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2021
Les pas de l'alcool
Sensations de l’enivrement

Les errances du vin : ivresse, musique et signifiance dans Moderato cantabile de Marguerite Duras (1958)

Los vagabundeos del vino: embriaguez, música y significancia en Moderato cantabile de Marguerite Duras (1958)
Wandering wine: drunkenness, music and meaning in Marguerite Duras’ Moderato cantabile (1958)
Isabelle Perreault

Résumés

Œuvre inaugurale en regard de ce qui deviendra le style de Marguerite Duras, Moderato cantabile conjugue le motif de l’enivrement alcoolique à la perturbation du sens dans le roman : celui-ci cesse d’obéir à une causalité narrative linéaire et à l’appartenance des signes aux réalités qu’ils désignent pour adopter une dynamique erratique, tantôt entraînée dans un mouvement de répétition circulaire, tantôt sujette à la dissémination aux confins du monde sensible. Déclinée également dans sa variation musicale, qui exacerbe une sensibilité à fleur de peau avivée par le vin, l’ivresse accomplit le dérèglement du et des sens, par lequel la pensée, puis le corps des protagonistes sont portés en-dehors d’eux-mêmes pour « aller hors de la rencontre », qui définit selon Blanchot le propre de l’errance. Catalysant la transgression, l’ivresse gagne la poétique du roman : si la structure redondante du récit et son développement par échos figurent le ressassement de la parole enivrée, les écarts syntaxiques de la prose et sa progression parataxique donnent aussi l’illusion d’une narration qui titube et défaille sous les effets de l’intoxication. C’est enfin dans l’extension d’un présent indécis, qui se déploie en marge du temps social, que s’accomplit l’expérience alcoolique, parachevant dès lors la dislocation du récit des ornières de l’intelligibilité.

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Texte intégral

  • 1 Marguerite Duras, La Vie matérielle [1991], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1994, p. 22. Dans la (...)
  • 2 VM, p. 23.
  • 3 Empruntée à la terminologie derridienne, la « restance » renvoie au phénomène selon lequel, dans un (...)
  • 4 VM, p. 23.
  • 5 Marguerite Duras, Écrire, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1993, p. 53.
  • 6 Ibid., p. 52.
  • 7 Yann Andréa, M. D. [1983], Paris, Éditions de Minuit, coll. « Double », 2006, p. 14.
  • 8 VM, p. 23.
  • 9 VM, p. 23.
  • 10 VM, p. 23.

1Dans un fragment de La Vie matérielle, où elle raconte par bribes son existence scandée par la compulsion alcoolique, placée sous le signe d’une ontologie du manque de Dieu, de la violence sexuelle et de la mort, Marguerite Duras écrit que l’alcool « remplace l’événement de la jouissance mais il ne prend pas sa place », qu’il « fait parler. »1 Elle ajoute que « [l]’ivresse ne crée rien, elle ne va pas dans les paroles […] ; l’alcool ne crée rien qui demeure. »2 L’intoxication s’accompagnerait pour Duras d’un transfert de l’expérience libidinale vers sa sublimation, terme qu’il faut moins entendre dans son sens psychanalytique que proprement chimique, c’est-à-dire le passage d’un corps solide à l’état gazeux, dématérialisé. Boire, pour Duras, c’est l’expérience sans permanence ni restance3, « l’illusion de la création capitale »4, dit-elle encore dans La Vie matérielle, qui s’évanouit une fois le jour venu. Cet abîme qu’ouvre l’alcool, l’écrivaine le retrouve également dans l’écriture, qui « arrive comme le vent » et qui « passe comme rien d’autre ne passe dans la vie »5, qui ouvre un inconnu dont on ne sait rien avant de s’y perdre. Ce curieux recouvrement du verre et du livre, de la « maladie de l’écrit »6 et de l’alcoolisme qui n’en est selon elle pas une – « Je ne suis pas malade, je suis simplement alcoolique »7 disait-elle, raconte Yann Andrea –, imprègne à l’évidence la confection de ses livres, le romanesque flottant qui s’y enlise et la syntaxe rompue entre la saturation des signifiants et l’absence des connecteurs, par où fuit le sens. Mais l’écriture de Duras, qui affirme avoir « écrit dans l’alcool »8, n’est pas pour autant le produit de ses ébriétés, l’alcool étant de toute façon « stérile »9. Du reste, elle affirme tenir en horreur « la soûlographie »10 – choix lexical inusité, qui laisse surtout entendre un dédain de la graphie de la soûlerie. Non pas une écriture comme précipité de l’ivresse que l’on découvre après-coup, mais une écriture qui redouble la trajectoire de la consommation et porte la marque de son rythme, de ses intensités, de ses dérives. L’alcool déplace l’événement de la jouissance et ce bougé dans les affects articule également les romans de Duras – ou plutôt, il les désarticule. En effet, dans ses œuvres, le désir se consume dans un jeu oblique de déports et de simulacres qui supplée à l’événement et endigue la possibilité même de son accomplissement ; et si les personnages, dépossédés de leur intériorité, éprouvent avec violence l’intensité d’une rencontre qui n’advient pas, sauf en pure perte, par irradiation dans le monde sensible, l’inaboutissement demeure la seule issue, et ils en reviennent hagards, quasi amnésiques, comme plombés par une gueule de bois.

  • 11 Entretien radiophonique avec Laure Adler, « Les nuits magnétiques – Les gens tout de même », diffus (...)
  • 12 VM, p. 21.
  • 13 Marguerite Duras, Écrire, op. cit., p. 71.
  • 14 Maurice Blanchot, « Parler ce n’est pas voir », in L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 3 (...)
  • 15 Illustrée dans La Carte postale, la notion de destinerrance, qui conjoint l’action de destiner à l’ (...)

2Les affinités entre l’écriture et l’alcoolémie, l’énergie qui passe de l’une à l’autre, qui explique l’une par l’autre, alimentent l’éthos auctorial de Marguerite Duras comme elles innervent son œuvre avec la permanence d’une constante – et ce, même quand elle est contrainte au sevrage, lequel semble initier un élan compensatoire vers l’écriture, comme elle l’affirme à Laure Adler en 1987 : « Je suis une alcoolique qui boit pas. […] Il y a certainement un report qui se fait sur la littérature parce que j’écris plus, ça occupe complètement aussi de boire. »11 À la lumière de ce pas-de-deux, titubant s’il en est, où s’origine l’œuvre durassienne, c’est à l’un des textes les plus manifestement marqués par l’alcool que cette contribution entend réfléchir : tout se passe comme si Moderato cantabile (1958) inaugurait la référence alcoolique comme fonction poétique à l’échelle de l’œuvre de l’écrivaine. Dédicacé à Gérard Jarlot, avec qui Duras s’était liée dans la passion et dans l’alcool un an auparavant, et qu’elle décrit comme « quelqu’un qui aimait vraiment l’alcool, qui buvait chaque jour » mais qu’elle a vite « dépassé »12, ce roman correspond à un tournant décisif dans son écriture. Il marque non seulement son entrée aux Éditions de Minuit, mais inaugure également le fameux « style “Duras” », avec son écriture blanche, ses phrases quasi télégraphiques, sa volonté de « désécrire » et de libérer les mots de la syntaxe, d’en dégager une « écriture de mots seuls […] sans grammaire de soutien. »13. Il institue en outre une nouvelle manière de générer du sens ou, plutôt, de le suspendre et de le mettre en état d’errance, à entendre dans la définition que donne Maurice Blanchot de ce terme, c’est-à-dire à « aller hors de la rencontre »14, dans une « destinerrance »15 (Derrida) perpétuelle.

  • 16 VM, p. 27.

3La déroute du sens puiserait donc ses modalités dans l’expérience de l’enivrement, où la pensée, puis le corps sont « portés »16, selon le mot de Duras, hors de la rationalité et de la subjectivité. Dans Moderato cantabile, l’enivrement est explicitement thématisé par la consommation compulsive de vin rouge grâce auquel les protagonistes désinhibent leurs rencontres journalières au café, mais il se décline sous d’autres formes complémentaires qui participent au dérèglement du, et des, sens : la musique, manifestation par excellence du dionysiaque nietzschéen, qui ravit (au sens fort) la mère à l’écoute des exercices de piano exécutés par son enfant, et l’amour-passion, fruit de l’interaction des deux ivresses précédentes. Catalysant la transgression, l’ivresse passe à son tour dans la poétique du roman : si la structure redondante du roman, son développement par échos, figurent le ressassement de la parole enivrée, les écarts syntaxiques de la prose et sa progression parataxique donnent aussi l’illusion d’une narration qui titube et défaille sous les effets de l’intoxication. De même, la musique, qui entre en tension avec le régime du discours verbal auquel elle est sémantiquement irréductible, ronge les connexions entre les mots et le monde, et génère un surplus de signifiance dont l’expérience est à cueillir du côté de l’intensification, de la résonance et du potentiel rhizomatique des signifiants plutôt que dans leur faculté de « traduction » du réel.

In vino mimèsis

  • 17 Marguerite Duras, Moderato cantabile [1958], Paris, Éditions de Minuit, coll. « Double », 1980. Dan (...)
  • 18 MC, p. 34.

4Moderato cantabile17 s’élabore à la croisée de l’expérience douloureuse de l’écoute musicale, même sous sa forme inoffensive, maladroitement exécutée par un enfant, et de l’impossibilité à la fois désastreuse et sublime de la relation amoureuse. Chaque vendredi, Anne Desbaresdes accompagne son fils à ses leçons de piano. L’enfant, doué de bonnes « dispositions, mais [de] beaucoup de mauvaise volonté »18, s’entête à ne pas retenir le sens de l’expression moderato cantabile et rechigne à exécuter les exercices qu’on lui impose. Alors que les encouragements de sa mère ont enfin raison de son insubordination, et que la mélodie de la Sonatine en fa majeur d’Anton Diabelli s’élève par-dessus la rumeur des vagues, un meurtre a lieu dans un café à proximité, dont seul le cri sinistre de la victime parvient jusqu’à l’appartement haut-perché de Mademoiselle Giraud. L’irruption du drame dans l’ordre sonore présage cette attache nodale entre la passion amoureuse et la violence inouïe du meurtre dans le roman, tissant le nœud coulant du simulacre qui se resserrera sur les protagonistes.

  • 19 Évelyne Grossman souligne à juste titre que l’« [o]n ressent dehors chez Duras. On éprouve à l’exté (...)
  • 20 À plusieurs reprises, le texte souligne une forme d’affaiblissement de la vue d’Anne Desbaresdes en (...)
  • 21 Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1964, p. 48-49

5Afin d’assouvir la curiosité morbide qu’elle développe pour les circonstances du meurtre, Anne se rend tous les jours sur les lieux du crime consommer d’innombrables verres de vin en compagnie de Chauvin, ouvrier désœuvré rencontré dans les parages de l’incident. S’ensuit l’enivrement rituel, par sept fois rejoué : faisant fi des convenances et des regards étonnés provoqués par la présence d’une femme de son rang dans un bistrot de prolétaires, Anne chemine avec Chauvin dans les méandres de la supposition, des explications hypothétiques et de la dramatisation du meurtre, sublimant l’assassinat au lieu de l’élucider. Au fil des rendez-vous émerge un désir tacite, tensif, qui charge le récit inventé du couple « archétypal », déjà porteur d’une extrême violence, d’un érotisme exutoire. En ressassant les possibles, fictionnels ou factuels, de ce crime qu’ils déplient à l’horizon de leur désir muselé, c’est à leur propre condamnation qu’ils procèdent, en s’enchaînant au couple liminaire par l’extension de leur entretien – moyen par lequel ils entretiennent le mirage et approchent toujours davantage de leur échec annoncé. Le vin aidant, les langues, l’imagination se délient, elles diluent les circonstances spécifiques à l’histoire du couple qui ainsi s’anonymise, devenant en quelque sorte des figures d’emprunt, flottantes et offertes à quiconque souhaitant s’en emparer pour vivre, par écrans superposés, une passion depuis l’extérieur19. La fluidification des contours n’est pas l’unique symptôme de la confusion perceptuelle20 de l’ivresse ; il en résulte également une excavation du langage, dont le sens littéral s’exorbite de la phrase. Laquelle, à l’instar du « mot-trou »21 qui forme béance dans la texture signifiante du réel en menaçant d’irréaliser toute nomination, se creuse pour se gorger de toute la charge érotique autrement domestiquée par les conventions (sociales, syntaxiques) du discours. Tout se passe comme si, en somme, un ordre alternatif apparaissait, par entrebâillement, derrière la rigidité des systèmes qu’ébranlent momentanément les effets du vin.

  • 22 Friedrich Nietzsche, La Naissance de la tragédie, in Œuvres, éd. préparée par Jean Lacoste et Jacqu (...)
  • 23 MC, p. 94.
  • 24 MC, p. 37.
  • 25 MC, p. 62, 57 et 94.
  • 26 MC, p. 30.
  • 27 MC, p. 60.
  • 28 MC, p. 48.
  • 29 Symbole par excellence de la transgression des liens du mariage, le vin absorbé par les amants rapp (...)

6La consommation d’alcool trace en effet une ligne de fuite pour Anne Desbaresdes, libérant les possibles qui la maintiennent pourtant au point de départ, prise en otage d’une condition conjugale et sociale dont elle ne peut s’extraire. L’ivresse, on le sait (au moins) depuis Nietzsche, est bien une négation de l’individuation, une excédence sur le sujet, qu’elle permet de dépasser, et la condition d’accès à une expérience intensifiée du monde, car rechargée de désirs : « C’est par la puissance du breuvage narcotique […] que s’éveillent ces émotions dionysiennes qui entraînent dans leur essor la subjectivité jusqu’à l’anéantir en un complet oubli de soi-même. »22 Aussi Anne se montre-t-elle lucide lorsqu’elle répond par la négative aux incertitudes de Chauvin qui lui demande « Si on ne buvait pas tant, ce ne serait pas possible ? » : « Je crois que ce ne serait pas possible »23. L’ivresse la conduit donc à commettre une triple entorse à sa condition de femme, de bourgeoise et d’épouse, et à s’engager dans une contre-danse mortuaire : en revenant dès le lendemain au café, la protagoniste obéit davantage à une nécessité – « Il m’aurait été impossible de ne pas revenir, dit-elle enfin »24 – qu’au respect du partage socio-économique de l’espace. De cette première infraction découle un manque à la bienséance exigée de son sexe : car non seulement introduit-elle quotidiennement ce lieu fréquenté par les ouvriers, mais elle y consomme autant de verres de vin que les hommes, qu’elle boit d’ailleurs comme eux, « accoudée à la table » et « avec avidité », « d’un trait »25. Enfin, le vin participe au processus identificatoire avec le couple archétypal de l’incipit, dont la femme est d’emblée décrite par la patronne du café comme une « ivrogne »26, information relayée par Chauvin qui comble alors les lacunes de l’anecdote en lui inventant un destin misérable : « Cette femme était devenue une ivrogne. On la trouvait le soir dans les bars de l’autre côté de l’arsenal, ivre morte. On la blâmait beaucoup. »27 L’élan de projection gagne Anne, qui fabrique un sens dans la glose de l’histoire comme pour mieux s’y conformer et s’approprier son dénouement par mimétisme : en suggérant que les amants « ont parlé, […] et parlé beaucoup de temps, beaucoup avant d’y arriver […] pour en arriver là où ils étaient. »28, elle prolonge post mortem le drame de son alter ego fantasmé. Le flot des paroles rejoint alors la crue du vin : le rituel de la consommation, préambule à la fabulation narrative autour du couple dont la seule faute gît dans le fait de parler, met en place les conditions pour que s’exauce l’adultère29.

  • 30 MC, p. 94.
  • 31 MC, p. 111.
  • 32 MC, p. 21, pour les deux citations.
  • 33 MC, p. 59.
  • 34 Jean-Luc Nancy, Ivresse, Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. « Bibliothèque Rivages », 2013, p.  (...)
  • 35 Ibid.

7Le vin dont Anne s’enivre, en plus de maintenir un lien occulte avec la victime du café, devient l’instrument de sa mise à mort : remplissant son verre de plus belle, Chauvin « la laissa s’empoisonner à son gré. »30 L’assimilation est renforcée par la reprise de symboles et de configurations narratives : l’emploi du verbe « couler » pour référer au vin qui « coule dans [l]a bouche [d’Anne] pleine d’un nom qu’elle ne prononce pas »31 rappelle le « sang qui coulait de la bouche » de la femme du café, de même que celui qui macule le visage de l’homme, révélé par la « lueur du magnésium »32 d’un appareil-photo, se superpose symboliquement sur les traits de Chauvin, illuminés par un reflet du couchant qui rend visible sa bouche « humide d’avoir bu »33. Par sa couleur, certes, – et il est intéressant de souligner que le texte insiste lourdement sur le rouge du tricot qui délasse la patronne aux heures creuses du café, telle une Parque qui égrène les heures de liberté dont disposent les amants –, mais également par la mémoire eucharistique qu’il convoque, le vin est assimilé au sang, et sa consommation à la subsistance des défunts à travers d’autres corps. Dissocié du corps, dont il est pourtant la source de vie, le sang christique recueille, dans la tradition chrétienne, le privilège spirituel d’ordinaire rattaché à l’âme ; il acquiert ainsi le pouvoir de circulation et de transfusion entre les corps. Comme l’observe Jean-Luc Nancy, il « n’est à strictement parler même pas âme – qui est forme et motion du corps – mais esprit – qui est souffle impalpable, traversant le corps sans s’y insérer. »34 Autrement dit, le spiritueux35 déclenche, dans l’ivresse qu’il génère, la possibilité de la transsubstantiation et, en ce sens, redouble sur le plan ontologique le processus de transfert.

  • 36 MC, p. 56.
  • 37 Jean-Luc Nancy, Ivresse, op. cit., p. 28.
  • 38 MC, p. 109.
  • 39 Roland Barthes, Mythologies [1957], Paris, Éditions du Seuil, 2010, p. 74.
  • 40 MC, p. 114.
  • 41 MC, p. 118.
  • 42 MC, p. 126.
  • 43 MC, p. 125.
  • 44 MC, p. 120.

8Par intensification, le vin rouge et le « cérémonial » qui entoure « leurs […] rencontres »36 resserrent le nœud coulant de l’identification au couple maudit et pressent leurs gestes à répéter la scénographie du crime passionnel. « L’ivresse, poursuit Nancy, porte le legs du sacrifice »37. En plus de la fonction de mise en mouvement, de projection hors de soi dont le vin est investi, ce dernier détient un véritable pouvoir de transfiguration : aussi Anne « découvre-t-elle, à boire une confirmation de ce qui fut jusque-là son désir obscur »38. Comme le notait Roland Barthes dans Mythologies, le vin « est avant tout une substance de conversion capable de retourner les situations et les états, et d’extraire des objets leur contraire […] ; d’où sa vieille hérédité alchimique, son pouvoir philosophique de transmuter ou de créer ex nihilo »39. Substance vitale, associée au sang du Christ, le vin bu par Anne et Chauvin a tourné, est devenu philtre de mort ; substitut de la consommation de la passion, il s’infiltre dans leur chair et maintient vif leur désir, amalgamant Eros et Thanatos, jusqu’à n’en plus tenir. Cet effondrement se traduira chez Anne par les vomissements du vin excessif, allongée au pied du lit de son enfant, et chez Chauvin, par le renoncement à poursuivre l’idylle : « Elle regardera le boulevard par la baie du grand couloir de sa vie. L’homme l’aura déjà déserté. »40 L’ultime tête-à-tête achève Anne qui, spectrale, ne boit plus qu’« à petites gorgées »41 : Chauvin finit par exprimer qu’il « voudrai[t] qu[‘elle] so[it] morte », ce à quoi Anne, avant de s’en aller, répond : « C’est déjà fait. »42 En une dernière variation sur le couple initial, l’intoxication bascule dans la violence, ritenuto ; mais au cri de mort du début ne répond qu’un faible « gémissement sauvage »43, « une plainte impatiente […] perceptible qu’à lui seul. »44 Pour ce couple tenu au seuil de la virtualité, l’événement ne peut avoir lieu qu’au second degré, dans l’ordre du symbolique de la mort sociale.

  • 45 VM, p. 23.

9Par l’absorption compulsive d’alcool, Anne renoue, à travers le spectre de la femme du café, avec sa propre pulsion de mort en dormance : boire, pour Duras, « ce n’est pas obligatoirement vouloir mourir, non. Mais on ne peut pas boire sans penser qu’on se tue. Vivre avec l’alcool, c’est vivre avec la mort à la portée de la main. »45 Le vin actionne la mécanique du désir, s’y inscrit pour en infléchir le cours et en déplacer les termes vers la scène du fantasme. L’enivrement, qui certes s’imbrique dans la dramaturgie imitative du couple modèle, est également – et avant tout – un processus de désubjectivation, par lequel l’individu est déporté hors de lui, engourdi à sa conscience et à son identité de sujet, pour s’éprouver depuis une extériorité et parvenir à un sentiment de symbiose avec son environnement.

Diabolus in Musica

  • 46 MC, p. 81.
  • 47 MC, p. 81.

10L’absorption rituelle de carafes de rouge n’est pas l’unique forme d’ivresse dans le roman ; la musique que joue l’enfant d’Anne Desbaresdes, phénomène sonore a priori immatériel, qui se liquéfie sous les doigts du garçon, enivre la mère et, d’un même souffle, son soupirant « fredonn[ant] la sonatine dans le même temps que l’enfant la jou[e] »46 : « Le jeu se ralentit et se ponctua, l’enfant se laisse prendre à son miel. De la musique sortit, coula de ses doigts sans qu’il parût le vouloir, en décider, et sournoisement elle s’étala dans le monde une fois de plus, submergea le cœur d’inconnu, l’exténua. »47 La reprise du même verbe « couler », que l’on avait relevé en guise de fil conducteur reliant souterrainement le sang de la victime et la lampée de vin dans la bouche d’Anne, est significative. La musique procède donc du même régime de dérèglement des sens que l’alcool, et ses répercussions sont autant intoxicantes, elles exténuent Chauvin comme l’ivresse et la passion anéantissent Anne.

  • 48 MC, p. 82.
  • 49 Bernard Sève, L’Altération musique, ou ce que la musique apprend au philosophe, Paris, Éditions du (...)
  • 50 MC, p. 90.
  • 51 MC, p. 50.
  • 52 MC, p. 82.
  • 53 MC, p. 80.
  • 54 MC, p. 80.

11Introduite d’entrée de jeu dans sa dimension la plus contraignante, par les exercices de solfège qui rebutent l’enfant, la musique inquiète les écluses de la bienséance derrière lesquelles Anne a verrouillé ses désirs ; mais, à l’inverse du vin de table consommé en périphérie des beaux quartiers, elle survient de l’intérieur, à même l’univers policé où Anne évolue, par l’entremise du dispositif bourgeois de la leçon de musique auquel il convient de soumettre les enfants de bonne famille. Structure coercitive pour son fils, la mère y puise pourtant une volupté douloureuse, qui l’ouvre à l’illimité de l’expérience et du désir : « La sonatine se faisait sous les mains de l’enfant […] portée par son indifférente maladresse jusqu’aux confins de sa puissance. »48 Il n’est pas étonnant que la résurgence des élans libidinaux réprimés par Anne se déclenche lors de l’écoute musicale : expérience de fascination, par laquelle l’auditrice est saisie hors d’elle-même et hors du langage pour mieux plonger au cœur d’un désir vécu comme primordial, la musique, écrit Bernard Sève, domestique les forces sauvages sans les affaiblir, elle est à la fois liaison et déliaison, emprise et émancipation, et ces deux opérations « sont les noms pour une seule opération, qui est le mouvement, ou plutôt la mobilité. »49 L’aventure survient dès lors que la musique soulève l’héroïne, la tire de l’immobilisme dans lequel la maintiennent le retour des « journées […] à heure fixe »50 et l’impuissance insomniaque, dont la formule circulaire accentue l’enlisement : « Il m’arrive de ne pas arriver à m’endormir. »51 Non seulement la tenue hebdomadaire des leçons l’oblige à sillonner chaque vendredi le boulevard qui sépare sa maison de l’appartement de Mademoiselle Giraud, première phase d’une mise en mouvement générale de son existence, mais la sonatine confirme la nécessité du déracinement, comme le suggère le curieux dynamisme qu’entraîne le flux musical sur son passage. Tandis que joue l’enfant, en effet, « [u]ne monumentale presqu’île de nuages incendiés surgit à l’horizon dont la splendeur fragile et fugace forçait la pensée vers d’autres voies »52, drainée, semble-t-il, par la musique qui, telle la flûte de l’oiseleur, détient le pouvoir de rendre mobile l’ordre du monde. Sous une texture sonore tout en légèreté, s’élevant « comme une plume »53 des mains de l’enfant curieusement comparé à un « barbare », l’œuvre musicale n’est pas seulement diabolique par l’effet paronomastique avec le nom de son compositeur ; elle contient une véritable réserve démoniaque, susceptible de « condamn[er] [la mère] à la damnation de son amour » et d’enfermer celle-ci derrière « les portes de l’enfer »54.

12L’émoi provoqué par la musique confronte la mère aux limites du langage et, à travers elles, la conduit à la négation des codes d’une bourgeoisie rationnelle et explicatrice du monde. Ainsi, quand l’enfant demande à sa mère pourquoi il doit apprendre le piano, Anne ne trouve d’explication qu’en ayant recours aux modalités du sublime, qui ravit le logos dans l’incommensurabilité de l’émotion, par-delà toute modération :

  • 55 MC, p. 14-15.

— Il le faut, continua Anne Desbaresdes, il le faut. […]
— Pourquoi ? demanda l’enfant.
— La musique, mon amour55

  • 56 MC, p. 121.

Le caractère essentiel de la musique excède forcément l’intellection ; comme le mobile du crime, « ce n’est pas la peine d’essayer de comprendre. On ne peut pas comprendre à ce point. »56

  • 57 MC, p. 109.

13De même que le vin goulûment bu restituait la symbolique mortifère du crime, la musique se charge d’unir les amants en une écoute partagée, au sein de laquelle l’expérience de dépossession de soi que procure la sonatine accomplit la transgression. La musique recueille le désir errant des amants clandestins et leur permet de communier dans la distance, via une même ritournelle gardée en mémoire qui hante leurs pensées et taraude leurs sens : « Sur la grève, l’homme siffle une chanson entendue dans l’après-midi dans un café du port. […] Une chanson lui revient, entendue dans l’après-midi dans un café du port, qu’elle ne peut pas chanter. »57 Devant l’achoppement du langage, la musique prend le relais de la communication, non pas dans le but de substituer à la déclaration amoureuse le transport sans paroles des sentiments par l’entremise du sonore, en accord avec la conception rousseauiste de la musique que reconduiront les romantiques français, qui y voyaient un vecteur privilégié vers le cœur ; plutôt comme le ressort d’une déportation du sens en-dehors des signifiants pour se disperser aux confins du monde sensible.

  • 58 MC, p. 111.
  • 59 VM, p. 25.
  • 60 MC, p. 101.

14L’insistance avec laquelle le texte, par le biais de Chauvin, revient sur la fleur de magnolia dont Anne avait autrefois garni son corsage illustre le procès de cette déviation du sens. Du fait de sa démesure, le désir verrouille le langage et ricoche sur ce dernier, inapte à le prendre en charge, pour se poser sur des relais de substitution qui en recueillent la violence. Le bijou de fortune, par-delà le poncif éculé de la floraison-défloraison, supplée dès lors au signifiant dans l’opération sémiotique, il unit les effets du désir – le signifié – aux qualités florales qu’il conserve. Rechargé de passion, le magnolia exténue les corps comme s’il faisait advenir la rencontre sexuelle ; son odeur est si forte qu’elle en devient intoxicante. Au moment du dîner mondain où, à l’avant-dernier chapitre, elle arrive ivre et en retard, Anne arbore à son buste la fleur souveraine, dont l’intensité du parfum déclenche en cascade un ensemble de réactions somatiques : les gémissements, la lourdeur étonnante de « cette fleur si lourde » entre ses « seins si lourds », le feu consumant intérieurement « son ventre de sorcière »58, la brisure de ses reins, autant de symptômes qui font état de l’accomplissement de la jouissance sexuelle via le charroi d’une même odeur absorbée en partage malgré la distance physique entre les protagonistes – d’une condition sociale inférieure, Chauvin ne participe pas directement aux festivités, mais erre à proximité de la maison Desbaresdes. Épousant les oscillations du parfum, dont les exhalaisons vont et viennent du jardin au salon par les fenêtres ouvertes, la narration fait advenir la rencontre sexuelle au miroir de la métaphore sans que les corps ne se touchent, mais par une intermittence entre les deux focalisations qui vient à brouiller la distance diégétique. Sous l’effet de l’excès de vin, et de la tension sexuelle par lui exacerbée, l’espace se courbe, draine à lui l’intériorité des personnages et libère les affects, qui s’éprouvent alors à l’extérieur de soi, « jusqu’à […] la perte de l’identité »59 – dépersonnalisation que couronne l’abandon des prénoms par la narration au profit de désignatifs universels : « Un homme rôde, boulevard de la Mer. Une femme le sait. »60 Les puissances de l’ivresse vont jusque-là, jusqu’à la déroute du sens et la mise en errance de l’identité.

L’« extraordinaire induration du présent »

  • 61 Il oublie « trop souvent » le « [s]i bémol à la clef » (MC, p. 16), comme le lui rappelle sa profes (...)
  • 62 MC, p. 80.
  • 63 MC, p. 82.
  • 64 MC, p. 33.
  • 65 Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1969, p. 186-187.
  • 66 Ibid., p. 188.

15Les dérèglements spatiaux provoqués par l’ivresse ont également une contrepartie temporelle : la temporalité réglée des horloges à laquelle obéit a priori la structure du récit se dilate sous l’effet des stupéfiants, alcooliques ou musicaux. À revers des convictions de l’antipathique professeure, pour qui la musique est scrupuleusement subordonnée à la régularité métrique, le jeu pianistique de l’enfant, assoupli par les maladresses harmoniques61, précipite le déroulement des heures, hâtant à son insu la déroute de sa mère conduite par la sonatine jusqu’aux « portes de l’enfer »62 : « À mesure qu’elle s’échafaudait, sensiblement la lumière du jour diminua. […] Dans dix minutes, en effet, s’évanouirait tout à fait de l’instant toute couleur du jour. L’enfant termina sa tâche pour la troisième fois. »63 Or si la musique accélère le déroulé du temps, l’alcool entretient au contraire l’illusion d’un présent inachevable, qui se prolonge au rythme des carafes réclamées, vidées puis remplies à nouveau. La répétition du geste, qui constitue le tropisme de l’alcoolique, irréalise l’écoulement des heures pourtant lourdement souligné par le récit qui accumule les marqueurs temporels. Ces derniers, qui reviennent d’un chapitre à l’autre, abondent néanmoins dans le sens d’une perpétuité, du fait de leur réitération, comme si chaque jour devait être vécu conformément au précédent. Le déclin du soleil à l’horizon, le passage des heures scandé à intervalles réguliers – « Six heures déjà, annonça la patronne »64 –, le retentissement de la sirène de l’usine, annonçant la fin de la journée de travail, le constat de l’heure tardive et le pressentiment qu’il faudra bientôt rentrer sont autant d’éléments oblitérés par le présent stagnant de l’alcool, relégués dans ce que Gilles Deleuze appelle le « passé sobre » démoli par « l’induration du présent »65 alcoolique. En marge, ou en dépit du temps social, l’ivresse ouvre sa durée propre, celle d’un présent dilatatoire et pourtant rigide, qui épouse son rythme spécifique, fondé sur la logique de l’identique et sur l’imminence du prochain verre. Tanguant entre ce présent répétitif de la compulsion alcoolique et le passé de la sublimation du couple liminaire, qui se transmue peu à peu en futur antérieur, hypothétique et impossible, Anne et Chauvin boivent pour colmater la fêlure, afin que se confondent l’affabulation autour du meurtre et la récidive de l’événement, et que le « processus concerté de démolition »66 puisse se transformer en puissance créatrice.

  • 67 MC, p. 25.
  • 68 MC, p. 50.
  • 69 MC, p. 57.
  • 70 MC, p. 121.

16Cette grammaire existentielle trouve son pendant scripturaire dans les temps verbaux qui modalisent le récit, dont l’instabilité d’un chapitre à l’autre évoque la déréalisation temporelle typique de l’expérience alcoolique. Principalement narré au passé simple, le roman réserve une modulation au présent de l’indicatif, puis une seconde au futur simple lors du septième chapitre, qui coïncide avec l’intensité maximale de l’ivresse, confirmant la proposition deleuzienne énoncée ci-haut. Doit-on également y voir là une homologie avec la bécarrisation accidentelle commise par l’enfant sur le si, qui occupe précisément le septième rang dans la gamme ? Ces déviations grammaticales ponctuelles gagnent la syntaxe de la phrase durassienne, qui se disloque à son tour. Des maladresses stylistiques volontaires estampillent le texte, en déséquilibrent l’apparente simplicité. L’écriture est syncopée, le rythme boiteux en quelque sorte, comme si le piétinement de l’ivrogne, sa démarche cahotante, infléchissaient la prose. Les parataxes abondantes, les anacoluthes inquiètent le texte de telle manière qu’elles en viennent parfois à rendre la phrase agrammaticale. Un chapitre s’ouvrira par exemple sur une subordonnée donnée comme phrase complète : « Le lendemain, alors que toutes les usines fumaient encore à l’autre bout de la ville, à l’heure déjà dépassée où chaque vendredi ils allaient dans ce quartier. »67 Le « il » impersonnel de la météo, de plus, est fréquemment remplacé par un démonstratif, ce qui donne des formules telles que : « Voyez comme c’est tard »68. À l’intérieur des phrases, les segments empiètent les uns sur les autres, des compléments de phrase rompent à l’improviste la cadence adoptée, comme si la syntaxe butait contre un obstacle invisible, trébuchait sur son propre rythme, par exemple, cette phrase dont la conduite alambiquée semble s’égarer d’elle-même dans la dispersion de la focalisation : « Il joua à faire tourner son verre dans sa main afin de lui faciliter les choses, de lui laisser l’aise, comme il crut comprendre qu’elle le désirait, de le regarder mieux. »69 Ailleurs, les verbes manquent par endroits, et le martèlement des présentatifs – le pronom neutre « ça » – donne l’impression d’un vocabulaire en défaut ou, mieux, d’une élocution altérée, rendue lente et imprécise dû à l’intoxication. Certes ponctuelles, quoique nombreuses, ces entorses produisent un tremblement à l’échelle du texte, y déposent des points de vacillement où le sens résiste à l’entendement du lecteur et confine à l’embarras de la réflexion alcoolique. Et voilà que nous sommes portés, à notre tour, par cette perspective hallucinatoire qui, paradoxalement, nous ramène au plus près des choses, au ras du sensible, à accepter que, nous non plus, « ne p[ouvons] pas comprendre à ce point. »70

  • 71 VM, p. 23.
  • 72 C’est dans la vingt-deuxième série de Logique du sens que Deleuze, partant d’une nouvelle de l’écri (...)

17Ce serait ainsi une manière alternative d’être au monde que donnerait à saisir le roman, dont l’ivresse fournirait le modèle : parce qu’elle « obscurcit l’intelligence [et] la repose »71, l’ivresse libérerait la sensibilité, saisie hors subjectivité, dans une forme de déshabitation de soi, et ouvrirait le sens à ses puissances de déambulation. À l’issue du roman, rien n’aura donc eu lieu, le fantasme, qui ne cesse de se ravitailler dans une inflation du sensible, est maintenu comme tel ; l’alcool et la musique auront été des lignes de fuite entravées, les détonateurs d’une fêlure, pour reprendre le motif qu’investit Deleuze chez Fitzgerald72, par lesquels affleurent à la surface des corps les processus de démolition souterraine sans que ne se rompe tout à fait l’équilibre.

18L’alcool et la musique perturbent ainsi la conduite du sens, qu’ils déportent, excèdent et pluralisent, invitant à arraisonner l’inintelligibilité au moyen des sens. À l’hyperesthésie des personnages, automates à fleur de peau qui vibrent dans le désordre – et le désastre – des significations rationnelles et univoques, répond la prise en charge du sensible par la prose, par cette chair du langage dont parlent les phénoménologues, chair du langage qui exprime les dérèglements d’un réel devant lequel les modalités contradictoires de l’ivresse constitueraient peut-être, in fine, la seule éthique valable.

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Bibliographie

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DURAS, Marguerite, Entretien radiophonique avec Laure Adler, « Les nuits magnétiques – Les gens tout de même », diffusé sur France Culture le 2 juin 1987, consulté le 28 janvier 2022, URL : https://www.franceculture.fr/litterature/marguerite-duras.

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SEVE, Bernard, L’Altération musique, ou ce que la musique apprend au philosophe, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 2002.

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Notes

1 Marguerite Duras, La Vie matérielle [1991], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1994, p. 22. Dans la suite de l’article, les renvois à cette édition seront indiqués par la mention VM suivie du numéro de page.

2 VM, p. 23.

3 Empruntée à la terminologie derridienne, la « restance » renvoie au phénomène selon lequel, dans une répétition, quelque chose échappe toujours et, renvoyant à une origine en défaut d’incarnation comme de conceptualisation, maintient ouverte la possibilité de la réitération.

4 VM, p. 23.

5 Marguerite Duras, Écrire, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1993, p. 53.

6 Ibid., p. 52.

7 Yann Andréa, M. D. [1983], Paris, Éditions de Minuit, coll. « Double », 2006, p. 14.

8 VM, p. 23.

9 VM, p. 23.

10 VM, p. 23.

11 Entretien radiophonique avec Laure Adler, « Les nuits magnétiques – Les gens tout de même », diffusé sur France Culture le 2 juin 1987, consulté le 28 janvier 2022, URL : https://www.franceculture.fr/litterature/marguerite-duras.

12 VM, p. 21.

13 Marguerite Duras, Écrire, op. cit., p. 71.

14 Maurice Blanchot, « Parler ce n’est pas voir », in L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 37.

15 Illustrée dans La Carte postale, la notion de destinerrance, qui conjoint l’action de destiner à l’effet d’errance, est définie par Jacques Derrida comme le phénomène selon lequel une lettre (à entendre au sens le plus englobant d’écrit) peut toujours ne pas arriver à destination, peut toujours dévier le cours de sa trajectoire et parvenir tout autrement à son récepteur. En clair, le sens est toujours en déport, nonobstant l’intention de l’émetteur qui n’a plus aucune existence opératoire une fois le message expédié. Cf., entre autres, Jacques Derrida, La Carte postale. De Socrate à Freud et au-delà, Paris, Flammarion, coll. « La philosophie en effet », 1980.

16 VM, p. 27.

17 Marguerite Duras, Moderato cantabile [1958], Paris, Éditions de Minuit, coll. « Double », 1980. Dans la suite de l’article, les renvois à cette édition seront indiqués par la mention MC suivie du numéro de page.

18 MC, p. 34.

19 Évelyne Grossman souligne à juste titre que l’« [o]n ressent dehors chez Duras. On éprouve à l’extérieur de soi. » (Éloge de l’hypersensible, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Paradoxe », 2017, p. 97.)

20 À plusieurs reprises, le texte souligne une forme d’affaiblissement de la vue d’Anne Desbaresdes en relation avec la consommation de vin, par exemple : « comme elle voyait mal au loin, à cause de son ivresse » (MC, p. 69) ou encore : « Anne Desbaresdes de nouveau but du vin, le trouva fort. Ses yeux en furent embués alors qu’elle souriait. » (MC, p. 92)

21 Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1964, p. 48-49.

22 Friedrich Nietzsche, La Naissance de la tragédie, in Œuvres, éd. préparée par Jean Lacoste et Jacques Le Rider, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993 [1872], p. 38.

23 MC, p. 94.

24 MC, p. 37.

25 MC, p. 62, 57 et 94.

26 MC, p. 30.

27 MC, p. 60.

28 MC, p. 48.

29 Symbole par excellence de la transgression des liens du mariage, le vin absorbé par les amants rappelle le philtre magique partagé par Tristan et Iseult, à l’origine de leur désobéissance et pareillement versé par une tierce personne, la patronne du café tenant lieu de Brangien moderne, à la fois complice et désapprobatrice des amours clandestines.

30 MC, p. 94.

31 MC, p. 111.

32 MC, p. 21, pour les deux citations.

33 MC, p. 59.

34 Jean-Luc Nancy, Ivresse, Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. « Bibliothèque Rivages », 2013, p. 25.

35 Ibid.

36 MC, p. 56.

37 Jean-Luc Nancy, Ivresse, op. cit., p. 28.

38 MC, p. 109.

39 Roland Barthes, Mythologies [1957], Paris, Éditions du Seuil, 2010, p. 74.

40 MC, p. 114.

41 MC, p. 118.

42 MC, p. 126.

43 MC, p. 125.

44 MC, p. 120.

45 VM, p. 23.

46 MC, p. 81.

47 MC, p. 81.

48 MC, p. 82.

49 Bernard Sève, L’Altération musique, ou ce que la musique apprend au philosophe, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 2002, p. 146.

50 MC, p. 90.

51 MC, p. 50.

52 MC, p. 82.

53 MC, p. 80.

54 MC, p. 80.

55 MC, p. 14-15.

56 MC, p. 121.

57 MC, p. 109.

58 MC, p. 111.

59 VM, p. 25.

60 MC, p. 101.

61 Il oublie « trop souvent » le « [s]i bémol à la clef » (MC, p. 16), comme le lui rappelle sa professeure.

62 MC, p. 80.

63 MC, p. 82.

64 MC, p. 33.

65 Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1969, p. 186-187.

66 Ibid., p. 188.

67 MC, p. 25.

68 MC, p. 50.

69 MC, p. 57.

70 MC, p. 121.

71 VM, p. 23.

72 C’est dans la vingt-deuxième série de Logique du sens que Deleuze, partant d’une nouvelle de l’écrivain américain F. Scott Fitzgerald (The Crack-Up, 1945) et du motif de la « fêlure » qui lui donne son titre, pense l’expérience alcoolique comme une manière d’entretenir les interférences entre la dureté du réel étrangement tenu à distance et la douceur du souvenir devenant pour ainsi dire simultané, à portée de main – ou à portée de verre (Gilles Deleuze, Logique du sens, op. cit., p. 180-189).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Isabelle Perreault, « Les errances du vin : ivresse, musique et signifiance dans Moderato cantabile de Marguerite Duras (1958) »TRANS- [En ligne], Journées d'études, mis en ligne le 19 novembre 2024, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/7624 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.7624

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