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Dossier

Une bibliothèque portative. Le microfilm et son architecture

To Carry a Library. The Architecture of Microfilm
Michael Faciejew
Traduction de Jean-François Caro
p. 48-61

Résumés

Entre la fin des années 1920 et les années 1960, le microfilm a occupé une place centrale dans un discours tenu par des documentalistes du monde entier, convaincus que ce support permettrait à chacun de disposer un jour d’une « bibliothèque de poche ». Au départ simples prototypes, les appareils de lecture et de reproduction de microfilms ont progressivement investi les bibliothèques et ont redéfini la relation entre l’usager individuel et le système de savoir – notamment à l’échelle de la station de travail. Prenant pour toile de fond les travaux de modernisation de la Bibliothèque nationale de Paris et les activités de l’architecte et urbaniste français Georges Sébille, inventeur d’un procédé de lecture de microfilm, Michael Faciejew retrace le développement des technologies microphotographiques et l’émergence d’un nouveau paradigme de la précision technique, notamment incarné par la figure du bibliothécaire-technicien et par le discours architectural de l’équipement. En se penchant sur ces innovations techniques et théoriques, son article montre la façon dont elles ont contribué au démantèlement de la bibliothèque comme type architectural au profit d’un ensemble de techniques spatiales dédiées au traitement de l’information.

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Notes de la rédaction

Traduction de l’anglais par Jean-François Caro

Texte intégral

  • 1 Georges Sébille, « Le microfilm dans les bibliothèques », L’Architecture d’aujourd’hui, vol. 9, no  (...)

1En 1938, dans un article qu’il publia dans L’Architecture d’aujourd’hui, l’architecte et urbaniste Georges Sébille livrait ses réflexions sur la profonde mutation de la société française à l’heure de la mécanisation croissante de la culture intellectuelle. Pour se mettre au diapason de l’automatisation et de la mobilité des savoirs et des corps, écrivait-il, les architectes devaient radicalement repenser leur conception des bibliothèques. Après tout, un chercheur isolé dans une « petite ville ou une colonie » méritait de pouvoir consulter les documents auxquels ses homologues des grandes villes étaient les seuls à avoir accès jusqu’alors. Face aux appels à une meilleure diffusion du savoir, Sébille préconisait l’utilisation d’un support élaboré au XIXe siècle dont on commençait à peine à explorer le potentiel : le microfilm. Son bilan était catégorique : « Il n’est plus admissible qu’un architecte conçoive désormais une bibliothèque sans réserver une place au laboratoire des microfilms, et des salles de réserve pour les collections de microfilms. » « Qui sait ? », ajoutait-il en conclusion de son article, le microfilm et les outils scientifiques pourraient un jour supplanter l’imprimerie en réinventant non seulement l’architecture des bibliothèques, mais aussi le « domaine de la pensée »1.

  • 2 Voir notamment « Die Nationalbibliothek in der Westentasche. Professoren-Traum und die ersten Schri (...)
  • 3 Voir Robert Goldschmidt et Paul Otlet, Sur une forme nouvelle du livre. Le livre microphotographiqu (...)

2 Les arguments de Sébille coïncidaient avec un plus vaste courant de pensée regroupant les documentalistes européens engagés dans la promotion de la pellicule. Selon ses tenants, ce support permettrait à chacun d’avoir un jour à disposition « une bibliothèque entière en poche2 » (fig. 1). Depuis 1906 et la proposition d’un « livre microphotographique » par le bibliographe et internationaliste belge Paul Otlet et son collègue chimiste Robert Goldschmidt, l’idée d’une communauté de savoirs mondiale allait de pair avec les concepts utopistes de portabilité et de dématérialisation3. La multiplication des dispositifs de reproduction, appareils de lecture, réseaux d’institutions et normes techniques dans la première moitié du XXe siècle démontre toutefois que portabilité n’est pas synonyme d’accès. À l’ère du microfilm, la diffusion des savoirs demeurait inextricablement liée à une vaste infrastructure matérielle. La bibliothèque que l’on croyait bientôt dépassée commença au contraire à jouer un rôle essentiel à la confluence de deux échelles de grandeur – le microscopique et le global – où le microfilm allait pouvoir déployer toutes ses qualités de compression et de mobilité.

1. Rouleau de microfilm Microstat Corporation dans son boîtier métallique, annonce publicitaire, 1948

1. Rouleau de microfilm Microstat Corporation dans son boîtier métallique, annonce publicitaire, 1948

Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique (B 8495 1948 5).

  • 4 Voir notamment Estelle Blaschke, « Installed for Your Protection. Mikrofilm als Medium der Bürokrat (...)

3 Entre la fin des années 1920 et le début des années 1960, le discours sur le microfilm a généré en France le jumelage de deux catégories épistémologiques – l’« information » et l’« architecture ». Ces deux catégories – dont l’évolution continue met en crise les associations entre médium, format et espace – méritent d’être analysées à la lumière des réalisations de Georges Sébille, lui-même inventeur d’un dispositif pour microfilm, et dans le contexte plus large de la Bibliothèque nationale de France, ceci en prenant appui sur de récents travaux consacrés à l’influence institutionnelle et technologique de la microphotographie sur la structure des sphères sociales et de la mémoire publique4. Durant la période précédant l’adoption massive des outils informatiques et de la photocopie par les bibliothèques, les tentatives entreprises par un réseau de documentalistes, architectes, ingénieurs et administrateurs dans le but de remplacer le « livre » par un « document » universel s’inscrivaient dans une révolution microphotographique qui a abouti non pas à la « civilisation globale » radicale imaginée entre autres par Otlet, mais à une subtile (quoique non moins déterminante) rationalisation des relations entre les usagers des bibliothèques et les infrastructures de gestion du savoir. Ce faisant, la photographie a contribué à l’émergence d’une conception nouvelle de la bibliothèque : cette institution que l’on caractérisait depuis le XVIIIe siècle comme un « type » architectural s’est transformée en un ensemble de techniques spatiales dédiées au traitement de l’information.

Du livre à l’équipement

  • 5 Voir Prudent René-Patrice Dagron, La Poste par pigeons voyageurs [1870], Paris, Hachette/BnF, 2018.
  • 6 Sur l’application du microfilm à grande échelle, voir Nicholson Baker, Double Fold. Libraries and t (...)

4Les raisons pragmatiques à l’adoption de la microphotographie en Europe et en Amérique du Nord sont bien documentées. Initialement imaginée à des fins militaires par René Dagron pour le transport de micro-dépêches par pigeon voyageur durant le siège de Paris en 1870-18715, cette technique s’est muée au tournant du XXe siècle en une solution technique face aux problèmes de stockage et de conservation propres à l’« âge du papier ». Elle fut initialement appliquée dans le domaine commercial, puis au sein des bibliothèques et des archives. Avec le foisonnement des revues, brochures et autres documents imprimés entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, les bibliothécaires suggéraient que le film, en ce qu’il réduisait de 95 % les besoins en espace, permettrait d’endiguer la crise qui frappait les innombrables « institutions de mémoire » dont les rayons et les réserves avaient atteint les limites de leurs capacités. Ainsi le film fut-il initialement présenté comme une réponse matérielle au papier journal, un support qui était littéralement en voie de décomposition lors des deux premières décennies du XXe siècle, environ soixante-cinq ans après le déclin du papier chiffon, abandonné par l’industrie au profit de la pâte de bois6. Avec la multiplication des usagers et le développement des prêts interbibliothécaires, les ouvrages imprimés présentaient eux aussi des signes d’usure. Avec une durée de vie estimée de cinq cents ans et une reproductibilité virtuellement sans limites, la pellicule se présentait comme le substitut idéal au format imprimé, à tel point que de nombreux bibliothécaires préconisaient le retrait voire l’élimination des ouvrages et documents originaux une fois ceux-ci enregistrés sur microfilm.

  • 7 Voir notamment Herman H. Fussler, « Progress in Microphotography in the United States », in Congrès (...)
  • 8 Voir René Rossignon, « Appareil ‹ Noxa › pour la photographie d’objets et la reproduction, l’agrand (...)

5 Au sein des institutions, l’intérêt de la reproduction microphotographique résidait dans son utilité pour la recherche. La bibliothèque du Congrès américain, par exemple, qui, dans les années 1920, avait toujours de quoi pâlir face aux collections de recherche de ses homologues européennes – comme la Bibliothèque nationale – entreprit d’importants projets de microfilmage soutenus par l’industrie photographique – un appui qui permet d’expliquer la place centrale des États-Unis dans le développement de technologies bon marché et automatisées7. Une fois le procédé microphotographique breveté par Kodak en 1926, il faudra attendre une décennie entière pour assister à une introduction à plus grande échelle de technologies rentables dérivées des pellicules cinématographiques de 16 et 35 mm. Plusieurs dispositifs de reproduction et de lecture furent cependant élaborés aux États-Unis et en Europe durant cette période, parmi lesquels le Noxa de la marque Lemaire, associant appareil photographique, système de développement et agrandisseur automatiques, et la Photoscopie de Robert Goldschmidt, procédé doté d’un projecteur portatif8. Ces premiers appareils imprimèrent un élan en faveur du remplacement du papier, jugé trop volumineux et fragile.

  • 9 Voir Georges Sébille, « Procédé et dispositif pour condenser sur films les reproductions photograph (...)
  • 10 Sur Emanuel Goldberg et Vannevar Bush, voir infra la contribution d’Estelle Blaschke.
  • 11 Voir John C. Green, « The Rapid Selector. An Automatic Library », The Military Engineer, n238, oc (...)

6 La contribution de Sébille aux tentatives clairsemées entreprises durant les années 1920, une station de travail équipée d’un projecteur mécanique et d’un écran de lecture, est née d’une conviction de son inventeur : le travail intellectuel, y compris la recherche universitaire, allait subir une automatisation croissante. Son « procédé pour la lecture d’ouvrages imprimés ou autres » – respectivement breveté en France et aux États-Unis en 1929 et 1932 – était spécialement conçu pour des documents nécessitant de grandes quantités de pellicule, tels que les catalogues de bibliothèque et les encyclopédies. Sa première particularité tenait dans son format de pellicule inhabituel de 33 cm de largeur9 (fig. 2). Grâce à une disposition des images selon un principe inspiré des écritures en boustrophédon – les lignes impaires de gauche à droite et les paires de droite à gauche –, ce format était censé pouvoir faire tenir une encyclopédie en vingt volumes sur dix-huit mètres de film. La seconde spécificité du dispositif résidait dans sa fonction de recherche, qui permettait au lecteur de parcourir le film à différentes vitesses. Semblables aux marquages des pellicules cinématographiques, des repères marginaux permettaient d’identifier la pagination des documents sur l’écran quand la bobine était en mouvement. Sébille imagina un prototype équipé d’une fonction de recherche automatique par contact électrique. En conjuguant la recherche de données et la miniaturisation, Sébille se rapprochait sans le savoir de la machine statistique d’Emanuel Goldberg et du Rapid Selector de Vannevar Bush10, deux systèmes de recherche de documents élaborés dans les années 1920 et 1930, et décrits au lendemain de la Seconde Guerre mondiale comme des « bibliothèques automatiques » et des « machines pensantes »11.

2a et b. Schémas de l’appareil de lecture et du microfilm conçus par Georges Sébille, tirés de « Method and Apparatus for Reading Books and the Like », brevet 1 889 575 déposé le 2 août 1928 et délivré le 29 novembre 1932, pp. 3-4.

2a et b. Schémas de l’appareil de lecture et du microfilm conçus par Georges Sébille, tirés de « Method and Apparatus for Reading Books and the Like », brevet 1 889 575 déposé le 2 août 1928 et délivré le 29 novembre 1932, pp. 3-4.
  • 12 G. Sébille, « Method and Apparatus for Reading Books and the Like », op. cit.
  • 13 Voir notamment Georges Sébille, « Architecture et urbanisme en U.R.S.S. », L’Architecture d’aujourd (...)
  • 14 Voir Henri Deneux et Paul Léon, La Métrophotographie appliquée à l’architecture, Paris, Paul Catin, (...)

7Comme l’indique le brevet de Sébille, son procédé avait pour finalité principale la « condensation », autrement dit la miniaturisation « la plus poussée » des ouvrages imprimés et des manuscrits, et par conséquent la réduction des coûts, des effectifs et de l’espace physique des bibliothèques12. Sébille, principalement connu pour son extension moderniste de la mairie du XIVe arrondissement de Paris, s’est impliqué ici dans un domaine généralement du ressort des scientifiques et des ingénieurs. Ses postes d’inspecteur général de l’Urbanisme et de professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris ainsi que ses collaborations régulières dans des revues d’architecture suggèrent un travail mené à l’échelle de la ville plutôt que sur les champs d’application techniques concernés par son brevet13. On peut toutefois imaginer que ses nombreuses responsabilités administratives, notamment en tant qu’architecte divisionnaire de la Ville de Paris, attaché du Bureau d’étude de l’extension de Paris et architecte au sein des Monuments historiques, aient suscité chez lui un intérêt pour la conservation patrimoniale. Comme le prouve son homologue Henri Deneux, architecte en chef des Monuments historiques dont le travail fut à l’origine de l’application systématique de la photogrammétrie à la préservation architecturale, il n’y avait rien d’inhabituel à voir des architectes expérimenter des supports peu connus14.

  • 15 Voir Le Corbusier, L’Art décoratif d’aujourd’hui, Paris, G. Grès, 1925. Sur la relation entre les t (...)
  • 16 Sur l’histoire de la mécanisation du travail humain, voir notamment Sigfried Giedion, Mechanization (...)
  • 17 Voir Paul Otlet, Traité de documentation. Le livre sur le livre [1934], Bruxelles, Editiones Mundan (...)
  • 18 Paul Otlet, « Le livre microphotographique. Notice sur les brevets de George Sébille », IID Communi (...)

8 Il convient également de souligner la cohérence entre les incursions de Sébille dans le champ des technologies de la documentation et le discours que soutenait la revue L’Architecture d’aujourd’hui, dont les comités scientifique et éditorial comptaient, en plus de Sébille, plusieurs tenants de l’architecture française – dont Robert Mallet-Stevens et Pierre Chareau – qui brouillaient savamment les frontières du design, de la technologie et de l’architecture. Le dispositif pour microfilm de Sébille était en effet symptomatique de la théorie de « l’équipement », un ensemble de principes modernistes dont Le Corbusier fut l’instigateur le plus notable, notamment avec L’Art décoratif d’aujourd’hui, ouvrage polémique qui affirmait l’indistinction entre les notions de mobilier et d’immobilier, tous deux étant considérés comme de simples outils soumis à des normes industrielles. Inspirée par les revues américaines telles que System et son mariage entre l’efficacité commerciale et les outils administratifs modernes, cette théorie décrétait qu’il était possible de rationaliser le travail intellectuel, comme on l’avait fait pour le travail en usine au tournant du siècle15. Dans ce nouveau contexte qui voyait l’architecture se diluer au sein d’un organisme composé de stations de travail, de technologies et de services, le designer se transformait en expert dont les compétences mécaniques et communicationnelles annonçaient l’avènement de nouveaux hybrides mêlant l’humain et la machine16. On perçoit un parallèle évident entre les intérêts d’un architecte moderne comme Sébille et ceux des documentalistes qui proclamaient le règne futur des « machines de travail intellectuel » équipées de microfilms17. Bien que demeuré à l’état de prototype (probablement en raison de son format de pellicule trop encombrant), le dispositif de Sébille eut un impact retentissant dans le milieu des documentalistes – il fut notamment cité dans un article d’Otlet et présenté à l’Exposition universelle de Paris en 193718.

  • 19 Voir notamment Beatriz Colomina, Privacy and Publicity. Modern Architecture as Mass Media, Cambridg (...)

9 L’idée d’une communauté de savoir fédérée par des « machines de travail intellectuel » vint perturber le lien historique qui unissait jusqu’alors le livre et la salle de lecture – emblème d’un corps collectif lié par un ensemble de connaissances stable et nationalisé. Qu’un architecte comme Sébille n’hésitât pas à rompre les liens symboliques entre l’architecture, l’institution et les usagers témoigne d’un discours élaboré au croisement du design spatial et des pratiques documentaires. Nombre d’histoires de l’architecture moderne font état de l’évolution conjointe de l’architecture et de la photographie, en mentionnant notamment des architectes qui s’approprient les conventions et les tropes des « médias de masse » pour imprimer leur programme moderniste à la conscience collective19. Chez Sébille, cependant, l’appropriation de la technologie photographique relève moins d’une volonté d’exploiter des circuits de diffusion existants que d’une tentative de reconfigurer ces derniers.

L’institutionnalisation du microfilm

  • 20 Voir W. Boyd Rayward, « The Origins of Information Science and the Institute of Bibliography/Intern (...)
  • 21 Voir Sylvie Fayet-Scribe, Histoire de la documentation en France, Paris, CNRS éditions, 2000, pp. 1 (...)
  • 22 Voir Léo Crozet, Manuel pratique du bibliothécaire, Paris, Émile Nourry, 1932.

10Si la démocratisation des dispositifs de lecture remonte à l’après-guerre, la technologie qui a permis leur apparition a quant à elle subi une reconfiguration tout au long des années 1930 en suivant trois chemins parallèles : la professionnalisation du personnel, la mécanisation des bibliothèques et la standardisation des réseaux de documentation internationaux. L’ensemble de ces mutations témoigne de la même impulsion : le rejet d’une tradition bibliophile privilégiant des supports matériels uniques au détriment de la mise à disposition d’un savoir partagé via une multitude de points d’accès. L’héritage – très perceptible en France – d’une « science » de la documentation vieille de trois décennies a fait de figures telles qu’Yvonne Oddon, Suzanne Briet et l’administrateur de la Bibliothèque nationale Julien Cain les porte-parole d’un nouveau modèle institutionnel accordant la priorité aux systèmes administratifs, à la modernisation de l’équipement, à la normalisation des formats et à la standardisation du travail intellectuel20. Trois organismes en particulier – le Bureau bibliographique de France, l’Association pour le développement de la lecture publique et l’Union française des organismes de documentation – ont milité pour une meilleure circulation des informations entre toutes les « institutions de mémoire » françaises, contribuant par là à renouveler la perception collective du savoir21. En parallèle, différentes publications – dont le Manuel pratique du petit bibliothécaire de Léo Crozet paru en 1932 – prônaient la restructuration d’une profession qui, en France, était jugée à la traîne par rapport au monde anglo-saxon. Afin de corriger ce défaut, elles proposèrent la figure du « bibliothécaire-technicien », dont les responsabilités firent l’objet d’une standardisation à l’échelle nationale22. La réinvention du métier de bibliothécaire contribua à populariser la vision de la bibliothèque comme un équipement dont la gestion était confiée à une expertise scientifique et analytique.

  • 23 Voir José Meyer, « The Bibliothèque Nationale during the Last Decade. Fundamental Changes and Const (...)
  • 24 Voir Julien Cain, Les Transformations de la Bibliothèque nationale et le dépôt annexe de Versailles(...)

11 Les plans établis par Julien Cain dans le cadre de la rénovation de la Bibliothèque nationale obéissaient à la même logique : remédier au « désordre et [à] la confusion » qui menaçaient d’engloutir l’institution moins de deux décennies après la fin des précédents travaux23. Amorcé en 1931 et piloté pendant sept ans par l’architecte Michel Roux-Spitz, ce réaménagement complet préservait les aspects esthétiques et symboliques du bâtiment réalisé par Henri Labrouste ainsi que sa célèbre salle de travail achevée en 1868 (fig. 3), pour se concentrer sur les éléments d’infrastructure et de programmation susceptibles de favoriser la normalisation de la gestion des documents et des usagers. Les interventions de Roux-Spitz furent innombrables, parmi lesquelles l’implantation d’une série de nouveaux services (notamment un centre de documentation et un département des périodiques) et d’innovations techniques (réseau de tubes pneumatiques, système de ventilation, ascenseurs, monte-livres)24 (fig. 4). Le résultat final se traduisait par des salles modernisées et rationalisées, le tout abrité sous une enveloppe dont la dimension historique avait été préservée.

3. Louis-Émile Durandelle, Salle de travail des imprimés. Bibliothèque Impériale, Paris, 1888

3. Louis-Émile Durandelle, Salle de travail des imprimés. Bibliothèque Impériale, Paris, 1888

Tirage argentique, 34,5 x 42,9 cm. Paris, BnF, département Estampes et photographie (FOL-HD-1176).

4. Monte-charge des nouveaux magasins de la BnF, Paris, circa 1935

4. Monte-charge des nouveaux magasins de la BnF, Paris, circa 1935

Tirage argentique, 22,4 x 16,3 cm. Montréal, Centre canadien d’architecture (PH1986 :0900.12 :041).

  • 25 Voir Jean Gallotti, « La première usine intellectuelle du monde », Vu, vol. 10, no 463, 27 janv. 19 (...)

12La transformation la plus notable n’a cependant pas été opérée à Richelieu, mais à Versailles, à vingt kilomètres du site, où une nouvelle réserve pour les imprimés fut achevée en 1933 (fig. 5). Relié au site de Richelieu par un service de véhicules assurant le transport des documents, le Dépôt annexe était un bâtiment de facture banale, à l’architecture répétitive, dont les vingt kilomètres de rayonnages étaient conçus pour abriter un seul type de format standardisé : les volumes de journaux reliés. Bien qu’il fût mené avant que le microfilm ne devînt une option techniquement viable (c’est-à-dire vers 1937-1938, quand Kodak et Agfa commercialisèrent les premiers films spécialement dédiés à la reproduction documentaire) et que la Bibliothèque nationale n’inaugurât son premier studio de microfilmage (en 1937 également), le projet de Roux-Spitz n’en demeure pas moins à l’origine d’une dissociation des aspects opérationnels de la bibliothèque et de son architecture traditionnelle. La rénovation valut à la Bibliothèque nationale le qualificatif de « première usine intellectuelle du monde25 » par le magazine Vu. Dans un texte de Julien Cain, l’Annexe était quant à elle considérée comme l’avenir de l’architecture des bibliothèques, et non comme une exception :

  • 26 J. Cain, Les Transformations de la Bibliothèque nationale, op. cit., p. 27.

Le bâtiment contient les services généraux de l’organisme futur : salle d’arrivée et de manutention avec table de dépoussiérage, salle de catalogue, salle de consultation comprenant trente places, bureau du bibliothécaire, vestiaire, lavabos, service de sécurité contre l’incendie, etc.26

5. Façade extérieure de l’Annexe de la BnF, Versailles, 1933

5. Façade extérieure de l’Annexe de la BnF, Versailles, 1933

Tirage argentique, 22,8 x 17,2 cm. Montréal, Centre canadien d’architecture (PH1986 :0900.11 :058).

© Courtoisie du Rockefeller Archive Center, Sleepy Hollow

13Réduite à l’essentiel et nécessitant la présence d’un seul bibliothécaire, la bibliothèque du futur abandonnait son patrimoine représentationnel ; désormais, elle associait l’usager et le bâtiment qui l’accueille par le biais d’un environnement technique où les fonctions de l’institution traditionnelle étaient limitées à une interface fonctionnelle.

  • 27 M. Llewellyn Raney, « Introduction », in Microphotography for Libraries, Chicago, American Library (...)
  • 28 Voir S. Fayet-Scribe, Histoire de la documentation en France, op. cit., particulièrement pp. 188-19 (...)

14 Ces conjectures s’inscrivaient dans le prolongement de débats qui, parmi les professionnels de la documentation, portaient sur le rôle du microfilm dans la diffusion du savoir. De chaque côté de l’Atlantique, les années 1930 virent en effet l’émergence d’un discours engagé sur le microfilm, soutenu par les mêmes acteurs impliqués dans le façonnage institutionnel et architectural des bibliothèques. Notons par exemple la première édition de l’American Microfilm Symposium, tenue à l’occasion de la conférence de l’American Library Association de 1936. À l’inauguration de l’événement, devant un auditoire comptant notamment des bibliothécaires de Yale, Harvard et de la New York Public Library qui avaient entrepris des projets de microfilmage plus tôt dans la décennie, M. Llewellyn Raney, bibliothécaire à l’université de Chicago, déclara que « la mise en application de la photographie à la production de la littérature est le deuxième progrès le plus important après l’imprimerie » quant à l’impact sur les usagers27. En France, les premières tentatives de développement de l’édition sur microfilm, notamment celles de la Société des éditions sur films des Bibliothèques nationales de France fondée en 1931, furent par la suite appuyées par différentes institutions dont le centre de documentation de la Maison de la chimie, qui apporta une contribution inestimable aux avancées dans le domaine des technologies et des services de reproduction28. Les activités de la Maison de la chimie culminèrent en 1935 avec une exposition et un symposium consacrés à l’utilisation de la pellicule photographique organisés conjointement avec des bibliothécaires de la Bibliothèque nationale.

  • 29 « Déclaration générale et résolution adoptées à l’unanimité par le Congrès dans sa Séance de clôtur (...)
  • 30 Voir J. Cain (dir.), Bibliothèques, op. cit., p. 4.
  • 31 Voir W. Boyd Rayward, « The International Exposition and the World Documentation Congress, Paris 19 (...)

15 Ces efforts dispersés finirent par converger en 1937 avec le premier Congrès mondial de la documentation universelle organisé par un comité scientifique composé notamment de Julien Cain, Lucien Febvre et Jean Gérard, tenu en parallèle à l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne de Paris. Attestant de son statut de « format universel », susceptible d’accélérer l’avènement d’une « société mondiale », la microphotographie fut le sujet principal de neuf des quatre-vingt-dix-neuf communications présentées lors du colloque, et représenta l’objectif des deux principales résolutions du Congrès, portant sur la standardisation et la diffusion internationale des documents sur microfilm29. Notons que le Congrès prenait place dans le cadre d’un débat plus large sur le statut des institutions du savoir à l’ère de la documentation – un thème récurrent dans la programmation des Expositions internationales. Ces réflexions se matérialisèrent notamment à travers l’exposition Bibliothèques. Organisation, technique, outillage, vouée à promouvoir « un réseau d’actifs foyers de culture30 ». Outre des volets didactiques sur tous les aspects opérationnels de la bibliothèque et son équipement technique – chariots à livres, tubes pneumatiques, appareils de désinfection des ouvrages –, l’exposition proposait également deux espaces de démonstration sur les technologies microphotographiques présentées par des équipes américaines et françaises, constituées entre autres de Sébille, Rupert H. Draeger et Atherton Seidell31 (fig. 6). Copiant en continu sur microfilm des journaux datant de la Révolution française tirés des collections de la Bibliothèque nationale pour le compte des institutions nord-américaines, l’équipement jouait clairement un rôle métonymique : il n’incarnait pas une bibliothèque chargée de la conservation d’un patrimoine culturel (une fonction matérialisée, en France, par la logique du dépôt légal), mais un centre de documentation œuvrant pour une économie mondiale du savoir.

6. Caméra Draeger dans l’exposition Bibliothèques. Organisation, technique, outillage, Paris, 1937

6. Caméra Draeger dans l’exposition Bibliothèques. Organisation, technique, outillage, Paris, 1937

Tirage argentique, 25,4 x 20,3 cm. Sleepy Hollow, Rockefeller Archive Center, Rockefeller Foundation records.

© Hagley Museum and Library, Wilmington

  • 32 Georges Sébille, « Vers le catalogue automatique par l’emploi de larges bandes de film », in Congrè (...)

16Ainsi l’exposition reflétait-elle les thèmes les plus saillants des communications présentées lors du Congrès, dont celle de Sébille, intitulée « Vers le catalogue automatique par l’emploi de larges bandes de film ». Il y évoquait son invention et analysait les perspectives offertes par la recherche automatique, la lecture sur écran et la diffusion mécanisée, autant d’avancées qui permettraient de déployer les activités de la bibliothèque avec « un minimum d’intervention du personnel32 ». Ce futur dans lequel chaque « travailleur intellectuel » aurait accès à une bibliothèque personnelle était également évoqué dans le rapport préliminaire d’Albert Navarre sur l’équipement :

  • 33 Albert Navarre, « Équipement et outillage », in Congrès mondial de la documentation universelle, op (...)

On peut entrevoir, par anticipation, le moment où un chercheur assis à sa table de travail pourra placer un catalogue enregistré en microfilm dans son appareil de lecture et noter les références dont les documents l’intéressent. Chaque référence comportant un numéro, il lui sera possible, après s’être mis en relations par télévision avec le centre dont il aura consulté le catalogue, d’avoir sous les yeux, quelques instants plus tard, l’image des documents désirés qu’il pourra lire à loisir33.

  • 34 Voir S. Fayet-Scribe, Histoire de la documentation en France, op. cit., pp. 223-225.

17Une fois encore, les spécialistes de la documentation tels que Navarre voyaient dans le microfilm une technique capable d’amplifier le processus de dissolution de la bibliothèque enclenché par sa mécanisation. De plus en plus dédiées aux interactions individuelles entre un sujet et son environnement technique, les technologies développées durant les années 1930 malmenèrent peu à peu la conception moderne de la bibliothèque en tant qu’espace conçu pour une réception de masse. Cette transition de la salle de lecture vers l’outil de lecture corrobore la thèse avancée par Sylvie Fayet-Scribe dans son histoire de la documentation en France, qui suggère que l’émergence des notions d’« information » et de « technologie de l’information » dans la sphère publique a été due à une réorientation totale du dispositif des bibliothèques dans les années 1930, désormais tourné vers l’idée d’un usager individuel. Si, comme on l’a vu plus haut, le concept d’« architecture » cessait de se limiter au seul « bâtiment », l’idée d’« information » se voyait ici associée à son « outillage34 ». Tel était le paradoxe : dans la mesure où les documentalistes espéraient voir le microfilm contribuer à des idéaux universalistes, ce dispositif technique et social obéissait à une logique radicale d’individualisation de l’espace.

L’ère du microfilm ?

  • 35 Voir « La microcopie en France dans les bibliothèques et centres de documentation », Bulletin des b (...)
  • 36 Voir Louis de Saint Rat, « Le microfilm dans le cadre de l’équipement national », Hommes et Techniq (...)

18Le développement du microfilm fut ralenti par la Seconde Guerre mondiale, période durant laquelle les documentalistes se consacrèrent à la protection des collections des bibliothèques et des musées. Malgré la création de souscommissions spéciales dédiées à l’étude du microfilm sous l’égide du ministère de l’Éducation nationale et de l’Association française de normalisation en 1938 et 1940, les technologies de lecture et de reproduction ne gagnèrent pas en importance avant les années 1950 et ce, même au sein d’institutions de premier plan telles que la Bibliothèque nationale35. Les premières années d’après-guerre furent toutefois le théâtre d’un optimisme généralisé envers le rôle potentiel du microfilm dans la société. Tandis que les Américains s’enthousiasmaient pour le Memex de Vannevar Bush, décrit dans son célèbre article « As We May Think » en 1945, les magazines français publiaient des reportages illustrant le rôle central du microfilm dans l’« équipement national36 ».

  • 37 Paul Guth, « Nous entrons dans l’ère du microfilm », Le Figaro littéraire, vol. 4, no 157, 23 avr.  (...)

19 Dans un article intitulé « Nous entrons dans l’ère du microfilm », paru dans le Figaro littéraire en avril 1949, le journaliste et romancier Paul Guth rivalisait d’emphase en imaginant un futur où la civilisation humaine, submergée par les documents qui encombraient les bureaux, usines et prisons, abandonnerait complètement le format papier37. Interviewé par Guth, Charles Braibant, directeur des Archives nationales, comparait l’appareil photographique à un outil permettant de remédier au chaos engendré par la civilisation de l’enregistrement. Évoquant les collections historiques dont il avait la charge, il déclarait qu’il serait un jour possible de « brûler toute la paperasse administrative, comptable ou statistique et la conserver en pilules ». Julien Cain, lui aussi interrogé par Guth, imaginait pour sa part une filmothèque de la taille d’un salon de coiffure capable de contenir l’équivalent de vingt kilomètres de rayonnages, soit la capacité du Dépôt annexe de Versailles dix ans plus tôt. S’il n’avait auparavant existé aucune alternative aux bâtiments tels que l’Annexe, deux choix se profilaient désormais à l’horizon : la construction ou le microfilmage.

  • 38 Voir Enquête de l’UNESCO sur l’emploi du microfilm, 1951, Paris, UNESCO, 1952.

20 À la parution de l’article de Guth, une pléthore de nouvelles techniques – développées par des entreprises françaises comme Photelec, Sermex, Société Cifra, Thomson-Houston et Microdoc – était disponible sur le marché, bien que l’équipement de reproduction de la Bibliothèque nationale ne témoignât pas réellement d’une « ère du microfilm38 ». Ses modestes studios de microfilmage étaient équipés de trois appareils : une machine Recordak automatisée pour des tirages en 16 mm et 35 mm, un « double appareil » fabriqué par André Debrie qui permettait de photographier deux pages simultanément, et un Recordak transportable dans une valise (fig. 7). Bien que la photographie fût bel et bien représentée à la Bibliothèque nationale depuis 1878, ce n’est qu’en 1954, avec l’installation d’un studio microphotographique modernisé, que la centralisation du savoir commença à s’éroder à travers l’application dispersée et coopérative de différents procédés et techniques (fig. 8). Ces installations donnèrent naissance à des organismes tels que l’Association pour la conservation et la reproduction photographique de la presse, qui à leur tour contribuèrent à la constitution d’un réseau de services dédiés au bibliofilm assurant la coordination entre différentes institutions pour éviter toute redondance inutile dans le travail de microfilmage.

7. Brochure publicitaire de la société Eastman Kodak présentant le Recordak Portable Microfilmer, 1967

7. Brochure publicitaire de la société Eastman Kodak présentant le Recordak Portable Microfilmer, 1967

Wilmington, Hagley Museum and Library (PAM E).

8. Service de photographie de la Bibliothèque nationale, Paris, 1954

8. Service de photographie de la Bibliothèque nationale, Paris, 1954

Tirage argentique monté sur carton. Paris, Archives de la BnF (VA 237 (5) FOL, H23310).

  • 39 Voir Élise Delaunay, « De l’original au transfert » in Bruno Blasselle (dir.), Mélanges autour de l (...)
  • 40 Voir Jack B. Burkett, Microrecording in Libraries. A Review of Present Practice, Londres, The Libra (...)
  • 41 Voir notamment A. Moreau, « L’utilisation des microfilms et des photocopies », La Technique Moderne(...)
  • 42 Jean Porcher, « Équipement d’un atelier de microcopie », Bulletin des bibliothèques de France, vol. (...)
  • 43 Voir notamment Richard Boss et Deborah Raikes, Developing Microform Reading Facilities, Westport, M (...)

21Alors que les commandes de microfilm se multiplièrent par sept entre 1945 et 1958, la Bibliothèque nationale proposait régulièrement de nouvelles machines de lecture : l’Audo-Matic, prototype élaboré par Cherouvrier vers 1956-1957 et utilisé dans le département des périodiques pendant quinze ans, et des appareils conçus par Bell & Howell et Vannier Photelec39. À ces technologies institutionnelles s’ajoutaient des outils destinés à un usage personnel, parmi lesquels le Lector, élaboré par le fabricant parisien Huet, le Microvist du fabricant hollandais NDR, ainsi que le bien nommé Pocket Reader (« liseuse de poche ») de la Microcard Foundation40 (fig. 9). Cette variété de lecteurs de microfilm sema naturellement une autre forme de confusion parmi les bibliothécaires, les administrateurs et les employés. Si le remplacement du livre permettait théoriquement l’apparition d’un support « universel » nivelant les distinctions matérielles entre le manuscrit, le journal et le manuel technique, il transforma également le rôle des bibliothécaires, qui devinrent des techniciens chargés non seulement des collections, mais aussi d’une variété d’instruments électriques. Cette segmentation progressive donna lieu à une littérature technique d’un nouveau genre, destinée à établir les normes, les protocoles et les recommandations relatifs au maniement et à l’accès des sources enregistrées sur microfilm41. Visant la réinstauration d’un contrôle qualité des techniques photographiques, ces documents témoignaient de l’importance de la régulation spatiale, l’espace en question étant évalué selon des critères quantifiables et spécifiquement calibrés pour le film – humidité, température, dimensions, luminosité –, ce qu’illustre un article du bibliothécaire Jean Porcher sur l’« atelier-type minimum » paru en 195742. Il faudra attendre la fin des années 1960 et le début des années 1970 pour voir la littérature sur le microfilm se pencher sur les aspects plus phénoménologiques et qualitatifs des stations de travail ainsi que sur leur adéquation avec les différents espaces au sein des bibliothèques, avec l’objectif présumé de dissuader leur installation dans des zones isolées ou peu accueillantes, un défaut fréquent au lendemain de la guerre43.

9. Brochure publicitaire de la Société Générale d’Optique Huet, Paris, 1948

9. Brochure publicitaire de la Société Générale d’Optique Huet, Paris, 1948

Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique (B 8495 1948 5).

© New York Public Library, New York

  • 44 Voir Michael Brawne, Libraries. Architecture and Equipment, New York, Praeger Publishers, 1976, pp. (...)

22Malgré la visibilité réduite de sa place au sein des bibliothèques, le microfilm y a provoqué un tel impact que dans les années 1970 encore, alors que l’outil informatique commençait à être intégré dans les espaces quotidiens, les observateurs de l’architecture remarquaient que bien des impératifs de « flexibilité » liés à l’architecture des bibliothèques avaient été une conséquence directe des technologies du microfilm. Les stations de travail avaient en effet obligé les architectes à se concentrer sur le confort et les particularités de l’environnement du lecteur44 (fig. 10). Ce constat laisse à penser que la formulation de normes spécifiques à la machine de lecture avait fait émerger un nouveau sens de l’espace au sein de la bibliothèque, reposant sur la gestion d’un écosystème d’interfaces individuelles. En s’appuyant sur les efforts de standardisation du travail de collecte et de classification des savoirs menés par les documentalistes au début du XXe siècle, le microfilm avait conduit dans l’après-guerre à une réinvention de l’architecture des bibliothèques : abstraite, rationalisée et potentiellement détachée de tout lieu. À certains égards, la bibliothèque s’est bel et bien transformée en un ensemble de techniques aussi facilement diffusables qu’une bobine de film.

10. Lecteurs de microfilms, Mid-Manhattan Library, circa 1960

10. Lecteurs de microfilms, Mid-Manhattan Library, circa 1960

Tirage argentique. New York, New York Public Library, Manuscript and Archives Division (MssARc RG10 5928).

  • 45 Voir Peter Galison et Caroline Jones, « Factory, Laboratory, Studio », in P. Galison et E. A. Thomp (...)

23Cette histoire, qui s’achève à la veille de l’introduction de l’informatique dans les bibliothèques, a tenté de mettre en évidence les stratégies d’individualisation et de spatialisation inédites de l’accès aux savoirs, résultat de la tension opposant un régime du papier en déroute et la promesse d’un avenir sur pellicule. L’étude du microfilm souligne la manière dont les formes historiques du « livre » – tablette d’argile, codex, film, etc. – façonnent les institutions qui leur sont liées sous forme de contenus et d’environnements, non seulement en raison des exigences spatiales propres au stockage, mais plus largement en tant qu’infrastructure de fabrication, de diffusion et d’accès aux savoirs. Dans l’ensemble des discours sur l’équipement, la documentation et l’environnement présentés dans cet article, l’idée d’une bibliothèque « portative » a contribué à une approche toujours plus instrumentale des connaissances, élément constitutif d’une culture de la diffusion épistémique caractéristique de l’après‑guerre45.

  • 46 Voir Jonathan Auerbach et Lisa Gitelman, « Microfilm, Containment, and the Cold War », American Lit (...)

24Lisa Gitelman et Jonathan Auerbach ont analysé les effets menaçants portés par la nouvelle échelle du microfilm dans une Amérique de la guerre froide où l’impact de ce dispositif sur la vie privée et la subjectivité ne cessait de poser problème vis-à-vis de l’intérêt public46. En France, on peut imaginer une tout autre forme d’angoisse face à la perspective de la chute d’un régime du papier qui avait constitué l’un des fondements de la République. En effet, qu’adviendrait-il si, comme l’imaginait Charles Braibant, on se débarrassait de l’ensemble des documents imprimés des Archives nationales en les jetant au feu ? Et, pour reprendre l’interrogation de Georges Sébille mentionnée en préambule, quel type de société nouvelle serions-nous en droit d’attendre si les institutions françaises se détournaient du papier au profit de l’enregistrement photographique et d’une approche technologique de l’accès au savoir ? Tout le défi posé par cette question réside dans le programme technique et social imposé par les pratiques matérielles d’inscription de l’information, dans la mesure où elles assurent le contrôle, l’organisation et la redistribution spatiale du savoir.

Mes remerciements vont à l’équipe éditoriale, tout particulièrement Estelle Blaschke et Davide Nerini, ainsi qu’à Mara Mills et à Lucia Allais pour leurs remarques toujours pertinentes.

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Notes

1 Georges Sébille, « Le microfilm dans les bibliothèques », L’Architecture d’aujourd’hui, vol. 9, no 3, mars 1938, p. 94.

2 Voir notamment « Die Nationalbibliothek in der Westentasche. Professoren-Traum und die ersten Schritte zu seiner Verwirklichung », Prager Tageblatt, 10 sept. 1938, cité in Michael Buckland, Emanuel Goldberg and His Knowledge Machine. Information, Invention, and Political Forces, Westport, Libraries Unlimited, 2006, p. 114.

3 Voir Robert Goldschmidt et Paul Otlet, Sur une forme nouvelle du livre. Le livre microphotographique, no 81, Bruxelles, Institut international de bibliographie, 1906.

4 Voir notamment Estelle Blaschke, « Installed for Your Protection. Mikrofilm als Medium der Bürokratie », in Friedrich Balke, Bernhard Siegert et Joseph Vogl (dir.), Medien der Bürokratie, Munich, Wilhelm Fink, 2016, pp. 151-162 ; et Rebecca Lemov, Database of Dreams. The Lost Quest to Catalog Humanity, New Haven, Yale University Press, 2015.

5 Voir Prudent René-Patrice Dagron, La Poste par pigeons voyageurs [1870], Paris, Hachette/BnF, 2018.

6 Sur l’application du microfilm à grande échelle, voir Nicholson Baker, Double Fold. Libraries and the Assault on Paper, Londres, Vintage, 2002.

7 Voir notamment Herman H. Fussler, « Progress in Microphotography in the United States », in Congrès mondial de la documentation universelle, actes du colloque (16-21 août 1937, Paris, Trocadéro, Institut international de bibliographie), Paris, secrétariat du Congrès mondial de la documentation universelle, s. d., pp. 124-128.

8 Voir René Rossignon, « Appareil ‹ Noxa › pour la photographie d’objets et la reproduction, l’agrandissement ou la réduction de tous documents », in Bulletin de la société d’encouragement pour l’industrie nationale, vol. 124, 1925, pp. 790-794.

9 Voir Georges Sébille, « Procédé et dispositif pour condenser sur films les reproductions photographiques d’ouvrages imprimés ou autres et pour lire ces films », brevet 673 365 (France, 14 janv. 1930) ; et Georges Sébille, « Method and Apparatus for Reading Books and the Like », brevet 1 889 575 (États-Unis, 29 nov. 1932).

10 Sur Emanuel Goldberg et Vannevar Bush, voir infra la contribution d’Estelle Blaschke.

11 Voir John C. Green, « The Rapid Selector. An Automatic Library », The Military Engineer, n238, oct. 1949, pp. 350-352 ; Vannevar Bush, « As We May Think », The Atlantic Monthly, no 176, juill. 1945, pp. 101-108.

12 G. Sébille, « Method and Apparatus for Reading Books and the Like », op. cit.

13 Voir notamment Georges Sébille, « Architecture et urbanisme en U.R.S.S. », L’Architecture d’aujourd’hui, vol. 2, no 8, nov. 1932, pp. 49-96.

14 Voir Henri Deneux et Paul Léon, La Métrophotographie appliquée à l’architecture, Paris, Paul Catin, 1930.

15 Voir Le Corbusier, L’Art décoratif d’aujourd’hui, Paris, G. Grès, 1925. Sur la relation entre les technologies bureaucratiques et l’architecture moderne, voir Alexandra Lange, « White Collar Corbusier. From the Casier to the cités d’affaires », Grey Room, no 9, 2002, pp. 58-79.

16 Sur l’histoire de la mécanisation du travail humain, voir notamment Sigfried Giedion, Mechanization Takes Command. A Contribution to Anonymous History, New York, Oxford University Press, 1948.

17 Voir Paul Otlet, Traité de documentation. Le livre sur le livre [1934], Bruxelles, Editiones Mundaneum, 1990, pp. 387-391.

18 Paul Otlet, « Le livre microphotographique. Notice sur les brevets de George Sébille », IID Communicationes, vol. 1, no 2, 1934, pp. 21-23 ; Julien Cain (dir.), Bibliothèques. Organisation, technique, outillage, cat. exp., Paris, Denoël, 1937, p. 17.

19 Voir notamment Beatriz Colomina, Privacy and Publicity. Modern Architecture as Mass Media, Cambridge, MIT Press, 1994; Claire Zimmerman, Photographic Architecture in the Twentieth Century, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014.

20 Voir W. Boyd Rayward, « The Origins of Information Science and the Institute of Bibliography/International Federation for Information and Documentation (FID) », Journal of the American Society for Information Science, vol. 48, no 4, avr. 1997, pp. 289-300.

21 Voir Sylvie Fayet-Scribe, Histoire de la documentation en France, Paris, CNRS éditions, 2000, pp. 155-165.

22 Voir Léo Crozet, Manuel pratique du bibliothécaire, Paris, Émile Nourry, 1932.

23 Voir José Meyer, « The Bibliothèque Nationale during the Last Decade. Fundamental Changes and Constructive Achievement », The Library Quarterly, vol. 12, no 4, oct. 1942, pp. 805-826.

24 Voir Julien Cain, Les Transformations de la Bibliothèque nationale et le dépôt annexe de Versailles, Paris, Éditions des Bibliothèques nationales, 1936.

25 Voir Jean Gallotti, « La première usine intellectuelle du monde », Vu, vol. 10, no 463, 27 janv. 1937, pp. 117-119.

26 J. Cain, Les Transformations de la Bibliothèque nationale, op. cit., p. 27.

27 M. Llewellyn Raney, « Introduction », in Microphotography for Libraries, Chicago, American Library Association, 1936, pp. V‑VI.

28 Voir S. Fayet-Scribe, Histoire de la documentation en France, op. cit., particulièrement pp. 188-194. Sur le contexte américain, voir Irene S. Farkas-Conn, From Documentation to Information Science. The Beginnings and Early Development of the American Documentation Institute-American Society for Information Science, New York, Greenwood Press, 1990, particulièrement pp. 48-54.

29 « Déclaration générale et résolution adoptées à l’unanimité par le Congrès dans sa Séance de clôture du 27 août 1937 », in Congrès mondial de la documentation universelle, op. cit., pp. 94-98.

30 Voir J. Cain (dir.), Bibliothèques, op. cit., p. 4.

31 Voir W. Boyd Rayward, « The International Exposition and the World Documentation Congress, Paris 1937 », The Library Quarterly. Information, Community, Policy, vol. 53, no 3, 1983, pp. 254-268.

32 Georges Sébille, « Vers le catalogue automatique par l’emploi de larges bandes de film », in Congrès mondial de la documentation universelle, op. cit., p. 306.

33 Albert Navarre, « Équipement et outillage », in Congrès mondial de la documentation universelle, op. cit., p. 48.

34 Voir S. Fayet-Scribe, Histoire de la documentation en France, op. cit., pp. 223-225.

35 Voir « La microcopie en France dans les bibliothèques et centres de documentation », Bulletin des bibliothèques de France, vol. 4, no 4, 1959, pp. 161-182.

36 Voir Louis de Saint Rat, « Le microfilm dans le cadre de l’équipement national », Hommes et Techniques, vol. 1, no 7-8, août 1945, pp. 31-36.

37 Paul Guth, « Nous entrons dans l’ère du microfilm », Le Figaro littéraire, vol. 4, no 157, 23 avr. 1949, pp. 1, 3.

38 Voir Enquête de l’UNESCO sur l’emploi du microfilm, 1951, Paris, UNESCO, 1952.

39 Voir Élise Delaunay, « De l’original au transfert » in Bruno Blasselle (dir.), Mélanges autour de l’histoire des livres imprimés et périodiques, Paris, BnF, 1998, pp. 360-365.

40 Voir Jack B. Burkett, Microrecording in Libraries. A Review of Present Practice, Londres, The Library Association, 1958.

41 Voir notamment A. Moreau, « L’utilisation des microfilms et des photocopies », La Technique Moderne, vol. 40, no 3-4, fév. 1948, pp. 61-62.

42 Jean Porcher, « Équipement d’un atelier de microcopie », Bulletin des bibliothèques de France, vol. 2, no 10, oct. 1957, pp. 705-711.

43 Voir notamment Richard Boss et Deborah Raikes, Developing Microform Reading Facilities, Westport, Microform Review, 1982.

44 Voir Michael Brawne, Libraries. Architecture and Equipment, New York, Praeger Publishers, 1976, pp. 147-150.

45 Voir Peter Galison et Caroline Jones, « Factory, Laboratory, Studio », in P. Galison et E. A. Thompson (dir.), The Architecture of Science, Cambridge, MIT Press, 2015, pp. 497-540.

46 Voir Jonathan Auerbach et Lisa Gitelman, « Microfilm, Containment, and the Cold War », American Literary History, vol. 19, no 3, 2007, pp. 745-768.

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Table des illustrations

Titre 1. Rouleau de microfilm Microstat Corporation dans son boîtier métallique, annonce publicitaire, 1948
Légende Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique (B 8495 1948 5).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1611/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 366k
Titre 2a et b. Schémas de l’appareil de lecture et du microfilm conçus par Georges Sébille, tirés de « Method and Apparatus for Reading Books and the Like », brevet 1 889 575 déposé le 2 août 1928 et délivré le 29 novembre 1932, pp. 3-4.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1611/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 361k
Titre 3. Louis-Émile Durandelle, Salle de travail des imprimés. Bibliothèque Impériale, Paris, 1888
Légende Tirage argentique, 34,5 x 42,9 cm. Paris, BnF, département Estampes et photographie (FOL-HD-1176).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1611/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 216k
Titre 4. Monte-charge des nouveaux magasins de la BnF, Paris, circa 1935
Légende Tirage argentique, 22,4 x 16,3 cm. Montréal, Centre canadien d’architecture (PH1986 :0900.12 :041).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1611/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 582k
Titre 5. Façade extérieure de l’Annexe de la BnF, Versailles, 1933
Légende Tirage argentique, 22,8 x 17,2 cm. Montréal, Centre canadien d’architecture (PH1986 :0900.11 :058).
Crédits © Courtoisie du Rockefeller Archive Center, Sleepy Hollow
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1611/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 492k
Titre 6. Caméra Draeger dans l’exposition Bibliothèques. Organisation, technique, outillage, Paris, 1937
Légende Tirage argentique, 25,4 x 20,3 cm. Sleepy Hollow, Rockefeller Archive Center, Rockefeller Foundation records.
Crédits © Hagley Museum and Library, Wilmington
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1611/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 473k
Titre 7. Brochure publicitaire de la société Eastman Kodak présentant le Recordak Portable Microfilmer, 1967
Légende Wilmington, Hagley Museum and Library (PAM E).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1611/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 988k
Titre 8. Service de photographie de la Bibliothèque nationale, Paris, 1954
Légende Tirage argentique monté sur carton. Paris, Archives de la BnF (VA 237 (5) FOL, H23310).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1611/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 437k
Titre 9. Brochure publicitaire de la Société Générale d’Optique Huet, Paris, 1948
Légende Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique (B 8495 1948 5).
Crédits © New York Public Library, New York
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1611/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 448k
Titre 10. Lecteurs de microfilms, Mid-Manhattan Library, circa 1960
Légende Tirage argentique. New York, New York Public Library, Manuscript and Archives Division (MssARc RG10 5928).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1611/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 426k
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Pour citer cet article

Référence papier

Michael Faciejew, « Une bibliothèque portative. Le microfilm et son architecture »Transbordeur, 3 | 2019, 48-61.

Référence électronique

Michael Faciejew, « Une bibliothèque portative. Le microfilm et son architecture »Transbordeur [En ligne], 3 | 2019, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/1611 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12gyc

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Auteur

Michael Faciejew

Michael Faciejew est doctorant à l’université de Princeton, où il suit un double cursus au sein de la School of Architecture et de l’Interdisciplinary Doctoral Program in the Humanities. Son travail se situe au croisement des histoires de l’architecture, des médias et de la technologie, avec un intérêt particulier pour la transformation du travail intellectuel au XIXe et au XXe siècle. Ancien rédacteur pour la revue Pidgin, il a contribué à l’ouvrage collectif Keywords. For Further Consideration and Particularly Relevant to Academic Life (2017).
Michael Faciejew is a PhD candidate at Princeton University, where he is pursuing a joint doctoral degree in the School of Architecture and the Interdisciplinary Doctoral Program in the Humanities. He works at the intersection of the histories of architecture, media, and technology, with a special focus on the reshaping of intellectual labour in the nineteenth and twentieth centuries. He is a former editor of Pidgin and a co-author of Keywords. For Further Consideration and Particularly Relevant to Academic Life (2017).

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