Texte intégral
- 1 Michel Pierssens désigne ainsi le procès par lequel « un savoir […] prend figure singulière » en se (...)
1La grande méditation conduite par Pascal Quignard dans toute son œuvre essayistique ne peut se concevoir autrement qu’émaillée d’une myriade de références culturelles et savantes, de souvenirs de lecture et d’extraits de textes, dont le flot se confond avec le cours même de la pensée. À chaque page, souvent à chaque ligne, ces fragments de savoir, que l’on peut rassembler avec Michel Pierssens sous la catégorie des « figures épistémiques »1, envahissent le texte au point de constituer à la fois l’aliment de la réflexion et son objet même. Une telle coïncidence du savoir et de la pensée implique que l’on ne puisse aborder les essais de Quignard sans tenir compte de la vaste culture savante dont ils émanent en même temps qu’ils la questionnent. Or, en tant que figure épistémique majeure de l’œuvre quignardienne, la philosophie de Martin Heidegger se situe au cœur d’une double difficulté de lecture qui, tout en troublant la réception de la pensée de l’écrivain, en révèle aussi la richesse et l’inventivité sur le plan théorique.
- 2 Pascal Quignard, L’Être du balbutiement. Essai sur Sacher-Masoch [1969], Paris, Mercure de France, (...)
2D’abord, si les figures épistémiques revêtent dans les essais de Quignard des formes variées, de la citation à l’allusion, du concept isolé à la théorie, du compte-rendu d’ouvrage à la définition technique, il s’en trouve une quantité au moins aussi importante qui ne font l’objet d’aucune référence explicite et qui ne peuvent donc être identifiées que par un lecteur dont le savoir coïncide fortuitement avec celui de l’œuvre. C’est le cas de Heidegger qui, s’il est encore mentionné dans les tout premiers textes de l’écrivain2, se trouve progressivement invisibilisé au cours des années 1970, sa présence dans l’œuvre ne se manifestant plus que sous la forme d’une libre paraphrase de sa pensée et d’emprunts conceptuels discrets, sans jamais être escortée de références explicites à son nom ou à ses ouvrages. Loin de constituer toutefois une simple appropriation de la pensée du philosophe sur le mode du plagiat, cette présence en filigrane est la condition d’un mode de création de pensée tout à fait singulier.
- 3 C’est à l’écrivain que revient la liberté de découvrir, selon les mots de Laurent Demanze, « une c (...)
3En effet, si la saturation des figures épistémiques dans les essais de Quignard contribue à la relance du discours par la mémoire savante, en livrant le cours de la pensée au caprice des libres associations et des rapprochements imprévus, ces figures agissent aussi les unes sur les autres en tissant des relations qui recouvrent toute une gamme d’opérations intellectuelles implicites que le lecteur a pour tâche de déterminer : l’illustration, la preuve, l’analogie, l’identification et, bien souvent, l’interprétation réciproque. Cette dynamique combinatoire, qui fait du genre de l’essai le lieu d’une mise en relation des discours de savoir que le paysage de la connaissance tend à séparer3, emprunte toutefois dans le cas de Heidegger une allure très particulière, qui constitue un curieux exemple d’hybridité théorique.
4Quignard procède en effet à un rapprochement implicite de la pensée du philosophe avec celle de Jacques Lacan, sans que le nom d’aucun des deux penseurs soit mentionné. Pourvu que l’on confronte sa méditation sur le langage à celles du psychanalyste français et du philosophe allemand, la conception quignardienne d’une emprise absolue de la langue sur l’ensemble de l’expérience humaine apparaît comme le résultat d’un croisement entre les doctrines heideggérienne et lacanienne, dont il est possible de retracer l’élaboration intellectuelle dans les méandres du texte. Cependant, loin que la pensée de Heidegger se trouve clairement articulée à la pensée de Lacan, par une simple mise en relation qui préserverait l’intégrité de chacune des deux doctrines, celles-ci se trouvent comme fondues l’une dans l’autre, amalgamées l’une à l’autre, au prix de transpositions lexicales, de mises en équivalence conceptuelles, d’inflexions sémantiques et même d’altérations doctrinales, jusqu’à former un spécimen théorique nouveau sous la plume de Quignard.
5L’hybridation théorique se présente ainsi dans l’essayisme quignardien comme un véritable mode de création de pensée, entièrement implicite, qui procède moins à la connexion qu’à l’interpénétration de systèmes conceptuels différents, aboutissant à la pleine intégration d’éléments théoriques disparates dans un nouveau système. Si donc la pensée de Quignard s’élabore toujours à partir d’un double geste d’appropriation et de combinaison des savoirs existants, il importe de mettre au jour les ressources originales de son écriture essayistique, dans sa dynamique à la fois intertextuelle et interdiscursive. On s’efforcera par conséquent de retracer au plus près du texte la manière dont l’écrivain construit sa propre conception de la langue à partir de l’opposition heideggérienne de la terre et du monde, qu’il tend à écraser sur la dyade lacanienne du réel et du symbolique, au prix d’un certain nombre d’aménagements théoriques, afin de penser la possibilité d’une échappée de l’être parlant hors de l’emprise du langage.
- 4 Pascal Quignard, « Lycophron l’obscur » (1970), Écrits de l’éphémère, Paris, Galilée, « Lignes fict (...)
- 5 Pascal Quignard, Michel Deguy, Paris, Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », 1975, p. 16, 26, 30, 35 ; (...)
6Le concept de « monde » est très présent dans les tout premiers textes de Quignard, où il forme couple avec celui de « terre », bien que leur signification demeure assez énigmatique. Dès 1970, dans « Lycophron l’obscur », mais aussi dans « Homologia » en 1971 ou « Le manuscrit sur l’air » en 1973, un lien est posé entre le langage, la parole ou le sens et le surgissement d’un monde au détriment de la terre4. Ce schème fondamental reparaît abondamment dans la seconde moitié de la décennie 1970, jusqu’à ce qu’en 1979, avec Sur le défaut de terre, le couple conceptuel de la terre et du monde en vienne à constituer l’objet même de la méditation, qui irriguera ensuite les Petits traités5. Le recours massif et continu à ces deux concepts tout au long des années 1970 signale leur importance pour Quignard, mais ils ne gagnent en intelligibilité qu’une fois rapportés, dans un acte de lecture, à leur source tacite dans l’œuvre de Heidegger, qui seule permet d’en décrypter la signification.
- 6 Voir Jean Wahl, Introduction à la pensée de Heidegger, Paris, Librairie générale française, « Bibli (...)
- 7 Christian Dubois, Heidegger. Introduction à une lecture, Paris, Seuil, « Points essais », 2000, p. (...)
7Si l’opposition entre « monde » (Welt) et « terre » (Erde) provient de « L’origine de l’œuvre d’art » (1936), le sens du concept de monde est d’abord élaboré dans Être et temps (1927), où Heidegger s’attache à définir la structure ontologique du monde, concept désignant dans la tradition philosophique l’ensemble de tout ce qui existe. Partant du monde ambiant, du monde quotidien de l’affairement et des tâches à accomplir, le philosophe remarque que l’étant s’y présente comme outil (zeug). Or l’outil n’a de sens qu’en tant que moyen, c’est-à-dire qu’il apparaît sur fond de renvois multiples s’organisant en système – renvoi à d’autres outils dont je pourrais me servir, à la nature qui se présente à moi comme matière première, aux autres avec qui je travaille : avec du bois, je construis une cabane ; avec la cabane, je me fais un abri ; etc. Mais la totalité des renvois s’origine dans l’« en-vue-de-soi », car c’est à partir du Dasein (« être-Là »), de l’être humain en tant qu’il est essentiellement ouvert aux étants qu’il découvre6, que s’ouvre toute préoccupation mondaine : le monde est pour lui une « totalité ouverte […] de significations articulées », une « totalité de rapports de sens »7. Heidegger définit donc la manière dont le monde déploie sa présence comme « significativité » :
Le Dasein est au monde, c’est-à-dire se tient dans une totalité ouverte de signification à partir de laquelle il se donne à comprendre l’étant intramondain, lui-même et les autres8.
- 9 Cf. Pascal Quignard, Petits traités, t. I, Paris, Gallimard, « Folio », 1990, p. 571.
- 10 Martin Heidegger, « Hölderlin et l’essence de la poésie » (1936), Approche de Hölderlin, trad. par (...)
- 11 Id., Les Hymnes de Hölderlin : « La Germanie » et « Le Rhin », Paris, Gallimard, « Bibliothèque de (...)
- 12 Cf. Pascal Quignard, Petits traités, t. I, op. cit., p. 67.
8On conçoit qu’une telle conception du monde comme totalité de significations tende à se confondre, chez Quignard, avec celle de la langue comme système de signes déterminant toute notre appréhension de la réalité, et cela en vertu de son adhésion aux principes de la linguistique structurale9. D’autant que, quelques années après la parution d’Être et temps, Heidegger lui-même établissait un tel rapport entre monde et langue, en renversant la perspective propre à son grand livre pour donner à la parole une portée ontologique : dans une conférence de 1936, « Hölderlin et l’essence de la poésie », ce n’est plus à partir de l’ouverture du monde que la langue est « là » (Être et temps, § 18), mais : « là seulement où il y a langage, il y a un monde »10. Le philosophe étayait ce renversement hiérarchique dès son premier cours public consacré à Hölderlin en 1934-1935 : « Ce n’est pas nous qui possédons la langue, c’est la langue qui nous possède, pour le meilleur et pour le pire. »11 Voilà qui consonne avec la conviction de Quignard selon laquelle acquérir la langue, c’est être acquis à elle, non la dominer comme un instrument12.
- 13 Martin Heidegger, « Hölderlin et l’essence de la poésie » (1936), art. cit., p. 48.
9C’est bien l’emprise de la langue sur l’existence qui rend possible l’édification du monde, le langage étant selon Heidegger ce qui « garantit la possibilité de se trouver au milieu de l’ouverture de l’étant »13. Dans son Introduction à la métaphysique, le philosophe évoque de nouveau ce pouvoir poétique qu’a la langue de faire apparaître les étants comme tels, tout en rappelant le rôle de la poésie dans le modelage d’une langue :
- 14 Id., Introduction à la métaphysique [1953], trad. par G. Kahn, Paris, Gallimard, « Tel », 2004, p. (...)
La langue est la poésie originelle, dans laquelle un peuple dit l’être. Inversement la grande poésie, par laquelle un peuple entre dans l’histoire, est ce qui commence à donner forme à la langue de ce peuple. Les Grecs, avec Homère, ont créé et connu cette poésie. La langue était présente à leur être-Là comme départ dans l’être, comme un façonnement de l’étant, qui révèle l’étant14.
10Sans la langue, le monde ne pourrait tout simplement pas se manifester : les hommes n’auraient pas conscience d’être entourés de choses qui sont.
- 15 Lycophron et Zétès, Paris, Gallimard, « Poésie », 2010, p. 234.
11Quignard reprend à son compte la thèse heideggérienne de l’ouverture de l’étant par la langue, qui fait venir à l’être le monde : « L’Être se tient auprès du Logos qui lève l’Être dans l’homme. »15 Un passage de 1995 explique en ce sens que le langage est tout entier métaphore :
- 16 Rhétorique spéculative [1995], Paris, Gallimard, « Folio », 2002, p. 24.
Par la metaphora (le transport), l’être s’arrache à lui-même et se transporte dans l’étant sans jamais en faire son séjour16.
- 17 « C’est parce que l’animal […] n’est pas ouvert à son décèlement et reste opaque au flux vital qui (...)
- 18 Pascal Quignard, Petits traités, t. I, ibid., p. 588.
12Ce que pointe Quignard, c’est l’instauration par le langage de la position des objets comme tels (de l’étant en tant qu’étant), qui seule arrache l’animal humain à l’immanence dans laquelle il se trouvait par rapport à son milieu : il a désormais un monde : c’est l’ouvert, ce cercle d’ouverture dans lequel l’étant se révèle17. L’écrivain recourait déjà dans « La gorge égorgée » au sens étymologique du terme de métaphore (transport, déménagement) pour expliquer que « les mots déménagent dans le monde les êtres qu’ils évoquent »18. Dès lors, l’être parlant se voit dépossédé de cette immanence que l’activité symbolique rend impossible par nature et qui demeure à jamais inaccessible à sa parole :
- 19 Id., Rhétorique spéculative, op. cit., p. 24.
Jamais le langage ne peut dire directement […]. La révélation ne séjourne pas dans le langage, qui manifeste en se transportant, en se déplaçant, en disparaissant sous des vestiges, en s’enfuyant sans cesse entre les pierres descellées de sa ruine, décontextualisant toute unité19.
13Il y a donc une perte qui résulte de l’opération du langage, et c’est cette perte que vient nommer la notion de « terre », telle qu’elle est accolée par Heidegger à celle de « monde » dans « L’origine de l’œuvre d’art » (1936). Le philosophe convoque l’image du temple grec pour illustrer la dynamique qui s’instaure entre une langue façonnée par la poésie originelle d’un peuple et l’édification du monde qui en résulte. Le temple grec, quoiqu’il ne soit à l’image de rien (puisqu’il ne relève pas de l’art figuratif), ordonne cependant autour de lui un ensemble de rapports essentiels qui constituent le monde du peuple dont il est issu. Or l’ouverture de ce monde se répercute sur la présence des choses alentour : posé sur la terre, le temple en fait saillir le caractère de support brut, qui n’est là pour rien, et la rend enfin visible. C’est cette apparition, cet épanouissement des choses comme ce qu’elles sont, que Heidegger traduit par le terme grec de physis et qu’il nomme la terre :
- 20 Martin Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art » (1936), Chemins qui ne mènent nulle part, trad. p (...)
Debout sur le roc, l’œuvre qu’est le temple ouvre un monde et, en retour, l’établit sur la terre, qui, alors seulement, fait apparition comme le sol natal20.
14En effet, les choses ne sont pas d’abord données et connues en tant qu’objets, mais elles apparaissent en totalité parce que l’œuvre d’art les laisse advenir comme telles à la présence : « C’est le temple qui, par son instance, donne aux choses leur visage, et aux hommes la vue sur eux-mêmes. »21
15Cet exemple permet à Heidegger de construire l’opposition entre le monde et la terre à partir des deux traits essentiels de l’œuvre d’art. Le propre de l’œuvre, premièrement, est d’installer un monde, c’est-à-dire un ordonnancement de toutes choses :
Un monde s’ordonne en monde (Welt weltet), plus étant que le palpable et que le préhensible où nous nous croyons chez nous22.
- 23 Jean Bessière, « Littérature et représentation », in Marc Angenot, Jean Bessière, Douwe Fokkema et (...)
- 24 Martin Heidegger, ibid., p. 49.
16D’après Jean Bessière, le monde doit être entendu comme « l’ensemble des références ouvertes par l’œuvre, alors proprement dessin et vision du monde comme synthèse »23. Mais l’essence de l’œuvre est deuxièmement de faire venir la terre au sens où, en installant un monde, elle la fait ressortir dans son insignifiance, ainsi que l’affirme Heidegger : « La terre est l’afflux infatigué et inlassable de ce qui est là pour rien. »24 La terre a pour singularité de résister à toute tentative d’objectivation technico-scientifique. Elle ne se montre comme telle qu’à la condition de rester inexpliquée :
La terre fait ainsi se briser contre elle-même toute tentative de pénétration. Elle fait tourner en destruction toute indiscrétion calculatrice […]. Ouverte dans le clair de son être, la terre n’apparaît comme elle-même que là où elle est gardée et sauvegardée en tant que l’indécelable par essence, qui se retire devant tout décel, c’est-à-dire qui se retient en constante réserve25.
17C’est en ce sens qu’elle est « la libre apparition de ce qui se referme constamment sur soi »26.
18Ainsi, si la langue édifie pour l’homme le monde des objets et fait apparaître les étants en tant qu’étants, cette apparition ne donne les choses à l’homme que dans le tremblement du sens : parce qu’elles apparaissent en s’organisant comme « significativité » dans le monde de l’outil, la possibilité s’ouvre en même temps pour elles d’apparaître indépendamment de toute raison et de toute signification. Par la langue, la terre s’ouvre en monde, mais c’est le monde qui ouvre l’homme à la terre.
19Quignard va tirer parti de cette opposition conceptuelle pour signifier l’emprise de la langue sur l’être humain et sa réalité. Toutefois, au nom d’une sorte d’absolutisme linguistique, il opère une radicalisation de la philosophie heideggérienne, en posant que le langage est condition nécessaire et suffisante de toute manifestation, ce qui revient à contester que les choses puissent apparaître hors de tout sens. Chez Quignard, la terre est donc à la fois ce qui est perdu pour l’homme dans l’édification du monde et ce qui apparaît à l’homme dans la conscience de sa perte. Cette radicalisation théorique, qui s’opère au sein même d’un discours recourant néanmoins aux concepts de Heidegger, s’explique par l’immixtion dans sa philosophie d’un autre penseur, Jacques Lacan, dont on peut également faire apparaître la fonction et l’empreinte dans la réflexion quignardienne sur la langue.
- 27 Pascal Quignard, « Sur le défaut de terre » (1979), Écrits de l’éphémère, op. cit., p. 188.
20Le texte de 1979 Sur le défaut de terre commence par une question qui ouvre comme une enquête après disparition : « Où est la terre ? » La question est relancée dès la section suivante : « Dans quel lieu apparaît la terre dans le monde ? », qui dresse l’opposition conceptuelle de l’être et de l’apparaître. Car la difficulté aussitôt se présente : « La terre n’apparaît pas : sinon un mot en défaut de terre. »27 Ce qui est vraiment se soustrait à la manifestation, c’est-à-dire à la langue, dressant aussitôt « monde et langue face à terre et silence ». La réflexion de Quignard baigne ici dans une sorte de kantisme linguistique et semble opposer chose en soi et phénomène, en présentant l’apparaître comme une construction de la langue. L’essayiste fait feu de tout bois pour dire la privation de réalité qu’induit l’emprise du langage.
21Il s’empresse toutefois de nuancer l’opposition qui surgit en précisant que la terre, loin d’être un absolu, est strictement relative à l’existence du monde, en ce qu’elle définit ce qui lui fait défaut :
Chaque monde et chaque langue puisent soudain où manquent leurs pouvoirs désirs, silences, terres, chimères qui leur sont propres. Où une langue manque ils bruissent en défaut. Où manque un monde ils apparaissent en retrait28.
22À cet égard, il y a autant de terres que de mondes. Aussi Quignard peut-il aboutir à ce constat : « Il n’y a pas de terre. » Cette conclusion le conduit à distinguer la terre des différentes expressions que Heidegger a données de l’être : la terre n’est ni l’abîme, ni la physis29. La terre est sans présence. En définitive, elle n’est qu’un mot. Mais ce mot désigne cela qui fait l’objet d’un désir impossible, parce que rien ne l’exauce et que la terre n’est désirée qu’à proportion de son absence :
Où est la terre ?
Ce qui dans la soif n’est pas assouvi […]. Rien ne rassasie un désir que seul nourrit ce qui lui fait défaut30.
- 31 Ibid., p. 196.
- 32 Ibid., p. 207.
23La terre fait donc l’objet d’un manque essentiel : « Il n’y a pas de terre. Elle est ce qui manque. »31 Mais en tant qu’elle manque elle n’est pas un objet – elle manque pour ainsi dire absolument : « Perte qui manque. »32 Ainsi, la terre permet à Quignard de désigner, de façon négative, l’autre du monde ; et parce que le monde, édifié par la langue, se caractérise par son ubiquité, la terre est par définition hors d’atteinte, mais demeure présente en tant que son défaut.
- 33 Chantal Lapeyre, « Pascal Quignard : une poétique de l’agalma », Études françaises, vol. 40, n° 2, (...)
24Ce texte de 1979, tout entier consacré à la méditation du concept heideggérien de terre, en prolonge donc la signification au-delà de son contexte d’origine, en radicalisant les vues du philosophe dans le sens d’une coïncidence stricte entre opération du langage et manifestation de la réalité : le monde en s’édifiant recouvre la terre ; or c’est la langue qui édifie le monde, au point que l’existence du monde autour de nous et l’emprise de la langue en nous sont les deux faces d’un même processus toujours actuel, par lequel un ordre sémiotique se substitue à l’être véritable. C’est cette identification forte de la réalité au travail du langage – duquel résulte la disparition pure et simple de la terre – qui laisse deviner dans cette méditation quignardienne la présence latente d’un autre penseur. Quignard opère en effet une mise en équivalence, tantôt implicite, tantôt explicite, du couple heideggérien de la terre et du monde et de l’opposition lacanienne du réel et du symbolique. C’est l’hybridation de ces deux intertextes qui permet de rendre compte de la pensée de Quignard dans son travail d’élaboration sémantique et de « manducation conceptuelle »33. La confusion des deux dyades terre/monde et réel/symbolique repose en effet sur l’identification abusive du réel à la terre, que l’on peut déceler dans le détail des textes.
25Dans « Le mot de l’objet », Quignard commence par poser deux définitions afin de distinguer précisément entre réel et objet, où l’on voit resurgir l’opposition entre ce qui est véritablement sans apparaître et ce qui ne doit son apparition qu’au travail du langage :
- 34 Pascal Quignard, Petits traités, t. I, op. cit., p. 222-223.
Le réel est ce qui concerne les choses qui existent effectivement en dehors de nous.
Les objets, ce sont les choses en tant qu’elles sont placées devant et s’opposent au sujet qui les perçoit et qui les nomme34.
- 35 Jacques Lacan, Le Séminaire, livre IV (1956-1957), La relation d’objet, éd. J.-A. Miller, Paris, S (...)
- 36 Sordidissimes. Dernier royaume V [2005], Paris, Gallimard, « Folio », 2007, p. 141.
26Cette définition du réel rappelle étroitement celle, provisoire, qu’en donnait Lacan dans son séminaire comme « l’ensemble de ce qui se passe effectivement »35. Quant à cette idée que la réalité des choses s’érige et se constitue à partir d’une objectivation du réel, elle provient d’un autre psychanalyste, Sándor Ferenczi, et de son article sur « Le développement du sens de la réalité et ses stades » (1913) : tant que l’enfant vit en parasite du corps maternel, dans le pur principe de plaisir, le monde extérieur n’existe pas pour lui ; ce n’est que progressivement, à mesure que se développe en lui le principe de réalité, que s’installe la distinction entre moi et non-moi et qu’apparaissent pour lui des objets. C’est ce que condensera Quignard en 2005 : « L’objet met des années à devenir objectif. »36
27Dans la droite ligne de cette doctrine, Lacan ajoutait que c’est le langage qui génère l’apparition des objets et leur organisation en monde. Dans « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », il conçoit en effet la langue comme un univers de sens dans lequel l’univers des choses vient se ranger, à la faveur d’un vaste découpage conceptuel qui pétrifie les objets :
- 37 Jacques Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » (1953), Écrits I [ (...)
Par ce qui ne prend corps que d’être la trace d’un néant et dont le support dès lors ne peut s’altérer, le concept, sauvant la durée de ce qui passe, engendre la chose […]. C’est le monde des mots qui crée le monde des choses, d’abord confondues dans l’hic et nunc du tout en devenir, en donnant son être concret à leur essence, et sa place partout à ce qui est de toujours37.
28Cet acquis de la psychanalyse permet de comprendre pourquoi, dans « Le mot de l’objet », Quignard fait coïncider la distinction lacanienne entre réel et objet avec l’opposition heideggérienne entre terre et monde :
- 38 Pascal Quignard, Petits traités, t. I, op. cit., p. 229.
Dans le rien du réel, des fragments se détachent et se mettent en avant. C’est ainsi que la terre devient un monde et que ce monde est peu à peu peuplé d’objets38.
29L’essayiste fait entrer en jeu les deux systèmes conceptuels, enchaînés l’un à l’autre par des rapports implicites d’équivalence qui s’établissent sous l’effet d’un travail métaphorique. Dans la première phrase, le processus d’objectivation du réel reçoit une figuration dynamique fortement spatialisée par des verbes qui font image – la valeur gnomique du présent le disputant ici à ses valeurs narratives – à partir d’une concrétisation métaphorique de l’étymologie du terme d’« objet » (ob-jectum, placé devant). La deuxième phrase traduit ce processus dans la langue de Heidegger, mais ses concepts se voient entraînés à leur tour, par anadiplose, dans la même scène cette fois explicitement temporalisée (« peu à peu »), en vertu de l’idée mentionnée plus haut que l’objectivation progressive du réel coïncide avec le développement de l’enfant. Il apparaît ici que l’imagination intellectuelle, qui unifie deux appareillages conceptuels distincts en résorbant leurs spécificités dans un même espace figuratif, ne procède pas à une mutilation arbitraire des doctrines, mais puise son élan directement dans le savoir, étymologique ou psychanalytique. La pensée de Quignard peut donc se concevoir comme une émanation figurée de la lettre même des textes qu’elle médite et qu’elle combine entre eux, sous l’effet d’un schématisme de l’imagination vectorisé par la culture savante.
30C’est ce travail littéraire sous-jacent, misant sur la fécondité du savoir et les vertus de l’image, qui ouvre des passerelles entre les deux systèmes : le sens occulte le réel comme le monde recouvre la terre. De là vient que, dans « Langue », Quignard n’hésite pas à définir le réel comme le « référent indicible »39 des mondes. Ce glissement conceptuel apparaît déjà en 1979 dans le roman Carus, lorsque le personnage de Recroît qualifie la prétendue réalité du monde de « niais anthropomorphisme » :
- 40 Id., Carus [1979], Paris, Gallimard, « Folio », 2002, p. 320.
Le monde n’est pas. La terre n’a d’autre règne que l’existence. Inconcevable. Indescriptible. Quoi pourrait la doter de sens ?, reprit-il avec ardeur. Quoi pourrait-il l’affecter d’absurdité ? Elle est sans légalité. Pas même identique. Et altérité au langage. Le réel est cet immense et imprononçable et indescriptible et inapercevable petit résidu qui reste quand tout le dicible a été dit, – et après que tout ce qui est a prétendu se convertir en unité, en totalité, en signification40.
31Qu’en est-il du réel chez Lacan ? Le concept prend place dans ce qu’il a fini par appeler le « système RSI ». C’est lors d’une conférence prononcée dans la toute nouvelle Société française de psychanalyse, le 8 juillet 1953, et intitulée « Le Symbolique, l’Imaginaire et le Réel » que Lacan confronte pour la première fois ces trois « registres essentiels de la réalité humaine » qui seront développés dans la suite de son œuvre :
- 41 Alain Vanier, Lacan [1998], Paris, Les Belles Lettres, « Figures du savoir », 2019, p. 19.
Le Symbolique renvoie à la fois au langage et à la fonction comprise par Claude Lévi-Strauss comme organisant l’échange à l’intérieur des groupes sociaux ; l’Imaginaire désigne le rapport à l’image du semblable et au « corps propre » ; le Réel, à distinguer de la réalité, est un effet du Symbolique : ce que le Symbolique expulse en s’instaurant41.
32C’est donc négativement que le réel se définit par rapport au symbolique et comme le résultat de son action – on reconnaît la perspective qui est celle de Quignard en 1979 lorsqu’il définit la terre comme le défaut du monde. Ainsi, c’est bien sur ce point l’écrasement de la doctrine de Heidegger sur celle de Lacan qui sous-tend la pensée de Quignard.
- 42 Jacques Lacan, « Réponse au commentaire de Jean Hippolyte sur la “Verneinung” de Freud » (1954), É (...)
- 43 Id., La relation d’objet, op. cit., p. 31.
33Cette définition négative du réel apparaît clairement lorsque Lacan explique que c’est l’expulsion hors du sujet qui « constitue le réel en tant qu’il est le domaine de ce qui subsiste hors de la symbolisation » ; le réel « n’attend rien de la parole. Mais il est là, identique à son existence, bruit où l’on peut tout entendre, et prêt à submerger de ses éclats ce que le “principe de réalité” y construit sous le nom de monde extérieur »42 (par exemple, en provoquant chez le sujet une hallucination). C’est parce que la réalité est une construction édifiée par le travail symbolique du langage que Lacan peut affirmer dans son séminaire sur « La relation d’objet » que « le réel est à la limite de notre expérience »43. Il peut faire l’objet d’une science, mais jamais d’une perception naturelle ; encore l’enquête scientifique construit-elle alors un objet à la place du réel qui continue de se soustraire comme tel à l’appréhension symbolique.
- 44 Pascal Quignard, Petits traités, t. I, op. cit., p. 347.
- 45 Ibid., p. 509.
- 46 Id., Le Sexe et l’Effroi [1994], Paris, Gallimard, « Folio », 2007, p. 253.
34On retrouve dans les Petits traités cette définition du réel par soustraction du symbolique et de l’imaginaire. Dans « Liber », le réel est présenté comme une région d’où le fantasme, le symbole et le sens sont absents44. Dans « Langue », il est le résidu que laisse derrière elle une langue particulière, en sorte que chaque langue génère l’absence de « son » réel45. En toute logique, Le Sexe et l’Effroi fera du réel « l’ineffable » : « À vrai dire, rien n’est langage que le langage. Et tout ce qui n’est pas langage est réel. »46 Dans « Noèsis », le réel est pensé comme l’autre de la symbolisation :
- 47 Id., Petits traités, t. I, op. cit., p. 247.
L’espace qu’occupe la pensée est un petit trou vide dans la tête, qui ne s’échange au « réel » qu’une fois vide. Ceci veut dire : qu’une fois mort. (C’est-à-dire : quand tous procès de symbolisation, « décoration », sens, sont tombés47.)
35Penser, c’est donc chercher à meubler, à masquer le vide qui effraie, en réduisant le désordre :
La pensée se saisit – très imaginairement – d’un pur divers, épars, incohérent, pour tisser une toile d’ordre par-dessus48.
36Cette image de la toile consonne avec ce que Lacan appelle le symbolique. Dans « Les langues et la mort », enfin, Quignard oppose le réel indicible au tout de la langue :
Tout ce qui se dit n’est pas tout, prétend Lie-tseu. Tout ne se dit pas. Limite, « mort », vide, « réel » qui appartient à chaque langue comme son défaut, sur quoi chaque langue d’une façon particulière achoppe – ou du moins ne cesse de se totaliser en s’y interrompant49.
37Ainsi, la réflexion de l’essayiste est le produit d’un amalgame conceptuel qui consiste à interpréter la dyade de la terre et du monde à partir de l’opposition du réel et du symbolique. La pensée de Heidegger s’en trouve partiellement écrasée sur celle de Lacan, à la faveur d’une hybridation théorique d’où résulte la pensée de l’essayiste dans sa singularité.
38L’essentiel semble être pour Quignard de croiser tous les langages possibles afin d’interroger le défaut de réel qu’entraîne l’existence de la langue. L’essayiste s’intéresse néanmoins à l’expérience qui peut être faite de ce réel inaccessible, lorsqu’il se découvre en de rares occasions où toute signification se retire. C’est ainsi l’angoisse qui est pensée comme une voie d’accès au réel ou à la terre, à partir d’une schématisation de l’expérience qui remonte à Heidegger mais à laquelle Lacan est sensiblement redevable, ce qui permet à l’essayiste de procéder là encore à leur hybridation.
- 50 Id., Inter. Pascal Quignard, Inter aerias fagos, « L’Estran », 2011, p. 17.
39Du réel, on ne peut donner qu’une définition négative : il est l’autre de la symbolisation. L’être humain ne pouvant obtenir une représentation de ce qui est qu’en le faisant pénétrer dans l’ordre symbolique qui l’érige en objet, l’épreuve du réel est nécessairement une expérience du vide. Chez Quignard, c’est l’appréhension de ce vide que désigne l’angoisse en tant qu’elle est sans objet : le rien du réel est terrifiant. Ayant identifié le réel à la terre, l’essayiste associe en effet la terre à la terreur, comme il s’en confie en 2009 lorsqu’il revient sur la composition de son poème latin Inter aerias fagos (1979) : « Terror dans mon sabir d’alors c’est d’abord la terre elle-même […]. La terre terrifiante. »50 Multipliant les gloses paronomastiques, par lesquelles il s’affranchit du vocable allemand (Erde) en jouant sur des effets de sens qui n’ont de valeur homophonique qu’en français, l’écrivain rapproche la terre du silence et de la peur qui précèdent l’édification du monde par la langue :
Terre qui terrifie celui qui naît. Terre qui est taire. Terre qui n’est pas encore linguistique, terre qui n’est pas encore monde, qui n’est pas encore essartée par la culture51.
40Cédant l’initiative aux mots, Quignard confie le déploiement de sa pensée à des relations purement linguistiques qui, en dépossédant le scripteur de la conduite rhétorique du discours, favorisent les connexions inattendues entre des régions séparées de la connaissance : la terre, identifiée au réel en même temps qu’au traumatisme de la naissance, en vient alors à désigner cette dimension manquante de l’expérience humaine, expulsée par l’omniprésence tyrannique du langage. L’extrême enfance, au sens étymologique d’in-fantia (non-parole), définit bien ce temps du développement individuel où l’être qui n’est pas encore humain a vécu sans parler.
41Pourtant, empruntant les voies de traverse de l’étymologie, Quignard fait fonds sur la terreur pour manifester la terre à l’être parlant. En 1979, dans Les mots de la terre, de la peur et du sol, il définit la terre (Ters) comme « ce qui n’apparaît pas » et la peur (Pav) comme « deux mains affolées battant le sol », d’où il déduit par antanaclase que « le nom de pavor touche plus la terre que la terre n’est contiguë à la terre », comme si la peur seule permettait une forme de contact avec ce qui échappe d’ordinaire à notre atteinte :
- 52 Id., « Les mots de la terre, de la peur et du sol » (1979), Écrits de l’éphémère, op. cit., p. 183 (...)
Si la terre est ce qui se retire et ce qui n’apparaît pas, alors seule la peur « voit » la terre, se soumet à ce qui terrifie la terre, s’atterre en elle, sur son sol.
La terre est pour la peur un visible52.
42Cependant, cette vision dans l’épouvante demeure silencieuse, n’accède pas au langage, « ce qui est dicible n’ayant jamais eu trait à ce qui est visible », d’où l’association homophonique entre « terre » et « taire ».
43Reprenant la méditation étymologique autour de « pavor » dans Sur le défaut de terre (1979), Quignard désigne à nouveau la peur comme l’organe qui perçoit la terre :
- 53 Id., « Sur le défaut de terre » (1979), ibid., p. 201.
La terre est ce qui se retire et qui n’apparaît pas. Mais la peur la voit : autant que la peur elle-même est liée à la fin. À la fuite. Au retrait.
À la disparition53.
44La peur est donc bien « cette présence de la terre en défaut »54, l’expérience de l’effroi s’offrant comme une voie d’accès tangentielle au réel :
Terreur atterre.
(À terre. Par terre. Contre terre55.)
- 56 Bruno Blanckeman, « La transposition dans la transposition : les Petits Traités de Pascal Quignard (...)
45Bruno Blanckeman a étudié ce travail de l’écriture qui déploie librement les virtualités du langage, en soulignant que l’essai quignardien « se sert moins des mots pour conduire son étude qu’il ne cherche à la faire surgir en exerçant une pression sur les mots eux-mêmes », cette pression étant d’ordre à la fois étymologique et poétique, en ce qu’elle se fonde sur l’historicité de la langue et sur la matérialité du signifiant56. Cependant, à travers ces quelques éléments articulés entre eux par les jeux d’adresse de l’étymologie et de la paronomase, on aperçoit aussi toute une architecture conceptuelle qui doit beaucoup à Heidegger et à Lacan, non seulement parce qu’ils ont mis en œuvre les couples conceptuels terre/monde et réel/symbolique, mais surtout parce qu’ils ont tous deux proposé dans ce cadre une élaboration théorique de l’expérience de l’angoisse. C’est dire que les relations tissées par le texte quignardien à coups d’appels de mot, de glissements de sens du concret à l’abstrait, de va-et-vient du propre au figuré, ne sont jamais que des trajectoires de pensée visant à saturer un espace de possibilités noétiques encadré par des discours préalables, dont il s’agit d’éprouver la fécondité sans excéder leurs limites.
- 57 La distinction conceptuelle de l’angoisse, de la peur et de l’effroi, telle que Quignard l’expose (...)
46Au paragraphe 40 de Être et temps, Heidegger distingue l’angoisse de la peur : la peur est peur « de » quelque chose, tandis que l’angoisse est angoisse devant rien57. Mais ce rien, qui n’est rien d’étant, c’est précisément le monde, l’être-au-monde, dont l’angoisse fait l’expérience comme tel. Dans l’angoisse, en effet, l’étant intramondain cesse d’être signifiant :
- 58 Christian Dubois, op. cit., p. 60.
Cette non-significativité ne signifie pas « absence de monde », mais bien manifestation de la mondanéité du monde elle-même, qui n’est rien d’étant. Dans l’expérience de la non-significativité, le monde apparaît comme significativité possible, le monde apparaît comme monde58.
47C’est dans l’angoisse que le monde apparaît pour ce qu’il est, un tissu volatil de significations arbitrairement déposées sur ce qui est. L’expérience de l’angoisse signale donc que le réel a besoin du phénomène du monde pour faire sens.
48Deux ans plus tard, dans sa leçon inaugurale à l’université de Fribourg intitulée « Qu’est-ce que la métaphysique ? » (1929), Heidegger radicalisera son analyse de l’angoisse, en la comprenant désormais comme le sentiment par lequel le néant (le rien) nous est donné :
- 59 Martin Heidegger, « Qu’est-ce que la métaphysique ? » (1929), Questions I, trad. par H. Corbin et (...)
Que l’angoisse dévoile le Néant, c’est ce que l’homme confirme lui-même lorsque l’angoisse a cédé. Avec le clairvoyant regard que porte le souvenir tout frais, nous sommes forcés de dire : ce devant quoi et pour quoi nous nous angoissions n’était « réellement »… rien. En effet : le Néant lui-même – comme tel – était là59.
- 60 Voir Christian Dubois, op. cit., p. 113.
49L’angoisse est l’expérience du rien, qui n’est pas l’évanouissement de toutes choses, mais la simple manifestation de l’étant comme tel, dans son ensemble et dans sa pleine étrangeté. L’étant intramondain est bien là devant nous, mais il ne nous incite plus à rien, il n’est plus la source d’aucun possible, toute familiarité s’est perdue60.
50Le thème de l’angoisse dans les Petits traités n’est donc pas étranger aux analyses de Heidegger dans Être et temps et « Qu’est-ce que la métaphysique ? », quoique le concept quignardien de « monde » tienne rigoureusement son sens de « L’origine de l’œuvre d’art », où il désigne moins la mondanéité de tout monde que la singularité d’un monde ouvert par une langue. C’est ce léger déplacement qui facilite chez Quignard l’identification du « monde » de Heidegger avec le « symbolique » de Lacan, le point de jonction étant précisément l’angoisse, qui est dévoilement du rien chez Heidegger et signal du réel chez Lacan.
51Dans son séminaire sur l’angoisse (1962-1963), Lacan s’oppose à première vue à cette idée que l’angoisse serait sans objet. L’angoisse introduit pour le psychanalyste à un danger intérieur, dont le sens ne peut être lié qu’à la fonction d’une structure à conserver : c’est une défense. En effet, l’angoisse opère selon lui comme signal du réel, dans sa fonction opaque qui l’oppose à celle du signifiant :
- 61 Jacques Lacan, « L’angoisse, signal du réel », Le Séminaire, livre X (1962-1963), L’angoisse, éd. (...)
Du réel donc, d’un mode irréductible sous lequel ce réel se présente dans l’expérience, tel est ce dont l’angoisse est le signal61.
52Quignard articule alors le concept heideggérien de monde et la notion lacanienne de réel, lui-même associé au rien de Heidegger, afin de penser l’expérience par laquelle l’effondrement de l’un produit le surgissement de l’autre :
- 62 Pascal Quignard, Petits traités, t. II, Paris, Gallimard, « Folio », 1990, p. 177.
Dans la désintégration du « totum » du monde vient surgir la « rem ». Vient affleurer le « rien » dans le « réel ». Le langage connaît alors le rivage, c’est-à-dire la mort où son flot cesse62.
- 63 Voir Jacques Lacan, « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », Écri (...)
- 64 Voir Pascal Quignard, La Leçon de musique [1987], Paris, Gallimard, « Folio », 2007, p. 95 : « Un (...)
53L’angoisse survient donc lorsque se retire la signification des choses : le passage par l’étymon permet ici à Quignard de condenser dans un même vocable latin (rem) le « rien » auquel nous expose l’angoisse selon Heidegger et le « rien » que recouvre originairement la « chose » selon Lacan, lequel rappelait déjà cette étymologie63. C’est le réel, c’est le non-symbolique qui angoisse, parce qu’il se confond avec la mort64. C’est pourquoi celui qui pense cherche à tout prix à empêcher que sa tête, vide de tout symbole, ne s’échange au réel :
- 65 Id., Petits traités, t. I, op. cit., p. 247-248.
Il pense : il meuble avec fièvre un petit territoire de néant. Il bat l’air avec les deux mains. Ces mains, qui sont très agitées, comme elles cherchent à masquer le vide, témoignent de lui. (« Il s’étourdit. » C’est la peur, qui est à la racine de ce trou de destruction très intense, qui se vide et s’épouse enfin dans le vide réel – vide sans voix, dépourvu de témoin, dénué de sens, asymbolique –, qui est le vide de la mort65.)
54L’origine de l’activité de penser ne serait autre que « ce “rien moteur”, moins originaire qu’incessant : mouvement de fuite dans la terreur ». Mais, si la pensée s’interrompt, que la signification du monde s’effondre et que surgit le réel, c’est que le langage n’est plus là pour meubler le vide – ce qui veut dire que la terreur est liée au silence.
55Enfin, il importe de souligner que Quignard appréhende aussi à travers le schème théorique de l’angoisse, reformulé à partir de Lacan et Heidegger, une autre catégorie d’expérience qui ménage à l’être parlant une sortie hors du langage. La mélancolie est en effet conçue comme une expérience dans laquelle plus rien n’a de sens :
Ce qu’on nommait jadis mélancolie, de nos jours dépression, n’est « rien » que la reconnaissance de cela : fascination du réel66.
56On notera qu’une fois encore le glissement de « rien » à « réel » permet d’amalgamer les vues de Heidegger et de Lacan, même si l’auteur de l’Introduction à la métaphysique est le véritable père de cette mise en forme existentielle de la mélancolie à partir de la question ontologique « Pourquoi donc y a-t-il l’étant et non pas plutôt rien ? » :
- 67 Martin Heidegger, Introduction à la métaphysique, op. cit., p. 13.
Chacun de nous se trouve quelque jour, peut-être même plusieurs fois, de loin en loin, effleuré par la puissance cachée de cette question, sans d’ailleurs bien concevoir ce qui lui arrive. À certains moments de grand désespoir par exemple, lorsque les choses perdent leur consistance et que toute signification s’obscurcit, la question surgit67.
- 68 Pascal Quignard, Petits traités, t. I, op. cit., p. 229.
57En somme, la formulation par Quignard d’un « rien du réel »68 vise à agréger les deux doctrines dans une forme d’interprétation réciproque de l’une par l’autre, qui constitue secrètement le creuset de sa propre pensée.
- 69 Michel Pierssens, op. cit., p. 7-8.
58Ainsi que le souligne Michel Pierssens, « un “savoir”, dès lors qu’il devient texte, quand la parole le traduit, ne peut être […] qu’un hybride issu d’une généalogie compliquée »69. C’est cette généalogie implicite de l’idée de langue que l’on a tenté de reconstituer à partir des essais de Quignard, en remontant à l’origine des concepts de monde, de terre, de réel et de rien chez Lacan et Heidegger, afin de mettre en lumière la reconnaissance par l’écrivain des pouvoirs constituants du langage sur la réalité. L’hybridation théorique se présente ainsi dans l’essayisme quignardien comme un instrument aussi discret qu’audacieux de création de pensée, qui repose sur l’appropriation personnelle de théories d’emprunt, dont la présence dans les textes demeure largement allusive et voilée. Loin qu’il se contente d’articuler entre eux des discours de savoir distincts, Quignard s’attache en sous-main à fondre ensemble des doctrines différentes dans un discours unique, dont la singularité parfois énigmatique s’avère être le résultat d’un processus complexe de réaménagement conceptuel et de recomposition théorique.
59Cette poétique de l’hybridité discursive passe toutefois par une certaine altération des doctrines implicitement mobilisées, qui perdent de leur spécificité au profit d’un effort d’agrégation et d’unification. Si l’on examine la récriture quignardienne de Lacan et Heidegger, entre psychanalyse et philosophie, il appert en effet que l’atténuation des différences, le transfert de sens de certains concepts et l’interpénétration des doctrines ressortissent bel et bien à la volonté de fondre la diversité du savoir disponible dans une théorie unifiée, au prix parfois d’une simplification conceptuelle qui transforme le discours savant en fiction de savoir. Des notions issues de contextes intellectuels différents, dans la mesure où elles sont brutalement rapprochées les unes des autres, subissent comme une érosion de leurs contours à force de frottements réciproques : leur sens se fluidifie, leur précision s’atténue. À être transportés hors de leur sphère de sens initiale, les concepts perdent en singularité ce qu’ils gagnent toutefois en extension et en applicabilité.
- 70 Pascal Quignard, La Réponse à Lord Chandos, Paris, Galilée, « Lignes fictives », 2020, p. 9.
- 71 Id., Les Désarçonnés. Dernier royaume VII [2012], Paris, Gallimard, « Folio », 2014, p. 112.
- 72 Id., Pascal Quignard le solitaire [2001], Paris, Galilée, « Lignes fictives », 2006, p. 181.
60Cette hybridité constitutive de la pensée de Quignard, qui simplifie pour unifier, remanie à même la phrase, et génère ainsi de nouveaux concepts, paraît issue d’un travail d’appropriation de la pensée d’autrui qui s’effectue dans le sillage de la lecture : « Je déchiffre en écrivant. »70 L’essayiste a souvent témoigné de ce besoin de tout traduire dans sa langue, de « tout transposer dans [s]on chiffre »71, faisant de l’acte d’écrire un opérateur d’élucidation : « Il faut que je comprenne et pour comprendre il me faut tout remâcher, tout retraduire, redigérer, remétamorphoser, réexprimer. »72 En ce sens, l’effort critique visant à retrouver les origines composites du discours quignardien procède à rebours d’une écriture qui, par un acte de lecture créatrice et d’assimilation féconde, travaille essentiellement au dépassement de l’hétérogène.
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Bibliographie
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Notes
Michel Pierssens désigne ainsi le procès par lequel « un savoir […] prend figure singulière » en se greffant sur le discours ou la fiction, ancrant ainsi le texte littéraire dans le déjà-connu (Michel Pierssens, Savoirs à l’œuvre. Essais d’épistémocritique, Lille, Presses Universitaires de Lille, « Problématiques », 1990, p. 11). Métaphores ou chaînes de raisonnement, mots isolés ou traits descriptifs, citations ou jeux de mots, ce sont des « entités susceptibles d’opérer la traduction réciproque de l’épistémique en littérature et du texte en savoir » (ibid., p. 9).
Pascal Quignard, L’Être du balbutiement. Essai sur Sacher-Masoch [1969], Paris, Mercure de France, 2014, p. 110, 131-132, 159, 163.
C’est à l’écrivain que revient la liberté de découvrir, selon les mots de Laurent Demanze, « une connexion entre deux savoirs, ou une analogie imprévue entre deux territoires épistémologiques » (Laurent Demanze, Les Fictions encyclopédiques. De Gustave Flaubert à Pierre Senges, Paris, Corti, « Les Essais », 2015, p. 38).
Pascal Quignard, « Lycophron l’obscur » (1970), Écrits de l’éphémère, Paris, Galilée, « Lignes fictives », 2005, p. 52 ; id., « Homologia » (1971), ibid., p. 59-60 ; id., « Le manuscrit sur l’air » (1973), ibid., p. 74.
Pascal Quignard, Michel Deguy, Paris, Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », 1975, p. 16, 26, 30, 35 ; id., Le Lecteur [1976], Paris, Gallimard, « NRF », 2010, p. 130 ; id., « Sarx » (1977), Écrits de l’éphémère, op. cit., p. 144-147 ; id., « Hiems » (1977), ibid., p. 167.
Voir Jean Wahl, Introduction à la pensée de Heidegger, Paris, Librairie générale française, « Biblio essais », 1998, p. 68-70.
Christian Dubois, Heidegger. Introduction à une lecture, Paris, Seuil, « Points essais », 2000, p. 43.
Ibid., p. 49.
Cf. Pascal Quignard, Petits traités, t. I, Paris, Gallimard, « Folio », 1990, p. 571.
Martin Heidegger, « Hölderlin et l’essence de la poésie » (1936), Approche de Hölderlin, trad. par H. Corbin, M. Deguy, Fr. Fédier et J. Launay, Paris, Gallimard, « NRF », 1962, p. 48.
Id., Les Hymnes de Hölderlin : « La Germanie » et « Le Rhin », Paris, Gallimard, « Bibliothèque de philosophie », 1988, p. 35.
Cf. Pascal Quignard, Petits traités, t. I, op. cit., p. 67.
Martin Heidegger, « Hölderlin et l’essence de la poésie » (1936), art. cit., p. 48.
Id., Introduction à la métaphysique [1953], trad. par G. Kahn, Paris, Gallimard, « Tel », 2004, p. 176.
Lycophron et Zétès, Paris, Gallimard, « Poésie », 2010, p. 234.
Rhétorique spéculative [1995], Paris, Gallimard, « Folio », 2002, p. 24.
« C’est parce que l’animal […] n’est pas ouvert à son décèlement et reste opaque au flux vital qui le referme sur lui-même, qu’il ne saisit pas l’étant en tant qu’étant. » (Jean-François Mattéi, « L’Ouvert chez Rilke et Heidegger », Noesis, n° 7, 2004, mis en ligne le 15 mai 2005, consulté le 7 juin 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/28.)
Pascal Quignard, Petits traités, t. I, ibid., p. 588.
Id., Rhétorique spéculative, op. cit., p. 24.
Martin Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art » (1936), Chemins qui ne mènent nulle part, trad. par W. Brokmeier, Paris, Gallimard, « Tel », 1962, p. 45.
Ibid., p. 45.
Ibid., p. 47.
Jean Bessière, « Littérature et représentation », in Marc Angenot, Jean Bessière, Douwe Fokkema et Eva Kushner, Théorie littéraire. Problèmes et perspectives, Paris, PUF, « Fondamental », 1989, p. 312-313.
Martin Heidegger, ibid., p. 49.
Ibid., p. 50-51.
Ibid., p. 52.
Pascal Quignard, « Sur le défaut de terre » (1979), Écrits de l’éphémère, op. cit., p. 188.
Ibid.
Ibid., p. 189.
Ibid., p. 193.
Ibid., p. 196.
Ibid., p. 207.
Chantal Lapeyre, « Pascal Quignard : une poétique de l’agalma », Études françaises, vol. 40, n° 2, 2004, p. 39-53 (http://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7202/008808ar).
Pascal Quignard, Petits traités, t. I, op. cit., p. 222-223.
Jacques Lacan, Le Séminaire, livre IV (1956-1957), La relation d’objet, éd. J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 31.
Sordidissimes. Dernier royaume V [2005], Paris, Gallimard, « Folio », 2007, p. 141.
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Pascal Quignard, Petits traités, t. I, op. cit., p. 229.
Ibid., p. 485.
Id., Carus [1979], Paris, Gallimard, « Folio », 2002, p. 320.
Alain Vanier, Lacan [1998], Paris, Les Belles Lettres, « Figures du savoir », 2019, p. 19.
Jacques Lacan, « Réponse au commentaire de Jean Hippolyte sur la “Verneinung” de Freud » (1954), Écrits I, op. cit., p. 386.
Id., La relation d’objet, op. cit., p. 31.
Pascal Quignard, Petits traités, t. I, op. cit., p. 347.
Ibid., p. 509.
Id., Le Sexe et l’Effroi [1994], Paris, Gallimard, « Folio », 2007, p. 253.
Id., Petits traités, t. I, op. cit., p. 247.
Ibid., p. 258.
Ibid., p. 164-165.
Id., Inter. Pascal Quignard, Inter aerias fagos, « L’Estran », 2011, p. 17.
Ibid., p. 25.
Id., « Les mots de la terre, de la peur et du sol » (1979), Écrits de l’éphémère, op. cit., p. 183-184.
Id., « Sur le défaut de terre » (1979), ibid., p. 201.
Ibid., p. 204.
Ibid., p. 195.
Bruno Blanckeman, « La transposition dans la transposition : les Petits Traités de Pascal Quignard », Protée, vol. 31, n° 1, printemps 2003, p. 101-115 (https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7202/008506ar).
La distinction conceptuelle de l’angoisse, de la peur et de l’effroi, telle que Quignard l’expose dans Le Sexe et l’Effroi, reprend rigoureusement les analyses célèbres de Être et temps qui se fondaient elles-mêmes sur Kierkegaard : « Effroi, peur, angoisse ne sont pas des termes synonymes. L’angoisse attend le danger auquel elle croit se préparer. La peur suppose une source connue à sa crainte. L’effroi quant à lui désigne l’état qui survient quand on tombe dans une situation périlleuse à laquelle rien n’a pu préparer. L’effroi est lié à la surprise. » (Le Sexe et l’Effroi, op. cit., p. 315.) C’est en effet au paragraphe 30 de Être et temps que Heidegger décrit l’effroi comme une variété de la peur, celle où la menace surgit de façon soudaine.
Christian Dubois, op. cit., p. 60.
Martin Heidegger, « Qu’est-ce que la métaphysique ? » (1929), Questions I, trad. par H. Corbin et al., Paris, Gallimard, « NRF », 1968, p. 59.
Voir Christian Dubois, op. cit., p. 113.
Jacques Lacan, « L’angoisse, signal du réel », Le Séminaire, livre X (1962-1963), L’angoisse, éd. J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 188.
Pascal Quignard, Petits traités, t. II, Paris, Gallimard, « Folio », 1990, p. 177.
Voir Jacques Lacan, « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », Écrits I, op. cit., p. 495.
Voir Pascal Quignard, La Leçon de musique [1987], Paris, Gallimard, « Folio », 2007, p. 95 : « Un corps soudain se décompose et mute dans le silence. Il se minéralise. C’est le réel qui approche. »
Id., Petits traités, t. I, op. cit., p. 247-248.
Ibid., p. 249.
Martin Heidegger, Introduction à la métaphysique, op. cit., p. 13.
Pascal Quignard, Petits traités, t. I, op. cit., p. 229.
Michel Pierssens, op. cit., p. 7-8.
Pascal Quignard, La Réponse à Lord Chandos, Paris, Galilée, « Lignes fictives », 2020, p. 9.
Id., Les Désarçonnés. Dernier royaume VII [2012], Paris, Gallimard, « Folio », 2014, p. 112.
Id., Pascal Quignard le solitaire [2001], Paris, Galilée, « Lignes fictives », 2006, p. 181.
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