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Dossier

Photographier le climat. Les images des ingénieurs des Eaux et Forêts (1878‑1914) : contribution à une histoire visuelle de l’environnement

Photographing the Climate. Images of Water and Forest Engineers (1878–1914): Contribution to a Visual History of the Environment
Frédérique Mocquet
p. 28-39

Abstracts

The photographic collections held by the Services départementaux de restauration de terrains en montagne (Departmental Mountain Land-Restoration Services) illustrate a key episode in the history of French land modernisation. Their aim was to shape the climate by regulating the water regime to avoid natural disasters – flooding, landslides – and to establish territories that were subsequently considered a form of capital to be developed. From the end of the 19th century, mountains – as viewed by the State in its role as a territorial planner – were equipped with a variety of apparatuses that combined civil engineering and plant engineering. Methodically taken and circulated, photographs are today one element of engineers’ technical equipment. They are the material and symbolic vehicle of a sometimes ambiguous relationship with natural phenomena, which this text attempts to describe. the study of these texts fosters a historical reflexivity and contextualisation necessary to our environmental aspirations.

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Full text

  • 1 Parmi de nombreux livres, on peut citer Françoise Guichon, Montagne. Photographies de 1845 à 1914, (...)
  • 2 Serge Briffaud « Face au spectacle de la nature », in Alain Corbin (dir.), Histoire des émotions, v (...)
  • 3 Steve Hagimont, « La nature, l’économique et l’imaginaire. L’aménagement touristique de la montagne (...)

1La montagne française est photographiée dès le milieu du XIXe siècle par des ascensionnistes, scientifiques ou amateurs, qui ramènent des images utiles à la connaissance et à la formation d’un imaginaire des hauteurs. Les pentes, glaciers, crevasses, ou encore les lacs, suscitent des expérimentations visuelles contributrices d’un genre nouveau, la photographie de montagne, qui cherche à rendre intelligibles ces formes inconnues, ou au contraire à exacerber leur étrangeté1. Ces photographies, qui alimentent les récits d’une nature comme altérité radicale, sont en lien avec l’alpinisme, mais aussi avec le développement des sciences d’observation de la nature et des sciences météorologiques2. Elles peuvent également être comprises dans le contexte plus large de modernisation généralisée du pays qui renouvelle son rapport à la nature au prisme d’une vision capitalistique de ses espaces et de ses ressources. Parallèlement à l’urbanisation et à l’industrialisation, des sites reconnus comme exceptionnels pour la beauté de leurs formes, la pureté de leur air, de leur eau et de leur atmosphère, deviennent des atouts pour un tourisme de loisir ou à vocation thérapeutique3.

  • 4 Les situations diffèrent selon les territoires, mais notons que les causes du déboisement sont un a (...)
  • 5 Les littoraux sont également concernés, pour la gestion des dunes de protection notamment. Isabelle (...)
  • 6 Benoît Coutancier (dir.), Restaurer la montagne. Photographies des Eaux et Forêts du XIXe siècle, A (...)
  • 7 Luce Lebart, « La ‹ restauration › des montagnes », Études photographiques, no 3, 1997, pp. 82‑101.

2 Alors que les images des frères Bisson ou du polytechnicien Aimé Civiale mettent en scène le « spectacle de la nature », les Services de restauration de terrains en montagne (RTM) produisent des vues d’une surface et d’une matière à réguler, à gérer et à optimiser. Depuis le début du XIXe siècle, les massifs montagneux subissent de nombreuses catastrophes dues notamment à l’érosion des sols4 : crues, inondations, éboulements et glissements de terrains affectent les territoires montagnards locaux et les plaines urbanisées dans les bassins versants. Pour réguler le régime des eaux et ainsi prévenir les risques, mais aussi pour développer l’exploitation de la montagne, les RTM plantent des forêts de protection et mettent en œuvre des travaux de génie végétal et de génie civil. La photographie contribue à concevoir ce projet global, à le matérialiser et à le représenter. Elle fait partie, aux côtés d’autres outils et techniques, de l’équipement des ingénieurs. Grâce au caractère réglementaire de son emploi comme outil de veille, de contrôle et de communication, nous héritons d’environ 15 000 vues prises entre 1880 et 1963 dans 17 départements de montagne5. Ces images sont aujourd’hui exploitées comme sources de données pour l’étude des risques climatiques, hydrologiques et géologiques. Elles sont aussi étudiées en tant que témoignages de l’histoire forestière, souvent selon une approche corporatiste promouvant la maîtrise de la nature des ingénieurs6. Partant notamment du travail de Luce Lebart qui situe ces récits dans le contexte philosophique, théologique et scientifique de l’époque7, je propose d’examiner comment les images contenues dans ces archives photographiques révèlent la complexité des relations au paysage, en mettant au cœur de la réflexion les processus et objets techniques envisagés comme des modalités de médiation socioculturelle à l’environnement.

La montagne comme infrastructure de régulation climatique

  • 8 Alain Corbin, « Les émotions individuelles et le temps qu’il fait », in A. Corbin (dir.), Histoire (...)
  • 9 Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher, « L’agir humain sur le climat et la naissance de la climato (...)

3Certaines de ces photographies rencontrent les modalités d’appréciation de la nature qui s’imposent depuis le XVIIIe siècle. Une vue du glacier d’Argentière en Haute-Savoie résonne, par exemple, avec l’interprétation de l’historien des sensibilités Alain Corbin, qui rappelle comment l’esthétique du sublime s’élabore en lien avec la perception et la compréhension des éléments météorologiques8 (fig. 1). L’eau s’écoulant du glacier, le nuage évocateur d’humidité devant l’alignement de résineux à l’arrière-plan et le sol minéral du premier plan de l’image stimulent cette émotion paysagère liée à la puissance des événements naturels. Mais les ingénieurs auteurs des vues ne poursuivent pas des visées esthétiques directement liées à un désir de représentation du paysage comme image cohérente de la nature, ni des objectifs de protection des milieux. Les nombreux dispositifs qui trament les sites et les images traduisent un projet de transformation de la montagne en territoire exploitable et en infrastructure de régulation des facteurs ordonnateurs du régime hydrologique et du climat. Il s’agit d’organiser et d’améliorer la nature, selon des théories fondées sur le déboisement et le reboisement à l’œuvre depuis le XVIIIe siècle. Les RTM adoptent une définition modernisée du climat à la faveur des nouvelles connaissances météorologiques, qui ajoute à la latitude de la zone géographique concernée le critère de régularité des paramètres météorologiques, pour lequel l’état des cours d’eau et de la végétation est envisagé comme un proxy climatique et un levier d’action9.

1. Paul Mougin, « Périmètre de l’Arve, série de Chamonix no 1367. Glacier d’Argentière. Le glacier vu de la pyramide 191 (vue de détail) », Haute‑Savoie, 2 septembre 1904

1. Paul Mougin, « Périmètre de l’Arve, série de Chamonix no 1367. Glacier d’Argentière. Le glacier vu de la pyramide 191 (vue de détail) », Haute‑Savoie, 2 septembre 1904

Tirage citrate 24 × 18 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.

© Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris

  • 10 Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher, Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique (...)

4Ces photographies témoignent donc d’un projet inédit de ce que les historiens Fabien Locher et Jean-Baptiste Fressoz appellent notre « agir climatique humain10 » planifié, et de la sensibilité environnementale associée. C’est sous cet angle climatique, qui permet de croiser l’histoire environnementale, l’histoire de l’aménagement et l’histoire de la photographie, que je propose de considérer les pratiques photographiques des ingénieurs et les représentations de la nature qu’elles génèrent. Ce texte s’appuie sur une enquête en cours auprès de plusieurs institutions conservant tirages, albums et divers imprimés et documents de travail. Il exploite particulièrement l’étude des 754 vues du département de l’Isère et des 1601 vues de Haute-Savoie conservées aux Archives nationales. Il s’agit de proposer une définition d’une photographie opératoire en tant que composant et outil à la fois symbolique et matériel de l’infrastructure de régulation climatique. Les ingénieurs des Eaux et Forêts documentent les coulisses du « spectacle de la nature » et révèlent la machinerie secrète dont dépendent le fonctionnement et le maintien du paysage montagnard. Ils ne photographient pas le climat, mais les intermédiaires qui permettent de le comprendre et d’essayer de le maîtriser : les vues de sites, de berges, de cours d’eau, de détails de chantiers et de plantations, sont autant de relevés des dispositifs composant l’infrastructure de régulation générale. L’angle climatique met ainsi en exergue une dimension technique trop souvent évacuée dès lors qu’il s’agit d’imaginer nos relations à la nature. Il nous permet d’interroger dans un même mouvement l’histoire et l’actualité de nos représentations de l’environnement et de nos préoccupations climatiques.

Une photographie opératoire, de l’œil de l’ingénieur à l’œil de l’État

  • 11 Archives nationales, ministère de l’Agriculture. Archives photographiques de la direction des forêt (...)

5Entre 1880 environ et 1914, les ingénieurs définissent 177 périmètres d’intervention et traitent 1100 torrents, cent couloirs d’avalanche et vingt glissements de terrains. Cette période, présentée dans la littérature spécialisée comme l’« âge d’or » des RTM11, est aussi celle de l’emploi le plus constant du médium. La photographie est doublement opératoire dans ce projet infrastructurel : elle est employée localement dans le cadre de la gestion des chantiers comme outil de documentation, d’analyse et de suivi, et elle contribue à l’échelle nationale à rendre effective la représentation institutionnelle de la nature comme réalité à exploiter.

  • 12 Eugène de Gayffier, Herbier forestier de la France. Reproduction par la photographie des principale (...)
  • 13 Eugène de Gayffier, Reboisement et gazonnement des montagnes. Photographies de travaux de consolida (...)
  • 14 Prosper Demontzey, Reboisement et gazonnement des montagnes. Monographies et notices descriptives d (...)

6 Quelques ingénieurs des Eaux et Forêts réalisent des photographies avant la création des services RTM et de la mise en place de sa politique photographique, et des vues sont présentées dès l’Exposition universelle de 1867. Celles-ci sont faites à Thonon, en Haute-Savoie, par le sous-inspecteur des forêts Outhier. En 1868, le directeur du service du reboisement Eugène de Gayffier publie l’Herbier forestier de la France. Reproduction par la photographie d’après nature et de grandeur naturelle de toutes les plantes ligneuses qui croissent spontanément en forêt12. L’ouvrage comprend 200 photographies reproduites en phototypie. En 1878, le service des Eaux et Forêts présente à l’Exposition universelle de Paris un album commandé à Eugène de Gayffier par la direction des forêts du ministère de l’Agriculture, intitulé Reboisement et gazonnement des montagnes. Photographies de travaux de consolidation et de reboisement13. Cet album est un argument de poids en faveur du reboisement, car il montre pour chaque périmètre le temps du délabrement, celui de la transformation et le site restauré. Les cinquante phototypies dialoguent avec l’ouvrage de Prosper Demontzey paru la même année décrivant en détail les opérations menées dans dix départements14. Produit en plusieurs exemplaires, cet ensemble de phototypies est ensuite vendu à des professionnels ou à des amateurs, intéressés par la sylviculture ou les travaux de génie civil notamment. Ces derniers peuvent ainsi constater en images les résultats des lois et des opérations d’ingénierie. On peut supposer que des exemplaires arrivent aussi entre les mains d’un public passionné de photographie et des choses de la nature.

  • 15 Administration des Forêts, Rapport sur l’enseignement pratique de la photographie à l’administratio (...)
  • 16 Henri Labbé et Fabien Bénardeau, Notice sur le rôle et l’emploi de la photographie dans le service (...)
  • 17 Martine Chalvet, Une histoire de la forêt française, Paris, Seuil, 2022 [2011].
  • 18 Jean-Michel Minovez et Anne-Marie Moulis, Photographier la bourgeoisie rurale à la Belle Époque. Le (...)

7 La création des services des RTM par la loi du 4 avril 1882 et l’institution en 1886 de la photographie comme équipement de l’ingénieur rencontrent un moment clé de l’histoire du médium. Les services profitent de l’industrialisation et de la commercialisation progressive des équipements et des matériels. En outre, l’invention de la plaque sèche au collodion ouvre des possibilités inédites et libère le photographe des opérations fastidieuses qui devaient jusqu’alors être réalisées au moment de la prise de vue. Si l’équipement à transporter sur des sites escarpés reste encombrant, il n’est plus nécessaire de partir avec un laboratoire ambulant contenant fioles, bassines et autres outils pour sensibiliser les plaques et les développer sur place. Celles-ci sont préparées à l’avance et prêtes à l’emploi, et le développement peut attendre plusieurs jours. Ce sont les gardes-généraux, les sous-inspecteurs et les inspecteurs qui, munis d’un équipement relativement léger et transportable composé d’un appareil à plaques avec chambre noire Jonte 18 × 24 cm et d’un objectif Derogy, réalisent les images. Ils appliquent les techniques acquises lors d’une formation suivie à Paris15 et dont ils retrouvent les éléments détaillés dans un manuel16. Il est très vraisemblable qu’une part significative de ces hommes ait été membres d’associations de randonnée et de protection des paysages, comme le Club alpin français ou la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France créés en 1874 et 190117. Le déploiement de la photographie dans la société bourgeoise et éduquée à la Belle Époque18 s’associe à un goût de la nature qui s’exprime notamment par l’arpentage des sites et l’appréciation du patrimoine naturel.

  • 19 Prosper Demontzey, Circulaire no 42. Application de la photographie au service du reboisement, Pari (...)
  • 20 Brenda Lynn Edgar m’a fait remarquer ce renversement. Je la remercie.

8 L’instruction no 42 du 1er avril 1886 portant sur l’application de la photographie aux travaux de reboisement19 définit des conditions strictes d’emploi du médium dans le cadre des projets de restauration. Signée par le chef du service du reboisement de la direction des forêts du ministère de l’Agriculture Prosper Demontzey, elle inaugure une utilisation programmatique dans le cadre du projet d’aménagement. Les règles prescrivent aussi bien les sujets que les types de cadrage et de compositions à produire pour que les documents servent leurs fonctions de communication et de propagande nationale, de renseignement des périmètres, et de suivi technique du chantier. L’ordonnancement, l’archivage et l’exploitation sont aussi réglementés. Les clichés sont intégrés aux dossiers de travaux (qui comprennent également des plans et des profils des sites). Chaque photographie est insérée dans une pochette double page au format 24 × 30 cm, avec mention du titre en couverture : périmètre, série, torrent, commentaire sur le sujet précis de la vue, date de prise de vue, nom de l’auteur accompagnent le tirage. La désignation de la photographie correspond à la géographie du torrent et de son aire d’influence. Ces légendes peuvent être complétées d’un texte parfois long écrit à la main sur la pochette contenant le document. Celui-ci donne des informations relatives à l’altitude, à l’exposition, au sol, aux essences présentes ou encore aux événements récents, comme c’est le cas pour la photographie du Dourdouillet dans le périmètre de Drac-Bonne en Isère (fig. 2). Ce commentaire intitulé « Nature de la vue » n’envisage pas l’image comme l’expression d’une vision d’ensemble, comme une « vue de la nature » donc, mais décrypte les éléments considérés comme signifiants. L’appellation donnée au document et à son commentaire traduit le renversement qui s’opère dans la modalité de vision du paysage et l’attitude d’observation qui la guide20. Au-delà ou à revers du spectacle naturel, ce sont ses coulisses, et notamment les facteurs de l’infrastructure de régulation climatique, que l’on regarde. Les annotations peuvent aussi entrer dans le cadre de l’image pour créer un iconotexte qui augmente la valeur informative de la vue, comme des indications souvent ajoutées à l’encre rouge sur les tirages concernant des zones d’intervention entourées, zones endommagées ou à planter rayées, flèches représentant l’écoulement des eaux. La production photographique embrasse la géographie du cours d’eau à traiter et suit le fil spatiotemporel du chantier. S’attachant à décrire chaque dispositif appareillant le lit et les berges du torrent, ainsi que ses alentours, elle intervient régulièrement et livre parfois plusieurs dizaines de vues pour un même périmètre. C’est le cas en Isère pour le torrent du Manival, régulièrement photographié par l’ingénieur Douvier, qui numérote les barrages réalisés de façon à donner à lire la chronologie de l’infrastructure (fig. 3).

2. Ernest Douvier, « Périmètre du Drac-Bonne, série du Périer, torrent du Dourdouillet », Isère, 1896

2. Ernest Douvier, « Périmètre du Drac-Bonne, série du Périer, torrent du Dourdouillet », Isère, 1896

Tirage citrate 24 × 18 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.

© Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris

3. Ernest Douvier, « Barrages construits dans le torrent du Manival, no 70 », périmètre de Saint-Nazaire-les-Eymes, série du torrent du Manival, Isère, 1896

3. Ernest Douvier, « Barrages construits dans le torrent du Manival, no 70 », périmètre de Saint-Nazaire-les-Eymes, série du torrent du Manival, Isère, 1896

Tirage citrate 18 × 24 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.

© Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris

  • 21 Pour plus de détails sur ce point, voir Frédérique Mocquet, « Montagnes en chantier. Sur la photogr (...)
  • 22 James J. Scott, L’Œil de l’État. Moderniser, uniformiser, détruire, Paris, La Découverte, 2021.

9Ces représentations textuelles et graphiques ont une vocation opératoire directe et locale et sont des outils de travail au quotidien21. Elles sont aussi diffusées dans des traités, manuels ou albums circulant au sein de l’administration ainsi que dans des expositions publiques. Elles alimentent alors le besoin de documentation, classification, standardisation et abstraction de la nature participant du nouvel imaginaire de la modernité qui porte le projet national. La nature visible est en effet découpée, transmutée en chiffres et en statistiques, ordonnée dans des catégories, des listes, des tableaux et des graphiques, qui deviennent autant de prises pour capter des réalités complexes et hétérogènes et alimenter ce que l’anthropologue James C. Scott appelle « l’œil de l’État22 ». La vue d’un des pavillons des Eaux et Forêts de l’Exposition universelle de 1878 montre d’ailleurs un espace intérieur qui accueille une collection d’extraits de la nature : animaux empaillés, prélèvements géologiques et albums botaniques répondent aux plans et maquettes de projets et photographies de sites des RTM. Cette mise en scène multimédia est elle-même photographiée et diffusée (fig. 4).

4. Eugène de Gayffier, « Administration des Forêts. Exposition Universelle de 1878. Chalet du Trocadéro », tiré de Les Forêts à l’Exposition Universelle de 1878. Douze vues photographiques, Paris, Imprimerie photo-lithographique de M. Berthaud, 1878

4. Eugène de Gayffier, « Administration des Forêts. Exposition Universelle de 1878. Chalet du Trocadéro », tiré de Les Forêts à l’Exposition Universelle de 1878. Douze vues photographiques, Paris, Imprimerie photo-lithographique de M. Berthaud, 1878

© Nathalie Briot

  • 23 Antoine Picon, « Infrastructure et imaginaires. Une lecture alternative du changement technique », (...)

10La chaîne de production allant du terrain à la mise en circulation des photographies crée une économie de l’image qui formalise à plusieurs échelles et selon diverses dimensions l’articulation entre l’œil de l’ingénieur et l’œil de l’État, ainsi qu’une représentation institutionnelle et technique de la montagne. Ces photographies contribuent à la constitution de l’infrastructure de régulation climatique et de son réseau, dans sa dimension non seulement matérielle mais aussi imaginaire : les règles, les pratiques sociales et les réalités politiques qui en déterminent les utilisations23. Cette infrastructure est elle-même prise dans un réseau plus large, puisque les RTM sont un élément clé de la constitution de l’État aménageur, qui fait du territoire un ensemble de pièces et de réseaux interconnectés. La constitution de cette infrastructure va de pair avec le développement des transports fluviaux et ferroviaires, des réseaux de communication, des industries, et avec la modernisation de l’agriculture. L’espace se contracte et s’homogénéise, et la technique – aussi bien l’ingénierie, la sylviculture que les moyens de communication et de transport – met le spectre du risque à distance.

Une nature harmonisée par la technique

  • 24 Sur la rhétorique forestière, voir Guillaume Decocq, Bernard Kalaora et Chloé Vlassopoulos, La Forê (...)
  • 25 Prosper Demontzey, Traité pratique du reboisement et du gazonnement des montagnes, Paris, J. Rotsch (...)
  • 26 Eugène Viollet-le-Duc, Le Massif du Mont-Blanc. Étude sur sa constitution géodésique et géologique, (...)

11La représentation photographique de la montagne est nourrie d’un imaginaire de la nature et du climat hérité par le corps forestier d’une histoire sociale, scientifique et politique longue de la préoccupation environnementale. Les services des RTM se constituent grâce à un discours forestier qui assoit la doctrine et justifie la place de ce corps d’ingénieurs au sein de l’organisation nationale. La rhétorique catastrophiste qu’ils développent associe le déboisement à la décadence et le reboisement au progrès, en mettant en correspondance harmonie naturelle et harmonie sociale. Ce discours se diffuse largement depuis le début du XIXe siècle, par l’intermédiaire d’agronomes, de géographes, d’architectes, de chimistes, de médecins, de météorologues ou encore d’économistes. Cette élite intellectuelle et politique, passionnée par la forêt et la montagne, commente abondamment les désastres dus à la destruction des massifs et contribue à donner de la légitimité à la volonté des ingénieurs, qui devient alors véritablement un projet politique national24. Prosper Demontzey met d’ailleurs en exergue de son traité une citation du célèbre architecte des monuments historiques Eugène Viollet-le-Duc, auteur d’une ambitieuse entreprise de reconstitution cartographique du massif du Mont-Blanc, qu’il envisage comme une architecture naturelle monumentale à restaurer25 : « Il n’est pas dans la nature de petits moyens, ou plutôt l’action de la nature ne résulte que de l’accumulation de petits moyens. L’homme peut donc agir à son tour, puisque ces petits moyens sont à sa portée et que son intelligence lui permet d’en apprécier les effets26. »

  • 27 J.-B. Fressoz et F. Locher, Les Révoltes du ciel, op. cit.
  • 28 G. Decocq, B. Kalaora et C. Vlassopoulos, La Forêt salvatrice, op. cit., p. 16.

12 Si l’action forestière présente les signes de la nouveauté et du progrès, et participe d’un plan d’aménagement inédit marqué par des valeurs de la modernité du XIXe siècle, les hommes pensent depuis longtemps qu’ils peuvent modifier les cycles naturels. L’hypothèse selon laquelle la forêt contribuerait à réguler les températures en atténuant les gelées et les vents et en redonnant de l’humidité aux couches atmosphériques, à équilibrer les précipitations, à protéger les sols de l’érosion, mais aussi à assainir l’atmosphère, est présente dès le XVIe siècle27. Les traités de la fin du XIXe siècle articulent les imaginaires et mythes forestiers anciens aux connaissances pratiques nouvelles. Les ingénieurs des RTM prennent appui sur le constat de la détérioration des montagnes et sur une ambition de restauration qui peuvent s’apparenter, dans les termes comme dans la forme, à une position environnementale ou « proto-écologique28 » qui fait écho à certains arguments écologiques actuels. Ils développent le souci des équilibres hydrauliques des sites, sur lesquels ils agissent selon une logique systémique mettant en relation des éléments de diverses échelles. Les nombreux cours d’eau avec leurs rythmes saisonniers, leurs actions et leurs différentes « régions » – bassin de réception, canal d’écoulement, lit de déjection –, sont étudiés en lien avec les mouvements des sols et la structure des forêts du bassin versant concerné. Les photographies de l’Exposition universelle de 1878 montrent les relations instaurées entre les différents dispositifs mis en place et les éléments naturels, exprimant la vision systémique des ingénieurs. La vue du périmètre de Sapet et Devezet dans les Hautes-Alpes, avec les montagnes en arrière-plan, l’aperçu sur la plaine et le ruisseau à l’avant-plan, présente une lecture du système hydrologique à façonner (fig. 5). Sur le devant de l’image, on constate également la mise en exergue du rapport entre l’endiguement du ruisseau à gauche et le fascinage sur les berges et les pentes environnantes. La végétation généreuse au premier plan suggère le succès des opérations de plantation et exprime le nouvel équilibre créé. Les arbres alignés à gauche, plantés depuis peu, indiquent quant à eux l’installation d’un chemin sur la digue qui permet de circuler sur le site. La photographie présente une nature composée, où chaque élément naturel joue un rôle à la fois fonctionnel et symbolique, traduisant l’idée d’une nature harmonisée par la technique.

5. Eugène de Gayffier, « Périmètre de Sapet et Devezet (Hautes-Alpes) no 14. Torrent de Saint-Pancrace, vue vers l’aval. Éperon‑Digue longitudinale, Clayonnages », tiré de Reboisement et gazonnement des montagnes. Photographies de travaux de consolidation et de reboisement, album de l’Exposition Universelle de 1878

5. Eugène de Gayffier, « Périmètre de Sapet et Devezet (Hautes-Alpes) no 14. Torrent de Saint-Pancrace, vue vers l’aval. Éperon‑Digue longitudinale, Clayonnages », tiré de Reboisement et gazonnement des montagnes. Photographies de travaux de consolidation et de reboisement, album de l’Exposition Universelle de 1878

Lithographie, juillet-septembre 1877, 31 × 44 cm. Champs-sur-Marne, École Nationale Supérieure des Ponts-et-Chaussées.

© Guillaume Saquet

  • 29 M. Chalvet, Une histoire de la forêt française, op. cit.
  • 30 Charles Guyot, L’Enseignement forestier en France. L’école de Nancy, Nancy, Crépin-Leblond, 1898.
  • 31 Alain Corbin, La Douceur de l’ombre. L’arbre, sources d’émotions de l’Antiquité à nos jours, Paris, (...)

13Mais cette vision n’est pas portée par une attention aux écosystèmes, ni par une orientation qui poursuivrait la connaissance scientifique et la protection des milieux pour eux-mêmes. D’ailleurs, si les observations des ingénieurs sont souvent justes, ils développent parfois des raisonnements erronés qui peuvent amener à des décisions aggravant les phénomènes à endiguer ou altérant les équilibres des milieux29. En outre, ils simplifient et exagèrent à dessein le lien entre déboisement et catastrophes pour rendre leur mission plus claire et ainsi convaincre les pouvoirs publics. En accusant surtout les populations pastorales présentées comme archaïques et assignées à un état de nature, les forestiers se rallient à la logique étatique et s’installent comme acteurs clés de l’aménagement. Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, la science forestière est relativement déconnectée du développement de l’écologie comme science, qui lui est contemporain à la fin du XIXe siècle. Si la botanique est au programme de l’école forestière de Nancy30, on s’intéresse surtout à l’arbre et particulièrement aux essences à haute futaie. L’approche systémique est donc restreinte et la forêt est assimilée à son agent le plus manifeste et prestigieux. Le sol semble quant à lui être considéré uniquement comme un socle. Sa nature, de même que les rôles d’autres agents tels que les champignons et les insectes, ne sont pas étudiés. L’attention se porte par ailleurs très peu sur les autres strates végétales. Avec les différents dispositifs de génie civil (barrages, digues, emmarchements, etc.), l’arbre est le seul élément végétal présenté comme un outil technique d’aménagement qui joue un rôle de maintien des sols et de régulation des facteurs climatiques, et incarne les valeurs morales de la société et du projet de territoire à l’œuvre de par son port, sa droiture et sa longévité. Comme le souligne Alain Corbin, ses qualités physiques et symboliques rejoignent la « logique de la virilité triomphante au XIXe siècle31 » qui font de l’arbre l’alter ego naturel d’un homme héroïque, dominant tous les pans de la société.

14On trouve ainsi de nombreuses photographies montrant les enfants réunis pour la fête de l’arbre devant un spécimen prestigieux, ou des instituteurs en formation avec les forestiers, comme sur cette image montrant les élèves de l’école normale d’instituteurs de Bonneville avec les forestiers devant le glacier des Bossons (fig. 6). La fête de l’arbre, créée en 1892, fait partie de la stratégie éducative de la population mise en œuvre par les forestiers pour l’État. Les écoles sont investies par le ministère de l’Agriculture, avec le relais notamment du Touring Club de France, comme un espace de transmission des valeurs du projet national auprès des populations locales. L’arbre, représentant d’honneur de l’harmonie naturelle, est un agent du projet étatique de mise en infrastructure de la montagne. Il joue à la fois un rôle d’outil technique, d’instrument de contrôle du paysage et d’agent de naturalisation de cette même technique. La photographie reconduit ce paradoxe en le mettant en scène.

6. Paul Mougin, « Chamonix no 440. L’École normale d’instituteur de Bonneville aux Bossons », Bossons, périmètre de l’Arve, série de Chamonix-Mont-Blanc, Haute‑Savoie, 25 juin 1910

6. Paul Mougin, « Chamonix no 440. L’École normale d’instituteur de Bonneville aux Bossons », Bossons, périmètre de l’Arve, série de Chamonix-Mont-Blanc, Haute‑Savoie, 25 juin 1910

Tirage albumine 24 × 18 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.

© Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris

  • 32 L. Lebart, « La ‹ restauration › des montagnes », art. cité, pp. 82‑101.
  • 33 Raphaël Larrère, « L’emphase forestière », in Jean-Louis Anselme et al., dossier « Tant qu’il y aur (...)

15Le terme de « restauration » choisi pour qualifier ce projet est également paradoxal. Il fait écho à la politique patrimoniale développée alors par l’État, sous l’égide en outre de Viollet-le-Duc. Si l’emploi de ce terme par les RTM semble donner un statut patrimonial à la montagne32 tout en faisant aujourd’hui écho au principe de restauration écologique, il ne s’agit pas de remettre les sites dans leur état antérieur, mais bien de les transformer pour les améliorer au prisme d’une vision utilitariste du territoire et du vivant. La montagne était un archétype des forces et de l’harmonie de la nature, l’objet privilégié d’une vision et de la description d’un ordre naturel, elle est désormais comme tout espace une réalité fonctionnelle à développer. La photographie participe de la rhétorique des Eaux et Forêts, qui met en œuvre une dialectique entre discours de la catastrophe et discours de la restauration, verve de l’« emphase forestière33 » et apparente objectivité. Labbé et Bénardeau rappellent dans leur notice les vertus du médium :

  • 34 H. Labbé et F. Bénardeau, Notice sur le rôle et l’emploi de la photographie dans le service du rebo (...)

La netteté et la précision que les procédés photographiques permettent d’obtenir, impriment à ces reproductions un caractère d’authenticité et une perfection de détails qu’il est impossible de demander aux gravures, lithographies ou dessins les plus habilement exécutés. Quelque soin que mette un dessinateur à retracer fidèlement les lignes d’un paysage, il ne sera jamais sûr de s’être affranchi de certaines illusions d’optique ou de perspective : illusions qui engendrent une reproduction ‹ artistique › de la nature et non une image ‹ exacte › de la réalité […]. Dès lors, la photographie en campagne est devenue pratique34.

16Le médium rencontre idéalement le projet de transformation de la nature : les ingénieurs insistent sur l’exactitude et l’authenticité des documents, attribuent à la photographie des valeurs de scientificité aussi bien que des valeurs morales, dans une forme de correspondance avec la dimension sociale qu’ils donnent à la forêt et à leur propre action. Le discours de vérité, qui associe exactitude et neutralité à la fois du projet d’aménagement et de sa mise en image, camoufle évidemment l’idéologie étatique modernisatrice. Or, cet emploi du médium est ambigu : alors que la photographie est conditionnée par des facteurs techniques évidents et fait l’objet d’une réglementation précise d’ailleurs souvent mise en avant car garante de l’intérêt de la démarche, les images et leurs messages sont parés ensuite d’un caractère de neutralité qui efface la dimension technique et idéologique du regard posé sur la nature. La photographie participe finalement d’un argumentaire environnemental qui est moins scientifique que politique.

Une vision hybride pour de nouveaux imaginaires écologiques

17Si les risques climatiques sont au centre des préoccupations au milieu du XIXe siècle, les progrès techniques opérés dans différents domaines contribuent à la fin du siècle à faire reculer le spectre de la catastrophe et induisent l’idée qu’un développement du pays par-delà les contingences naturelles est possible, et déjà à l’œuvre. Les travaux des RTM participent de cette mise à distance en représentant la montagne comme un espace maîtrisé par une ingénierie qui elle-même est naturalisée et effacée des préoccupations sociétales dominantes. La société urbaine favorisée peut d’une part déployer ses activités productives et économiques dans une relation utilitariste aux espaces et aux ressources, et d’autre part cultiver une vision patrimoniale de la nature envisagée comme paysage à contempler et à protéger.

18 Cette dualité demeure active aujourd’hui, mais la montagne apparaît de plus en plus comme un territoire vulnérable. Sa gestion – de même que celle de l’eau et de la forêt – est tiraillée entre l’exploitation industrielle du vivant et les impératifs de protection écologique. Les photographies des RTM sont des archives originales de notre histoire environnementale et de nos relations à ce qu’on appelle le climat. En donnant à voir les coulisses du paysage, elles alimentent de concert une réflexivité historique de nos savoirs et préoccupations climatiques et une hybridation nécessaire de nos imaginaires de la nature. Au-delà de l’imaginaire d’une nature originelle des hauteurs, ces images rendent tangibles les réalités historiques et matérielles des territoires dans les agencements complexes qui les définissent, et nous rappellent la pluralité des projets, des médias et des sources culturelles qui composent nos représentations de la nature. Plus particulièrement, elles remettent sur le devant de la scène du paysage l’enjeu technique, souvent occulté ou appréhendé de façon simpliste dans les discours environnementaux actuels. Car si les risques sont mis à distance par le projet national des ingénieurs, leurs photographies représentent justement les expressions des multiples savoirs et artefacts mis en œuvre pour gérer les réalités climatiques. Ces images proposent ainsi une visibilité paradoxale, puisqu’elles donnent à voir pour ensuite mieux faire oublier les risques, les catastrophes, et l’infrastructure de régulation elle‑même.

19 Le parcours effectué dans les archives de l’Isère et de la Haute-Savoie montre que le climat est formalisé par la mise en images des techniques, savoirs et moyens de l’époque. Les documents poussent donc à l’observation minutieuse des détails et au dépassement de l’idée convenue du paysage à contempler comme vue d’ensemble et tableau de la nature, vers une acception plurielle articulant le visible et le non-visible, le matériel et l’immatériel, le naturel et la technique, qui composent cette réalité paysagère. Les ingénieurs documentent leurs dispositifs matériels et leurs actions sur les sols, les roches, les cours d’eau, mais aussi leurs théories et leurs doctrines. Outre les chantiers dans les lits des torrents, les corpus illustrent une chaîne technique qui révèle les matérialités et les logiques du réseau infrastructurel, et les dialectiques qui s’opèrent entre l’échelle locale et l’échelle nationale : les pépinières, baraques forestières, pâtures, sentiers, routes, etc., sont autant d’équipements réalisés dans tous les départements montagnards selon les modèles donnés dans les traités de références, qui imposent leurs formes au territoire et alimentent matériellement et symboliquement l’imaginaire infrastructurel et étatique (fig. 7 et 8). Les images montrent aussi l’action en train de se faire, la création des dispositifs, leur maintenance, et parfois la mise en échec des barrages face aux coulées de boues. Nombreuses sont celles qui donnent à voir les ingénieurs eux-mêmes et représentent in situ la dimension administrative et politique du projet (fig. 9). C’est aussi, par l’ajustement des points de vue sur les dispositifs, l’eau sous toutes ses formes qui est montrée (fig. 10). En creux apparaît également ce qui ne fait pas l’objet de l’attention transformatrice : les populations locales sont capturées comme ouvriers ou élèves – sujets d’une administration étatique –, mais peu en tant qu’habitants, la flore est une matière utile montrée via un répertoire très réduit d’essences, et la faune est absente à l’exception de quelques chiens ou bovins.

7. Hulin, « No 811 – Pépinière et bas de la série au pied du Taillefer », périmètre de Drac‑Bonne, série de Lavaldens 38-349, Isère, 8 juin 1913

7. Hulin, « No 811 – Pépinière et bas de la série au pied du Taillefer », périmètre de Drac‑Bonne, série de Lavaldens 38-349, Isère, 8 juin 1913

Papier albuminé ou citrate, tirage citrate 18 × 24 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.

© Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris

8. Hulin, « No 666 – Baraque refaite en 1910-1911 et jeunes plantations (1800 m) », périmètre de Drac-Bonne, série de Lavaldens, 38‑347, Isère, 3 septembre 1912

8. Hulin, « No 666 – Baraque refaite en 1910-1911 et jeunes plantations (1800 m) », périmètre de Drac-Bonne, série de Lavaldens, 38‑347, Isère, 3 septembre 1912

Tirage albumine 18 × 24 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.

© Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris

9. Claudius Bernard, « Périmètre de l’Arve, série de St-Gervais, no 130. Glacier de Tête‑Rousse, intérieur du laboratoire », Haute‑Savoie, 27 août 1902

9. Claudius Bernard, « Périmètre de l’Arve, série de St-Gervais, no 130. Glacier de Tête‑Rousse, intérieur du laboratoire », Haute‑Savoie, 27 août 1902

Tirage citrate 18 × 24 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.

© Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris

10. Claudius Bernard, « Périmètre de l’Arve. Série de St-Gervais, no 131. Glacier de Tête-Rousse, divers états de la glace (glace bulleuse et vraie glace) », Haute-Savoie, 1er septembre 1902

10. Claudius Bernard, « Périmètre de l’Arve. Série de St-Gervais, no 131. Glacier de Tête-Rousse, divers états de la glace (glace bulleuse et vraie glace) », Haute-Savoie, 1er septembre 1902

Tirage citrate 18 × 24 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.

© Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris

  • 35 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 2012 [1958].
  • 36 Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découve (...)

20Comme Gilbert Simondon l’a montré concernant les objets techniques, ces derniers ne sont pas uniquement des réponses logiques à des besoins, mais aussi des expressions sociales et culturelles, des écheveaux de fils de connaissances, de pratiques, de valeurs, de représentations et de projets idéologiques35 qui façonnent des paysages complexes composés de discours et de représentations pluriels et parfois contradictoires, à l’image des projets qu’ils composent. Ces archives permettent d’alimenter une histoire nuancée de l’aménagement et de considérer les ambivalences des rapports que nos sociétés entretiennent avec leur environnement à rebours des récits linéaires et modernistes, et d’éclairer ainsi sous un jour nouveau nos préoccupations climatiques. L’étude de ces photographies fait apparaître la question technique en tant que médiation essentielle dans nos relations sociales au vivant, dans une acception qui intègre la photographie, les législations, les dispositifs d’ingénierie, la sylviculture comme autant de modalités qui s’articulent. Elle procède plus largement d’une tentative de réappropriation des cultures, discours et réalités hétérogènes qui façonnent notre monde. Bruno Latour nous encourage à penser les objets hybrides, mélanges de nature et de culture, qui composent notre environnement et notre monde36. Pour développer un imaginaire susceptible de nous aider à penser de nouvelles figurations et configurations écologiques, il s’agit donc d’apprendre à voir la technique, la montagne, mais aussi notre propre regard, comme autant d’objets hybrides.

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Notes

1 Parmi de nombreux livres, on peut citer Françoise Guichon, Montagne. Photographies de 1845 à 1914, Paris, Denoël, 1984.

2 Serge Briffaud « Face au spectacle de la nature », in Alain Corbin (dir.), Histoire des émotions, vol. 2 (« Des lumières à la fin du XIXe siècle »), Paris, Seuil, 2016, pp. 77-99.

3 Steve Hagimont, « La nature, l’économique et l’imaginaire. L’aménagement touristique de la montagne (Pyrénées, fin du XVIIIe siècle-1914) », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, no 67-3, 2020, pp. 30-58.

4 Les situations diffèrent selon les territoires, mais notons que les causes du déboisement sont un argument politique majeur pour les ingénieurs et l’État, qui font peser la responsabilité sur les populations locales.

5 Les littoraux sont également concernés, pour la gestion des dunes de protection notamment. Isabelle Rochefort, « Les archives photographiques des services de restauration des terrains en montagne », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, vol. 59 (« Montagnes fragiles »), 1988, pp. 53-57.

6 Benoît Coutancier (dir.), Restaurer la montagne. Photographies des Eaux et Forêts du XIXe siècle, Arles, Somogy/Muséon Arlatan, 2004.

7 Luce Lebart, « La ‹ restauration › des montagnes », Études photographiques, no 3, 1997, pp. 82‑101.

8 Alain Corbin, « Les émotions individuelles et le temps qu’il fait », in A. Corbin (dir.), Histoire des émotions, op. cit., pp. 57-74.

9 Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher, « L’agir humain sur le climat et la naissance de la climatologie historique, XVIIe-XVIIIe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 62, no 1, 2015, pp. 48-78.

10 Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher, Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2020.

11 Archives nationales, ministère de l’Agriculture. Archives photographiques de la direction des forêts et du Service de restauration des terrains en montagne (RTM) dans le département de la Haute-Savoie (1886-1950), Répertoire numérique du versement 20190124, 2019, p. 6.

12 Eugène de Gayffier, Herbier forestier de la France. Reproduction par la photographie des principales plantes ligneuses qui croissent spontanément en forêt. Description botanique, situation, culture, qualités, usages, Paris, J. Rothschild, 1868.

13 Eugène de Gayffier, Reboisement et gazonnement des montagnes. Photographies de travaux de consolidation et de reboisement, album de l’Exposition universelle de 1878, juillet-septembre 1877.

14 Prosper Demontzey, Reboisement et gazonnement des montagnes. Monographies et notices descriptives de travaux exécutés dans les Alpes, les Cévennes et les Pyrénées (1861‑1878), ministère de l’Agriculture et du Commerce, administration des Forêts, Paris, Imprimerie Nationale, 1878, n. p.

15 Administration des Forêts, Rapport sur l’enseignement pratique de la photographie à l’administration centrale des forêts, ministère de l’Agriculture, 22 octobre 1887.

16 Henri Labbé et Fabien Bénardeau, Notice sur le rôle et l’emploi de la photographie dans le service du reboisement, Paris, Octave Doin, 1886.

17 Martine Chalvet, Une histoire de la forêt française, Paris, Seuil, 2022 [2011].

18 Jean-Michel Minovez et Anne-Marie Moulis, Photographier la bourgeoisie rurale à la Belle Époque. Le regard de Joseph Mauran, Toulouse, Privat, 2022.

19 Prosper Demontzey, Circulaire no 42. Application de la photographie au service du reboisement, Paris, Octave Doin, 1er avril 1886, n. p.

20 Brenda Lynn Edgar m’a fait remarquer ce renversement. Je la remercie.

21 Pour plus de détails sur ce point, voir Frédérique Mocquet, « Montagnes en chantier. Sur la photographie comme agent de fabrique territoriale », in Jordi Ballesta et Anne-Céline Callens (dir.), Photographier le chantier. Transformation, inachèvement et altération, Paris, Hermann, 2019, pp. 235-249.

22 James J. Scott, L’Œil de l’État. Moderniser, uniformiser, détruire, Paris, La Découverte, 2021.

23 Antoine Picon, « Infrastructure et imaginaires. Une lecture alternative du changement technique », in Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November et Pascal Ughetto (dir.), Les Métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique, Bruxelles, Peter Lang, 2017, pp. 51-66.

24 Sur la rhétorique forestière, voir Guillaume Decocq, Bernard Kalaora et Chloé Vlassopoulos, La Forêt salvatrice. Reboisement, société et catastrophe au prisme de l’histoire, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2016.

25 Prosper Demontzey, Traité pratique du reboisement et du gazonnement des montagnes, Paris, J. Rotschild, 1882 [1878].

26 Eugène Viollet-le-Duc, Le Massif du Mont-Blanc. Étude sur sa constitution géodésique et géologique, sur ses transformations, et sur l’état ancien et moderne de ses glaciers, Paris, J. Baudry, 1876, p. 244.

27 J.-B. Fressoz et F. Locher, Les Révoltes du ciel, op. cit.

28 G. Decocq, B. Kalaora et C. Vlassopoulos, La Forêt salvatrice, op. cit., p. 16.

29 M. Chalvet, Une histoire de la forêt française, op. cit.

30 Charles Guyot, L’Enseignement forestier en France. L’école de Nancy, Nancy, Crépin-Leblond, 1898.

31 Alain Corbin, La Douceur de l’ombre. L’arbre, sources d’émotions de l’Antiquité à nos jours, Paris, Flammarion, 2014 [2013], p. 193.

32 L. Lebart, « La ‹ restauration › des montagnes », art. cité, pp. 82‑101.

33 Raphaël Larrère, « L’emphase forestière », in Jean-Louis Anselme et al., dossier « Tant qu’il y aura des arbres. Pratiques et politiques de la nature, 1870-1960 », Recherches, no 45, 1981.

34 H. Labbé et F. Bénardeau, Notice sur le rôle et l’emploi de la photographie dans le service du reboisement, op. cit.

35 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 2012 [1958].

36 Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 2006 [1991].

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List of illustrations

Title 1. Paul Mougin, « Périmètre de l’Arve, série de Chamonix no 1367. Glacier d’Argentière. Le glacier vu de la pyramide 191 (vue de détail) », Haute‑Savoie, 2 septembre 1904
Caption Tirage citrate 24 × 18 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.
Credits © Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris
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Title 2. Ernest Douvier, « Périmètre du Drac-Bonne, série du Périer, torrent du Dourdouillet », Isère, 1896
Caption Tirage citrate 24 × 18 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.
Credits © Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris
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Title 3. Ernest Douvier, « Barrages construits dans le torrent du Manival, no 70 », périmètre de Saint-Nazaire-les-Eymes, série du torrent du Manival, Isère, 1896
Caption Tirage citrate 18 × 24 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.
Credits © Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris
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Title 4. Eugène de Gayffier, « Administration des Forêts. Exposition Universelle de 1878. Chalet du Trocadéro », tiré de Les Forêts à l’Exposition Universelle de 1878. Douze vues photographiques, Paris, Imprimerie photo-lithographique de M. Berthaud, 1878
Credits © Nathalie Briot
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Title 5. Eugène de Gayffier, « Périmètre de Sapet et Devezet (Hautes-Alpes) no 14. Torrent de Saint-Pancrace, vue vers l’aval. Éperon‑Digue longitudinale, Clayonnages », tiré de Reboisement et gazonnement des montagnes. Photographies de travaux de consolidation et de reboisement, album de l’Exposition Universelle de 1878
Caption Lithographie, juillet-septembre 1877, 31 × 44 cm. Champs-sur-Marne, École Nationale Supérieure des Ponts-et-Chaussées.
Credits © Guillaume Saquet
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Title 6. Paul Mougin, « Chamonix no 440. L’École normale d’instituteur de Bonneville aux Bossons », Bossons, périmètre de l’Arve, série de Chamonix-Mont-Blanc, Haute‑Savoie, 25 juin 1910
Caption Tirage albumine 24 × 18 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.
Credits © Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris
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Title 7. Hulin, « No 811 – Pépinière et bas de la série au pied du Taillefer », périmètre de Drac‑Bonne, série de Lavaldens 38-349, Isère, 8 juin 1913
Caption Papier albuminé ou citrate, tirage citrate 18 × 24 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.
Credits © Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris
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Title 8. Hulin, « No 666 – Baraque refaite en 1910-1911 et jeunes plantations (1800 m) », périmètre de Drac-Bonne, série de Lavaldens, 38‑347, Isère, 3 septembre 1912
Caption Tirage albumine 18 × 24 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.
Credits © Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris
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Title 9. Claudius Bernard, « Périmètre de l’Arve, série de St-Gervais, no 130. Glacier de Tête‑Rousse, intérieur du laboratoire », Haute‑Savoie, 27 août 1902
Caption Tirage citrate 18 × 24 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.
Credits © Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris
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Title 10. Claudius Bernard, « Périmètre de l’Arve. Série de St-Gervais, no 131. Glacier de Tête-Rousse, divers états de la glace (glace bulleuse et vraie glace) », Haute-Savoie, 1er septembre 1902
Caption Tirage citrate 18 × 24 cm. Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales.
Credits © Mission des archives du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Paris
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References

Bibliographical reference

Frédérique Mocquet, “Photographier le climat. Les images des ingénieurs des Eaux et Forêts (1878‑1914) : contribution à une histoire visuelle de l’environnement”Transbordeur, 8 | 2024, 28-39.

Electronic reference

Frédérique Mocquet, “Photographier le climat. Les images des ingénieurs des Eaux et Forêts (1878‑1914) : contribution à une histoire visuelle de l’environnement”Transbordeur [Online], 8 | 2024, Online since 15 February 2025, connection on 19 May 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transbordeur/1319; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12gxv

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About the author

Frédérique Mocquet

Frédérique Mocquet est architecte, docteure en architecture, urbanisme et aménagement et maîtresse de conférences à l’École d’architecture de la ville et des territoires Paris-Est. Elle est affiliée à l’OCS AUSser (UMR 3329 du CNRS). Ses travaux, aux interactions des disciplines de l’espace, des études visuelles et de la pensée environnementale, portent sur les représentations photographiques du paysage et les rôles qu’elles jouent dans les politiques publiques et les projets d’aménagement.
Frédérique Mocquet is an architect. She holds a doctorate in architecture and urban planning and development, and is also associate professor at the Paris-Est École d’architecture de la ville et des territoires and an affiliated member of the OCS AUSser (UMR 3329 of the CNRS). Her work, at the intersection between different spatial discipline, visual studies and environmental thinking, focuses on photographic representations of the landscape and the roles these play in public policy and development projects.

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