Frank Bunker Gilbreth. La normalisation comme art de vivre
Résumés
Frank Bunker Gilbreth est le Taylor de la photographie. Ses expérimentations visuelles menées dans le domaine des études de la fatigue et du mouvement sont des exemples notables d’une vision du monde aussi innovante que réductrice, qui se décompose en une rationalisation extrême de tous les processus de la vie. Ses travaux sont un programme pour la mise en œuvre du taylorisme des années 1910 et 1920. Les études pratiques et théoriques de Gilbreth sont en effet une tentative pour concevoir un art de vivre propre à l’ère de l’industrialisation, fondé sur une division des gestes, et qui, tout en ayant recours à un faible nombre d’unités, se prétend d’une grande richesse interprétative. Gilbreth se voit en constructeur d’un homme nouveau dans une société nouvelle et ce par la simple recherche de ce qu’il appelle « The One Best Way » : la conception la plus économique possible de toutes sortes de processus de travail. Selon ses projections, le monde pourrait être transformé par la seule rationalisation du quotidien. Cet article reconstitue ses théories et ses pratiques photographiques.
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Mots-clés :
taylorisme, photographie instantanée, rationalisation, étude du mouvement, psychophysique, gouvernementalitéKeywords:
taylorism, snapshot photography, rationalisation, study of movement, psychophysical, governmentalityPlan
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Traduction de l’allemand par Jean Torrent
Texte intégral
- 1 Petite annonce publiée par Gilbreth dans The Efficiency Magazine, édité par Herbert N. Casson, avri (...)
« To Nature, Inefficiency is the Crime of Crimes punishable with Death1. »
Frank Bunker Gilbreth
- 2 Frank Bunker Gilbreth, The Primer of Scientific Management, Philadelphie/Easton, Hive Publishing Co (...)
- 3 Voir notamment à ce propos Richard Lindstrom, « ‘They all believe they are undiscovered Mary Pickfo (...)
- 4 Sur Gilbreth en général, voir le récent ouvrage très documenté de Florian Hoof, Engel der Effizienz (...)
- 5 Voir par exemple Philipp Sarasin, Jakob Tanner, Physiologie und industrielle Gesellschaft. Studien (...)
1C’est le but du management scientifique d’inciter les hommes à agir, de la façon la plus ressemblante qui se puisse, comme des machines2 », écrit Frank Bunker Gilbreth dans Primer of Scientific Management, nous livrant ainsi une formule programmatique de ses convictions théoriques profondes. Ses expérimentations photographiques et filmiques dans le domaine de l’étude du mouvement et de la fatigue sont des exemples éclatants d’une vision novatrice et réductionniste du monde, qui prend ici la forme abâtardie d’un assujettissement radical de tous les processus de la vie à l’économie. Ses travaux sont caractéristiques de la mise en application du taylorisme dans les années 1910 et 19203. Les études théoriques et pratiques de Gilbreth entendent élaborer un art de vivre soucieux d’économiser le travail à l’ère de l’industrialisation, un modèle qui, se contentant d’un petit nombre d’éléments, se prétend néanmoins capable de délivrer des significations d’ordre général. Gilbreth se voit comme l’édificateur d’un nouvel homme et d’une nouvelle société, et ce uniquement à travers la quête de ce qu’il appelle « The One Best Way » : la configuration la plus économe possible des processus de travail de tout genre. Sa vision, c’est que le monde deviendrait autre par la simple gestion économique du quotidien. Tel est son « Saint Graal » : cette « Seule Meilleure Voie » possible qu’il écrit avec des majuscules4. Et c’est la photographie qui indique ce chemin. L’analyse de ses modes d’application et de ses spécificités épistémologiques complète les études sur la physiologie et sur la science du travail qui ont été entreprises en particulier en historiographie5. Tandis que celles-ci ouvrent un contexte historique relativement large dans lequel Gilbreth trouve lui aussi à s’inscrire, nous pénétrons avec lui au cœur du taylorisme et, par conséquent, de la technique comme figure dominante de l’ère proclamée nouvelle.
Un édifice théorique sans histoire
- 6 Scientific American Supplement, no 579, 5 février 1887, p. 9245 sq.
- 7 Scientific American Supplement, no 580, 12 février 1887, p. 9258‑9260.
- 8 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Fatigue Study. The Elimination of Humanity’s Greate (...)
- 9 Tapuscrit portant l’indication et la date « MG 1/7/15 » (N-File 48‑0270‑3).
- 10 N-File, Box 90‑808‑13.
2La pensée propre de Gilbreth s’expose dans ses publications pratiquement sans aucune référence extérieure, comme si tout ce qu’il développait était une nouveauté conceptuelle. Chez lui, tout est neuf et inédit, et l’histoire apparaît comme une entité qui transmet des problèmes à résoudre. Dans les documents qu’il a laissés après sa mort, les références à la tradition de la photographie analytique du mouvement, à laquelle il doit assurément beaucoup (fig. 1), sont rares et l’on dirait parfois qu’elles tentent de voiler, plus que de faire ressortir, cette proximité à la fois théorique et pratique. On trouve ainsi dans sa succession, marqués du cachet de leur réception à la date du 27 juin 1913 et pourtant annotés de sa main, un article du Scientific American Supplement sur Marey6 et un texte de ce dernier, traduit en anglais et publié dans le même périodique sous le titre « Photography of Moving Objects and Animal Movement Studied by Chronophotography7 ». Le nom de Marey apparaît aussi, mais sans traitement de faveur et simplement mentionné en passant, dans son livre Fatigue Study8, dans le tapuscrit Time Study9 ou dans les notes de son journal, où Gilbreth raconte avoir visité l’Institut de Marey à l’occasion d’un voyage en Europe10. Voici ce qu’il écrit, à la date du 6 février 1914, dans un passage intitulé « Time Study – Morey [sic] Institute » :
- 11 N-File 808-BNHC (Box 90).
Je partis ensuite à la recherche de l’Institut Morey […]. Je finis par le trouver et passai la journée avec Lucius Bull, le sous-directeur de l’Institut. Il m’a montré beaucoup de merveilleux appareils, mais je n’ai trouvé aucun élément laissant supposer qu’il ait employé une lampe flash pour transformer ses points en photographie. Il m’a montré en revanche une quantité fantastique d’instruments destinés à divers usages, parmi lesquels un appareil cinématographique [motion picture camera] stéréoscopique. Je n’ai trouvé aucun indice qu’il ait jamais spécifié des « directions » des mouvements photographiés. Mais il m’a montré de merveilleuses photographies de coureurs, de sauteurs, de lanceurs de poids « au ralenti », tout comme nous avons accéléré les ouvriers de New England Butt Co. en prenant quatre images par seconde et en les déroulant ensuite à la vitesse de seize images par seconde11.
1. Frank Bunker Gilbreth, vues d’un visage, s. d. n. l.

Feuille de papier avec tirages argentiques contact. Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959.
3Absence complète, ici comme ailleurs, de toute référence qui eût été naturelle aux stratégies développées à une date nettement antérieure par Marey, qui travaille avec des courbes lumineuses et habille ses modèles en noir pour que les points réflecteurs collés à différents endroits de leur corps laissent ensuite leur trace sur la plaque photosensible, alors qu’elles ressemblent beaucoup aux « cyclographies » de Gilbreth et qu’elles les ont probablement inspirées. Mais il semble clairement que ce dernier ait élaboré ses procédés dans une large indépendance par rapport à la tradition française.
- 12 N-File 41‑0265‑1.
4Ce qui vaut pour Marey est également vrai pour Muybridge, le compatriote américain de Gilbreth : Gilbreth a certes gardé un article du San Francisco Chronicle sur Leland Stanford, homme politique, gouverneur de Californie et passionné de chevaux de course qui finança les travaux de Muybridge12, mais il le passe totalement sous silence dans ses publications.
- 13 Dans l’édition allemande de Primer of Scientific Management (Berlin, Springer, 1917, suivie de plus (...)
- 14 Référence est faite à l’article « Zur Psychophysik der industriellen Arbeit » de Max Weber (paru en (...)
- 15 Sur Amar, voir Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, Lo (...)
5Au total, Gilbreth fait paraître ses livres pratiquement sans note ni bibliographie et il y met en scène sa quête de « La Seule Meilleure Voie » possible comme l’exploration d’un nouveau monde, la prouesse d’un pionnier, la cartographie d’une terra incognita en plein quotidien13. Aux côtés de Taylor et d’autres représentants presque exclusivement américains du management scientifique industriel, il n’y a qu’une poignée de théoriciens et de textes qui y sont mentionnés. Or, il s’agit la plupart du temps de personnalités éminentes et emblématiques : outre Max Weber, citons Hugo Münsterberg, Wilhelm Ebbinghaus, William James et Emil Kraepelin14. La physiologie et la psychologie étaient de toute évidence beaucoup plus intéressantes pour Gilbreth que la tradition photographique et c’est à elles qu’il entendait se rattacher. En outre, l’Américain se sentait visiblement très proche des travaux de Jules Amard, qui menait en France des expériences similaires ; il lui envoyait des tirés à part de ses articles et correspondait avec lui15.
Le travail, le temps, la vie : la trinité profane
- 16 Frank Bunker Gilbreth, Concrete System, Londres/Easton, Hive Publ., 1908, p. 6.
- 17 Ibid., Règle 162, p. 38.
- 18 Voir aussi à ce sujet Walter Camp, « Photographic Analysis of Golf », Vanity Fair, août 1916, p. 62 (...)
6Tout a commencé par le bâtiment. Les premiers livres de Gilbreth sont consacrés aux travaux de maçonnerie et à la construction. Son ouvrage Concrete System, qui parut dès 1906, se compose, en plus des photographies qui en illustrent le propos, des 490 règles du saint ouvrier prénommé Frank. Si on les observe, le travail s’améliore, la vie devient plus heureuse et la société progresse. Ces règles, comme Frank Bunker Gilbreth le fait comprendre avec une clarté qui ne laisse aucune place au malentendu, il ne s’agit nullement de les interpréter, il faut les « appliquer à la lettre16 ». Le diable, le mal qu’il ne cessera de combattre jusqu’à son dernier souffle, se trouve déjà identifié dans cette première œuvre : le gaspillage, plus exactement le gaspillage du temps. C’est lui qu’il importe, ainsi que l’auteur le répète en termes martiaux, d’« éradiquer ». Il est la plaie de la société moderne. « Nous n’avons pas l’intention de garantir la vitesse en construisant à la hâte, mais en éliminant les retards non nécessaires17 », lit-on dans Concrete System. La perte de temps est non seulement un mal qui mérite la critique, c’est une infraction aux lois de la vie. Le travail, le temps, la vie : telle est la trinité de la théorie de Gilbreth. Il faut organiser le travail de manière à ce qu’aucune minute ne soit perdue et qu’il reste plus de temps pour la vie. Celle-ci sera elle-même organisée selon une économie du travail qui doit permette à son tour de dégager du temps libre, que l’on pourra de nouveau employer de façon productive. À l’aide de la photographie, Gilbreth analyse les processus de travail et de mouvement afin de les économiser et de les optimiser. Ce faisant, c’est la vie moderne dans son entier qu’il vise. L’envergure des ses études du mouvement se révèle déjà dans le choix de ses sujets d’expérimentation. Outre sa propre famille (qu’il observe dans les activités les plus diverses, de la vaisselle jusqu’à la cueillette des myrtilles) et de nombreux sites de fabrication industriels ou artisanaux, il a notamment étudié des escrimeurs, des joueurs de golf, des dentistes, des chirurgiens, des joueurs de baseball, des femmes pianistes et des dactylos. On a conservé d’amples séries de photographies ou parfois même de films de toutes ces catégories professionnelles18 (fig. 2).
2. Frank Bunker Gilbreth, étude d’un micromouvement, s. d. n. l.

Feuille de papier avec tirages argentiques contact. Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959.
7Gilbreth cherchait d’un côté à optimiser les mouvements répétitifs exécutés afin de pouvoir, de l’autre, les analyser. Ils seront alors décomposés en leurs unités de base, les « therbligs », ainsi nommés par inversion et transposition des lettres de son patronyme, autrement dit en leurs constituants élémentaires, ce qui doit permettre l’identification des ressemblances (fig. 3). Gilbreth a constaté par exemple – ce qu’on peut également faire de façon purement intuitive – une parenté entre la pratique du piano et la dactylographie. Si l’on optimise l’une de ces deux activités, les règles que l’on peut en tirer seront également valables pour l’autre, même si leurs profils d’exigence diffèrent. Ce qui apparaît à première vue comme une simple application pratique des théorèmes tayloristes se révèle comme la tentative d’un art de vivre à l’ère industrielle. L’optimisation ne vise pas uniquement à la maximisation des profits, mais au bonheur. Si l’on optimise le quotidien sous tous ses aspects, il reste au bout du compte plus de temps, et donc plus de bonheur.
3. Frank Bunker Gilbreth, symboles correspondant aux 16 sous-divisions d’un cycle de mouvement, s. d. n. l.

Tirages argentiques de négatifs stéréoscopiques collés sur carton avec légendes manuscrites. Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959. Les photographies ont servi de modèle pour la création des symboles.
Attitudes, habitudes et modèles
- 19 Texte de 1923, conservé dans la succession Frank Bunker Gilbreth sous l’abréviation DW.7/17/23, pub (...)
8Parmi les éléments de la stratégie élaborée par Gilbreth pour atteindre au bonheur, on observe une forme particulière de division du travail. Selon lui, l’être humain doit être analysé comme une machine ; c’est quand il travaille avec la régularité d’une machine qu’il fonctionne le mieux. Il est en outre partie prenante d’une vie sociale, qui peut également être réglée comme une grande machine. En l’occurrence, il est capital que les activités optimisées se déroulent, dans le meilleur des cas, de façon toujours identique, sans le moindre changement selon qu’elles sont exécutées par telle ou telle autre personne, c’est-à-dire sans influence ni contrôle exercés par la pensée. Il s’agit de développer des automatismes qui puissent s’accomplir sans qu’aucune sorte de perturbation intellectuelle ne vienne jamais les interrompre. Dans son étude sur la photographie des processus mentaux19, Gilbreth s’emploie précisément à détecter ce genre de dérèglement que fait subir la pensée. Suivant ce modèle, la division du travail n’est pas seulement le principe de toute forme de production industrielle, elle commence déjà chez l’ouvrier (fig. 4). Lui aussi est soumis, dans son économie personnelle psychophysique, à la division du travail. La division du travail est une loi universelle.
4. « Fig. 22 : Chronocyclographie d’une étude sur le mouvement et la fatigue d’un maçon en train de déplacer trois briques selon la vieille méthode », « Fig. 23 : Cyclographie d’une étude sur le mouvement et la fatigue d’une perceuse à colonne, détail des traces produites par le mouvement de la main » et « Fig. 24 : Chronocyclographie du procédé de composition typographique à la main »

Tiré de Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Fatigue Study. The Elimination of Humanity’s Greatest Unnecessary Waste. A First Step in Motion Study, Londres, George Routledge and Sons, 1919, n. p.
9Mais les machines présentent tout autant d’inertie que les hommes. Une fois qu’elles sont installées et réglées d’une certaine façon, elles exécutent avec monotonie les mouvements programmés. Or, l’homme est également conditionné pas ses habitudes, par son habitus, observe Gilbreth. C’est la loi d’inertie de l’action, dont il faut toujours tenir compte. Les habitudes ne sont pas seulement conservatrices, elles sont aussi d’une prodigieuse ténacité et peuvent imprimer leur marque dans la durée. Elles opposent leur résistance à toute forme d’amélioration des processus de mouvement et de travail, si raisonnable – et donc parfaitement comprise par chacun – qu’elle puisse être, et cela tout à fait inconsciemment, sans que la raison n’intervienne dans les enchaînements automatisés. L’habitus est un réflexe automatique culturel qui a été programmé et qui doit d’abord passer par un processus de reconditionnement si l’on veut pouvoir en modifier les réglages. L’homme-machine doit être reprogrammé, il doit développer de nouveaux automatismes. L’objectif est donc de modifier l’attitude, l’habitus – le terme d’attitude étant ici à entendre dans sa double signification : on doit souvent commencer par améliorer la position de travail, qui est une affaire éminemment physique ou corporelle, pour avoir également accès ensuite à la disposition psychique. Gilbreth constate qu’il existe une interaction complexe entre données physiques et processus psychiques, entre processus physiques et données psychiques. Beaucoup de ses domaines d’investigation ont donc ce double foyer physique et psychique : fatigue, travail, observation, opérations, processus, etc. Pour les analyser, Gilbreth emploie toute une série d’appareils, de modèles et de dispositifs très différents, que nous exposerons plus en détail.
10D’un côté, il faut tout d’abord analyser le travail dans la configuration des mouvements qu’il nécessite. À cette fin, Gilbreth met en jeu un véritable arsenal de médiums divers et variés : en plus des appareils photo et des caméras de différentes sortes, il convient de mentionner les carnets de croquis dans lesquels il ne cesse de noter ses pensées et ses observations, les organigrammes et les cartes de mouvement simultané, les « cyclographies », les photographies stéréoscopiques et les films, ainsi que les modèles en fil de fer.
11De l’autre, les résultats de ces observations et de ces analyses doivent être rendus concrets, il faut qu’on puisse en transmettre les enseignements. Y contribueront par exemple un « musée de la fatigue », des planches pédagogiques, des brochures et des projecteurs, mais aussi des photographies, sous diverses formes. Il s’agit d’obtenir les progrès attendus dans les processus de travail, de franchir les paliers évolutifs calculés de la production, qui seront mis ensuite à la disposition des nouvelles générations. Gilbreth se représente cet emboîtage de l’analyse et de l’enseignement comme le cycle impossible à clore du perfectionnement. Tel est le nouvel ordre temporel du monde.
Le nouvel ordre cyclique du monde
- 20 Voir Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Applied Motion Study, New York, Macmillan, 191 (...)
12Dans la perspective de ce monde en quête de « La Seule Meilleure Voie » possible qu’il faut s’efforcer d’organiser, on en arrive à une nouvelle définition des axes du temps : le passé est simplement ce qui a été fait dans un esprit de rationalisation, le présent ce qui est fait actuellement, et le futur pour finir ce qui doit encore être fait. C’est ce régime temporel qui s’applique désormais aussi à l’organisation du travail. Gilbreth le nomme le Three Position Plan20. Le temps et la hiérarchie ne sont pas seulement des ordres correspondants, ils définissent des rôles et un horizon d’attente à désigner avec précision. Gilbreth donne de cette diachronie fonctionnelle l’aperçu général suivant :
Poste qu’il a occupé jusqu’ici |
Passé |
Maître |
Poste qu’il occupe actuellement |
Présent |
Maître et apprenti |
Poste qu’il occupera |
Futur |
Élève |
- 21 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, op. cit., p. 25.
- 22 Ibid., p. 33.
- 23 Dans la succession Gilbreth se trouvent diverses études, dont certaines en couleurs. Voir par exemp (...)
13S’esquissent ici des processus d’apprentissage dont l’issue est ouverte et qui figurent un cycle du perfectionnement. Le monde de Gilbreth n’est pas plat, mais circulaire. Quels que soient les modèles qu’il imagine, ils finissent tous par adopter tôt ou tard la forme d’un cercle. Les maîtres redeviennent des élèves, pour redevenir ensuite des maîtres. Des observateurs neutres analysent les processus de travail, présentent ensuite aux ouvriers les prises de vues qui les montrent en train d’effectuer leur tâche, non seulement pour que les ouvriers en améliorent en retour la réalisation, mais pour qu’ils suggèrent eux-mêmes d’autres changements. Un second cycle se crée par ailleurs entre les économies obtenues grâce aux solutions inventées, qui conduisent quasi naturellement et automatiquement, comme Gilbreth le souligne, à de nouvelles économies, qui se rattachent chacune à des résultats : « L’étude du mouvement produit automatiquement de l’invention21 », en s’accompagnant d’une « suggestion d’invention automatique22 ». Et de même, les therbligs qu’il a découverts trouvent leur application dans une Wheel of Motion, une « roue du mouvement » qui dessine une forme circulaire23.
- 24 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, op. cit., p. 4.
14Son diagnostic de l’ère analytique se traduit par une oscillation diachronique entre analyse et synthèse. Alors qu’autrefois, explique Gilbreth, l’ordre du monde était déterminé par l’idée d’un tout, ce sont à présent les parties qui s’y sont substituées et qui ont remplacé les groupes d’éléments par les éléments séparés : au centre de l’attention, il n’y a plus des actions, mais des cycles ou plus exactement des mouvements assemblés et leurs éléments. L’analyse a pour tâche de détecter les fundamental motions, les « mouvements fondamentaux24 ». Et tandis que l’on étudiait autrefois les différences entre les processus de travail, on s’intéresse à présent à leurs ressemblances, qui apparaissent lorsqu’on a atteint le niveau des unités de mouvement, à savoir les therbligs. Et ce sont en même temps les éléments dont le nouveau monde sera fait.
- 25 Colin Ross, « Das Wesen der wissenschaftlichen Betriebsführung », dans Frank Bunker Gilbreth, Das A (...)
15Très concrètement, cela veut par exemple dire que dans une entreprise, Frank Bunker Gilbreth et ses assistants analysent pour commencer les processus de travail en général (leurs déroulements, les places de travail et leur relation les unes aux autres, les voies de transport, mais aussi la gestion du temps libre) et portent ensuite leur attention sur les mouvements en particulier. Ceux-ci sont décomposés en leurs divers éléments, en même temps qu’on examine si le mouvement est effectué sans aucune hésitation et s’il se répète de façon précise, sans la moindre variation. Le cas échéant, on repère les parties superflues du processus de mouvement et l’on invite l’ouvrier à les abandonner. L’analyse se fait par le biais de l’image : des photographies traditionnelles pour commencer, puis des photographies stéréoscopiques et des images à expositions multiples, et pour finir des films. Et encore une fois, l’analyse aboutit à une synthèse cyclique, puisque les images d’un ouvrier lui sont montrées pour qu’il comprenne en voyant et qu’il puisse aussi faire des propositions d’amélioration, lesquelles seront ensuite mises en œuvre, à leur tour photographiées ou filmées, puis adoptées par les ouvriers et de nouveau améliorées. Telle est la boucle rétroactive qui est censée faire avancer le monde : « L’idée de la perfection n’est pas contenue, en soi et pour soi, dans le concept de normalisation25. » Il y a toujours une possibilité d’amélioration. « La Seule Meilleure Voie » est et reste une voie.
- 26 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, op. cit., p. 6.
- 27 Une autre caméra portait le nom de « Veraskop ». On trouve dans la succession un texte qui en vante (...)
16Les schémas stimulus-réponse de Gilbreth visent à une nouvelle perception des gestes quotidiens, que l’on doit voir d’un autre œil : la présentation des résultats de l’analyse sous la forme de photographies et de films inclut structurellement un changement de la perspective de l’observateur : ces images sont montrées aux ouvriers « pour qu’ils puissent se voir eux-mêmes comme d’autres les voient » et se former « un nouveau point de vue26 », qui doit tendre surtout à l’auto-observation. Gilbreth se servait d’une caméra qui permettait de faire des films jusqu’à une vitesse de 48 images par seconde. Lors de la projection, on les accélérait ou on les ralentissait selon les besoins. L’appareil utilisé avait déjà sa fonction inscrite dans son nom : sur la première page d’un prospectus de la caméra « Educator » conservé dans sa succession, Gilbreth écrit : « C’est celle que nous avions27. » Et c’est ce que l’ouvrier lui-même doit finalement devenir : il doit s’instruire et instruire les autres, dans l’esprit de la recherche de « La Seule Meilleure Voie » possible.
- 28 La présentation dans des salles obscures possède en outre l’avantage, estime Gilbreth, de permettre (...)
17En projetant les images, on cherchait à faire réagir les ouvriers, au double sens du mot : il s’agit d’une part de réactions entendues comme transposition active et amélioration de leur propre travail, mais aussi, de l’autre, de commentaires et de critique du procédé, afin d’améliorer ensuite, idéalement, le processus de travail en général28. Cette participation active a de surcroît un effet secondaire : les ouvriers se mettent dès lors à considérer le travail comme une forme d’engagement volontaire. Le travail que chacun exécute doit aussi être, tout compte fait, un travail sur soi. Tel est le trait final directeur en même temps que la conviction foncière du programme de Gilbreth : le travail inclut toujours un rapport à soi. Et tout commence par les modes d’instruction. Le travail obéit aux prescriptions techniques. Il est le software, qui repose sur le hardware du poste de travail. Les aménagements techniques (notamment les chaises) obligent l’ouvrier à adopter telle ou telle posture, bonne ou mauvaise selon les cas. En conséquence de quoi, Gilbreth porte une attention particulière à optimiser la disposition et l’orientation des machines, des appareils, des sièges, des bureaux, des accessoires, etc. Ceux-ci sont normés et fabriqués pour servir de modèles. Gilbreth ne se lasse pas d’ébaucher encore et sans fin de nouveaux modèles de ces formes d’instruction.
Le travail se fait lumière : les appareils
- 29 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, op. cit., p. 4.
18Si l’on veut explorer la magie des mouvements, il faut des appareils, ni le chronomètre emblématique de Taylor ni les capacités humaines d’observation n’étant susceptibles, à eux seuls, de rendre compte de la complexité de ce phénomène. Tout commence par l’observation, et la photographie est justement le moyen idéal de la traduire de façon scientifique et précise. Les photographies permettent de passer du statut d’« expert efficace » à celui de « magicien »29. De magie, il est manifestement beaucoup question dans les textes de Gilbreth et de fait, le royaume du mouvement est un pays enchanté : il montre ce qui donne au monde sa consistance la plus essentielle et ce qui simultanément le meut. C’est la salle des machines du monde. Quand on y pénètre, on est non seulement saisi par le sortilège mécanique du monde, la possibilité s’offre en outre de devenir soi-même magicien. La photographie et le film sont des médiums de documentation, en même temps qu’ils œuvrent à l’instruction et à la transformation. Ils enregistrent quelque chose, pour le modifier aussitôt en le documentant.
19Dans ses premiers livres, Gilbreth se servait de la photographie à seule fin de réaliser des images des entreprises et de documenter des processus de travail. Son amélioration des activités de l’ouvrier du bâtiment est par exemple documentée avec précision à travers une série de photographies isolées. Dans une deuxième étape, Gilbreth recourt au cinématographe pour faire voir des processus et alimenter en parallèle la boucle de rétroaction qui vise à obtenir, par la projection des images filmées, de nouvelles améliorations des processus. S’il fait encore au début un usage très simple des techniques filmiques, Gilbreth va développer ensuite des stratégies pour transformer les images animées en images analytiques du mouvement. Défenseur de la rationalisation, il entendait économiser non seulement du temps, mais aussi de l’argent, en n’exposant qu’un quart de sa pellicule dont il recouvrait le reste par un système de caches. Ainsi pouvait-il s’en servir quatre fois et l’utiliser à différentes fins. Une telle économie était encore loin de signifier cependant un quelconque progrès analytique.
20Bien plus novatrices et originales furent en revanche ses inventions tactiques permettant non seulement de corréler l’espace, le temps et le mouvement dans les images, mais de les rendre objectivement mesurables. Il introduisit tout d’abord des microchronomètres, comme on les nomma, c’est-à-dire des montres grâce auxquelles on pouvait mesurer le temps au quatre-vingt-millième de seconde près et qu’il était possible de déchiffrer sur les prises de vues. Il travailla en outre avec divers procédés de double exposition : l’espace et le travail faisaient simultanément l’objet d’une double exposition. Gilbreth se servait d’un quadrillage serré qui décomposait l’espace de la prise de vue en petits carrés plans (fig. 5). Il laissait la pellicule se dérouler une première fois, avant de filmer ensuite le processus de travail à étudier, dont on pouvait assigner alors les différentes phases à certaines positions précises de l’espace-temps. Mais ce n’était pas encore assez. Grâce aux « cyclographies », les informations visuelles superflues étaient simplement rendues invisibles et le mouvement réduit à la seule lumière : Gilbreth fixait de petites ampoules sur les sujets de son expérience, aux extrémités qui gouvernent le mouvement, ce qui avait pour résultat de produire une trace lumineuse à l’image. Cette trace devint à son tour l’objet d’un traitement plus poussé. Au commencement, c’était encore une ligne brisée. Gilbreth eut ensuite l’idée de se servir de la lumière pour mesurer le temps, en remplaçant l’éclairage continu par un signal qui clignotait à intervalles réguliers. Il alla pour finir jusqu’à utiliser la lumière comme indicateur de la direction du mouvement (fig. 6).
5. Frank Bunker Gilbreth, brevet : « Méthode et dispositif pour l’étude et la correction des mouvements », mai 1913

Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959.
6. Frank Bunker Gilbreth, étude du mouvement d’un escrimeur, s. d. n. l.

Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959.
- 30 Ibid., p. 30.
21Gilbreth eut en outre recours à une autre stratégie de double exposition, l’emploi de photographies stéréoscopiques, qui permettaient une perception en trois dimensions (fig. 7). Le même processus de travail est photographié plusieurs fois sur une même plaque, sans rien changer aux réglages de base. Il s’agit d’une « visualisation de la trajectoire complète du mouvement30 ». Un geste de travail optimal, automatisé et exécuté sans la moindre hésitation et sans aucune interruption doit produire, estimait Gilbreth, une ligne continue et unique, une coïncidence parfaite s’observant entre les trajectoires de chaque prise, tandis que toute hésitation ou que la plus infime déviation par rapport à cette ligne idéale deviendraient immédiatement visibles, puisque plusieurs traces lumineuses différentes se dessineraient sur la plaque.
7. Frank Bunker Gilbreth, étude des mouvements d’une opération chirurgicale (suture de la plaie), Berlin, 11 novembre 1914

Tirages argentiques de négatifs stéréoscopiques collés sur carton. Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959.
- 31 Tapuscrit « Prominent member of a management society visits us » [N-File 3, 0029-NAFDG].
- 32 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, op. cit., p. 12.
22Les images stéréoscopiques avaient en outre pour Gilbreth l’avantage de présenter un plus grand « réalisme » et d’exercer un effet performatif plus vif sur l’ouvrier. « La photographie stéréoscopique ressort dans la troisième dimension. Elle a l’air réelle. Elle donne l’impression qu’on est vraiment en train de revoir le réel, et non d’en regarder la photographie. Il n’y a aucun autre moyen qui permette de convaincre l’ouvrier de quelque chose plus facilement et plus rapidement qu’en ‹ le lui faisant vraiment voir › à l’image31. » Car si l’on prend les ouvriers en photo, c’est en définitive pour les prendre au jeu. En se voyant, ils doivent se reconnaître et en même temps se corriger dans ce qu’ils font. Aussi est-il parfaitement logique que dans ce cabinet de curiosités technologiques du mouvement, on passe ensuite à un appareil avec lequel l’ouvrier puisse se photographier lui-même. « Autostéréochronocyclographe », tel est le nom du merveilleux appareil qui permet cette prouesse. Pour l’expliquer, on aura recours au grec : « Auto – automatique ; stéréo – stéréoscopique, c’est-à-dire restituant les trois dimensions ; chrono – le mot grec chronos, l’élément temps ; cycle – le mouvement complet ; et graphe – la courbe32. » Voilà donc les éléments dont le monde de Gilbreth est composé : des automatismes, un espace physique et des corps qui l’habitent, des ordres cycliques, des mouvements et des graphes.
L’habitus dans l’habitat : les automatismes
- 33 Ibid., p. 150.
23Gilbreth constate l’importance de la « relation étroite entre habitudes efficaces et automaticité », d’où il conclut : « C’est l’automaticité qui permet une production élevée en évitant la monotonie d’une attention extrême portée à des décisions répétitives sans importance33. » Dans le sillage de ses études sur la fatigue, Gilbreth avait déjà observé que les actions automatiques sont moins pesantes que celles qui sont contrôlées par la conscience. Dans les automatismes, l’homme se transforme en automate, il peut obtenir comme celui-ci les mêmes performances de travail sur une longue période et sans se fatiguer. L’automatisme, c’est être déchargé de sa charge, c’est accomplir machinalement certains mouvements corporels comme une psychotechnique stratégique. La vieille question philosophique de la dualité de l’âme et du corps est désormais abordée par le biais de l’économie du travail et fêtée comme une découverte. L’automatisme est la forme d’émancipation de l’être humain à l’ère de la reproductibilité industrielle. Mais en même temps, il faut pour commencer que les gestes du travail se transforment en automatismes. Toute résistance du corps suscitée par la gouverne de la pensée doit être abolie pour que naisse une ligne de mouvement ininterrompue, correspondant à certaines manifestations vitales comme le pouls ou la respiration, qui se laissent en effet représenter par des courbes régulières. Ce qui intéresse Gilbreth, ce sont les procédés de conditionnement actif susceptibles de programmer les processus de travail comme des réflexes commandés.
Écriture automatique
24Juste avant que les surréalistes ne la découvrent et n’en fassent une méthode, Gilbreth a mené lui aussi des expériences avec certaines formes d’« écriture automatique ». L’écriture est un objet qui revêt chez lui une importance particulière, puisqu’elle incorpore plusieurs aspects de sa théorie et de sa pratique. Nombreuses sont les liasses de ses photographies (qui sont, au sens littéral, des écritures de la lumière) qu’il a fait précéder par des images où son nom est écrit au moyen de la lumière. L’écriture est par ailleurs une forme spécifique d’habitude, dans la mesure où c’est à force d’entraînement et d’exercice que nous avons appris à écrire de telle ou telle façon. Ce constat vaut aussi bien pour les dactylos, à qui Gilbreth fait taper des textes absurdes, que pour la notation manuscrite (fig. 8).
8. « Fig. 4 et 5. Études de micromouvements d’une sténotypiste »

« La Fig. 5 montre le mouvement des doigts de la championne mondiale de dactylographie en train d’écrire à une cadence élevée. Les photographies ont été réalisées à une fréquence de 115 prises par seconde […] » et « Fig. 6. Trame translucide pouvant apparaître sur la surface de l’image dans le cliché précédent. Cette ‹ trame de mesure › permet une analyse particulièrement fine des mouvements ». Tiré de Frank Bunker Gilbreth et Lillian Moller Gilbreth, Angewandte Bewegungsstudien, Berlin, Verlag des Vereines deutscher Ingenieure, 1920, n. p.
- 34 « Investigations of Methods of Remington Typewriter Company’s Champion », N-File 64‑0417‑1, daté du (...)
- 35 MSP 8, Box, Series 4.
- 36 N-File 64‑0417‑1, p. 4.
- 37 Ibid., p. 9.
- 38 Ibid., p. 13.
- 39 Ibid., p. 16.
- 40 Ibid., p. 12 : « You will note that a habit saves you from making decisions about the same thing ov (...)
- 41 Ibid., p. 20. Voir aussi ibid., p. 23. Les règles sont les suivantes : « Acquire and Use Habits of (...)
25Trois sténotypistes, deux femmes et un homme, qui avaient déjà gagné des concours dans cette discipline, ont participé aux recherches que Gilbreth a conduites avec son épouse sur les méthodes employées par les « champions de la firme de machines à écrire Remington34 » : Miss Anna Gold (championne des États-Unis en 1916 à Chicago sur une machine à écrire Remington), Miss Hortense Stollnitz (« En 1917, Miss Stollnitz tapait dix-sept mots par minute de plus que ce qu’on disait avoir jamais été réussi jusque-là dans l’art de la dactylographie et gardait ce rythme pendant une heure35 ») et Mr. Waters. Ici encore, l’objectif est d’améliorer des performances qui sont de toute évidence déjà extraordinaires. « La machine humaine doit abattre plus de travail pour le même effort36. » En l’occurrence, on attend de la machine humaine assise à son clavier qu’elle obtienne de meilleures performances. L’infatigable Miss Gold (« Je ne suis jamais fatiguée37 ») est un modèle d’efficacité. On mesure la vitesse et la fréquence des fautes, mais aussi les mouvements exacts des doigts, des mains et du corps. La machine à écrire est en l’espèce, pars pro toto, la métonymie de toute forme de travail et de mouvement : « Je crois que ce qui fait un champion est commun à tous les domaines38 », constate Gilbreth. Car ce qu’il filme et photographie, ce n’est pas seulement l’activité d’écrire à la machine, mais une habitude, un habitus : « J’ai fait la première photographie au monde de l’habitude. On pense que l’habitude n’est pas perceptible par la photographie. Les lignes de l’habitude, quand rien n’interfère, seront très proches les unes des autres, si la dactylo est une experte. Si c’est une néophyte, il s’en faudra de beaucoup que les lignes ne coïncident39. » L’habitude est le résultat d’une pratique, de gestes et de mouvements mille fois répétés qui nous dispensent de la pénible tâche de devoir constamment prendre des décisions40. Il s’agit donc de tendre à l’automatisation, comme combinaison d’habitude et de pratique, et à une démystification extrêmement concrète de « cette étrange chose appelée habitude41 ».
- 42 N-File 54‑0299‑6. Il convient aussi de signaler, dans un autre texte de sa succession, N-File 30 : (...)
- 43 N-File 64‑0417‑1, p. 28.
- 44 Ibid., p. 29 : « to get the right habit first ».
- 45 Ibid., p. 36 sq. : « to see what we do ».
- 46 Ibid., p. 47.
26Dans la succession de Gilbreth ont également été conservées diverses expériences dans lesquelles il a tenté de modifier l’écriture manuscrite courante, en travaillant de façon ciblée contre les habitudes (fig. 9). Il les appelle des Handwriting Experiments42. L’objectif est de découvrir « ce qui se passe quand on fait une nouvelle combinaison de vieux mouvements ». À cette fin, son propre nom est un champ d’étude tout indiqué. Tout commence très simplement : on supprimera chaque deuxième lettre de son nom, propose Gilbreth, et l’on essaiera de l’écrire le plus vite possible. Frank Bunker Gilbreth devient ainsi Fak ukr ibeh. On peut déjà constater à ce premier stade qu’il se produit une « interférence de l’habitude43 » : si l’on a certes moins de lettres à écrire, cela prend pourtant plus de temps que pour écrire son nom sous sa forme habituelle. Un second enseignement se laisse en outre immédiatement tirer : comme il est difficile de modifier une habitude, ce qui importe, c’est de prendre la bonne dès le départ44. N’importe quelle habitude ancienne produira une interférence au moment où l’on veut en acquérir une autre. Le passé transformé en habitus marque de son empreinte tout nouvel apprentissage. D’autres expériences montrent par ailleurs que deux facteurs déterminants influent sur l’habitude : la visualisation et l’imitation. Si l’on tente de tracer sa signature à l’envers ou en miroir, la visualisation s’avère difficile et le mouvement prend donc incomparablement plus de temps. L’imitation réduit le temps qu’il faut pour réaliser un mouvement. Mais lorsque nous ne pouvons pas nous appuyer sur elle, nous visualisons, « pour voir ce que nous faisons45 ». L’imitation relève de l’instinct d’apprentissage et elle est par conséquent un moyen simple d’acquérir des facultés. Et « la visualisation est un excellent substitut de l’imitation. […] La visualisation nous aide à établir une nouvelle habitude et à éviter les interférences46. » Dans leur simplicité, ces expériences montrent la force de l’habitude et les limites de la visualisation, mais elles aboutissent tout compte fait à une nouvelle forme du nom : si l’on écrit Gilbreth à l’envers, on obtient Therblig – et ce sont là les formes élémentaires, supra-individuelles dont se compose le monde de Gilbreth.
9. « Fig. 20 : Cette image montre une lampe attachée à une main afin de réaliser des cyclographes ou chronocyclographes des mouvements dans le but de produire des mouvements impliquant moins de fatigue » et « Fig. 21 : Cette image montre une expérience que nous avons réalisée pour déterminer les lois impliquées dans le rapport entre fatigue et mouvement »

Tiré de Frank Bunker Gilbreth et Lillian Moller Gilbreth, Fatigue Study. The Elimination of Humanity’s Greatest Unnecessary Waste. A First Step in Motion Study, Londres, George Routledge and Sons, 1919, n. p.
Notes
1 Petite annonce publiée par Gilbreth dans The Efficiency Magazine, édité par Herbert N. Casson, avril 1916, p. 216. Ce document conservé sous la forme d’une coupure de presse fait partie de la succession de Frank Bunker Gilbreth. Le très riche fonds Frank Bunker Gilbreth et Lillian Moller Gilbreth est déposé à la Purdue University : Purdue University Libraries, Archives and Special Collections. On en trouvera en ligne un inventaire global : <collections.lib.purdue.edu>.
2 Frank Bunker Gilbreth, The Primer of Scientific Management, Philadelphie/Easton, Hive Publishing Co., 1973 [1912], p. 50. Une bonne vingtaine d’années plus tard, Lillian Moller Gilbreth affirmera au contraire : « Now Man, Not the Machine, Is the Center of Activity », Trained Men, vol. 15, no 2, 1935, p. 75‑77 et 92.
3 Voir notamment à ce propos Richard Lindstrom, « ‘They all believe they are undiscovered Mary Pickfords.’ Workers, Photography, and Scientific Management », Technology and Culture, vol. 41, no 4, 2000, p. 725‑751; Elspeth H. Brown, The Corporate Eye. Photography and the Rationalization of American Commercial Culture, 1884-1929, Baltimore/Londres, Johns Hopkins University Press, 2005, p. 65‑118; et Lars Nowak, « Produktive Bilder. Kinematographie und Photographie als Instrumente der Arbeitsrationalisierung im Zeitraum von 1890 bis 1960 », Relation. Medien, Gesellschaft, Geschichte, vol. 7, no 1‑2, 2000, p. 11‑40.
4 Sur Gilbreth en général, voir le récent ouvrage très documenté de Florian Hoof, Engel der Effizienz. Eine Mediengeschichte der Unternehmensberatung, Constance, Konstanz University Press, 2015.
5 Voir par exemple Philipp Sarasin, Jakob Tanner, Physiologie und industrielle Gesellschaft. Studien zur Verwissenschaftlichung des Körpers im 19. und 20. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1998, et le remarquable ouvrage de Anson Rabinbach, Le Moteur humain. L’énergie, la fatigue et les origines de la modernité, Michel Luxembourg (trad.), Paris, La Fabrique, 2004.
6 Scientific American Supplement, no 579, 5 février 1887, p. 9245 sq.
7 Scientific American Supplement, no 580, 12 février 1887, p. 9258‑9260.
8 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Fatigue Study. The Elimination of Humanity’s Greatest Unnecessary Waste. A First Step in Motion Study, Londres, Routledge, 1916, p. 32.
9 Tapuscrit portant l’indication et la date « MG 1/7/15 » (N-File 48‑0270‑3).
10 N-File, Box 90‑808‑13.
11 N-File 808-BNHC (Box 90).
12 N-File 41‑0265‑1.
13 Dans l’édition allemande de Primer of Scientific Management (Berlin, Springer, 1917, suivie de plusieurs rééditions), Colin Ross complète les choses en ajoutant plusieurs autres références aux débats qui agitent l’époque, en introduisant par exemple les noms de Charles Babbage (On the Economy of Machinery and Manufacture, 1832), Wilhelm Wundt, Walther Rathenau (Zur Mechanik des Geistes, 1913) ou Wilhelm Ostwald (Der energetische Imperativ, 1912) ou en renvoyant aux travaux de Willy Hellpach.
14 Référence est faite à l’article « Zur Psychophysik der industriellen Arbeit » de Max Weber (paru en 1909 dans Archiv für Sozialwissenschaften und Sozialpolitik), à Psychotechnik de Hugo Münsterberg, à l’article de Kraepelin « Die Arbeitskurve », à Arbeit und Rhythmus de Karl Büchers et à Hermann Ebbinghaus (dans Verwaltungspsychologie, l’édition allemande du livre de Gilbreth, Berlin, Verlag des Vereines deutscher Ingenieure, 1922, p. 144).
15 Sur Amar, voir Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, Londres, Routledge, 1920, p. 74 et 112. Il est également mentionné dans Fatigue Study, où Gilbreth fait référence à ses livres Physiologie du travail féminin et Le Moteur humain et les bases scientifiques du travail professionnel, Paris, Dunod & Pinat, 1914. À Leyde, A. W. Sanders réalise également des photographies aux fins d’étudier les processus de travail. Il envoie à Gilbreth la copie d’un texte intitulé « Account of Research Work Relating to Muscular Reflex Action with a View to Finding a Method of Recording Objective Results of Nervous Fatigue », en y joignant plusieurs de ses images (N-File 40‑0259‑2).
16 Frank Bunker Gilbreth, Concrete System, Londres/Easton, Hive Publ., 1908, p. 6.
17 Ibid., Règle 162, p. 38.
18 Voir aussi à ce sujet Walter Camp, « Photographic Analysis of Golf », Vanity Fair, août 1916, p. 62‑63 ; Walter Bannard, « Charting a Champion », Popular Science Monthly, janvier 1920, p. 44 sq.
19 Texte de 1923, conservé dans la succession Frank Bunker Gilbreth sous l’abréviation DW.7/17/23, publié dans Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Die Magie des Bewegungsstudiums, Bernd Stiegler (dir.), Munich, Wilhelm Fink, 2012, p. 158‑162.
20 Voir Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Applied Motion Study, New York, Macmillan, 1917, p. 187‑201.
21 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, op. cit., p. 25.
22 Ibid., p. 33.
23 Dans la succession Gilbreth se trouvent diverses études, dont certaines en couleurs. Voir par exemple N-File 53‑0298.
24 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, op. cit., p. 4.
25 Colin Ross, « Das Wesen der wissenschaftlichen Betriebsführung », dans Frank Bunker Gilbreth, Das ABC der wissenschaftlichen Betriebsführung, librement adapté de l’américain par Colin Ross, Berlin, 1925, p. 24.
26 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, op. cit., p. 6.
27 Une autre caméra portait le nom de « Veraskop ». On trouve dans la succession un texte qui en vante les qualités : N-File 578‑0310, à la date du 18 avril 1916.
28 La présentation dans des salles obscures possède en outre l’avantage, estime Gilbreth, de permettre à des ouvriers qui d’ordinaire n’osent pas s’exprimer dans des conférences ou des débats publics de prendre la parole.
29 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, op. cit., p. 4.
30 Ibid., p. 30.
31 Tapuscrit « Prominent member of a management society visits us » [N-File 3, 0029-NAFDG].
32 Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Motion Study for the Handicapped, op. cit., p. 12.
33 Ibid., p. 150.
34 « Investigations of Methods of Remington Typewriter Company’s Champion », N-File 64‑0417‑1, daté du 15 juin 1916, 41 pages.
35 MSP 8, Box, Series 4.
36 N-File 64‑0417‑1, p. 4.
37 Ibid., p. 9.
38 Ibid., p. 13.
39 Ibid., p. 16.
40 Ibid., p. 12 : « You will note that a habit saves you from making decisions about the same thing over and over again. »
41 Ibid., p. 20. Voir aussi ibid., p. 23. Les règles sont les suivantes : « Acquire and Use Habits of Motions », « Use Automaticity to gain speed and cut down attention and fatigue », « Reduce all routine work to habit, and in this way free yourself for other things ».
42 N-File 54‑0299‑6. Il convient aussi de signaler, dans un autre texte de sa succession, N-File 30 : 0158 (tapuscrit), le passage suivant : « Question : CAN YOU READ YOUR OWN HANDWRITING? Mr. Gilbreth: I cannot read my own handwriting because I don’t see it often. » [MG 9/17/14]
43 N-File 64‑0417‑1, p. 28.
44 Ibid., p. 29 : « to get the right habit first ».
45 Ibid., p. 36 sq. : « to see what we do ».
46 Ibid., p. 47.
Haut de pageTable des illustrations
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Titre | 1. Frank Bunker Gilbreth, vues d’un visage, s. d. n. l. |
Légende | Feuille de papier avec tirages argentiques contact. Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/463/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 517k |
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Titre | 2. Frank Bunker Gilbreth, étude d’un micromouvement, s. d. n. l. |
Légende | Feuille de papier avec tirages argentiques contact. Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/463/img-2.jpg |
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Titre | 3. Frank Bunker Gilbreth, symboles correspondant aux 16 sous-divisions d’un cycle de mouvement, s. d. n. l. |
Légende | Tirages argentiques de négatifs stéréoscopiques collés sur carton avec légendes manuscrites. Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959. Les photographies ont servi de modèle pour la création des symboles. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/463/img-3.jpg |
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Titre | 4. « Fig. 22 : Chronocyclographie d’une étude sur le mouvement et la fatigue d’un maçon en train de déplacer trois briques selon la vieille méthode », « Fig. 23 : Cyclographie d’une étude sur le mouvement et la fatigue d’une perceuse à colonne, détail des traces produites par le mouvement de la main » et « Fig. 24 : Chronocyclographie du procédé de composition typographique à la main » |
Légende | Tiré de Frank Bunker Gilbreth, Lillian Moller Gilbreth, Fatigue Study. The Elimination of Humanity’s Greatest Unnecessary Waste. A First Step in Motion Study, Londres, George Routledge and Sons, 1919, n. p. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/463/img-4.jpg |
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Titre | 5. Frank Bunker Gilbreth, brevet : « Méthode et dispositif pour l’étude et la correction des mouvements », mai 1913 |
Légende | Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/463/img-5.jpg |
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Titre | 6. Frank Bunker Gilbreth, étude du mouvement d’un escrimeur, s. d. n. l. |
Légende | Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/463/img-6.jpg |
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Titre | 7. Frank Bunker Gilbreth, étude des mouvements d’une opération chirurgicale (suture de la plaie), Berlin, 11 novembre 1914 |
Légende | Tirages argentiques de négatifs stéréoscopiques collés sur carton. Purdue, Purdue University Libraries, Karnes Archives & Special Collections, Frank and Lillian Gilbreth Library of Management Research and Professional Papers, 1845‑1959. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/463/img-7.jpg |
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Titre | 8. « Fig. 4 et 5. Études de micromouvements d’une sténotypiste » |
Légende | « La Fig. 5 montre le mouvement des doigts de la championne mondiale de dactylographie en train d’écrire à une cadence élevée. Les photographies ont été réalisées à une fréquence de 115 prises par seconde […] » et « Fig. 6. Trame translucide pouvant apparaître sur la surface de l’image dans le cliché précédent. Cette ‹ trame de mesure › permet une analyse particulièrement fine des mouvements ». Tiré de Frank Bunker Gilbreth et Lillian Moller Gilbreth, Angewandte Bewegungsstudien, Berlin, Verlag des Vereines deutscher Ingenieure, 1920, n. p. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/463/img-8.jpg |
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Titre | 9. « Fig. 20 : Cette image montre une lampe attachée à une main afin de réaliser des cyclographes ou chronocyclographes des mouvements dans le but de produire des mouvements impliquant moins de fatigue » et « Fig. 21 : Cette image montre une expérience que nous avons réalisée pour déterminer les lois impliquées dans le rapport entre fatigue et mouvement » |
Légende | Tiré de Frank Bunker Gilbreth et Lillian Moller Gilbreth, Fatigue Study. The Elimination of Humanity’s Greatest Unnecessary Waste. A First Step in Motion Study, Londres, George Routledge and Sons, 1919, n. p. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/463/img-9.jpg |
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Pour citer cet article
Référence papier
Bernd Stiegler, « Frank Bunker Gilbreth. La normalisation comme art de vivre », Transbordeur, 1 | 2017, 150-165.
Référence électronique
Bernd Stiegler, « Frank Bunker Gilbreth. La normalisation comme art de vivre », Transbordeur [En ligne], 1 | 2017, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/463 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12gwi
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