Le musée d’art comme lieu d’autorité pour l’archive photographique. Le cas italien au tournant du XXe siècle
Résumés
Comment les musées de photographies documentaires ont-ils été pensés en Italie ? Quels liens ont-ils entretenus avec les débats européens de la fin du XIXe siècle, ainsi qu’avec le mouvement photographique italien ? Comment ont-ils été influencés par un tout jeune État italien désireux d’administrer la mémoire du territoire local à travers l’archivage des images notamment ? Cet article cherche à montrer qu’en dépit de l’implication initiale du mouvement photographique italien, la réalisation de ces collections fut finalement prise en charge par les plus importants musées d’art d’Italie et que cette appropriation altéra leur vocation encyclopédique en faveur d’une documentation du patrimoine local. Les archives photographiques de Milan (1899), appelées ricetto, servirent de modèle pour les projets menés à Florence (1903) et à Bologne (1916), cela grâce à la réputation de leur fondateur, l’historien de l’art Corrado Ricci, qui conçut ces archives comme une réponse réaliste à l’impératif culturel de connaissance du patrimoine artistique.
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Mots-clés :
documentation, collection, photographie, histoire de l’art, musée, patrimoine, photo-club, ItaliePlan
Haut de pageNotes de la rédaction
Traduction de l’italien par Claire-Lise Debluë, Davide Nerini, et Estelle Sohier
Texte intégral
- 1 Alfred Liégard, « Le document et l’art », La fotografia artistica, vol. 2, nº 1, 1905, p. 9.
- 2 Elizabeth Edwards, « Between the Local, the National, and Transnational. Photographic Recording and (...)
- 3 « Pubblica raccolta fotografica », texte imprimé, 1899 (Pinacoteca di Brera, Archivio Antico, parti (...)
1L’Italie réagit tardivement à la première vague de débats sur les musées de photographies documentaires, initiée dans les années 1890 par le « mouvement documentaire1 ». Fondé sur la possibilité d’établir des échanges transnationaux2, celui-ci n’est rejoint par l’Italie qu’au tournant du siècle à travers trois projets d’archives photographiques. Le premier de ces projets, appelé ricetto (du latin receptum, abri), voit le jour à Milan en 1899. Ces archives constituent alors une nouveauté dans le paysage italien. Leur ambition encyclopédique, voire universelle, ouverte à toutes les formes de savoir, les distingue d’autres projets contemporains. Initialement, le ricetto est en effet destiné à la collecte de documents photographiques ayant un rapport avec l’une ou l’autre des catégories suivantes : les œuvres d’art, les lieux, les événements ou les personnages illustres, quel que soit leur champ de connaissance3. Cette première expérience milanaise inspirera par la suite la création de deux autres archives du même type, à Florence en 1903, puis à Bologne en 1915.
2Ces trois projets présentent des variations significatives par rapport aux modèles européens, dans la mesure où les associations de photographes amateurs ne semblent pas y avoir joué de rôle décisif. Ils se développent au contraire dans un contexte étranger au milieu photographique de l’époque, à savoir le musée d’art, et même au sein des plus éminents musées d’Italie. Sur l’initiative de l’historien de l’art Corrado Ricci, directeur de la Pinacoteca di Brera, le ricetto est intégré à l’institution, alors considérée comme le principal musée de beaux-arts de Milan. Ainsi, on peut affirmer que si les projets italiens ont bien été stimulés par les premiers débats issus du monde de la photographie européenne, dont ils ont repris la vocation encyclopédique, leur forme finale a été conditionnée par les exigences culturelles propres aux institutions muséales qui vont employer la photographie avant tout pour illustrer le patrimoine historique et artistique du territoire, et pour sauvegarder la mémoire du pays. Si leur public idéal était constitué d’artistes, de chercheurs et d’éditeurs, il finira par se resserrer sur les seuls historiens de l’art.
Écho du débat européen
- 4 Lettre manuscrite de Luca Beltrami à Corrado Ricci, Milan, 5 décembre 1899 (Pinacoteca di Brera, Ar (...)
3Fondé à Milan en novembre 1899, le ricetto sollicite au départ, comme d’autres de ses homologues européens, les photographes amateurs et professionnels pour qu’ils fassent don de leurs photographies. Les relations que le ricetto a nouées avec les sociétés italiennes de photographes amateurs sont cependant mal documentées, et seuls les échanges établis entre le ricetto et l’influent Circolo Fotografico Lombardo peuvent aujourd’hui être retracés. On sait qu’un mois après la fondation du ricetto, Luca Beltrami – figure éminente de l’architecture à Milan et promoteur du projet de restauration du Castello Sforzesco – écrit à Corrado Ricci pour l’informer que le Circolo Fotografico Lombardo cédera au ricetto une petite partie de ses collections photographiques suite à la cessation de ses activités à l’été 18994.
- 5 Secrétaire général de la Société caennaise de photographie et rédacteur en chef de son bulletin, Al (...)
- 6 Ibidem.
- 7 Léon Vidal, « Assemblée générale de la Société. Procès-verbal de la séance mensuelle du 1er déc. 18 (...)
4Pour mieux comprendre les interactions que le programme du ricetto entretient avec le monde des amateurs italiens, ainsi qu’avec les musées de photographies documentaires européens, on doit s’arrêter sur le rôle des revues dans la circulation des usages et des pratiques liés au mouvement documentaire. En 1905, Alfred Liégard5 nous rappelle que le premier article consacré à la question en Italie avait été publié en 1894 dans les pages de la revue milanaise Il dilettante di fotografia. Rédigé par un photographe amateur de Rome, Pietro Alegiani, l’article citait les propos formulés par William Jerome Harrison et Jules Fleury-Hermangis dans le cadre du Congress of Photographers qui eut lieu à l’Art Institute de Chicago en 1893, lors duquel ceux-ci avaient insisté sur la nécessité d’organiser des campagnes photographiques nationales. L’objectif de Alegiani était d’encourager la création d’une première collection de photographies des villes et villages italiens. Dans une note annexe, la rédaction de Il dilettante della fotografia livrait une appréciation positive de cette proposition et offrait même d’en diriger les opérations6. L’article reprenait, sans le citer, le rapport écrit par Léon Vidal pour la Société française de photographie lors du congrès de Chicago. Ce rapport avait débouché sur la création d’une commission permanente d’étude composée de Vidal, Jules Fleury-Hermangis et Gaston Braun, pour « créer une collection nationale de photographies documentaires » en France7.
- 8 Voir Thomas Grimm, « Archivi fotografici », Rivista scientifico-artistica di Fotografia. Bollettino (...)
5Trois ans plus tard, en 1897, la Rivista scientificoartistica di fotografia, organe officiel du Circolo Fotografico Lombardo, publiait la traduction d’un texte sur les archives photographiques rédigé par le journaliste Thomas Grimm. Largement inspiré par les travaux menés dans ce domaine par l’ingénieur Aimé Laussedat au musée du Conservatoire des arts et métiers, il était paru pour la première fois en français dans le Moniteur de la photographie, revue dirigée par Vidal8. Là aussi, la rédaction du périodique ajoutait une note pour appeler à la création d’archives à Milan, dans le Castello Sforzesco. Le Circolo Fotografico Lombardo était alors à son apogée : fondé en 1889, il avait rapidement acquis une certaine renommée, grâce notamment à l’organisation de la deuxième Exposition internationale de photographie de 1894 à Milan, qui avait rencontré un large succès auprès du grand public (fig. 1). Pourtant, au moment où la création du ricetto se concrétisera, deux ans après la parution de cet article dans son bulletin, aucun membre du Circolo ne participera à sa fondation.
1. Leone Betrand Beltramelli, « Zola au Cercle photographique, décembre 1894 », Milan

Platinotype, 119 x 170 mm (258 x 326 mm avec carton). Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (VLO/122). Zola fut probablement introduit au Cercle par Giuseppe Giacosan pendant la deuxième Exposition internationale de photographie. Beltramelli était membre du Cercle depuis 1893.
- 9 « Pubblica raccolta fotografica », op. cit.
- 10 Clemente Marsicola (dir.), Il viaggio in Italia di Giovanni Gargiolli. Le origini del Gabinetto Fot (...)
6Le programme du ricetto est diffusé à travers les principaux quotidiens du pays sous forme d’un texte intitulé « Pubblica raccolta fotografica » (Collection publique de photographies)9. L’article affiche la volonté de regrouper les photographies documentaires en un seul et unique fonds public, ouvert aux visiteurs selon un horaire défini. Les auteurs du texte laissent non seulement entendre que les initiatives du tout jeune État italien en matière de documentation du territoire national étaient insuffisantes, mais également que sa conception des archives photographiques était lacunaire. Ces critiques visent directement les archives photographiques du ministère de l’Instruction publique, intitulées Gabinetto Fotografico. Dédié à la documentation du patrimoine, ce dernier avait été fondé à Rome peu avant, en 1895, et était alors dirigé par le photographe et ingénieur Giovanni Gargiolli10. Or, en se limitant aux photographies de paysages et d’œuvres d’art, le Gabinetto excluait de ses collections toute image de personnes ou de lieux pittoresques d’importance locale ou régionale. Absente des collections du Ministère comme des institutions culturelles en général, cette typologie élargie de sujets semblait pouvoir susciter l’intérêt des photographes amateurs, qu’ils soient affiliés ou non aux photo-clubs auxquels s’adressait l’appel du ricetto pour la collection publique des photographies (fig. 2).
2. Giacomo Bersani, « Récif de Lavagna. Riviera ligure », avant 1899

Épreuve au gélatino-bromure d’argent, 83 x 110 mm (203 x 250 mm avec carton). Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (229/1). Bersani était un photographe amateur basé à Bologne qui, à la suite de l’appel à la collecte publique, a donné une série d’albums contenant les vues de ses voyages en Italie. Les recueils ont ensuite été démembrés pour que les tirages puissent être intégrés dans l’archive.
Le mouvement photographique italien
- 11 Elizabeth Edwards, The Camera as Historian. Amateur Photographers and Historical Imagination, 1885- (...)
- 12 Éléonore Challine, Une Étrange Défaite…, op. cit.
- 13 Christian Joschke, Les Yeux de la nation. Photographie amateur et société dans l’Allemagne de Guill (...)
- 14 « Liste des principales sociétés photographiques », Aide-mémoire de photographie pour 1899, XXIV, 1 (...)
7En 1899, l’année de création du ricetto, l’organe de la Société photographique de Toulouse énumère dans l’Aide-mémoire de photographie une liste de sept clubs photographiques en Italie. Bien qu’en 1899 la présence des photo-clubs sur le territoire national soit encore faible – si on la compare notamment aux cas anglais11, français12, allemand13, ou même aux treize clubs suisses14 –, le mouvement photographique italien marquera une légère croissance pendant les années suivantes grâce notamment aux relations qu’il entretient avec le mouvement photographique international. En Italie comme ailleurs, photographie artistique et photographie documentaire coexistent dans les pages des périodiques spécialisés, alors que ces deux pratiques restent l’apanage des photographes amateurs. Elles favorisent en tous les cas les relations avec les milieux photographiques étrangers.
- 15 Elvira Puorto, Fotografia fra arte e storia. Il « Bullettino della Società fotografica italiana » ( (...)
- 16 Paolo Costantini, « La fotografia artistica », 1904-1917. Visione italiana e modernità, Turin, Boll (...)
8En ce qui concerne la photographie artistique, il faut souligner que très peu de photographes italiens sont connus à l’étranger avant le début des années 1900. La rencontre entre les milieux photographiques italiens et étrangers se développe grâce à l’existence d’un dense réseau de revues photographiques. À cette époque, il comprend notamment le Bullettino della Società fotografica italiana (1889-1914)15 et des revues de deuxième génération comme La fotografia artistica (1904-1917)16, dont le sous-titre – Rivista internazionale illustrata – affiche des ambitions plus vastes.
- 17 Atti del Primo Congresso Fotografico Nazionale Italiano, Turin, Tip. Roux Frassati & C., 1898.
- 18 Atti del Secondo Congresso Fotografico Nazionale Italiano, Florence, Ricci, 1901.
- 19 Rossana Bossaglia, Ezio Godoli, Marco Rosci (dir.), Torino 1902. Le arti decorative internazionali (...)
9Le sujet principal de ces périodiques est en fait la photographie documentaire, souvent associée à des informations sur les arts graphiques. Le jeune État italien suit avec intérêt le phénomène, favorable à la promotion du développement industriel du pays (en particulier à l’occasion des expositions nationales et internationales). Si les arts graphiques occupent une place marginale lors de la première Exposition internationale de la photographie de 1887 à Florence, ils tiennent en revanche une place centrale lors de sa deuxième édition organisée à Milan en 1894 par le Circolo fotografico lombardo. Mais ce n’est qu’au premier Congrès photographique national italien de 1898 à Turin que la photographie est exposée pour la première fois dans une section distincte de celle des arts graphiques17. La conquête de cette nouvelle autonomie permet de meilleures connexions avec le monde scientifique, et cela dans l’optique de développer non seulement les potentialités didactiques de la photographie – comme en témoignent Guido Rey, Pietro Masoero, Enrico Thovez et d’autres commentateurs18 –, mais aussi les rapports entre les mouvements photographiques italiens et européens. Ces rapports sont esquissés à l’occasion du deuxième Congrès photographique national de 1899 à Florence19, puis consolidés à l’occasion de la grande exposition de 1902 à Turin.
- 20 Albert Russel Ascoli, Krystyna von Hennerberg, Making and Remaking Italy. The Cultivation of Nation (...)
10Dans ce contexte, le projet d’archives photographiques a constitué une occasion supplémentaire de s’ouvrir vers l’étranger et de réaliser les ambitions de modernité du milieu photographique italien, qui revendique un rôle social clairement défini. Cependant, dans la culture italienne, la conception d’archives photographiques comme le ricetto prend les traits utopiques d’une sorte de grande bibliothèque iconographique définie par la rencontre entre des ambitions encyclopédiques et une volonté de contrôle de la culture historique et artistique locale. En effet, la fonction du ricetto a été principalement définie par son implantation à la Pinacoteca di Brera ; les promoteurs du ricetto appartiennent à des institutions importantes du système culturel milanais également abritées par le Palazzo di Brera : Camilo Boito (président de l’Accademia di Belle Arti), Giuseppe Fumagalli (directeur de la Biblioteca Nazionale Braidense), Gaetano Moretti (directeur de l’Ufficio regionale per la conservazione dei monumenti della Lombardia), et son principal promoteur Corrado Ricci (directeur de la Pinacoteca). On observe par là une certaine parenté avec le mythe de la bibliothèque d’Alexandrie (elle aussi était reliée à un musée), mais aussi la mise en avant du rôle public conféré aux institutions culturelles régionales importantes dans un pays encore composé d’une multitude de petites « Italies »20.
Le ricetto dans le contexte photographique italien
- 21 Laura Cerasi, Gli ateniesi d’Italia. Associazioni di cultura a Firenze nel primo Novecento, Milan, (...)
- 22 Luigi Tomassini, « The Birth of the Italian Photographic Society », History of Photography, vol. 20 (...)
11Au printemps 1899, à Florence, se tient le premier Congrès photographique national et, dans son sillage, une importante exposition de photographie. Son succès et le constat de la nécessité d’un dialogue plus vaste entre les acteurs du mouvement photographique sont tels qu’un deuxième congrès est organisé à l’automne de la même année. Bien que Florence n’ait été la capitale de l’Italie que durant cinq ans, entre 1865 et 1870, elle demeure la principale « capitale culturelle » du pays, grâce notamment à la présence d’importantes institutions et d’une intelligentsia très active21. C’est dans cette ville que la Società fotografica italiana est fondée en 188922.
- 23 Ibidem.
- 24 « Nessuno può sottrarsi alla necessità della fotografia. Un libro d’arte, di storia, di geografia o (...)
12Dix ans plus tard pourtant, en 1899, si c’est à Florence que sont célébrés les avancements de la photographie artistique et industrielle, c’est à Milan, où l’industrie des arts graphiques est beaucoup plus développée, que le projet de ricetto voit le jour23. Milan devient ainsi le nouveau point de cristallisation d’un débat international sur la photographie conçue comme un formidable moyen d’illustration, déjà entamé en 1894 dans le cadre de la deuxième Exposition internationale de la photographie. Corrado Ricci va jusqu’à affirmer que « personne ne peut échapper à la nécessité de la photographie. Livre d’art, d’histoire, de géographie ou de science en général : sans documentation iconographique, ils n’ont pas de valeur24. »
- 25 Giacomo Magistrelli, « L’esposizione internazionale del Sempione del 1906. Fotografia, pubblicistic (...)
13Contrairement à Florence, Milan est considérée alors comme la « capitale morale » de l’Italie en raison de son fort degré d’industrialisation, promesse d’un progrès national fondé sur une société productive. Cette idée, mise en avant dans les expositions industrielles nationales tenues à Milan entre 1881 et 190625, est entérinée par les importants investissements consentis, dans les champs industriel et commercial, en faveur de la photographie. Dans le même sens, on peut aussi citer la fondation, en 1896, sans équivalent dans le panorama italien, de l’Associazione di mutuo soccorso per i fotografi e per gli addetti all’industria fotografica.
- 26 Marina Miraglia, La fortuna istituzionale della fotografia dalle origini agli inizi del Novecento, (...)
- 27 Roberto Cassanelli, « La fotografia delle origini a Milano e il caso dell’Accademia di Brera », dan (...)
- 28 Ferruccio Canali, « Fotografia d’arte e fotografia artistica nei giudizi di Corrado Ricci e dei con (...)
14Or, en dépit de ce développement de la photographie en tant que secteur industriel et commercial à Milan, c’est une entité étrangère au monde de la photographie qui propose pour la première fois la réalisation d’archives photographiques26 : la Pinacoteca di Brera, en lien avec les autres institutions du Palazzo di Brera27, dont certaines, comme l’Accademia di Belle Arti, utilisent la photographie comme outil didactique depuis un certain temps déjà. Au sein de celles-ci, Corrado Ricci, l’un des plus importants historiens de l’art de l’époque, et fils d’un photographe actif à Ravenne, Luigi Ricci. Corrado Ricci considérait la photographie comme un véritable instrument de connaissance et fut l’un des premiers à l’employer de façon systématique pour ses recherches et pour les travaux qu’il publia dans le domaine de l’histoire de l’art28. Comme Giuseppe Fumagalli, directeur de la Scuola del Libro et trésorier du Circolo Fotografico Lombardo, Ricci appartient à un cercle d’acteurs entretenant un rapport familier avec le monde de la photographie. Pour eux, l’idée est de placer les archives photographiques au centre du système culturel, de les lier organiquement à la conservation des peintures du musée, des monuments sur le terrain, et des livres consultables dans la bibliothèque du Palazzo. Un passage du programme publié à Milan en 1899 (et reproduit presque à l’identique en 1903 à Florence) témoigne précisément de ce phénomène :
- 29 « Pubblica raccolta fotografica », op. cit. et [Corrado Ricci], « Al direttore dell’Ufficio Regiona (...)
Dans un tel dépôt on collecterait le plus grand nombre possible de photographies d’œuvres d’art, de lieux, d’événements et de personnages illustres dans tous les champs de la connaissance, et ce pour que l’archéologue, le critique et l’artiste qui mènent une étude ou une recherche sur une œuvre ou sur un peintre, un sculpteur, etc. puissent y trouver réuni ce qu’ils aimeraient connaître – les architectes des exemples de constructions, les géographes des vues des pays, les historiens de nombreuses sources iconographiques, les artisans les meilleurs exemples de ce qui a été fait ou se fait dans leur métier, les éditeurs du matériel utile aux œuvres et aux recueils illustrés29.
- 30 « Pubblica raccolta fotografica », Illustrazione italiana, no 51, 1899, p. 437.
15Dans la revue Illustrazione italiana, un commentateur estime que les dénominations raccolta (collection) ou ricetto sont trop modestes pour un tel projet : mieux vaudrait parler de museo fotografico, ou au moins d’archivio, en référence aux deux espaces du savoir emblématiques de la conservation des documents mémoriels30. Malgré cette suggestion, les archives photographiques conserveront leur nom de ricetto, prioritairement en raison de la signification symbolique de « refuge » : le mot est utilisé dans le nord de l’Italie pour désigner un ensemble de maisons entourées par des tours qui pouvaient, en cas de danger, servir d’abri aux habitants.
- 31 Ibidem.
- 32 Lettre du ministère de l’Instruction publique à la direction de la R[eale]. Pinacoteca de Brera, Ro (...)
- 33 « Pubblica raccolta fotografica. Donatori. Fotografie. Somme », [Milan, 1899-1901] (Pinacoteca di B (...)
16Le programme du ricetto indique en conclusion que ceux qui feront don de photographies « seront convoqués à une assemblée où on leur expliquera les critères de classement31 ». Cette annonce laisse présager la création d’une association entièrement dévouée au projet des archives photographiques. Cependant, aucune assemblée ne semble jamais avoir vu le jour, et l’établissement de ces critères devra attendre quelques années encore. Les traces qui demeurent aujourd’hui du ricetto indiquent qu’un classement topographique a été suivi et alimenté pendant longtemps. Les photographies sont classées par villes et par États, rangées sans passe-partout ni légendes, sauf à de rares exceptions dues très probablement au travail du photographe lui-même, et non à celui de l’archiviste (fig. 3 et 4). Elles sont regroupées en ensembles non organisés, glissées dans des dossiers pour faciliter leur consultation, là où le ministère de l’Instruction publique imposait, lui, que les documents soient conservés dans des albums32. Une mise en ordre rudimentaire et non articulée, un classement sommaire et non systématique, avec des légendes très courtes – quand elles existent – et non standardisées : ces éléments semblent contredire les aspirations initiales du projet ainsi que les compétences, bibliotechniques notamment, de ses fondateurs. Le mode d’archivage des photographies apparaît ainsi plus proche des pratiques des photographes professionnels ou des amateurs33 que de la rationalité propre aux archives. En somme, les archives de Brera semblent être demeurées un dispositif en puissance, limité à la seule fonction de collecte, dans l’attente d’un développement ultérieur. Leur fonction paraît avoir été façonnée davantage par le site qui les hébergeait – le système muséal de Brera – que par leurs qualités objectives.
3. Giacomo Bersani, « Temple romain, Clitunno (Ombrie) », avant 1899

Épreuve au gélatino-bromure d’argent, 91 x 144 mm (170 x 210 mm avec carton). Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (142/1).
4. Papasogli-Pizzotti, « Golfe de Populonia », 1899

Épreuve au gélatino-bromure d’argent, 100 x 131 mm. Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (518/1). L’ingénieur Papasogli-Pizzotti était un photographe amateur qui, à la suite de l’appel à la collecte publique, a donné une série de photographies de petit format réalisées entre Grosseto et Livourne.
Entre ancrage local et État central
- 34 Tiziana Serena, Cultural Heritage, Nation, Italian State. Politics of the Photographic Archive Betw (...)
17Malgré ces réserves, deux motifs rendent le projet du ricetto particulièrement intéressant. Premièrement, à travers les archives photographiques, ses promoteurs – tous issus du secteur public – contribuent à établir un « pacte de mé-moire34 », soit un système de valeurs convenu entre les citoyens (qui ont intériorisé le sentiment de faire partie d’une Nation) et l’État (conçu comme la réponse politique à ce sentiment). Rappelons qu’en Italie, la formation d’un État central est alors un phénomène récent. Les citoyens ont encore le sentiment d’appartenir à des territoires distincts et spécfiques, dont la richesse et la diversité patrimoniales sont constitutives de leur identité, déléguée ici aux images photographiques.
- 35 Voir notamment la lettre du ministère de l’Instruction publique à la direction de la R. Pinacoteca (...)
- 36 « Archivio fotografico di Brera », La Sera, 27‑28 juin 1901, n. p.
- 37 Lettre du ministère de l’Instruction publique à la direction de la R. Pinacoteca de Brera, op. cit.
- 38 Ibidem.
18La réalisation du ricetto s’est très rapidement éloignée des aspirations de son projet initial : en 1901 déjà, deux ans seulement après sa création, sa physionomie a changé. La confrontation entre la Pinacoteca di Brera – lieu de conservation – et le ministère de l’Instruction publique – dont dépend institutionnellement le ricetto – provoque une véritable polémique35. Depuis quelques mois, le Ministère défendait l’idée selon laquelle l’ensemble des musées italiens qui, à cette époque, passaient par des transformations considérables avec de nouveaux aménagements, devaient se doter de leurs propres archives photographiques. Une telle initiative, qui ne sera jamais mise en œuvre, aurait imposé une seule forme et une même logique à l’ensemble des structures déjà existantes, limitant de fait l’autonomie du ricetto et remettant en cause ses spécificités. Pour ses fondateurs, l’accroissement rapide des collections photographiques milanaises avait plutôt laissé espérer un possible élargissement de leur propre projet au plan national : en 1901, les archives du ministère de l’Instruction publique conservent environ 15 000 photographies, alors qu’une année seulement après son ouverture, le ricetto réunit déjà près de 5 000 images photographiques (versées en grande partie par ses fondateurs). En 1901, la collection compte 10 000 photographies36 et en 1903 leur quantité est quatre fois supérieure37. Une telle croissance incite Corrado Ricci à demander au Ministère un financement supplémentaire pour augmenter la capacité des collections jusqu’à 100 000 pièces38. En dépit des nombreux appels initialement lancés dans la presse et de certains dons d’amateurs, les sources de cet enrichissement des archives vont cependant se limiter principalement au dépôt exigé par le règlement sur les photographies réalisées par les professionnels à l’intérieur de la Pinacoteca, à quelques acquisitions et, dès 1902, aux échanges avec d’autres musées italiens. De telles reconfigurations vont déterminer la prédominance progressive de photographies relatives au seul patrimoine, aux dépens de sujets à caractère plus encyclopédique.
- 39 Marilena Tamassia (dir.), Primi anni di attività del Gabinetto Fotografico, 1904-1922, Livourne, Si (...)
- 40 Paolo Giuliani, Igino Benvenuto Supino e la fotografia. Immagini per la storiografia artistica, Bol (...)
19C’est sur la base de cette nouvelle physionomie culturelle des archives photographiques que Corrado Ricci fonde une deuxième institution à Florence, en 1903. Sa création intervient suite à la nomination de Ricci à la tête de la Galleria degli Uffizi, un musée jouant un rôle central dans le processus de construction de l’identité locale, régionale et nationale italienne. Le projet de Florence présente de nombreuses similitudes avec le ricetto milanais : le programme initialement publié à Milan en 1899 est du reste repris dans une version quasiment identique en 190339. Si le projet florentin est pour ainsi dire une copie du ricetto, le troisième projet, à Bologne en 1915, en constitue lui aussi une réitération quelque peu anachronique. Sa fondation précède de peu l’entrée en guerre de l’Italie et, avec elle, la fin de l’époque des ambitions encyclopédiques propres aux musées de photographies documentaires discutés et réalisés en Europe. Le promoteur des archives de Bologne est l’historien de l’art Francesco Malaguzzi Valeri, spécialiste des archives manuscrites qui a pendant longtemps travaillé à Milan. En 1915, Valeri propose de mettre sur pied des archives photographiques sur le modèle milanais formulé par Ricci40, alors que lui-même est désormais à la tête de la Direction générale des antiquités et des beaux-arts du ministère de l’Instruction publique. Dans leurs principes généraux, les archives de Bologne peuvent être considérées comme prolongeant un phénomène de longue durée. Dans leur réalisation cependant, le fonds étant lié à la Pinacoteca de Bologne et réunissant presque exclusivement de la documentation sur des œuvres d’art, elles marquent l’échec définitif de la constitution d’archives photographiques à caractère encyclopédique.
Musée ou archives ? Échos du deuxième débat européen
- 41 Voir, entre autres, « La fotografia negli archivi di Stato », Bullettino della Società fotografica (...)
- 42 Voir Éléonore Challine, supra, p. 30 sq.
- 43 Au cours de la première année ont été publiés dans La fotografia artistica : Léon Vidal, « Du progr (...)
20Quinze ans plus tôt, soit moins d’une décennie après les premières expériences relatives aux musées de photographies documentaires, le Congrès de photographie de 1900 à Paris avait pourtant défini une nouvelle étape dans le développement du mouvement photographique international. Le congrès avait alors sollicité la création d’archives modernes de la photographie rattachées aux services d’archives publiques dédiées à la conservation de documents anciens41. L’objectif est notamment de constituer un réseau national des différentes archives régionales pour qu’elles puissent procéder à des échanges. Sur la base des changements intervenus pendant la première période des musées de photographies documentaires42, Léon Vidal invite ses collègues à impliquer davantage les autorités publiques dans la mise en place des archives photographiques. Cette deuxième vague de débats se manifeste en Italie, au début de l’année 1905, avec une série d’articles publiés dans la revue la plus importante de l’époque, La fotografia artistica, dirigée par Annibale Cominetti. Leurs auteurs, Vidal lui-même et Liégard, deux proches de Cominetti, soulignent notamment les effets positifs que de telles structures d’archives publiques pouvaient avoir sur les processus de la connaissance et sur les reconfigurations de la mémoire du territoire local43.
21Issus du même contexte culturel de construction identitaire, en pleine affirmation des rapports entre local et national, les principaux projets italiens ont, pour leur part, été légitimés au sein des espaces muséaux par l’entremise des employés de musées plutôt qu’au sein d’archives. En confiant ainsi le destin du projet d’archives photographiques documentaires au musée d’art – une institution publique inscrite dans un territoire local, dotée d’une forte dimension identitaire et donc symbolique –, les clubs d’amateurs ont été relégués à un rôle subordonné, pendant qu’en conséquence, les ambitions encyclopédiques étaient ajustées aux exigences pragmatiques de la connaissance du patrimoine italien (fig. 5).
5. Isabel B. Trewhella, « Voyageurs à bord d’un bateau », avant 1901

Aristotype, 161 x 221 mm. Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (305/10). Isabel B. Trewhella, photographe anglaise installée à Rome, probablement en 1897. L’image a été publiée dans la revue Il Progresso fotografico en 1901. Sur le verso, on lit « En haute mer, imitation réalisée sur une terrasse de Naples ».
- 44 Giovanni Santoponte, « Per un museo italiano di fotografie documentarie », Bullettino della Società (...)
22Quand, en 1899, l’Illustrazione italiana cherchait une dénomination adéquate pour le ricetto, elle le faisait sans trancher de façon générique entre « musée » et « archives ». C’est le photographe amateur romain Giuseppe Santoponte, connu pour ses écrits sur la photographie, qui met en lumière la différence entre le rôle des archives et celui du musée de photographies documentaires, sur la base des propos tenus par Liégard au Congrès de la photographie de 1900 à Paris. L’année suivante, Santoponte lui-même propose, sans succès, la constitution d’un Musée de photographies documentaires à Rome. En 1905 cependant, alors qu’une deuxième vague de débats sur les musées de photographies documentaires s’annonce, il revient avec un nouveau projet. Une série d’articles publiés dans La fotografia artistica en vue du Congrès de la documentation photographique de 1906 à Marseille, sous les auspices de l’Union internationale de photographie, en signalent les principaux objectifs44. Il s’agit non plus d’un musée centralisé, mais d’une institution divisée en deux sièges représentatifs : à Milan pour l’Italie du Nord, et à Florence pour le centre et le Sud. Santoponte souligne les difficultés que pose la relation entre les archives photographiques et les institutions publiques rattachées au ministère de l’Instruction publique, comme dans le cas du ricetto à Brera ou de l’institut florentin, affiliés respectivement au Ministère en 1901 et 1903. Pour cette raison, il prévoit de confier la responsabilité de représenter le patrimoine italien par la photographie à une association privée – le Touring Club italien (TCI) – plutôt qu’à une institution publique. La sollicitation du TCI n’est pas anodine : elle témoigne des tentatives répétées de trouver un accord entre le TCI et la Società fotografica italiana. L’intérêt du TCI pour la photographie et pour la constitution d’archives photographiques devient, à cette époque, une véritable nécessité opérationnelle. Fondé en 1894, le TCI connaît un grand retentissement grâce à une série d’entreprises éditoriales à succès, comme la publication de guides touristiques techniques sur les routes et les itinéraires régionaux ou de la revue illustrée spécialisée Attraverso l’Italia (fig. 6). De 784 membres en 1894, il passe à 915 en 1900, nombre qui quadruple la décennie suivante. Pour Santoponte, le succès du TCI laisse espérer qu’un investissement en faveur de la création de deux archives photographiques, à Milan et à Florence, pourrait enfin se réaliser. Dans son esprit, ces archives auraient non seulement un caractère encyclopédique plus marqué, mais elles s’appuieraient également sur l’implication essentielle des amateurs, en dialogue avec les milieux photographiques.
Archiver pour la longue durée
- 45 Toutes les citations, y compris celles qui suivent, sont tirées de Giovanni Santoponte, « Per un mu (...)
23Cependant, l’article de Santoponte sur la création d’archives photographiques aux Offices à Florence, en 1903, omet un fait : le mouvement photographique italien n’est pas partie prenante du projet, bien qu’il en ait porté les idées principales et qu’il ait mobilisé la communauté des amateurs et des professionnels. Ceux-ci en effet parcouraient les territoires les plus reculés à l’occasion d’excursions photographiques souvent organisées avec la collaboration étroite des sociétés d’histoire locale (fig. 7). En revendiquant un savoir spécifique, celui de la photographie, Santoponte critique le projet de Ricci et mène une réflexion sur un projet d’archives photographiques distinctes du musée. Santoponte se demande si l’exemple florentin ne serait pas qu’un « musée confus de la photographie documentaire45 », dans la mesure où il est rattaché aux Offices et destiné à un public spécialisé plutôt qu’au grand public à instruire et à éduquer à l’aide de documents photographiques. Pour Santoponte, « les archives photographiques sont à la fois quelque chose de plus et quelque chose de moins qu’un musée de photographies documentaires : à l’instar des archives pour la conservation de fonds manuscrits, si elles sont destinées à faciliter la recherche des générations actuelles, elles doivent pouvoir constituer aussi une précieuse collection de matériaux pour les chercheurs de l’avenir. »
7. Aldo Rusconi, Cento, Emilia Romagna, s. d.

Épreuve au gélatino-bromure d’argent, 227 x 167 mm (260 x 178 mm avec carton). Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (358/1). Le photographe Rusconi, basé à Bologne, présentait ses propres tirages avec le qualitatif « Dilettante ».
24Les archives de photographies devraient, selon Santoponte, être caractérisées par une « rigueur scientifique », permettant de comparer les époques et les peuples afin de restituer la « physionomie d’une période historique déterminée ». Or ces caractéristiques seraient absentes du musée florentin. Le musée de photographies ne viserait pas ici la postérité mais uniquement le présent : plutôt que de reconstruire la physionomie d’une époque par un travail de synthèse et de sélection, il se limiterait à « récolter des matériaux réfléchissant la configuration physique d’une région ». Ce commentaire est sans doute lié au fait que les photographies sont alors davantage destinées à l’exposition qu’à l’archivage. Dans ce contexte, Santoponte estime que les garanties de conservation des photographies ne seraient même pas nécessaires, alors que dans des archives, on ne pourrait au contraire faire l’économie de techniques inaltérables.
25Dans ces notes, Santoponte appuie la nécessité d’un savoir spécifique à la photographie en l’opposant à celui de l’histoire de l’art : l’idée des archives photographiques imposerait la rigueur de leurs légendes, leur projection dans le futur, garantie par le contrôle des techniques de tirage, et de façon générale le fait que chaque image découle d’un savoir spécialisé. Les archives prussiennes dirigées par Albrecht Meydenbauer constituent à ses yeux une référence en la matière : « Chaque photogramme […] représente tout à la fois un document historique, architectural, et une œuvre d’art ».
26À travers la voix de Santoponte, le mouvement photographique italien revendique donc un savoir propre sur l’archivage photographique et la spécificité d’un projet culturel pensé sur le long terme. Le fait qu’à Milan et à Florence, les archives photographiques aient été intégrées à un musée d’art, avec ses propres interlocuteurs et interprètes, a permis d’exploiter ce lieu symbolique et identitaire pour l’emplir des fonctions propres à une bibliothèque iconographique, mais sur une base précaire. Alors que cette base avait à l’origine des ambitions encyclopédiques, voire universelles, elle n’a pas réussi, en fin de compte, à s’insérer localement, car elle était étrangère à la culture photographique des amateurs. Cet ancrage était cependant indispensable pour la protection du patrimoine artistique, dont la célébration participait à la construction d’une identité nationale. Face à un État italien encore très peu structuré et au faible degré d’institutionnalisation de la protection du patrimoine artistique, le musée représentait certainement le lieu le plus approprié pour mener une expérience incarnant le rêve de modernité de la photographie dans la constitution d’archives. À force d’hésitation, le mouvement photographique a ainsi abandonné au musée d’art son projet d’archives, conférant à ce projet de nouvelles fonctions et une autre physionomie. Ce sont finalement des acteurs étrangers à la culture photographique qui s’approprièrent le rêve des sociétés amateurs et de leurs organes officiels, celui de musées de photographies documentaires conçus comme étapes essentielles pour la légitimation de la place de la photographie dans la société.
Notes
1 Alfred Liégard, « Le document et l’art », La fotografia artistica, vol. 2, nº 1, 1905, p. 9.
2 Elizabeth Edwards, « Between the Local, the National, and Transnational. Photographic Recording and Memorializing Desire », dans Chiara De Cesari, Ann Rigney (dir.), Transnational Memory. Circulation, Articulation, Scale, Berlin/Boston, De Gruyter, 2014, p. 169‑194.
3 « Pubblica raccolta fotografica », texte imprimé, 1899 (Pinacoteca di Brera, Archivio Antico, partie 2, boîte 7).
4 Lettre manuscrite de Luca Beltrami à Corrado Ricci, Milan, 5 décembre 1899 (Pinacoteca di Brera, Archivio Antico, partie 2, boîte 7).
5 Secrétaire général de la Société caennaise de photographie et rédacteur en chef de son bulletin, Alfred Liégard est engagé depuis la fin du XIXe siècle pour l’institutionnalisation de la photographie documentaire. Voir Éléonore Challine, Une Étrange Défaite. Les projets de musées photographiques en France (1850-1945), thèse de doctorat sous la direction de Michel Poivert, Université Paris 1, 2014 (à paraître chez Macula : Le Musée de photographie. Une histoire contrariée, 1839‑1945).
6 Ibidem.
7 Léon Vidal, « Assemblée générale de la Société. Procès-verbal de la séance mensuelle du 1er déc. 1893 », Bulletin de la Société française de photographie, série 2, no 9, 1893, p. 614‑615.
8 Voir Thomas Grimm, « Archivi fotografici », Rivista scientifico-artistica di Fotografia. Bollettino mensile del Circolo fotografico lombardo, no 6, 1897, p. 204‑207.
9 « Pubblica raccolta fotografica », op. cit.
10 Clemente Marsicola (dir.), Il viaggio in Italia di Giovanni Gargiolli. Le origini del Gabinetto Fotografico Nazionale 1895-1913, Rome, ICCD, 2014.
11 Elizabeth Edwards, The Camera as Historian. Amateur Photographers and Historical Imagination, 1885-1918, Durham, Duke University Press, 2012.
12 Éléonore Challine, Une Étrange Défaite…, op. cit.
13 Christian Joschke, Les Yeux de la nation. Photographie amateur et société dans l’Allemagne de Guillaume II (1888-1914), Dijon, Les Presses du réel, 2013.
14 « Liste des principales sociétés photographiques », Aide-mémoire de photographie pour 1899, XXIV, 1899, p. 53‑56.
15 Elvira Puorto, Fotografia fra arte e storia. Il « Bullettino della Società fotografica italiana » (1889-1914), Naples, Alfredo Giuda Editore, 1996.
16 Paolo Costantini, « La fotografia artistica », 1904-1917. Visione italiana e modernità, Turin, Bollati Boringhieri, 1990.
17 Atti del Primo Congresso Fotografico Nazionale Italiano, Turin, Tip. Roux Frassati & C., 1898.
18 Atti del Secondo Congresso Fotografico Nazionale Italiano, Florence, Ricci, 1901.
19 Rossana Bossaglia, Ezio Godoli, Marco Rosci (dir.), Torino 1902. Le arti decorative internazionali del nuovo secolo, cat. exp. (23 sept. 1994-22 janv. 1995, Turin, Galleria Civica d’Arte Moderna), Milan, Fabbri, 1994 ; Paolo Costantini, « La fotografia artistica », op. cit., p. 18‑24.
20 Albert Russel Ascoli, Krystyna von Hennerberg, Making and Remaking Italy. The Cultivation of National Identity Around the Risorgimento, Oxford/New York, Berg, 2005 ; John Dickie, « Imagined Italies », dans David Forgacs, Robert Lumley (dir.), Italian Cultural Studies. An Introduction, Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 19‑33.
21 Laura Cerasi, Gli ateniesi d’Italia. Associazioni di cultura a Firenze nel primo Novecento, Milan, Franco Angeli, 2000.
22 Luigi Tomassini, « The Birth of the Italian Photographic Society », History of Photography, vol. 20, nº 1, 1996, p. 57‑64.
23 Ibidem.
24 « Nessuno può sottrarsi alla necessità della fotografia. Un libro d’arte, di storia, di geografia o di scienza in genere non ha ormai valore senza la documentazione iconografica », cité sans référence dans Paolo Costantini, « La fotografia artistica », op. cit., p. 30.
25 Giacomo Magistrelli, « L’esposizione internazionale del Sempione del 1906. Fotografia, pubblicistica illustrata e propaganda della modernità », RSF. Rivista di Studi di Fotografia, vol. 1, nº 2, 2015, p. 32‑49.
26 Marina Miraglia, La fortuna istituzionale della fotografia dalle origini agli inizi del Novecento, dans Marina Miraglia, Matteo Ceriana (dir.), Brera 1899, un progetto di fototeca pubblica, op. cit., p. 11‑21.
27 Roberto Cassanelli, « La fotografia delle origini a Milano e il caso dell’Accademia di Brera », dans Silvia Paoli (dir.), Lo sguardo della fotografia sulla città ottocentesca. Milano 1839-1899, cat. exp. (29 oct. 2010-10 janv. 2011, Milan, Castello Sforzesco), Turin, Allemandi, 2011, p. 19‑28.
28 Ferruccio Canali, « Fotografia d’arte e fotografia artistica nei giudizi di Corrado Ricci e dei contemporanei. Documentazione, Arte e restauro. Nuovi studi e documenti », dans Nora Lombardini, Paola Novara, Stefano Tramonti (dir.), Corrado Ricci. Nuovi studi e documenti, Ravenne, Società di studi ravennati, 1999, p. 267‑308.
29 « Pubblica raccolta fotografica », op. cit. et [Corrado Ricci], « Al direttore dell’Ufficio Regionale per la conservazione dei monumenti », texte imprimé, 16 novembre 1903, publié dans Marilena Tamassia (dir.), Primi anni di attività del Gabinetto Fotografico, 1904-1922, op. cit., p. 73‑74.
30 « Pubblica raccolta fotografica », Illustrazione italiana, no 51, 1899, p. 437.
31 Ibidem.
32 Lettre du ministère de l’Instruction publique à la direction de la R[eale]. Pinacoteca de Brera, Rome, 22 décembre 1900 (Pinacoteca di Brera, Archivio Antico, partie 2, boîte 7).
33 « Pubblica raccolta fotografica. Donatori. Fotografie. Somme », [Milan, 1899-1901] (Pinacoteca di Brera, Archivio Antico, partie 2, boîte 7). Il s’agit du seul document dans lequel sont indiqués les premiers donateurs du « ricetto », à savoir « Ricci ; Aldo Jesorum di Venezia ; Giacomo Bersani di Bologna ; Comm. Luca Beltrami Stein Rebecchini di Fossombrone ; Corriere della Sera ; Eugenio Corelli Vollier ». Une liste presque identique avec des indications des frères Alinari, R. Namias et de Quinto Canni apparaît aussi dans « Milano. Archivio fotografico di Brera », Rassegna d’arte, nº 8, 1901, n. p. [129].
34 Tiziana Serena, Cultural Heritage, Nation, Italian State. Politics of the Photographic Archive Between Centre and Periphery, dans Costanza Caraffa, Tiziana Serena (dir.), The Photo Archive and the Idea of Nation, Berlin/Munich, De Gruyter, 2015, p. 179‑200.
35 Voir notamment la lettre du ministère de l’Instruction publique à la direction de la R. Pinacoteca de Brera, op. cit.
36 « Archivio fotografico di Brera », La Sera, 27‑28 juin 1901, n. p.
37 Lettre du ministère de l’Instruction publique à la direction de la R. Pinacoteca de Brera, op. cit.
38 Ibidem.
39 Marilena Tamassia (dir.), Primi anni di attività del Gabinetto Fotografico, 1904-1922, Livourne, Sillabe, 2012.
40 Paolo Giuliani, Igino Benvenuto Supino e la fotografia. Immagini per la storiografia artistica, Bologne, Giuly Ars, 2010, p. 12.
41 Voir, entre autres, « La fotografia negli archivi di Stato », Bullettino della Società fotografica italiana, XIV, 1902, p. 182.
42 Voir Éléonore Challine, supra, p. 30 sq.
43 Au cours de la première année ont été publiés dans La fotografia artistica : Léon Vidal, « Du progrès de la photographie dans l’Art, la Science », vol. 1, nº 1, 1904, p. 4‑7 ; Léon Vidal, « Progrès dans l’illustration du livre dû à la photographie », vol. 2, nº 1, 1905, p. 4‑7 ; Alfred Liégard, « Le document et l’art », op. cit., p. 8‑10 ; Alfred Liégard, « La question de la photographie documentaire », vol. 2, nº 12, 1905, p. 4‑6 et, dans le même numéro, Léon Vidal, « L’image photographique est l’indispensable complément de la description écrite des choses et de faits », op. cit.
44 Giovanni Santoponte, « Per un museo italiano di fotografie documentarie », Bullettino della Società fotografica italiana (1905), réédité dans Paolo Costantini, Italo Zannier (dir.), Cultura fotografica in Italia. Antologia di testi, Milan, Franco Angeli, 1985, p. 242‑249. Je remercie Luce Lebart de m’avoir signalé la parution de ce texte dans les actes du congrès de Marseille de 1906. Sur le congrès de Marseille, voir Luce Lebart, infra, p. 62 sq.
45 Toutes les citations, y compris celles qui suivent, sont tirées de Giovanni Santoponte, « Per un museo italiano di fotografie documentarie », op. cit.
Haut de pageTable des illustrations
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Titre | 1. Leone Betrand Beltramelli, « Zola au Cercle photographique, décembre 1894 », Milan |
Légende | Platinotype, 119 x 170 mm (258 x 326 mm avec carton). Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (VLO/122). Zola fut probablement introduit au Cercle par Giuseppe Giacosan pendant la deuxième Exposition internationale de photographie. Beltramelli était membre du Cercle depuis 1893. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/362/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 546k |
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Titre | 2. Giacomo Bersani, « Récif de Lavagna. Riviera ligure », avant 1899 |
Légende | Épreuve au gélatino-bromure d’argent, 83 x 110 mm (203 x 250 mm avec carton). Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (229/1). Bersani était un photographe amateur basé à Bologne qui, à la suite de l’appel à la collecte publique, a donné une série d’albums contenant les vues de ses voyages en Italie. Les recueils ont ensuite été démembrés pour que les tirages puissent être intégrés dans l’archive. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/362/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 396k |
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Titre | 3. Giacomo Bersani, « Temple romain, Clitunno (Ombrie) », avant 1899 |
Légende | Épreuve au gélatino-bromure d’argent, 91 x 144 mm (170 x 210 mm avec carton). Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (142/1). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/362/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 492k |
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Titre | 4. Papasogli-Pizzotti, « Golfe de Populonia », 1899 |
Légende | Épreuve au gélatino-bromure d’argent, 100 x 131 mm. Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (518/1). L’ingénieur Papasogli-Pizzotti était un photographe amateur qui, à la suite de l’appel à la collecte publique, a donné une série de photographies de petit format réalisées entre Grosseto et Livourne. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/362/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 496k |
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Titre | 5. Isabel B. Trewhella, « Voyageurs à bord d’un bateau », avant 1901 |
Légende | Aristotype, 161 x 221 mm. Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (305/10). Isabel B. Trewhella, photographe anglaise installée à Rome, probablement en 1897. L’image a été publiée dans la revue Il Progresso fotografico en 1901. Sur le verso, on lit « En haute mer, imitation réalisée sur une terrasse de Naples ». |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/362/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 282k |
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Titre | 6. Couverture de Attraverso l’Italia. Rivista del Touring Club Italiano, vol. 6, no 6, juin 1900 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/362/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 993k |
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Titre | 7. Aldo Rusconi, Cento, Emilia Romagna, s. d. |
Légende | Épreuve au gélatino-bromure d’argent, 227 x 167 mm (260 x 178 mm avec carton). Milan, Pinacoteca di Brera, Archivio fotografico (358/1). Le photographe Rusconi, basé à Bologne, présentait ses propres tirages avec le qualitatif « Dilettante ». |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/362/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 877k |
Pour citer cet article
Référence papier
Tiziana Serena, « Le musée d’art comme lieu d’autorité pour l’archive photographique. Le cas italien au tournant du XXe siècle », Transbordeur, 1 | 2017, 50-61.
Référence électronique
Tiziana Serena, « Le musée d’art comme lieu d’autorité pour l’archive photographique. Le cas italien au tournant du XXe siècle », Transbordeur [En ligne], 1 | 2017, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/362 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12gwa
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