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Dossier

Matuszewski/Lumière. Pour une nouvelle source des encyclopédies documentaires cinématographiques

Matuszewski/Lumière. Towards a new source of cinematographic documentary encyclopaedia
Béatrice de Pastre
p. 86-95

Résumés

Les réflexions du photographe polonais Boleslas Matuszewski sur la nécessité de créer des dépôts de bandes filmiques pour nourrir le travail des historiens et l’entreprise de collecte et de valorisation de la production cinématographique Lumière sont contemporaines. Ces deux démarches se sont nourries des débats qui ont présidé à la création des musées de photographies documentaires. Retrouver les traces de cette « tutelle » dans les deux projets permet de mettre en exergue leurs possibles points de rencontre. Ces proximités sont à placer dans la généalogie des encyclopédies visuelles documentaires telles que les développèrent les sociétés Gaumont ou Pathé frères, puis Pathé Cinéma à partir des années 1910.

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Dédicace

À la mémoire de Magdalena Mazaraki1

Texte intégral

1. Louis Lumière, Forgerons, Lyon, quartier Monplaisir, 1895

1. Louis Lumière, Forgerons, Lyon, quartier Monplaisir, 1895

Bande de celluloïd 35 mm, vue 51.

  • 2 Sur les éléments biographiques et les activités diverses de Boleslaw Matuszewski, voir Magdalena Ma (...)
  • 3 En 1912, les établissements de Georges Mendel publient un catalogue, La Photographie vivante, compo (...)
  • 4 Les deux textes ont été publiés respectivement en mars et octobre 1898, Paris, Imprimerie Noizette (...)

1Médium du XIXe siècle, la photographie connaît dans les années 1890 un développement majeur avec un élargissement de ses objets (portrait d’atelier, paysage, collecte ethnographique, microscopie et images attestant d’événements survenus sur tous les continents), de ses praticiens (la photographie amateur s’étend) et de ses utilisations avec la multiplication des éditions illustrées et les sollicitations de la presse qui recourt de plus en plus à son témoignage. Boleslaw Matuszewski est l’un de ces hommes de l’art qui sillonna l’Europe avec un appareil photographique. Né en 1856 à Pinczow, dans le sud de l’actuelle Pologne, il arrive à Paris en 1880 pour établir, 10 rue de la Paix, à l’enseigne de la société Lux, ses activités de photographe. Cette expérience française est suivie en 1895 par l’ouverture d’un atelier sur l’une des artères principales de Varsovie2. Boleslaw Matuszewski obtient une accréditation pour photographier la famille impériale de Russie, ce qui lui permet de se déclarer d’une façon superfétatoire « photographe du tsar ». À ses compétences de photographe il adjoint, peu de temps après la présentation du Cinématographe Lumière, celle d’opérateur de prise de vues animées. Cet élargissement des activités de l’image fixe à l’image animée est alors aussi le fait d’autres ateliers photographiques parisiens comme ceux de Georges Mendel3 et Eugène Pirou. Cette nouvelle pratique et les usages possibles des images animées le conduisent à concevoir un « dépôt » où seraient rassemblées ces bandes issues du Cinématographe et d’autres appareils de prises de vues animées. Il expose ce projet novateur de conservation des bandes cinématographiques à des fins archivistiques et historiques dans deux opuscules parus en 1898 : Une Nouvelle Source de l’histoire et La Photographie animée, ce qu’elle est, ce qu’elle doit être4.

  • 5 La visite du président Félix Faure en Russie permet à Boleslaw Matuszewski de croiser son confrère (...)
  • 6 Notamment aux pages 9, 16, 20, 21, 26, 40 et 42, alors que les épreuves mentionnent à la place du t (...)

2Il est complexe de déterminer si les réflexions que Matuszewski développe dans ces deux textes ont influencé les orientations de la production de la société A. Lumière et ses fils, premier fabricant européen de plaques photographiques et instigateur du spectacle cinématographique. Les vues elles-mêmes se laissent-elles classer en « séries » documentaires grâce ou malgré les objectifs clairement commerciaux affichés ? L’observation du catalogue – ou plutôt des catalogues Lumière – nous permet-elle de discerner une classification documentaire ? Dans cette perspective, la production commerciale de la société A. Lumière et ses fils a-t-elle été la matrice des ensembles documentaires cinématographiques constitués au début du XXe siècle ? Les textes de Matuszewski seront ici aussi les guides de notre exploration. Il y a en effet corrélation entre les activités de Boleslaw Matuszewski et celles des Lumières, même si aucun document n’atteste de rencontre entre le photographe et les industriels lyonnais. On peut présupposer que l’auteur de La Photographie animée connaissait non seulement le Cinématographe, appareil utilisé par les opérateurs Lumière qu’il fréquentait5, mais également la production de ceux-ci. Si l’appareil mis au point par la société Lumière n’est mentionné qu’à la page 9 d’Une Nouvelle Source de l’histoire, le texte daté d’août-octobre 1898 cite nommément le Cinématographe à plusieurs reprises6. En quelques mois, Matuszewski semble avoir pris en compte la spécificité du dispositif Lumière par rapport à la chronophotographie, aussi appelée « photographie animée », la seule à faire partie de son vocabulaire jusque-là. De même, il connaît sans doute la diversité des vues Lumière, dont les premières listes sont proposées à la vente en 1897, et il est fort probable qu’il fréquente les projections parisiennes du Cinématographe au Grand Café début 1896, ou celles de la salle du boulevard Saint-Denis, alors qu’il médite ses deux contributions et tient boutique 45 rue Boissy-d’Anglas. La diversité des usages du Cinématographe qu’il envisage témoigne de cette connaissance détaillée.

3La réévaluation en termes de séries documentaires de la production Lumière, voire en tant que collection documentaire telle que définie par Boleslaw Matuszewski, peut être éclairante en prenant en compte non seulement les 1428 vues inscrites dans le catalogue tel que reconstitué en 1996, mais aussi les quelque 500 vues dites « hors catalogue », c’est-à-dire identifiées jusqu’à présent comme non commercialisées, qui élargissent le point de vue porté sur cette question. L’étude des programmes diffusés à travers l’Europe permet en effet de réévaluer cette notion, un titre inscrit au catalogue pouvant correspondre à deux ou trois bandes présentées et vendues indifféremment. Ce sont donc près de 2000 vues qu’il nous faut questionner en termes de séries, de motifs, de thématiques au-delà des catégories présentes dans les différentes éditions des répertoires édités entre 1897 et 1907. Cette lecture a posteriori peut être jugée abusive : on risque de voir une influence inconsciente de Matuszewski là où il n’y a qu’exploitation d’un nouveau médium, ou envisager une visée encyclopédique là où ne réside que déterminisme commercial. Elle nous semble malgré tout probante en ce qu’elle permet d’identifier une préfiguration d’autres entreprises visuelles telles que l’Encyclopédie Gaumont (1909) ou les Archives de la planète d’Albert Kahn (1912). Elle nous paraît d’autant plus légitime qu’elle renvoie à la culture partagée par le photographe polonais et les entrepreneurs lyonnais, celle des associations photographiques et des musées de photographies documentaires.

4Nous sommes donc en présence de textes programmatiques d’un côté, et d’une production filmique de l’autre. Auteur des premiers, Matuszewski s’appuie sur une pratique dont il ne nous reste aucune trace, tandis que la mise en œuvre de la seconde n’est documentée par aucune source de première main. Nous avons donc croisé textes et bandes issues de cette première production cinématographique pour faire émerger des points de convergence et poser Matuszewski en premier théoricien de la pratique lumiériste. Une relecture des carnets et des témoignages des opérateurs envoyés à travers le monde par les entrepreneurs lyonnais a été un autre point d’ancrage, sachant que ceux-ci ne nous sont parvenus qu’à travers des intermédiaires (si ce n’est une partie du témoignage de Marius Chapuis). Certains rédigèrent leurs mémoires plus de trente ans après les faits, ne fournissant ainsi qu’un point de vue a posteriori souvent apologétique. À travers l’ensemble constitué par ces traces, nous avons essayé de déceler les intentions qui ont pu présider à la constitution de la production au-delà de l’exploitation commerciale du dispositif de mise en mouvement des images.

Un bain culturel

  • 7 Luce Lebart, « Archiver les photographies fixes et animées. Matuszewski et l’‹ Internationale docum (...)

5Le premier point de rencontre entre Boleslaw Matuszewski et les Lumière est certainement à identifier autour de l’Association du Musée des photographies documentaires car, comme l’a montré Luce Lebart7, le photographe et la Société A. Lumière et ses fils en sont membres. Fondée sur la conviction de la valeur testimoniale de la photographie, cette structure ambitionne de rassembler des épreuves produites par les professionnels et les amateurs pour constituer un fonds documentaire. Son enrichissement est prévu par Léon Vidal, fondateur du Musée :

  • 8 Léon Vidal, Projet d’organisation en France d’un service d’archives photographiques documentaires, (...)

Bien des amateurs, et surtout des amateurs de photographies, incités par les Sociétés photographiques de Paris et des départements, pourront se vouer à l’exécution de certains levers archéologiques, topographiques, géographiques, ethnographiques ou autres relatifs à leur région et adresser au comité d’administration de la collection des séries de documents d’un grand intérêt8.

  • 9 Bulletin de la Société française de photographie, 1895, p. 133.

6Les différentes étapes qui président à la création du musée sont relayées par divers organes de presse familiers de Louis Lumière comme l’Annuaire général de la photographie ou le Bulletin de la Société française de photographie. Ainsi est lue lors d’une séance de la société une lettre de Léon Vidal du 11 décembre 1894 où celui-ci explique l’organisation de la Commission exécutive de l’Association du Musée des photographies documentaires. Le Bulletin de la Société française de photographie, dans l’une de ses livraisons, fait une présentation de cette intervention9. Le Moniteur de la photographie, animé par Léon Vidal, annonce dans son quatrième numéro de 1894 la mise en place d’un catalogue des documents collectés servant à la fois de socle à la future institution et de moyen d’en communiquer l’existence au public. Le numéro du 7 juin 1895 du Bulletin de la Société française de photographie se fait enfin le relais de la création au sein du musée, établi depuis février 1895 au Cercle de la librairie, d’une section technique devant centrer ses activités sur les progrès et l’histoire de la photographie. Le feuilleton de la création du Musée des photographies documentaires chroniqué par la presse photographique est, comme on le voit, contemporain des recherches, de la mise au point et de l’expérimentation par Louis Lumière d’un appareil pouvant mettre les images en mouvement, appelé Cinématographe.

  • 10 Le Bulletin de la Société française de photographie livre un résumé précis de ce moment : « M. H. L (...)
  • 11 Vue aujourd’hui titrée [Débarquement du congrès de photographie de Lyon]. Absente des catalogues éd (...)
  • 12 Se voir à l’écran était l’un des attraits majeurs du Cinématographe et un des arguments publicitair (...)

7Cette double gestation est entérinée au Congrès des sociétés photographiques de France, à Lyon, en juin 1895. Léon Vidal y fait la promotion du musée qu’il dirige et présente l’organisation de ses sections régionales. C’est également à l’occasion de ce congrès que Louis et Auguste Lumière organisent la projection de quelques bandes réalisées avec un Cinématographe. Louis Lumière prend même des vues de cette réunion, notamment d’un entretien entre Jean-Henri Lagrange et Pierre-Jules-César Jansen (bande aujourd’hui disparue)10. Il filme aussi le Débarquement des congressistes11 à Lyon après une excursion en bateau sur la Saône le 11 juin. Ces deux vues sont présentées aux congressistes le 12 juin, et ceux-ci peuvent ainsi se reconnaître à l’écran, inaugurant par là l’une des principales attractions du Cinématographe à l’occasion des premières séances publiques12. À noter la présence dans la salle d’Alexandre Promio, qui devient six mois plus tard lui-même opérateur et formateur des premiers de ses collègues envoyés à travers le monde, dont Félix Mesguish. En revanche, Matuszewski ne semble pas avoir été de la fête lyonnaise.

  • 13 C’est-à-dire aux bandes issues du cinématographe.
  • 14 « Exposé des motifs à l’appui d’une demande de transfert de la collection du Musée dans un local mu (...)

8Le projet de constitution de collections de photographies documentaires est donc familier des Lumière et de certains de leurs collaborateurs. Transposer les missions de documentation du monde assignées au médium photographique au médium cinématographique13 doit être une évidence pour l’avisé Louis Lumière. Comme le photographe Matuszewski, il peut adhérer à l’idée de « bibliothèque iconographique », le Cinématographe comme la photographie produisant de « si nombreux et si authentiques documents dans toutes les manifestations des Arts, des sciences et de l’Industrie »14. La création du Musée des photographies documentaires est ainsi la toile de fond sur laquelle se précisent les pratiques photographiques (réalisation de portraits, témoignages sur des événements mondains et politiques comme les conférences internationales) et cinématographiques (filmage d’opérations chirurgicales et d’événements) du photographe polonais. Elle constitue de même l’environnement professionnel de Louis Lumière, lui inspirant peut-être ses premières expérimentations avec le Cinématographe ainsi que les missions de ses opérateurs.

  • 15 On ne sait pas de quel type d’appareil de prises de vues Boleslas Matuszewski était propriétaire.
  • 16 Les vues 609 et 610 du catalogue Lumière.
  • 17 Georges Prat, La Projection, nº 5, mars 1898, p. 6. Et le chroniqueur de conclure : « Et ceci prouv (...)
  • 18 « La photographie ordinaire admet la retouche qui peut aller jusqu’à la transformation. Mais allez (...)

9Aussi n’est-il pas surprenant de retrouver côte à côte, à l’occasion de ce qui pourrait constituer une « scène primitive », Alexandre Promio et Boleslas Matuszewski suivant le voyage de Félix Faure en Russie. Le photographe saisit avec son appareil de prises de vue animées le passage en revue des troupes impériales par le président français15. Cette manifestation a lieu le 23 août 1897, et si nous n’avons plus trace de la bande qu’il a réalisée, deux documents de Promio16 ainsi que plusieurs photographies et gravures témoignent en revanche de cet événement franco-russe. On retiendra particulièrement le dessin en couleurs publié par Le Rire le 18 septembre 1897 (fig. 2), sur lequel président et tsar sont entourés de photographes munis non pas d’appareils de prises de vues cinématographiques, mais de photo-jumelles Carpentier ou d’autres appareils photographiques. Cet épisode militaire d’une grande importance diplomatique fut terni par les soupçons qui pesèrent sur Félix Faure, qui aurait omis de saluer les troupes russes en gardant son couvre-chef. En ces temps de tension entre Triple-Entente et Triple-Alliance, l’incident était de taille. Dans La Projection, Georges Prat fait le récit de la péripétie qui lava l’honneur du président français : « Heureusement le Cinématographe se rappelait, et, reproduisant la scène en question, nous a permis de contempler le président de la République passer devant le front de sa garde d’honneur, ôter son chapeau et s’incliner17. » Ce soir-là, dans une séance privée, c’est la vue prise par Matuzsewski qui est projetée au palais de l’Elysée en présence du président de la République. La démonstration rend manifeste que le Cinématographe atteste des faits, de la réalité d’un événement. Il livre un document qui donne à voir, à lire le réel, sans tricherie ni manipulation18.

2. Hermann-Paul, « Sur la jetée de Péterhof. F.-F., au tsar, – Un peu de côté, s. v. p., à cause du cinématographe », Le Rire, nº 150, 3e année, 18 septembre 1897, n. p.

2. Hermann-Paul, « Sur la jetée de Péterhof. F.-F., au tsar, – Un peu de côté, s. v. p., à cause du cinématographe », Le Rire, nº 150, 3e année, 18 septembre 1897, n. p.
  • 19 Pour autant des événements comme l’éruption de la Montagne Pelée en 1902 ou l’attaque de Port-Arthu (...)
  • 20 « Pendant la journée, je prends des scènes locales qui, annoncées à l’avance par la presse, attiren (...)

10Cet épisode du voyage présidentiel en Russie et sa restitution cinématographique sont à la source de la réflexion archivistique du photographe polonais : il y expérimente la fidélité, sans faille à ses yeux, de l’image animée au réel, d’où l’absolue nécessité de conserver ces vues pour témoigner du passé devant l’histoire. Cette conceptualisation le conduit en mars 1898 à la publication d’Une Nouvelle Source de l’histoire, puis en octobre à celle de La Photographie animée. Mais cette aventure de Matuzsewski est peut-être aussi à l’origine de la multiplication des prises de vue relatives à des événements diplomatiques et mondains par les opérateurs Lumière. On voit ainsi apparaître au fil des mois, au sein du catalogue, des séries concernant le Voyage de Monsieur le Président de la République à Saint-Étienne (mai 1898), la Revue à Longchamp (juillet 1898), les Obsèques de M. le Président Félix Faure (février 1899), les Fêtes à l’occasion de l’exposition de Turin (mars 1899), les Funérailles du roi d’Italie Humbert Ier (août 1900), les Épisodes du voyage du Président de la République à Lyon (novembre 1900). Le reportage d’actualités est né, collectant des images témoins de l’activité des plus hautes personnalités publiques et politiques du moment19. Mais il serait abusif de ne voir dans cette démarche qu’une volonté documentaire ; il y va aussi d’un souci promotionnel comme l’attestent les mémoires de l’opérateur recruté et formé par la société A. Lumière et ses fils, Félix Mesguich20.

La perspective documentaire des vues Lumière

  • 21 En témoignent les dernières semaines de présence sur le sol américain de Mesguich : « De toute évid (...)

11Il est évident que l’intention première de la Société A. Lumière et ses fils ne fut pas de constituer une bibliothèque iconographique, un recueil de vues qui décrirait un état du monde. Il faut se garder de confondre les missions des opérateurs d’Albert Kahn entre 1909 et 1931 et celles des représentants de la société lyonnaise. Ceux-ci doivent gagner et conserver des parts de marché dans l’économie du spectacle de cette fin du XIXe siècle, tâche qui devient de plus en plus ardue au fil des mois avec l’apparition d’autres systèmes de mise en mouvement des images21. On relève malgré tout dans les mémoires de Mesguich plusieurs passages, certes rédigés dans les années 1930, qui dénotent l’usage du Cinématographe à des fins de collecte documentaire :

  • 22 Avant-propos, ibid., p. 12.

Je me revois par monts et par vaux, dans des pays inconnus, lourdement chargé de mon trépied et de ce rouet magique avec lequel j’ai « tourné » sous toutes les latitudes et emmagasiné le monde sur le film. […] Il m’a été donné de révéler sous leur « forme visuelle » à toute une génération, les paysages de notre planète et les mœurs de ses habitants les plus lointains, dans leur exacte réalité, ce que personne n’avait encore fait22.

Et plus loin :

  • 23 Ibid., p. 38‑39.

À mon sens, les Frères Lumière avaient justement fixé [le] véritable domaine [du cinéma]. Le roman et le théâtre suffisent à l’étude du cœur humain. Le cinéma, c’est le décor, le dynamisme de la vie, la nature et ses manifestations, la foule et ses remous. Tout ce qui s’affirme par le mouvement, relève de lui.
Son objectif est, comme l’œil du spectateur, ouvert sur le monde. […] Quelle collection pour l’ethnographie et pour le folklore eut constitué « le filmage » méthodique de tous les coins de notre pays, non seulement des costumes d’autrefois, tombés en désuétude aujourd’hui, mais aussi des cérémonies régionales et des coutumes ancestrales. C’est peut-être de la petite histoire, mais si précieuse… Les fixer avant qu’elles ne meurent, c’est les assurer d’une vie nouvelle23.

12Mesguich évoque ici explicitement la vocation documentaire du Cinématographe telle que la pratiquent les premiers opérateurs. L’intention de constituer un recueil documentaire est construite a posteriori dans la façon dont les vues sont présentées dans les listes, puis dans les catalogues successifs édités par la société Lumière. Cette visée documentaire s’exprime selon différents modes et thématiques qui recoupent les orientations que Matuszewski souhaite alors donner à la collecte constitutive des archives cinématographiques.

13Nous distinguons tout d’abord les séries documentaires qui rassemblent un certain nombre de vues décrivant une action dans son déroulement chronologique. Un montage est ainsi constitué sur l’ensemble de la série afin de restituer la totalité de l’action, et ce malgré la brièveté de chaque vue (fig. 3). Les quatre vues prises à l’occasion d’un exercice des pompiers pendant un incendie simulé à la préfecture de Lyon (exercice peut-être adapté aux exigences du tournage), le 11 octobre 1896, correspondent à ce type de rassemblement. On assiste successivement à la sortie des voitures de pompiers (Pompiers : Sortie de la pompe – vue 76 [1012]), à la mise en place des pompes pour combattre le sinistre (Pompiers : Mise en batterie – vue 77 [1013]), à l’attaque du feu (Pompier : Attaque du feu – vue 78 [1014]) et à l’évacuation des victimes du sinistre par les fenêtres (Pompiers : Sauvetage – vue 79 [1015]). L’opérateur et son Cinématographe se sont déplacés afin de suivre le développement de l’exercice, adaptant le point de vue et le cadre aux actions à saisir.

3. Anonyme, Les pompiers, l : passage des pompes, Paris, 1896

3. Anonyme, Les pompiers, l : passage des pompes, Paris, 1896

Bande de celluloïd 35 mm, vue 778.

  • 24 Les cinq vues inscrites au catalogue sont Cuirassiers : Boute-selle (vue 182 [881]), Cuirassiers : (...)
  • 25 Vue référencée sous le numéro [4072].
  • 26 Jacques Rittaud-Hutinet, Le Cinéma des origines. Les frères Lumière et leurs opérateurs, Seyssel, C (...)
  • 27 Boleslaw Matuszewski, La Photographie animée, ce qu’elle est, ce qu’elle doit être, Paris, Imprimer (...)
  • 28 Ibid., p. 31.
  • 29 Ibid., p. 32.

14Dans la même veine, on peut également citer cinq vues rendant compte d’un exercice de cuirassiers effectué au camp de La Valbonne à Béligneux en juin 189624. Là, les cavaliers semblent évoluer autour de l’appareil occupant ainsi différemment la profondeur de champ, jusque dans la dernière vue qui cadre presque en gros plan les militaires. Pour cette vue, l’opérateur a dû surélever son appareil pour avoir cette proximité avec ses sujets. On note dans cette série une sixième vue (Charge de cuirassiers), où les soldats à cheval chargent, lance à la main, la caméra25. Cette proximité guerrière dérangeante de par la frayeur qu’elle peut occasionner chez le spectateur explique probablement l’exclusion de cette vue des listes de vente de la société Lumière mais n’en présente pas moins un point de vue saisissant sur ces exercices à cheval. Notons ici que la présence massive dans le catalogue Lumière des vues militaires est à replacer dans le contexte géopolitique de l’époque. En France, le traumatisme de la défaite de 1870 nécessite une réhabilitation de l’armée française, une manifestation de sa puissance que l’on espère protectrice. Jacques Rittaud-Hutinet a relevé dans son étude consacrée aux opérateurs Lumière que la puissance politique pouvait trouver dans ces vues un moyen incomparable de multiplier, renouveler et actualiser les événements politiques fondateurs comme les sacres ou les démonstrations de ladite puissance grâce aux défilés militaires. Ainsi le gouvernement de Cuba autorise le représentant de la société Lumière, Gabriel Veyre, à organiser des projections à condition d’insérer dans le programme des vues magnifiant le pouvoir26. Matuszewski, qui fréquente la cour de Russie, est certainement sensible à l’impact causé par les bandes reproduisant les manœuvres militaires. Il leur assigne différentes fonctions, dont celles d’une connaissance mutuelle des armées27, d’une reconnaissance de la hiérarchie28 ou d’un apprentissage du bon geste, qu’il soit habituel ou rare comme « l’embarquement en chemin de fer, la mise en place d’un pont, le service d’une ambulance volante, etc.29 ». La multiplication des séries de vues militaires au sein du catalogue Lumière satisfait pleinement ces ambitions énoncées en premier lieu lorsque le photographe polonais détaille les usages possibles des vues animées.

15Nous relevons également des vues présentant dans un même cadre les différentes étapes d’une activité, et que nous pouvons qualifier « d’encyclopédiques », tant elles nous rappellent les planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Les bandes de ce type offrent de véritables planches animées. Maréchal-ferrant (vue 62 [711]), Menuisiers (vue 63 [693]), Scieurs de bois (vue 93 [1373]) ou Forgerons (vue 51) sont caractéristiques de ce dispositif (fig. 1). Les différents personnages présents dans le cadre exécutent chacun un aspect d’une action, une phase d’un geste. Pour Menuisiers, quatre établis ont été sortis de l’atelier afin que la prise de vue profite de la lumière zénithale, et chaque artisan scie, rabote (planche ou madrier), cheville. Mains et outils sont bien visibles, l’opérateur ayant placé le Cinématographe de façon à documenter chaque geste. Pour Matuszewski, il y a là « service à rendre aux petits artisans » :

  • 30 Ibid., p. 16. Comme nous l’avons noté plus haut, le vocabulaire de Matuszewski, comme celui de ses (...)

Il est, même en Europe, de larges régions où l’usage des bons outils est inconnu des artisans. […] Pour qui voudrait les tirer de leurs vieux errements, la Photographie animée serait le meilleur moyen d’action. Elle leur présenterait, sous forme concrète et active, les opérations de travailleurs munis d’instruments bien faits, et leur en démontrerait, mieux que tous les raisonnements du monde, la supériorité30.

16On peut également identifier au sein de la production Lumière des motifs documentaires qui rassemblent une même scène saisie dans différentes villes, différents pays. Des sorties d’usine, des arrivées de train en gare sont « cinématographiées » en Europe, aux États-Unis, au Moyen-Orient, en Extrême-Orient. Ces vues donnent à voir des architectures spécifiques, des paysages urbains, des organisations sociales, mais aussi des rapports différents au médium. Si l’opérateur tente de saisir les mouvements générés par l’irruption le long d’un quai d’une locomotive empanachée suivie de ses wagons, il livre par surcroît un précieux témoignage, quasi ethnographique, sur la façon dont une société appréhende cette intrusion de la modernité et façonne autour d’elle une activité nouvelle. Si l’action de « prendre le train » est mondialement répandue, elle n’est pas exempte de particularismes locaux qui vont des modes vestimentaires au mobilier urbain, en passant par les rapports entre adultes et enfants ou entre hommes et femmes (fig. 4). Non avérée, la volonté de « faire série » est troublante. La récurrence de ces motifs n’en dit pas moins le désir de décrire le monde nouveau qui est en train de naître tout autour de la planète, monde symbolisé par l’usine et le train, entre autres, qui se retrouvent comme de véritables motifs dans la production des opérateurs Lumière.

4. Anonyme, Arrivée d’un train à Perrache, Lyon, 1896

4. Anonyme, Arrivée d’un train à Perrache, Lyon, 1896

Bande de celluloïd 35 mm, vue 127.

  • 31 Absentes du catalogue de vente ne veut pas dire jamais projetées : dès la première séance du 28 déc (...)
  • 32 Félix Mesguich, Tours de manivelle…, op. cit., p. 16. Les vues 197 et 198 du catalogue témoignent d (...)

17En passant au crible cette production, on peut déceler une autre approche que nous intitulerons « point de vue documentant ». Sous cette appellation, nous rassemblons les vues qui présentent une même scène saisie de différents points de vue, permettant ainsi de donner à voir la totalité d’une action ou de rendre compte de l’ampleur d’un paysage. Le sujet Nègres en corvée est ainsi présent dans le catalogue sous le numéro 66, mais aussi dans le « hors-catalogue », c’est-à-dire l’ensemble des vues produites par la Société A. Lumière et ses fils mais non présentes dans les listes de ventes31. Elle est titrée [Paris : Nègres en corvée II] (vue 4516) par référence à la bande qu’elle complète. Il s’agit de la même scène, prise au même endroit, le Jardin d’Acclimatation, mais avec des angles de prises de vue différents. La comparaison des deux négatifs permet d’affirmer que les deux bandes ont été réalisées avec la même caméra, c’est-à-dire que l’opérateur a volontairement déplacé l’outil de prise de vue pour saisir son sujet d’un autre point de vue, restituant ainsi plus précisément la vie dans ce « village » indigène en plein cœur de Paris. Ce n’est pas la saisie de la totalité de l’événement qu’il poursuivait, mais probablement plutôt le point de vue qui donnait le mieux à voir la scène. Et lorsqu’il s’agit de rendre compte d’un paysage extraordinaire, la démarche est la même. Félix Mesguich précise ainsi la méthode utilisée aux chutes du Niagara : « sur chaque versant, je choisis des emplacements qui me permettent de reproduire les divers aspects des chutes du Niagara. […] je me suis finalement placé sur le roc, tout au bord du précipice32. » Les opérateurs Lumière ont cherché les points de vue qui permettaient de rendre compte au mieux du réel, quitte à les multiplier afin de restituer précisément la complexité d’une organisation, d’un lieu.

La mise en catalogue

  • 33 C’est pour retrouver cette organisation initiale qu’il a semblé pertinent aujourd’hui de revenir à (...)

18La publication du catalogue de la production Lumière en 1996 a obéi à une organisation éditoriale reposant sur une thématisation géographique des vues. Cette présentation n’a dans son ensemble que peu à voir avec la structuration originelle, même si ce type de classification était présent dans les listes et les catalogues qui se succédèrent entre 1897 et 190733. En 1897, des séries sont constituées formant des unités documentaires précédées de termes génériques. La première liste titre ainsi « Vues générales » un ensemble de 67 vues aux thèmes variés, hétérogènes, allant des Assiettes tournantes aux Premiers pas de bébé en passant par Labourage. Leur classement est alphabétique. La deuxième liste introduit la thématique géographique, mettant en exergue les vues de Promio tournées en Égypte et en Turquie d’Asie. Une sous-division est ajoutée avec mention des villes traversées : Jaffa, Jérusalem, Bethléem, Beyrouth. Suivent les vues prises en Espagne, puis celles de l’exposition coloniale de Lyon, une série de vues de gymnastique et les premières vues ayant trait au spectacle, ici de clowns. La quatrième liste de 1897 introduit les vues militaires, chaque liste complétant les précédentes. Il faut attendre le premier catalogue en 1901 pour avoir une vision globale de la production, présentée avec des en-têtes beaucoup plus précis. Cette mise en catalogue documentaire, contemporaine de la publication des opuscules de Matuszewski, est donc assez peu rigoureuse chez les Lumière. Ils distinguent l’approche géographique qui, commercialement, permet à chacun de se retrouver, de se voir, tout autant que des « vues générales » qui offrent aux spectateurs des scènes de la vie quotidienne, des numéros artistiques ou des vues exotiques.

  • 34 Entendu comme drapeau de son régiment.
  • 35 Boleslaw Matuszewski, La Photographie animée…, op. cit., p. 27.
  • 36 On utilise aujourd’hui l’expression de time lapse pour désigner cette technique de filmage qui perm (...)

19De son côté, Matuszewski développe l’organisation de son dépôt non en termes de classement thématique ou disciplinaire, mais selon les usages envisagés. L’histoire régimentaire est ainsi la première application de la cinématographie historique, « excellent moyen, dit-il, pour développer chez le soldat l’esprit de corps, c’est-à-dire la forme la plus vivace du patriotisme. Car c’est par l’amour de son drapeau34 qu’un simple soldat acquiert l’amour du drapeau35 ». La cinématographie industrielle et scientifique sert quant à elle la propagande, la propriété industrielle et l’éducation des artisans et des paysans. Le filmage des opérations chirurgicales et la cinématographie des maladies nerveuses, largement développés dans l’opuscule du photographe polonais, sont des domaines dans lesquels ne s’engagèrent jamais les opérateurs Lumière, mais ils vont constituer des morceaux de choix des grands catalogues documentaires des années 1910 et 1920. Que ce soit dans L’Encyclopédie Gaumont ou dans la série Pathé Enseignement, qui s’organisent selon les classifications du savoir, on relève un nombre très important de bandes consacrées à l’exploration des corps en souffrance et aux techniques opératoires qui les soulagent. Destinée aux amphithéâtres de médecine et à la promotion de techniques spécifiques (ablation de tumeurs, résections des articulations, etc.), la production de ces documents n’a aucune ambition commerciale, mais relève de la part de Léon Gaumont et de Charles Pathé d’engagements personnels aux côtés des autorités de la faculté française. De même, Albert Kahn accueille le docteur Jean Comandon lorsqu’il doit quitter en 1926 Pathé Cinéma, dédiant ainsi le laboratoire installé dans sa propriété de Boulogne-Billancourt à l’exploration des mouvements de la vie dans son intimité, que seuls révèlent les dispositifs cinématographiques « image par image », de l’accéléré36, du ralenti, de la microcinématographie.

20N’ayant apparemment pratiqué lui-même que la cinématographie des événements diplomatiques, mondains et celle des opérations chirurgicales, Matuszewski s’inspira très probablement de ce qu’il avait pu entrapercevoir de la production de ses collègues envoyés à travers le monde par les Lumière pour élaborer, au-delà de sa propre expérience, tous les usages qu’il assigna au Cinématographe. Il synthétisa ainsi la collecte documentaire des opérateurs lyonnais, la détournant de ses objectifs commerciaux initiaux pour servir une lecture à long terme de l’histoire. Louis Lumière, qui appartenait lui aussi au milieu photographique et fut certainement pénétré de l’intérêt de la collecte et de l’organisation de séries documentaires, réalisa les premières vues du Cinématographe avec un autre objectif. Il s’agissait pour lui et pour les hommes qu’il embaucha après ses premières expériences de propager le spectacle cinématographique. Mais ces opérateurs, éprouvant le médium, en saisirent le potentiel descriptif et la nécessité qu’il y avait à essayer grâce à lui de saisir le monde dans sa complexité humaine et sociale par-delà la fonction utilitaire première du Cinématographe. C’est en tout cas ce que nous donne aujourd’hui à voir l’ensemble des vues collectées.

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Notes

1 Magdalena Mazaraki, à travers son mémoire de master, ses publications, notamment « Boleslaw Matuszewski. Photographe et opérateur de cinéma », 1895. Revue d’histoire du cinéma, nº 44, 2004, a montré l’importance des différents travaux de Boleslaw Matuszewski. Elle a édité ses deux textes majeurs sur l’archivistique cinématographique jusque-là introuvables en France. Nous avions ébauché ensemble ce rapprochement entre Matuszewski et la production de la société Lumière. Sa disparition ne nous a pas permis d’aller au bout de cette recherche.

2 Sur les éléments biographiques et les activités diverses de Boleslaw Matuszewski, voir Magdalena Mazaraki, « Boleslas Matuszewski. De la restitution du passé à la construction de l’avenir », dans Boleslas Matuszewski, Écrits cinématographiques, Paris, AFRHC, Cinémathèque française, 2006.

3 En 1912, les établissements de Georges Mendel publient un catalogue, La Photographie vivante, comportant une liste de films documentaires sur Paris. Voir les archives de Victor Perrot, Cinémathèque française, VP 48, et notamment les lettres du 17 février 1921 aux familles Mendel et Pirou.

4 Les deux textes ont été publiés respectivement en mars et octobre 1898, Paris, Imprimerie Noizette et Cie.

5 La visite du président Félix Faure en Russie permet à Boleslaw Matuszewski de croiser son confrère Alexandre Promio mandaté par la société lyonnaise à Peterhof.

6 Notamment aux pages 9, 16, 20, 21, 26, 40 et 42, alors que les épreuves mentionnent à la place du terme de « Cinématographe » celui de « chronophotographie ».

7 Luce Lebart, « Archiver les photographies fixes et animées. Matuszewski et l’‹ Internationale documentaire › », dans Boleslas Matuszewski, Écrits cinématographiques, op. cit. Voir aussi Éléonore Challine, supra, p. 30 sq.

8 Léon Vidal, Projet d’organisation en France d’un service d’archives photographiques documentaires, Association française pour l’avancement des sciences, conférences de Paris, séance du 24 février 1894, au secrétariat de l’Association, 1894-1895, p. 27.

9 Bulletin de la Société française de photographie, 1895, p. 133.

10 Le Bulletin de la Société française de photographie livre un résumé précis de ce moment : « M. H. Lagrange, conseiller général du canton de Neuville et membre du Photo-Club de Lyon, remercie M. Jansen au nom de ses collègues, et ses paroles, pleines d’humour, sont accueillies par de chaleureux vivats. La pluie ayant cessé, le cinématographe est remis en marche pour suivre les gestes de M.M. Jansen et Lagrange qui conversaient ensemble autour d’une table placée sur la terrasse, puis on se rend dans le parc de l’ancienne maison de campagne des archevêques de Lyon. » Ibid., p. 400.

11 Vue aujourd’hui titrée [Débarquement du congrès de photographie de Lyon]. Absente des catalogues édités par la Société A. Lumière et ses fils, elle porte le numéro [4105] suivant la numérotation fixée par les rédacteurs de La Production cinématographique des Frères Lumière. Cette graphie [ ] et cette numérotation au-delà de 4000 ont été adoptées pour les films dont les titres n’ont pas été relevés sur les listes de vente de la société A. Lumière et ses fils.

12 Se voir à l’écran était l’un des attraits majeurs du Cinématographe et un des arguments publicitaires largement exploités par les opérateurs pour attirer le public aux séances organisées dans différentes villes à travers le monde.

13 C’est-à-dire aux bandes issues du cinématographe.

14 « Exposé des motifs à l’appui d’une demande de transfert de la collection du Musée dans un local municipal. Association du Musée des photographies documentaires », 1901, Archives de Paris, VR 246.

15 On ne sait pas de quel type d’appareil de prises de vues Boleslas Matuszewski était propriétaire.

16 Les vues 609 et 610 du catalogue Lumière.

17 Georges Prat, La Projection, nº 5, mars 1898, p. 6. Et le chroniqueur de conclure : « Et ceci prouve que M. Bismarck n’est plus aussi bien renseigné que lorsqu’il était grand chancelier de l’Empire. »

18 « La photographie ordinaire admet la retouche qui peut aller jusqu’à la transformation. Mais allez donc retoucher, de façon identique pour chaque figure, ces mille ou douze cents clichés presque microscopiques… ! On peut dire que la photographie animée a un caractère d’authenticité, d’exactitude, de précision qui n’appartient qu’à elle. » Boleslas Matuszewski, Une Nouvelle Source de l’histoire, Paris, Imprimerie Noizette et Cie, 1898, p. 10.

19 Pour autant des événements comme l’éruption de la Montagne Pelée en 1902 ou l’attaque de Port-Arthur en 1904 furent reconstitués, notamment par Georges Méliès (Éruption volcanique à la Martinique, Star film, 1902) ou Lucien Nonguet (La Vigie de Port-Arthur, Pathé Frères, 1904).

20 « Pendant la journée, je prends des scènes locales qui, annoncées à l’avance par la presse, attirent nombre de curieux. Je développe aussitôt les négatifs et j’impressionne les positifs […]. Les films de l’après-midi peuvent ainsi être présentés au public le soir même. Ceux qui ont réussi à se glisser dans le champ de l’objectif veulent assister à la projection de leur propre image. » Félix Mesguich, Tours de manivelle. Souvenirs d’un chasseur d’images, Paris, Éd. Bernard Grasset, 1933, p. 19. Comme ses sujets, le tsar de Russie tint à assister à une projection du Cinématographe. En effet, Félix Mesguich se rendit à l’occasion d’un séjour en Crimée au palais d’été de Livadaïa à Yalta et projeta pour le tsar des vues de son couronnement, des vues de Moscou et du Kremlin. Ibid., p. 20.

21 En témoignent les dernières semaines de présence sur le sol américain de Mesguich : « De toute évidence, on cherche surtout à rendre notre existence impossible ; on veut que le Cinéma Lumière, le premier en date, cède la place à la production nationale. Pour aboutir, on accumule les difficultés sur notre route. » Ibid., p. 15.

22 Avant-propos, ibid., p. 12.

23 Ibid., p. 38‑39.

24 Les cinq vues inscrites au catalogue sont Cuirassiers : Boute-selle (vue 182 [881]), Cuirassiers : Départ (vue 183 [882]), Cuirassiers : En fourrageurs (charge) (vue 184 [883]), Cuirassiers : Mêlée (vue 185 [884]) et [Cuirassiers à cheval] (vue 189 [885]). Nous référencerons les vues Lumière en citant en premier lieu le numéro originel, puis celui donné [en 1996] au moment de la reconstitution et de la réorganisation du catalogue de la société.

25 Vue référencée sous le numéro [4072].

26 Jacques Rittaud-Hutinet, Le Cinéma des origines. Les frères Lumière et leurs opérateurs, Seyssel, Champ Vallon, 1985, p. 222.

27 Boleslaw Matuszewski, La Photographie animée, ce qu’elle est, ce qu’elle doit être, Paris, Imprimerie Noisette et Cie, octobre 1898, dans l’édition établie par Magdalena Mazaraki, « Boleslas Matuszewski… », op. cit., p. 30.

28 Ibid., p. 31.

29 Ibid., p. 32.

30 Ibid., p. 16. Comme nous l’avons noté plus haut, le vocabulaire de Matuszewski, comme celui de ses contemporains, n’est pas encore fixé : on parle de façon équivalente de « photographies animées », de « vues animées », de « chronophotographies animées », de « bandes animées » pour désigner ce qu’aujourd’hui nous nommons « film ».

31 Absentes du catalogue de vente ne veut pas dire jamais projetées : dès la première séance du 28 décembre 1895, des vues jamais inscrites sur les listes portées à la connaissance du public sont présentes dans le programme. Ces vues sont [Exercices de voltige], [Débarquement du congrès de photographie de Lyon] et [Un bleu à la couverte]. Nous pensons que très souvent, à qualité égale, la vue « hors catalogue », parfois appelée aussi « vue bis », était proposée à la vente à la place de la vue catalogue. De même, les vues commercialisées en Grande-Bretagne furent majoritairement les « vues bis ».

32 Félix Mesguich, Tours de manivelle…, op. cit., p. 16. Les vues 197 et 198 du catalogue témoignent de cette approche par points de vue successifs du sujet.

33 C’est pour retrouver cette organisation initiale qu’il a semblé pertinent aujourd’hui de revenir à la numérotation originelle des vues afin de restituer la construction des listes voulues par la maison Lumière.

34 Entendu comme drapeau de son régiment.

35 Boleslaw Matuszewski, La Photographie animée…, op. cit., p. 27.

36 On utilise aujourd’hui l’expression de time lapse pour désigner cette technique de filmage qui permet de saisir une image à intervalle régulier (toutes les secondes, toutes les minutes, etc.).

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Table des illustrations

Titre 1. Louis Lumière, Forgerons, Lyon, quartier Monplaisir, 1895
Légende Bande de celluloïd 35 mm, vue 51.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/398/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 534k
Titre 2. Hermann-Paul, « Sur la jetée de Péterhof. F.-F., au tsar, – Un peu de côté, s. v. p., à cause du cinématographe », Le Rire, nº 150, 3e année, 18 septembre 1897, n. p.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/398/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 465k
Titre 3. Anonyme, Les pompiers, l : passage des pompes, Paris, 1896
Légende Bande de celluloïd 35 mm, vue 778.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/398/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 685k
Titre 4. Anonyme, Arrivée d’un train à Perrache, Lyon, 1896
Légende Bande de celluloïd 35 mm, vue 127.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/398/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 683k
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Pour citer cet article

Référence papier

Béatrice de Pastre, « Matuszewski/Lumière. Pour une nouvelle source des encyclopédies documentaires cinématographiques »Transbordeur, 1 | 2017, 86-95.

Référence électronique

Béatrice de Pastre, « Matuszewski/Lumière. Pour une nouvelle source des encyclopédies documentaires cinématographiques »Transbordeur [En ligne], 1 | 2017, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/398 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12gwd

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Auteur

Béatrice de Pastre

Béatrice de Pastre est spécialiste du patrimoine cinématographique et photographique. Titulaire d’un Diplôme d’Études approfondies en philosophie à Paris IV Sorbonne, elle a été responsable de la Cinémathèque Robert Lynen de la Ville de Paris et a présidé la Fédération des cinémathèques et archives de films de France. Elle est aujourd’hui directrice adjointe du patrimoine cinématographique et directrice des collections du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Elle a notamment publié, avec Monique Dubost, Françoise Massit-Folléa et Michelle Aubert, Cinéma pédagogique et scientifique. À la redécouverte des archives (Éditions ENS, 2004) et, avec Thierry Lefebvre, Filmer la science, comprendre la vie. Le cinéma de Jean Comandon (Éditions CNC, 2012).
Béatrice de Pastre is a specialist in film and photography heritage. She holds a postgraduate diploma in philosophy from Paris IV Sorbonne, and was the head of the Cinémathèque Robert Lynen in Paris and the president of the Fédération des Cinémathèques et Archives de Films de France. She currently serves as the assistant director of film heritage and the director of the collections of the National Centre for Cinema and the Moving Image (CNC). She has published, with Monique Dubost, Françoise Massit-Folléa, and Michelle Aubert, Cinéma pédagogique et scientifique. À la redécouverte des archives (Éditions ENS, 2004) and, with Thierry Lefebvre, Filmer la science, comprendre la vie. Le cinéma de Jean Comandon (Éditions CNC, 2012).

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