Des « atlas » aux « archives » du monde. À propos des Archives de la parole (1911‑1924) et des Archives de la planète (1912‑1931)
Résumés
Autour de 1900, au moment où plusieurs collections d’images photographiques et cinématographiques commencent à prendre forme, les termes « atlas » et « archives » se croisent sans cesse, attestant une interaction conceptuelle entre deux formes distinctes de mise en ordre des connaissances. En s’appuyant sur deux études de cas – les Archives de la parole (1911-1924) et les Archives de la planète (1912-1931) –, l’auteure défend l’hypothèse que l’imposition progressive du paradigme de l’archive aux collections réunissant images photographiques, images animées et enregistrements sonores est à la fois liée à la consolidation d’un régime d’historicité particulier – appuyé sur un sentiment partagé d’une accélération du présent et sur la croyance typiquement moderne dans le progrès – et au développement de nouvelles techniques d’enregistrement et de reproduction mécanisée – le phonographe, la photographie, le film.
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atlas, archives, Archives de la parole, Archives de la planète, phonographe, photographiePlan
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- 1 Lorraine Daston, Peter Galison, Objectivité, Sophie Renaut et Hélène Quiniou (trad.), Dijon, Presse (...)
- 2 « Archives », dans Pierre Larousse (dir.), Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, vol. 1, p. (...)
1Autour de 1900, au moment où plusieurs collections d’images photographiques et cinématographiques commencent à prendre forme, les termes « atlas » et « archives » se croisent sans cesse, attestant une interaction conceptuelle entre deux formes distinctes de mise en ordre des connaissances. Le premier terme, « atlas », ne se limite pas au domaine cartographique auquel on le cantonne d’habitude, mais fait allusion à une forme visuelle d’organisation et du savoir bénéficiant depuis les débuts du XIXe siècle d’un épanouissement décisif. Il s’agit aussi d’un genre éditorial précis, celui des atlas scientifiques, des livres imprimés, pas nécessairement publiés sous cette désignation, illustrés par des gravures et/ou des photographies. Épousant le développement des techniques de reproduction graphique et l’institutionnalisation progressive d’un ensemble de disciplines très différentes (allant de l’anatomie et de la botanique à l’astronomie, l’anthropologie, la linguistique, etc.), ils s’affirment comme une figure graphique autonome, voire une véritable technologie intellectuelle, fondée sur la reproduction d’images. Lieu d’exercice de la vision et du regard, comme le rappellent Lorraine Daston et Peter Galison1, les atlas affûtent et entraînent l’œil des spécialistes, jouant un rôle essentiel dans la construction du savoir et de la notion d’objectivité scientifique. Dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, ils sont ainsi définis comme « tout recueil de cartes, de tableaux, de planches, que l’on joint à un ouvrage pour en faciliter l’intelligence », tels « un atlas historique », un « atlas anatomique » ou encore « un atlas du voyage autour du monde »2.
- 3 Ibidem.
2Le second terme, « archives », semble alors indissociable (pour ce qui est du cas français) d’une mémoire et d’un réseau professionnel gérés par l’État et concernant à la fois des archives centrales et des archives départementales. Leur formation remonte à la Révolution, plus précisément aux années 1790 et 1794, quand deux décrets fondent les Archives nationales (décret du 7 septembre 1790) et stipulent la création d’un réseau archivistique national (décret du 7 messidor an II / 25 juin 1794). Il s’agit alors de développer des instruments de gouvernement et d’administration, puisque les archives constituent, dans un premier temps, le dépôt où l’on recueille des titres et des actes juridiques. Si la notion évolue tout au long du XIXe siècle, l’ambiguïté du mot – qui, en français, désigne à la fois les documents, l’institution et le bâtiment – ne disparaîtra pas, comme le confirme encore une fois le Grand dictionnaire3. Si la désignation concerne aussi bien des dépôts étatiques que non étatiques, la multiplication d’instructions et de circulaires administratives sur les archives d’État contribue, tout au long du XIXe siècle, à déterminer la signification globale de la notion. Malgré leur ambivalence sémantique, les archives (y compris les archives privées) deviennent alors indissociables de ce programme d’institutionnalisation, tout comme d’un ensemble de pratiques scientifiques et normées qui opèrent la transformation des « simples » documents en sources historiques.
- 4 La notion de « régime d’historicité » renvoie au travail de François Hartog qui, dans un ouvrage ho (...)
3Contrairement à ce que l’on pourrait penser, et malgré une histoire institutionnelle déjà longue autour de 1900, le paradigme des « archives » ne s’impose pas aux différentes collections réunissant images photographiques, images animées et enregistrements sonores qui se constituent alors. À terme, le modèle de l’archive deviendra effectivement dominant, mais dans un premier temps, il semble coexister (sinon rivaliser) avec d’autres modèles d’organisation et d’exposition des connaissances, parmi lesquels se trouve l’atlas – mais aussi l’encyclopédie et, surtout, le musée. Les premières années du XXe siècle constituent une période durant laquelle on assiste ainsi – et, sans doute, parce que ces collections d’un type nouveau se mettent en place – à la négociation entre le modèle de l’archive et ceux propres à d’autres formes spécifiques de la connaissance. L’hypothèse que j’aimerais défendre, c’est que l’imposition progressive du paradigme de l’archive est à la fois liée à la consolidation d’un « régime d’historicité » particulier et au développement de nouvelles techniques d’enregistrement et de reproduction mécanisée4. D’un côté, le sentiment partagé d’une accélération du présent et la croyance typiquement moderne dans le progrès imposent comme priorité aux savants de l’époque de décrire l’état de sociétés sur le point de disparaître, face à l’expansion inexorable de la « civilisation occidentale ». De l’autre côté, un ensemble de « moyens nouveaux » – le phonographe, la photographie, le film – permet de répondre à la nécessité de dresser l’inventaire de la planète, nouvelle entité géographique qui s’impose elle aussi, à la fin du XIXe siècle. Ces deux phénomènes concomitants auraient contribué à l’imposition de la logique de l’archive, bien que, comme le montre une présentation rapide de deux études de cas caractérisées à la fois par le topos de l’urgence et l’emploi de nouvelles techniques d’enregistrement, la notion d’atlas (comme celle de musée, d’ailleurs) ait joué un rôle important dans l’archéologie conceptuelle et l’histoire de ces institutions.
Les Archives de la parole (1911‑1924)
- 5 Ferdinand Brunot devient Maître de conférences à la Sorbonne en 1891 et occupe, entre 1900 et 1934, (...)
- 6 Sur ce point, cf. notamment Pascal Cordereix, Les Fondements épistémologiques des Archives de la pa (...)
- 7 Pascal Cordereix, « Ferdinand Brunot et les Archives de la parole. Le phonographe, la mort, la mémo (...)
- 8 Inauguration des Archives de la parole : 3 juin 1911, sous la présidence de M. Th. Steeg, Paris, Al (...)
- 9 Médecin, histologiste et mycologue, Léon Azoulay est membre de la Société d’anthropologie de Paris. (...)
- 10 Voir Léon Azoulay, « Liste des phonogrammes composant le Musée phonographique de la Société d’anthr (...)
- 11 Alfred Ponge, Musée de la parole et du geste, Paris, L. Micheau et Gibon, 1911.
- 12 Émile Massard, « Proposition pour la création d’un Musée de la parole et du geste », Le Bulletin mu (...)
- 13 Émile Pathé fonde avec son frère Charles la société Pathé Frères en 1896, s’occupant de la branche (...)
4C’est le 3 juin 1911 que Ferdinand Brunot (1860-1938), linguiste et professeur d’histoire de la langue française à la Faculté des Lettres de Paris, inaugure à la Sorbonne les Archives de la parole5. Ces archives – qui se saisissent du phonographe pour enregistrer, étudier et conserver des témoignages sonores de la langue parlée – ont pour modèle évident et revendiqué le Phonogrammarchiv de Vienne, fondé en 1889, la première institution au monde dévolue à l’enregistrement et à la conservation d’archives sonores. Deux autres influences sont également importantes : la philologie romane et la phonétique expérimentale, dont le projet témoigne d’une attention nouvelle à la langue parlée6. Comme le signale Pascal Cordereix, les Archives de la parole constituent « la première pierre d’un Institut de phonétique souhaité par l’université de Paris »7 – établissement qui ne sera doté de statuts qu’en 1927, mais dont les origines remontent à la première décennie du XXe siècle. Le fascicule reproduisant le discours d’inauguration de Brunot souligne que « l’idée d’un Musée de la parole, mise en avant par diverses personnes, avait trouvé faveur auprès du public »8. Effectivement, le concept est dans l’air du temps. Déjà en 1900, lors de l’Exposition universelle de Paris, Léon Azoulay (1862-1926)9 avait réalisé, pour le compte de la Société d’anthropologie, une série d’enregistrements sur cylindre destinés au « musée phonographique de la Société »10. Pour sa part, le professeur d’anglais Alfred Ponge projette, depuis 1904, la création d’un « musée de la parole », en réalisant des enregistrements en 1907 (perdus) et en publiant, en 1911, un petit fascicule intitulé Le Musée de la parole à l’intention du journaliste et conseiller municipal Émile Massard (1857-1932)11. Massard proposera ainsi, en avril de la même année, la création d’un « Musée de la parole et du geste »12. C’est aussi dans ces termes qu’Émile Pathé (1860-1937) se réfère au projet que Brunot dirigera et qui n’aurait pas pu se réaliser sans le soutien indéfectible de ce mécène13. Dans une lettre adressée au Recteur de l’université de Paris et datée du 18 février 1911, Pathé précise :
- 14 Lettre d’Émile Pathé au recteur, datée du 18 février 1911, reproduite dans le procès-verbal du cons (...)
Je vous offre, M. le Recteur, sans réserves et sans restrictions d’aucune sorte, mon concours absolument désintéressé. J’installerai à mes frais, dans l’endroit que vous me désignerez, un laboratoire complet avec la machine à enregistrer et tous les accessoires qu’elle comporte. Je fournirai en nombre illimité tous les phonogrammes vierges nécessaires à l’enregistrement. Le personnel éprouvé qui vous sera présenté et que j’attacherai au Musée de la parole sera rétribué par moi. Un de nos directeurs, en rapport constant avec votre secrétariat, fera le nécessaire auprès de toutes les personnalités visées.
Je vous garantis au moins pour dix années l’exécution fidèle des charges qui m’incuberont [sic], si vous décidez M. le Recteur, la création de ce Musée, en envisageant également qu’il pourra en outre comprendre – et sans inconvénient – les différents organismes afférents à chaque branche d’études sur : les collections ethnographiques ; l’enseignement des langues ; la correction des vices de la parole, etc.
Le Musée de la parole comportera autant de laboratoires qu’il sera nécessaire, et qui seront installés à mes frais, au fur et à mesure que vous en aurez décidé la création, et qui seront ouverts à tous les professeurs, aux étudiants, s’il y a lieu au public même. C’est vous, M. le Recteur, qui déciderez14.
- 15 Le don initial comprend notamment 342 disques dits « à saphir », russes et caucasiens, enregistrés (...)
5Émile Pathé honore ses promesses, faisant, par ailleurs, un don initial de près de mille disques du catalogue commercial Pathé aux Archives de la parole, les donations de ce type se poursuivant jusque dans les années 193015.
- 16 Si le conflit ne met pas un terme définitif au projet, il vient néanmoins l’interrompre. Ferdinand (...)
- 17 Jules Gilliéron, Atlas linguistique de la France, Paris, H. Champion, 1902‑1915.
6Malgré l’importance de ces documents préenregistrés, la spécificité des Archives de la parole est de réaliser, entre novembre 1911 et mai 1914, près de six cents enregistrements originaux16. La moitié de ceux-ci se déroulent au sein de la Sorbonne, dans les locaux des Archives ; ils concernent à la fois des « locuteurs » célèbres (Guillaume Apollinaire, Alfred Dreyfus, Maurice Barrès, Émile Durkheim, etc.) ou inconnus, français ou étrangers, chaque phonogramme étant décrit sur une notice papier. Le classement proposé par celle-ci s’inspire du modèle viennois et préconise une classification en fonction de sections désignées par des lettres de l’alphabet : I – Interprètes (comprenant des enregistrements de diction et de prononciation correcte du français) ; O – Orateurs (comprenant des enregistrements de contemporains célèbres lisant des discours, récitant des poèmes, etc.) ; D – Dialectes et patois de France ; L – Langues étrangères ; M – Maladies de la parole (enregistrements autour de pathologies du langage et de l’audition). Brunot œuvre à la documentation des patois et dialectes de France, réalisant entre 1912 et 1913 trois missions de collectes sonores dans les Ardennes (juin-juillet 1912), le Berry (juin 1913) et le Limousin (août 1913). Le but de ces enquêtes est de constituer un atlas linguistique phonographique de la langue sur le modèle de l’atlas linguistique de la France réalisé par le dialectologue suisse Jules Gilliéron (1854-1926) avec le concours de son enquêteur, le linguiste français Edmond Edmont (1849-1926) et publié en France entre 1902 et 191517.
7Ce projet d’atlas semble être consubstantiel aux Archives ou Musée de la parole (ce flou sémantique caractérisant les écrits sur la fondation de l’institution), comme l’atteste le discours inaugural de Brunot :
- 18 Ferdinand Brunot, « Discours d’inauguration », dans Inauguration des Archives de la parole, op. cit (...)
Il me semble même qu’une des besognes les plus urgentes sera d’aller d’abord vers ce qui va se perdre. Nous avons tout autour de nous de grands vieillards qui se meurent, ce sont nos patois […]. Tout le monde a observé la difficulté que l’on éprouve à lire un texte imprimé en dialecte, même quand on sait ce dialecte, l’impossibilité où on en est, si on ne le sait pas. Le document parlé animera et éclairera ce que l’écriture a pu fixer : le véritable « Atlas linguistique » des parlers de France doit se faire, celui de l’Allemagne est déjà commencé par les soins des Académies18.
8Trois éléments sont intéressants dans ce court passage. Tout d’abord, la question de l’urgence, symptomatique d’un mode de rapport au temps, ou d’un régime d’historicité particulier, où l’accélération du présent et la croyance moderne dans le progrès imposent comme priorité aux scientifiques et aux savants de l’époque de décrire l’état de sociétés – paysannes ou autres – sur le point de disparaître face à l’expansion que l’on croit inexorable de la civilisation dite occidentale. Il s’agit d’un topos bien connu, indissociable à la fois de l’héritage des Lumières et de la Révolution française, qui contribue à transformer la notion de progrès en « loi naturelle » de l’histoire, ce dernier devenant le seul horizon temporel. Comme on le verra par la suite, l’urgence de garder des traces de ce qui est voué à disparaître est aussi fondamentale pour comprendre le projet des Archives de la planète.
- 19 Précisons que les missions sur le terrain préparent la réalisation de cet atlas. Ces missions seron (...)
- 20 Bertrand Müller, « De l’archive au document. Remarques sur l’évolution des régimes documentaires en (...)
- 21 Séance du 27 mars 1911, Conseil de l’université de Paris, Archives nationales (AJ/16/2589).
9Ensuite, l’évocation de la forme de l’atlas est, elle aussi, signifiante. À cet égard, Brunot est clair : les Archives de la parole sont pour lui le support matériel d’un atlas à venir. L’atlas s’impose ainsi comme une pratique documentaire « de seconde main », constituant une forme de gestion d’un savoir visuel – ou sonore – accumulé auparavant19. En ce sens, l’atlas est l’horizon épistémique de l’archive. Le « véritable atlas linguistique de France » auquel pense Brunot offrirait à son auditeur un parcours raisonné à travers un nombre limité mais significatif de documents, là où les Archives de la parole ne peuvent qu’inviter le savant à se perdre dans l’infinitude potentielle des matériaux accumulés – d’où la nécessité de les indexer sur des fiches, symptomatiques d’un basculement progressif d’un « régime archivistique » vers ce que Bertrand Müller appelle un « régime de la documentation »20. Pourtant, le partage net entre les notions d’« atlas » et d’« archives » ne fait sens qu’a posteriori, comme l’atteste le vocabulaire flottant de l’époque. Brunot lui-même parle indifféremment d’« Atlas de la parole », de « Musée de la parole » et d’« Archives de la parole », la désignation « Archives » n’étant fixée qu’au moment de l’inauguration et parce qu’« un Professeur du lycée Condorcet, M. Ponge, a eu le premier l’idée d’un Musée de la parole, et peut revendiquer la propriété de cette appellation21 ». Le flottement sémantique caractérisant ces premières années du XXe siècle est un phénomène significatif, dont il faudrait prendre la juste mesure ; au lieu d’être face à une période caractérisée par une quelconque « fièvre de l’archive », nous sommes devant un moment de transition où les archives coexistent avec d’autres formes de compilation, organisation et exposition du savoir (bibliothèque, musée, encyclopédie). D’ailleurs, les Archives de la parole deviennent, en 1928, Musée de la parole et du geste. Cette transformation est liée à l’institutionnalisation de cet organisme : d’un côté, un Institut de phonétique est finalement créé et doté de statuts en 1927 ; de l’autre côté, une convention signée entre l’université de Paris et la Ville de Paris en 1928 stipule la création d’un Musée de la parole et du geste rattaché à l’Institut de phonétique et incorporant les Archives de la parole. Ce Musée se situe rue des Bernardins et il comporte effectivement une salle d’exposition présentant au public des instruments d’enregistrement et de lecture du son.
- 22 Sur ces systèmes, voir notamment le chapitre intitulé « Quand la physiologie du mouvement rencontre (...)
- 23 Ferdinand Brunot, « Discours d’inauguration », dans Inauguration des Archives de la parole, op. cit (...)
- 24 Ibidem.
- 25 Ibid., p. 16.
- 26 Voir supra, note 17.
10Enfin, un troisième élément important concerne la référence de Brunot aux techniques d’enregistrement, ces « moyens nouveaux » qui permettent à son atlas à venir d’accéder à une nouvelle économie descriptive. Celle-ci propose, un peu à la manière de la photographie dans le domaine des techniques de visualisation, de reproduire avec ce que l’on considère alors une fidélité inimitable les détails qui échappaient encore à d’autres systèmes de transcription phonétique22. Toujours dans son discours, Brunot fait allusion aux premières tentatives de la phonétique expérimentale (fortement inspirées des travaux de Marey) de transcrire graphiquement la parole, regrettant « les graves défauts » de ces tracés et leur « fidélité discutable »23. Il place ses espoirs dans un appareil mis au point par Théodore Rosset (1877-1961) de l’université de Grenoble produisant « de magnifiques photographies », « toutes prêtes maintenant pour l’analyse la plus rigoureuse »24. Grâce à ces « moyens nouveaux », il va non seulement « devenir possible d’enfoncer plus avant dans la connaissance d’un mystère au seuil duquel la science s’était tenue arrêtée jusqu’ici25 », mais surtout de s’ouvrir à une profusion jusqu’alors inconnue de masse documentaire. Facilité par les techniques de reproduction mécanique, ce foisonnement de documents contribue sans doute et à terme à instituer des frontières plus claires entre l’archive, ouverte à l’infinitude de documents, et le modèle de l’atlas, configuration sélective et expositive de documents plus proche du modèle muséal. Attestant l’impact des « moyens nouveaux », le Musée de la parole et du geste se transforme, en 1938, en Phonothèque nationale française, l’une de ses attributions étant de recevoir le dépôt légal. Le passage, entre 1911 et 1938, d’Archives à Phonothèque traduit ainsi le basculement dans un « régime de la documentation »26.
Les Archives de la planète (1912‑1931)
- 27 Lettre d’Albert Kahn au recteur de l’Académie de Paris, Louis Liard, 10 juin 1898, Archives nationa (...)
- 28 Albert Kahn cité par Emmanuel de Margerie, lettre à Jean Brunhes, 26 janvier 1912, archives Jean Br (...)
- 29 L’expression surgit dans une lettre de Kahn à Brunhes (1912) : « Les études sur place me paraissent (...)
- 30 Louis Liard, « Les bienfaiteurs de l’université de Paris », La Revue de Paris, tome 2, mars-avril 1 (...)
- 31 Signalons que lors de leur voyage autour du monde, Albert Kahn et Alfred Dutertre, son chauffeur de (...)
11C’est en 1912, un an seulement après l’inauguration des Archives de la parole, que le financier et philanthrope français Albert Kahn (1860-1940) décide de créer officiellement les Archives de la planète. À cette époque, il finance déjà les bourses « Autour du monde » – qui permettent à une poignée d’élus, souvent de jeunes agrégés, de réaliser un long voyage afin d’« entrer en communication sympathique avec les idées, les sentiments, la vie enfin des peuples27 » –, ainsi que la société du même nom (un cercle de réflexion privé, dont les activités ne cessent qu’après la ruine et la mort de Kahn, en 1949). Kahn souhaite témoigner, sur le plan politique et moral, d’un monde à la merci des changements rapides, brutaux et irréversibles entraînés par la modernisation : on a ainsi souvent cité ses propos (rapportés par le géologue Emmanuel de Margerie au géographe Jean Brunhes) de vouloir utiliser « la photographie stéréoscopique, les projections [d’autochromes], le cinématographe surtout », « afin de fixer une fois pour toutes des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps »28. Ces propos attestent un rapport au temps marqué par la conscience d’une accélération sans précédent de l’histoire, et où la confiance dans le progrès s’associe à la mission de garder des traces d’un passé voué à une disparition certaine, tâche facilitée par les inventions de la photographie (notamment en relief et en couleurs, fig. 1) et le cinéma. Nous retrouvons ici le même topos de l’urgence qui s’inscrivait au cœur des Archives de la parole, lié cette fois, et en amont, à l’idée d’unité de la planète. Ce qui ressort du projet de Kahn, c’est effectivement son ambition de décrire « notre petite planète29 » ; le projet humaniste du financier est, d’ailleurs, marqué par ce regard embrassant qui le pousse, selon les mots de l’un de ses contemporains, à voir « toutes choses sous l’angle le plus large, en fonction, non pas de tel ou tel coin déterminé de la planète, mais de la planète entière30 ». Récemment uniformisée par la standardisation du temps et de l’espace (pensons, notamment, à l’introduction du système de fuseaux horaires, à la Convention du Mètre de 1875 et, globalement, aux effets aujourd’hui bien connus du développement des réseaux ferroviaire et télégraphique), cette dernière est devenue plus petite, plus facilement parcourable et accessible. En somme, plus facilement archivable, par le biais d’une documentation visuelle importante (mais, finalement, maîtrisable) : 3000 photographies stéréoscopiques, 72 000 autochromes, plus de cent heures de films31 (fig. 2).
1. Georges Chevalier, « Jean Brunhes dans l’herbe près de la grotte de Fond-de-Gaume », Dordogne, 1916
Autochrome, 120 x 90 mm. Boulogne-Billancourt, musée départemental Albert-Kahn, collection Archives de la planète (A 71949).
2. Auguste Léon, « Un paysan assis : le bonnet avec les initiales (Kapa) », Monténégro, Cettigné, 23 octobre 1913
Autochrome, 90 x 120 mm. Boulogne-Billancourt, musée départemental Albert-Kahn, collection Archives de la planète (A 2931). Jean Brunhes est visible à droite de l’image, suggérant à Léon comment cadrer l’image.
- 32 Voir lettre manuscrite de Buisson à Brunhes, 24 février 1912 et lettre manuscrite de Buisson à Brun (...)
- 33 Lettre manuscrite de Jean Brunhes à Albert Kahn, 11 janvier 1913, archives Jean Brunhes.
- 34 Rappelons que Jean Brunhes (1869-1939) est le grand promoteur en France de la géographie humaine. É (...)
12Au-delà d’un rapport similaire au temps, la collection financée par Albert Kahn partage avec les Archives de la parole quelques éléments importants. Tout d’abord, il est certain que Kahn connaissait le projet porté par l’université de Paris, dont il était l’un des mécènes les plus investis. Lors de la composition du comité scientifique qui doit accompagner la mise en place des Archives de la planète, il suggère à Brunhes le nom de Brunot, lui remettant des documents sur les Archives de la parole32. Si, pour des raisons que nous ne connaissons pas, Brunot n’y siégera finalement pas, Brunhes assiste (ou compte assister) à une conférence du linguiste célébrant la première année d’activité de la collection33. Par ailleurs, et bien qu’assumant des formes très différentes, Archives de la parole et Archives de la planète reposent toutes les deux sur une alliance entre mécénat privé et enseignement public : pour le cas des Archives de la parole, Émile Pathé finance la création et la manutention d’une nouvelle institution de recherche de l’université de Paris ; pour ce qui est des Archives de la planète, le recrutement de Brunhes comme directeur scientifique a pour contrepartie la création et le financement d’une chaire de géographie humaine au Collège de France34. Enfin, Jean Brunhes considère, dans un premier temps, une collaboration avec Gaumont, l’un des concurrents de Pathé ; s’il rencontrera à ce propos Charles Gaumont, cette association se résumera à l’achat de quelques appareils.
- 35 À propos de ce flou sémantique, deux exemples : le médecin et boursier Franz Krusius décrit les Arc (...)
13Contrairement aux Archives de la parole – et au moins en ce qui concerne Albert Kahn –, il n’y a jamais eu de doute concernant l’appellation de la collection. Malgré le flou sémantique qui caractérise les formulations de ses interlocuteurs, Brunhes y compris, Kahn ne semble pas hésiter : son projet est bien un projet d’archives (et non un « simple » centre de documentation comme celui qu’il financera dès 1920 à l’École normale supérieure, réunissant des archives papier et des publications imprimées sur le monde contemporain)35. Si, à terme, la collection des Archives de la planète deviendra le fonds du musée Albert Kahn, s’apparentant, pendant une longue période intermédiaire, à une sorte d’iconothèque, la notion d’atlas semble très éloignée de son histoire.
14Néanmoins, un atlas imprimé a sans doute été important dans la genèse du projet de Kahn. En effet, au moment où Margerie recommande Brunhes auprès du banquier, il lui fait parvenir un spécimen de l’Atlas photographique des formes du relief terrestre. Cet atlas – dont un fascicule spécimen paraît en 1912 et qui consiste en une collection de planches de grand format, imprimées en phototypie sur papier fort et accompagnées de textes scientifiques en français, allemand et anglais (fig. 3 et 4) – a, selon Margerie lui-même, « beaucoup frappé » Albert Kahn. Il s’agit d’un projet éditorial collectif auquel participent Jean Brunhes et Margerie, et dont la publication est différée à cause de la guerre. Un autre éminent géographe français, Emmanuel de Martonne, décrira ainsi ce projet d’ouvrage :
- 36 Emmanuel de Martonne, « Atlas des formes du relief terrestre », Annales de géographie, vol. 21, nº (...)
Le but proposé était de créer, pour la géographie physique, un instrument de travail comparable aux grandes collections qui ont fixé, pour diverses sciences naturelles et descriptives, les types et la nomenclature. […] une fois terminé, [l’ouvrage] offrira un ensemble de documents d’une tenue scientifique et d’une homogénéité jusqu’à présent assez rares. L’utilisation de ces documents sera tout indiquée, non seulement comme instrument de travail scientifique, mais comme auxiliaire du professeur, permettant d’initier les jeunes observateurs à l’analyse et de leur faire comprendre la raison d’être des formes36.
3. Anonyme, « Sierra Nevada », s. d.
Phototypie, planche 2 de l’Atlas photographique des formes du relief terrestre, série 1, livraison 1, Genève/Paris, F. Boissonnas, 1914. Genève, Bibliothèque de Genève.
4. Anonyme, « Massif du Mont Blanc », s. d.
Phototypie, planche 5 de l’Atlas photographique des formes du relief terrestre, série 1, livraison 1, Genève/Paris, F. Boissonnas, 1914. Genève, Bibliothèque de Genève.
- 37 Sur la collection des Archives de la planète comme atlas multimédia du monde, voir Teresa Castro, L (...)
15En évoquant un « instrument de travail comparable aux grandes collections qui ont fixé, pour diverses sciences naturelles et descriptives, les types et la nomenclature », De Martonne fait référence à la tradition des atlas scientifiques. On est en droit de supposer que le projet de Kahn se veut une actualisation médiatique de cet atlas, orienté désormais, non pas sur la géographie physique, mais sur la géographie humaine que pratique Brunhes et qui séduit autant Kahn. En effet, la notion d’atlas – plus que celle d’encyclopédie visuelle – s’avère pertinente pour penser certains aspects des Archives de la planète, qui constituent somme toute un inventaire séquencé (découpé en une suite ordonnée d’éléments plus ou moins complexes, allant de l’autochrome et du plan filmique à des films montés) de la surface habitée de la terre, assumant le rôle de mémoire photographique et cinématographique du monde et fixant de façon monumentale l’état de la planète au début du XXe siècle. Comme pour les atlas scientifiques, le public des films et des autochromes des Archives de la planète est perçu à l’origine comme un public cultivé, dont il faut « former le regard » : il inclut les invités de Kahn, qui assistent à la projection de ces images dans le cadre des réunions du cercle « Autour du monde », ainsi que les étudiants de Jean Brunhes au Collège de France37.
- 38 Jean Brunhes, Races, Paris, Firmin Didot, 1931.
- 39 Michel Leiris, « Compte-rendu de Races de Jean Brunhes », Documents, nº 6, 1930, p. 375‑376 (rééd., (...)
16Il est important de souligner que les visions de Kahn et de Brunhes sur la collection ne concordent pas nécessairement sur tous les points. Si Kahn semble penser les images réunies par les Archives comme un legs pour le futur, Jean Brunhes, pour sa part, témoigne d’un rapport plus pragmatique, ancré dans le présent et dans le concret de ses activités scientifiques quotidiennes. Dans ce contexte, les documents qui appartiennent aux Archives de la planète coexistent et/ou nourrissent des atlas scientifiques auxquels il participe. Si l’Atlas photographique des formes du relief terrestre renvoie aux origines du projet, un ouvrage daté de 1930, réalisé par Brunhes à la fin de sa vie, s’avère, à cet égard, pertinent. Il s’agit du livre Races (1930) – un atlas de vulgarisation illustré par un matériel photographique extrêmement hétérogène, combinant des clichés du XIXe siècle avec des photographies de tournage de films hollywoodiens et quelques rares images issues des Archives de la planète (mais non créditées comme telles) (fig. 5 et 6)38. Cet ouvrage souvent oublié de Jean Brunhes (et qui fait l’objet d’une recension critique très positive de Michel Leiris dans la revue Documents) est extrêmement intéressant, entre autres parce qu’il pose le problème des rapports entre la géographie humaine et l’ethnographie39. Si les Archives de la planète n’y sont jamais mentionnées par Brunhes, l’expérience du géographe auprès d’Albert Kahn semble avoir formé sa pensée, ce livre constituant une forme de « totalisation contrôlée » (96 images choisies et reproduites) face à la prolifération et à la surabondance de documents produits pour et par les Archives de la planète. Brunhes s’interroge, dans l’introduction du livre, sur la formule « images du monde », qui donne titre à la collection de Firmin Didot :
- 40 Jean Brunhes, Races, op. cit., n. p.
Images du Monde ? Mais oui : Images, et non pas traité. Figures, perspectives, gestes qui doivent stimuler la curiosité sans avoir l’audace d’imposer de définitives vérités.
[…] Simples échantillons choisis aux quatre coins du monde…, mais échantillons d’individus saisis dans le rythme de leur activité quotidienne, dans leur « genre de vie » traditionnel, dans leurs cérémonies religieuses et rituelles… On trouvera aussi parmi ces images, des types, c’est-à-dire des portraits, symboles expressifs de toute une « race », mais on y verra par-dessus tout des groupes figurant des attitudes sociales.
Ce modeste ouvrage doit être un tableau – trop bref certes mais expressif – des faces, formes et manifestations de l’être humain […]40.
5. Anonyme, « Couple d’Australiens »
Planche 1 tirée de Jean Brunhes, Races, Paris, Firmin-Didot, 1930.
6. Anonyme, photographie des Accords de Locarno, « Dolichocéphales et brachycéphales de race blanche », 1925
Planche 96 tirée de Jean Brunhes, Races, Paris, Firmin-Didot, 1930.
17Si nous ne pouvons que spéculer sur l’absence de référence aux Archives de la planète, les propos de Brunhes résonnent étrangement avec le projet financé par Kahn – qui s’arrêtera brutalement en 1931, suite à la faillite du banquier. En amont, l’ouvrage semble suggérer que pour Brunhes la vocation des archives (entendues ici dans un sens élargi) est celle de nourrir la mise en place d’un atlas raisonné.
Conclusion : et l’exposition et le musée ?
- 41 Sur la campagne des Archives de la parole, voir Pascal Cordereix, « Les enregistrements du Musée de (...)
18En guise de conclusion ouverte et problématique, j’aimerais évoquer un événement qui réunit les Archives de la parole et les Archives de la planète, introduisant la problématique de l’exposition et la question du musée – terme lui aussi important dans cette histoire complexe et qui mériterait d’être analysé ailleurs en détail. Il s’agit de l’Exposition coloniale qui se déroule à Paris en 1931 et que le Musée de la parole et du geste et les Archives de la planète investissent de façon étonnamment complémentaire41 (fig. 7).
7. Roger Dumas, « L’Exposition coloniale, village et groupe de Canaques », Paris, Bois de Vincennes, octobre 1931
Autochrome, 90 x 120 mm. Boulogne-Billancourt, musée départemental Albert-Kahn, collection Archives de la planète (A 66314).
- 42 Benoît de l’Estoile, Le Goût des Autres. De l’Exposition coloniale aux arts premiers, Paris, Flamma (...)
- 43 Citons, par exemple, l’organisation de l’exposition d’histoire naturelle mise en scène par Robert G (...)
- 44 Voir Christian Jacob, L’Empire des cartes. Approche théorique de la cartographie à travers l’histoi (...)
- 45 Jacques Soustelle (1912-1990), anthropologue spécialiste des civilisations précolombiennes, devient (...)
- 46 Jacques Soustelle, cité dans Benoît de l’Estoile, Le Goût des Autres, op. cit., p. 258.
19Au lieu de revenir sur les documents produits par les deux institutions lors de cet événement, j’aimerais insister sur la façon dont l’exposition semble reconduire la logique de l’atlas – en particulier de l’atlas géographique –, dans la mesure où elle constitue une mise en scène et une mise en ordre du monde colonial, tant par son organisation spatiale et sa répartition en sections que par les catégories de la perception qu’elle s’efforce de mettre en place, « obéissant à une logique essentiellement géographique42 ». Il s’agit, à vrai dire, d’une tradition remontant au XIXe siècle43 et qui consiste, en partie, à concevoir ces expositions comme des « invitations au voyage ». À cet égard, les mots d’ordre reproduits par affiches et slogans autour de l’Exposition coloniale sont très clairs, proclamant « Vous êtes invités à venir faire le tour du monde en un jour ». Or, la forme qui historiquement a incarné la mise en images du monde (ou, au moins, d’une partie du monde) selon une logique de progression géographique est bien la forme de l’atlas44. Et c’est justement l’atlas qui, dès ses origines, se revendique comme un substitut au voyage, proposant en alternative au déplacement physique un voyage de l’esprit et du regard. Penser donc l’atlas comme exposition, ou l’exposition comme un atlas tridimensionnel : telle est la possibilité offerte par l’Exposition coloniale – et qui sera reprise en 1938 par le musée de l’Homme. Louant la clarté pédagogique du musée de l’Homme, avec ses « vastes cartes en reliefs, plans et cartes aux couleurs soigneusement étudiées, graphiques, panneaux de photographies et de textes, objets enfin », l’anthropologue Jacques Soustelle45 le comparait à un « grand livre concret46 ». Or, ce livre est moins une encyclopédie qu’un atlas, le modèle de l’exposition muséale semblant partager avec ce dernier plusieurs enjeux importants qu’il faudrait explorer en détail. En tout cas, ce qui semble certain, c’est que l’histoire des collections visuelles et sonores créées au début du XXe siècle est, sans doute, moins linéaire que soupçonné, attestant une métamorphose complexe des formes d’organisation visuelle de la connaissance.
Notes
1 Lorraine Daston, Peter Galison, Objectivité, Sophie Renaut et Hélène Quiniou (trad.), Dijon, Presses du Réel, 2012 [2007].
2 « Archives », dans Pierre Larousse (dir.), Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, vol. 1, p. 865. On remarque d’ailleurs, à propos de l’Atlas historique, généalogique, chronologique et géographique de A. Le Sage (1801-1853), que les 38 tableaux qui composent l’ouvrage « sont disposés d’une manière très habile. Le jugement saisit et la mémoire retient sans effort » (p. 866).
3 Ibidem.
4 La notion de « régime d’historicité » renvoie au travail de François Hartog qui, dans un ouvrage homonyme, le définit comme « un outil heuristique, aidant à mieux appréhender, non le temps, tous les temps, ou le tout du temps, mais principalement des modèles de crises du temps », voir François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003, p. 38.
5 Ferdinand Brunot devient Maître de conférences à la Sorbonne en 1891 et occupe, entre 1900 et 1934, la première chaire d’Histoire de la langue française. Il est l’auteur d’une importante Histoire de la langue française, publiée en 9 volumes entre 1905 et 1937. Il s’intéresse, par ailleurs, au domaine de la phonétique expérimentale, pour laquelle les nouveaux appareils mécaniques d’enregistrement sont essentiels.
6 Sur ce point, cf. notamment Pascal Cordereix, Les Fondements épistémologiques des Archives de la parole de Ferdinand Brunot, Paris, Mémoire de DEA, EHESS, 1997.
7 Pascal Cordereix, « Ferdinand Brunot et les Archives de la parole. Le phonographe, la mort, la mémoire », Revue de la BnF, vol. 3, nº 48, 2014, p. 5.
8 Inauguration des Archives de la parole : 3 juin 1911, sous la présidence de M. Th. Steeg, Paris, Albert Manier, 1911, p. 3.
9 Médecin, histologiste et mycologue, Léon Azoulay est membre de la Société d’anthropologie de Paris. Il propose, le 3 mai 1900, la création en France « d’archives » et de « musées phonographiques », étant chargé par la Société d’anthropologie de fonder le musée phonographique de cette institution. C’est dans ce contexte qu’il procède à des enregistrements lors de l’Exposition universelle de 1900. Après 1903, les références à son nom disparaissent du Bulletin de la Société.
10 Voir Léon Azoulay, « Liste des phonogrammes composant le Musée phonographique de la Société d’anthropologie », Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, no 3, 1902, p. 652‑666. Azoulay déplore « que le nombre de phonogrammes ne s’est pas accru depuis la campagne de 1900. La chose est fort regrettable car, de plusieurs côtés, des collections phonographiques, semblables à la nôtre, sont en train de se former […] » (p. 653).
11 Alfred Ponge, Musée de la parole et du geste, Paris, L. Micheau et Gibon, 1911.
12 Émile Massard, « Proposition pour la création d’un Musée de la parole et du geste », Le Bulletin municipal de la Ville de Paris, 12 avril 1991. Pour un aperçu des projets de création d’archives cinématographiques à Paris au début du siècle, voir Béatrice de Pastre, « Créer des archives cinématographiques à Paris. L’oubli du père ou les héritiers parisiens de Boleslas Matuszewski », dans Magdalena Mazaraki (dir.), Boleslas Matuszewski. Écrits cinématographiques, Paris, AFRHC, 2006, p. 67‑85.
13 Émile Pathé fonde avec son frère Charles la société Pathé Frères en 1896, s’occupant de la branche phonographique de la compagnie. Pathé devient rapidement le leader du marché des phonographes en France, cumulant les inventions successives, comme celle du Pathégraphe, commercialisé en 1913, destiné à l’apprentissage des langues.
14 Lettre d’Émile Pathé au recteur, datée du 18 février 1911, reproduite dans le procès-verbal du conseil de l’université de Paris, séance du 28 février 1911, Archives nationales (AJ/16/2589).
15 Le don initial comprend notamment 342 disques dits « à saphir », russes et caucasiens, enregistrés avant 1910 et obtenus par le biais de la succursale moscovite de Pathé. Ils sont aujourd’hui conservés – comme tout le fonds issu des Archives de la parole – au département de l’audiovisuel de la Bibliothèque nationale de France.
16 Si le conflit ne met pas un terme définitif au projet, il vient néanmoins l’interrompre. Ferdinand Brunot est très engagé dans l’effort de guerre, en sa qualité de maire du 14e arrondissement de Paris, qu’il administre entre 1910 et 1919. Il demeure directeur des Archives de la parole jusqu’en juillet 1920, moment où il est remplacé par le phonéticien Jean Poirot (1873-1924), qui continuera les campagnes d’enregistrements dans les locaux des Archives.
17 Jules Gilliéron, Atlas linguistique de la France, Paris, H. Champion, 1902‑1915.
18 Ferdinand Brunot, « Discours d’inauguration », dans Inauguration des Archives de la parole, op. cit., p. 13 (l’auteure souligne).
19 Précisons que les missions sur le terrain préparent la réalisation de cet atlas. Ces missions seront poursuivies dans les années 1930 et 1940, aboutissant à ce que Roger Dévigne (qui dirige le Musée de la parole et du geste à partir de 1932) appelle « l’Atlas sonore de la France ». De façon elle aussi symptomatique, Dévigne hésite, dans les années 1930, entre la désignation « atlas sonore » et « encyclopédie sonore », finissant par publier un Atlas sonore. Voir Roger Dévigne, Le Musée de la parole et du geste. Les collections, le laboratoire, la phonothèque, Paris, Musée de la parole, 1935.
20 Bertrand Müller, « De l’archive au document. Remarques sur l’évolution des régimes documentaires entre le XIXe et le XXIe siècle », Territoires contemporains, 12 janvier 2011. En ligne : <tristan.u-bourgogne.fr>.
21 Séance du 27 mars 1911, Conseil de l’université de Paris, Archives nationales (AJ/16/2589).
22 Sur ces systèmes, voir notamment le chapitre intitulé « Quand la physiologie du mouvement rencontre la phonétique » dans Giusy Pisano, Une archéologie du cinéma sonore, Paris, CNRS, 2004, p. 121‑134.
23 Ferdinand Brunot, « Discours d’inauguration », dans Inauguration des Archives de la parole, op. cit., p. 15.
24 Ibidem.
25 Ibid., p. 16.
26 Voir supra, note 17.
27 Lettre d’Albert Kahn au recteur de l’Académie de Paris, Louis Liard, 10 juin 1898, Archives nationales (16 Aj 7020).
28 Albert Kahn cité par Emmanuel de Margerie, lettre à Jean Brunhes, 26 janvier 1912, archives Jean Brunhes.
29 L’expression surgit dans une lettre de Kahn à Brunhes (1912) : « Les études sur place me paraissent être le seul moyen de faire de la vraie géographie. Elles prendront toute leur valeur et produiront leur plein effet où ainsi toute notre petite planète vous sera devenue familière ».
30 Louis Liard, « Les bienfaiteurs de l’université de Paris », La Revue de Paris, tome 2, mars-avril 1913, p. 329.
31 Signalons que lors de leur voyage autour du monde, Albert Kahn et Alfred Dutertre, son chauffeur devenu opérateur, se procurent aussi des cylindres pour procéder à des enregistrements sonores. Mais le matériel ne fonctionne pas correctement et le projet d’enregistrer des voix est alors abandonné.
32 Voir lettre manuscrite de Buisson à Brunhes, 24 février 1912 et lettre manuscrite de Buisson à Brunhes, 10 janvier 1913, archives Jean Brunhes.
33 Lettre manuscrite de Jean Brunhes à Albert Kahn, 11 janvier 1913, archives Jean Brunhes.
34 Rappelons que Jean Brunhes (1869-1939) est le grand promoteur en France de la géographie humaine. Élève de Paul Vidal de La Blache, il subit l’influence du géographe allemand Friedrich Ratzel. En amont, Brunhes s’avère un géographe très sensible à l’utilisation de la photographie, n’hésitant pas à s’en servir autant dans sa pratique de terrain que dans le but de mieux illustrer ses œuvres.
35 À propos de ce flou sémantique, deux exemples : le médecin et boursier Franz Krusius décrit les Archives de la planète comme une « grande biblio-photothèque de documents humains » (lettre manuscrite de Franz Krusius à Albert Kahn, 25 avril 1912, archives Jean Brunhes), tandis que Jean Brunhes parle d’une « sorte de musée cinématographique », voir lettre manuscrite de Jean Brunhes à Stéphane Passet, copie à Albert Kahn, 8 mai 1912, archives Jean Brunhes.
36 Emmanuel de Martonne, « Atlas des formes du relief terrestre », Annales de géographie, vol. 21, nº 115, 1912, p. 70‑71.
37 Sur la collection des Archives de la planète comme atlas multimédia du monde, voir Teresa Castro, La Pensée cartographique des images, Lyon, Aléas, 2011.
38 Jean Brunhes, Races, Paris, Firmin Didot, 1931.
39 Michel Leiris, « Compte-rendu de Races de Jean Brunhes », Documents, nº 6, 1930, p. 375‑376 (rééd., Paris, Jean-Michel Place, 1991).
40 Jean Brunhes, Races, op. cit., n. p.
41 Sur la campagne des Archives de la parole, voir Pascal Cordereix, « Les enregistrements du Musée de la parole et du geste à l’Exposition coloniale. Entre science, propagande et commerce », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 4, nº 92, 2006, p. 47‑59.
42 Benoît de l’Estoile, Le Goût des Autres. De l’Exposition coloniale aux arts premiers, Paris, Flammarion, 2007, p. 47.
43 Citons, par exemple, l’organisation de l’exposition d’histoire naturelle mise en scène par Robert Gordon Latham et proposant une cartographie des races du monde : voir Sadiah Qureshi, « Robert Gordon Latham, Displayed Peoples and the Natural History of Race, 1854-1866 », Historical Journal, vol. 54, nº 1, mars 2011, p. 143‑166.
44 Voir Christian Jacob, L’Empire des cartes. Approche théorique de la cartographie à travers l’histoire, Paris, Albin Michel, 1992.
45 Jacques Soustelle (1912-1990), anthropologue spécialiste des civilisations précolombiennes, devient sous-directeur du musée de l’Homme en 1939.
46 Jacques Soustelle, cité dans Benoît de l’Estoile, Le Goût des Autres, op. cit., p. 258.
Haut de pageTable des illustrations
Titre | 1. Georges Chevalier, « Jean Brunhes dans l’herbe près de la grotte de Fond-de-Gaume », Dordogne, 1916 |
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Légende | Autochrome, 120 x 90 mm. Boulogne-Billancourt, musée départemental Albert-Kahn, collection Archives de la planète (A 71949). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/386/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,7M |
Titre | 2. Auguste Léon, « Un paysan assis : le bonnet avec les initiales (Kapa) », Monténégro, Cettigné, 23 octobre 1913 |
Légende | Autochrome, 90 x 120 mm. Boulogne-Billancourt, musée départemental Albert-Kahn, collection Archives de la planète (A 2931). Jean Brunhes est visible à droite de l’image, suggérant à Léon comment cadrer l’image. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/386/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 872k |
Titre | 3. Anonyme, « Sierra Nevada », s. d. |
Légende | Phototypie, planche 2 de l’Atlas photographique des formes du relief terrestre, série 1, livraison 1, Genève/Paris, F. Boissonnas, 1914. Genève, Bibliothèque de Genève. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/386/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 676k |
Titre | 4. Anonyme, « Massif du Mont Blanc », s. d. |
Légende | Phototypie, planche 5 de l’Atlas photographique des formes du relief terrestre, série 1, livraison 1, Genève/Paris, F. Boissonnas, 1914. Genève, Bibliothèque de Genève. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/386/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 689k |
Titre | 5. Anonyme, « Couple d’Australiens » |
Légende | Planche 1 tirée de Jean Brunhes, Races, Paris, Firmin-Didot, 1930. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/386/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 827k |
Titre | 6. Anonyme, photographie des Accords de Locarno, « Dolichocéphales et brachycéphales de race blanche », 1925 |
Légende | Planche 96 tirée de Jean Brunhes, Races, Paris, Firmin-Didot, 1930. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/386/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 795k |
Titre | 7. Roger Dumas, « L’Exposition coloniale, village et groupe de Canaques », Paris, Bois de Vincennes, octobre 1931 |
Légende | Autochrome, 90 x 120 mm. Boulogne-Billancourt, musée départemental Albert-Kahn, collection Archives de la planète (A 66314). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/386/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 855k |
Pour citer cet article
Référence papier
Teresa Castro, « Des « atlas » aux « archives » du monde. À propos des Archives de la parole (1911‑1924) et des Archives de la planète (1912‑1931) », Transbordeur, 1 | 2017, 74-85.
Référence électronique
Teresa Castro, « Des « atlas » aux « archives » du monde. À propos des Archives de la parole (1911‑1924) et des Archives de la planète (1912‑1931) », Transbordeur [En ligne], 1 | 2017, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/386 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12gwc
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