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2021
Hors la loi (deuxième année)

De l’épopée, genre surcodifié, au roman, genre lawless : normes et généricité dans l’écriture du commentaire

From the overcodified epic to the lawless novel: norms and genericity in the commentary
De la épica, género sobrecodificado, a la novela, género sin ley: normas y genericidad en la escritura del comentario
Maéva Boris

Résumés

Si la poétique se donne comme principe d’établir les lois qui régissent et organisent le système des genres, le discours critique, quant à lui, s’appuie sur ces lois, autant qu’il les réfute, pour construire l’irréductible singularité de son objet. La critique telle qu’on la conçoit depuis le romantisme se donne en effet comme principe de montrer ce qui, dans le texte commenté, échappe aux règles et aux attentes et, par là même, constitue sa valeur. Selon cette logique, le rapport entre un texte et son genre relève principalement de la transgression : en outrepassant la nomenclature des genres, l’œuvre commentée devient, en même temps qu’elle acquiert sa dignité littéraire, un objet hors la loi. On se propose d’étudier ici les mécanismes inhérents au discours critique qui permettent de construire cet objet littéraire « hors classe » : ses ressources rhétoriques, ses présupposés logiques et ses répercussions théoriques. Nous partons du principe que le discours critique n’est à même de construire la « légalité » ou l’« illégalité » de son objet qu’à partir d’un discours normatif extérieur à lui-même qu’il réemploie à ses propres fins. Dans une approche métacritique, on cherchera à comprendre non pas ce que la littérature dit de l’illégalité en tant que motif, mais ce que cette notion a à nous dire de la littérature et, surtout, de nos modes de lecture.

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Texte intégral

1Cette réflexion se fonde sur l’étude comparée de deux genres littéraires qu’il a souvent été d’usage de corréler ou d’opposer dans la tradition critique. Le présupposé – toujours le même, au point de constituer une véritable doxa générique – est celui d’une épopée moribonde bardée de normes et d’un roman vivifié par son absence de normes.

  • 1 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique, t. II, trad. Charles Bénard complétée par B. Timmermans (...)
  • 2 Georg Lukács, La Théorie du roman, trad. Jean Clairevoye, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1989. Vo (...)
  • 3 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, trad. Daria Olivier, Paris, Gallimard, coll. « Te (...)

2L’épopée et le roman constituent en effet un couple structurel particulièrement prolifique en théorie des genres, l’un étant toujours le pendant esthétique de l’autre. Qu’il s’agisse de l’Esthétique1 d’Hegel, de la Théorie du roman2 de Lukács, ou de l’ouvrage de Bakhtine, Théorie et esthétique du roman3, ces sommes polarisent systématiquement nos deux genres autour d’oppositions : passé et présent, fixité et dynamisme, noblesse et roture, origines et modernité, ou encore régularité et irrégularité. Ces façons de caractériser nos genres – leur contenu thématique, leur histoire, leur esthétique, leur littérarité –, et de creuser leur écart, constituent autant de manières de réinvestir la question des normes selon des modalités qu’on tâchera de définir ici.

  • 4 Nous tirons principalement nos exemples d’un ouvrage pris comme cas d’étude lors de la séance de sé (...)

3Pour ce faire, on s’intéressera à un échantillon de commentaires4 mobilisant ces catégories. On tâchera de voir de quelle façon ces discours critiques véhiculent un savoir générique sur l’épopée et le roman pour s’y référer comme horizon régulateur : que le texte commenté confirme la règle, la contredise, y échappe ou encore la modifie, ces situations de discours constituent autant de cas de figure où il s’agira de comprendre ce que l’écriture critique peut faire de la normativité d’un genre.

4On étudiera le statut des normes génériques dans le commentaire selon deux aspects. L’un est rhétorique, dans le sens où il concerne l’écriture du commentaire, c’est-à-dire les choix discursifs opérés par les critiques. L’autre aspect concerne davantage la logique sous-jacente à ces choix discursifs, c’est-à-dire les présupposés logiques qui déterminent, en amont de l’écriture, cet usage de la norme. En définitive, ces deux aspects se résument en deux questions : lorsque l’on confronte un texte à un genre, de quelle façon se réfère-t-on à une norme ? Et comment l’énonce-t-on ?

La norme comme convention 

  • 5 Daniel Madelénat, L’Épopée, Paris, PUF, 1986, p. 19 : « Voies large et étroite : le continuum narra (...)
  • 6 André Gide, Les faux-monnayeurs, Paris, Gallimard, 1925, p. 182-183 : « Est-ce parce que, de tous l (...)

5« Surcodifié » – qu’on emprunte à l’essai de Daniel Madelénat sur l’épopée5 – et « lawless » – qu’on emprunte cette fois au roman de Gide, Les Faux-monnayeurs6 – sont des expressions parmi d’autres, bien nombreuses, pour désigner une tradition critique ancrée de longue date. On choisit de faire de ces termes les emblèmes des deux métadiscours qui nous intéressent ici dans la mesure où leur caractère emphatique rendra la polarité épopée/roman d’autant plus observable. Ainsi le genre surcodifié et le genre lawless constituent-ils les deux modèles de normativité dont on va analyser les articulations logiques : qu’est-ce qu’un genre surcodifié ? comment un genre pourrait-il être lawless ?

6Ce couple d’expressions suppose tout d’abord de penser la normativité d’un genre de façon relative et non pas absolue. Si l’on parle, en effet, de genre surcodifié ou de genre lawless, on suppose que la normativité qui leur est propre est gradable, d’un extrême à l’autre, et qu’on peut situer cette normativité dans un spectre. Il n’y aurait alors rien de redondant à dire qu’il y a des genres plus prescriptifs que d’autres : un genre a beau être une catégorie normative par principe, il peut être, pour autant, plus ou moins normé, selon des modalités qu’il faut alors qualifier et quantifier. Existe-t-il, cependant, des critères objectifs qui permettent de déterminer le taux de normativité d’un genre, et de mesurer, ce faisant, l’écart démesuré qui sépare l’épopée du roman ?

  • 7 Jean-Marie Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1989.

7À première vue, si l’on s’en tient au fonctionnement de n’importe quelle catégorie générique, la réponse est oui. L’analyse logico-discursive de Jean-Marie Schaeffer7 montre bien que les façons dont se présente la normativité d’un genre sont multiples, de sorte qu’il est possible qu’un genre paraisse plus ou moins normé selon son mode de fonctionnement. On conçoit par exemple qu’un sonnet obéisse de façon particulièrement contraignante à des règles (sans quoi – à une rime, un vers ou un tercet près – on n’écrit plus un sonnet), en comparaison avec la comédie, genre auquel on attribue des principes en apparence moins catégoriques et contraignants, liés davantage aux habitudes et au poids de traditions antérieures.

  • 8 Schaeffer propose en effet de répartir les genres selon trois régimes de généricité, en fonction de (...)

8À partir de cette différence, Schaeffer distingue dans Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? deux modes de normativité : il y a, parmi les normes génériques, les conventions régulatrices d’un côté (cas du sonnet), que l’on perçoit comme des prescriptions – autrement dit des règles –, et, de l’autre, les conventions traditionnelles (cas de la comédie), fondées sur des ressemblances et des filiations littéraires, c’est-à-dire des modèles intertextuels. La définition d’un genre tel que le sonnet est prescriptive, et tout écart par rapport à cette définition constitue une violation. Tandis que la définition de la comédie, quant à elle, est descriptive : tout écart constitue davantage une transformation ou une variation, c’est-à-dire que l’on ne « brise » pas une règle quand on s’écarte des normes en vigueur, mais que l’on modifie des pratiques collectives. C’est cette répartition entre deux types de conventions, enfin, qui détermine l’articulation des trois régimes de généricité que Schaeffer propose dans son essai8 : le régime de la règle, le régime analogique et le régime généalogique.

9Parler de conventions permet à Schaeffer de relativiser l’apparente uniformité de ce que l’on appelle indifféremment « normes » ou « règles », quand la logique des principes qu’on édicte sous l’autorité d’un genre n’est visiblement pas toujours similaire : on ne norme pas un genre de la même façon, pour les mêmes raisons, selon la même logique.

10Face à cette confusion, on peut procéder à un test d’appartenance générique dans le but d’identifier ce qui relève de conventions régulatrices ou traditionnelles : le critère consiste à voir dans quelle mesure un texte conserve ou non son identité générique s’il transgresse une norme. Dans le cas du régime de la règle, contrevenir à une convention régulatrice exclut le texte en question du genre : on n’écrit plus un sonnet, mais autre chose, par exemple une ballade. Étant donné qu’on ne peut admettre de modulation sans que la définition du genre soit compromise, le patron générique du sonnet est fermé. Dans le second cas, la transgression d’une convention traditionnelle n’occasionne pas d’exclusion du genre : le patron générique est ouvert, puisqu’il est modifiable à l’envi, d’un texte à l’autre.

11Cette différence dans la relation texte/genre peut susciter l’impression que les conventions traditionnelles sont moins prescriptives, en tout cas moins autoritaires, que les conventions régulatrices : l’appartenance générique d’un texte n’y est pas aussi rigide. Puisque tout est une question d’usages et d’interprétation, dans le cas de la normativité traditionnelle, tout se passe alors comme si les genres analogiques et généalogiques étaient a priori moins normés. La transgression d’une convention traditionnelle n’est en effet pas aussi facilement perceptible que la violation d’une convention régulatrice : le fait de transgresser ou non une tradition donnée dépend autant de l’interprétation collective d’une communauté que le fait de la percevoir en premier lieu.

12Face à cela, le régime régulateur donne l’illusion d’être plus normé que les deux autres, ou même d’être simplement normé, quand les deux autres ne le seraient pas. Une convention régulatrice existe, dans une large mesure, indépendamment des discours interprétatifs qui discutent des conventions : on ne peut qu’appliquer une règle ou ne pas l’appliquer, écrire un sonnet ou écrire autre chose.

  • 9 Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 159.
  • 10 Gérard Genette, Figures V, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2002, p. 61.

13Cependant, la différence entre ces deux régimes normatifs ne tient pas tant au degré ou à la quantité de normes qu’à leur qualité : plutôt que de normer « plus » ou « moins », ces régimes norment de façons différentes ; tout en suscitant l’impression, néanmoins, que le degré de contrainte n’est pas le même. En réalité, la convention régulatrice ne contraint pas plus, elle le fait seulement de manière plus visible : c’est-à-dire de façon immédiate et explicite, en amont de l’écriture (elles « prescrivent des activité futures9 », écrit Schaeffer). Ce mode de normativité n’est pas aussi dogmatique qu’il y paraît, dans la mesure où il engage une conception avant tout contractuelle de la norme. L’apparence dogmatique du régime de la règle est aussi trompeuse que celle que l’on impute à l’esthétique classique, et que Genette décrit en ces termes pour en montrer le relativisme heuristique : « son mode caractéristique de prescription […] n’est pas : “Faites ceci, ne faites pas cela”, mais : “Dans telle situation, faites ceci qui lui convient, et ne faites pas cela, qui ne convient qu’à telle autre”10 ».

14À l’opposé, le régime traditionnel exerce une contrainte davantage souterraine. Les normes s’établissent a posteriori, à partir d’un corpus d’œuvres dont les propriétés empiriques déterminent la nomenclature du genre. La façon dont les normes exercent un pouvoir de contraintes est donc tacite : la régulation se fait par le truchement des discours critiques et théoriques véhiculant les lieux communs partagés. Encore faut-il, cependant, percevoir les codes intertextuels qui régissent ces conventions. Rien n’empêche, de ce fait, qu’un tel mode de normativité ne devienne particulièrement autoritaire, faute de régulation imposée de l’extérieur.

15À l’ouverture de cette réflexion, on a donc fait le partage entre deux modes de normativité impliquant chacun leurs propres présupposés : aussi bien sur le statut de la norme (principe abstrait/modèle empirique) que ses modalités d’application (a priori/a posteriori).

La règle, le modèle 

16Il faut se demander à présent comment situer nos deux genres, l’épopée et le roman, parmi ces deux modes normatifs.

  • 11 Roland Barthes, « Littérature objective », Critique, vol. X, n°86-87, 1954, p. 581-591.
  • 12 Voir Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 172.

17De toute évidence, le roman fonctionne selon un mode de régulation traditionnel, ce que la doxa sur le roman lawless, nous y reviendrons, conforte largement. Tout écart par rapport à une norme romanesque en vigueur (la référentialité du réalisme balzacien) se conçoit comme une modulation de ce principe de départ (l’objectivité11 du Nouveau Roman contre cette référentialité jugée illusoire). Ainsi, un roman de Robbe-Grillet ou de Simon reste un roman, malgré (et grâce à) l’antécédence de Balzac. Tout réagencement des normes romanesques constitue alors une nouvelle branche de l’arborescence du genre : le roman est ainsi démultipliable à l’infini en autant de sous-genres qu’il peut exister de thèmes et de traditions à transformer (roman courtois, sentimental, historique, classique, policier, fantasy…). Ce fonctionnement est emblématique de la généricité analogique12.

  • 13 Mikhaïl Bakhtine, op. cit., p. 441.
  • 14 Georg Lukács, op. cit., voir le premier chapitre, « Les civilisation closes », p. 19-30.
  • 15 Georg Lukács, ibid., p. 26.
  • 16 « Je ne sais si je dois revenir sur la question de l’épopée en prose » in Chateaubriand, Les Martyr (...)

18Forme « achevée », « sclérosée », à « l’ossature calcifiée » et « raidie13 » selon Bakhtine, genre prototypique des « civilisations closes14 », parmi les « les grandes formes […] intemporellement exemplaires15 », selon Lukács, autant de formules topiques qui font de l’épopée le genre emblématique de la normativité, et que l’on associerait volontiers, par conséquent, au régime de la règle. Contre toute attente, cependant, les conventions de l’épopée sont également traditionnelles, de sorte que tout se passe comme si les principales propriétés du genre (récit, en vers, de hauts faits héroïques) constituaient un ensemble de règles fixes non modulables, à l’image des conventions régulatrices. Or, ces règles sont précisément amendables. Le caractère poétique de l’épopée – dans ses origines homériques (hexamètre dactylique) et ses continuités classiques (décasyllabe et octosyllabe) – n’en fait pas pour autant une de ces « formes fixes » qu’on conçoit volontiers comme les parangons de la généricité régulatrice : il suffit de penser aux Martyrs, épopée écrite en prose. Il a cependant fallu que Chateaubriand revienne sur la spécificité de la prose dans son Examen16, preuve qu’un écart transgressif a bien été senti, mais qu’il n’était pas, puisqu’il était possible, une violation annulant l’identité générique des Martyrs. Les autres normes génériques propres à l’épopée ne sont pas davantage des conventions régulatrices : qu’une épopée évoque occasionnellement des questions d’amour plutôt que de guerre déstabilisera les interprètes (à l’image de l’épisode de l’Île des Amours dans les Lusiades, ou, dans Les Martyrs, l’histoire de Velléda) et fera couler de l’encre, mais l’anomalie thématique ne modifiera en rien l’identité générique de ces textes.

19De l’épopée et du roman, donc, aucun n’appartient au régime de la règle, notamment car ce régime est en réalité sous-représenté dans le paysage de la généricité : mis à part les formes fixes – et encore, elles sont plus modulables qu’on ne le croit – il n’existe pas de genre intégralement déterminé par des conventions régulatrices. Le mode de régulation le plus courant en littérature est, par la force des choses, analogique et généalogique : existe-t-il, en effet, des rapprochements génériques qui ne soient pas, tout ou partie, intertextuels ?

20Si la distinction entre un mode de normativité purement régulateur (la règle) et un autre purement traditionnel (le modèle intertextuel : analogie ou généalogie) est utile sur le plan heuristique, on constate qu’elle est inopérante face à la réalité du discours critique : dans son usage des normes, en effet, les frontières qui séparent ces différentes logiques normatives sont constamment brouillées. On le voit dans le fait qu’il est particulièrement difficile de distinguer, dans un commentaire, ce qui relève de la prescription a priori d’un principe d’écriture ou de la description a posteriori d’une régularité observée par analogie. Le plus souvent, les deux raisonnements se superposent ou alternent sans que l’on puisse savoir ce qui fonde et justifie le fait de se référer à un genre.

21Prenons l’exemple de la monographie de Cleonice Berardinelli sur les Lusiades. Son propos reprend d’abord une logique du modèle où il s’agit d’inscrire le texte commenté dans la lignée généalogique de l’épopée homérique et virgilienne :

  • 17 Cleonice Berardinelli, Estudos Camonianos, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 2000, p. 35. « Le genre (...)

O género épico remonta à antiguidade grega e latina, sendo os seus expoentes máximos, na Antiguidade, Homero e Virgílio17.

22Dans ce cas, c’est le modèle antique postulé en début d’analyse qui constitue alors l’horizon régulateur : Camões, en écrivant une épopée, confortera-t-il ou modifiera-t-il le modèle générique de départ ? Plus tard, cependant, quand la commentatrice s’intéresse de façon plus précise à la question du début in medias res, son propos joue d’une ambivalence entre normativité régulatrice et normativité traditionnelle :

  • 18 Cleonice Berardinelli, op. cit., p. 43 : « La narration commence par le truchement d’un premier nar (...)

A Narração se inicia, pela boca de um primeiro Narrador, e também segundo os moldes clássicos, in medias res […].
Obedecendo às regras, irá iniciar sua narrativa
in medias res, com a viagem – seu fio condutor – avançada, bem próxima de Melinde, onde o herói terá de narrar os antecedentes da sua aventura18.

23Dans sa formulation, le principe du début in medias res constitue aussi bien une règle de composition apriorique (« obedecendo às regras ») qu’une tradition issue de ce que la critique appelle les « modèles classiques » (« moldes clássicos »). Si la nature de la norme « toute épopée débute in medias res » est indécidable, c’est avant tout parce que les normes ne sont pas, en soi, et de façon exclusive, ou bien des règles abstraites ou bien des conventions tirées de la pratique. En réalité, tout dépend des motivations rhétoriques qui incitent les commentateurs et commentatrices à choisir une formulation plutôt qu’une autre.

24En ce sens, la différence entre le modèle et la règle tient davantage à la décision des critiques et aux choix de présenter la norme par le prisme des théories prescriptives ou par celui de la tradition intertextuelle. Il existe ainsi des contextes d’écriture qui font d’une norme une convention traditionnelle – il suffit par exemple qu’un commentaire cite une œuvre en particulier pour incarner la règle dans un modèle – et d’autres qui en font une convention régulatrice – un commentaire prenant la forme d’une énumération, comme dans l’exemple qui suit, suscitera davantage l’effet d’une généricité régulatrice :

  • 19 Amelia Pinto Pais, Para compreender os Lusiadas, Coimbra, Edition Centelha, coll. « Educação, temas (...)

Como era de regra nos poemas épicos, a narração da viagem vai iniciar-se « in medias res », isto é, já a meio do seu curso. À introdução da Mitologia, do maravilhoso pagão, era, como vimos já, própria do género épico. […] Sintetizando, […], a função da mitologia neste Poema é a seguinte : constituir uma parte importante do maravilhoso inerente aos poemas épicos em geral ; obedecendo, pois, a uma regra do género19.

25Il s’agit bien d’un effet de normativité, et non d’une réalité car, même ici, la différence entre la liste de règles et la liste de propriétés analogiques (« pròpria ») est encore une fois assez floue.

26Si la distinction modèle/règle participe largement d’une stratégie décisionnelle, on peut, bien entendu, décider de ne pas choisir entre l’une ou l’autre formulation, à l’image de ce que fait Chateaubriand dans son Examen. Dans ce commentaire que l’auteur fait de sa propre épopée, ce dernier justifie le choix, contesté par ses contemporains, d’avoir inventé les personnages de son récit :

  • 20 Chateaubriand, op. cit., p. 184.

Je me suis appuyé 1. De l’autorité d’Aristote, qui permet d’inventer les personnages et le sujet ; j’ai fait voir, 2. Que les personnages épiques doivent être regardés presque tous comme des créations du poète ; je vais ajouter l’autorité d’un grand exemple : le Renaud du Tasse est un personnage d’invention20.

27Le contexte polémique de cet auto-commentaire explique sans doute que Chateaubriand sature le champ des possibles discursifs : pour répondre aux reproches émis par la critique de son temps, la meilleure rhétorique, en effet, est encore celle de l’exhaustivité.

28En définitive, les régimes de normativité que l’on distinguait au départ ne désignent pas tant la logique inhérente à un genre, que les différents usages que l’on peut en avoir. Pour des raisons rhétoriques et pragmatiques, on se réfère à un genre tantôt comme un modèle (la norme sera une convention traditionnelle), tantôt comme une règle (la norme sera une convention régulatrice). Il y a, bien entendu, des genres plus faciles à commenter selon une rhétorique prescriptive : ceux qui, comme l’épopée, ont fait l’objet de nombreuses théorisations depuis Aristote, sur lequel s’appuie précisément Chateaubriand. Tout comme il y a, à l’inverse, des genres comme le roman pour qui le modèle traditionnel semble plus justifié, faute de théorisation suffisamment instituée à laquelle se référer. Mais il s’agit là de tendances discursives permises et facilitées par un contexte institutionnel, et non de logiques normatives propres à un genre.

29Il n’en demeure pas moins que le socle institutionnel de l’épopée, en comparaison à l’instabilité du roman, conforte l’idée que ces tendances découlent d’une différence de généricité. La doxa sur l’épopée et le roman, à ce titre, est telle que l’épopée devient non seulement le genre normé par excellence, mais également le genre à partir duquel on norme le roman : le roman, s’il n’est pas totalement lawless, est alors doté de normes qui ne sont pas les siennes. À quelques exceptions près, l’épopée aura le plus souvent tendance à constituer le modèle du roman : ainsi Les Lusiades constituent-elles l’horizon régulateur des romans portugais évoquant la navigation tels qu’As Naus de Lobo Antunes ou Viagem a Índia de Gonçalo M. Tavares. Si les raisons sont certes chronologiques (l’antécédence de l’épopée justifie son statut de modèle), la répartition des rôles entre un genre presque constamment régulateur et un autre, constamment irrégulier, tient également à la normativité qu’on impute intuitivement à ces deux genres et dont il faudrait précisément étudier le caractère intuitif.

  • 21 Hélène Frangoulis : Du roman à l’épopée, l’influence du roman grec sur les Dionysiaques de Nonnos d (...)

30Bien qu’elles soient moins courantes, les lectures comparées épopée/roman, instituant le roman (et non l’épopée) comme modèle normatif, peuvent exister, et contrecarrent cette intuition. Il faut cependant justifier cette inversion inhabituelle en postulant l’antécédence chronologique du roman sur l’épopée : la logique du modèle se pense toujours dans une évolution, d’un genre A à un genre B, ainsi qu’on le voit dans le titre même de l’étude d’Hélène Frangoulis dont le postulat est d’inverser la relation d’influence épopée/roman : Du roman à l’épopée, l’influence du roman grec sur les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis21.

31Le fait que, dans la logique du modèle, on pense la norme selon une relation d’antécédence chronologique (un texte écrit avant constituera la norme du suivant) explique que le passé paraisse toujours plus normé que le présent, et que l’épopée, en étant le modèle prototypique de toute littérature, finisse par être ce genre champion de la normativité. Ainsi, la doxa sur l’épopée surcodifiée et le roman lawless suppose en partie de chronologiser leur relation, ou du moins de tirer profit du brouillage permanent que l’on a pu constater entre ce qui, dans un commentaire, constitue tantôt une règle, tantôt un modèle, et, le plus souvent, les deux à la fois.

Respecter, transgresser

32On s’est demandé jusqu’ici s’il était possible qu’un genre respecte un nombre plus ou moins élevé de normes. Est-il possible, cependant, comme le genre lawless le laisse présager, qu’il n’en respecte aucune ? On interrogera ici la dimension déontique des énoncés normatifs quand ils se réfèrent à un genre. Pour comprendre ce que signifie « respecter une règle » dans un commentaire, deux cas de figure se présentent à nous : 1) le texte respecte la norme générique 2) le texte ne la respecte pas. Ces deux possibilités illustrent deux modes de commentaire qu’il est d’usage d’opposer diamétralement : l’un valorise la conformité aux normes génériques et relève d’une tradition dite « classique », tandis que le second, dit « romantique », se fonde sur la subversion des codes. On tâchera de confronter ces types de commentaire aux deux logiques génériques qui nous intéressent, le but étant de relativiser le caractère supposément conformant de l’une et supposément transgressif de l’autre : le genre lawless ne subvertit pas toujours les normes, de la même façon qu’un genre surcodifié n’implique pas toujours le respect de celles-ci.

33Le premier cas de figure (le texte respecte la norme générique) est en principe le plus intuitif : on peut supposer, en effet, que si l’on se réfère à une norme dans un commentaire, c’est bien pour confirmer et asseoir les interprétations qu’on prévoit de formuler, ainsi qu’on le voit dans cet exemple :

  • 22 Françoise Charpentier, « L’espace épique du Microcosme de Maurice Scève », in Gisèle Mathieu-Castel (...)

L’épopée est un genre narratif ; elle comporte un récit et des personnages, ou plutôt un ou des héros, hommes « remarquables », spoupadoï ; en outre, contrairement à la tragédie, elle n’est pas limitée dans le temps, aoristos tô chronô : telle est la définition minimale qu’en donne Aristote dans sa Poétique, que Scève n’ignorait peut-être pas. Quoi qu’il en soit, Microcosme répond à cette définition22.

34Le critique place ici son propos sous l’autorité d’un discours extérieur, celui d’Aristote, devenu le garant à partir duquel on est à même de dire la conformité générique du texte de Maurice Scève. La logique n’est pas différente quand il s’agit de faire l’inverse, et d’énoncer cette fois une transgression :

  • 23 Joseph Noumbissi Wambo, « Nya Thaddée et la mort ou la naissance de l’épopée dans le mangambeu du C (...)

Une épopée en Occident est un long poème empreint de merveilleux et racontant des aventures héroïques. Elle peint la vie d’un héros qui dépasse sa condition humaine pour réaliser des prouesses inattendues.
En Afrique, la transgression esthétique est marquée avec Thomas Mofolo. Son œuvre Chaka, une épopée bantoue n’est pas un long poème, mais un texte en prose. Pourtant, certains chercheurs lui ont reconnu un caractère épique, à l’exception notable de Lilyan Kesteloot et Bassirou Dieng qui pensent que ce texte est plutôt « une biographie romancée » de ce prince. Si des chercheurs en Afrique n’excluent l’œuvre de Thomas Mofolo du genre épique, il est clair que le continent a sa propre conception de l’épopée23.

35On retrouve ici un scénario à deux temps : d’abord l’énoncé d’une norme sous la forme d’un discours général, puis la confrontation du texte à celle-ci. La confrontation permet ici de vérifier l’originalité du texte, si bien que c’est la transgression esthétique – et non pas la conformité – que recherche ici le commentateur. De ce fait, l’impératif herméneutique selon lequel le texte est irréductiblement singulier rend le principe du respect d’une règle tout à fait ambivalent : il faut, pour situer la particularité du texte, que celui-ci transgresse les normes tout autant, voire plus, qu’il ne les respecte. La catégorie générale du genre littéraire devient un exhausteur de singularité.

36S’il est donc paradoxal de dire qu’un genre ne respecte aucune règle, le texte que l’on commente à l’aune d’un genre, quant à lui, brise presque toujours les règles. C’est du moins le cas quand l’enjeu, ouvertement axiologique, est de dire l’originalité du texte commenté. On peut dire dans ce cas que le genre devient lawless par métonymie, c’est-à-dire par le truchement des textes qui le composent. Cette logique métonymique s’essouffle cependant vite : comme toute lecture tend à faire du texte un objet lawless, il est alors impossible de déterminer quelle est la proportion de textes lawless nécessaire au sein d’une une classe, pour que celle-ci le devienne à son tour.

  • 24 Voltaire, La Henriade, poème par Voltaire, suivi de l'Essai sur la poésie épique. Nouvelle édition (...)

37Si n’importe quel texte, quand on le commente, déjoue les codes, pourquoi le roman serait-il dans ce cas plus lawless qu’un autre genre, et notamment plus que l’épopée ? Le fait que l’on commente un texte selon une rhétorique de la transgression ne dépend aucunement de l’identité générique du texte, mais plutôt des présupposés (classiques – valorisant la conformité générique – ou romantiques – privilégiant cette fois la transgression) que l’on a en amont de sa lecture. On peut donc parfaitement commenter l’épopée, aussi codifiée et déterminée soit-elle par des exigences de conformité, selon une logique de la transgression, ce que fait Voltaire quand il écrit que « Le Clovis de Desmarets, la Pucelle de Chapelain, ces poèmes fameux par leur ridicule, sont, à la honte des règles, conduits avec plus de régularité que l’Iliade »24. L’attente herméneutique est la même que celle du cas précédent, mais elle est cette fois déçue : ces épopées classiques, dans la réception mitigée qui fut la leur, ont transgressé une attente que le respect de n’importe quelle norme générique ne pourra jamais remplir, avoir du Génie.

38Ainsi, le commentaire, comme tout genre, a lui aussi ses propres normes, selon les traditions interprétatives qui s’imposent à lui. Dans la logique romantique qui régule nos exemples, la norme implicite qu’il faut remplir est celle de bafouer tous les codes. Mais alors, si le texte commenté enfreint toutes les règles, comme l’exige cet idéal antinormatif, néanmoins en respecte-t-il au moins une : celle de les avoir subverties. Les motivations herméneutiques du commentaire sont telles qu’il s’agit bien, en effet, de respecter tout aussi bien une règle qu’une absence de règle. De sorte que les possibles discursifs qui s’offrent aux critiques ne s’articulent pas seulement entre le respect et la transgression ; il faut encore les dédoubler :

Respect

Non-respect

Présence de normes

(1) Le texte respecte la règle / le modèle

(2) Le texte ne respecte pas la règle / le modèle

Absence de norme

(3) Le texte respecte l’absence de règle / l’absence de modèle

(4) Le texte ne respecte pas l’absence de règle / de modèle

39Ce tableau laisse entrevoir le caractère potentiellement autoritaire de l’idéal antinormatif (troisième et quatrième cases). L’absence de normes, elle aussi, se pense dans une articulation respect/transgression, si bien que le régime lawless se fonde sur une injonction paradoxale à la liberté : pour penser contre les genres, ou sans les genres, on doit redoubler d’autoritarisme.

40Ce renversement se fait sentir dans la façon dont on théorise la liberté du roman, qui, pour être lawless, doit « imposer sa loi », pour reprendre l’expression de Félicien Marceau. :

  • 25 Félicien Marceau, Le Roman en liberté, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1978, p. 110-111. Voir à ce (...)

Très rapidement, le roman va imposer son mouvement, ses choix, sa rigueur. De tous ces éléments, le romancier n’en gardera peut-être aucun. Mais il n’en est aucun non plus qu’il puisse rejeter. Dans cet immense bric-à-brac qui l’entoure, tout peut servir. Le romancier va-t-il au moins trouver dans la forme même du roman de quoi le guider ? Même pas. Ce roman va-t-il avoir cent cinquante pages ou trois milles ? Au romancier à décider. […] Aura-t-il des chapitres de cent pages comme Proust ou de sept lignes comme Morand ? Au romancier de choisir. Va-t-il commencer par le commencement comme Stendhal dans La Chartreuse de Parme, par la fin comme François Mauriac dans Thérèse Desqueyroux ou par le milieu comme Balzac dans Le curé de Tours ? Va-t-il brouiller la chronologie comme Aldous Huxley dans La paix des profondeurs ou l’observer avec la même rigueur que Sartre dans Les chemins de la liberté ? Au romancier de voir. Là encore, le roman va imposer sa loi. Mais c’est une loi qu’il sécrète lui-même, qui n’a de sens que pour ce roman-là. C’est dire que cette loi n’existe pas25.

41Pour extraire le roman des normes extérieures, il faut faire du genre sa propre instance normative à travers laquelle il sera possible, pour les critiques, de motiver les choix d’écriture opérés par les écrivain·e·s. Si Félicien Marceau place cette liberté dans la figure des romanciers rebelles, Marthe Robert thématise quant à elle la liberté du roman en faisant du genre une figure elle-même romanesque, anthropomorphisée, dotée de sa propre psychologie (elle en fait un genre « œdipien ») et dont l’ambition est le trait principal :

  • 26 Marthe Robert, Roman des origines, origines du roman, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1977, p. 14.

Avec cette liberté du conquérant dont la seule loi est l’expansion indéfinie, le roman, qui a aboli une fois pour toutes les anciennes castes littéraires – celles des genres classiques –, s’approprie toutes les formes d’expression, exploite à son profit tous les procédés sans même être tenu d’en justifier l’emploi26.

42Si rien, en principe, ne fait du roman le genre de la transgression plus qu’un autre, la façon dont les discours sur le roman thématisent la question de la liberté permet cependant de construire un imaginaire de la norme où le roman fait figure de hors-la-loi. Le caractère lawless du roman ne tient donc pas à sa généricité, mais à la place institutionnelle qu’on lui accorde dans l’histoire littéraire et à l’imaginaire libertaire qui se déploie dans la façon de théoriser le genre.

43Mais si le roman est le genre de la subversion par excellence, ce caractère subversif ne se fait sentir qu’à partir d’une conscience générique et d’une conscience normative forte que lui permet la comparaison avec l’épopée. L’efficacité de leur mise en relation tient en effet à cela : l’épopée constitue le cadre normatif à partir duquel il est possible, pour le roman, d’avoir des codes à briser. Si l’on reprend le cas du roman de navigation portugais :

  • 27 Miguel Real, O romance português contemporâneo, 1950-2010, Alfragide, Caminho, 2012, p. 169-170 : « (...)

Este estilo de Gonçalo M. Tavares projeta-se em Viagem à Índia (2010), estilo soberano, fragmentário mas luminoso, desconstructor de todas as cristalizações semânticas da língua, um texto que se faz a si próprio à medida que avança, desprezador dos códigos literários instituídos, dotado de uma filosofia do corpo, da força e do poder teorizada nos três livros da « Enciclopédia » do autor e nos livros (filosóficos) de José Gil, isto é, um estilo semelhante a qualquer um dos quatro « livros pretos » do autor. Neste texto, o lirismo e o epicísmo de Camões são subvertidos ; em seu lugar resta o grande vazio, o grande Nada ontológico e psicológico de Portugal, a ausência de uma grande razão para Portugal perdurar27.

44L’épopée constitue ici l’horizon régulateur à partir duquel on peut percevoir la « subversion » (« o lirismo e o epicísmo de Camões são subvertidos »). La référence à un cadre générique normatif, celui de l’épopée, constitue ici un tremplin pour dire la singularité du texte en tant que roman. Ce dernier est d’autant plus lawless, dans ce cas précis, que le texte brise différents types de normes, aussi bien génériques (plan formel) que sociales (plan thématique) : en reprenant la topique Lukácsienne du roman comme « épopée d’un monde sans dieux », le critique oppose ici la plénitude des valeurs héroïques au grand vide ontologique (« o grande vazio ») que suppose la remise en cause romanesque de ces valeurs épiques.

45L’articulation entre le roman et l’épopée montre dans quelle mesure le respect et le non-respect des normes s’entre-déterminent : le sentiment d’absence de règles ne se fait sentir que sur un fond de conscience de leur existence. Il serait donc difficile de penser un roman lawless indépendamment d’un référent tel que l’épopée. À l’image de la relation entre l’épopée et le roman, le respect et la transgression d’une norme constituent les deux facettes d’une même pièce.

46En définitive, cette rhétorique de la subversion repose sur la capacité plastique du commentaire à forger un cadre normatif qui réponde aux impératifs herméneutiques imposés. On peut la décrire selon trois aspects.

  • 28 Marthe Robert, op. cit., p. 25.

47Cette plasticité est d’abord énonciative : les énoncés à partir desquels on formule une norme générique n’ont pas nécessairement la forme de ce que Marthe Robert appelle un « il faut28 », imposé de l’extérieur. Les deux premiers exemples le montrent bien : une définition générale purement descriptive (« L’épopée est un genre narratif », « Une épopée en Occident est un long poème empreint de merveilleux »), sans modalité déontique, suffit à poser le cadre normatif à partir duquel on lit un texte. Cette définition générale acquiert en effet une valeur prescriptive parce qu’elle s’inscrit dans un contexte singularisant : dire le général, dans un commentaire, c’est dire ce qui est régulier, en opposition à ce qui est alors perçu comme irrégulier : le texte particulier. Somme toute, les énoncés « le roman est », « l’épopée est », équivalent à dire « le roman doit être », « l’épopée doit être ». Ce discours général varie cependant dans ses modalités : il peut, comme dans le deuxième exemple (le commentaire du roman de Mofolo), s’énoncer sous la forme d’une vérité générale sans source, à la façon d’une doxa – « tout le monde sait que l’épopée est… » –, ou bien, comme dans le premier exemple (le commentaire de l’épopée de Scève), s’énoncer à travers le discours d’une autorité poétique – « Aristote a dit que l’épopée est… ». Cependant, la structure du commentaire de Scève marque davantage une alternance entre doxa et poétique normative, ce qui rend leur statut l’un par rapport à l’autre indécidable : la doxa porte aussi bien sur ce que tout le monde sait de l’épopée que sur ce que tout le monde sait qu’Aristote a dit de l’épopée.

  • 29 « Pas un seul accessoire ne doit rester inutilisé par la fable. Tchekhov a pensé à la motivation co (...)

48Cette plasticité est ensuite narrative. Il s’agit, pour les critiques, de permettre un contexte discursif dans lequel le texte « répond », comme l’écrivait François Charpentier dans l’exemple de départ, à la définition générique donnée. À l’image des textes narratifs, l’économie du commentaire fonctionne selon une logique de causalité régressive : tout ce que l’on dit d’un genre permet de former le cadre normatif à partir duquel on proposera in fine une lecture du texte qui problématise ces données génériques. Cette logique n’est pas sans rappeler le principe formaliste du clou de Tchekhov : si une règle est énoncée dans le cours d’un commentaire, à l’image du clou planté dans un mur au début de la représentation théâtrale, c’est pour que le texte y soit finalement confronté (à la norme), de la même façon que le personnage de théâtre finit par s’y pendre (au clou)29.

  • 30 Sur ce principe de causalité régressive, voir Gérard Genette, « Vraisemblance et motivation », Figu (...)

49C’est en cela que la rhétorique du commentaire brouille les frontières entre description et prescription : les normes mobilisées dans un commentaire à l’aide d’une rhétorique prescriptive sont en réalité des propriétés construites par la critique elle-même. Il n’existe pas, en effet, de nomenclature exhaustive d’un genre, si bien que toute propriété que l’on évoque dans un commentaire a fait l’objet d’une sélection en vue d’être employée dans le développement herméneutique. Il semblerait particulièrement arbitraire, par ailleurs, de donner une définition générale d’un genre sans que ces propriétés n’aient précisément de pertinence dans l’interprétation du texte et la suite du propos : tout discours général ne provenant pas du texte commenté lui-même se doit d’avoir une utilité motivationnelle, c’est-à-dire que le savoir générique que l’on suppose antérieur au propos du commentaire n’est en fait mobilisé dans ce contexte que pour justifier – de façon rétroactive – un des aspects de la démonstration30.

  • 31 Gisèle Mathieu-Castellani, « Le monde, comme en un miroir », Gisèle Mathieu Castellani (dir.), Plai (...)

50La plasticité du commentaire, enfin, est ontologique. Elle concerne cette fois le statut du texte dans son identification générique : la possibilité qu’un texte appartienne à un genre (pour que l’on perçoive la norme respectée ou transgressée) sans y appartenir tout à fait (sa singularité en dépend) – c’est-à-dire qu’il soit un roman ou une épopée, et qu’il ne le soit pas en même temps – constitue la condition sine qua non de toute situation de commentaire. Une formule de Gisèle Mathieu-Castellani dans un ouvrage consacré à l’épopée résume de façon emblématique ce principe herméneutique : les « Châtiments de Hugo, Les Tragiques d’Aubigné sont et ne sont pas des épopées, ou pas seulement, ou pas entièrement des épopées, même si leur “style” est épique31 ». Varier les modes d’être générique d’un texte, en démultipliant les types et les degrés d’identifications génériques (un peu, beaucoup, intégralement, selon tel ou tel autre aspect), permet de formuler l’ineffable de sa singularité.

51La mention paratextuelle d’un nom de genre dans le titre d’une œuvre constitue un des lieux privilégiés de ce jeu ontologique sur l’identité générique d’un texte. Le commentaire du texte de Mofolo nous en offre un cas exemplaire : Chaka, une épopée bantoue, n’est précisément pas une épopée, mais bien un roman – ambivalence que le titre permet de cristalliser dans un entre-deux indécidable – qu’il s’agit de lire aussi bien à rebours de la tradition épique que dans une perspective de renouvellement de celle-ci. On éprouve alors l’originalité du texte dans un jeu de circulation d’une identité générique à l’autre, en jouant avec la normativité imputée à l’épopée (il y a des règles à respecter), et la liberté imputée au roman (il y a des règles à transgresser).

  • 32 Voir Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 127 : « [L]orsque Hopkins, dans ses curtal sonnets, remplac (...)

52Si on envisageait au début la question de l’appartenance générique comme un test pour identifier et différencier les types de normativités, ce test est surtout révélateur des nombreuses ressources rhétoriques offertes à la critique littéraire pour caractériser un texte. N’importe quelle norme – même celle que l’on supposait irrévocable pour le cas des formes fixes32 – est contournable tant que l’on continue à identifier le texte et à le nommer comme tel : le pouvoir de dénomination et de désignation, qui est le propre de la critique, a toute latitude sur le pouvoir de conception des classes et de légifération, qui est celui de la poétique.

L’excès, la défaillance

53En cette fin de parcours, le constat est le suivant : il existe des tendances générales dans la pratique du commentaire qui font incliner l’épopée vers la normativité, et le roman vers l’absence de norme. La plasticité du commentaire est cependant telle que l’on peut, en principe, commenter l’épopée et le roman à la même enseigne, dans une logique tout aussi transgressive que conformante.

54Que le commentaire dispose d’autant de latitude dans son usage des genres tient au fait que rien ne prédispose, en principe, un genre à être plus normé qu’un autre. Le caractère surcodifié ou lawless de l’épopée et du roman ne se fonde en aucun cas sur une réalité logique qui permettrait de reprendre la typologie de Schaeffer : les expressions « surcodifié » et lawless ne reprennent pas sans reste la distinction entre conventions traditionnelles et régulatrices. Le régime traditionnel, en effet, n’est pas dépourvu de normes, ce que le mot lawless rejette sans concession ; même (et surtout) quand on cherche à montrer le caractère irrégulier d’un texte, on doit faire preuve de conscience générique. De la même façon, le fait qu’il existe des règles explicites, indispensables, ou non modulables, ne justifie pas qu’on puisse qualifier un genre par l’excès en parlant de surcodification.

55Si le système schaefferien met en évidence l’omniprésence des normes dans l’usage des genres – selon différents degrés, du plus explicite au plus diffus – le couple surcodifié/lawless efface ces nuances pour produire une conception tout à fait manichéenne et stréotypée de la norme. Pour attribuer les qualificatifs « surcodifié » et « lawless » à l’épopée et au roman, il a fallu faire en sorte que la norme, cette propriété intrinsèque du genre, devienne accessoire : en étant surnuméraire, on peut tantôt imputer à un genre, tantôt lui retrancher, ce caractère normatif. C’est pour cette raison que la norme n’est concevable, dans ce contexte, qu’en termes d’excès (c’est le pléonasme du genre surcodifié) ou de défaillance (c’est l’oxymore du genre lawless) : car le juste milieu que serait la codification constitue en réalité le degré zéro de la généricité, c’est-à-dire le mode de fonctionnement usuel, neutre et incolore, d’un genre (dont on attend bien qu’il instaure des codes).

  • 33 L’expression trouve son origine dans le Traité de la poésie épique de Voltaire (op. cit., p. 251) o (...)
  • 34 On note que la plupart des genres caducs que Saulo Neiva et Alain Montandon regroupent dans leur Di (...)

56Somme tout, l’écart incommensurable qui sépare l’épopée surcodifiée du roman lawless réside davantage dans une représentation fantasmée de ces genres que dans une réalité logique. On le voit notamment dans le fait que l’épopée, le plus souvent, « passe pour » un genre à conventions régulatrices sans obéir strictement à ce régime de généricité : l’illusion d’une épopée supposément surcodifiée conforte en effet une grande partie de la tradition critique qui, en la commentant, joue avec une conception déformée de la normativité générique. On pense ici au discours particulièrement topique sur la caducité de l’épopée : si « le français n’a pas la tête épique33 », comme le dit la formule, c’est principalement car le genre est réputé impossible à écrire, aussi bien pour des questions de realia qu’en raison des normes qui le régissent. Or, s’il est des genres plus susceptibles que d’autres de devenir caducs – c’est-à-dire de s’éteindre sous le poids de sa normativité – ce sont bien ceux du régime régulateur34, de sorte que si l’épopée appartient à ce régime, la doxa est justifiée.

57Quand on postule la caducité de l’épopée, on présuppose donc en partie son appartenance au régime de la règle, ou du moins, on imite le processus de filtrage particulièrement strict que ce régime suppose. « Écrire un sonnet dans les règles, ou écrire autre chose : une ballade », telle est la logique du régime régulateur. Les normes déterminent ici de façon très restreinte la possibilité même qu’un texte fasse partie du genre, de sorte que, faute de texte remplissant le cahier des charges, le genre cesse d’être actualisé et passe pour « mort ».

  • 35 « La floraison épique au XIXe siècle est un paradoxe », note Daniel Madelénat, op. cit., p.231 ; Vo (...)
  • 36 Dimitri Garncarzcyk, « Est-il “si aisé” d'améliorer la Henriade ? Petit traité de “misologie” », [E (...)

58La façon dont le genre de l’épopée meurt n’est cependant pas la même et se résume davantage en ces termes : « Écrire une épopée dans les règles, ou écrire autre chose : une mauvaise épopée ». Le poids de la tradition est en effet tel, concernant ce genre, que ses conventions deviennent aussi déterminantes que le sont, en principe, les conventions régulatrices. Si l’épopée meurt sous le poids de ses normes, ce n’est donc pas tant en raison de la nature de ses normes, mais plutôt en raison de la charge symbolique et axiologique qu’on leur impute. L’épopée, de ce fait, ne meurt donc pas faute de corpus existant, mais faute de corpus digne d’exister. C’est le paradoxe bien souvent remarqué35 selon lequel tous les siècles connaissent leurs tentatives d’épopées, sans que ces textes ne changent quoi que ce soit au statut du genre : La Pucelle de Chapelain constitue le cas typique d’une épopée, parmi tant d’autres, qu’on n’a commentée que pour lui refuser le statut de « véritable » épopée36.

59Les conventions traditionnelles de l’épopée sont réinvesties dans une logique axiologique qui incite à prendre ces conventions pour ce qu’elles ne sont pas : des conventions régulatrices. Somme toute, lorsque l’on considère que les normes de l’épopée sont « surcodifiées », on en fait donc des normes transfuges, à la croisée entre le domaine de la tradition et celui de la règle. Le genre est en ce sens également transfuge : l’appellation « surcodifiée » plaque sur un genre à convention traditionnelle un mode de généricité régulatrice qui n’est pas le sien.

60En définitive, le topos de l’épopée impossible à écrire laisse entrevoir dans quelle mesure un genre n’est « surcodifié » que si on perçoit ses normes à travers un miroir déformant qui exacerbe le caractère contraignant de ses conventions. Ce miroir déformant est celui que le premier des deux types de normativité (régulatrice ou traditionnelle), présente à son pendant : le sentiment de surcodification que peut susciter une norme ne peut provenir que du point de vue de la convention traditionnelle (tout devient excessivement normatif) ; et, à l’inverse, le sentiment qu’un genre est lawless ne peut provenir que d’un point de vue où les normes sont toutes des conventions régulatrices (le reste étant réduit à néant).

61Ce jeu de miroir déformant laisse entrevoir l’idée suivante : l’excès normatif de l’épopée, tout comme la défaillance normative du roman, se vivent comme un dépaysement théorique où l’on fait l’expérience d’une normativité alternative qui met à mal la conception de référence (traditionnelle ou régulatrice) que l’on se fait de la norme. Avec le même mode de fonctionnement générique, le statut de nos genres diverge radicalement en discours, jusqu’à incarner les antipodes d’une normativité qui se trouve fantasmée tantôt dans l’excès, tantôt dans la défaillance.

62La répartition entre une épopée surcodifiée et un roman lawless repose sur la possibilité, en discours, de reconfigurer en permanence ce que l’on entend par norme. La plasticité du commentaire dans ses modalités discursives et ses usages de la norme est telle qu’elle permet précisément de réactualiser à tout moment le caractère protéiforme de ce qu’est une règle en littérature, et de ce que cela implique de la respecter, ou non. Ainsi, le sentiment selon lequel il existe des œuvres – et, ce faisant, des genres – créés en dehors des règles, ou dans le respect de celles-ci, consiste principalement en un effet de lecture dont on peut analyser l’économie narrative et la mécanique herméneutique.

63On voit de quelle façon l’écart qui sépare l’épopée du roman ne peut s’appréhender que dans la comparaison constante. Si l’épopée et le roman sont des genres parmi d’autres, l’épopée surcodifiée et le roman lawless, quant à eux, constituent – comme l’écrivait Saussure au sujet du signifiant et du signifié – le recto et le verso d’une même feuille.

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Notes

1 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique, t. II, trad. Charles Bénard complétée par B. Timmermans et P. Zaccaria, Paris, Le livre de Poche, coll. « Classique de la philosophie », 1997. Voir troisième section, chapitre 3, p. 549 sq.

2 Georg Lukács, La Théorie du roman, trad. Jean Clairevoye, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1989. Voir notamment le quatrième chapitre « Forme intérieure du roman » : « Le roman est la forme de la virilité mûrie, par opposition à l’infantilité normative de l’épopée », p. 66.

3 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, trad. Daria Olivier, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1975. Voir notamment la section « Récit épique et roman » : « [L]e roman est le seul genre en devenir, et encore inachevé. Il se constitue sous nos yeux, la genèse et l’évolution du genre romanesque s’accomplissent sous la pleine lumière de l’Histoire. Son ossature est encore loin d’être ferme, et nous pouvons encore prévoir ses possibilités plastiques. Nous connaissons les autres genres en tant que tels sous leur aspect achevé – moules solides où se coule l’expérience de l’art littéraire. L’antique processus de leur formation se place au-delà des temps historiques. Le récit épique se découvre à nous comme un genre non seulement achevé de longue date, mais déjà extrêmement vieilli. On peut en dire autant, avec certaines restrictions, des autres genres initiaux, voire de la tragédie. Leur existence historique, telle que nous la connaissons, est celle des genres constitués, avec une ossature calcifiée et déjà raidie. » p. 441.

4 Nous tirons principalement nos exemples d’un ouvrage pris comme cas d’étude lors de la séance de séminaire : Romuald Fonkoua et Muriel Ott (dir.), Le héros et la mort dans les traditions épiques, Paris, Karthala, 2018 ; mis à part quelques excursus, notamment autour de l’épopée de Chateaubriand, Les Martyrs, les autres exemples proviennent de commentaires consacrés aux Lusiades et à ses continuités romanesques.

5 Daniel Madelénat, L’Épopée, Paris, PUF, 1986, p. 19 : « Voies large et étroite : le continuum narratif de l’épos, « totalité originelle », contraste avec les préceptes restrictifs qui accablent l’épopée, genre surcodifié ».

6 André Gide, Les faux-monnayeurs, Paris, Gallimard, 1925, p. 182-183 : « Est-ce parce que, de tous les genres littéraires, discourait Édouard, le roman reste le plus libre, le plus lawless…, est-ce peut-être pour cela, de peur de cette liberté même […] que le roman, toujours, s’est si craintivement cramponné à la réalité ? ».

7 Jean-Marie Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1989.

8 Schaeffer propose en effet de répartir les genres selon trois régimes de généricité, en fonction de ce que l’on présuppose quand on identifie un texte à un genre : qu’il respecte les règles dudit genre (régime de la règle), qu’il ressemble à un autre texte du genre en question (analogique), qu’il il se situe dans la même lignée d’une tradition liée au genre. La frontière entre les régimes analogique et généalogique est cependant poreuse dans la mesure où le second régime n’est en réalité qu’une spécification du premier : la généalogie est une relation analogique que la présence d’un héritage vient habiller d’une relation causale.

9 Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 159.

10 Gérard Genette, Figures V, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2002, p. 61.

11 Roland Barthes, « Littérature objective », Critique, vol. X, n°86-87, 1954, p. 581-591.

12 Voir Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 172.

13 Mikhaïl Bakhtine, op. cit., p. 441.

14 Georg Lukács, op. cit., voir le premier chapitre, « Les civilisation closes », p. 19-30.

15 Georg Lukács, ibid., p. 26.

16 « Je ne sais si je dois revenir sur la question de l’épopée en prose » in Chateaubriand, Les Martyrs, vol. I, Nicolas Perot (éd.), Œuvres complètes, Béatrice Didier (dir.), Paris, Honoré Champion, 2019, p. 196.

17 Cleonice Berardinelli, Estudos Camonianos, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 2000, p. 35. « Le genre épique descend de l’antiquité grecque et latine, tout comme ses champions, Homère et Virgile ».

18 Cleonice Berardinelli, op. cit., p. 43 : « La narration commence par le truchement d’un premier narrateur mais également, suivant les modèles classiques, in medias res […]. Obéissant aux règles, il a commencé son récit in medias res, avec le voyage – son fil conducteur – déjà bien amorcé, près de Mélinde, où le héros se mit à raconter l’histoire de son aventure. »

19 Amelia Pinto Pais, Para compreender os Lusiadas, Coimbra, Edition Centelha, coll. « Educação, temas, para compreender », 1982, p. 25 : « Comme il était de rigueur dans les poèmes épiques, la narration du voyage commence in medias res, c’est-à-dire au milieu de son cours. L’introduction de la mythologie et du merveilleux païen, constitue, comme nous l’avons déjà vu, une propriété du genre épique. […] Pour synthétiser, la fonction de la mythologie dans ce poème est la suivante : constituer une partie importante du merveilleux inhérent aux poèmes épiques en général ; en obéissant ainsi à une règle du genre. »

20 Chateaubriand, op. cit., p. 184.

21 Hélène Frangoulis : Du roman à l’épopée, l’influence du roman grec sur les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2014

22 Françoise Charpentier, « L’espace épique du Microcosme de Maurice Scève », in Gisèle Mathieu-Castellani (dir.), Plaisir de l’épopée, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « Créations européennes », 2000, p. 89.

23 Joseph Noumbissi Wambo, « Nya Thaddée et la mort ou la naissance de l’épopée dans le mangambeu du Cameroun », in Romuald Fonkoua et Murielle Ott (dir.), op. cit., p. 139-140.

24 Voltaire, La Henriade, poème par Voltaire, suivi de l'Essai sur la poésie épique. Nouvelle édition revue et corrigée, [ressource électronique], Lyon, Rolland, 1819, p. 199.

25 Félicien Marceau, Le Roman en liberté, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1978, p. 110-111. Voir à ce sujet : Jolianne Gaudreault-Bourgeois, « "Le roman vit selon ses propres lois", ou comment les romanciers font du roman "le genre le plus libre qui soit" », Tangence [En ligne], 118 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2019.

26 Marthe Robert, Roman des origines, origines du roman, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1977, p. 14.

27 Miguel Real, O romance português contemporâneo, 1950-2010, Alfragide, Caminho, 2012, p. 169-170 : « Ce style de Gonçalo M. Tavares se déploie dans Viagem a Índia (2010) : un style souverain, fragmentaire mais lumineux, qui déconstruit toutes les cristallisation sémantiques de la langue ; un texte qui se fait au fil de l’écriture, au mépris des codes littéraires établis, pourvu d’une philosophie du corps, de la force et du pouvoir qu’il théorise dans ses trois livres de l’Encyclopédie et dans les livres (philosophiques) de José Gil, c’est-à-dire un style similaire à l’un des quatre « Livres noirs » de l’auteur. Dans ce texte, le lyrisme et l’épopée de Camões sont subvertis : à leur place, demeure le grand vide, le grand Néant ontologique et psychologique du Portugal, l’absence de toute grande raison, pour le Portugal, de perdurer. »

28 Marthe Robert, op. cit., p. 25.

29 « Pas un seul accessoire ne doit rester inutilisé par la fable. Tchekhov a pensé à la motivation compositionnelle en disant que si au début de la nouvelle on dit qu'il y a un clou dans le mur, à la fin c'est à ce clou que le héros doit se pendre. » in Théorie de la littérature. Textes des formalistes russes, trad. T. Todorov, Paris, Seuil, 1965 ; rééd. coll. «Points», 2001, p. 287. Voir également : Marc Escola, « Le clou de Tchekhov. Retours sur le principe de causalité régressive », [En ligne : consulté le 10 novembre 2021] https://www.fabula.org/atelier.php?Principe_de_causalite_regressive, 2009.

30 Sur ce principe de causalité régressive, voir Gérard Genette, « Vraisemblance et motivation », Figures II, Paris, Seuil, « Points essais », 1969, p. 71-99.

31 Gisèle Mathieu-Castellani, « Le monde, comme en un miroir », Gisèle Mathieu Castellani (dir.), Plaisir de l’épopée, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « Créations européennes », 2000, p. 9.

32 Voir Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 127 : « [L]orsque Hopkins, dans ses curtal sonnets, remplace les deux quatrains par des tercets, lorsqu’il enfreint la règle, apparemment immuable, des quatorze vers, il n’en continue pas moins d’identifier ses pièces sous le nom sonnet. Du même coup, il transforme la « définition » du sonnet, ou, du moins, il la rend sous sa forme classique, moins contraignante : la règle des deux quatrains devient facultative. Donc, les définitions génériques et les critères qu’elles retiennent sanctionnent, dans certains cas, des stratégies décisionnelles et non pas des procédures descriptives. », voir également p. 168 sq.

33 L’expression trouve son origine dans le Traité de la poésie épique de Voltaire (op. cit., p. 251) où celui-ci prête la formule à Malézieux : « Je me souviens que lorsque je consultai, il y a plus de douze ans, sur ma Henriade, feu M. de Malézieux […], il me dit : vous entreprenez un ouvrage qui n’est pas fait pour notre nation ; les français n’ont pas la tête épique. Ce furent ses propres paroles… ». La formule a ensuite circulé d’un commentaire à l’autre, en passant par la Préface de Cromwell d’Hugo, pour devenir un véritable lieu commun de la critique de l’épopée : entre autres, Charles Palissot de Montenoy, Œuvres complètes, t. 6, Paris, Librairie Léopold Collin, 1809, p. 71 ; M. Boutteville, Antiquités nationales, Paris, Librairie d’éducation de Périsses frères, 1841, pp. 189-190 ; Maurice Wilmotte, Le Français a la tête épique, Paris, La renaissance du livre, coll. « Bibliothèque internationale de critique. Lettres et arts », 1917.

34 On note que la plupart des genres caducs que Saulo Neiva et Alain Montandon regroupent dans leur Dictionnaire raisonné de la caducité des genres littéraires (Genève, Droz, 2014) appartiennent au régime de la règle : ils inventorient en effet un grand nombre de formes fixes.

35 « La floraison épique au XIXe siècle est un paradoxe », note Daniel Madelénat, op. cit., p.231 ; Voir également : Aurélie Foglia, « Préambule », Romantisme, 2016/2, n° 172.

36 Dimitri Garncarzcyk, « Est-il “si aisé” d'améliorer la Henriade ? Petit traité de “misologie” », [En ligne : consulté le 9 novembre 2021], http://www.fabula.org/atelier.php?Misologie, 2010.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Maéva Boris, « De l’épopée, genre surcodifié, au roman, genre lawless : normes et généricité dans l’écriture du commentaire »TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 31 décembre 2021, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/7209 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.7209

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Maéva Boris

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