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Les mondes de la cyborg et la culture hybride : du « Manifeste cyborg » de Donna Haraway aux Oubliés de l’Amas de Floriane Soulas

Cyborg worlds and hybrid culture: from Donna Haraway’s “A Cyborg Manifesto to Floriane Soulas’s Forgotten of the Heap
Mundos cíborg y cultura híbrida: del Manifiesto cíborg de Donna Haraway a Los olvidados del Montón de Floriane Soulas
David Rioton

Résumés

Dans son « Manifeste cyborg », Donna Haraway s’inspire d’une figure de science-fiction pour retravailler nos ontologies et favoriser l’action politique. Son texte présente une fiction épistémologique, qui hybride les savoirs pour ouvrir de nouveaux récits. Mais quels sont les effets d’une telle fiction, lorsque des textes contemporains en héritent ? C’est ce qu’on se propose d’explorer à partir des Oubliés de l’Amas, de Floriane Soulas. En nous appuyant sur une variété d’axes qui définissent l’hybridité, nous montrerons que son roman reprend l’esthétique cyborgienne du “Manifeste” et participe ainsi d’une culture hybride et queer.

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Texte intégral

  • 1 Floriane Soulas, Les Oubliés de l’Amas [2021], Paris, Pocket, 2023, p. 421.

Kat s’approcha du caisson de soins, partagée entre l’envie de fuir à toutes jambes et le besoin presque viscéral de savoir ce qu’il contenait. L’odeur de métal et de sang était encore plus prégnante dans l’infirmerie et se dégageait de la forme qui gisait là. Celle de pourriture végétale aussi. Le dôme du caisson avait explosé, des bouts de verre jonchaient le sol autour. À l’intérieur, un corps boursouflé, le ventre déchiré, gisait les entrailles à l’air. Sauf que la masse des viscères était énorme, démesurée et en grande partie composée des fruits bulbeux et rougeâtres qui parsemaient le laboratoire. Les cocons avaient littéralement poussé sur les boyaux du cadavre, se nourrissant de son sang et de sa vie. Mais le reste du corps semblait encore frais, comme si la mort était récente. S’il s’agissait effectivement d’Elena Proris, son corps aurait dû être réduit en poussière depuis longtemps, ou, dans le cas présent, vidé de son sang1.

  • 2 Le space opera désigne un sous-genre de la science-fiction. Le dictionnaire Larousse en propose la (...)

1Dans la première apparition du personnage d’Elena Proris proposée par Floriane Soulas dans Les Oubliés de l’Amas, un space opera qu’elle publie en 20212, deux éléments pourront sauter aux yeux – outre qu’Elena Proris n’est pas morte. Premièrement, il s’agit de la description d’une cyborg, hybride d’humain et de machine, au corps transformé pour survivre. Deuxièmement, Soulas y revisite un topos de la littérature de genre : son cyborg est une femme dont la transformation n’assure pas de meilleure performance physique. Par ailleurs, Elena Proris n’est ni jeune ni sexualisée, comme le sont encore souvent les femmes cyborg, notamment au cinéma, et son corps fait état d’une symbiose qui ne se limite pas à l’association entre l’humain et la machine. Devant cette réappropriation, comment ne pas songer au “Manifeste cyborg” de la philosophe Donna Haraway ?

  • 3 Donna Haraway, « Manifeste cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe si (...)
  • 4 Ibid., p. 48.
  • 5 Ibid., p. 63.

2Publié pour la première fois en 1985 dans Socialist Review, le « Manifeste cyborg » a fait couler beaucoup d’encre3. D’inspiration féministe et socialiste, le texte s’attaque sur un ton irrévérencieux aux nouvelles formes que prennent les dominations sexistes et racistes dans les sociétés nord-américaines et européennes. Haraway rappelle qu’elles ont été refaçonnées sous l’effet du développement des sciences et des technologies, pour former un monde de réseaux dominé par la circulation des informations, elle-même permise par l’expansion de la microélectronique. Les oppositions dualistes (humain/animal, organique/machine, physique/virtuel), qui structuraient autrefois les luttes, n’y ont ainsi plus cours : Haraway invite alors les femmes à s’approprier ces nouveaux outils et réseaux du pouvoir. En ce sens, elle propose de réinvestir la figure du cyborg plutôt que de la craindre, afin d’ouvrir de nouvelles perspectives féministes pour s’émanciper de « l’informatique de la domination »4. Puisque nous nous trouvons au contact de nouvelles structures de pouvoir, il s’agit d’acquérir notre puissance d’agir à partir d’elles, et non contre elles. C’est pourquoi Haraway interpelle « les femmes dans le circuit intégré »5.

  • 6 Ibid., p. 31.

3Ici, l’analyse pourrait se borner à faire du personnage de Soulas une métaphore héritée de ce manifeste via le jeu de l’intertextualité. La figure du cyborg relèverait dans ce cas d’une hybridité thématique. Mais le personnage d’Elena Proris me semble révéler une piste plus vaste. L’héritage du cyborg imaginé par Haraway ne se cantonne pas à une métaphore conceptuelle – ce que les femmes deviennent ou peuvent devenir au sein de l’informatique de la domination. Le cyborg d’Haraway est avant tout la proposition d’un monde : « Je plaide pour une fiction cyborgienne qui cartographierait notre réalité corporelle et sociale, écrit-elle, une ressource imaginaire qui permettrait d’envisager de nouveaux accouplements fertiles. »6 La philosophe en appelle aux monstres de fiction pour retravailler nos imaginaires du réel. Et il se peut que son geste rencontre un écho dans des textes contemporains comme celui de Soulas. Pour mieux saisir cet héritage, je me propose donc d’en étudier les effets dans Les Oubliés de l’Amas, à partir de la conceptualisation de l’hybridité.

  • 7 Dominique Budor et Walter Geerts (éds), « Les enjeux d’un concept » in Le Texte hybride [en ligne], (...)

4Au sujet de l’hybridité, il convient, comme y invitaient Dominique Budor et Walter Geerts, « de distinguer le processus (l’hybridation) du résultat (l’hybride) et de la qualité (l’hybridité) », mais aussi d’isoler l’hybridité « d’autres phénomènes et effets qui lui ressemblent. »7 Les synonymes abondent : combinaison, mélange, croisement, métissage, mixage, amalgame… « Hybride » n’a pourtant qu’un seul antonyme : pur. Cet écart s’explique probablement par l’origine du terme, que résument avec efficacité Nicolas Balutet, Belén Hernández Marzal et Alice Pantel :

  • 8 Nicolas Balutet, Belén Hernández Marzal et Alice Pantel, avant-propos à « Littératures et arts co (...)

Le terme « hybridité » provient du latin ibrida, « sangs mêlés », altéré en hybrida en raison de sa similitude avec le grec hybris, « excès, violence, orgueil, démesure ». Issu du domaine de la biologie et de la botanique ce terme désigne, selon le Petit Robert, un « croisement de variétés, de races, d’espèces différentes »8.

  • 9 Dominique Budor et Walter Geerts (éds), « Les enjeux d’un concept », art. cit.
  • 10 Ibid.
  • 11 Emmanuel Molinet, « L’hybride, une problématique centrale de l’art actuel face à un monde multipola (...)

5L’hybridité présuppose un croisement, certes anormal en tant que processus, mais abouti en ce qui concerne son résultat. C’est ce qui, pour Budor et Geerts, la distingue de ses synonymes : « tous insistent sur le morcellement, le fragmentaire, la discontinuité des multiples composants travaillant à la totalité », rappellent-ils, avant d’ajouter que l’hybride, au contraire, « n’implique pas de destruction préalable et affirme, à partir de la coexistence d’éléments disparates mais compatibles, la force créatrice de la réunion »9. « Hybridité » vient dès lors qualifier les œuvres où les différences prolifèrent, quand elles ne s’effacent pas. Si l’hybridité s’oppose à toute exigence de pureté, elle n’en manifeste pas moins la production d’une nature fonctionnelle, perçue en premier lieu au travers de ce qu’elle produit. « L’hybridité est désormais cet effet d’hybridité que ressent le lecteur dans le jeu qui le lie au scripteur », indiquent Budor et Geerts10. L’hybride est ainsi devenu un terme généraliste dans l’art, art aujourd’hui redéfini par une culture hybride qui déborde son champ et qui contamine ou est contaminé par d’autres savoirs, comme les sciences ou l’économie. Cette culture hybride est pour Emmanuel Molinet « l’aboutissement d’une esthétique de la diversité », elle-même fondée sur un décentrement postcolonial11. La présence de l’hybride sous la forme du cyborg relève donc pour moi d’un indice, en tant que trace d’une esthétique construite sur la base d’un récit intertextuel, voire transtextuel, qui rend compte d’une crise de l’identité dans un monde de plus en plus composite.

  • 12 Nicolas Balutet, « Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité », (...)

6Pour explorer cette hypothèse, je m’appuierai sur cinq axes qui définissent l’hybridité selon Nicolas Balutet, à savoir : l’hybridité des personnages, l’hybridité spatio-temporelle, l’hybridité dialogique, l’hybridité générique et l’hybridité identitaire12. Chaque partie de cet article reviendra sur un ou plusieurs axes de l’hybridité, dans l’ordre où je les ai énoncés. La définition de Balutet m’intéresse à double titre. En abordant une diversité d’axes, elle permet, d’une part, de problématiser une notion polymorphe. D’autre part, l’article de Balutet retravaille la définition de l’hybridité à l’aune du posthumanisme et de la figure du cyborg, en s’appuyant sur le manifeste d’Haraway. Il s’agira alors d’étudier à partir du roman de Soulas l’héritage d’une conception cyborgienne de la fiction qu’a justement initié le « Manifeste cyborg ». J’espère rendre compte, de cette façon, d’une esthétique cyborgienne fondée sur l’hybridité à l’œuvre dans la science-fiction contemporaine. Pour cela, la première partie de cet article exposera pourquoi la présence d’une cyborg dans le roman de Soulas implique davantage qu’un topos hérité de la littérature critique. L’esthétique cyborgienne, dont le personnage de Proris est l’indice, s’avère en fait visible dans l’ensemble de la structure du roman, ce que je développerai dans la seconde partie. Enfin, la dernière partie reviendra sur les impacts politiques de ce choix esthétique.

Le cyborg, plus qu’un topos : hybridité du personnage et esthétique de l’hybridité

L’hybridité dans un univers postmoderniste

7L’hybridité des personnages est le dernier axe abordé par Balutet. Mais pour mieux faire comprendre la raison pour laquelle je débute avec elle, il me faut rappeler le lien que son travail opère entre le postmodernisme et l’hybridité. Le postmodernisme a d’abord été utilisé par l’historien britannique Arnold Toynbee, expliquent-t-ils, pour désigner une période débutant à la fin du XIXème siècle. Dans son emploi par la critique anglo-saxonne à partir des années 1950, le terme instituait la fin d’une histoire pensée à partir de la notion de progrès. Dans les années 1970, Jean-François Lyotard popularise ce terme en dehors de cette critique, et lui attribue ses lettres de noblesses philosophiques. S’éloignant de sa définition historique, Lyotard expose les conséquences d’une conception pluraliste du monde introduite par le postmodernisme. Cette conception rencontre un écho dans la notion d’hybridité qui se déploie dans les arts durant la même période.

  • 13 Ibid., p. 24.

8Pour construire sa définition, Balutet souligne ainsi deux conséquences communément admises du postmodernisme, la mort du sujet et la fin des métarécits. La première « se manifeste par l’hétérogénéité des genres et des discours ainsi que de nouvelles visions du temps, de l’espace et des personnages », tandis que les métarécits sont remis en cause par les mouvements féministes et LGBT (lesbien-gay-bisexuel-transgenre) et les tenants du post-colonialisme pour défendre « la reconnaissance de la différence. »13

9Loin d’une exaltation de l’individualité du sujet, telle que les romantiques l’ont mise en scène, le sujet postmoderne, disloqué, ne peut développer un style propre. La mort du sujet moderne initie dès lors une esthétique fondée sur le mélange des genres et des discours connus : les formes du passé sont récupérées pour être retravaillées dans des œuvres composites. Par conséquent, Balutet associe l’axe générique, l’axe dialogique et l’axe spatio-temporel de l’hybridité, ainsi que l’hybridité des personnages, à la mort du sujet, le premier axe du postmodernisme, tandis qu’il associe l’hybridité identitaire à la fin des métarécits.

10L’hybridité des personnages conclut la première liste de Balutet, parce qu’elle découle des précédentes : les frontières troubles des genres et discours introduisent un brouillage spatio-temporel qui rend compte de l’état intérieur des personnages postmodernes. Je choisis cependant de débuter mon analyse par ces derniers, car c’est à travers eux qu’il nous est possible d’accéder à l’hybridité dans le roman de Soulas. Le cyborg lui-même, bien qu’il désigne un être hybride, ne suffit pas à faire des Oubliés de l’Amas un roman hybride. Cependant, si l’on resitue le personnage d’Elena Proris dans l’histoire des cyborgs d’une part, et dans la structure narrative du roman d’autre part, il est bien l’indice d’une hybridité de la fiction. Dans cette partie, je vais donc détailler le rapport entre la représentation d’Elena Proris et l’histoire des cyborgs.

Les cyborgs, entre science et fiction

  • 14 Le développement qui suit s’appuie sur les articles de Dominique Kunz Westerhoff et d’Ariel Kyrou. (...)
  • 15 Il s’agit d’un extrait tiré d’une phrase à la fin de l’article : « some of the proposed solutions m (...)
  • 16 Dominique Kunz Westerhoff, « Toi, cyborg ? », art. cit.

11Pour comprendre que le personnage de Proris ne relève pas simplement d’un topos de la science-fiction, il faut saisir ce qu’engage sa représentation dans le roman depuis le manifeste d’Haraway14. « Cyborg » est un mot-valise qui désigne tantôt un homme augmenté, tantôt un robot humanoïde – dans cette étude, j’insisterai sur le premier sens. Le terme est apparu pour la première fois en 1960 dans un article scientifique rédigé par Nathan Kline, chercheur en psychopharmacologie, et par Manfred Clynes, chercheur en neurophysiologie. Mais s’il est né dans le champ scientifique, le mot cyborg assume dès le départ une dimension fictionnelle. Dans un contexte de guerre froide et de course à l’exploration spatiale, les inventeurs du mot formulent l’hypothèse d’une transformation du corps plutôt que de l’environnement, afin de l’adapter aux lieux extra-terrestres ; c’est l’effet inverse d’une combinaison spatiale, qui reconstitue l’environnement terrestre autour du corps humain. Or les deux chercheurs étaient conscients du caractère imaginaire de cette proposition : « certaines des solutions proposées pourraient paraître fantaisistes », écrivaient-ils alors15. Dans leur article, le terme comporte notamment une majuscule, à l’instar d’un personnage de roman. Le cyborg hybride donc science et littérature. Il constitue depuis son apparition un récit bâti sur le mythe individualiste de l’auto-engendrement, qui met à distance d’autres créatures issues d’un imaginaire nourri par les sciences, comme le monstre de Frankenstein. « Mais il ne se passe pas d’un récit fondateur », commente Dominique Kunz Westerhoff, « c’est-à-dire d’un nom générique qui le pose en acteur, et d’une séquence narrative passant d’un état naturel à un état augmenté. »16 En somme, la posture de Kline et Clynes est performative : elle se veut à la fois fantaisiste et prophétique, puisque la fiction est appelée à devenir réalité. En conséquence, la littérature n’aura de cesse d’historiciser les cyborgs.

  • 17 Ibid.
  • 18 Cf. Ariel Kyrou, « Nous sommes tous des cyborgs », art. cit., p. 185-186.

12Selon Kunz Westerhoff, la figure du cyborg, sous son espèce monstrueuse, est déjà présente en littérature dès 1950, bien qu’elle ne soit pas nommée comme telle. Elle est représentée sous la figure d’astronautes coupés de leur sensibilité suite à des modifications corporelles, et permet de dénoncer l’assujettissement des humains au nom de l’exploration spatiale. Le terme apparaît en science-fiction dans les années 1970, où le cyborg incarne toujours un être mutilé, pour (ou à cause de) l’exploration spatiale. C’est durant les années 1980 que le modèle astronomique cède la place à celui de l’« agent terrestre […] pris dans la toile du capitalisme technologique »17. Haraway publie d’ailleurs son manifeste durant cette période, en 1985, tandis qu’à la même époque un chercheur comme Hans Moravec défendait la possibilité d’extraire l’esprit du corps par des moyens mécaniques18. Les cyborgs incarnent dès lors deux rêves contradictoires : ils soulignent en littérature la nature plus prothétique que prophétique du Cyborg imaginé par les sciences, pour dénoncer ce que le transhumanisme occulte. S’appuyant sur la science-fiction, le manifeste d’Haraway offre donc un pied de nez féministe et anticapitaliste au cyborg transhumain. Cependant, son texte nuance la vision pessimiste d’un individu constitué de prothèses. L’opposition dualiste du naturel et du technologique est bien rejetée par Haraway, mais pas pour promouvoir la version transhumaniste de l’homme-augmenté.

Le cyborg d’Haraway, un monde plutôt qu’un personnage

13Dans son manifeste, Haraway présente le cyborg comme une ontologie qui dépasse les dualismes. L’autrice rapporte ces derniers à trois types de fractures : l’opposition entre l’humain et l’animal, celle qui distingue l’organisme de la machine, et l’opposition entre le virtuel et le physique. Pour Haraway, science et fiction se rejoignent, car l’imaginaire est constitutif de nos pratiques, de sorte qu’elle retravaille l’image du cyborg en vue de produire des imaginaires qui favorisent l’action politique, à l’heure où les technologies deviennent omniprésentes. En ce sens, le manifeste expose deux possibilités contraires, auxquelles pourrait conduire la manière dont nous nous représentons les cyborgs :

  • 19 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », art. cit., p. 38.

On pourrait voir le monde cyborgien comme celui avec lequel viendra l’imposition définitive d’une grille de contrôle sur la planète, l’abstraction définitive d’une apocalyptique guerre des étoiles menée au nom de la Défense nationale, et l’appropriation définitive du corps des femmes dans une orgie guerrière masculiniste (Sofia, 1984). D’un autre point de vue, le monde cyborgien pourrait être un monde de réalités corporelles et sociales dans lesquelles les gens n’auraient peur ni de leur double parenté avec les animaux et les machines, ni des idées toujours fragmentaires, des points de vue toujours contradictoires19.

  • 20 Ibid., p. 81.

14Deux éléments essentiels sont à souligner dans cette citation. Premièrement, le cyborg est moins un personnage que l’indice d’une pluralité de rapports au monde, des rapports d’ordre relationnels, qui désignent à la fois des perspectives et des modes d’action. D’autre part, il s’agit d’opposer ces rapports, et donc leurs représentations, à « une apocalyptique guerre des étoiles ». Cette dernière se réfère aux idéologies individualistes et guerrières du capitalisme, ainsi qu’à la téléologie chrétienne, autant d’éléments dont l’image du cyborg est justement issue. Haraway bâtit donc son ontologie sur un sol problématique, non-innocent, qui n’écarte pas les passés douloureux hérités de sociétés impérialistes, racistes et sexistes. Cependant, le cyborg l’intéresse en ce qu’il se passe de démiurge, même s’il n’est pas non plus question de réactualiser le mythe de l’auto-engendrement. Si le monde cyborgien d’Haraway fait volontiers l’économie d’un démiurge, ce monde est aussi sans fin : ce n’est plus un récit linéaire qui présuppose, comme dans l’article de Kline et Clynes, un état naturel initial. Le cyborg, chez Haraway, inclut l’ensemble des réseaux qui parcourent nos sociétés, y compris les réseaux informatiques et leurs technologies associées. Il désigne des modes systémiques d’existence, n’oppose plus l’individu à l’informatique et fait des technologies, comme des idéologies, des prothèses qui façonnent notre rapport au monde. Refusant « la métaphysique antiscience » et « la démonologie de la technologie »20, Haraway présente la figure du cyborg en ces termes :

  • 21 Ibid., p. 30.

Le cyborg est un organisme cybernétique, hybride de machine et de vivant, créature de la réalité sociale comme personnage de roman. La réalité sociale est le vécu des relations, notre construction politique la plus importante, une fiction qui change le monde21.

Du personnage de cyborg au récit cyborgien

15On distingue mieux ici l’imaginaire cyborgien construit par Haraway dans la mise en scène du personnage d’Elena Proris. Femme scientifique ayant survécu plusieurs siècles au cœur de l’Amas, une décharge de vaisseaux spatiaux qui s’est amalgamée en orbite autour de Jupiter, Proris est porteuse d’une histoire parallèle à la scène du récit lui-même. Scientifique affectée au laboratoire d’études de Callipso, la plus grande lune de Jupiter, la narration rappelle que ses recherches sur le champ magnétique de la planète avaient pour objectif de faciliter l’exploitation du néon nécessaire à la cryogénisation et à la relance de programmes de colonisation hors du système solaire. Le personnage est donc d’emblée associé à des mythes transhumanistes : l’immortalité produite par la technologie et la conquête spatiale. Nous retrouvons là les imaginaires de la « guerre des étoiles », de l’auto-engendrement démiurgique, et de l’impérialisme capitaliste, qu’avait critiqués Haraway. Néanmoins, le récit de Proris prend le contrepied du sol sur lequel il est engendré tout comme le proposait la figure du cyborg introduite dans le manifeste. Proris et ses équipes ont emporté leur matériel sur les premières carcasses de l’Amas, encore naissant, avant d’y constituer une société semi-autarcique dont l’existence reste dissimulée. Plus avant dans le roman, le récit révèle également l’origine des Proriens, les descendants mutants des premiers scientifiques humains qui ont suivi la scientifique. Les Proriens ont ainsi formé une société autour d’elle, la considérant comme leur « mère ».

  • 22 Ibid., p. 63.

16Le personnage d’Elena Proris reprend bien les topoï des cyborgs qui l’ont précédée : elle présente un corps hybride mutilé, exposé à une forme d’agonie médicale, et son destin oscille constamment entre vie et mort. Kat et son amie Jaspe manquent d’ailleurs de la tuer en activant le courant, avant de prolonger sa durée de vie. Mais par la suite, après une coupure de courant généralisée, la possibilité de la mort de Proris est de nouveau évoquée. À cela s’ajoute une forme de moralité ambivalente du personnage : Proris laisse Kat accéder à ses recherches, tout en lui en dissimulant une partie, et si la cyborg aide l’héroïne à se prémunir de l’infection dont elle est victime, Proris ne montre pas d’intérêt particulier pour les autres humains que les Proriens abattent afin de se nourrir. Elena Proris représente l’entre-deux attendu d’un cyborg, associant humain et machine, vie et mort, bien et mal, et représentant tantôt une alliée, tantôt une adversaire. Toutefois, son personnage revisite aussi ces attentes, ce que l’on constate mieux à l’échelle du monde créé par Soulas. Proris n’est pas soumise à l’expertise savante, puisqu’elle est elle-même scientifique, et elle ne devient pas cyborg pour répondre aux projets d’un gouvernement devenu autoritaire, mais pour lui résister. Bien qu’elle le fasse pour des intérêts individualistes, la scientifique échappe à la surveillance plutôt qu’elle ne l’applique. En gardienne de la connaissance, elle défend avant tout les savoirs qu’elle a créés. Ici, rappelons-nous les « femmes dans le circuit intégré »22, au sujet desquelles Haraway se fait fort d’indiquer qu’elles sont déjà en possession d’un accès aux nouveaux circuits du pouvoir, notamment dans le domaine de l’informatique. Faire partie du circuit intégré est un enjeu des plus littéraux pour Proris, qui communique grâce à l’interface tactile du caisson. 

  • 23 Ibid., p. 32.

17La cyborg se présente en somme comme une mère qui n’engendre pas, au sens biologique du terme. Elle est productrice de savoirs, et elle constitue autour d’elle une communauté, soit de nouvelles associations, établissant ainsi une nouvelle forme de parenté. Voilà un autre écho au texte d’Haraway, pour qui le cyborg évolue dans « un monde postgenre »23 :

  • 24 Ibid., p. 33.

Contrairement au monstre de Frankenstein, le cyborg n’attend pas de son père qu’il le sauve en restaurant le jardin originel ; c’est-à-dire en lui fabriquant une compagne hétérosexuelle, en faisant de lui un tout fini, une cité, un cosmos. Le cyborg ne rêve pas d’une communauté établie sur le modèle de la famille organique, mais il n’en a pas pour autant un projet œdipien24.

18La communauté d’hybrides constituée par les Proriens est aussi une communauté hybride, au sens où elle offre une alternative aux parentés biologiques connues – leur origine est également questionnée par les personnages. La communauté de l’Amas s’avère donc plurielle, elle témoigne d’une hybridité de la population qui l’habite. Ce faisant, la narration métaphorise une hybridité au sens esthétique, même si la métaphore n’est pas le seul procédé qui rend compte de l’hybridité dans le roman.

19Sur le plan narratif, Proris présente une sorte de monde-miroir à la progression de Kat, elle-même décrite comme une brillante scientifique. À ce sujet, les deux femmes font preuve d’une rivalité intellectuelle où se mêlent respect mutuel et désaccords méthodologiques. Toutes deux bravent les interdits pour défendre des intérêts relationnels, Proris en protégeant ses recherches et les Proriens, Kat en tentant de traverser le champ magnétique de Jupiter pour retrouver son jumeau disparu. Enfin, sur le plan structurel, Elena Proris incarne un possible de Kat. L’héroïne de Soulas est constamment rapportée à une identité duale, qui fait écho à la nature hybride de la cyborg. Le texte évoque régulièrement la relation particulière qu’entretient Kat avec son frère jumeau, dont elle projette la voix et les pensées intérieurement. Et le récit rappelle souvent son attraction pour Jupiter, laquelle prend la forme d’un lien privilégié lorsque la narration révèle que Kat peut pressentir les orages de la planète. Finalement, le récit conduira l’héroïne vers une autre forme d’hybridation, lorsqu’elle devra quitter son corps pour affronter l’IA Sérénity, qui souhaite absorber tous les esprits humains – rejoignant, de la sorte, le rêve projeté par Moravec, mais sur un mode plus dystopique. Là où Proris est corporellement hybride, intériorisant les dualismes pour les transcender, Kat les expérimente au travers de ses relations à d’autres personnages, Jupiter inclus. Il m’apparaît alors notable que sa rencontre avec la cyborg se situe au milieu du roman, offrant à la fois un reflet de la quête de Kat, et une clé pour que l’héroïne puisse poursuivre ses aventures en dehors de l’Amas.

  • 25 Nicolas Balutet, « Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité », (...)

20Ce faisant, le personnage d’Elena Proris institue bien une esthétique hybride, mais sur un mode harawayien. La cyborg ouvre une narration critique vis-à-vis des mythes capitalistes de l’auto-engendrement démiurgique, et d’une perspective de résolution des conflits fondée sur une parenté biologique. Ni Proris ni Kat n’enfante d’humain, comme le font encore beaucoup de personnages féminins des romans de science-fiction. Leurs trajets narratifs respectifs ne sont pas non plus qualifiés par une téléologie romantique – trouver le prince charmant ou fonder une famille. Toutes deux sont davantage définies par l’errance d’un sujet qui se cherche, en naviguant dans un monde composite plus ou moins dissolu, ce qui, pour Balutet, définit justement l’hybridité des personnages : « Comme le souligne David Harvey, ‘‘les personnages postmodernistes semblent souvent ne pas savoir très bien dans quel monde ils se trouvent et comment ils doivent agir’’. »25

Hybridité du cyborg et hybridité du récit : le cyborg est-il hors-texte ?

Des cyborgs dans un univers cyborgien, ou l’hybridité spatio-temporelle des Oubliés de l’Amas

  • 26 Ibid., p. 29.
  • 27 Ibid.
  • 28 Floriane Soulas, Les Oubliés de l’Amas, op. cit., p. 58.

21Elena Proris constitue à la fois la métaphore et l’indice d’une esthétique hybride en tant qu’elle manifeste l’hybridité ontologique des autres personnages. Mais cette hybridité se retrouve aussi dans l’univers fictionnel de Soulas. La structure même du roman témoigne d’une hybridité spatio-temporelle, telle que l’a décrite Balutet. Et celle-ci fait, là encore, écho à la fiction cyborgienne pour laquelle plaidait Haraway. « Dans les fictions postmodernistes, deux conceptions du temps et de l’espace semblent s’affronter : une privilégiant le spatial, l’autre le temporel », explique Balutet26. Dans le récit de Soulas, c’est l’hybridité spatiale qui ressort. L’errance de Kat s’observe métaphoriquement dans de longs développements sur ses cheminements dans les couloirs de l’Amas, puis dans ceux des vaisseaux amalgamés par Sérénity, sur Jupiter. Le récit met en scène l’abolition des distances qui caractérise l’espace postmoderniste que décrit Balutet. S’appuyant sur l’analyse d’Edward Soja, il écrit : « l’espace est un élément clé de l’ère postmoderne et se manifeste par l’abolition des distances, le développement des réseaux, la multiplication des espaces indifférenciés aux limites incertaines, etc. »27 L’Amas se présente justement comme un ensemble mouvant de réseaux, non seulement spatialement, mais aussi humainement : « Le groupe, ici, c’était la vie. Chaque section fonctionnait en communautés plus ou moins autonomes, échangeant avec ses voisines. Les alliances se faisaient et se défaisaient au gré des opportunités. »28 L’univers de Soulas est constitutivement hybride et, en un sens, menaçant.

  • 29 Ibid., p. 136.
  • 30 Floriane Soulas, « Les Oubliés de l’Amas – Les secrets d’écriture de Floriane Soulas », interview p (...)

22La dimension labyrinthique de la décharge où circule Kat représente un danger pour le corps comme l’esprit, puisque les couloirs de l’Amas peuvent faire mourir de faim ou rendre fous ceux qui s’y perdent. L’errance physique y est aussi psychique. Mais le texte vient encore personnifier l’Amas : « On ne survivait pas longtemps à l’Amas, seul et sans vivres dans ses boyaux affamés. »29 Dans un entretien pour le site des éditions Actusf, Floriane Soulas explique encore, au sujet de Jupiter : « Je voulais que la planète soit comme un personnage à part entière, la faire vivre ! »30 Les lieux apparaissent donc comme des personnages du récit et sont, à l’instar de Proris, tantôt des alliés, tantôt des adversaires. Une série de guides se révèle alors nécessaire pour permettre à l’héroïne d’atteindre ses objectifs : son amie Jaspe pour accéder aux courses, la pilote Albane pour se rendre sur Jupiter, ou encore le policier Hank pour atteindre le laboratoire de Proris. Les réseaux de couloirs et de vaisseaux obligent Kat à intégrer un maillage de relations. L’ontologie relationnelle devient ainsi constitutivement nécessaire à sa quête, et fait de l’univers hybride, imaginé par Soulas, un monde cyborgien, tel que Haraway le définit.

  • 31 Floriane Soulas, Les Oubliés de l’Amas, op. cit., p. 647. Ce vaisseau autonome et personnifié, dont (...)
  • 32 Ibid.

23L’hybridité spatiale du roman se retrouve alors logiquement au niveau de la structure narrative : si la première moitié du texte est dédiée à l’Amas, une seconde décharge de vaisseaux habite l’autre moitié, faisant de l’espace narratif lui-même un hybride. Proris tendait un miroir à l’épopée de Kat, mais les vaisseaux qu’aimante Sérénity en tendent un autre à l’Amas, de sorte que Jupiter nous fait passer, pour ainsi dire, de l’autre côté du miroir. La monstruosité de ce second Amas en rend compte : « La structure était difforme, boursouflée par l’agrégation successive, et formait une sorte de super-vaisseau monstrueux. »31 En introduisant Proris au milieu du roman, Soulas rappelle la nature monstrueuse de l’univers hybride qu’elle compose, ou décompose. En un geste postmoderniste, le « super-vaisseau » décrit quelques lignes plus haut comme « un gigantesque animal mort »32 annonce une nouvelle charogne, et nous fait plonger d’un labyrinthe dans un autre. Nous pourrions en conclure, comme Balutet, que cette fusion du près et du loin dans l’hyperespace brouille la notion de frontière, mais le récit va plus loin. Si l’univers des Oubliés de l’Amas est hybride, il est aussi cyborgien, en ce qu’il offre un monde monstrueux, fondé sur des réseaux. La relation et l’horreur sont deux notions centrales du texte de Soulas. La rencontre avec Elena Proris n’y représente pas seulement une péripétie de l’héroïne, elle est le lien qui unit le passé de l’Amas à son présent, et le présent de Kat à son avenir sur Jupiter, ouvrant à une compréhension systémique du monde fictionnel de l’autrice. L’héroïne n’évolue pas seulement dans un espace qui métaphorise son errance intérieure, elle évolue avec l’espace décrit dans le roman.

Symbiose et système, fondements d’une ontologie relationnelle des cyborgs

24Comme le souligne Kunz Westerhoff, le Cyborg de Kline et Clynes se fondait dès le départ sur le concept d’homéostasie. Développé en 1929 par le physiologiste Walter Cannon, il désigne la « tendance d’un organisme à maintenir ou à rétablir l’équilibre de ses constantes physiologiques, en particulier celles du milieu intérieur, malgré les perturbations externes. »33 Or les cyborgs onttoujours été rattachés à la notion de système. Ils ne peuvent exister qu’en relation, contrairement à ce que supposait l’autarcie projetée par Kline et Clynes. Et il en va de même dans l’univers de Soulas, où survivre à l’Amas impose d’évoluer en système. Lorsque Kat découvre l’existence des Proriens, grâce à l’ancien diplomate Lofti, celui-ci lui rappelle que leur autonomie ne peut être complète, raison pour laquelle leur communauté n’a pas pu rester entièrement secrète. Lofti les lui décrit comme des gardiens, avant de préciser : « Des gardiens dont la survie dépend en partie de nous qui avons accès à l’extérieur, et à des denrées introuvables là où ils se trouvent. »34 Ainsi, Elena Proris dépend des Proriens, qui eux-mêmes dépendent des humains sur l’Amas. Mais cette dynamique systémique prend un tour symbiotique, quand il est question de son corps :

  • 35 Ibid., p. 424.

La scientifique avait à la fois fusionné avec les plantes carnivores et avec le caisson de soins. Les plantes la parasitaient pendant qu’elle-même survivait aux crochets de la machine. Végétal, animal et virtuel créaient une symbiose nouvelle et inattendue. C’était aussi monstrueux que grandiose35.

  • 36 Ibid., p. 457.

25Inattendue, cette nouvelle image du cyborg l’est aussi car elle n’engage pas simplement une symbiose avec la machine ou avec l’animal, comme d’accoutumée. Soulas tient à rassembler l’ensemble des règnes, incluant avec les végétaux mutants le virus responsable de leur apparition. À travers le regard de son héroïne, l’autrice rappelle ce que les monstres exercent de fascination sur nos imaginaires. L’hybride n’est plus seulement synonyme d’impureté, il impose au regard un dépassement de toutes les frontières, une créativité exubérante. Ce n’est pas Elena Proris que l’hybridité fait vivre, mais la symbiose elle-même. Lorsque Kat constate que le caisson de survie l’a sauvée, la scientifique rétorque : « Il ne soigne pas mon corps. Il assure la survie de la… symbiose… entre moi et la plante. »36 L’individualité de Proris a donc moins d’importance dans le récit que la communauté d’entités qu’elle unit. Le culte de l’individu cède la place à la relation, l’hybridité se révélant tout aussi corporelle que contextuelle, à la fois interne et externe. En ce sens, le récit de science-fiction semble avoir imprimé l’héritage du « Manifeste cyborg ».

  • 37 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », art. cit., p. 71
  • 38 Donna Haraway, Manifeste des espèces compagnes, Chiens, humains et autres partenaires [2003], trad. (...)
  • 39 Le terme est de l’anthropologue Marisol de la Cadena (Earth Beings, Duke University Press, 2015), e (...)
  • 40 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », art. cit., p. 33.

26Pour comprendre le caractère relationnel du cyborg chez Haraway, il est intéressant de revenir sur l’évolution de cette figure dans les textes ultérieurs de la philosophe. Si elle en rappelle la nature hybride au début de son manifeste, il me semble que c’est pour mieux se défaire par la suite de la définition scientifique du cyborg, car il s’agit pour elle d’une figure du présent, non d’un rêve futuriste. Dans le « Manifeste cyborg », elle appelle de ses vœux « une écriture cyborgienne »37 qui considère la fiction comme une force agissante sur le monde. Mais dans le Manifeste des espèces compagnes, publié en 2003, elle défend une « écriture canine »38 : l’hybridité auto-engendrée du cyborg rencontre une extension dans l’hybridité d’un co-développement vécu avec un organisme extérieur, l’« espèce compagne ». Le chien représente alors une étude de cas illustrant cette évolution partagée et, avec les chiens, Haraway se propose d’explorer une nouvelle forme d’hybridation, davantage tournée vers ses combats écologistes. L’espèce compagne permet de souligner qu’une ontologie relationnelle implique de reconsidérer nos rapports aux Autres qu’humains39. Il s’agit d’une figure moins orientée vers le seul corps humain et vers l’individu que le cyborg, même s’il impliquait un engagement politique mû par les relations dès le premier manifeste : « Les relations […] sont à l’ordre du jour dans le monde cyborgien. »40 Dans ce second manifeste, Haraway réunit donc les chiens et les cyborgs plutôt qu’elle ne les oppose :

  • 41 Donna Haraway, Manifeste des espèces compagnes, Chiens, humains et autres partenaires [2003], trad. (...)

Tant les cyborgs que les espèces compagnes combinent sous des formes surprenantes humain et non-humain, organique et technologique, carbone et silicium, autonomie et structure, histoire et mythe, riches et pauvres, État et sujet, diversité et déclin, modernité et post-modernité, nature et culture41.

27La figure du chien permet de renouveler celle du cyborg, en vue d’une action politique efficace fondée sur une ontologie relationnelle. La présente liste rappelle le nécessaire dépassement des dualismes pour les construire. L’ontologie visée par Haraway engage donc une multiplicité de relations originales, de sorte qu’elle la rapporte dans ses textes suivants à une troisième figure : l’holoêtre.

  • 42 Donna Haraway, « Inondées d’urine, DES, Premarin & respons(h)abilité multispécifique », chapitre 5 (...)
  • 43 Ibid., p. 235.
  • 44 Ibid., p. 236.

28Dans le chapitre 5 de Vivre avec le trouble, publié en 2016, Haraway se penche sur l’utilisation d’un traitement destiné à se prémunir des troubles urinaires de sa chienne42. Le médicament met en relation un ensemble d’êtres et de techniques, qui font de l’animal comme de sa maîtresse des cyborgs. Mais cette fois, la définition est reprécisée. Haraway ouvre son chapitre en rappelant que « ce ne sont pas des hybrides machine-organisme. En fait, ajoute-t-elle, ce ne sont pas des hybrides du tout. »43 Il me semble que Haraway renonce dans ce texte à l’hybride en raison de l’esthétique dualiste sur laquelle il se fonde – l’association de deux corps aux natures contraires. Toutefois, renoncer à l’hybride n’est pas renoncer à l’hybridité. Les cyborgs deviennent des assemblages de relations plutôt que des associations de natures contraires. C’est pourquoi Haraway propose de les considérer comme des « holoêtres », un terme qui désigne pour elle des êtres qui ne précèdent pas leurs relations, mais se construisent avec44. L’expression est formée à partir de la notion d’« holobionte », qui désigne en biologie un ensemble réunissant un organisme et ses micro-organismes symbiotiques. Haraway fait donc du cyborg un entrelacs d’entrelacs, en diluant sa définition initiale.

Hybridité dialogique, hybridité générique et performativité du cyborg

  • 45 À ce sujet, voir : Dominique Kunz Westerhoff, « Toi, cyborg ? », art. cit.

29Le cyborg est système, et il fait système, en tant qu’il engage une série de modes relationnels d’existence. Souligner sa monstruosité, c’est ouvrir une interrogation sur ses limites dans le récit, mais peut-être aussi à l’extérieur du récit. Puisque la narration des Oubliés de l’Amas reflète l’hybridité vécue par les personnages, comme c’est généralement le cas dans les textes qui mettent en scène un cyborg45, nous pourrions nous demander si le cyborg désigne aussi une forme de récit hors-texte, à l’instar du mythe – mais un mythe caractérisé par son hybridité, celle-là-même qui constitue l’ontologie relationnelle qui définit le cyborg chez Haraway. Pour explorer cette hypothèse, j’aimerais revenir sur les deux premiers axes de l’hybridité qu’a isolés Balutet : l’hybridité dialogique et l’hybridité générique. La première s’observe dans la réinterprétation des mythes transhumanistes associés aux cyborgs par Haraway et Soulas, si l’on s’en tient à la définition de Balutet :

  • 46 Nicolas Balutet, « Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité », (...)

En résumé, l’hybridité dialogique correspond […] à la transformation dans un texte particulier de différents éléments culturels, littéraires et linguistiques pris dans d’autres textes (intertextualité, citation, allusion littéraire, plagiat, récupération d’un mythe, etc.) 46.

  • 47 « J’avais surtout envie de faire de la Hard SF accessible et transverse. Je m’explique. Dans Les Ou (...)
  • 48 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », art. cit., p. 82.

30Comme dans la fiction cyborgienne d’Haraway, Soulas revisite des projections scientifiques au moyen de la fiction. Nous l’avons vu, entre autres, au sujet de la dématérialisation de l’esprit. Forte de sa formation d’ingénieure, l’autrice explique avoir voulu ouvrir dans son livre deux influences possibles de la science : celle du cyborg, incarnée par Proris, et celle de l’IA, incarnée par Sérénity47. Sérénity est représentée dans le roman par une lumière verte et admet être en quête d’une unité parfaite. Soulas offre ainsi un traitement ironique à la conclusion du « Manifeste cyborg » d’Haraway : « Et bien qu’elles soient liées l’une à l’autre dans une spirale qui danse, je préfère être cyborg que déesse. »48 La maternité symboliquement associée à Proris et la toute-puissance lumineuse incarnée par Sérénity ne sont pas sans rappeler la figure de la Déesse Mère. Cependant, la nature prothétique des deux personnages – Sérénity dépend de l’énergie du vaisseau, Proris de son caisson de survie – et leur monstruosité font état d’une mise à distance de la figure de la Déesse Mère. La maternité n’est ni naturelle ni bienveillante pour les humains, chez ces deux personnages : celle de Proris est associée à une communauté de mutants qui tuent des habitants de l’Amas pour se nourrir, tandis que Sérénity sépare les esprits de leurs corps en peuplant son vaisseau de fantômes numériques, quand elle ne les a pas déjà absorbés. Cyborg et déesse révèlent finalement un même potentiel monstrueux. Soulas rejoint donc le projet d’Haraway, lorsque cette dernière se réfère aux cyborgs de la science-fiction féministe pour retravailler les mythes bâtis par des scientifiques.

  • 49 Ibid., p. 29.
  • 50 Piotr Salwa, « Umberto Eco : texte hybride, narration rhizomatique, ironie », in Dominique Budor et (...)
  • 51 Ibid.
  • 52 Ibid.
  • 53 Ibid.
  • 54 Ibid.

31Tout comme Haraway qui, dans son manifeste, indiquait vouloir « construire un mythe ironique »49, Soulas choisit une voix ironique pour hybrider science et fiction, attribuant à l’hybridité une dimension performative. Comme le rappelle Piotr Salwa, « l’ironie d’un texte littéraire ne peut que s’appuyer sur une sorte d’hybridité »50, car en l’absence de signaux vocaux, gestuels ou contextuels, l’ironie du texte écrit est reconnaissable à l’introduction d’une rupture de la cohérence. Or, ce sont des formes hybrides qui introduisent cette rupture dans le roman. Toutefois, dans le cas de l’hybridité, la rupture « ne compromettrait pas définitivement la perception uniforme d’un texte », indique Salwa51. Par conséquent, l’ironie opère un décalage fondé sur des formes d’hybridité intrinsèques au texte littéraire, mais, contrairement à l’hybridité, elle demeure perceptible à la lecture. Salwa rappelle que « la nature même de l’ironie présuppose une prise de conscience et un effort interprétatif. »52 Pour fonctionner, l’ironie distingue ceux qui la comprennent de ceux qui ne la comprennent pas, de sorte que, dans un roman, elle crée « une communauté – la “communion amicale” – des lecteurs initiés », écrit-il53. Ainsi, les effets de l’ironie s’appuyant sur l’association de formes supposément incompatibles, il est possible d’affirmer qu’elle se fonde sur l’hybridité. De plus, Salwa ajoute que l’ironie « peut viser les stéréotypes du langage aussi bien que les stéréotypes cognitifs et idéologiques. »54 Elle témoigne donc d’une performativité à l’œuvre, chez Haraway comme chez Soulas, soit un projet politique qui conduit à la formation d’une communauté critique à l’égard de stéréotypes. Et c’est le mélange des genres, autrement dit l’hybridité générique, qui rend accessible l’ironie dans leurs textes.

  • 55 Cf. Chimera SFFF, « Interview : Floriane Soulas », op. cit.

32En mêlant science et fiction, Haraway déployait le potentiel de l’hybridité du cyborg. Soulas l’emmène plus loin en retrouvant dans son texte la figure d’Haraway, et en mêlant dans son roman deux genres encore souvent mésestimés, la science-fiction et l’horreur. Les descriptions d’Elena Proris, de l’Amas ou des vaisseaux fantômes amalgamés par Sérénity n’ont de cesse de solliciter le monstrueux, engageant un jeu d’attraction et de répulsion. De fait, l’autrice rappelle souvent son intérêt pour l’horreur55. Il s’agit dès lors pour Soulas, comme pour Haraway, de revaloriser le monstrueux, d’admettre le potentiel créatif qui l’habite, la fascination qu’il exerce, et de l’utiliser pour mettre en lumière les menaces auxquelles les technologies nous exposent. Enfin, Soulas fait de l’hybridité des genres le moyen de renouveler la science-fiction :

  • 56 Floriane Soulas, « Les Oubliés de l’Amas – Les secrets d’écriture de Floriane Soulas », art. cit.

Pour moi, mais ça reste ma vision, la SF est un genre du présent, qui permet d’aborder les choses qui nous travaillent aujourd’hui et qui seront des composantes inévitables de demain. Mais à mon sens, le temps de la SF pure est passée, elle est déjà immensément riche et c’est dans les croisements de genre qu’on peut la réinventer et l’explorer de nouveau, c’est ça que j’ai voulu amener dans Les Oubliés, une SF tissée de toutes les autres influences qui m’ont faite grandir et qui m’ont passionné en tant que lectrice.56

33L’hybridité soulève ainsi la question d’une épistémologie à l’œuvre dans la littérature, qui n’est plus simplement nourrie de savoirs variés. En retravaillant les genres à l’aune des savoirs existants, la littérature conduit aussi à les réévaluer. Le cyborg relève donc d’un récit qui dépasse le texte. Il s’insère dans un tissu cognitif et social grâce à l’hybridité dont il est issu et qu’il participe à construire.

Performance hybride de la cyborg : trouble dans la SF

L’hybridité identitaire, un enjeu politique du récit cyborgien

  • 57 Nicolas Balutet, « Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité », (...)

34Le dernier niveau d’hybridité développé par Balutet, l’hybridité identitaire, exemplifie selon lui la fin des métarécits, soit le deuxième aspect du postmodernisme. Dans la continuité de la critique postcoloniale, les oppositions constitutives sont remises en question, en particulier celles qui distinguent l’un et l’autre, venant troubler les processus d’identification traditionnels : « l’un ou l’autre sont remplacés, en même temps, par l’un et l’autre et ni l’un ni l’autre », écrit-il57. L’identité n’est plus figée mais multipolaire et dissolue. De plus, elle implique la production d’une culture qui lui correspond. À ce sujet, Balutet explique :

  • 58 Ibid., p. 33.

L’identité, qui surgit de cette situation, se manifeste donc par une « hybridité culturelle », faite de constructions, négociations, réappropriations, et se situe « au-delà » des catégories binaires, dans un dépassement des oppositions58.

  • 59 Wladimir Krysinski, « Sur quelques généalogies et formes de l’hybridité dans la littérature du XXe (...)
  • 60 Ibid.

35L’hybridité est donc un mécanisme de production d’une culture qui ne se fonde plus sur de grands récits unificateurs – récits qui, en figeant les identités, marginalisent ou ostracisent les alternatives. Le texte de Soulas s’inscrit dans ce projet, en revisitant le space opera à l’aune de problématiques plus contemporaines. Le genre est en effet connu pour sa dimension généralisatrice, son héroïsme viriliste et ses univers caractérisés par un culte aveugle du progrès et des technologies. L’autrice en fait une expérience politique et critique, expérience qui se retrouve métaphoriquement dans l’opposition finale entre Kat et Sérénity. Au culte rigide de l’unité et d’une homogénéisation des identités défendus par l’IA, la narration oppose une affection grandissante de l’héroïne pour l’Amas. Le conflit moral qui sous-tend le récit de Soulas conduit donc cette dernière à caractériser de manière positive une multitude pleine de paradoxes. En ce sens, le récit met en œuvre une « performance hybride ». L’expression est de May Joseph, et Wladimir Krysinski s’y réfère pour rappeler la dimension épistémologique de la littérature et de la culture. « L’hybridité qui s’inscrit dans la problématique politique de la culture à la faveur de la critique postcolonialiste, se constitue avant tout comme une stratégie discursive »59, explique-t-il. Krysinski en déduit qu’il y aurait un parallèle à construire entre l’hybridité et « les visées cognitives de la littérature. »60

  • 61 Nicolas Balutet, « Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité », (...)
  • 62 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », op. cit., p. 70.

36L’hybridité des récits littéraires témoigne donc d’un effet politique possible, ce dont rendait compte le « Manifeste cyborg » en faisant appel à la science-fiction. Rédigé sur la base d’une approche postcoloniale, le texte d’Haraway présente le cyborg comme constitutif des récits à venir : cette figure représente pour elle une hybridité généralisée avec laquelle travailler notre rapport au monde. En résumé, Haraway ne défend pas un posthumanisme déshumanisé, mais plutôt un postmodernisme qui prend en compte les évolutions technologiques. Le cyborg est effectivement devenu, comme Balutet l’écrit, « une figure épistémologique essentielle », mais contrairement à ce qu’il suggère, je ne crois pas que la manière dont Haraway la développe nous conduit à considérer les humains comme « un bloc homogène dans lequel les différences interhumaines ne posent plus de problèmes ou de questionnements. »61 Ce point est éclairé par la structure du manifeste : Haraway s’appuie sur la critique postcoloniale et une remise en cause des luttes fondées sur l’identité pour, précisément, réinstituer les féminismes socialistes et marxistes qu’elle a remis en question au début du texte. Dans sa dernière partie, elle se penche ainsi sur « la construction, dans la science-fiction féministe, des femmes de couleur et des moi monstrueux »62 pour alimenter son mythe cyborgien. L’esthétique hybride développée par Haraway et retravaillée par Soulas est donc nourrie par une perspective identitaire critique, fondée pour une part sur le genre, autrement dit un processus d’identification – une perspective postgenre, donc, mais pas sans genre.

Cyborg dans une culture queer

  • 63 En atteste l’anthologie de nouvelles d’horreur exclusivement rédigées par des femmes, qu’elle a cod (...)

37Dans Les Oubliés de l’Amas, Floriane Soulas fait la part belle aux personnages féminins : outre que son cyborg est une femme, le récit multiplie les associations féminines avec l’héroïne. Kat est accompagnée tout au long du roman par Jaspe, une mécanicienne d’exception, la Prorienne Rouge les guide pour un temps dans le laboratoire de Proris, la pilote Albane les aide à rejoindre Jupiter et, après que Kat a sauvé la vie de la recycleuse Sori, celle-ci la protège à son tour des violences de Mercuriens. Le roman laisse ainsi percevoir pour le lectorat contemporain une forme de sororité entre les personnages. Par ailleurs, le soutien de Soulas auprès des autrices est connu63. Que le cyborg soit une cyborg ne tient alors pas du hasard. Sa représentation rompt avec des fantasmes masculinistes et passéistes et, ce faisant, atteste d’un écho pratiquement explicite au manifeste d’Haraway, bien que je n’aie pas pu vérifier si Soulas l’avait lu. L’œuvre de l’écrivaine met donc la marge au centre en représentant des femmes capables d’évoluer indépendamment des hommes, et en attirant l’attention sur les groupes sociaux les plus démunis, comme la population de l’Amas, de même que sur des genres mésestimés, comme l’horreur ou le space opera. La culture hybride constituée par Les Oubliés relève d’une littérature qui défend la représentativité des personnes marginalisées, et au sein de cet engagement elle accorde, sans l’y réduire, une place importante à l’intime.

  • 64 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », op. cit., p. 79.
  • 65 Ibid., p. 75.
  • 66 Ibid., p. 79.
  • 67 Ibid., p. 81.

38Cette science-fiction du monstrueux défendue par Floriane Soulas et Donna Haraway induit une réflexion sur la sexualisation des imaginaires. Retravailler le monstrueux a pour but, chez Haraway, de déplacer nos frontières idéologiques : « Dans les imaginaires occidentaux, les monstres ont toujours défini les limites de la communauté », écrit-elle dans son manifeste64. Elle y emploie alors le terme « hybride » pour lui donner une définition bien plus large : « nous nous découvrons cyborgs, hybrides, mosaïques, chimères. »65 Cette nouvelle série de synonymes atteste d’une multiplication des identifications plus qu’elle ne les abolit vraiment. L’identité s’y présente comme un ensemble de processus ouverts, et non pas comme une fin ni un lieu figé. Néanmoins, cette multiplication ne peut s’opérer qu’en dehors d’un cadre hétéronormé : « Les monstres cyborgiens de la science-fiction féministe définissent des possibilités et des limites politiques assez différentes de celles que propose la fiction courante de l’Homme et de la Femme. »66 Haraway assume une prise de distance avec la « nature » comme avec l’idéalisation des modes de reproduction qui conduit à la soumission des femmes. Contrairement à certaines lectures, je ne crois pas que son texte s’oppose à la sexualité reproductive. Il s’agit plutôt de mettre à distance notre dépendance aux mécanismes de la domination patriarcale et à la croyance aux lendemains qui chantent. Haraway associe son travail au compost dans Vivre avec le trouble, car ainsi que son premier manifeste le rappelait, « le rêve utopique de l’espoir d’un monde monstrueux sans distinction de genre »67 ne peut prendre effet qu’à partir d’un sol existant. Or, les mythes démiurgiques et l’Éden ne permettent pas la réalisation de ce rêve. Haraway conclut donc le « Manifeste cyborg » en mettant à distance les métaphores de renaissance et la sexualité reproductive, au profit d’une éthique de la régénération, un trope alimenté par la figure du cyborg. En somme, l’hybridité cyborgienne appelle une culture queer, qui ne se borne pas aux parentés biologiques.

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Bibliographie

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Notes

1 Floriane Soulas, Les Oubliés de l’Amas [2021], Paris, Pocket, 2023, p. 421.

2 Le space opera désigne un sous-genre de la science-fiction. Le dictionnaire Larousse en propose la définition suivante : « Ouvrage de science-fiction (roman, film, bande dessinée) qui évoque les voyages dans l’espace, les aventures et les combats entre héros et empires galactiques. » URL : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/space_opera/74018.

3 Donna Haraway, « Manifeste cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle » [1985], trad. Marie-Hélène Dumas, Charlotte Gould et Nathalie Magnan in Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan (éds), Manifeste cyborg et autres essais, Sciences – Fictions – Féminismes, Paris, Exils, 2007, p. 29-105.

4 Ibid., p. 48.

5 Ibid., p. 63.

6 Ibid., p. 31.

7 Dominique Budor et Walter Geerts (éds), « Les enjeux d’un concept » in Le Texte hybride [en ligne], Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 7-25. URL : https://books-openedition-org.scd-rproxy.u-strasbg.fr/psn/10055.

8 Nicolas Balutet, Belén Hernández Marzal et Alice Pantel, avant-propos à « Littératures et arts contemporains : l’hybridité à l’œuvre », Babel [en ligne], n°33, 2016, p. 11. URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/babel/4084.

9 Dominique Budor et Walter Geerts (éds), « Les enjeux d’un concept », art. cit.

10 Ibid.

11 Emmanuel Molinet, « L’hybride, une problématique centrale de l’art actuel face à un monde multipolaire. De la notion à la culture, une évolution de la fonction et des catégories » in Nicolas Balutet, Belén Hernández Marzal et Alice Pantel, « Littératures et arts contemporains : l’hybridité à l’œuvre », op. cit., p. 57.

12 Nicolas Balutet, « Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité », in Nicolas Balutet, Belén Hernández Marzal et Alice Pantel, « Littératures et arts contemporains : l’hybridité à l’œuvre », op. cit., p. 19-48.

13 Ibid., p. 24.

14 Le développement qui suit s’appuie sur les articles de Dominique Kunz Westerhoff et d’Ariel Kyrou. Voir : Dominique Kunz Westerhoff, « Toi, cyborg ? L’hybridation prothétique dans la nouvelle de science-fiction », ReS Futurae [en ligne], n°16, 2020. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/resf/8554. Voir aussi : Ariel Kyrou, « Nous sommes tous des cyborgs », Mutlitudes [en ligne], n° 44, p. 179-187. URL : https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-multitudes-2011-1-page-179.htm.

15 Il s’agit d’un extrait tiré d’une phrase à la fin de l’article : « some of the proposed solutions may appear fanciful ». J’en propose une traduction. Cf. Manfred E. Clynes et Nathan S. Kline, « Cyborgs and Space », Astronautics, n° 5, septembre 1960. URL : https://archive.nytimes.com/www.nytimes.com/library/cyber/surf/022697surf-cyborg.html.

16 Dominique Kunz Westerhoff, « Toi, cyborg ? », art. cit.

17 Ibid.

18 Cf. Ariel Kyrou, « Nous sommes tous des cyborgs », art. cit., p. 185-186.

19 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », art. cit., p. 38.

20 Ibid., p. 81.

21 Ibid., p. 30.

22 Ibid., p. 63.

23 Ibid., p. 32.

24 Ibid., p. 33.

25 Nicolas Balutet, « Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité », art. cit., p. 31.

26 Ibid., p. 29.

27 Ibid.

28 Floriane Soulas, Les Oubliés de l’Amas, op. cit., p. 58.

29 Ibid., p. 136.

30 Floriane Soulas, « Les Oubliés de l’Amas – Les secrets d’écriture de Floriane Soulas », interview pour le site ActuSF, publiée le 16 décembre 2021. URL : https://www.actusf.com/detail-d-un-article/les-oubliés-de-lamas-les-secrets-décriture-de-floriane-soulas.

31 Floriane Soulas, Les Oubliés de l’Amas, op. cit., p. 647. Ce vaisseau autonome et personnifié, dont Sérénity incarne l’esprit, pourrait-il être aussi une allusion au vaisseau Argo ? Je remercie la personne chargée de me relire pour cette suggestion.

32 Ibid.

33 CNRTL, « Homéostasie », consulté le 14 juin 2024. URL : https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/homéostasie#:~:text=Tendance%20d'un%20organisme%20à,sang%20et%20de%20la%20glycémie.

34 Floriane Soulas, Les Oubliés de l’Amas, op. cit., p. 356.

35 Ibid., p. 424.

36 Ibid., p. 457.

37 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », art. cit., p. 71

38 Donna Haraway, Manifeste des espèces compagnes, Chiens, humains et autres partenaires [2003], trad. Jérôme Hansen, Paris, Flammarion, Climats, 2018, p. 25.

39 Le terme est de l’anthropologue Marisol de la Cadena (Earth Beings, Duke University Press, 2015), et permet d’inclure plus largement les êtres que celui de « non-humains » : suivant les populations, les Autres qu’humains peuvent inclure des animaux, des plantes, des lieux, des esprits, mais aussi des morts qui étaient autrefois humains. Le terme est repris notamment dans les travaux des pragmatiques. Voir : Didier Debaise et Isabelle Stengers (éds), Au Risque des effets, Une lutte à main armée contre la Raison ?, Paris, Les Liens qui libèrent, 2023, p. 39.

40 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », art. cit., p. 33.

41 Donna Haraway, Manifeste des espèces compagnes, Chiens, humains et autres partenaires [2003], trad. Jérôme Hansen, Paris, Flammarion, Climats, 2018, p. 26.

42 Donna Haraway, « Inondées d’urine, DES, Premarin & respons(h)abilité multispécifique », chapitre 5 de Vivre avec le trouble [2016], trad. Vivien García, Vaulx-en-Velin, Les Éditions des mondes à faire, 2020, p. 233-254.

43 Ibid., p. 235.

44 Ibid., p. 236.

45 À ce sujet, voir : Dominique Kunz Westerhoff, « Toi, cyborg ? », art. cit.

46 Nicolas Balutet, « Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité », art. cit., p. 28.

47 « J’avais surtout envie de faire de la Hard SF accessible et transverse. Je m’explique. Dans Les Oubliés on traite de sujets typiques du space opera, les IA, la technologie et ses dérives, la conquête spatiale et les problèmes éthiques qu’elle engendre, ainsi que divers problèmes de société tels que la surpopulation, la diminution des ressources etc… Mais le space opera se projette souvent très loin dans le futur, or aujourd’hui on veut retourner sur la lune, marcher sur Mars, je voulais parler d’une conquête spatiale intermédiaire en quelque sorte avec du coup des problèmes de sociétés encore assez proches de nous tels que le système carcéral etc… cela m’a permis de donner un cadre aux thèmes importants pour moi : la famille, la quête d’identité et d’y ajouter des éléments extérieurs que je trouvais intéressants comme les mythes des vaisseaux fantômes, précurseurs des vaisseaux essaimeurs d’humanité peut-être ? Mais aussi, la post-humanité mécanique et biologique sans devoir choisir encore celle qui prédominera dans le futur, les deux se côtoient sur l’Amas. » Floriane Soulas, « Les Oubliés de l’Amas – Les secrets d’écriture de Florian Soulas », art. cit. Ce point est encore développé par l’autrice dans cette seconde interview : Chimera SFFF, « Interview : Floriane Soulas », entretien avec Floriane Soulas diffusé sur YouTube le 26 avril 2024. URL : https://youtu.be/m68eQCKrm3M. Au sujet de la qualité formelle des sources présentées, j’aimerais rappeler qu’une bonne partie de la visibilité des littératures de l’imaginaire est assurée par un travail bénévole.

48 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », art. cit., p. 82.

49 Ibid., p. 29.

50 Piotr Salwa, « Umberto Eco : texte hybride, narration rhizomatique, ironie », in Dominique Budor et Walter Geerts (éds), Le Texte hybride, op. cit., p. 53-68. URL : https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/psn/10073.

51 Ibid.

52 Ibid.

53 Ibid.

54 Ibid.

55 Cf. Chimera SFFF, « Interview : Floriane Soulas », op. cit.

56 Floriane Soulas, « Les Oubliés de l’Amas – Les secrets d’écriture de Floriane Soulas », art. cit.

57 Nicolas Balutet, « Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité », art. cit., p. 32.

58 Ibid., p. 33.

59 Wladimir Krysinski, « Sur quelques généalogies et formes de l’hybridité dans la littérature du XXe siècle », in Dominique Budor et Walter Geerts (éds), Le Texte hybride, op. cit., p. 27-39.

60 Ibid.

61 Nicolas Balutet, « Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité », art. cit., p. 39.

62 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », op. cit., p. 70.

63 En atteste l’anthologie de nouvelles d’horreur exclusivement rédigées par des femmes, qu’elle a codirigée avec Estelle Faye : Nous parlons depuis les ténèbres, Anthologie de nouvelles d’horreur, de gothique et de fantastique sombre, Rennes, Goater, 2023. Voir aussi : Chimera SFFF, « Interview : Floriane Soulas », op. cit. Floriane Soulas y revient sur ses engagements dans le travail effectué pour cette anthologie.

64 Donna Haraway, « Manifeste cyborg », op. cit., p. 79.

65 Ibid., p. 75.

66 Ibid., p. 79.

67 Ibid., p. 81.

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Pour citer cet article

Référence électronique

David Rioton, « Les mondes de la cyborg et la culture hybride : du « Manifeste cyborg » de Donna Haraway aux Oubliés de l’Amas de Floriane Soulas »TRANS- [En ligne], 30 | 2024, mis en ligne le 03 octobre 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/9675 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ewd

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Auteur

David Rioton

Enseignant contractuel à la faculté des langues de l’Université de Strasbourg, il est titulaire d’un master 2 en Littérature (Université Lyon 2) et d’un master 2 en Épistémologie et Histoire des Sciences (Université de Strasbourg). Il s’est spécialisé dans l’analyse du récit au sein des études de genre et des études sur les sciences. Il a soutenu le sujet suivant en master, sous la direction de Mélodie Faury : « Sexe, plantes, récits, De la déconstruction des représentations de la sexualité végétale dans les ouvrages de vulgarisation à la proposition de nouveaux récits. » Une publication est à venir dans l’ouvrage collectif Herbier Queer, dirigé par Eugénie Péron-Douté et Alexandra Picheta. Une partie de son travail est également accessible sur son carnet Hypothèses « Sexe, plantes, récits » (https://spr.hypotheses.org). Il se propose de faire connaître ses thématiques de recherche et poursuivre leur étude en doctorat.

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