Margaret de Patta, une designer à l’esprit photo‑créatif. Vision en mouvement d’une œuvre plurielle
Résumés
« S’il nous manque le courage ou la vision de nous aventurer dans l’inexploré, nous allons inévitablement paraphraser les œuvres du passé ». Pour l’Américaine Margaret de Patta (1903-1965), la vocation du designer à produire des formes originales en adéquation avec son époque est inséparable d’une démarche expérimentale. L’auteure se propose d’examiner la façon dont la photographie s’est imposée au cours des années 1940 comme un instrument fondamental de sa recherche esthétique. Bagues, broches et pendentifs font écho à des photogrammes semi-abstraits, produits de sa rencontre avec des théories développées à Chicago par László Moholy-Nagy (1895-1946). Ces images, par définition uniques, sont rares en comparaison de son travail de joaillière dont on trouve plusieurs exemples dans d’importantes collections muséales comme celles de l’Art Institute de Chicago ou de la Smithsonian Institution de Washington. Elles n’en sont pas moins essentielles à la compréhension de son œuvre. Ancienne étudiante de László Moholy-Nagy, elle explore, elle aussi, les potentialités du papier sensible qu’elle met en contact direct avec divers objets choisis pour leurs qualités optiques. L’étude comparée de ces formes permet de mettre en évidence la place du photogramme dans le processus de conception esthétique et structurelle de ses bijoux.
Entrées d’index
Mots-clés :
De Patta (Margaret), joaillerie, photogramme, design, Moholy-Nagy (László), Vision in motionPlan
Haut de pageTexte intégral
- 1 László Moholy-Nagy, « Photographie, forme objective de notre temps », Telehor, no 1-2, 1936, reprod (...)
- 2 László Moholy-Nagy, Vision in Motion [1947], Chicago, Paul Theobald and Company, 1969, p. 209.
- 3 Voir dans ce numéro l’article d’Agathe Cancellieri, « Expérimenter dans la rue. Chicago photographi (...)
1L’image que nous offre le photographe Milton Halberstadt (1919-2000) de Margaret de Patta (1903-1965), joaillière américaine établie dans la baie de San Francisco, est celle d’une designer visionnaire (fig. 1). La puissance de son regard paraît dédoublée entre perception et création, tandis que l’œil gauche est rendu en valeurs positives et le droit en valeurs négatives. L’un conçoit peut-être ce que l’autre, ce qu’une multitude d’autres, ne voient pas. Cette pupille blanchie est-elle une manifestation de la « super-vision1 » photographique, l’indice de la présence d’un « esprit photocréatif2 » ? Dans les années 1940, Margaret de Patta intègre la photographie à son travail de créatrice de bijoux, en complément des usages documentaires et publicitaires qui lui sont communément dévolus. Convaincue qu’il lui revient de produire des formes à la fois originales et signifiantes pour son époque, elle s’intéresse au médium pour son potentiel expérimental et pour son statut au sein de la théorie des arts. La photographie n’est-elle pas l’emblème d’une création tournée vers la modernité et la société contemporaine ? Margaret de Patta réalise essentiellement des photogrammes, images positives directes obtenues sans appareil, en insolant dans la chambre noire divers éléments placés directement au contact de la surface sensible du papier photographique. Sa pratique s’inaugure à partir de sa rencontre en 1939 avec l’artiste et théoricien László Moholy-Nagy (1895-1946), qui porte alors le projet pédagogique de la School of Design de Chicago3. Elle s’alimente également d’échanges créatifs avec Milton Halberstadt, professeur assistant dans l’établissement, devenu photographe commercial en Californie après la Seconde Guerre mondiale.
1. Milton Halberstadt, portrait de Margaret de Patta, circa 1947

Diapositive. UC Davis Library, fonds Milton Halberstadt (D-468).
© DR
- 4 Voir à cet égard le remarquable catalogue de Ursula Ilse-Neuman et Julie M. Muniz, Space, Light, St (...)
- 5 Voir Carlotta Corpron et Martha A. Sandweiss, Carlotta Corpron. Designer with Light, Fort Worth, Un (...)
2Les recherches les plus récentes sur la créatrice ont privilégié une interprétation de sa trajectoire dans une perspective de genre ou se sont intéressées à la manière dont elle s’était intégrée à la sphère du design4. Le présent article tente de formuler une première série de réflexions sur la relation de Margaret de Patta à la photographie. Il se fonde sur l’accès inédit à d’importantes sources visuelles conservées en mains privées, ainsi que sur des sources textuelles récemment rendues disponibles. À partir de 2002, à la suite du décès d’Eugene Bielawski, enseignant, artiste et second mari de Margaret de Patta, les papiers de la designer ont en effet rejoint progressivement les Archives of American Art. Ce fonds, inventorié en 2016 et encore non numérisé, contient plusieurs essais dont la lecture s’est avérée déterminante pour la construction de notre propos. De fait, il s’agira ici de faire émerger, plutôt qu’un simple corpus d’images, la manière dont une joaillière comme Margaret de Patta, dans le sillage des idées et travaux de Moholy-Nagy, entend les relations entre photographie et design. En effet, la période est marquée par la disparition du maître hongrois en 1946, qui cristallise son influence formelle et conceptuelle sur une génération d’artistes américains. On assiste à la consécration d’une photographie abstraite et expérimentale : les réalisations de Margaret de Patta, à l’instar de celles de la photographe américaine Carlotta Corpron5 (1901-1988) elle aussi marquée par les recherches de Moholy-Nagy, illustrent ce phénomène de filiation esthétique. L’héritage moholynien revêt en outre une dimension théorique, largement portée par la publication posthume du manuel Vision in Motion. Synthétique et didactique, l’ouvrage achève de diffuser la croyance de László Moholy-Nagy en un bouleversement général de la vision induit par la photographie. De la Nouvelle Vision moderniste à la Vision en mouvement de l’Espace-Temps, la photographie retentit sur tous les domaines de la création. L’examen de l’œuvre plurielle de Margaret de Patta sous le prisme photographique s’envisagera donc ici à partir du rayonnement des théories moholyniennes et de l’utilisation du photogramme par cette dernière. Dans plusieurs cas, on peut remarquer un parallèle, si ce n’est exact, du moins frappant, entre l’image et l’objet créé. En quoi le médium est-il un lieu d’expérimentation, un lieu de la naissance et du jeu sur les formes, et quelle est l’incidence de cette vision photographique sur la production joaillière de Margaret de Patta ? Ainsi est-il moins question ici de transformer artificiellement cette figure de designer en photographe que d’apporter un éclairage nouveau et ciblé sur sa production, en postulant le rôle crucial du médium photographique comme outil et instrument de vision, d’une part ; et comme l’expression d’une nouvelle conception de la joaillerie dans ses relations aux arts de la reproductibilité et à la modernité, d’autre part.
Aux sources d’une vision moderne
- 6 Margaret de Patta, Sam Kramer et Philip Morton, « Jewelry Designers. Bertoia, De Patta, Kramer, Mor (...)
3La formation de Margaret de Patta est à l’image de son œuvre : protéiforme. La créatrice commence par étudier les beaux-arts en Californie et poursuit son apprentissage à l’Art Students League de New York. De retour à San Francisco en 1929, elle s’initie à la joaillerie auprès du bijoutier arménien Armin Hairenian (1892-1981). Dès cette période, elle se positionne en faveur d’une pratique décloisonnée de la création. « Mon intérêt pour le travail de la peinture et des bijoux, dit-elle, s’est développé de manière parallèle pendant plusieurs années6. » La propension précoce de Margaret de Patta à intégrer les médias sans faire de distinction entre art et artisanat fait écho à l’idéal pédagogique défendu par László Moholy-Nagy dans les différentes incarnations du Bauhaus. Elle rappelle d’ailleurs le parcours antérieur de Marianne Brandt, qui pratiqua la peinture et la sculpture avant de réaliser ses premières pièces photographiques et de design métallique à son entrée au Bauhaus de Weimar en 1924.
- 7 Page du journal de Margaret de Patta reproduite dans U. Ilse-Neuman et J. M. Muniz, Space, Light, S (...)
- 8 The Bauhaus. How It Worked (10 avr.-8 mai 1939, Andover, Addison Gallery of American Art, 14 juil.- (...)
- 9 Summer Sessions, The Chicago School of Design, juillet 1940, Oakland, Mills College Art Museum.
- 10 László Moholy-Nagy, « Space-Time and the Photographer », American Annual of Photography, no 57, 194 (...)
- 11 M. de Patta, S. Kramer et P. Morton, « Jewelry Designers… », art. cité, p. 5.
4 Margaret de Patta rencontre László Moholy-Nagy, directeur de la School of Design de Chicago, en avril 1939 à la Pacific Arts Association de San Francisco, où il donne deux conférences intitulées respectivement « Bauhaus Education » et « The New Vision ». Quelques mois plus tard, Margaret de Patta, de passage dans l’Illinois, note dans son journal : « parlé à Moholy-Nagy et décidé de suivre le cours d’été7 ». Après avoir visité l’exposition itinérante The Bauhaus. How It Worked8 et pris part au séminaire multidisciplinaire organisé en 1940 au Mills College d’Oakland9, elle s’inscrit pour un an à l’école de design de Chicago. Cette période d’étude au contact de celui qui récuse toute « spécialisation excessive des activités humaines10 », « concrétise » et « objectivise » ses « impressions » et ses « idées », au point qu’elle écrit dans Design Quarterly en 1955 : « la ligne de démarcation entre beaux-arts, artisanat et design industriel s’est dissoute sous mes yeux11 ».
- 12 La notion de bon design devient centrale aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Support d (...)
- 13 « Good Design by Margaret de Patta », p. 1. Washington D.C., Archives of American Art (AAA), Margar (...)
- 14 Margaret de Patta, « From the Inside », Palette, no 2, 1952, p. 15.
5 Confirmée dans la voie d’une création totale intégrée au corps social, Margaret de Patta recherche à la School of Design les moyens d’un renouveau esthétique à même d’avoir une influence sur les modes de vie. Au sortir de la Grande Dépression et à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, elle appelle de ses vœux un « bon design12 », « de plus en plus nécessaire » dans un pays qui lutte, dit-elle, « pour exprimer les forces créatrices positives de notre société du XXe siècle, plutôt que celles qui sont destructives, dévitalisantes et rétrogrades13 ». Cela doit passer par le rejet catégorique de tout archaïsme artistique : « Le champ de la joaillerie [doit traverser] les mêmes phases de répudiation des vieilles formes, de réexamen de la fonction et d’exploration physique des matériaux que l’ont fait tous les autres champs de la création depuis la rébellion [des cubistes et des futuristes] ». Ainsi seulement s’ouvrira un « monde entier d’exploration créatrice14 ».
- 15 L. Moholy-Nagy, « Photographie, forme objective de notre temps », art. cité, p. 216.
- 16 Ibid., p. 213.
6 À Chicago, la photographie se présente à Margaret de Patta comme la nouvelle vision apte à régénérer son regard de créatrice. Cette « chose mécanique » dont László Moholy-Nagy écrit qu’elle est devenue « la forme objective visuelle de notre temps15 », y occupe une place théorique et pédagogique centrale. Dans la perspective d’un utopisme technologique revendiqué, elle est considérée comme un moyen d’améliorer la vision humaine, d’en accroître les potentialités, et de devenir un outil formateur pour les professionnels de la communication visuelle que sont les designers. Au cours de l’année 1940, Margaret de Patta crée une bague qui incarne ce fantasme de l’œil photographique (fig. 2), comme pour prêter allégeance à cette Nouvelle Vision. Un quartz semi-translucide, taillé en cabochon de façon à évoquer avec précision la forme d’un globe oculaire, est serti dans une structure métallique suggérant discrètement la présence de paupières. L’iris fascine par son aspect diapré, obtenu par insertion d’un écran en fil d’argent, et l’éclat de la pupille, figurée par une perle, semble donner vie à ce bijou. Ainsi se trouve acté l’engagement de Margaret de Patta en faveur d’un design qu’elle considérait comme visionnaire, mettant le « pouvoir divin latent16 » de la photographie au service d’une création vivante.
2. Margaret de Patta, bague, San Francisco, circa 1940

Argent, quartz taillé en cabochon, perle de culture, écran de fils d’argent, 3,2 x 1,9 x 1,9 cm. Boston, Museum of Fine Arts, collection Daphne Farago (2006.117).
© DR
La lumière comme matière première
- 17 Voir László Moholy-Nagy, « Produktion – Reproduktion », De Stijl, no 7, juil. 1922, pp. 97-100.
- 18 L. Moholy-Nagy, Vision in Motion, op. cit., p. 197.
7Margaret de Patta se familiarise avec le potentiel expérimental de la photographie grâce aux exercices proposés par György Kepes et son assistant Milton Halberstadt dans le cadre du Light Workshop de la School of Design. Leur enseignement repose sur l’idée moholynienne selon laquelle chaque appareil habituellement utilisé à des fins reproductives contiendrait, en soi-même, un potentiel créatif « profitable » au regard de l’impératif moderniste de renouvellement perpétuel17. « L’ennemi de la photographie est la convention, les règles fixes, les ‹ fais comme ça › » peut-on lire dans Vision in Motion, le testament du pédagogue. « [Le] salut de la photographie est dans l’expérience », et l’expérimentateur ne doit avoir « aucune idée préconçue de la photographie18 ». La conception ici défendue du médium photographique en fait un outil d’expérimentation et d’apprentissage d’une part, et produit d’autre part une redéfinition de la photographie, caractérisée non pas par son apparente référentialité mais par son essence lumineuse. Photogrammes, solarisations, expositions multiples, tirages négatifs, usage de prismes et de miroirs déformants, boîtes lumineuses et modulateurs de lumière : à la School of Design, faire art en photographie revient à faire l’expérience de la lumière.
- 19 Francis Sperisen, The Art of the Lapidary, Milwaukee, The Bruce Publishing Company, 1961, p. 13.
- 20 Ursula Ilse-Neuman, « Margaret de Patta, A Modernist’s Vision », in U. Ilse-Neuman et J. M. Muniz, (...)
- 21 Hazel Bray et Yoshiko Uchida, The Jewelry of Margaret de Patta. A Retrospective Exhibition, cat. ex (...)
8 Une démarche également analytique à l’égard des matériaux de ses créations amène Margaret de Patta à constater que les gemmes, comme les photographies, sont déterminées par leur sensibilité à la lumière. Le lapidaire Francis Sperisen (1900-1986) explique : « les minéraux peuvent être classés selon leur aptitude à transmettre la lumière. Ceux qui permettent à la lumière d’être transmise librement sont transparents ; ceux qui transmettent la lumière faiblement sont translucides ; ceux qui résistent complètement au passage de la lumière sont opaques19. » Dès lors, chez Margaret de Patta, les qualités optiques des matières premières priment sur leur valeur marchande. Comme l’affirme Ursula Ilse-Neuman, il s’agit là d’une position profondément réformatrice : « [Elle] était déterminée à combattre l’idée selon laquelle la valeur d’un bijou était fondée sur l’inclusion de pierres et de métaux précieux20. » Dans le cadre de sa collaboration avec Francis Sperisen, la joaillière met au point ce qu’elle appelle des « opticuts » : manière de tailler les pierres pour en sublimer les propriétés visuelles intrinsèques. Elle écrit : « La fascination de regarder dans ou au travers d’un objet ou d’un matériau est sans limite. Ajoutez l’excitation d’effets optiques tels que : la magnification, la réduction, la multiplication, la distorsion et le reflet, et la fonction des gemmes en joaillerie devient à même de stimuler l’ingéniosité et l’imagination du designer21. » Avec les opticuts, l’expérience optique est partagée entre pratiques photographique et joaillière et les formes circulent librement d’un objet à l’autre. En 1941, Margaret de Patta réalise une bague sertie d’un quartz transparent dont la taille complexe offre une vision fragmentée d’une perle de culture enchâssée dans le bijou (fig. 3). Le rapprochement est tentant avec une image abstraite non datée attribuée à son collaborateur Milton Halberstadt (fig. 4). On y retrouve la structure en ovale, l’enchâssement des plans, redoublé en l’occurrence par la superposition de voiles lumineux d’intensité variable, et le principe d’une vision décomposée en facettes, repris par les multiples formes circulaires enchevêtrées.
3. Margaret de Patta, bague, San Francisco, 1942

Or, quartz, perle de culture, 3,2 x 1,9 x 2,2 cm. Oakland Museum of California, collection Margaret de Patta (A67.21.18).
© DR
4. Milton Halberstadt, Abstraction, s. d.

Diapositive. UC Davis Library, fonds Milton Halberstadt (D‑468).
© DR
- 22 L. Moholy-Nagy, Vision in Motion, op. cit., p. 252.
- 23 « Good Design by Margaret de Patta », p. 2 (AAA).
- 24 M. de Patta, « From the Inside », art. cité, p. 17.
- 25 L. Moholy-Nagy, « Space-Time and the Photographer », art. cité, p. 240.
- 26 Voir Colin Rowe et Robert Slutsky, « Transparency, Literal and Phenomenal », Perspecta. Yale Archit (...)
9Quand László Moholy-Nagy écrit : « La passion pour la transparence est l’une des caractéristiques les plus spectaculaires de notre temps22 », Margaret de Patta, consacrant un paragraphe aux formes transparentes dans son essai Good Design, semble lui répondre : « J’ai eu la chance d’arriver historiquement au bon moment23 ». Jusqu’aux années 1940, la transparence n’était que rarement exploitée par les joailliers qui préféraient travailler l’éclat, le brillant des gemmes. « Traditionnellement, les pierres précieuses transparentes étaient taillées en cabochon et facettées de manière à réfléchir la lumière et à donner de la profondeur aux couleurs. Lorsque la réflexion s’est concentrée sur la ‹ qualité › de la transparence, il est devenu évident que de nouveaux types de tailles étaient nécessaires et une vaste zone d’exploration s’est ouverte aux pionniers24 », explique la designer. Les développements contemporains de l’imagerie scientifique et l’écho qu’ils trouvent auprès de nombreux artistes constituent alors un terreau fertile pour explorer le potentiel créatif de la transmission de la lumière par les matériaux. Les photographies sans appareil, qui concrétisent les diverses intensités lumineuses filtrant au travers d’objets plus ou moins occultants interposés entre la source lumineuse et le papier sensible, révèlent la structure interne de la matière, ouvrant la voie à une profonde réorganisation de la vision. « La structure devient transparente et la transparence manifeste la structure25 », écrit László Moholy-Nagy dans une réflexion qui évoque les maisons de verre et métal de son contemporain Philip Johnson et préfigure les travaux de Colin Rowe et Robert Slutsky sur la transparence littérale et phénoménale en architecture26.
Espace photographique et renouveau structurel
- 27 L. Moholy-Nagy, « Space-Time and the Photographer », art. cité, p. 235.
- 28 Ibid., p. 240.
10La photographie est un mode de représentation spatiale : « ‹ Prendre une photo ›, comme on dit communément, c’est projeter un espace sur une surface plane à l’aide de différentes valeurs de noir, de blanc, et de gris27. » Cependant, si la photographie traditionnelle joue sur un anthropocentrisme de la vision, le photogramme offre une nouvelle conception de l’espace, libérée, d’une part, du fardeau de la matérialité et affranchie, d’autre part, de la culture de la perspective héritée de la Renaissance. Ainsi László Moholy-Nagy peut-il écrire : « Ces ‹ photographies › que sont les photogrammes mettent en évidence une forme d’articulation de l’espace totalement nouvelle n’ayant plus rien de commun avec les structures spatiales (ou spatio-temporelles) existantes. Le photogramme, pour la première fois dans l’histoire de la photographie, génère de l’espace sans structure spatiale préalable28. » Le nouvel espace visuel qui naît avec le photogramme tend à l’auto-référentialité ; du moins définit-il de manière indépendante ses modalités organisationnelles par le renversement des valeurs positif/négatif, l’unification des plans, l’interpénétration des formes, une spontanéité totale dans la composition et une indétermination partielle des ordres de grandeur.
11 Ce régime visuel indépendant est approprié par Margaret de Patta et librement intégré à son travail de joaillière. Une bague datée de 1946 et conservée au Museum of Arts and Design de New York (fig. 5) présente une zone noire unie dont les contours sont délimités par un cerclage métallique et sur laquelle se détachent des éléments clairs. Le tout évoque l’apparence générale d’un photogramme. La nature concrète des motifs circulaires, une perle et des clous d’argent, montre que Margaret de Patta ne cantonnait pas certains matériaux à l’armature et d’autres à l’ornementation, édictant elle-même les normes applicables à ses créations. Il ne s’agit pas ici de structurer le bijou autour de la mise en valeur d’une pierre sertie, comme c’est traditionnellement le cas, mais de créer une image valant par sa simple puissance formelle. Un globe nacré est entouré de ronds argentés plus petits répartis de manière irrégulière sur un fond sombre. Sans échelle déterminable, il est élément d’une cosmogonie ou cellule microscopique, et touche précisément à l’universel par son caractère polysémique. L’impact créatif du photogramme chez Margaret de Patta se mesure à l’aune de l’audacieuse conciliation proposée entre le caractère superflu de l’ornementation et la pureté d’une esthétique abstraite.
5. Margaret de Patta, bague, San Francisco, 1946‑1957

Argent moulé, perle de culture, 3,2 x 1,9 x 2,2 cm. New York, Museum of Arts and Design, legs Margaret de Patta (1976.5.6).
© DR
- 29 M. de Patta, S. Kramer et P. Morton, « Jewelry Designers… », art. cité, p. 5.
- 30 M. de Patta, « From the Inside », art. cité, p. 16.
- 31 M. de Patta, S. Kramer et P. Morton, « Jewelry Designers… », art. cité, p. 5.
12La designer fait de son attrait pour des bijoux aux formes simples ainsi que de son usage privilégié de la transparence les éléments d’une conception supposée franche de la création. Dans les deux cas, l’intégrité de sa démarche passe par un travail structurel qu’elle envisage en profondeur : « Toute texture de surface et autres manipulations ont été vivement rejetées comme étant superficielles29 », écrit-elle dans Design Quarterly en 1955. Selon elle, l’une des caractéristiques « du design moderne est l’accent qu’il met sur une structure honnête, sans fioritures, et sur l’application de principes structuraux jusqu’ici inédits. La combinaison de formes métalliques basiques en structures franches a créé une branche majeure sur l’arbre du design30 », ajoute-t-elle. La broche Calligraphy (fig. 6) conservée au Museum of Fine Arts de Boston illustre de manière frappante cette affirmation. Elle est entièrement réalisée en métal, sans inclusion de pierres précieuses. Sa structure, en plus d’être apparente, est autosuffisante : profondément originale, elle constitue le bijou à elle seule. « Un jour j’ai pleinement compris que les formes métalliques de base (fil de fer, plan de tôle, sphère grainée) intégrées à la tige et à la superstructure constituaient ‹ l’architecture ›. L’horizon s’est ouvert de façon illimitée31 » écrit encore Margaret de Patta. Le lecteur sera-t-il surpris d’apprendre que cette architecture, certes inédite dans le champ de la joaillerie, prend racine dans un travail antérieur explorant, de manière plus directe encore, le potentiel du médium photographique ?
6. Margaret de Patta, broche Calligraphy, San Francisco, 1946

Fil d’argent courbé, ornement semi-sphérique, 8,9 x 6,4 x 0,6 cm. Boston, Museum of Fine Arts, collection Daphne Farago (2006.115).
© DR
- 32 Voir par exemple, Barbara Morgan, Cadenza, 1940, tirage 1971, tirage argentique, 45,4 x 38,2 cm. Ne (...)
13Une collection particulière parisienne a révélé l’existence d’un photogramme remarquablement proche contrecollé sur un montage d’exposition original signé par Margaret de Patta (fig. 7). L’image s’articule autour d’une épaisse ligne noire dont les circonvolutions forment un entrelacs graphique que ponctuent un cercle blanc dans la partie supérieure gauche et un rond noir en bas à droite. On connaît une version en valeurs inversées de cette composition (fig. 8), conservée au Akron Art Museum situé dans l’Ohio. Intitulée Positive Form #15, elle laisse présager l’existence d’une série d’inversions dont les motifs ont peut-être servi de base structurelle à d’autres bijoux. L’orientation, essentiellement subjective, de ces épreuves abstraites est à même d’en faire varier la lecture. Présenté verticalement, le photogramme découvert à Paris rappelle celui de l’Ohio. Incliné horizontalement, il renvoie immanquablement à la broche Calligraphy. On retrouve dans le bijou le principe d’un tracé ininterrompu de boucles verticales et horizontales réunies par une ligne diagonale médiane. Les deux formes circulaires, l’une petite, pleine et noire, l’autre grande, vide et blanche, s’incarnent dans un étroit cylindre à l’extrémité plate et opaque et une large demi-sphère polie, dont l’emplacement est parfaitement concordant. L’image photographique, alliant les techniques du photogramme et du dessin lumineux, apporte au design du bijou la vitalité du geste. La ligne noire continue qui se recouvre par endroits est la trace laissée par le déplacement d’une source lumineuse, perçue en négatif. La question de la mise en image d’une énergie dynamique est particulièrement prégnante dans les États-Unis de la décennie 1940. Ainsi le photogramme Squiggles with Black et son incarnation de métal trouvent-ils un écho dans les chorégraphies lumineuses pensées par Barbara Morgan à partir de 194032 ou encore dans l’exposition Action Photography organisée en 1943 au Museum of Modern Art de New York par Nancy Newhall. La photographie apparaît comme un mode de représentation spatiale qui a la particularité de traiter à parts égales la dimension temporelle.
7. Margaret de Patta, Light Squiggles with White Circle, San Francisco, 1939

Tirage argentique (photogramme), 25,1 x 20,3 cm.
© DR
8. Margaret de Patta, Positive Form #15. Squiggles with Black, San Francisco, 1939

Tirage argentique (photogramme), 25,4 x 20,3 cm. Akron, Akron Art Museum (1996.9).
© DR
Dynamiques de l’Espace‑Temps
- 33 L. Moholy-Nagy, Vision in Motion, op. cit., p. 256.
14En 1947, Margaret de Patta et Milton Halberstadt réalisent le photogramme Three Position Pin in Motion (fig. 9) qui représente une broche en rotation. L’élément central du bijou, nettement délinéé en blanc, est répété en une multitude de formes diaphanes imbriquées de manière régulière. L’objet est transfiguré, il est vu en transparence et en transport, dans le temps et dans l’espace. Comme l’explique László Moholy-Nagy, le photogramme est un « diagramme du mouvement de la lumière créant un continuum espace-temps33 ». Chaque donnée plastique est une trace du chemin parcouru par la lumière d’un point à un autre en un temps plus ou moins long. En faisant tourner la broche sur elle-même, Margaret de Patta et Milton Halberstadt ajoutent au mouvement de la substance créatrice de l’image le mouvement de la chose représentée. Le bijou est rendu simultanément en plusieurs positions. Cette vision obtenue en expérimentant avec la chimie photographique est humainement imperceptible. Elle correspond cependant à une réalité physique démontrée par Albert Einstein et transposée dans le champ de la création par László Moholy‑Nagy.
9. Margaret de Patta et Milton Halberstadt, Three Position Pin in Motion, San Francisco, 1947

Tirage argentique (photogramme), 20,5 x 25 cm. Washington D.C., Archives of American Art, fonds Margaret de Patta.
© DR
- 34 Pour tout ce passage, ibid., pp. 266, 246 et 245.
15À partir de 1905, le physicien définit la vitesse de la lumière comme valeur universelle mettant au jour un milieu quadridimensionnel dans lequel les axes de l’espace et du temps se superposent. En 1947, László Moholy-Nagy appelle de ses vœux une nouvelle éducation visuelle basée sur des standards scientifiques. Il ne s’agit pas de traduire plastiquement des formules mathématiques, mais de faire de l’expérience esthétique un moyen éclairé d’isoler des phénomènes et d’établir des relations. Il écrit : « La terminologie de l’espace-temps et de la relativité établie par Einstein a été absorbée par notre langage quotidien. Que nous utilisions les termes ‹ espace-temps ›, ‹ mouvement et vitesse ›, ou ‹ vision en mouvement ›, de manière correcte ou erronée, ils désignent une nouvelle dynamique et une expérience cinétique libérée du cadre statique, fixe du passé ». Pour le théoricien, l’espace-temps est un phénomène optique caractéristique du monde moderne « motorisé » autant qu’un concept physique. « Il y a une différence évidente entre l’expérience visuelle d’un piéton et celle d’un conducteur voyant des objets. […] La différence est produite pas le changement de perception causé par la variation de vitesse. » Il appelle cela « la vision en mouvement »34.
- 35 Milton Halberstadt, A swinging pocket watch, s. d., tirage argentique. UC Davis Library, Milton Hal (...)
- 36 « Good Design by Margaret de Patta », p. 2 (AAA).
- 37 M. de Patta, « From the Inside », art. cité, p. 17.
16 L’idée que ce rapport renouvelé au dynamisme doit s’intégrer dans un nouveau vocabulaire esthétique de l’espace-temps donne son titre au manuel Vision in Motion. Publié peu de temps après la mort de László Moholy-Nagy, il a valeur de synthèse théorique. Le photogramme de la broche en rotation réalisé l’année de sa parution apparaît dès lors comme un hommage conceptuel à son maître. Milton Halberstadt, dont on connaît une photographie de montre à gousset en mouvement35, a manifesté un intérêt soutenu pour les questions touchant à l’espace-temps. Quant à Margaret de Patta, elle a fait de la vision en mouvement l’un des concepts directeurs de sa production de designer. Elle écrit dans l’essai Good Design : « le mouvement peut être utilisé pour créer des tensions spatiales, pour étendre et contracter les formes, pour changer les relations colorées, pour créer des illusions visuelles36 » et précise dans From the Inside les manières de mettre ces principes en œuvre : une broche qui se retourne pour passer de l’obscurité à la lumière, un élément déplaçable qui recouvre ou révèle des pierres colorées, un mouvement qui modifie la taille d’un bijou, etc.37
- 38 M. de Patta, S. Kramer et P. Morton, « Jewelry Designers… », art. cité, p. 5.
- 39 M. de Patta, « From the Inside », art. cité, p. 16.
17 C’est à la School of Design de Chicago que Margaret de Patta formule le principe d’un bijou modulable : « la première bague mobile incorporant cinq types de mouvements a été conçue dans cette école. Elle est passée de mains en mains, détournant l’attention des élèves rassemblés pour une conférence38. » Outre les bagues, Margaret de Patta a imaginé des broches mobiles. Un exemplaire de celle qui a probablement servi pour le photogramme co-réalisé avec Milton Halberstadt est conservé au Museum of Arts and Design de New York (fig. 10). L’élément inférieur de sa structure en argent, corail et malachite est inclinable, de sorte que le bijou peut revêtir successivement trois apparences différentes. Le mouvement interne confère à la broche autonomie et unité. Ainsi, la composition demeure-t-elle harmonieuse quant aux lignes, aux masses et aux couleurs, quelle que soit la position choisie. Cet équilibre formel est d’autant plus important que les objets conçus par Margaret de Patta sont destinés à la parure, donc soumis au mouvement des corps qui les revêtent. Finalement, avec la Three Position Pin, la créatrice transcende les « limitations automatiquement imposées au designer » par « le concept essentiel du bijou comme ‹ chose à porter ›39 » en faisant émerger une conception esthétique nouvelle à partir d’une analyse fonctionnelle de l’objet.
10. Margaret de Patta, broche à trois positions, San Francisco, circa 1947

Argent, corail, malachite, 7 x 8,6 x 1 cm. New York, Museum of Arts and Design, legs Margaret de Patta (1976.5.3).
- 40 L. Moholy-Nagy, Vision in Motion, op. cit., p. 219.
- 41 M. de Patta, « From the Inside », art. cité, p. 15.
- 42 L. Moholy-Nagy, Vision in Motion, op. cit., p. 237.
18Son évolution créatrice s’incarne expressément dans les stades ultimes du développement de la sculpture décrits par László Moholy-Nagy. Le théoricien distingue cinq étapes dans une progression allant « de la masse au mouvement » : « 1. L’obstruction ; 2. Le modelage (évidage) ; 3. La perforation (transpercement) ; 4. L’équilibre (suspension) ; 5. Le cinétisme (mouvement)40. » Au stade quatre, l’objet, flottant dans l’espace, se libère de relations normées à l’environnement, c’est l’abandon du socle et du point de vue directionnel au profit d’un équilibre internalisé. La broche est appelée « sculpture à porter41 », selon une terminologie qui rappelle celle utilisée de manière contemporaine par Alexander Calder pour désigner ses propres créations. Elle bouge avec le corps et porte la responsabilité de sa pondération. Au stade cinq, l’objet est mis en mouvement de sorte qu’il se dématérialise pour révéler sa structure lumineuse. La Three Position Pin est photographiée en rotation par Margaret de Patta et Milton Halberstadt, tandis que László Moholy-Nagy explique : « Dans les mobiles, le matériau est utilisé non pas pour sa masse mais comme un vecteur de mouvement. Aux trois dimensions du volume, une quatrième, celle du mouvement, est ajoutée. Selon la vitesse de cette mobilité, le bloc de matériau originellement lourd – le volume solide – se transforme en une sorte d’extension éthérée. Le ‹ mobile › est en apesanteur, à l’équilibre des relations de volumes et des interpénétrations42. »
- 43 Ibid., p. 235.
19 Les dernières recherches plastiques de László Moholy-Nagy utilisent des matières synthétiques industrielles à base de polymères telles que le Plexiglas ou le Rhodoïd qui ont pour propriétés principales d’être transparentes et malléables. « Le plastique transparent, moulé ou façonné à la main est un nouvel enrichissement pour la sculpture contemporaine », écrit-il. « Bien que nous ayons disposé d’un matériau transparent depuis longtemps – le verre – sa manipulation était difficile. Il y a eu très peu de sculptures importantes en verre. Les thermo-plastiques peuvent être manipulés plus aisément43 ». Disponibles sous forme de feuilles plus ou moins épaisses, ces matières sont découpées, pliées par chauffage, perforées, parfois peintes, et mises en mouvement. La photographie intervient in fine, pour visualiser l’image imperceptible d’une énergie lumineuse dynamique. Le diptyque Plexiglas Mobile Sculpture in Repose and in Motion (fig. 11), réalisé par László Moholy-Nagy en 1943 et conservé dans les collections du George Eastman Museum de Rochester, apparaît comme un précédent esthétique au photogramme Three Position Pin in Motion. Cette parenté forme la synthèse autant qu’elle valide un cheminement théorique et formel qui, chez Margaret de Patta, place l’expérience intermédiale au service d’une réflexion sur la matière dont le temps photographique fournit la clé.
11. László Moholy-Nagy, Plexiglas Mobile Sculpture in Repose and in Motion, Chicago, 1943

Tirages argentiques, 23,2 x 15,5 cm. Rochester, George Eastman Museum (1981.2163.0059).
Vers un continuum design‑photographie
- 44 Ibid., p. 266.
20László Moholy-Nagy formulait l’espoir que l’expérience de l’espace-temps « nous aide à appréhender de futurs problèmes et vues, nous permettant de voir toutes choses en relations44 ». C’est dans cet esprit que nous avons tenté d’aborder l’œuvre de Margaret de Patta. Photographie et design y forment un continuum dont la physique relativiste dirait qu’il est composé d’éléments à la fois indissociables et en mouvement permanent. Circulations des formes et des concepts sont constitutives d’une création multidimensionnelle, et la question du statut des images produites se résout dans un principe d’intégration. Dans le laboratoire de la chambre noire s’élaborent les modalités d’une expérience esthétique nouvelle et inclusive, qui résonne avec une société en transformation. Le photogramme est le support d’une vision créatrice et le véhicule d’un dialogue fécond avec László Moholy-Nagy, théoricien, Francis Sperisen, lapidaire, et Milton Halberstadt, photographe. La production de Margaret de Patta évoque la croyance de ces différents acteurs dans le potentiel de la photographie à concentrer, à intensifier et à exprimer de nouvelles formes d’expériences. Inspirée par les conférences, les enseignements et les ouvrages théoriques de László Moholy-Nagy, Margaret de Patta s’est nourrie, dans son travail, d’une réflexion sur la matière et la fonction. Elle a pensé la lumière et la transparence, la structure et sa mise en espace, tant dans ses photogrammes que dans ses bijoux. Elle a affirmé la légitimité d’une esthétique de l’épure, d’une joaillerie plus conceptuelle que sensationnelle.
- 45 Margaret de Patta, « Jewelry for an Ever-Increasing Minority », tapuscrit original pour l’article p (...)
21 Sa vision en mouvement d’une activité traditionnellement réduite à la notion d’artisanat l’amène à créer en 1946 « Design Contemporary », une ligne de bijoux édités en série. La fabrication en série offre à Margaret de Patta les moyens de renouveler sa pratique, comme elle le désirait. Cette ligne de bijoux apparaît comme l’ultime étape du processus d’intégration de ses travaux à une société dont il s’agit de reconnaître le fonctionnement et d’équilibrer les désordres. La nécessité de « faire advenir le changement » semble d’autant plus grande dans un système économique dont les mécanismes sont jugés « contradictoires ». Visée par une enquête du gouvernement McCarthy de 1947 à 1949, la designer se qualifie prudemment d’« idéaliste » mais pas de « capitaliste dans l’âme ». Elle exprime le souhait que les « meilleurs efforts » accomplis pour sa recherche esthétique « bénéficient au peuple »45. À partir de ce moment, les bijoux produits en nombre éclipsent les rares photogrammes. Malgré tout, le médium photographique ne s’efface pas complètement devant ce retour en force d’un bijou qui, cette fois, trouve à se multiplier dans sa matérialité même. C’est dans l’ombre que demeurera la présence de la photographie.
Notes
1 László Moholy-Nagy, « Photographie, forme objective de notre temps », Telehor, no 1-2, 1936, reproduit dans László Moholy-Nagy, Peinture, photographie film et autres écrits sur la photographie [1993], Dominique Baqué (éd.), trad. C. Wermester, J. Kempf et G. Dallez, Paris, Gallimard, 2014, p. 213.
2 László Moholy-Nagy, Vision in Motion [1947], Chicago, Paul Theobald and Company, 1969, p. 209.
3 Voir dans ce numéro l’article d’Agathe Cancellieri, « Expérimenter dans la rue. Chicago photographié par les élèves et les professeurs de l’Institute of Design (1946-1969) », pp. 50-61.
4 Voir à cet égard le remarquable catalogue de Ursula Ilse-Neuman et Julie M. Muniz, Space, Light, Structure. The Jewelry of Margaret de Patta, cat. exp., Oakland/New York, Oakland Museum of California/Museum of Arts and Design, 2012.
5 Voir Carlotta Corpron et Martha A. Sandweiss, Carlotta Corpron. Designer with Light, Fort Worth, University of Texas Press, 1980. Voir aussi Texas Bauhaus. The Photographs of Carlotta Corpron, Ida Lansky, and Barbara Maples, cat. exp., El Paso, El Paso Museum of Art, 2006.
6 Margaret de Patta, Sam Kramer et Philip Morton, « Jewelry Designers. Bertoia, De Patta, Kramer, Morton, and Wisnton », Design Quarterly, no 33, 1955, p. 5.
7 Page du journal de Margaret de Patta reproduite dans U. Ilse-Neuman et J. M. Muniz, Space, Light, Structure, op. cit., p. 32.
8 The Bauhaus. How It Worked (10 avr.-8 mai 1939, Andover, Addison Gallery of American Art, 14 juil.-4 août 1939, Minneapolis, University of Minnesota, 1-22 oct. 1939, Tallahassee, Florida State College for Women, 1-22 nov., New Orleans, Art Association for New Orleans, 1-22 dec. 1939, Baton Rouge, Louisiana State University, 2-23 janv. 1940, Cambridge, Havard University, 6-27 févr. 1940, Seattle, University of Washington, 8-29 mars 1940, San Francisco, SFMoMA, 3 avril-5 mai 1940, Oakland, Mills College, 18 mai-8 juin 1940, Williamstown, Williams College).
9 Summer Sessions, The Chicago School of Design, juillet 1940, Oakland, Mills College Art Museum.
10 László Moholy-Nagy, « Space-Time and the Photographer », American Annual of Photography, no 57, 1943, reproduit dans L. Moholy-Nagy, Peinture, Photographie, Film, op. cit., p. 234.
11 M. de Patta, S. Kramer et P. Morton, « Jewelry Designers… », art. cité, p. 5.
12 La notion de bon design devient centrale aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Support d’une vision positive et progressiste de la production puis de la consommation, elle participe à soutenir la croissance économique en temps de paix. Plusieurs expositions sont organisées sur ce thème, parmi lesquelles Good Design qui se tient successivement au Merchandise Mart de Chicago puis au MoMA de New York en 1950-1951 sous la direction d’Edgar Kaufman Jr. Sur l’exposition Good Design, voir dans ce numéro Alexandra Midal, « Un langage pour le design. La ‹ folie photographique › de Charles et Ray Eames », pp. 30-39.
13 « Good Design by Margaret de Patta », p. 1. Washington D.C., Archives of American Art (AAA), Margaret de Patta papers.
14 Margaret de Patta, « From the Inside », Palette, no 2, 1952, p. 15.
15 L. Moholy-Nagy, « Photographie, forme objective de notre temps », art. cité, p. 216.
16 Ibid., p. 213.
17 Voir László Moholy-Nagy, « Produktion – Reproduktion », De Stijl, no 7, juil. 1922, pp. 97-100.
18 L. Moholy-Nagy, Vision in Motion, op. cit., p. 197.
19 Francis Sperisen, The Art of the Lapidary, Milwaukee, The Bruce Publishing Company, 1961, p. 13.
20 Ursula Ilse-Neuman, « Margaret de Patta, A Modernist’s Vision », in U. Ilse-Neuman et J. M. Muniz, Space, Light, Structure, op. cit., p. 22.
21 Hazel Bray et Yoshiko Uchida, The Jewelry of Margaret de Patta. A Retrospective Exhibition, cat. exp. (3 févr.-28 mars 1976, Oakland Art Museum), 1976, p. 15.
22 L. Moholy-Nagy, Vision in Motion, op. cit., p. 252.
23 « Good Design by Margaret de Patta », p. 2 (AAA).
24 M. de Patta, « From the Inside », art. cité, p. 17.
25 L. Moholy-Nagy, « Space-Time and the Photographer », art. cité, p. 240.
26 Voir Colin Rowe et Robert Slutsky, « Transparency, Literal and Phenomenal », Perspecta. Yale Architectural Journal, vol. 8, 1963, pp. 45-54.
27 L. Moholy-Nagy, « Space-Time and the Photographer », art. cité, p. 235.
28 Ibid., p. 240.
29 M. de Patta, S. Kramer et P. Morton, « Jewelry Designers… », art. cité, p. 5.
30 M. de Patta, « From the Inside », art. cité, p. 16.
31 M. de Patta, S. Kramer et P. Morton, « Jewelry Designers… », art. cité, p. 5.
32 Voir par exemple, Barbara Morgan, Cadenza, 1940, tirage 1971, tirage argentique, 45,4 x 38,2 cm. New York, MoMA (388.1972).
33 L. Moholy-Nagy, Vision in Motion, op. cit., p. 256.
34 Pour tout ce passage, ibid., pp. 266, 246 et 245.
35 Milton Halberstadt, A swinging pocket watch, s. d., tirage argentique. UC Davis Library, Milton Halberstadt Papers and Photographs.
36 « Good Design by Margaret de Patta », p. 2 (AAA).
37 M. de Patta, « From the Inside », art. cité, p. 17.
38 M. de Patta, S. Kramer et P. Morton, « Jewelry Designers… », art. cité, p. 5.
39 M. de Patta, « From the Inside », art. cité, p. 16.
40 L. Moholy-Nagy, Vision in Motion, op. cit., p. 219.
41 M. de Patta, « From the Inside », art. cité, p. 15.
42 L. Moholy-Nagy, Vision in Motion, op. cit., p. 237.
43 Ibid., p. 235.
44 Ibid., p. 266.
45 Margaret de Patta, « Jewelry for an Ever-Increasing Minority », tapuscrit original pour l’article paru dans Arts & Architecture en 1947, pp. 3 et 1 (AAA).
Haut de pageTable des illustrations
![]() |
|
---|---|
Titre | 1. Milton Halberstadt, portrait de Margaret de Patta, circa 1947 |
Légende | Diapositive. UC Davis Library, fonds Milton Halberstadt (D-468). |
Crédits | © DR |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 305k |
![]() |
|
Titre | 2. Margaret de Patta, bague, San Francisco, circa 1940 |
Légende | Argent, quartz taillé en cabochon, perle de culture, écran de fils d’argent, 3,2 x 1,9 x 1,9 cm. Boston, Museum of Fine Arts, collection Daphne Farago (2006.117). |
Crédits | © DR |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 220k |
![]() |
|
Titre | 3. Margaret de Patta, bague, San Francisco, 1942 |
Légende | Or, quartz, perle de culture, 3,2 x 1,9 x 2,2 cm. Oakland Museum of California, collection Margaret de Patta (A67.21.18). |
Crédits | © DR |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 268k |
![]() |
|
Titre | 4. Milton Halberstadt, Abstraction, s. d. |
Légende | Diapositive. UC Davis Library, fonds Milton Halberstadt (D‑468). |
Crédits | © DR |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 323k |
![]() |
|
Titre | 5. Margaret de Patta, bague, San Francisco, 1946‑1957 |
Légende | Argent moulé, perle de culture, 3,2 x 1,9 x 2,2 cm. New York, Museum of Arts and Design, legs Margaret de Patta (1976.5.6). |
Crédits | © DR |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 60k |
![]() |
|
Titre | 6. Margaret de Patta, broche Calligraphy, San Francisco, 1946 |
Légende | Fil d’argent courbé, ornement semi-sphérique, 8,9 x 6,4 x 0,6 cm. Boston, Museum of Fine Arts, collection Daphne Farago (2006.115). |
Crédits | © DR |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 509k |
![]() |
|
Titre | 7. Margaret de Patta, Light Squiggles with White Circle, San Francisco, 1939 |
Légende | Tirage argentique (photogramme), 25,1 x 20,3 cm. |
Crédits | © DR |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 565k |
![]() |
|
Titre | 8. Margaret de Patta, Positive Form #15. Squiggles with Black, San Francisco, 1939 |
Légende | Tirage argentique (photogramme), 25,4 x 20,3 cm. Akron, Akron Art Museum (1996.9). |
Crédits | © DR |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 533k |
![]() |
|
Titre | 9. Margaret de Patta et Milton Halberstadt, Three Position Pin in Motion, San Francisco, 1947 |
Légende | Tirage argentique (photogramme), 20,5 x 25 cm. Washington D.C., Archives of American Art, fonds Margaret de Patta. |
Crédits | © DR |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 253k |
![]() |
|
Titre | 10. Margaret de Patta, broche à trois positions, San Francisco, circa 1947 |
Légende | Argent, corail, malachite, 7 x 8,6 x 1 cm. New York, Museum of Arts and Design, legs Margaret de Patta (1976.5.3). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 180k |
![]() |
|
Titre | 11. László Moholy-Nagy, Plexiglas Mobile Sculpture in Repose and in Motion, Chicago, 1943 |
Légende | Tirages argentiques, 23,2 x 15,5 cm. Rochester, George Eastman Museum (1981.2163.0059). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/2012/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 225k |
Pour citer cet article
Référence papier
Joséphine Givodan, « Margaret de Patta, une designer à l’esprit photo‑créatif. Vision en mouvement d’une œuvre plurielle », Transbordeur, 5 | 2021, 62-73.
Référence électronique
Joséphine Givodan, « Margaret de Patta, une designer à l’esprit photo‑créatif. Vision en mouvement d’une œuvre plurielle », Transbordeur [En ligne], 5 | 2021, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/2012 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12gz5
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page