Navigation – Plan du site

AccueilNuméros3DossierImages câblées. La téléphotograph...

Dossier

Images câblées. La téléphotographie à l’ère de la mondialisation de la presse illustrée

Cabled Images. Wire Photography and the Globalisation of the Illustrated Press
Jonathan Dentler
Traduction de Jean-François Allain
p. 14-25

Résumés

Comment la téléphotographie s’est-elle développée dans l’entre-deux-guerres, en même temps que la presse quotidienne illustrée et les services de photographie de presse transnationaux ? L’article de Jonathan Dentler analyse la façon dont, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la téléphotographie est adoptée par la presse, et comment cette nouvelle technologie est devenue un point de médiation entre les espérances et les inquiétudes suscitées par l’avènement d’un monde nouveau caractérisé par la réduction des distances, la multiplication des liens à l’échelle mondiale et l’accélération du rythme de la vie quotidienne. L’article questionne l’Atlas Mnémosyne de l’historien de l’art Aby Warburg, les photographies de l’arrivée de Charles Lindbergh à Paris en 1927 et les images de l’explosion du Hindenburg envoyées de New York à Berlin et montre que la télétransmission des images a permis à la photographie de dépasser la fonction indexicale ou documentaire qu’on lui a souvent prêtée pour devenir le symbole d’une culture globalisée alors en plein essor.

Haut de page

Notes de la rédaction

Traduction de l’anglais par Jean-François Allain

Texte intégral

  • 1 Aby Warburg, Le Rituel du Serpent [1939], Paris, Macula, 2003 (réed. 2015), pp. 117 et 119.

1Le 21 avril 1923, alors que se met en place le système mondial de télétransmission des images, l’historien de l’art allemand Aby Warburg donnait au sanatorium de Ludwig Biswanger sa célèbre conférence sur le « Rituel du serpent », s’appuyant sur ses voyages dans le Sud-Ouest américain, dans les années 1890. Vers la fin de la conférence, il déplore les conséquences de la civilisation moderne sur le monde des symboles et de la magie : « Dans une rue de San Francisco, explique-t-il, j’ai pu prendre un instantané de l’homme qui a triomphé du culte du serpent et de la peur de l’éclair […]. C’est l’Oncle Sam, coiffé d’un haut-de-forme, marchant fièrement dans la rue et passant devant un édifice circulaire néo-classique. Un câble électrique est tendu au-dessus de son chapeau. Dans ce serpent de cuivre d’Edison, il a dérobé l’éclair à la nature1. » Selon Warburg, les télécommunications et, d’une façon générale, la théorie des ondes électromagnétiques ont déplacé les fondements de la pensée en supprimant toute distance par rapport aux objets de contemplation.

  • 2 Ibidem.

Le serpent à sonnettes n’épouvante plus l’Américain d’aujourd’hui. […] Les forces de la nature ne sont plus conçues comme des configurations anthropomorphes ou biomorphes, mais comme une succession d’ondes interminables, qui obéissent à l’injonction manuelle de l’homme. Ainsi, la civilisation de l’âge mécanique détruit-elle ce que la connaissance de la nature, née du mythe, avait péniblement construit, l’espace de contemplation.
Le moderne Prométhée et le moderne Icare, Franklin et les frères Wright, qui ont inventé l’aéroplane, sont les destructeurs fatidiques de la notion de distance, destruction qui menace de reconduire la planète au chaos.
Le télégramme et le téléphone détruisent le cosmos2.

  • 3 Voir Dorothee Bauerle, Gespenstergeschichten für ganz Erwachsene. Ein Kommentar zu Aby Warburgs Bil (...)

2De retour à Hambourg, Warburg commence son projet d’Atlas Mnémosyne, qu’il laissera inachevé à sa mort en 1929. Sur le panneau C, auquel il travaillait juste avant sa disparition, il médite sur la conquête du cosmos par le calcul et la formulation de lois scientifiques naturelles3 (fig. 1). Dans la première partie de la séquence, il montre des représentations allégoriques de Mars ainsi que la découverte par Kepler de l’orbite elliptique des planètes, qu’il met en regard de plusieurs photographies – parues dans l’édition du 7 septembre du Hamburger Illustrierte Zeitung – du dirigeable Graf Zeppelin survolant New York lors de son tour du monde de 1929. La schématisation mathématique des orbites planétaires par Kepler apparaît comme une phase de transition entre les images du monde allégorique et celles du monde mathématique (fig. 1, image du bas à gauche), mais si on lit le panneau dans l’optique du passage de la conférence de Warburg consacré au rituel du serpent, sa signification change et prend une tonalité plus ambivalente. Au-delà du simple contenu iconographique, il y a le fait que l’image télétransmise du Zeppelin a pris forme en devenant une onde électromagnétique et a donc été produite par les moyens mêmes qui, comme l’expliquait Warburg en 1923, sont responsables de la destruction des conditions nécessaires à la pensée.

1. Aby Warburg, Atlas Mnémosyne (panneau C), Hambourg, Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg, 1929

1. Aby Warburg, Atlas Mnémosyne (panneau C), Hambourg, Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg, 1929

Négatif sur plaque de verre, 29,7 x 21 cm. Londres, Warburg Institute Archive.
Dans les images découpées qui figurent en bas à droite, le Hamburger Illustrierte vante ses « Telegraphierte Bilder » du Graf Zeppelin survolant New York lors de son voyage autour du globe en 1929.

  • 4 On peut interpréter ces anxiétés dans le cadre plus large de la crise de la culture visuelle analys (...)
  • 5 Voir Jay Winter, Dreams of Peace and Freedom. Utopian Moments in the 20th Century, New Haven, Yale (...)

3Rappelons qu’à cette époque, les administrations des postes et des télécommunications tissaient un dense réseau européen de téléphotographie, et que les agences de presse envoyaient quotidiennement des images par câble et par radio de l’autre côté de l’Atlantique. La transmission d’images fixes faisait appel à diverses techniques réunies sous des termes assez instables et souvent employés de façon interchangeable à l’époque, comme « wire photography [photographie filaire ou par câble] », « téléphotographie » ou « fac-similé ». Dans sa forme adoptée par la presse et perçue par un large public, la transmission électrique d’images occupait une place de choix dans la culture de l’entre-deux-guerres. Elle cristallisait un ensemble d’angoisses et d’espoirs à l’approche d’une nouvelle ère caractérisée par une politique de masse et une communication mondiale instantanée4. Si Warburg avait une vision pessimiste des conséquences de la téléphotographie, pour David Sarnoff – responsable de la Radio Corporation of America (RCA) et apôtre de la technologie – la télétransmission d’images favorisait la compréhension internationale et la paix dans le monde. De son côté, et nous y reviendrons, l’historien Jay Winter estime que la Première Guerre mondiale a rompu le lien entre le champ de l’expérience et les attentes collectives, de sorte que le passé ne semblait plus être un guide adéquat pour l’avenir et que s’ouvrait entre eux un fossé dans lequel pouvaient émerger des visions utopiques5. Cependant, la téléphotographie n’a apporté ni l’utopie que Sarnoff espérait ni la catastrophe que Warburg redoutait. Elle n’est qu’un symptôme particulièrement éloquent des tensions et des contradictions culturelles de l’entre-deux-guerres provoquées par l’accélération des liaisons internationales ainsi que du désir d’échapper au traumatisme de la guerre en accélérant le temps et en rétrécissant l’espace.

  • 6 Voir Marco Solaroli, « Iconicity. A Category for Social and Cultural Theory », Sociologica, no 1, j (...)
  • 7 Voir Simon Michael Bessie, Jazz Journalism. The Story of the Tabloid Newspapers, New York, E.P. Dut (...)

4 La téléphotographie concrétisait et formalisait la réduction rapide des distances. Les images, qui avaient mis des semaines à traverser les océans par bateau à vapeur, pouvaient désormais être transmises et imprimées presque instantanément dans les quotidiens, qui tiraient souvent plusieurs éditions au cours d’une même journée. Les théories sur le pouvoir des images iconiques ont mis en évidence différents facteurs dans la production des icônes : la répétition, la diffusion dans le temps et la capacité des images à traverser l’espace. C’est précisément sur la dimension spatiale que la téléphotographie permet de mettre l’accent6. En accélérant la transmission des données visuelles dans le monde entier, elle annonçait ou désignait certains personnages ou événements comme candidats au statut d’icône. Si ces personnes et ces événements étaient suffisamment importants pour mériter de paraître sur du papier journal de mauvaise qualité, il était probable qu’ils donneraient lieu plus tard à des tirages de meilleure qualité. La vitesse de transmission des images semblait aller de pair avec l’accélération du rythme de la vie quotidienne, et l’effondrement de la distance influençait l’expérience de la vision et l’interprétation qu’on pouvait en avoir. En ce sens, la téléphotographie dépassait de loin la fonction indexicale et le statut de preuve souvent attribués à la photographie de presse7. La qualité de ces photos imposait à la presse quotidienne de choisir des motifs facilement lisibles et, de ce fait, proposait une simplification de l’information dans un environnement visuel toujours plus complexe.

  • 8 Le fac-similé renvoie généralement à la transmission de matériaux graphiques, qu’il s’agisse de chè (...)
  • 9 Concernant le concept d’imaginaire technologique, voir Patrice Flichy, The Internet Imaginaire, Cam (...)
  • 10 Voir, par exemple, David Sarnoff, « Forging an Electric Eye to Scan the World. Sarnoff Pictures the (...)
  • 11 Le photophone a été la méthode utilisée par la RCA pour synchroniser électriquement le son sur une (...)
  • 12 Plusieurs ouvrages analysent l’évolution de la technologie sous l’angle de l’étude des sciences et (...)

5 Bien que la téléphotographie ait été imaginée, prédite et expérimentalement affinée dès le XIXe siècle, je limiterai mon analyse à l’entre-deux-guerres et à l’exemple de la téléphotographie comme pratique journalistique. Une archéologie du médium serait une entreprise de nature très différente parce qu’il s’est développé au milieu d’autres technologies de transmission de l’image qui comprennent la télévision et le fac-similé8 : si la téléphotographie a moins retenu l’attention des spécialistes, cela pourrait s’expliquer par la réussite des deux autres médias. Dans la structure de l’« imaginaire technologique » télévisuel, c’est-à-dire par rapport aux idées, aux rêves et aux espoirs d’un médium qui n’existait pas encore, la téléphotographie relevait d’un champ plus général qui comprenait la transmission des images en mouvement9. Sa relative occultation dans la littérature savante reflète le point de vue des promoteurs de cette technologie, qui en ont souvent fait un tremplin vers la commercialisation du fac-similé ou de la télévision10. Sarnoff plaçait la téléphotographie dans une grande structure intermédiale qu’il appelait « radio visuelle », catégorie qui comprenait les photophones, la téléphotographie et la télévision11. Dans l’histoire des sciences et des techniques, la plupart des travaux sur la téléphotographie se sont concentrés sur la dimension technique du médium, plus que sur son utilisation dans la presse12.

  • 13 Mon analyse suit donc celle de l’historienne des médias Lisa Gitelman, qui souligne le rôle importa (...)
  • 14 L’article de Jason Hill sur l’utilisation de la téléphotographie dans le quotidien de gauche PM, lo (...)
  • 15 Voir Myriam Chermette, « Du New York Times au Journal. Le transfert des pratiques photographiques a (...)
  • 16 Voir Barbie Zelizer, « Journalism’s “Last” Stand. Wirephoto and the Discourse of Resistance », Jour (...)
  • 17 Zeynep Gürsel, « A Short History of Wire Service Photography », in Jason E. Hill et Vanessa R. Schw (...)

6 Or, pour la presse quotidienne, la téléphotographie a été tout sauf une technologie mineure. Dès les années 1930, son utilisation est quotidienne et, dans l’après-guerre, elle fait partie intégrante du paysage de la presse13. Des travaux importants ont été consacrés à son rôle en rapport avec certaines images ou publications particulières14, dans des pays comme la France15 ou les États-Unis16, et comme toile de fond historique importante dans les activités de services de téléphotographie de l’époque comme Associated Press (AP), l’Agence France-Presse ou Reuters17. Cependant, il reste à étudier plus en détail les premières décennies du photojournalisme dans ses dimensions transnationales et mondiales. Dans l’entre-deux-guerres, la téléphotographie a cristallisé les anxiétés relatives à la technologie, à la vision et à l’espace, et mis en lumière des changements culturels fondamentaux.

Technologies militaires et accélération du temps social

  • 18 « Drahtlose Bildübertragung », 25 mars 1925. Berlin, Bundesarchiv (Lichterfelde), Bildfunk General, (...)
  • 19 Comme le font remarquer plusieurs auteurs, l’État et les institutions militaires ont souvent encour (...)

7Durant la Première Guerre mondiale, les recherches dans le domaine de la téléphotographie firent des progrès spectaculaires. En 1917, l’armée allemande réunit une équipe de chercheurs, dirigée par l’ingénieur électricien Walter Dieckmann, qui met au point un dispositif de transmission des photographies suffisamment simple et durable pour être utilisé à grande échelle. Le dispositif pouvait être embarqué dans un avion de repérage dans le but de photographier les positions ennemies et transmettre ensuite l’image négative directement à la station au sol. Apparemment, l’armée prévoyait d’installer des émetteurs dans toute sa flotte d’avions de repérage, mais au moment où l’armistice fut signé, seuls trente appareils avaient été ainsi équipés18. Néanmoins, l’objectif poursuivi, à savoir coordonner rapidement la surveillance aérienne de l’artillerie pour concentrer les forces sur les points névralgiques du front, met en lumière la relation qui se développait entre la technologie militaire et l’« accélération sociale19 ».

  • 20 A. J. Ezickson, Get that Picture! The Story of the News Cameraman, New York, National Library Press (...)
  • 21 Richard H. Ranger, « Transmission and Reception of Photoradiograms », reproduit in Radio Facsimile. (...)
  • 22 Voir l’excellente étude par Gennifer Weisenfeld du séisme du Kantō en tant qu’événement médiatique, (...)
  • 23 R. Ranger, « Transmission and Reception of Photoradiograms », art. cité, p. 20.

8 La RCA commença quant à elle ses recherches sur la télétransmission transatlantique d’images en 1923, et moins de deux ans plus tard, le 5 mars 1925, la première photo de presse traversait l’Atlantique par radio. Représentant le président allemand Friedrich Ebert exposé dans une chapelle ardente, l’image fit sensation dans la grande presse, alors que les plaques photographiques elles-mêmes n’arrivèrent à New York que cinq jours plus tard par bateau20. Encouragés par ce premier succès, les ingénieurs et les responsables de RCA continuèrent à miser sur une percée technologique dans le domaine du fac-similé et de la télévision. Une publication de RCA datant de 1938 et reproduisant des articles sur la téléphotographie et le fac-similé fait apparaître l’incertitude terminologique chez les ingénieurs et leur difficulté à imaginer les usages futurs des technologies mises au point. Dans la première intervention de la série, présentée à l’Institute of Radio Engineers en 1925, l’ingénieur Richard Ranger explique que, « naturellement, tout ce travail se fixe des objectifs, dont le plus immédiat concerne l’information. Un journal, toutefois, peut avoir deux priorités : la première est l’image insolite, l’autre, l’image d’actualité plus commune. Évidemment, on ne peut pas bâtir une entreprise autour des seuls tremblements de terre21. » Les deux décennies suivantes prouvèrent que Ranger avait tort, mais qu’il avait été assez perspicace pour s’interroger sur les possibilités économiques de ces « images insolites ». « Il est intéressant, commentait-il encore, de voir dans quelle mesure l’image insolite comptera pour la presse », faisant allusion aux moyens mobilisés pour obtenir des photos aériennes des destructions provoquées par le tremblement de terre du Kantō, qui, en 1923, avait dévasté Tokyo et fut un événement médiatique majeur jusqu’en Europe et en Amérique22. Les agences concurrentes avaient loué des avions à Shanghai pour survoler Tokyo, prendre des photos et retourner à Shanghai à temps pour attraper le bateau postal. L’une de ces agences, qui avait manqué le bateau en partance pour Vancouver, alla jusqu’à louer un hydravion et parcourir quatre cents milles pour lâcher les films sur le navire. À Vancouver, deux avions attendaient pour récupérer les photos et faire la course jusqu’à New York, où ils arrivèrent à quelques heures d’intervalle. L’opération coûta des milliers de dollars et les journaux new-yorkais payèrent jusqu’à cinq cents dollars pour des photos déjà vieilles de plusieurs semaines. On entrevoyait clairement la rentabilité possible d’un service qui serait capable de transmettre en un éclair des images de Tokyo à New York23.

  • 24 « Exhibition of Telephotographs. By Courtesy of the American Telephone and Telegraph Company », New (...)

9 Plutôt que d’interpréter la téléphotographie comme une simple étape dans une évolution aboutissant à l’implantation de la télévision, on peut s’interroger sur le rôle médiateur que la presse joua dans l’évolution des télécommunications. La compagnie AT&T, qui développait alors son propre équipement de téléphotographie, avait vite compris que la presse était le marché le plus prometteur à court terme. Une brochure accompagnant une exposition sur la « téléphotographie », présentée par AT&T au Metropolitan Museum de New York en 1925, soulignait ce fait : « il ne fait guère de doute, peut-on lire, que les images sont un moyen idéal de diffuser des nouvelles, mais elles ne sont vraiment utilisées en ce sens que depuis peu. L’exigence fondamentale des nouvelles est d’atteindre le public dans les plus brefs délais ; or, les illustrations qui se transmettent moins vite que le téléphone et le télégraphe ne sont plus des nouvelles lorsqu’elles arrivent24. » Les rédacteurs de la brochure avaient conscience que le critère fondamental de l’actualité visuelle était la rapidité :

  • 25 Ibidem.

Un vaste débouché pour les images transmises électriquement est naturellement la presse. Son intérêt pour la transmission rapide des images s’est manifesté dans le passé par l’utilisation de trains spéciaux, avions et autres moyens de véhiculer rapidement des portraits et images d’événements spéciaux vers les grands centres de distribution de l’information. Il semble que l’utilisation d’images se développe aujourd’hui rapidement dans les journaux, dont beaucoup publient désormais quotidiennement des images25.

  • 26 Voir S. M. Bessie, Jazz Journalism, op. cit., p. 233 ; Douglas Bicket et Lori A. Packer, « An Early (...)

10Après la Première Guerre mondiale, les grands quotidiens américains publièrent toujours plus de photographies d’actualité, sous l’impulsion de nouveaux tabloïdes comme le New York Daily News et le New York Daily Mirror26.

  • 27 Keystone s’installe à Londres en 1919, à Berlin en 1923 et à Paris en 1927, tandis que Pacific & At (...)

11 Les quotidiens illustrés de l’après-guerre étaient alimentés par un nouveau type de services photographiques, comme Hearst’s International News Photo, Pacific and Atlantic Photos (du groupe McCormick-Patterson), Keystone News Photos ou Wide World News Photos de la New York Times Company. Contrairement aux services antérieurs, qui constituaient des archives d’images de personnalités publiques, de bâtiments et autres icônes pour les avoir à portée de main chaque fois qu’un sujet d’actualité l’exigeait, les nouvelles agences se concentraient sur les événements spectaculaires au moment même où ils se produisaient, c’est-à-dire sur la photo d’actualité. Dès avant la Première Guerre mondiale, ces agences avaient commencé à mettre en place, dans les villes du monde entier, des bureaux équipés de systèmes de messagerie permettant d’obtenir des images le plus rapidement possible. Cette émulation déclencha une sorte de « course aux armements », dans laquelle la téléphotographie apparaissait comme une solution évidente. Dans l’immédiat après-guerre, les agences américaines prirent pied en Europe27, et cette expansion contribua à faire progresser les systèmes de transmission télégraphique des images des deux côtés de l’Atlantique, car les investisseurs (entreprises ou gouvernements) étaient certains de trouver un marché en plein essor.

  • 28 « Inhalt der Besprechung zwischen Winterbottom, Roosevelt, Pichon, Dr. Schapira, Rotscheidt, Abraha (...)
  • 29 « Telefunken Gesellschaft für Drahtlose Telegraphie M.B.H. to Herrn Staatssekretär Dr. Bredow, Reic (...)
  • 30 « Graphischer Bildfunk – Kopiertelegraphie für die Auslandspresse », 9 oct. 1926 (le soulignement e (...)

12 Au milieu des années 1920, les télétransmissions de photographies n’étaient pas rares. D’après le compte rendu d’une réunion tenue le 8 mars 1927 au sein de RCA en présence de représentants du Reichspostministerium, de Telefunken et de Transradio, le service de « photoradiogram » de RCA avait transmis en moyenne, au milieu de l’année 1926, plus d’une image par jour à travers l’Atlantique, avec un trafic particulièrement dense lors des conférences politiques, des matchs sportifs, des exploits aériens et des catastrophes28. En 1925, la poste allemande envisagea, en collaboration avec le titulaire du brevet radio Siemens-Telefunken et Transradio AG, de créer son propre système de téléphotographie. Après une étude des progrès réalisés pendant la guerre par l’entreprise Dieckmann, elle décida d’en racheter les brevets29. Vers la fin de 1926, elle prévoyait de mettre en place un système public à l’échelle mondiale qui relierait Berlin aux bureaux de Transradio à Buenos Aires et de RCA à New York, qui devait comprendre une section spécialisée dans l’actualité et « spécialement dédiée à la transmission d’images de personnalités politiques, de sportifs, d’artistes, et toute autre image à contenu d’intérêt général », et devait être financé « par la vente des droits de reproduction des images transmises aux journaux, périodiques et services de presse des magazines américains »30. Entre 1929 et 1936, le Reichspostministerium et Transradio ouvrirent ce service public à Buenos Aires, à New York, en Chine, à Tokyo et en Thaïlande, choix géographiques qui reflétaient les ambitions géopolitiques et commerciales de l’Allemagne, mais correspondaient aussi à des lieux où, selon les responsables de l’opération, il y avait des personnalités et des événements dont les images méritaient d’être télétransmises rapidement, ainsi que des publics intéressés par ce qui pouvait se passer en Allemagne.

Icônes de la vitesse

  • 31 Sur la notion du « principe de disjonction », voir Horst Bredekamp, Vera Dünkel et Birgit Schneider (...)
  • 32 J. Hill, « The Efficacy of Artifice », art. cité, p. 72.

13Au fur et à mesure que le système se développait, les ingénieurs amélioraient la fidélité visuelle des images et la qualité technique du procédé, conformément à un « principe de disjonction » selon lequel plus les images sont techniquement élaborées, plus elles ont tendance à paraître naturelles. En appliquant des solutions techniques de plus en plus fines et complexes, le but était de transformer les téléphotographies en « fenêtres » sur le monde, en occultant les traces de leur statut d’images télétransmises31. Au début, toutefois, les retouches visibles apportées à l’image apparaissaient comme un gage de l’authenticité de la vitesse de transmission, ce que soulignaient les légendes. Les marques visibles de transmission et de retouche pouvaient nuire à la clarté indexicale de l’image, mais elles renforçaient les significations connotatives associées à l’abolition des distances (fig. 2). La photo représentant le championnat de boxe poids lourds entre Jack Dempsey et Gene Tunney en 1926, par exemple, possède les qualités formelles particulières des premières téléphotographies de presse. Malgré la promesse d’indexicalité du photojournalisme, les retoucheurs étaient clairement intervenus pour compenser le manque de netteté provoqué par les perturbations dans la transmission. Comme le fait remarquer Jason Hill, cette démarche allait à l’encontre de l’injonction du photojournalisme, à savoir que les retouches devaient être invisibles sous peine de compromettre la valeur documentaire du cliché tramé. Mais dans ce cas, pourquoi imprimerait-on des tirages retouchés32 ? L’analyse de deux événements importants de l’entre-deux-guerres, en lien avec les voyages aériens et l’abolition des distances – et tous deux largement couverts par la photographie –, peut aider à formuler une réponse.

2. Combat de boxe entre Tunney et Dempsey, New York, 23 sept. 1926

2. Combat de boxe entre Tunney et Dempsey, New York, 23 sept. 1926

Photographies transmises à Berlin via le système par câble Bartlane, tirage argentique. Berlin, Archiv für Kunst und Geschichte (AKG135725).

  • 33 Voir Zeynep Gürsel, « A Short History of Wire Service Photography », in J. E. Hill et V. R. Schwart (...)

14Lorsque Charles Lindbergh réussit la traversée de New York à Paris et atterrit à l’aéroport du Bourget le 21 mai 1927, il devint le héros du jour, et Pacific and Atlantic Photos transmit par câble, à New York, des photos de son arrivée (fig. 3). Cette transmission se fit par le procédé Bartlane, qui consistait à balayer l’image et à convertir l’information en perforations sur une bande de papier télégraphique, retransformée ensuite en image par le destinataire. D’un point de vue perceptuel, l’image, constituée de carrés de différents tons, fonctionnait à la façon d’une mosaïque. Comme pour les photographies de boxe, elle portait des marques claires de transmission électrique et manquait naturellement de netteté. Pour reprendre les termes employés par Zeynep Gürsel, c’était une image « rapide » plutôt qu’une « bonne » image33. Et pourtant, les traces visuelles de sa rapidité en firent une bonne image pour les journaux et les lecteurs lorsqu’elle arriva aux États-Unis le 24 mai 1927. Elle n’avait pas été conçue pour être conservée ou reproduite ultérieurement dans des magazines ou des livres : le message qu’elle véhiculait était précisément celui de sa vitesse et de son actualité ; l’image devait son importance au fait qu’elle était la première à être arrivée et à avoir été imprimée.

3. Arrivée à New York de Charles Lindbergh accueilli par l’ambassadeur Dwight Morrow, New York, 1927

3. Arrivée à New York de Charles Lindbergh accueilli par l’ambassadeur Dwight Morrow, New York, 1927

Tirage argentique. Tucson, Center for Creative Photography (AG 23 1.3, série 1‑42).

Au-delà de l’indexicalité

  • 34 Voir Robert Hariman et John Louis Lucaites, No Caption Needed. Iconic Photographs, Public Culture, (...)
  • 35 Voir M. Solaroli, « Iconicity », art. cité, p. 23, qui décrit plus en détail l’état de la recherche (...)

15Les travaux sur les « images iconiques » se sont surtout concentrés sur le mode de transformation des images en « icônes » selon un processus qui les détache de leur contexte d’origine et les autorise à circuler en reproduction dans d’autres contextes34. Cependant, cette sorte d’image fonctionne différemment, dans sa puissance symbolique, selon la vitesse à laquelle elle est publiée et selon qu’elle annonce la (re)production ultérieure d’images plus lentes et esthétiquement plus abouties. Si, dès les années 1920, une célébrité ou un événement était assez important pour justifier le processus financièrement coûteux et esthétiquement dommageable d’être câblé ou télégraphié, cette possibilité devait être considérée, cela d’autant plus que l’icône en puissance charriait les marques symboliques de l’abolition des distances à laquelle aspirait la téléphotographie. On comprend aussi l’importance de la sélection initiale opérée par les agences de photographie, qui décidaient quels personnages ou événements désigner pour accéder éventuellement au statut d’icône. La téléphotographie avait donc mis en jeu des tensions culturelles et structurelles profondes, condensant des défis sociétaux invisibles (comme l’espace transnational ou mondial) sous la forme visuelle-matérielle du cliché tramé d’un quotidien35.

16 Les photographies de Lindbergh établissaient une interaction productive entre leur contenu dénotatif – l’aviateur qui a franchi l’espace – et des connotations de vitesse et d’accélération, renforcées par l’absence formelle d’indexicalité photographique et par la présence d’une légende. D’ailleurs, si ce genre d’image a été occulté dans l’historiographie, c’est peut-être en partie parce que les archives photographiques ont été construites à partir d’images qui privilégiaient la qualité documentaire du médium, censé aider à voir clairement le passé. Cependant, pour le public américain qui découvrait, quelques jours seulement après son arrivée, le visage flou mais manifestement souriant de Lindbergh, l’image exprimait l’abolition de la distance représentée par l’exploit aérien d’une manière que les mots n’auraient su traduire de manière adéquate. Bien qu’ayant été déconstruite en un code télégraphique avant d’être reconstituée, l’image retouchée était « informée » par la photographie, et transmise par la « succession d’ondes, obéissant au toucher de la main d’un homme » dont parle Warburg. Le flou même de la photo, où cohabitaient la subjectivité de la retouche au pinceau et le processus objectif de la photographie, rendait l’image à peine intelligible. Ce flou pouvait être interprété comme emblématique d’une rupture entre l’expérience passée et l’horizon des attentes collectives, signalant le « pas encore » et le « sur le point de » du progrès technologique et du décollage de la civilisation au lendemain de la Première Guerre mondiale. L’objectivité du photojournalisme véhiculait ici une signification supplémentaire produite par la transmission et par les marqueurs visuels qui reflétaient cette médiation, illustrant pour le spectateur, sous forme visuelle-matérielle, la structure temporelle dont parle Jay Winter, et les futurs possibles dans un monde du transport aérien et du mouvement.

  • 36 Vincent Lavoie, « Hindenburg Disaster Pictures. Awarding a Multifaceted Icon », in J. E. Hill et V. (...)

17 Vers le milieu et la fin des années 1930, les services de téléphotographie étaient plus actifs et mieux organisés que jamais. Dix ans après le vol de Lindbergh, lorsque le dirigeable Hindenburg explose à Lakehurst (New Jersey) le 6 mai 1937 vers 19h25, ils étaient là à attendre. Vincent Lavoie a montré que les images du Hindenburg « ont été unanimement considérées comme un jalon fondamental et un accomplissement sans précédent pour le photojournalisme36 ». À l’époque, mais aussi durant les décennies qui allaient suivre, ces images ont été reconnues – dans les manuels de photojournalisme comme dans les récompenses décernées par la profession – comme marquant un tournant dans l’évolution de la valeur médiatique des photographies de presse. Le responsable photo de Times Wide World, A. J. Ezickson, admit qu’un aspect important de l’événement était la dimension mondiale qu’il avait acquise grâce à la téléphotographie.

  • 37 A.J. Ezickson, Get that Picture!, op. cit., p. 196.

Les coursiers à motocyclette ont porté les clichés à la Radio Corporation of America, dans le centre de New York, pour qu’ils soient transmis par radio à Londres et à Buenos Aires, et le lendemain matin, les photos ainsi télégraphiées ont été diffusées en première page des éditions anglaises et argentines. Les images étonnantes montrant la majestueuse reine de l’air s’effondrant dans des ruines enflammées ont circulé en quelques heures de ville en ville, de continent en continent, grâce à tous les appareils capables d’accélérer la diffusion des photographies de presse37.

  • 38 « Bildfunk mit New York », 16 juin 1937. Berlin, Bundesarchiv (Lichterfelde), Bildfunk mit Nord-ame (...)
  • 39 Vanessa Ogle étudie le processus de synchronisation du temps mondial dans un ouvrage fascinant, The (...)

18Curieusement, le rapport d’Ezickson ne faisait pas mention des photos envoyées par la liaison radio New York-Berlin. Les journaux américains les diffusèrent le lendemain du désastre, comme le montre bien la première page de la matinale du San Francisco Chronicle (fig. 4). Pour les Européens, en avance de six heures par rapport au fuseau horaire de New York, l’objectif était de les intégrer dans l’édition du soir du 7 mai. Cependant, RCA avait d’abord transmis les images à Londres et attendu un certain temps avant de les envoyer à Berlin. Le retard suscita une plainte de la part du Reichspostministerium, qui était prêt à recevoir les photos à 5h30 le 7 mai, soit quatre heures seulement après l’événement, mais, en raison de la préférence donnée à Londres et d’un retard dû ensuite aux conditions météorologiques, la première photo n’arriva qu’à 13h40 et les quatre suivantes à 19 heures38. Lorsque le bureau de Berlin reçut finalement les photos de l’explosion, elles étaient néanmoins de bonne qualité (fig. 5). La similigravure reproduite en première page de l’édition du 8 mai du Stettiner General-Anzeiger ne laisse voir aucune marque évidente de retouche (fig. 6), bien qu’apparaissent des traces de la trame du processus de radiophoto et que la légende précise qu’elle a été envoyée d’Amérique par radio. La surface fantomatique du dirigeable sous la lumière de l’explosion semble flotter dans l’air juste avant de sombrer dans les flammes. L’épisode du Hindenburg montre toute la force du lien entre l’instantanéité, le temps globalement homogène ou synchronisé et la fabrication de l’image39.

4. Une du San Francisco Chronicle du 7 mai 1937 annonçant l’explosion du Hindenburg à Lakehurst

4. Une du San Francisco Chronicle du 7 mai 1937 annonçant l’explosion du Hindenburg à Lakehurst

© Polaris Images, New York

5. Une du Stettiner General-Anzeiger, 8 mai 1937, « La compagnie maritime Zeppelin annonce : 65 rescapés à Lakehurst »

5. Une du Stettiner General-Anzeiger, 8 mai 1937, « La compagnie maritime Zeppelin annonce : 65 rescapés à Lakehurst »

© Staatsbibliotheke zu Berlin-Preußlische Kulturbesitz, Berlin

6. Sam Shere (International News Photos), photographie du désastre du Hindenburg télétransmise le 7 mai 1937 par RCA à l’agence d’images Weltbild du ministère de la Propagande à Berlin

6. Sam Shere (International News Photos), photographie du désastre du Hindenburg télétransmise le 7 mai 1937 par RCA à l’agence d’images Weltbild du ministère de la Propagande à Berlin

Tirage argentique. Berlin, Collection Berliner Verlag Archiv (AKG5568836).

  • 40 Robert Hariman et John Louis Lucaites, « Ritualizing Modernity’s Gamble. The Iconic Photographs of (...)

19Pour Hariman et Lucaites, les images du Hindenburg ont eu une fonction rituelle de médiation des angoisses sociales associées au « jeu de la modernité », c’est-à-dire au pari qui voulait que les avantages du progrès technologique l’emportent sur les risques40. Si l’on aborde les photographies dans leur dimension mondiale – au-delà de leur réception par le public américain –, on constate qu’elles ont permis d’atténuer une des tensions générées par la société technologique, à savoir le rétrécissement de l’espace. À l’approche d’une nouvelle guerre mondiale, ces images ont servi de médiateurs non seulement face aux risques d’échecs technologiques catastrophiques, mais face aussi au danger spécifique associé aux techniques de rapprochement des espaces. La nouvelle guerre ne serait pas statique, mais rapide, mouvementée et dévastatrice. Une fois de plus, la téléphotographie et l’appareil logistique qui lui est associé (agences de presse et infrastructures de télécommunications) donneront une dimension symbolique supplémentaire aux images en circulation.

  • 41 Martin Heidegger, Gesamtausgabe. Band 5. Holzwege, Francfort-sur-le-Main, Vittorio Klostermann, 197 (...)

20 Dans sa conférence de 1938 sur « L’Époque des conceptions du monde », Martin Heidegger précise que son concept d’« image du monde » (Weltbild) ne renvoie pas à une idée d’imitation ou de représentation du monde, mais plutôt au « monde saisi en tant qu’image41 » (die Welt als Bild begriffen). La culture globale se loge moins dans une iconographie du global que dans la capacité de médiation que possèdent les images, liaisons entre les spectateurs et un monde dont l’échelle et la complexité – structurelles et sociétales – restent nécessairement invisibles. Et ce genre d’expérience est exactement ce que les services de téléphotographie proposaient. Contrairement aux expositions universelles qui s’étaient développées au XIXe siècle, les agences d’images de presse amenaient le monde à la porte du spectateur. Pour Heidegger, un signe clair de ce processus est l’apparition – partout – de ce qu’il appelle « le gigantesque », qui, écrit-il, « s’annonce dans […] la destruction des grandes distances par l’avion, dans les représentations de mondes étrangers et éloignés dans leur quotidienneté, produites à volonté par la radio ». Comme Warburg dix ans plus tôt, il perçoit l’importance que prend, dans l’entre-deux-guerres, le lien entre les télécommunications et les images, entre une pratique et un ensemble d’institutions qui ont produit une nouvelle relation au temps et à l’espace, et un outil pour mettre en évidence les espoirs et les tensions d’un monde en mouvement.

Mes remerciements vont à Estelle Blaschke, Anne-Katrin Weber, Davide Nerini, Jason Hill et Vanessa Schwartz. J’aimerais aussi remercier W.J.T. Mitchell et Justin Underhill pour le séminaire très inspirant qu’ils ont organisé en 2015 au Getty Research Institute, sous le titre « Atlas Fever. From the Wunderkammer to the Database ».

Haut de page

Notes

1 Aby Warburg, Le Rituel du Serpent [1939], Paris, Macula, 2003 (réed. 2015), pp. 117 et 119.

2 Ibidem.

3 Voir Dorothee Bauerle, Gespenstergeschichten für ganz Erwachsene. Ein Kommentar zu Aby Warburgs Bilderatlas Mnemosyne, Münster, Lit., 1988, p. 73. L’auteure explique que, pour Warburg, le Zeppelin symbolisait la maîtrise du cosmos.

4 On peut interpréter ces anxiétés dans le cadre plus large de la crise de la culture visuelle analysée par Martin Jay dans le contexte intellectuel français. Dans l’introduction, Jay évoque plusieurs voies possibles pour étendre cette histoire intellectuelle au-delà du contexte français. Voir Id., Downcast Eyes. The Denigration of Vision in Twentieth-Century French Thought, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1993, p. 14.

5 Voir Jay Winter, Dreams of Peace and Freedom. Utopian Moments in the 20th Century, New Haven, Yale University Press, 2006, p. 7, et chap. 2, « 1919. Perpetual War/Perpetual Peace ».

6 Voir Marco Solaroli, « Iconicity. A Category for Social and Cultural Theory », Sociologica, no 1, janv.-avril 2015. Solaroli parle d’une « puissance iconique », ou de l’aptitude à exprimer et intensifier les sens, récits et mythes culturels en une entité visuelle-matérielle esthétiquement frappante, facilement reconnaissable, émotionnellement riche et symboliquement pertinente.

7 Voir Simon Michael Bessie, Jazz Journalism. The Story of the Tabloid Newspapers, New York, E.P. Dutton, 1938; Dona Schwartz, « Objective Representation. Photographs as Facts », in Bonnie Brennen et Hanno Hardt (dir.), Picturing the Past. Media, History, and Photography, Urbana/ Chicago, University of Illinois Press, 1999.

8 Le fac-similé renvoie généralement à la transmission de matériaux graphiques, qu’il s’agisse de chèques, de dessins ou de photographies, alors que la téléphotographie renvoie davantage à l’utilisation de cette technologie dans la presse, et notamment pour les photographies de presse. Dans son ouvrage très utile sur l’histoire du fax, Jonathan Coopersmith replace la téléphotographie dans cette histoire. Voir Id., Faxed. The Rise and Fall of the Fax Machine, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2015.

9 Concernant le concept d’imaginaire technologique, voir Patrice Flichy, The Internet Imaginaire, Cambridge (MA), MIT Press, 2007, p. 1. Comme l’a montré Doron Galili, les images fixes et mobiles ont toutes deux fait partie des débuts de l’imaginaire technologique de la télévision. Voir Id., « Tom Swift’s Three Inventions of Television. Media History and the Technological Imaginary », Journal of European Television History and Culture, vol. 4, no 7, 2015.

10 Voir, par exemple, David Sarnoff, « Forging an Electric Eye to Scan the World. Sarnoff Pictures the Great Concentration of Effort Now Being Made to Achieve Television and Discusses its Future », The New York Times, 18 nov. 1928. Hagley Archive (Acc. 2464, boîte MA 40, vol. 5, 1927-1928).

11 Le photophone a été la méthode utilisée par la RCA pour synchroniser électriquement le son sur une image animée. Voir David Sarnoff, « Joining Sight to Sound in Radio ». Hagley Archive (Acc. 2464, boîte MA 40, vol. 5, 1927-1928).

12 Plusieurs ouvrages analysent l’évolution de la technologie sous l’angle de l’étude des sciences et des techniques. Voir J. Coopersmith, Faxed, op. cit. ; Albert Kümmel-Schnur et Christian Kassung, Bildtelegraphie. Eine Mediengeschichte in Patenten, 1840-1930, Bielefed, Transcript Verlag, 2012.

13 Mon analyse suit donc celle de l’historienne des médias Lisa Gitelman, qui souligne le rôle important que jouent les usagers dans la définition des formes de médias. Voir Id., Always Already New. Media, History, and the Data of Culture, Cambridge (MA), MIT Press, 2008, ici en particulier le chap. 2, « New Media Users ».

14 L’article de Jason Hill sur l’utilisation de la téléphotographie dans le quotidien de gauche PM, lors de l’invasion de l’Union soviétique par les nazis en 1941, incite à reconsidérer l’étrange place du médium dans la culture du photojournalisme, qui privilégie la prétendue qualité indexicale de la photographie. Voir Id., « On the Efficacy of Artifice. PM, Radiophoto, and the Journalistic Discourse of Photographic Objectivity », Études photographiques, no 26, 2010.

15 Voir Myriam Chermette, « Du New York Times au Journal. Le transfert des pratiques photographiques américaines dans la presse quotidienne française », Le Temps des Médias, 2008/2 no 11, pp. 98-109, et « The Remote Transmission of Images », Études photographiques, no 29, 2012.

16 Voir Barbie Zelizer, « Journalism’s “Last” Stand. Wirephoto and the Discourse of Resistance », Journal of Communication, vol. 45, no 2, printemps 1995, pp. 78-92.

17 Zeynep Gürsel, « A Short History of Wire Service Photography », in Jason E. Hill et Vanessa R. Schwartz (dir.), Getting the Picture. The Visual Culture of the News, Londres, Bloomsbury, 2015, pp. 206-211.

18 « Drahtlose Bildübertragung », 25 mars 1925. Berlin, Bundesarchiv (Lichterfelde), Bildfunk General, 1925-1927, Bestand R/ 4701/ Archivsignatur 8508, Standort 51, Magazin M 2 05.

19 Comme le font remarquer plusieurs auteurs, l’État et les institutions militaires ont souvent encouragé le développement des médias visuels. Voir en particulier Friedrich Kittler, Optical Media. Berlin Lectures [1999], trad. A. Enns, Cambridge, Polity, 2010 et le chapitre 8, « Power, War, and Speed. The State and the Military as Key Institutional Accelerators », in Hartmut Rosa, Social Acceleration. A New Theory of Modernity, New York, Columbia University Press, 2013.

20 A. J. Ezickson, Get that Picture! The Story of the News Cameraman, New York, National Library Press, 1938, p. 48.

21 Richard H. Ranger, « Transmission and Reception of Photoradiograms », reproduit in Radio Facsimile. An Assemblage of Papers from Engineers of the RCA Laboratories Relating to the Radio Transmission and Recorded Reception of Permanent Images, New York, RCA Institutes Technical Press, 1938, pp. 18-19.

22 Voir l’excellente étude par Gennifer Weisenfeld du séisme du Kantō en tant qu’événement médiatique, Imaging Disaster. Tokyo and the Visual Culture of Japan’s Great Earthquake of 1923, Berkeley, University of California Press, 2012.

23 R. Ranger, « Transmission and Reception of Photoradiograms », art. cité, p. 20.

24 « Exhibition of Telephotographs. By Courtesy of the American Telephone and Telegraph Company », New York, Metropolitan Museum of Art, 1925. New York, The Metropolitan Museum of Art (107.1 N486 1925).

25 Ibidem.

26 Voir S. M. Bessie, Jazz Journalism, op. cit., p. 233 ; Douglas Bicket et Lori A. Packer, « An Early “Denial of Ekphrasis.” Controversy Over the Breakout of the Visual in the Jazz Age Tabloids and the New York Times », Visual Communication, vol. 3, no 3, 2004 ; D. Schwartz, « Objective Representation. Photographs as Facts », art. cité, pp. 167-168.

27 Keystone s’installe à Londres en 1919, à Berlin en 1923 et à Paris en 1927, tandis que Pacific & Atlantic ouvre un siège en Europe dans Fleet Street, à Londres, avant de gagner Paris, Berlin et Rome en 1922. Wide World s’installe dans ces villes à la même époque. Voir Bert Garai, The Man From Keystone. Behind the Scenes of a Great Picture Agency, by the Man Who Scooped the World, Londres, Frederick Muller Limited, 1965; « Photos Agency Establishes European Branch », The Fourth Estate, 4 nov. 1922 ; Lucien Bodard, Marc Dolisi et Jacqueline Hiegel, Keystone, 60 ans de grands reportages, Paris, Filipacchi, 1987 ; M. Chermette, « Du New York Times au Journal », art. cité, p. 100.

28 « Inhalt der Besprechung zwischen Winterbottom, Roosevelt, Pichon, Dr. Schapira, Rotscheidt, Abraham, Arendt », 8 mars 1927. Berlin, Bundesarchiv (Lichterfelde), Bildfunk General, 1925-1927, Bestand R/ 4701/ Archivsignatur 8508, Standort 51, Magazin M 2 05.

29 « Telefunken Gesellschaft für Drahtlose Telegraphie M.B.H. to Herrn Staatssekretär Dr. Bredow, Reichspostministerium », 8 fév. 1926. Berlin, Bundesarchiv (Lichterfelde), Bildfunk General, 1925-1927, Bestand R/ 4701/ Archivsignatur 8508, Standort 51, Magazin M 2 05.

30 « Graphischer Bildfunk – Kopiertelegraphie für die Auslandspresse », 9 oct. 1926 (le soulignement est dans l’original). Berlin, Bundesarchiv (Lichterfelde), Bildfunk General, 1925-1927, Bestand R/ 4701/ Archivsignatur 8508, Standort 51, Magazin M 2 05.

31 Sur la notion du « principe de disjonction », voir Horst Bredekamp, Vera Dünkel et Birgit Schneider (dir.) Technical Images. A History of Styles in Scientific Imagery, Chicago, University of Chicago Press, 2015.

32 J. Hill, « The Efficacy of Artifice », art. cité, p. 72.

33 Voir Zeynep Gürsel, « A Short History of Wire Service Photography », in J. E. Hill et V. R. Schwartz (dir.), Getting the Picture, op. cit., p. 207.

34 Voir Robert Hariman et John Louis Lucaites, No Caption Needed. Iconic Photographs, Public Culture, and Liberal Democracy, Chicago, University of Chicago, 2007, qui analyse comment les images iconiques ont pris de l’importance par une diffusion qui se prolonge bien au-delà de leur production initiale.

35 Voir M. Solaroli, « Iconicity », art. cité, p. 23, qui décrit plus en détail l’état de la recherche sur ce phénomène.

36 Vincent Lavoie, « Hindenburg Disaster Pictures. Awarding a Multifaceted Icon », in J. E. Hill et V. R. Schwartz (dir.), Getting the Picture, op. cit., p. 258.

37 A.J. Ezickson, Get that Picture!, op. cit., p. 196.

38 « Bildfunk mit New York », 16 juin 1937. Berlin, Bundesarchiv (Lichterfelde), Bildfunk mit Nord-amerika, 1936-1942, Bestand R / 4701/ Archivsignatur 12888, Standort 51, Magazin M 20 5.

39 Vanessa Ogle étudie le processus de synchronisation du temps mondial dans un ouvrage fascinant, The Global Transformation of Time. 1870-1950, Cambridge, Harvard University Press, 2015.

40 Robert Hariman et John Louis Lucaites, « Ritualizing Modernity’s Gamble. The Iconic Photographs of the Hindenburg and Challenger Explosions », Visual Communication Quarterly, 2004.

41 Martin Heidegger, Gesamtausgabe. Band 5. Holzwege, Francfort-sur-le-Main, Vittorio Klostermann, 1977, p. 89.

Haut de page

Table des illustrations

Titre 1. Aby Warburg, Atlas Mnémosyne (panneau C), Hambourg, Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg, 1929
Légende Négatif sur plaque de verre, 29,7 x 21 cm. Londres, Warburg Institute Archive. Dans les images découpées qui figurent en bas à droite, le Hamburger Illustrierte vante ses « Telegraphierte Bilder » du Graf Zeppelin survolant New York lors de son voyage autour du globe en 1929.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1578/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 818k
Titre 2. Combat de boxe entre Tunney et Dempsey, New York, 23 sept. 1926
Légende Photographies transmises à Berlin via le système par câble Bartlane, tirage argentique. Berlin, Archiv für Kunst und Geschichte (AKG135725).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1578/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 306k
Titre 3. Arrivée à New York de Charles Lindbergh accueilli par l’ambassadeur Dwight Morrow, New York, 1927
Légende Tirage argentique. Tucson, Center for Creative Photography (AG 23 1.3, série 1‑42).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1578/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 501k
Titre 4. Une du San Francisco Chronicle du 7 mai 1937 annonçant l’explosion du Hindenburg à Lakehurst
Crédits © Polaris Images, New York
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1578/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 951k
Titre 5. Une du Stettiner General-Anzeiger, 8 mai 1937, « La compagnie maritime Zeppelin annonce : 65 rescapés à Lakehurst »
Crédits © Staatsbibliotheke zu Berlin-Preußlische Kulturbesitz, Berlin
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1578/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 990k
Titre 6. Sam Shere (International News Photos), photographie du désastre du Hindenburg télétransmise le 7 mai 1937 par RCA à l’agence d’images Weltbild du ministère de la Propagande à Berlin
Légende Tirage argentique. Berlin, Collection Berliner Verlag Archiv (AKG5568836).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/docannexe/image/1578/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 314k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jonathan Dentler, « Images câblées. La téléphotographie à l’ère de la mondialisation de la presse illustrée »Transbordeur, 3 | 2019, 14-25.

Référence électronique

Jonathan Dentler, « Images câblées. La téléphotographie à l’ère de la mondialisation de la presse illustrée »Transbordeur [En ligne], 3 | 2019, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/1578 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12gy9

Haut de page

Auteur

Jonathan Dentler

Jonathan Dentler est diplômé en études visuelles et doctorant au département d’histoire de la University of Southern California. En 2018, il a été boursier de la Terra Foundation for American Art. Dans sa thèse à paraître, « Scooping the World. Wire Service Photography and the Globalization of Spectatorship, 1920-1955 », il étudie l’avènement de la transmission électrique d’images dans la presse et la façon dont celle-ci a remodelé les contours de l’expérience quotidienne et de la culture visuelle.
Jonathan Dentler is a PhD candidate in the Department of History and a recipient of the Visual Studies Graduate Certificate at the University of Southern California. In 2018, he was a fellow at the Terra Foundation for American Art Summer Residency in Giverny. His forthcoming dissertation, “Scooping the World. Wire Service Photography and the Globalization of Spectatorship, 1920–1955”, considers the advent of electric picture transmission in the press and the way it reshaped the contours of everyday experience and visual culture.

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search