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L’Evolution de la langue, la révolution russe et les singes dans le jeu « Obezvelvolpal » d’Alexeï Remizov

The Evolution of the Language, The Russian Revolution and Monkeys in the Alexei Remizov’s Game Obezvelvolpal
Liliya Dyachenko-Escalle

Résumés

Cet article examine comment les changements de la langue russe apportés par la Révolution de 1917 sont reflétés dans le jeu littéraire « Obezvelvolpal » inventé et mené par l’écrivain moderniste russe Alexeï Remizov (1877-1957). Le nom de ce jeu est un acronyme d’Obez’ân’â velikaâ vol’naâ Palata, la Grande Chambre libre des Singes. Cette mystification comique a réuni plus d’une cinquantaine d’écrivain-e-s, penseurs et artistes russes de la première moitié du XXe siècle, tels que Akhmatova, Zamiatine, Gorki ou encore Blok. Créé en 1908, cette « société secrète », pour reprendre la formule de Remizov, atteint son apogée autour de la Révolution d’octobre en mettant au centre de ses préoccupations les changements de la langue russe imposée par le nouveau régime politique (la réforme de simplification de l’orthographe de 1918 mais aussi l’explosion de néologismes et d’acronymes). Cette « évolution » de la langue russe est une véritable « r-évolution » dans la mesure où depuis le début du XVIIIe siècle la langue russe, enjeu crucial de la politique et de l’identité nationale, ne cesse de subir des réformes. Il est intéressant que c’est à cette époque révolutionnaire que Remizov mobilise toute une esthétique archaïque ainsi que le motif du singe étroitement lié au thème de l'évolution darwinienne.

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Texte intégral

1Alexeï Remizov (1877-1957) est écrivain et artiste moderniste russe particulièrement attaché à la Russie médiévale et à la vieille Moscou, où il est né. En 1921, il est contraint de quitter la Russie pour fuir les violences de la guerre civile qui éclate après la révolution bolchévique. Après avoir passé deux ans à Berlin, il s’installe en 1923 à Paris pour y demeurer jusqu’à la fin de sa vie. Il est l’auteur d’une œuvre vaste et variée : romans, recueils de contes, pièces de théâtre, poèmes en prose, récits de souvenirs et d’autofiction mais aussi dessins, albums graphiques, journaux de ses rêves et même autoéditions de ses textes calligraphiés à la façon des manuscrits médiévaux russes. Mais aussi il est important de savoir qu’en parallèle de ce travail fructueux, il a occupé durant presqu’un demi-siècle, le poste de cancellarius (secrétaire, petit fonctionnaire) de la Grande Chambre libre des Singes. Il s’agit en fait du jeu littéraire Obezvelvolpal, l’acronyme d’Obez’ân’â velikaâ vol’naâ Palata, la Grande Chambre libre des Singes, inventé et mené par Remizov. Cette mystification comique a réuni plus d’une cinquantaine d’écrivain-e-s, penseur-se-s, artistes et bibliophiles, ainsi que de nombreuses personnes d’entourage de Remizov (traducteur-rice-s, avocat-e-s, prêtres ou simplement ses voisin-e-s) en Russie, en Allemagne et en France.

  • 1 Par exemple, les débats entre slavophiles et occidentalistes qui traversent tout le XIXe siècle acc (...)

2Créée en 1908, c’est-à-dire au lendemain de la première révolution russe de 1905, cette « société secrète », pour reprendre la formule de Remizov, atteint son apogée autour de la Révolution de 1917 en mettant au centre de ses préoccupations les changements de la langue russe imposés par le nouveau régime politique. Il s’agit, d’une part, de la réforme de simplification de l’orthographe avec la suppression de plusieurs lettres de l’alphabet russe appliquée en 1918 et, d’autre part, de l’explosion de néologismes appelés à décrire les nouveaux realia de la société soviétique. Par ailleurs, le nom Obezvelvolpal, lourd et difficilement prononçable, renvoie aux acronymes et abréviations en vogue chez de nombreux partis révolutionnaires russes, notamment chez les bolcheviks. Or, cette « évolution » de la langue russe est une véritable « r-évolution ». De fait, depuis le début du XVIIIe siècle la langue en Russie a été la cible permanente de réformes et de controverses importantes. Comme toutes les langues dans le contexte des états-nations, elle représente un enjeu crucial de la politique et de l’affirmation d’une identité nationale1. À son tour, Obezvelvolpal édite une constitution semi-parodique exposant le vocabulaire inventé par les « singes ». Cette constitution, comme plusieurs autres textes fondateurs d’Obezvelvolpal, a été publiée dans le livre de souvenirs sur la révolution et la guerre civile de Remizov intitulé La Russie dans la tourmente [Взвихренная Русь] (1927), ce qui confirme à nouveau le lien de ce jeu avec la révolution.

  • 2 Dans la littérature de ces années, on note grosso modo deux visions opposées de la révolution fondé (...)

3Il est intéressant qu’en lien avec les événements de la révolution Remizov mobilise non seulement le motif du singe étroitement lié au thème de l'évolution darwinienne mais aussi une esthétique archaïque. Par exemple, les portraits du mythique roi des singes Asyka, le chef d’Obezvelvolpal inventé par Remizov, et de ses serviteurs sont réalisés dans le style des icônes orthodoxes. Les chartes et les lettres adressées aux membres d’Obezvelvolpal imitent les documents médiévaux et sont calligraphiées en caractères glagolitiques, alphabet utilisé en Russie jusqu’au Xe siècle avant le passage au cyrillique. Je m’intéresserai donc ici à Obezvelvolpal comme parodie du processus de bouleversement de l’identité linguistique russe par la révolution, identité tiraillée dans ces années entre une modernisation futuriste et un retour en arrière, entre le technologique et le naturel2.

Obezvelvolpal, jeu de création verbale

  • 3 « Je dessinais aux enfants des "signes de singes", des lignes comme elles se dessinaient par elles- (...)
  • 4 A ce sujet voir : Slavica Occitania, "Les primitivismes russes" (Cl. Gheerardyn & D. Rumeau, dir.) (...)
  • 5 «архаическое обезьянье начертание». Алексей Ремизов, «Мышкина дудочка» [Alexeï Remizov, La Flûte au (...)

4Selon le témoignage de Remizov, l’idée d’Obezvelvolpal lui est venue lorsqu’il jouait avec des enfants, notamment sa petite nièce : « Я рисовал им "обезьяньи знаки": линии, как они сами из себя вылиниваются, по Кандинскому3 ». Mis à part la référence intéressante au peintre avant-gardiste soulignant son lien avec le primitivisme4, on note l’importance de la langue et de l’écriture car c’est à partir de cette « inscription archaïque de singes5 » que le jeu est né. Remizov invente ensuite le roi des singes Asyka, dont le nom complet est Asyka-Valahtantararahtarandarufa Asyka Premier Le Grand Singe. C’est donc ce mythique roi qui est le véritable chef d’Obezvelvolpal. Remizov l’introduit pour la première fois dans sa pièce La Tragédie de Judas [Трагедия Иуды] (1908). Dans cette pièce qui reprend, dans son ensemble, l’apocryphe russe populaire sur Judas, Pilate « marie » en guise d’expérience un humain et un singe.

  • 6 « Sa tête est ornée d’une couronne telle une crête de coq, ses jambes sont des serpents, dans une m (...)

5Selon ses propres souvenirs, sur un mur de son appartement pétersbourgeois, Remizov a dessiné une icône d’Asyka aussi grande qu’un être humain : « на голове корона, как петушиный гребень, ноги — змеи, в одной руке — венок, в другой — треххвостка6 ». Cette image grotesque et hybride n’a malheureusement pas été conservée. Nous pouvons du moins comparer cette description avec d’autres représentations du roi des singes effectuées par Remizov, en l’occurrence celle mise sur la couverture des Contes du roi des singes Asyka.

Première édition des Contes du roi des singes Asyka d’Alexeï Remizov Berlin, 1922. La couverture est inspirée d’un dessin de Remizov.

  • 7 Je me réfère ici au livre Le tsar Asyka et ses serviteurs. La Grande Chambre libre des singes d’Ale (...)

6Mais en quoi le jeu d’Obezvelvolpal consistait-il ? Chaque membre de la Chambre recevait un titre précis et mystérieux pour former une administration complexe parodiant les hiérarchies sophistiquées et la bureaucratie d’abord tsariste puis soviétique. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, Boris Pilniak était « cavalier du signe simiesque du Ier degré à la dent de loup », Anna Akhmatova « cavalier du signe simiesque du Ier degré aux griffes d’écureuil », Evgueni Zamiatine « humble évêque des singes Zamoutiï », Nikolaï Rerih « cavalier du Ier degré à la patte de lion et ambassadeur de l’Inde », Maxime Gorki « cavalier du signe simiesque, suppléant du cavalier émérite en Allemagne et cavalier au globe », Alexandre Blok « cavalier émérite du signe simiesque », etc.7 On note par ailleurs l’emploi du terme linguistique знак, signe, plutôt que орден, ordre qui serait également pertinent ici. Remizov lui-même était « cancellarius » et « fugitif commissaire politique d’Obezvelvolpal ». Il s’agissait donc tout d’abord d’une sorte de mascarade verbale qui ressemble à un jeu de rôle. Remizov, maître du jeu et employé qui s’occupait de l’administration et de la correspondance, envoyait aux nouveaux membres des chartes solennelles, calligraphiées et illustrées, qui certifiaient de leur titre et grade.

  • 8 Sylvie Archaimbault, « Discipliner la langue révolutionnée », Revue des études slaves, XC 1-2 | 201 (...)

7Comme nous pouvons le remarquer, ces titres évoquent un imaginaire religieux et monarchique (évêque, prince, cavalier), en mobilisant notamment les codes des blasons. La hiérarchie des membres ainsi instaurée apparait comme une provocation parodique dans la mesure où en 1917 les états qui structuraient la société russe tsariste ont été abolis. De même, l’objet principal du jeu consistait en une imitation comique des attributs bureaucratiques, monarchiques ou soviétiques. Ainsi, Obezvelvolpal avait son hymne, son cachet, sa constitution et son manifeste. Mais c’est surtout la langue qui était en jeu, qui servait de matériel et de finalité d’Obezvelvolpal. Dans leurs lettres et chartes Remizov et les autres serviteurs du roi des singes employaient des formules de politesse particulièrement lourdes renvoyant au langage administratif. Or, c’est précisément dans cette parodie du style de langue réputé aux antipodes de la poésie que se forme un espace pour une création verbale poétique. Une dynamique semblable est présente dans le cas de l’onomastique des titres mais aussi dans la prolifération des acronymes et des mots-valises. En effet, comme le rappelle la linguiste Sylvie Archaimbault au sujet des modifications de la langue russe sous la révolution, « les néologismes et les abréviations sont un élément très important d’élargissement lexical8 ».

L’humanité de la langue des singes

8Mais surtout la Chambre des singes était une sorte de gage de complicité et de solidarité entre ses membres à une époque de grandes tensions, de divisions et de querelles violentes suite aux bouleversements politiques de l’entre-deux-révolutions et de la guerre civile. Ainsi Obezvelvolpal acceptait des personnes avec des convictions politiques opposées ou apolitiques. Remizov défendait le droit à la vie privée, au bonheur individuel en dehors de la politique. Comme le montre Elena Obatnina, il avait un rejet de toute idéologie mais aussi de partis politiques :

  • 9 Елена Обатнина, «Царь Асыка и его подданные. Обезьянья Великая и Вольная Палата А. М. Ремизова в ли (...)

L’aporie entre l’intérieur et l’extérieur, l’individuel et le collectif a poussé Remizov à choisir entre une activité révolutionnaire au sein de partis ou associations et une solitude d’artiste. Le privilège du choix personnel a prédéfini l’opposition claire entre une union fondée sur des principes idéologiques ou des objectifs politiques et un cercle d’amis9.

Le singe, dans l’imaginaire de Remizov, correspond bien à ces priorités. Il est, pour lui, un animal non seulement joueur et espiègle mais aussi particulièrement inobéissant et libre.

  • 10 Алексей Ремизов, «Взвихренная Русь» [Alexeï Remizov, La Russie dans la tourmente], in Собрание сочи (...)
  • 11 Сергей Доценко, «Обезвелволпал А. Ремизова как зеркало русской революции» [Serueï Dotsenko, « Obezv (...)
  • 12 Елена Обатнина, Комментарии [Elena Obatnina, Commentaires], in Алексей Ремизов, « Ахру » [Alexeï Re (...)
  • 13 Ibid.

9Obezvelvolpal rappelait en effet l’importance des valeurs premières de la vie alors même que pour des raisons politiques les gens mourraient de faim ou de froid. Comme beaucoup d’autres artistes, Remizov lui-même connaissait très bien ces souffrances, qu’il a endurées durant la période révolutionnaire à Saint-Pétersbourg. La création verbale d’Obezvelvolpal est à cet égard évocatrice. Ainsi, la Constitution de la Chambre se termine par l’annonce de trois mots en langue de singes suivis de leur traduction en russe : 1. gošku [гошку], nourriture, 2. ahru [ахру], feu, 3. kukha [кукха], eau10. Comme l’affirme Serguei Dotsenko, « si le vocabulaire et les expressions politiques avec leur prolifération de mots et leur caractère mensonger créent de fausses valeurs, les trois mots des singes désignent les valeurs de vie qui sont par conséquent vraies et éternelles11 ». Durant sa carrière littéraire, Remizov revient à ces mots. Il appellera même un recueil de nouvelles Ahru et un livre de souvenir consacré à son ami, philosophe Vassili Rozanov Kukha. Or, ces mots ne sont pas une invention des membres d’Obezvelvolpal. Selon Elena Obatnina, les archives remizoviennes de T. Witney contiennent, dans l’album de 1926, une coupure de presse avec l’article intitulé « La langue des singes ». Ce texte annonce que « le naturaliste américain professeur Garner, célèbre spécialiste de la langue des singes, partit dans les forêts impénétrables de l’Afrique de l’Est afin de poursuivre là-bas ses recherches à l’aide d’un gramophone12 ». Voici ce que Garner écrit sur ses propres découvertes : « J’ai noté presque deux cents mots en langue des singes. Ainsi, par exemple, (si nous notons leurs mots à notre manière) le mot ahru signifie le soleil, le feu et de manière générale ce qui a trait à la chaleur. Kukha signifie l’eau, la pluie ou le froid. Gošku est la nourriture et l’action même de manger13 ».

Mystification et engagement politique

  • 14 Елена Обатнина, «Царь Асыка и его подданные. Обезьянья Великая и Вольная Палата А. М. Ремизова в ли (...)

10Remizov fait son entrée en littérature pendant ses six années de relégation comme détenu politique près de Vologda, puis à Penza. Il a été arrêté en 1897 lors d’une manifestation étudiante. Considéré alors comme révolutionnaire et ayant effectivement soutenu les mouvements sociaux, il se disait pourtant s’être retrouvé tant à la manifestation qu’en relégation par un hasard pur. En effet, son manque d’intérêt pour la politique causait un décalage et parfois même des conflits entre lui et les autres relégués. Les géôliers ont aussi rapidement compris qu’il ne s’agissait pas d’un politicien bien que Remizov ait toujours été sensible aux injustices sociales. Selon Elena Obatnina, dans la ville d’Ust’-Sysol’sk, au nord de la Russie où il était exilé, il rassemblait souvent des ouvrier-e-s et leurs enfants pour des soirées de lecture. Il existe une photo d’une de ces soirées, prise autour de 1901, sous laquelle Remizov a rajouté, des années plus tard, la légende « ma grande et libre chambre des singes14 ».

11Ne promouvant que l’amitié, l’humour et l’autodérision, Obezvelvolpal fonctionne comme une parodie satirique des organisations politiques. Or, en tant que phénomène culturel, il dépasse par sa singularité et complexité le strict cadre littéraire dans la mesure où il mélange des textes à d'autres formes d'expression et des activités extralittéraires, notamment le dessin mais aussi la performance. Mais ne s’agit-il pas d’une mystification simplement pour le plaisir de créer une énigme, de brouiller les codes de façon ludique sans aucun message à faire passer ? Dans la constitution, Remizov établit dans les termes suivants la nature et le programme d’Obezvelvolpal :

  • 15 « Son origine est obscure, Ses buts sont une anarchie librement exprimée, Ses intentions sont impén (...)

происхождение — темное,
цели — свободно выраженная анархия,
намерения — неисповедимые,
средств — никаких
15.

  • 16 Pour savoir plus au sujet du darwinisme en Russie : Alexander Vucinich, Darwin in Russian Thought, (...)
  • 17 Gisèle Séginger, « Introduction », Arts et Savoirs, 12 | 2019, mis en ligne le 24 février 2020. URL (...)

Cependant, cette parodie « apolitique » est traversée par des enjeux politiques, à commencer par l’anarchie à laquelle Remizov appelle les membres d’Obezvelvolpal. Durant la seconde moitié du XIXe siècle et au tournant du XXe siècle en Russie, l’anarchisme est un courant politique important pour les mouvements révolutionnaires. De nombreux-ses anarchistes ont réfléchi à la théorie de l’évolution darwinienne16. Ainsi dans son livre célèbre L’Entraide, un facteur de l’évolution (1902), Pierre Kropotkine met en cause l’idée de la concurrence entre les espèces et de la sélection naturelle au profit de l’entraide, véritable moteur du progrès social, ce qui fait penser à l’importance de l’amitié pour Obezvelvolpal. Comme l’a fait remarquer Gisèle Séginger, la pensée anarchiste « intègre le temps des révolutions dans le mouvement de l’évolution17 », comme le montrent les travaux de Louise Michel ou Élisée Reclus.

  • 18 Catherine Dousteyssier-Khoze, « Mystification et parodie », Romantisme, 2012/2 (n°156), p. 25-38. U (...)
  • 19 «Обезьянье делопроизводство». Алексей Ремизов, «Петербургский буерак» [Alexeï Remizov, Le Ravin pét (...)
  • 20 «кириллице, всем понятной, на ней пишут книги и прошения». Ibid.

12En outre, la forme même de la mystification est éminemment politique. Comme le souligne Catherine Dousteyssier-Khoze, le propre de toute mystification est de « franchir allégrement, et dans tous les sens, les frontières du monde littéraire/théâtral/artistique et de la "réalité"18 ». Remizov lui-même assimilait Obezvelvolpal au théâtre. Mais une mystification, tout comme le théâtre, engage le corps même de ses acteurs et cela à leurs risques et périls. Remizov a ainsi couru un danger réel pour le jeu d’Obezvelvolpal et notamment pour son penchant pour une langue archaïque et les caractères glagolitiques qui servaient à la documentation « des affaires simiesques19 ». Or, en Russie de cette époque très peu connaissaient cet alphabet antique « contrairement aux cyrilliques que tout le monde lisait et qui sert toujours à écrire des livres et des requêtes20 ». D’après les souvenirs de Remizov, au lendemain des événements de 1917, la milice est arrivée chez Remizov avec des perquisitions :

  • 21 « Ils ont remarqué de petites figures, impossible de comprendre quoi que ce soit. Le commissaire po (...)

При обыске обратили внимание на фигурки – ничего понять невозможно. Сам нарком по просвещению Луначарский не понимает! Пришлось подымать Горького и научить его ответу […], что фигурки – глаголица, а глаголица не шифр, не криптография, тайнопись, а буквы нашей первой азбуки21.

  • 22 Сергей Доценко, «Обезвелволпал А. Ремизова как зеркало русской революции» [Sergueï Dotsenko, « Obez (...)
  • 23 « La Russie n’est plus. La tour de Babel. Le mélange de langues ». Note du journal intime de 1917-1 (...)

Ainsi ce choix d’écriture a failli coûter cher à Remizov car la milice suspectait l’écrivain d’utiliser une écriture cryptée pour l’espionnage contre-révolutionnaire. S’il peut sembler de prime abord que les caractères glagolitiques ont été employés par un jeu enfantin pour échanger dans une écriture que seul-e-s les initié-e-s d’Obezvelvolpal savaient lire, Serguei Dotsenko remarque à juste titre que cet alphabet se présente chez Remizov comme « symbole de l’unité historique de la nation et de l’état sur le fond du déclin provoqué par la révolution22 ». En effet, l’écrivain pensait que le peuple et la culture de Russie ont été menacés par les changements politiques et que la conservation de la langue russe est le seul salut possible pour le pays : «Решилась Россия. Вавилонская башня. Смешение языков23».

  • 24 Notamment, l’apocryphe russe très apprécié par Remizov « Le Chemin des tourments de la Mère de Dieu (...)

13Une autre fois Remizov se fait arrêter pendant la guerre civile avec d’autres écrivains, ses amis, notamment Blok et Zamiatine, suite à un acte de délation portant sur un complot du Parti socialiste-révolutionnaire. Il est intéressant que Remizov décrit cet épisode comme une attaque contre Obezvelvolpal et nomme les protagonistes par leurs titres simiesques. Il s’agit du récit « Un cheval d’une abeille » [Лошадь из пчелы], sous-titré « Le Chemin de tourmente dans la rue Gorohovaâ du cancellarius et trois cavaliers d’Obezvelvolpal » [Хождение по Гороховым мукам б. канцеляриста и трех кавалеров обезвелволпала]. Ce texte est aussi inclus dans La Russie dans la tourmente. Remizov imite ici le genre médiéval religieux de hoždenie, errance ou voyage24. Le ton et le contenu du récit sont profondément burlesques et grotesques conformément à la poétique d’Obezvelvolpal. Comme l’a bien montré Elena Obatnina, le nom de la rue Gorohovaâ où se passe l’action renvoie à goroh, petits pois, motif associé aux rites carnavalesques russes. Il existe, par exemple, l’expression « bouffon de petits pois » [шут гороховый]. En même temps, dans cette rue si souvent mentionnée dans les romans de Dostoïevski, se trouvait la tristement célèbre Tchéka, service secret soviétique s’occupant des affaires politiques. C’est donc dans leur bureau des interrogations que Remizov est envoyé avec ses amis. L’absurde de la scène est renforcé par le fait que ce bureau occupe désormais l’appartement confisqué par les bolchéviques à l’écrivain Fiodor Sologoub, également membre d’Obezvelvolpal. Dans la queue des arrêtés, Remizov et ses amis sont précédés d’une bonne femme serrant dans ses bras un cochon. La raison de son arrestation reste un mystère.

Les singes contre les humains, le vrai contre le faux

  • 25 Юрия Тынянов, «Достоевский и Гоголь (к теории пародии)» [Iouri Tynianov, « Dostoïevski et Gogol (ve (...)
  • 26 « Souverain suprême de tous les singes et de ceux qui se sont volontairement joints à eux, méprisan (...)
  • 27 Сергей Доценко, «Обезвелволпал А. Ремизова как зеркало русской революции» [Sergueï Dotsenko, « Obez (...)

14Le caractère parodique d’Obezvelvolpal ne clarifie pas toutefois le positionnement de cette mystification par rapport à la révolution russe. Comme l’a montré Iouri Tynianov, si la parodie était, comme certains le croient, « une "ridiculisation", un "rejet" ou même une "haine" envers ce qui est parodié, […] on ne comprendrait pas la joie que ressentent ceux qui se voient parodiés25 ». Or, si les positions politiques des « singes » ne sont ni tranchées ni unanimes, leur méfiance et leur déception envers le monde des humains, espèce prétendument la plus évoluée, est tout à fait explicite. Le roi Asyka est ainsi «верховный властитель всех обезьян и тех, кто к ним добровольно присоединился, презирая гнусное человечество, огадившее всякий свет мечты и слова26» (cest moi qui souligne). Comme nous l’avons déjà vu, dans le jeu d’Obezvelvolpal la langue doit répondre à des questionnements éthiques que soulève la révolution. Sergueï Dotsenko remarque que Remizov trace « l’opposition entre la langue simiesque et la langue humaine comme l’opposition entre le vrai et le faux. […] La pulsion simiesque est opposée à la pulsion humaine mensongère avec "sa morale toute écrite, son hypocrisie et sa religion du marché"27 ». Le chercheur fait d’ailleurs le parallèle avec l’utopie des chevaux dans Le Voyage de Gulliver de Jonathan Swift qui a pu inspirer Remizov. Ne savant pas mentir, les chevaux n’ont pas de mot « mensonge » dans leur langue.

15La mise en question du règne oppressif des humains sur le reste du monde, la nature et les animaux, est encore plus significative dans le récit de Remizov intitulé « Les Singes » [Обезьяны] (1908). Ce texte est présenté comme une description d’un rêve fait par l’auteur. Ce texte déchirant met en scène une extermination des singes par les humains. Le narrateur est le roi des singes Asyka lui-même. En voici lincipit :

  • 28 La mention du penchant pour la « rapine » semble ici intéressante. Elle évoque l’incident que le je (...)
  • 29 « On nous avait traînés ici de tous les coins de la terre : d’Australie, d’Afrique, d’Asie et d’Amé (...)

Нас стянули со всех концов света: из Австралии, из Африки и Южной Америки, и я, предводитель шимпанзе, опоясанный тканым гагажьего пуха поясом, ломал себе голову и рвал на себе волосы, не зная, как вырваться из цепей, которыми мы были скованы по рукам и ногам, и улепетнуть на родину, но было уж поздно.
[…] нас выстроили, как солдат, на Марсовом поле, и герольды в золоте со страусовыми перьями на шляпах, разъезжая по рядам, читали приговор.
 Нас, свободных обезьян, обвиняли в непроходимом распутстве, злости, бездельничанье, пьянстве и упорно-злонамеренной вороватости28 и, признавая необыкновенно блестящие природные способности к развитию и усовершенствованию, приговаривали применить к нам секретные средства профессора Болонского университета рыцаря Альтенара - потомка викингов Гренландии, Исландии и Северного Ледовитого Океана29.

La suite de ce texte dépeint les tortures sadiques que les humains font subir aux singes avant de les tuer, tout simplement pour en rire. C’est donc le massacre d’une espèce par une autre qui est l’objet de ce récit sans que l’argument de l’évolution naturelle à laquelle, selon le texte, les singes sont particulièrement prédisposés puisse faire changer d’avis les exterminateurs. Compte tenu du contexte historique de la rédaction et de son inclusion dans La Russie dans la tourmente, ce récit peut faire songer aux répressions par le pouvoir monarchique de la révolution de 1905 violemment étouffée ou encore aux violences de la Guerre russo-japonaise terminée par la défaite de la Russie également en 1905. Plus que la nature et la culture, Remizov semble tracer ici la dichotomie entre la nature et la politique à laquelle correspond aussi la dichotomie entre le sud et le nord, la vie et la mort.

16Cependant, en parallèle avec l’utopie de l’amitié et de la créativité que représente la Grande Chambre libre des singes, Remizov emploie également le motif du singe dans un sens négatif. Il s’agit d’un singe très différent de ceux d’Obezvelvolpal, singe qui a laissé son désir de liberté le conduire à une tyrannie. Autour de 1918, un an après l’arrivée des bolcheviks au pouvoir, Remizov écrit un pamphlet intitulé « Un singe puant et triomphant » [Вонючая торжествующая обезьяна].

  • 30 « Singe puant et triomphant qui se nourrit de charogne, de sucre réquisitionné et d’ananas, tu enfi (...)

Вонючая , питающаяся падалью, реквизированным сахаром и ананасами, ты напялила на свои подпрыгивающие кривые ноги генеральские штаны, , на вихрастую голову, прикрывая уши, , присвоила русское крестное имя, русскую человеческую кличку и, , а главное праздностью и беспечальным обезьяньим довольством, с тупым пулеметом и бездушным штыком завладела Русью, родиной моей30.

  • 31 « Avec ta langue de bois, hululant, bouche remplie de graines de tournesol, tu défiguras ma langue (...)

Dès cet incipit, le texte est tout à fait explicite. Remizov assimile les bolcheviks à ce singe puant qui a accédé au pouvoir et déplore la perte de la langue russe que ce gouvernement a entrainée. Il dénonce justement les acronymes et l’envahissement de la langue par les termes administratifs : «Косноязычная, гикающая с набитым семечками ртом, исковеркала ты родную русскую речь "главковерхами" и "викжелями"31».

  • 32 « Tu appelles à libérer l’Europe des férocités et usurpations impérialistes. Mais la Russie malheur (...)

17Le thème de l’évolution est ici également présent. Comme dans les autres textes de Remizov, le singe symbolise un retour en arrière mais dans ce pamphlet ce retour est éminemment nocif tandis que l’animal est synonyme de dégradation, de violence et d’obscurantisme : «Кличешь освободить Европу от империалистических зверств и захватов, а бессчастную Русь, захватив, , когда предки наши звериным обычаем живяху32». Ainsi pendant la guerre civile dans l’imaginaire de Remizov coexistent deux images opposées du singe : d’une part, un singe d’Obezvelvolpal, loyal, honnête et libre, auquel on associe une attitude inventive et poétique envers la langue, une création verbale allègre ; d’autre part, le singe tyrannique, bête et violent qui détruit tous ce qu’il y a de poétique dans une langue. Ce singe destructeur est aussi brièvement évoqué dans l’essai de Remizov là titre parlant « Le Dit de la ruine de la terre russe » [Слово о погибели земли русской] (1917). Le singe y est encore associé aux bolcheviks qui ont pris le pouvoir pour « ruiner » la Russie. Mais très vite, dès le début des années 1920, Remizov abandonne définitivement cette image négative du singe au profit de l’autre image valorisante.

La langue archaïque révolutionnée

18Si le singe renvoie au thème de l’évolution des espèces, l’idée de l’évolution de la langue est également présente chez Remizov notamment en ce qui concerne l’aporie entre la modernisation de la langue et la restitution de la langue ancienne. Le nom d’Obezvelvolpal joue sur l’hybridité grotesque et déroutante entre l’animalier et l’humain, l’ancien et le contemporain : on note le contraste entre les singes, les mots provenant du vocabulaire de l’administration tsariste (палата, chambre ; великая, grande ; вольная au lieu de свободная pour dire libre) et l’acronyme typique pour les partis révolutionnaires russes du début du XXe siècle ainsi que pour la société soviétique.

19Comme je l’ai déjà mentionné, dans tous les aspects d’Obezvelvolpal (textes, dessins, documents, etc.) Remizov mobilise une esthétique archaïque : le vocabulaire, le style des icônes dans les portraits des membres de la Chambre, les caractères glagolitiques ou encore la calligraphie médiévale. L’exemple ci-dessous montre bien tous ces éléments.

Charte d’Obezvelvolpal réalisée par Alexeï Remizov et adressée à Pierre Pascal, Paris, 1937.
Document conservé aux archives de l’Institut d’études slaves de Paris, fonds Hélène Sinany.

  • 33 Fête slave du solstice d’été célébrée le 24 juin.

20Il s’agit d’une charte adressée en 1937 à Pierre Pascal, célèbre slaviste et ami de Remizov. Pascal a étudié et traduit La Vie de l’archiprêtre Avvakum [Житие протопопа Аввакума], œuvre russe du XVIIe siècle fondamentale pour Remizov. Sur cette charte, on note l’usage des glagolitiques en vertical à gauche et à droite du document, ainsi qu’autour du portrait de Pierre Pascal. Ce portrait représente le chercheur avec une auréole, comme sur les icônes orthodoxes. Le texte principal informe que le destinataire de la charte est nommé « cavalier du signe simiesque du premier degré à la fleur magique de Kupala33 ». Il est écrit en cyrilliques, en cursive du XVIIe siècle.

21De fait, Remizov était passionné par la Rus’ d’avant l’européanisation décidée par le tsar Pierre le Grand au début du XVIIIe siècle. Il consacre une grande partie de son œuvre à la recherche de la musicalité de la langue russe selon lui particulièrement présente dans le parler populaire des époques reculées et que certains textes, tels que La Vie de l’archiprêtre Avvakum, ont enregistrée à l’écrit. Or, c’est surtout à l’époque de la révolution bolchévique que l’écrivain se tourne vers le passé de son pays. Pour Remizov comme pour beaucoup d’autres artistes, l’instabilité politique de cette période appelle à un renouvellement de la culture et de la langue russe. Et c’est dans la reprise des modèles anciens que l’écrivain semble voir l’avenir de la langue.

22Or, les modifications de la langue que la révolution bolchévique a entrainées visaient non seulement à la moderniser mais aussi la rendre plus populaire. Dans son article sur les archaïsmes dans la langue à l’époque révolutionnaire, Aleksandra Pletneva montre les enjeux politiques de ces modifications. Elle affirme en se fondant sur les travaux de l’historien de la langue russe Victor Zhivov et de Pierre Bourdieu que la langue remplit la fonction de la domination sociale :

  • 34 Aleksandra Pletneva, «Языковая архаика революционной эпохи» [Les Archaïsmes dans la langue à l’époq (...)

Lorsque les élites changent, la nouvelle élite doit se montrer garante de la langue nationale. Ceux qui déterminent les règles linguistiques sont en effet ceux qui possèdent le capital social, ils sont l’élite de la nouvelle société. La tâche du nouveau pouvoir [soviétique] dans le domaine de la construction linguistique était donc d’affirmer son droit de dicter les normes de la langue34.

En 1918, dans le contexte de la lutte pour l’éducation du peuple et l’éradication de l’analphabétisme, on applique une réforme de simplification de la langue russe. Il s’agissait surtout de supprimer quelques lettres de l’alphabet. Selon les autorités, ces lettres rendaient plus difficile l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Remizov n’a pas accepté ces changements. Il emploie donc l’ancienne orthographe presque toute sa vie, jusqu’aux années 1950, ce qui était bien évidemment plus facile pour les Russes en émigration.

  • 35 Ibid.
  • 36 Ibid.

23Cependant, dans sa politique linguistique, le pouvoir soviétique lui aussi avait recours à l’archaïque. Comme le montre Aleksandra Pletneva, durant les premières années après 1917 « dans les textes politiques, apparaissent des archaïsmes ainsi que des néologismes qui imitent le style de la langue ancienne. […] les propagandistes cherchaient à écrire des textes que les ouvriers et les paysans pourraient comprendre35 ». Pour toucher le plus large public, la stratégie consistait à employer le maximum de mots d’origine ou à consonnance slave. Les propagandistes les voyaient non pas comme archaïques mais comme populaires. L’assimilation de l’archaïque au peuple relève d’ailleurs de la vision du progrès linéaire diachronique (temps archaïque - temps moderne) transposée en synchronie sur la société (peuple - classes cultivées). Ainsi, pour reprendre la formule d’Aleksandra Pletneva, « paradoxalement, les bâtisseurs d’un nouveau monde et d’une société du futur mobilisent les moyens langagiers d’époques passées36 ». Cette configuration fait songer à l’étymologie même du mot révolution : revolutio signifiait en latin retour du temps, cycle.

Conclusion

  • 37 À ce sujet voir : А. Б. Каплан, « Карнавал и революция » [A. B. Kaplan, « La Carnaval et la Révolut (...)
  • 38 « Dans la vie, Remizov vit avec des méthodes de l’art ». Виктор Шкловский, «Zoo или Письма не о люб (...)

24Obezvelvolpal de Remizov apparaît comme une manifestation directe du caractère carnavalesque de la révolution au sens bakhtinien du terme37. Les renversements des hiérarchies propres à ce jeu, son rire grotesque, son contact familier et libre entre des personnes différentes et ses mésalliances montrent comment la révolution s’infiltre dans l’art et la vie quotidienne en effaçant les limites entre eux. Comme l’affirme à propos de la Chambre des singes le célèbre formaliste russe Victor Chklovski : « Ремизов живет в жизни методами искусства38 ».

25En 1917, Remizov semble être pris entre deux positions qui sont bien reflétées dans Obezvelvolpal : d’une part, un conservatisme linguistique rejetant toute modernisation, un retour aux modèles de langue d’antan, et d’autre part, des attentes de la révolution pour améliorer la vie du peuple et de mettre en avant la culture et la langue populaires. Cette aporie correspond aux relations problématiques entre le concept de révolution et celui d’évolution. La révolution apparaît ainsi tantôt comme une étape de l’évolution, un instrument des changements, tantôt comme une violation de l’ordre naturel des choses, de l’évolution vue comme processus lent propre au vivant mais souvent transposé sur la société, la langue et la culture. En mettant au centre de ses préoccupations le motif du singe et la question des changements de la langue, Obezvelvolpal interroge la révolution russe comme une r-évolution à temporalité cyclique.

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Bibliographie

Œuvres

Алексей Ремизов, Ахру [Alexeï Remizov, Ahru] [1922], in Собрание сочинений, т. 7, Москва, Русская книга, 2002.

Алексей Ремизов, «Сказки обезьяньего царя Асыки» [Alexeï Remizov, Les Contes du roi des singes Asyka], Berlin, Русское творчество, 1922.

Алексей Ремизов, «Кукха. Розановы письма» [Alexeï Remizov, Koukha. Lettres de Rozanov] [1923], Санкт-Петербург, Наука, 2011.

Алексей Ремизов, «Взвихренная Русь» [Alexeï Remizov, La Russie dans la tourmente] [1925], in Собрание сочинений, т. 5, Москва, Русская книга, 2000.

Алексей Ремизов, «Мышкина дудочка» [Alexeï Remizov, La Flûte aux souris], Париж, Оплешник, 1953. URL : https://traumlibrary.ru/book/remizov-ss10-10/remizov-ss10-10.html [consulté le 21 mai 2022].

Алексей Ремизов, «Петербургский буерак» [Alexeï Remizov, Le Ravin pétersbourgeois], Paris, 1981. URL : https://traumlibrary.ru/book/remizov-ss10-10/remizov-ss10-10.html [consulté le 21 mai 2022].

Études

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Catherine Dousteyssier-Khoze, « Mystification et parodie », Romantisme, 2012/2 (n°156), pp. 25-38. URL : https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-romantisme-2012-2-page-25.htm

Gisèle Séginger, « Introduction », Arts et Savoirs, 12 | 2019, mis en ligne le 24 février 2020. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/aes/2041 [consulté le 21 mai 2022].

Alexander Vucinich, Darwin in Russian Thought, Berkeley · Los Angeles · Oxford, Universiy of California Press, 1989.

Сергей Доценко, «Обезвелволпал А. Ремизова как зеркало русской революции» [Serueï Dotsenko, « Obezvelvolpal d’Alexeï Remizov comme miroir de la révolution russe »], Europa Orientalis, XVI, 1997, n° 2, pp. 305-320.

Елена Обатнина, «Царь Асыка и его подданные. Обезьянья Великая и Вольная Палата А. М. Ремизова в лицах и документах» [Elena Obatnina, Le tsar Asyka et ses serviteurs. La Grande Chambre libre des singes d’Alexeï Remizov en quelques visages et documents], Санкт-Петербург, Издательство Ивана Лимбаха, 2001.

Александра Плетнева, «Языковая архаика революционной эпохи» [Aleksandra Pletneva, « Les Archaïsmes dans la langue à l’époque révolutionnaire »], Revue des études slaves, XC 1-2 | 2019. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/res/2806 [consulté le 21 mai 2022].

Юрия Тынянов, «Достоевский и Гоголь (к теории пародии)» [Iouri Tynianov, « Dostoïevski et Gogol (vers une théorie de la parodie) », in « Поэтика. История литературы. Кино », Москва, Наука, 1977. URL : http://az.lib.ru/t/tynjanow_j_n/text_01015.shtml [consulté le 21 mai 2022].

Виктор Шкловский, «Zoo или Письма не о любви» [Viktor Chklovski, Zoo. Lettres qui ne parlent pas d’amour], Берлин, Геликон, 1923. URL : https://mir-knig.com/read_335153-1# [consulté le 20 mai 2022].

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Notes

1 Par exemple, les débats entre slavophiles et occidentalistes qui traversent tout le XIXe siècle accordent une importance première à l’évolution de la langue russe : selon les premiers il était nécessaire que le russe se développe à partir du modèle du slavon d’Église, langue médiévale savante, équivalent du latin, tandis que les seconds encourageaient les emprunts auprès des autres langues vivantes européennes.

2 Dans la littérature de ces années, on note grosso modo deux visions opposées de la révolution fondées sur la vision de l’évolution linéaire : celle qui la présente comme un progrès social et technique et celle qui la dépeint comme un retour à un état sauvage et primitif. Cette dichotomie est bien illustrée dans la dystopie Nous d’Evgueni Zamiatine.

3 « Je dessinais aux enfants des "signes de singes", des lignes comme elles se dessinaient par elles-mêmes, à l’exemple de Kandinski ». Алексей Ремизов, «Петербургский буерак» [Alexeï Remizov, Le Ravin pétersbourgeois], Paris, 1981, URL : https://traumlibrary.ru/book/remizov-ss10-10/remizov-ss10-10.html [consulté le 21 mai 2022]. Dans cet article, sauf indication contraire, les traductions sont faites par mes moyens.

4 A ce sujet voir : Slavica Occitania, "Les primitivismes russes" (Cl. Gheerardyn & D. Rumeau, dir.) n°53, 2021.

5 «архаическое обезьянье начертание». Алексей Ремизов, «Мышкина дудочка» [Alexeï Remizov, La Flûte aux souris], 1953, Париж, Оплешник. URL : https://traumlibrary.ru/book/remizov-ss10-10/remizov-ss10-10.html [consulté le 21 mai 2022].

6 « Sa tête est ornée d’une couronne telle une crête de coq, ses jambes sont des serpents, dans une main, il tient une couronne de fleurs, dans l’autre un fouet avec trois brins ». Алексей Ремизов, «Ахру» [Alexeï Remizov, Ahru], in Собрание сочинений, т. 7, Москва, Русская книга, 2002, p. 28. Pour ce personnage, Remizov se disait lui-même inspiré de la nouvelle fantastique Viy de Gogol.

7 Je me réfère ici au livre Le tsar Asyka et ses serviteurs. La Grande Chambre libre des singes d’Alexeï Remizov en quelques visages et documents d’Elena Obatnina qui a essayé de dresser une liste complète des membres d’Obezvelvolpal. Pour en citer encore quelques noms célèbres : Andreï Biély, Pierre Pascal, Vsevolod Meïerhold, Léon Chestov, Serguei Diaguilev, Serguei Essenine, etc.

8 Sylvie Archaimbault, « Discipliner la langue révolutionnée », Revue des études slaves, XC 1-2 | 2019. URL: http://journals.openedition.org/res/2806 [consulté le 21 mai 2022].

9 Елена Обатнина, «Царь Асыка и его подданные. Обезьянья Великая и Вольная Палата А. М. Ремизова в лицах и документах» [Elena Obatnina, Le tsar Asyka et ses serviteurs. La Grande Chambre libre des singes d’Alexeï Remizov en quelques visages et documents], Санкт-Петербург, Издательство Ивана Лимбаха, 2001, p. 12.

10 Алексей Ремизов, «Взвихренная Русь» [Alexeï Remizov, La Russie dans la tourmente], in Собрание сочинений, т. 5, Москва, Русская книга, 2000, p. 207.

11 Сергей Доценко, «Обезвелволпал А. Ремизова как зеркало русской революции» [Serueï Dotsenko, « Obezvelvolpal d’Alexeï Remizov comme miroir de la révolution russe »], Europa Orientalis, XVI, 1997, n° 2, p. 310.

12 Елена Обатнина, Комментарии [Elena Obatnina, Commentaires], in Алексей Ремизов, « Ахру » [Alexeï Remizov, Ahru], op. cit., p. 523.

13 Ibid.

14 Елена Обатнина, «Царь Асыка и его подданные. Обезьянья Великая и Вольная Палата А. М. Ремизова в лицах и документах» [Elena Obatnina, Le tsar Asyka et ses serviteurs. La Grande Chambre libre des singes d’Alexeï Remizov en quelques visages et documents], op. cit., p. 13.

15 « Son origine est obscure, Ses buts sont une anarchie librement exprimée, Ses intentions sont impénétrables, Quant à ses moyens, elle n’en a pas ». Алексей Ремизов, «Взвихренная Русь» [Alexeï Remizov, La Russie dans la tourmente], op. cit., p. 207.

16 Pour savoir plus au sujet du darwinisme en Russie : Alexander Vucinich, Darwin in Russian Thought, Berkeley · Los Angeles · Oxford, Universiy of California Press, 1989. Je remercie Mathilde Matras pour cette référence.

17 Gisèle Séginger, « Introduction », Arts et Savoirs, 12 | 2019, mis en ligne le 24 février 2020. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/aes/2041 [consulté le 21 mai 2022].

18 Catherine Dousteyssier-Khoze, « Mystification et parodie », Romantisme, 2012/2 (n°156), p. 25-38. URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2012-2-page-25.htm

19 «Обезьянье делопроизводство». Алексей Ремизов, «Петербургский буерак» [Alexeï Remizov, Le Ravin pétersbourgeois], op. cit.

20 «кириллице, всем понятной, на ней пишут книги и прошения». Ibid.

21 « Ils ont remarqué de petites figures, impossible de comprendre quoi que ce soit. Le commissaire populaire de l’éducation Lounatcharski lui-même ne comprend rien ! J’ai dû donc soulever Gorki et lui demander de répondre […] qu’il ne s’agit pas d’un code secret ou d’une cryptographie mais bien des lettres de notre premier alphabet ». Ibid.

22 Сергей Доценко, «Обезвелволпал А. Ремизова как зеркало русской революции» [Sergueï Dotsenko, « Obezvelvolpal d’Alexeï Remizov comme miroir de la révolution russe »], op. cit., p. 309.

23 « La Russie n’est plus. La tour de Babel. Le mélange de langues ». Note du journal intime de 1917-1920 d’Alexeï Remizov, citée par Сергей Доценко, «Обезвелволпал А. Ремизова как зеркало русской революции» [Sergueï Dotsenko, « Obezvelvolpal d’Alexeï Remizov comme miroir de la révolution russe »], op. cit., p. 309.

24 Notamment, l’apocryphe russe très apprécié par Remizov « Le Chemin des tourments de la Mère de Dieu ». Le titre du récit évoque également le roman Le chemin des tourments rédigé durant la guerre civile par Alexeï Tolstoï, membre d’Obezvelvolpal.

25 Юрия Тынянов, «Достоевский и Гоголь (к теории пародии)» [Iouri Tynianov, « Dostoïevski et Gogol (vers une théorie de la parodie) », in « Поэтика. История литературы. Кино», Москва, Наука, 1977. URL : http://az.lib.ru/t/tynjanow_j_n/text_01015.shtml [consulté le 21 mai 2022].

26 « Souverain suprême de tous les singes et de ceux qui se sont volontairement joints à eux, méprisant l’humanité ignoble qui a souillé la lumière du rêve et du verbe », Алексей Ремизов, «Ахру» [Alexeï Remizov, Ahru], op. cit., p. 28.

27 Сергей Доценко, «Обезвелволпал А. Ремизова как зеркало русской революции» [Sergueï Dotsenko, « Obezvelvolpal d’Alexeï Remizov comme miroir de la révolution russe »], op. cit., p. 308.

28 La mention du penchant pour la « rapine » semble ici intéressante. Elle évoque l’incident que le jeu d’Obezvelvolpal a causé à Remizov deux ans après la rédaction de ce texte. En 1911, Remizov fait scandale en arrivant à la mascarade chez Fiodor Sologoub à Pétersbourg avec une queue de singe accrochée à son pantalon. Comme cela a été révélé par la suite, Remizov a volé cet élément extravagant et carnavalesque à la peau de singe qu’Alexeï Tolstoï avait préparé pour donner une mascarade chez lui. Cet incident étant devenu public, Remizov a été accusé de vol et de manque de respect à l’égard des affaires d’autrui.

29 « On nous avait traînés ici de tous les coins de la terre : d’Australie, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud, et moi, Maréchal des Singes, ceint en mon écharpe tissée en duvet d'eider, je m’arrachais les cheveux et me torturais les méninges pour trouver les moyens de nous libérer de ces fers qui nous entravaient les mains et les pieds, et de filer chez nous ! Mais c’était trop tard. […] on nous avait alignés comme des soldats sur le Champ de Mars, et des hérauts vêtus d’or, empanachés de plumes d'autruche, chevauchaient dans nos rangs en nous lisant la sentence. On nous accusait, nous, les singes libres, de noire débauche, cruauté, oisiveté, ivrognerie, rapine systématique et malintentionnée, et tout en reconnaissant nos brillantes capacités naturelles à progresser et à nous perfectionner, on nous condamnait à subir les procédés secrets d’un professeur de l'Université de Bologne, le chevalier Altenar, descendant des vikings de Groenland, d’Islande et de l'Océan Glacial Arctique ». Trad. Anne-Marie Tatsis-Botton. Алексей Ремизов, «Ахру» [Alexeï Remizov, Ахру], op. cit., p. 409-410.

30 « Singe puant et triomphant qui se nourrit de charogne, de sucre réquisitionné et d’ananas, tu enfilas sur tes jambes difformes et sursautant un pantalon de général que tu volas à ce général même après l’avoir mis en pièces. Imbu de toi-même, tu enfonças sur ta tête ébouriffée, pour cacher tes oreilles, le bonnet rouge français. Tu t’approprias un prénom russe chrétien, un surnom russe humain, et ayant séduit la malheureuse populace affamée avec un pain d’épice – la promesse de paix, de pain, de terre et de liberté, mais surtout d’oisiveté et de cette insouciante suffisance de singe – armé d’une mitrailleuse bornée et d’une baïonnette sans âme, tu t’emparas de la Rus’, mon pays natal ». Алексей Ремизов, «Вонючая торжествующая обезьяна…» [Alexeï Remizov, « Singe puant et triomphant… »] in Собрание сочинений, т. 5, op. cit., p. 534.

31 « Avec ta langue de bois, hululant, bouche remplie de graines de tournesol, tu défiguras ma langue russe maternelle par tes "glavkoverh" et "vikžel’". Ibid. Glavkoreh signifie glavnyj verhovnokomanduyuŝij, le principal commandant en chef. Vikžel est Vserossijskij ispolnitel’nyj komitet železnodorožnikov, le comité exécutif des employés de chemin de fer de Russie.

32 « Tu appelles à libérer l’Europe des férocités et usurpations impérialistes. Mais la Russie malheureuse que tu usurpas, ta vengeance de singe l’enfonça dans cette obscure période de notre histoire, celle d’avant Iaroslav où nos ancêtres avaient des coutumes des bêtes ». Ibid. Iaroslav appelé le Sage est le prince russe du XIe siècle réputé pour avoir « apporté » la culture en Russie.

33 Fête slave du solstice d’été célébrée le 24 juin.

34 Aleksandra Pletneva, «Языковая архаика революционной эпохи» [Les Archaïsmes dans la langue à l’époque révolutionnaire], Revue des études slaves, XC 1-2 | 2019. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/res/2806 [consulté le 21 mai 2022].

35 Ibid.

36 Ibid.

37 À ce sujet voir : А. Б. Каплан, « Карнавал и революция » [A. B. Kaplan, « La Carnaval et la Révolution »], Вестник культурологии, 2007, №3. URL: https://cyberleninka.ru/article/n/karnaval-i-revolyutsiya [consulté le 22 mai 2022].

38 « Dans la vie, Remizov vit avec des méthodes de l’art ». Виктор Шкловский, «Zoo или Письма не о любви» [Viktor Chklovski, Zoo. Lettres qui ne parlent pas d’amour], Берлин, Геликон, 1923. URL : https://mir-knig.com/read_335153-1# [consulté le 20 mai 2022].

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Table des illustrations

Légende Première édition des Contes du roi des singes Asyka d’Alexeï Remizov Berlin, 1922. La couverture est inspirée d’un dessin de Remizov.
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Légende Charte d’Obezvelvolpal réalisée par Alexeï Remizov et adressée à Pierre Pascal, Paris, 1937.Document conservé aux archives de l’Institut d’études slaves de Paris, fonds Hélène Sinany.
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Fichier image/jpeg, 979k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Liliya Dyachenko-Escalle, « L’Evolution de la langue, la révolution russe et les singes dans le jeu « Obezvelvolpal » d’Alexeï Remizov »TRANS- [En ligne], 28 | 2022, mis en ligne le 05 décembre 2022, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/7698 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.7698

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Auteur

Liliya Dyachenko-Escalle

Université de Genève, Sorbonne Université (Eur’Orbem)

Liliya Dyachenko-Escalle est assistante-doctorante en littérature russe à l'Université de Genève. Elle fait sa thèse en cotutelle avec Sorbonne Université. Son projet porte sur la recherche d'authenticité de la langue et la création verbale moderniste chez Andreï Biély et Alexeï Remizov. Elle s'intéresse notamment aux liens entre le nationalisme et les conceptions de la langue dans la littérature russe durant la première moitié du XXe siècle. Elle est diplômée d'un double master en littérature comparée à l'Université Paris-Nanterre et en études russes, parcours traduction littéraire, à Sorbonne Université. Elle participe au projet Numerislav consacré au traitement et numérisation des archives de l’Institut d’études slaves de Paris.

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