableau de 1844, avec le rajout d’une légende. Bièvres, Musée français de la photographie.
- 3 Jean Vallery-Radot, « Prosper Lafaye et ‹ l’invention de la photographie › », Point de vue. Images (...)
- 4 François Arago, « Fixation des images qui se forment au foyer d’une chambre obscure », Comptes rend (...)
3De fait, le peintre ne semble pas avoir inventé cette scène. Ce qui se trouve représenté dans la peinture et dans l’aquarelle a dû se produire plus ou moins de cette façon – selon la légende de la fin des années 1870 – le 27 janvier 1839 dans le salon de Madame et Monsieur Irisson, rue d’Antin, non loin de la place Vendôme3. Au milieu de ses auditeurs, Horace Vernet discourut ce soir-là d’événements qui remontaient alors à trois semaines et qui n’avaient rien perdu de leur actualité. Le 7 janvier, le secrétaire perpétuel de la division des sciences mathématiques de l’Académie des sciences, le physicien et astronome François Arago, avait rendu public dans une brève allocution ce qui, selon ses propres mots, défrayait déjà depuis quelque temps la chronique : connu bien au-delà de Paris comme entrepreneur de théâtre, Louis Jacques Mandé Daguerre avait réussi à fixer durablement les images qui se forment au foyer d’une chambre obscure4. Certes, avait poursuivi Arago, on devra pour le moment s’accommoder de ce que ces images, baptisées « daguerréotypes » par leur inventeur habile en affaires, ne restituent pas les couleurs. Même si leur contenu se traduit uniquement en demi-teintes à l’éclat argenté, la précision quasi mathématique avec laquelle ces images rendent « les formes et les proportions des objets extérieurs » faisait pourtant miroiter d’intéressantes perspectives d’application, non seulement pour les artistes, mais aussi et surtout pour les savants.
- 5 Henri Gaucheraud, « Beaux-Arts. Nouvelle découverte », La Gazette de France, 6 janv. 1839, p. 1.
- 6 Pour une présentation exhaustive de ces stratégies, voir en particulier Anne McCauley, « Arago, l’i (...)
- 7 [Walter Benjamin fait un jeu de mots de latiniste en parlant d’« öffentliche Sache », qui est l’équ (...)
- 8 Louis Jacques Mandé Daguerre, Historique et description des procédés du Daguerréotype et du Diorama(...)
- 9 André Gunthert, « La technique et son récit. Petite histoire de l’histoire de la photographie », In (...)
4Le fait que, la veille de la communication à l’Académie, d’importantes informations étaient parvenues, sous le titre « Nouvelle découverte5 », à la connaissance des lecteurs de La Gazette de France présente plus qu’un intérêt bibliographique. Probablement lancée par Arago lui-même, cette annonce anticipée se laisse interpréter comme un signe précoce de cette stratégie de publication qui, pour l’invention de Daguerre, marquera les premiers mois de 18396. L’intention première fut sans doute d’en faire « chose publique » (selon l’expression employée par Walter Benjamin dans sa « Petite histoire de la photographie7 ») et d’obtenir pour Daguerre et Isidore Niépce, qui lui était lié par contrat, une compensation financière par l’octroi d’une pension honorifique. Mais Arago avait manifestement en vue plus que cette seule question d’argent. Car ce qui se dessine dans les trois rapports sur le daguerréotype dont le savant et en même temps député – ce qui était assez pratique – donna publiquement lecture en janvier, juillet et août 1839, devient parfaitement clair quand on consulte le manuel que Daguerre fit paraître quelque temps plus tard, son Historique et description des procédés du Daguerréotype et du Diorama8 (fig. 3). Le titre de cette brochure probablement rédigée à quatre mains par Daguerre et Arago mérite d’être pris au mot. Seules seize des soixante-dix-neuf pages de l’opuscule contiennent ce que ses premiers lecteurs ont dû en effet y chercher : une « description » des détails techniques de ce nouveau procédé de fabrication des images. Les cinquante-six premières pages livrent en revanche, au moyen de discours, de textes de loi, de lettres et d’autres documents, autrement dit sous la forme d’un recueil de sources, un premier ouvrage historique sur le photographique. C’est à juste titre qu’André Gunthert a souligné que dès la phase de formation du photographique – « un cas médian à mi-chemin de la technique et de l’esthétique9 » –, les aspects techniques et historiographiques doivent être considérés comme les deux faces d’une même médaille.
3. Louis Jacques Mandé Daguerre, Historique et description des procédés du Daguerréotype et du Diorama, Paris, Alphonse Giroux et Cie, 1839

Page de titre de l’édition originale.
- 10 Voir à ce sujet dès 1936 Erich Stenger, Daguerre-Schriften, Berlin, chez l’auteur, 1936. Et surtout (...)
- 11 Sur les variantes éditoriales et la diffusion progressive de ces exposés, voir Steffen Siegel (dir. (...)
- 12 Suite à l’adoption pendant l’été 1839 du projet de loi accordant une pension viagère à Daguerre et (...)
- 13 A. Gunthert, « La technique et son récit », op. cit., p. 105 (c’est l’auteur qui souligne). Voir au (...)
5On ne saurait sous-estimer le rôle de ce manuel, point d’origine de l’historiographie photographique, souvent réédité depuis l’automne 1839 et traduit en outre dans un nombre considérable de langues10. Une des raisons de ce succès tient à la forme choisie pour sa publication. Faisant office de mode d’emploi, il fut certainement moins vite oublié ou même jeté qu’un journal ou un magazine, sans même parler des comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, qui n’avaient sûrement pas beaucoup de lecteurs11. Une question reste cependant ouverte : un mode d’emploi pour quoi ? Un quart du livret pouvait servir de manuel d’instruction au nouvel art du daguerréotype et à l’art plus tout à fait si jeune du diorama12. Trois quarts de ces pages étaient cependant une directive d’un tout autre genre : on pouvait les lire comme un guide pour comprendre l’histoire de la photographie. L’historiographie du médium réclame en effet elle aussi qu’on en fasse bon usage, autrement dit qu’on la lise correctement. Les éditeurs du manuel se sont empressés d’établir à cette fin, pour le tout premier public du photographique, les bases essentielles. À la lecture de l’opuscule, deux paradigmes sautent en particulier aux yeux. Ils se déploient comme des thèses explicites dans la section consacrée à l’« histoire ». Premièrement : la préhistoire et l’histoire primitive du photographique sont déterminées par des acteurs singuliers ; dans le cas du manuel, Daguerre tout d’abord et, après lui, Nicéphore Niépce. Et deuxièmement : ce développement se laisse structurer et ordonner chronologiquement au moyen d’événements que l’on peut dater. Gunthert a supposé ici, à bon droit il me semble, l’influence éditoriale d’Arago, en mettant au jour la volonté d’une historiographie centrée sur la question nationale : « Il invente une histoire longue dont la découverte française représenterait le point culminant13. »
- 14 Michel Frizot, « L’invention de l’invention », in P. Bonhomme, Les Multiples Inventions de la photo (...)
- 15 Sur l’historiographie de cette « longue durée » du photographique, voir Joel Snyder, « Enabling Con (...)
- 16 Martin Gasser, « Histories of Photography 1839-1939 », History of Photography, vol. 16, no 1, 1992, (...)
- 17 Robert Hunt, A Popular Treatise on the Art of Photography, Including Daguerréotype, and all the New (...)
- 18 Louis Figuier, « La photographie », Revue des deux mondes, t. 24, année 18, nouvelle série, 1848, p (...)
- 19 Georges Potonniée, Histoire de la découverte de la photographie, Paris, P. Montel, 1925, pp. 184-18 (...)
- 20 Naomi Rosenblum, A World History of Photography, New York/ Londres/ Paris, Abbeville Press, 1984, p (...)
6L’idée qui s’esquisse ici de faire coïncider l’apogée de certains processus historiques complexes avec le résultat obtenu par tel ou tel protagoniste distinct doit être ramenée au projet d’Arago d’assurer une rente viagère à Daguerre et à Niépce fils. Pour ce faire, l’État français exigeait le nom des inventeurs. Il fallait donc d’abord que l’invention fût inventée comme telle – comme une invention14. En jetant un œil sur l’historiographie de la photographie d’après Arago, on mesurera combien la stratégie de l’attribution personnelle et de la datation exacte de certains processus au long cours15 a été féconde en effet16. Ce « d’après » peut s’entendre au sens non seulement chronologique, mais aussi causal : si l’on ne s’étonne guère, il est vrai, que les auteurs de livres d’histoire aiment la dramaturgie des récits de l’origine, on sera tout de même frappé de constater avec quelle intensité la corrélation entre la personne et l’événement qui s’attache au nom de Daguerre a été ravivée et affermie. En l’occurrence, il n’est pas négligeable que le récit déployé par Arago, ainsi que le costume en forme d’événement dont il l’a paré – le point culminant en fut une sorte de cérémonie commune des Académies des sciences et des arts le 19 août 1839 –, soit devenu à son tour l’objet de la narration. Ainsi les thèses développées par Arago sur l’histoire du photographique ont tout de suite exercé leurs effets, dès après 1839, sur les pages d’autres traités pratiques17, elles sont devenues l’objet de publications de vulgarisation scientifique18 et elles ont enfin leur place établie dans tout abrégé d’histoire de la photographie, ancien19 ou récent20.
- 21 Hans Rooseboom, What’s Wrong With Daguerre? Reconsidering Old and New Views on the Invention of Pho (...)
- 22 Helmut et Alison Gernsheim, L.J.M. Daguerre. The History of the Diorama and the Daguerreotype, Lond (...)
- 23 Stephen C. Pinson, Speculating Daguerre. Art and Enterprise in the Work of L.J.M. Daguerre, Chicago (...)
7Mais il est une dernière chose qui fait également partie de cette histoire des incidences de longue durée : l’aspect économique poursuivi de concert par Arago et Daguerre avec la publication du daguerréotype a probablement fait obstacle à la gloire posthume de son inventeur. Avec sa question provocatrice What’s Wrong with Daguerre?, Hans Rooseboom a mis cette éventualité en relief, en faisant en la circonstance reproche aux recherches sur la phase de formation du photographique de s’être trop fixées sur un antagonisme sans fondement, qui prétendait opposer l’entrepreneur Daguerre et son goût du profit à Talbot, gentleman et scientifique désintéressé21. De fait, il demeure remarquable qu’entre la publication de la monographie sur Daguerre par Helmut et Alison Gernsheim en 1956 (l’ouvrage a longtemps fait référence, une seconde édition revue a paru en 1968)22 et la monographie présentée en 2012 par Stephen Pinson23, plus d’un demi-siècle se soit écoulé sans qu’aucune nouvelle interprétation globale de cet important pionnier de la photographie et de son œuvre aux multiples strates n’ait été tentée. C’est précisément pour cela qu’un trait essentiel du livre de Pinson est de ne plus séparer l’artiste et inventeur Daguerre de Daguerre l’entrepreneur, mais de prendre ces deux dimensions en compte, dans leur enchevêtrement systématique.
- 24 Sur le rôle de Figuier dans l’historiographie de la photographie, voir A. Gunthert, « La technique (...)
- 25 A. Gunthert, « La technique et son récit », op. cit., p. 112.
- 26 Pour les documents textuels correspondants, voir S. Siegel, First Exposures…, op. cit., pp. 215-219
8À cet égard, il vaut la peine de jeter un œil un peu attentif à une illustration qui figure dans le troisième volume des Merveilles de la science, le panorama de la modernité déployé entre 1867 et 1891 par Louis Figuier24 en quatre volumes et deux suppléments. L’auteur y embrasse son époque comme un âge d’innovations technologiques continues. Entre la machine à vapeur et le télégraphe, le chemin de fer et le moteur électrique se trouve un récit sur l’histoire de la photographie qui s’orne d’une remarquable illustration (fig. 4) – il s’agit d’un mélange de « pièces de théâtre, de romans ou d’ouvrages historiques25 ». Les illustrateurs de Figuier se sont donné du mal pour transmettre aux lecteurs de cette « description populaire » le sentiment d’être les témoins oculaires des événements historiques. Dans le quatrième chapitre de cette petite histoire de la photographie qui déroule avec précision les divers épisodes de l’année 1839, ces lecteurs sont assis, comme nous sommes assis nous aussi, le 19 août dans la grande salle de l’Académie des sciences, à l’un des tout premiers rangs, tandis qu’Arago – selon la légende de la gravure – s’apprête à annoncer la découverte de Daguerre. Cette représentation est incontestablement le fruit de l’imagination rétrospective qui, à trente ans de distance, fait d’un certain événement public le tournant de l’histoire du médium photographique26. Mais en même temps, les dessinateurs de Figuier ont travaillé avec une insigne précision. Car ils ne se sont pas contentés de restituer à l’identique la répartition des rôles qui a prévalu ce jour-là : Arago est debout en train de parler, tandis que Daguerre et Niépce fils sont assis et se taisent (il nous faudra revenir sur ce point). En sous-main, cette illustration exprime aussi autre chose : pour la présentation publique du daguerréotype, un élément n’a pas été nécessaire : la présence physique de ce daguerréotype.
4. Anonyme, Arago annonce la découverte de Daguerre dans la séance publique de l’Académie des sciences du 19 août 1839

Gravure d’illustration, in Louis Figuier, Les Merveilles de la science, vol. 3, Paris, Furne, Jouvet et Cie, 1869, p. 41.
- 27 A. McCauley, « Arago… », op. cit. ; F. Brunet, La Naissance…, op. cit.
- 28 F. Arago, « Fixation des images… », op. cit., p. 4.
9S’interroger sur les conditions de matérialité et d’usage des images photographiques aux premiers temps de ce médium revient à devoir s’intéresser en particulier aux contextes discursifs dans lesquels il s’est développé. Amorcée au début de l’année 1839 comme une question d’intérêt public, la multiplicité des discours sur le photographique n’est pas une chose qui serait venue s’ajouter à ces images, au sens d’un commentaire de seconde main ou énoncé après coup, de l’extérieur pourrait-on dire. Le photographique apparaît plutôt comme une formation médiale qui réunit dès le départ en elle des stratégies visuelles et discursives et qui fait toujours et d’emblée connaître ce qui se donne à voir dans l’image comme un produit de la vision et de l’écoute, de la monstration et de la parole. Aussi la politique menée par des acteurs comme Arago pour imposer publiquement le daguerréotype a-t-elle connu, à côté des évidentes intentions financières et des intérêts à la fois artistiques et scientifiques revendiqués dès la première prise de parole, une dimension discursive – comme l’ont déjà souligné avec à-propos Anne McCauley et François Brunet27. Si Arago s’est présenté devant ses collègues « pour donner verbalement à l’Académie une idée générale de la belle découverte que M. Daguerre a faite28 », comme l’indique le compte rendu de la séance du 7 janvier 1839, cet exposé se consacre dès sa première phrase à un travail d’interprétation qui vise à façonner une certaine représentation du photographique et à ouvrir du même coup les débats sur la matérialité de ce médium.
10Revenons au salon de Monsieur et Madame Irisson. La réunion peinte par Lafaye est datée du 27 janvier 1839, autrement dit, à un jour près, trois semaines après la première communication publique d’Arago devant l’Académie des sciences. Si nous voulons tenter de prendre effectivement cette inhabituelle peinture d’histoire au mot (et au mot qui fut énoncé en son temps), il vaut alors la peine de jeter un bref coup d’œil de côté, en feuilletant La Presse, un quotidien parisien. Dès le 12 janvier y avait paru un feuilleton qui donnait, sur un ton badin, une idée de ces discussions de salon auxquelles Lafaye allait s’intéresser lui aussi par la suite. L’auteur de cet article était une femme, Delphine de Girardin, qui publiait sa rubrique sous le pseudonyme du vicomte Charles de Launay. Voici ce que nous pouvons lire en page deux de cette édition :
- 29 Vicomte Charles de Launay [Delphine de Girardin], « Courrier de Paris », La Presse, 12 janv. 1839, (...)
On s’occupe aussi beaucoup de l’invention de M. Daguerre, et rien n’est plus plaisant que l’explication de ce prodige donnée sérieusement par nos savans [sic] de salon. M. Daguerre peut être bien tranquille, on ne lui prendra pas son secret. Personne ne songe à le raconter, quand on en parle, on ne pense qu’à une chose, c’est à placer avantageusement les quelques mots d’une science quelconque que l’on a retenus au hasard. Ceux qui ont un ami ou un oncle physicien, font de cette découverte un phénomène tout physique ; ceux qui ont été amoureux de la fille d’un chimiste, font de cette invention une opération toute chimique ; ceux enfin qui ont souvent mal aux yeux, la réduisent à un simple effet d’optique. Le moyen de se délivrer d’eux et de leurs inconcevables définitions, c’est de les mettre tous aux prises les uns avec les autres ; alors c’est un échange de mots scientifiques, de faux latin et de grec tronqué qui est d’un entraînant irrésistible, quel délire ! quel amphigouri ! il y aurait de quoi rendre fou un imbécile29.
- 30 Ibidem.
11Cette scène de salon parisienne a beau avoir été écrite d’une plume satirique, elle véhicule pourtant en son noyau une question sérieuse : à vrai dire, qu’est-ce qu’un daguerréotype ? On peut bien en parler autant qu’on veut, en donner par le menu d’« inconcevables définitions », tout ce bruissement mondain est incapable d’en livrer une idée un peu précise. La matérialité du procédé photographique de Daguerre est, pour l’instant du moins, insaisissable. Entre « mots scientifiques », « faux latin » et « grec tronqué », les discours ne font que le ressasser sans le définir. Girardin résume son récit par un merveilleux paradoxe : « Vraiment cette découverte est admirable, mais nous n’y comprenons rien du tout, on nous l’a trop expliquée30. »
- 31 Voir aussi à ce sujet Paul-Louis Roubert, « First Visions. The Invention of Photography », in Aless (...)
12Sur cette toile de fond, la scène de Lafaye montrant une causerie dans un salon est plus qu’un simple instantané. Car si sommaire que soit la facture du tableau, il y a une chose qu’on ne voit ici nulle part et qui reste absente : la photographie comme objet matériel. Est représenté Horace Vernet, la main droite levée, en train de discourir, ainsi que le public qui se tourne vers lui avec attention. Mais l’objet de sa conférence reste un produit exclusivement fait de mots, il est de nature purement discursive. Girardin en avait énoncé en passant la raison dans son facétieux article : « M. Daguerre peut être bien tranquille, on ne lui prendra pas son secret. » Apparaît ici une contradiction qui ne se laisse guère résoudre et qui est lourde de conséquences : en vue de la pension honorifique que l’État français pourrait lui assurer, il devait être dans l’intérêt de Daguerre que son invention suscitât la plus grande attention publique possible ; mais en même temps, il lui importait que rien ne fût divulgué sur les divers détails de son procédé, afin d’éviter toute concurrence avec des imitateurs qui pourrait naître avant l’heure, c’est-à-dire avant la décision parlementaire attendue. La tâche rien moins que paradoxale consistait donc à informer le public d’une innovation technologique visuelle, sans en livrer la visibilité effective. Le petit commerce du secret mené par Daguerre était nécessaire, du point de vue de l’inventeur tout au moins, à la protection de son invention, mais en même temps il faisait forcément obstacle à cette reconnaissance publique à laquelle la procédure parlementaire lancée par Arago ne pouvait guère renoncer31.
- 32 F. Arago, « Fixation des images… », op. cit., pp. 4-5.
13Au début de l’histoire publique du photographique, il n’y a pas de regards qu’on pose sur des images, mais des mots qu’on énonce à leur propos. Ce n’est pas la matérialité de la surface aux éclats argentés d’un daguerréotype qui ouvre la réflexion sur ces photographies, mais un travail sur l’image qui s’effectue par des concepts et des métaphores, des comparaisons et des analogies, donc par des éléments de langage. Dans sa brève allocution devant l’Académie, Arago soulignait déjà la difficulté de prêter hommage au caractère novateur d’une invention tout en renonçant à présenter un spécimen concret de cette dite invention. À cet égard, il convient certainement de considérer que la terminologie de l’histoire de l’art ne fait pas partie du vocabulaire courant d’un physicien et astronome. Il est pourtant significatif de voir Arago qui s’efforce de tâtonner d’une comparaison à l’autre pour expliquer à ses auditeurs ce qui demeurait pour l’instant soustrait à leurs regards : « Il n’y a dans les tableaux, dans les copies de M. Daguerre, comme dans un dessin au crayon noir, comme dans une gravure au burin, ou, mieux encore (l’assimilation sera plus exacte), comme dans une gravure à la manière noire ou à l’aquatinta, que du blanc, du noir et du gris, que de la lumière, de l’obscurité et des demi-teintes32. » Du dessin au crayon à l’aquatinte en passant par la gravure à la manière noire, Arago esquisse la voie d’une comparaison intermédiale qui cherche à modeler l’image photographique pour en tirer une représentation mentale aussi frappante que possible.
- 33 « [Arago] lui a servi de tuteur et de parrain » : Jules Janin a usé de cette pertinente formule pou (...)
- 34 Pour plus de détail sur Arago, voir François Sarda, Les Arago. François et les autres, Paris, Talla (...)
- 35 François Arago, « Le Daguerréotype », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sc (...)
14Les premiers théâtres publics du daguerréotype sont les feuilletons de la presse quotidienne, les discussions qui se tiennent le soir dans les salons et, pour les spécialistes, les comptes rendus des séances de l’Académie. Autrement dit : la lisibilité des récits des témoins oculaires précède la visibilité du matériau photographique. Il est manifeste que Daguerre et son « tuteur et parrain33 » Arago se sont mis d’accord : Arago serait désormais le seul à officier comme porte-parole public du daguerréotype. En sa triple qualité de scientifique de renom, de personnalité influente dans le domaine de la politique des sciences et de député parlementaire de longue date, il était éminemment fait pour cette fonction34. Daguerre se retira pour sa part de l’espace public – un rôle qu’il conserva même au point culminant de la campagne de publication. Les comptes rendus de l’Académie des sciences signalent explicitement que même le 19 août 1839 l’inventeur préféra laisser complètement la parole à Arago. Curieusement, on en donne d’un seul coup trois explications – d’ailleurs très diverses : « Ce matin encore, ajoute M. Arago, j’ai prié, j’ai supplié l’habile artiste de bien vouloir se rendre à un vœu qui me semblait devoir être partagé par tout le monde ; mais un violent mal de gorge ; mais la crainte de ne pas se rendre intelligible sans le secours de planches ; mais un peu de timidité ont été des obstacles que je n’ai pas su vaincre35. » Au reste, cette énumération révèle incidemment que même lors de cette première présentation publique du daguerréotype, on ne disposait d’aucun exemplaire de ce procédé. Le récit repris beaucoup plus tard par Figuier dans ses Merveilles de la science peut donc tout à fait prétendre à la plausibilité.
- 36 Pour plus de détails sur cette question, voir Steffen Siegel, « No Room for Doubt? Daguerre and His (...)
- 37 Jules Janin, « Le Daguerotype [sic] », L’Artiste. Journal de la littérature et des beaux-arts, 2e s (...)
- 38 Samuel F.B. Morse, « The Daguerrotipe [sic] », New York Observer, 17e année, no 16, 20 avr. 1839, p (...)
- 39 Sur les lettres de Humboldt, voir Milan Chlumsky, « Historischer Irrtum oder Humboldt schweigt. Zu (...)
15Il est une chose que la répartition des rôles entre Daguerre et Arago a néanmoins dû prévoir : l’inventeur s’était engagé à garantir à quelques rares privilégiés l’accès personnel à ses images36. Parmi eux, il y avait tout d’abord d’importants journalistes comme Jules Janin, qui assuraient la publicité attendue37 ; puis, comme il se doit, les députés du Parlement français, qui eurent bientôt à décider si Daguerre et Niépce fils recevraient une pension viagère ; ensuite certains étrangers aussi éminents que l’inventeur et collègue Samuel Morse, dont le témoignage oculaire, paru dans le New York Observer, est l’une des toutes premières publications sur ces nouvelles images aux États-Unis38 ; mais aussi pour finir des savants comme Jean-Baptiste Biot et Alexander von Humboldt39. Les informations données par Humboldt dans deux lettres de février 1839 nous renseignent non seulement avec beaucoup de clarté sur les impressions visuelles que lui a laissées le daguerréotype, elles soulignent aussi, en marge, la crainte éprouvée par Daguerre que des imitateurs puissent mettre en péril son succès financier :
- 40 R. Recht, La Lettre de Humboldt, op. cit., pp. 9-12, ici p. 12. On trouvera le texte original en al (...)
C’est tout ce que Daguerre montre et c’est tout ce qu’il peut montrer et savoir. Tels sont les espoirs que la contemplation des produits – des images – suscite aujourd’hui. Quelles améliorations en produira l’usage dans l’avenir, on ne peut le prévoir. Combien fut affinée la lithographie, après qu’un long usage en eut reconnu plus d’un défaut. Avec raison, Daguerre craint beaucoup que l’on ne dépiste la découverte. C’est une chose si bête, si simple que de longtems on auroit dû la trouver, cependant j’y travaille depuis douze ans et je n’ai bien réussi que depuis quelques mois40.
- 41 Voir à ce sujet S. Siegel (dir.), Neues Licht…, op. cit., ou Id., First Exposures…, op. cit.
16Si l’on met côte à côte tout ce qui a été publié dans les premiers mois de 1839 sur le daguerréotype41, on ne peut manquer de relever l’abondance de répétitions qui caractérise ces textes. De façon presque stéréotypée, ce sont toujours les mêmes observations qu’on mentionne, les mêmes détails qu’on souligne et les mêmes comparaisons qu’on formule. Mais surtout, une constante traverse tous ces textes : l’emphase avec laquelle ils insistent sur l’exactitude de la représentation, ce qu’Arago avait déjà mis en avant dans son rapport devant l’Académie en évoquant la « précision presque mathématique » de ces images. Dans le même temps, le fait que la précision mimétique de l’image photographique n’avait pu être obtenue qu’au prix d’importantes réserves (par exemple l’impossibilité de restituer les couleurs ou le mouvement) est presque toujours passé complètement sous silence. Même si l’on considère qu’à cette époque, c’était une pratique journalistique courante de se copier généreusement les uns les autres ou même de reprendre sans hésitation des textes par morceaux entiers, l’uniformité discursive de ces premières tentatives de traduire le photographique en mots reste malgré tout frappante. On peut assez facilement admettre que derrière l’argumentation et même la lettre de ces textes, il n’y ait nul autre que Daguerre. Des récits comme ceux d’Humboldt font clairement apparaître que le calendrier des visites assurées en exclusivité par Daguerre a dû suivre le schéma d’une chorégraphie soigneusement réglée. Un des aspects essentiels de ces présentations organisées en petit comité aura donc été leur habillage linguistique minutieusement réfléchi.
- 42 Sur cette question du regard guidé sur un détail, voir André Gunthert, « Ein kleiner Strohhalm oder (...)
- 43 Voir supra note 40, p. 85 (pour le texte original allemand : « welche Kleinheit!! ») et p. 10 (trad (...)
17Grâce à une gravure sans doute publiée peu après 1839 (fig. 5), nous pouvons nous imaginer être l’un de ces privilégiés invités à voir de leurs yeux le prodige. Un petit groupe de visiteurs s’est placé autour d’une table pour examiner l’épreuve d’un daguerréotype. Représentant les cinq autres, l’un des messieurs a pris la plaque photographique dans sa main, il s’est équipé en outre d’une loupe, un accessoire dont Humboldt avait déjà fait mention dans ses lettres et qui joue également un rôle central dans tous les autres comptes rendus de visites chez Daguerre42. L’identification du détail qui se profile ici – « et quelle vétille43 !! » s’était exclamé avec emphase Humboldt à propos de la vitre d’une lucarne, cassée et colmatée avec du papier, qu’on pouvait distinguer sur l’image d’une maison de cinq étages – est le résultat d’une orientation du regard qui insiste sur la précision mimétique du daguerréotype. Il s’agit dans cette petite scène, selon la légende de la planche, d’une « expérience publique faite par Mr Daguerre ». Il y a de bonnes raisons de prendre strictement cette formulation au mot : l’expérience publique du photographique ne se produit pas simplement d’elle-même, au contraire elle est « faite par Mr Daguerre ». Elle est le produit d’un travail sur l’image qui s’effectue par le discours. Sa tâche essentielle est d’encadrer verbalement ce qui se donne à voir par ce qui doit être vu. Se tenant bien droit, l’auteur d’une telle orientation du regard a pris position devant son petit public et semble surveiller avec soin ce qui se déroule devant lui comme une « expérience publique ».
5. Anonyme, « Daguerréotipe. Expérience publique faite par Mr Daguerre », circa 1840

Lithographie, 14,9 x 10,8 cm. Rochester, George Eastman Museum.
- 44 Voir supra par exemple Jules Janin, « Le Daguérotype [sic]. Nouvelle expérience », L’Artiste. Journ (...)
18De fait, Daguerre a réalisé à plusieurs reprises à Paris, à partir de septembre 1839, des démonstrations publiques de son procédé photographique. Il y était astreint par le contrat conclu avec l’État français. Les articles de presse rédigés en ces occasions reflètent eux aussi la chorégraphie désormais parfaitement huilée de ces présentations et reprennent une fois de plus le registre discursif bien connu des textes antérieurs44. Il reste d’autant plus remarquable que ni en 1839 ni plus tard, Daguerre ne se soit soucié d’organiser à Paris ou ailleurs une exposition publique de ses images. Peut-être l’inventeur n’était-il que trop conscient que ses possibilités de guider le regard du spectateur auraient été dès lors réduites. Mais il y avait aussi une autre raison à ce renoncement : juste avant la présentation publique de son procédé en août 1839, Daguerre avait déjà commencé à envoyer des spécimens particulièrement réussis de ses images dans de splendides cadres. Les destinataires étaient les têtes couronnées d’Europe, parmi lesquelles le roi des Belges Léopold, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, l’empereur d’Autriche Ferdinand Ier et le tsar de Russie Nicolas Ier, mais aussi le roi Louis Ier de Bavière (fig. 6).
6. Louis Jacques Mandé Daguerre, Le Triptyque munichois, trois daguerréotypes sous cadre d’apparat, envoyé en hommage au roi Louis Ier de Bavière par leur auteur pendant l’été 1839

L’illustration reproduit l’état d’après 1970, 13 x 16,4 cm (dimensions de chacune des images). Munich, Bayerisches Nationalmuseum.
19Daguerre ne manquait jamais d’inscrire sur le passe-partout de ces cadres une dédicace personnelle. Dans le cas du « triptyque » envoyé à Munich, elle était libellée en ces termes : « Épreuve ayant servi à constater la découverte du Daguerréotype, offerte à sa Majesté le Roi de Bavière par son très humble et très obéissant serviteur, Daguerre. » Leur rôle de preuve appartient autrement dit à la fonction de ces images photographiques très spéciales. Dès avant leur première présentation publique, elles avaient fait l’objet d’examens : au cours du processus politique d’attribution d’une rente viagère à leur inventeur et dans le contexte de leur appropriation par des journalistes, par des savants et par d’autres relais. Très peu de temps après l’arrivée de ce précieux cadeau à Munich, le public local eut la possibilité d’examiner de ses propres yeux les trois images de ce cadre. Mais d’une certaine manière, ces toutes nouvelles images étaient déjà de vieilles connaissances. Le rédacteur anonyme de l’Allgemeine Zeitung l’évoque en passant au détour d’une incise :
- 45 Anonyme, « Daguerre’s Lichtbilder », Allgemeine Zeitung (Augsbourg), 23 oct. 1839, supplément, p. 2 (...)
« Dans les salles de la Société des beaux-arts sont exposées aujourd’hui trois photographies de Daguerre. Nous devons le plaisir de contempler en vrai des œuvres sur lesquelles nous avons lu et entendu tant de choses à la grâce du roi, qui a fait remettre à la Société des beaux-arts pour les exposer les exemplaires qui lui ont été adressés par l’inventeur en témoignage d’admiration45. »
- 46 Bernd Stiegler, « Das Sichtbare und das Unsichtbare. Kleine Wahrnehmungsgeschichte der Photographie (...)
- 47 Sur l’histoire des premiers commentaires, voir surtout Mary Warner Marien, Photography and Its Crit (...)
20Au début des débats publics sur la spécificité de l’image photographique, il y a non seulement ce qui se donne à voir, mais surtout ce qui peut se dire. L’expérience personnelle d’un rapport à ces images et à leur usage ne joue que très rarement un rôle au départ. La plupart du temps, c’est l’expérience et l’usage du discours sur le photographique qui précèdent la confrontation directe avec l’image. Qu’il s’agisse du daguerréotype ou du photogenic drawing réalisé selon la méthode de William Henry Fox Talbot, ces premières images photographiques apparaissent devant un horizon composé de moyens linguistiques. L’histoire de la réception du photographique qui s’est élaborée depuis lors a toujours été et est encore une hybridation du voir et du lire, un mélange d’images et de textes46. L’orientation du regard par le langage, l’habillage de l’expérience visuelle par des métaphores et des comparaisons, un usage de mots et d’images en constant chevauchement : tels sont les éléments du futur antérieur de ce médium. Bien des choses nous incitent à penser que cette interaction pèse encore fortement sur notre propre perception, sur notre propre usage, sur notre propre réflexion, en bref sur les conceptions aujourd’hui en vigueur de la matérialité du photographique47. Est-ce que nous continuons vraiment de suivre des voies qui ont été frayées dans les premiers temps de ce médium à mi-chemin entre fait matériel et fait discursif ? C’est une question qu’on ne saurait trancher à moins d’un examen perpétuellement reconduit.
Notes
1 C’est en particulier à Stephen Bann que l’on doit une étude précise du rapport entre ces deux images. Voir Stephen Bann, Parallel Lines. Printmakers, Painters and Photographers in Nineteenth-Century France, New Haven/Londres, Yale University Press, 2001, pp. 104-108. L’intitulé exact de la légende est donné par Bann dans la note 47, p. 222.
2 Michael North, Novelty. A History of the New, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 2013.
3 Jean Vallery-Radot, « Prosper Lafaye et ‹ l’invention de la photographie › », Point de vue. Images du monde, no 362, 12 mai 1955, p. 4.
4 François Arago, « Fixation des images qui se forment au foyer d’une chambre obscure », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, t. 8, janv.-juin 1839, pp. 4-6, séance du 7 janvier 1839. La portée discursive de l’intervention d’Arago devant l’Académie a été analysée en détail par François Brunet, La Naissance de l’idée de photographie, Paris, PUF, 2000, pp. 59-67. Voir aussi François Brunet, « Inventing the Literary Prehistory of Photography. From François Arago to Helmut Gernsheim », History of Photography, vol. 34, no 4, 2010, pp. 368-372.
5 Henri Gaucheraud, « Beaux-Arts. Nouvelle découverte », La Gazette de France, 6 janv. 1839, p. 1.
6 Pour une présentation exhaustive de ces stratégies, voir en particulier Anne McCauley, « Arago, l’invention de la photographie et le politique », Études photographiques, no 2, mai 1997, pp. 6-43. André Gunthert, « Spectres de la photographie. Arago et la divulgation du daguerréotype », in Les Arago, acteurs de leur temps, actes du colloque (Perpignan, Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 12-14 nov. 2003), 2010, pp. 441-451.
7 [Walter Benjamin fait un jeu de mots de latiniste en parlant d’« öffentliche Sache », qui est l’équivalent allemand de res publica. N.d.T.] Voir Walter Benjamin, « Kleine Geschichte der Photographie » [1931], in Id., Gesammelte Schriften, vol. 2, R. Tiedemann et H. Schweppenhäuser (éd.), Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1977, pp. 368-385, ici p. 368 (trad. fr. par M. de Gandillac, revue par R. Rochlitz et P. Rusch, in Walter Benjamin, Œuvres, vol. 2, Paris, Gallimard, 2000, pp. 295-321 ; autre trad. par A. Gunthert, Études photographiques, no 1, nov. 1996, pp. 6-39).
8 Louis Jacques Mandé Daguerre, Historique et description des procédés du Daguerréotype et du Diorama, Paris, Susse Frères/Delloye, 1839.
9 André Gunthert, « La technique et son récit. Petite histoire de l’histoire de la photographie », Intermédialité, no 2, automne 2003, pp. 101-114, ici p. 101.
10 Voir à ce sujet dès 1936 Erich Stenger, Daguerre-Schriften, Berlin, chez l’auteur, 1936. Et surtout Beaumont Newhall, « Bibliographie of Daguerre’s Instruction Manuals », in Helmut et Alison Gernsheim (dir.), L.J.M. Daguerre. The History of the Diorama and the Daguerreotype [1956], New York, Dover Publications, 1968 (2e éd. revue et corrigée), pp. 198-205. Grant B. Romer, « Daguerre in the Library », in Sheila J. Foster, Manfred Heiting et Rachel Stuhlman (dir.), Imagining Paradise. The Richard and Ronay Menschel Library at George Eastman House, Rochester/Göttingen, Steidl, 2007, pp. 27-33.
11 Sur les variantes éditoriales et la diffusion progressive de ces exposés, voir Steffen Siegel (dir.), Neues Licht. Daguerre, Talbot und die Veröffentlichung der Fotografie im Jahr 1839, Munich, Fink, 2014. Ainsi que l’édition anglaise First Exposures. Writings from the Beginning of Photography, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 2017.
12 Suite à l’adoption pendant l’été 1839 du projet de loi accordant une pension viagère à Daguerre et à Isidore Niépce, l’État français s’est rendu acquéreur des droits du daguerréotype, mais aussi du diorama. Daguerre se trouva donc astreint à publier dans son manuel les détails techniques de ces deux méthodes si différentes de production des images. Comme son théâtre du boulevard du Temple avait été détruit par un incendie en mars 1839 et qu’il avait renoncé à son projet de le reconstruire, il lui fut sans doute aisé de se plier à cette exigence.
13 A. Gunthert, « La technique et son récit », op. cit., p. 105 (c’est l’auteur qui souligne). Voir aussi Sylvain Morand, « 1839. Hasard ou déterminisme inéluctable », in Pierre Bonhomme (dir.), Les Multiples Inventions de la photographie, Paris, Ministère de la culture, de la communication et des grands travaux du bicentenaire, 1989, pp. 51-56. F. Brunet, La Naissance de l’idée de photographie, op. cit., pp. 99-113.
14 Michel Frizot, « L’invention de l’invention », in P. Bonhomme, Les Multiples Inventions de la photographie, op. cit., pp. 101-108.
15 Sur l’historiographie de cette « longue durée » du photographique, voir Joel Snyder, « Enabling Confusion », History of Photography, vol. 26, no 2, 2002, pp. 154-160. Kelley Wilder, « A Note on the Science of Photography. Reconsidering the Invention Story », in Tanya Sheehan et Andrés Mario Zervigón (dir.), Photography and Its Origins, New York/Londres, Routledge, 2015, pp. 208-221.
16 Martin Gasser, « Histories of Photography 1839-1939 », History of Photography, vol. 16, no 1, 1992, pp. 50-60. Anne McCauley, « Writing Photography’s History Before Newhall », History of Photography, vol. 21, no 2, 1997, pp. 87-101.
17 Robert Hunt, A Popular Treatise on the Art of Photography, Including Daguerréotype, and all the New Methods of Producing Pictures by the Chemical Agency of Light, Glasgow, s. n., 1841, pp. 3-4.
18 Louis Figuier, « La photographie », Revue des deux mondes, t. 24, année 18, nouvelle série, 1848, pp. 114-138, ici en particulier pp. 119-120. Id., Les Merveilles de la science ou description populaire des inventions modernes, vol. 3, Paris, Furne, Jouvet et Cie, 1869, pp. 1-188, ici pp. 41-44. Gaston Tissandier, Les Merveilles de la photographie, Paris, Hachette, 1874, pp. 56-64.
19 Georges Potonniée, Histoire de la découverte de la photographie, Paris, P. Montel, 1925, pp. 184-188. Erich Stenger, Geschichte der Photographie, Berlin, VDI, 1929, pp. 4-5. Josef Maria Eder, Geschichte der Photographie, vol. 1, 2 tomes, Halle an der Saale, Wilhelm Knapp, 1932 (4e éd. revue et augmentée), pp. 301-314. Helmut et Alison Gernsheim, The History of Photography. From the Earliest Use of the Camera Obscura in the Eleventh Century Up to 1914, Londres/ New York/ Toronto, Oxford University Press, 1955, pp. 52-55.
20 Naomi Rosenblum, A World History of Photography, New York/ Londres/ Paris, Abbeville Press, 1984, pp. 15-19 ; Michel Frizot (dir.), Nouvelle histoire de la photographie, Paris, Adam Biro, 1994, pp. 23-26.
21 Hans Rooseboom, What’s Wrong With Daguerre? Reconsidering Old and New Views on the Invention of Photography, Amsterdam, Nescio, 2010. Voir aussi Id., « What’s Wrong With Daguerre? », in T. Sheehan et A. Mario Zervigón (dir.), Photography and Its Origins, op. cit., pp. 29-40. Ainsi que Stephen C. Pinson, « Revers de fortune », in Quentin Bajac et Dominique Planchon-de-Font-Réaulx (dir.), Le Daguerréotype français. Un objet photographique, Paris, musée d’Orsay/Rmn, 2003, pp. 17-31.
22 Helmut et Alison Gernsheim, L.J.M. Daguerre. The History of the Diorama and the Daguerreotype, Londres, Secker and Warburg, 1956 (2e éd. revue, New York, 1968).
23 Stephen C. Pinson, Speculating Daguerre. Art and Enterprise in the Work of L.J.M. Daguerre, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 2012.
24 Sur le rôle de Figuier dans l’historiographie de la photographie, voir A. Gunthert, « La technique et son récit », op. cit., en particulier pp. 110-114. Id., « L’inventeur inconnu. Louis Figuier et la constitution de l’histoire de la photographie française », Études photographiques, no 16, mai 2005, pp. 6-18.
25 A. Gunthert, « La technique et son récit », op. cit., p. 112.
26 Pour les documents textuels correspondants, voir S. Siegel, First Exposures…, op. cit., pp. 215-219.
27 A. McCauley, « Arago… », op. cit. ; F. Brunet, La Naissance…, op. cit.
28 F. Arago, « Fixation des images… », op. cit., p. 4.
29 Vicomte Charles de Launay [Delphine de Girardin], « Courrier de Paris », La Presse, 12 janv. 1839, pp. 1-2, ici p. 2.
30 Ibidem.
31 Voir aussi à ce sujet Paul-Louis Roubert, « First Visions. The Invention of Photography », in Alessandra Mauro (dir.), Photoshow. Landmark Exhibitions That Defined the History of Photography, Londres, Thames & Hudson, 2014, pp. 16-35, ici surtout pp. 18-20.
32 F. Arago, « Fixation des images… », op. cit., pp. 4-5.
33 « [Arago] lui a servi de tuteur et de parrain » : Jules Janin a usé de cette pertinente formule pour expliquer le rôle d’Arago dans le processus de divulgation du daguerréotype. Voir Jules Janin, « La description du Daguérotype [sic] », L’Artiste. Journal de la littérature et des beaux-arts, 2e série, vol. 3, no 17, 25 août 1839, pp. 277-283, ici p. 277.
34 Pour plus de détail sur Arago, voir François Sarda, Les Arago. François et les autres, Paris, Tallandier, 2002.
35 François Arago, « Le Daguerréotype », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, t. 9, juil.-déc. 1839, compte rendu de la séance du 19 août 1839, pp. 250-267, ici p. 250.
36 Pour plus de détails sur cette question, voir Steffen Siegel, « No Room for Doubt? Daguerre and His First Critics », in Sabine Kriebel et Andrés Mario Zervigón (dir.), Photography and Doubt, Londres/ New York, Routledge, 2017, pp. 29-43.
37 Jules Janin, « Le Daguerotype [sic] », L’Artiste. Journal de la littérature et des beaux-arts, 2e série, vol. 2, no 11, 28 janv. 1839, pp. 145-148.
38 Samuel F.B. Morse, « The Daguerrotipe [sic] », New York Observer, 17e année, no 16, 20 avr. 1839, p. 62.
39 Sur les lettres de Humboldt, voir Milan Chlumsky, « Historischer Irrtum oder Humboldt schweigt. Zu den zwei Briefen Alexander von Humboldts über die Fotografie », Fotogeschichte, vol. 9, 1989, no 33, pp. 13-18. Roland Recht, La Lettre de Humboldt. Du jardin paysager au daguerréotype, Paris, Christian Bourgois, 1989 (éd. augmentée 2006).
40 R. Recht, La Lettre de Humboldt, op. cit., pp. 9-12, ici p. 12. On trouvera le texte original en allemand, Alexander von Humboldt, « Brief an Carl Gustav Carus vom 25. Februar 1839 », chez S. Siegel (dir.), Neues Licht…, op. cit., pp. 85-87, ici p. 86.
41 Voir à ce sujet S. Siegel (dir.), Neues Licht…, op. cit., ou Id., First Exposures…, op. cit.
42 Sur cette question du regard guidé sur un détail, voir André Gunthert, « Ein kleiner Strohhalm oder Die Geburt des Photographischen », in Oliver Fahle (dir.), Störzeichen. Das Bild angesichts des Realen, Weimar, Verlag und Datenbank für Geisteswissenschaften, 2003, pp. 15-22. Steffen Siegel, « Ich sehe was, was du nicht siehst. Zur Auflösung des Bildes », Zeitschrift für Ästhetik und Allgemeine Kunstwissenschaft, no 58, 2013, pp. 177-202. Id., « Fotografische Detailbetrachtung. Analog/digital », in Id., Belichtungen. Zur fotografischen Gegenwart, Munich, Fink, 2014, pp. 23-37.
43 Voir supra note 40, p. 85 (pour le texte original allemand : « welche Kleinheit!! ») et p. 10 (traduction française).
44 Voir supra par exemple Jules Janin, « Le Daguérotype [sic]. Nouvelle expérience », L’Artiste. Journal de la littérature et des beaux-arts, 2e série, vol. 4, no 1, 1er sept. 1839, pp. 1-3. Alfred Donné, « Académie des sciences », Journal des débats politiques et littéraires, 11 sept. 1839, pp. 1-3.
45 Anonyme, « Daguerre’s Lichtbilder », Allgemeine Zeitung (Augsbourg), 23 oct. 1839, supplément, p. 2311 ; repris in S. Siegel, Neues Licht…, op. cit., pp. 356-357.
46 Bernd Stiegler, « Das Sichtbare und das Unsichtbare. Kleine Wahrnehmungsgeschichte der Photographie », in Sabine Haupt et Ulrich Stadler (dir.), Das Unsichtbare sehen. Bildzauber, optische Medien und Literatur, Vienne/ New York, Voldemeer, 2006, pp. 141-159.
47 Sur l’histoire des premiers commentaires, voir surtout Mary Warner Marien, Photography and Its Critics. A Cultural History, 1839-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 1997. Paul-Louis Roubert, L’Image sans qualités. Les beaux-arts et la critique à l’épreuve de la photographie 1839-1859, Paris, Monum, 2006. Bernd Stiegler, Theoriegeschichte der Photographie, Munich, Fink, 2006.
Haut de pageTable des illustrations
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Titre | 1. Prosper Lafaye, Conférence dans le salon de M. Irisson sur la découverte de la photographie en 1839, 1844 |
Légende | Huile sur toile, 71 x 98 cm. Paris, musée Carnavalet. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/573/img-1.jpg |
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Titre | 2. Prosper Lafaye, Conférence dans le salon de M. Irisson sur la découverte de la photographie en 1839, vers 1878 |
Légende | Aquarelle d’après le tableau de 1844, avec le rajout d’une légende. Bièvres, Musée français de la photographie. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/573/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 710k |
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Titre | 3. Louis Jacques Mandé Daguerre, Historique et description des procédés du Daguerréotype et du Diorama, Paris, Alphonse Giroux et Cie, 1839 |
Légende | Page de titre de l’édition originale. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/573/img-3.jpg |
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Titre | 4. Anonyme, Arago annonce la découverte de Daguerre dans la séance publique de l’Académie des sciences du 19 août 1839 |
Légende | Gravure d’illustration, in Louis Figuier, Les Merveilles de la science, vol. 3, Paris, Furne, Jouvet et Cie, 1869, p. 41. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/573/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 935k |
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Titre | 5. Anonyme, « Daguerréotipe. Expérience publique faite par Mr Daguerre », circa 1840 |
Légende | Lithographie, 14,9 x 10,8 cm. Rochester, George Eastman Museum. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/573/img-5.jpg |
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Titre | 6. Louis Jacques Mandé Daguerre, Le Triptyque munichois, trois daguerréotypes sous cadre d’apparat, envoyé en hommage au roi Louis Ier de Bavière par leur auteur pendant l’été 1839 |
Légende | L’illustration reproduit l’état d’après 1970, 13 x 16,4 cm (dimensions de chacune des images). Munich, Bayerisches Nationalmuseum. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/573/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 412k |
Pour citer cet article
Référence papier
Steffen Siegel, « Ce qui se donne à voir. Sur le futur antérieur du photographique », Transbordeur, 2 | 2018, 16-27.
Référence électronique
Steffen Siegel, « Ce qui se donne à voir. Sur le futur antérieur du photographique », Transbordeur [En ligne], 2 | 2018, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/573 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12gwl
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