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2021
Hors frontières (N° 26 | 2021)
Des littératures sans frontières

Le complexe de la complexité : déplacement multidimensionnel dans l’œuvre de Dai Sijie

Martina Codeluppi

Résumés

Il n’est plus possible de tracer les contours de la littérature chinoise en tant qu’entité « située » dans un espace bien défini. La littérature elle-même est désormais déterritorialisée. Une manifestation évidente de ce déplacement au sens large est la littérature de la diaspora, en particulier dans le cas où elle est rédigée dans une langue étrangère. Dans le contexte francophone, Dai Sijie est l’un des auteurs les plus connus parmi les écrivains assimilables à la diaspora chinoise et, parmi d’autres, son roman Le Complexe de Di (2003) constitue un excellent exemple de la manière dont la question du déplacement de l’individu peut être abordée depuis plusieurs perspectives. Cet article vise à montrer les différents niveaux auxquels l’auteur exprime sa transidentité et son hybridation linguistique et culturelle. Il explore trois interprétations d’un mouvement qui est à la fois linguistique, culturel et spatial, pour montrer le lien entre la représentation de l’espace et la complexité identitaire dérivant d’une « sinité » mondialisée.

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Texte intégral

1La « liquidité » du concept de littérature chinoise dans le contexte mondial, qui a fait l’objet de discussions approfondies au cours de la dernière décennie (Rao 2011, Tsu et Wang 2010, Shih 2011, Shih, Tsai et Bernards 2013, Pesaro et Zhang 2017), nous permet d’établir d’innombrables liens entre les différentes « articulations » de cette littérature, présentant divers aspects qui peuvent être analysés et comparés au-delà des frontières territoriales. Les flux migratoires ont sans nul doute modifié la configuration de la littérature chinoise contemporaine, laquelle se présente maintenant comme une mosaïque hétérogène, offrant une extraordinaire complexité identitaire et linguistique. Dans cette contribution, on se concentrera sur une phase particulière de l’expérience du migrant : le retour au foyer. La transformation urbaine qu’a connue la Chine au cours des dernières décennies a eu l’effet d’un choc sur de nombreux migrants qui avaient quitté le pays natal puis y sont revenus, de façon temporaire ou définitive. Ce choc trouve son origine non seulement dans les changements massifs survenus dans les lieux de leur jeunesse, mais également dans la profonde mutation de leur propre identité. Le processus d’hybridation culturelle dote les individus d’une nouvelle panoplie d’outils leur permettant d’explorer et redécouvrir la terre où se trouvent leurs racines originelles. Le Complexe de Di, roman de Dai Sijie paru en 2003, où transparaît l’expérience singulière vécue par l’auteur, est un exemple significatif de ce phénomène de « déplacement vers son propre pays ».

2Dai Sijie est né en Chine en 1954 d’une famille originaire de Putian, dans la province du Fujian. Pendant la Révolution culturelle, il est envoyé en rééducation dans les montagnes du Sichuan, où il vit de 1971 à 1974. À la mort de Mao Zedong (1976), il entreprend des études d’histoire de l’art à l’université. En 1984, ayant obtenu une bourse, il s’installe en France, à Bordeaux d’abord, puis à Paris. Il se spécialise dans l’art du cinéma et entame sa carrière dans l’industrie cinématographique, sur laquelle il va concentrer l’essentiel de son énergie créative (Codeluppi 2020 : 38-39). En tant que réalisateur, il compte cinq films et obtient le Prix Jean Vigo en 1989 pour Chine, ma douleur (Silvester 2006 : 374).

3Cinéaste prolifique, Dai Sijie est également un écrivain à succès qui a choisi le français comme langue officielle de sa création littéraire. En 2000, il publie son premier roman, Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, qui devient un bestseller mondial et se voit attribuer divers prix. Au travers de ses romans francophones, six au total, Dai Sijie va s’imposer comme l’une des icônes de l’hybridation sino-française, mettant à profit sa propre expérience transnationale pour représenter l’intégration et le conflit entre ses deux cultures et ses deux langues.

4Dai Sijie a toujours exprimé sa créativité littéraire en français et ses œuvres s’adressent principalement à un lectorat francophone. Son style se caractérise par un usage ludique du langage enrichi de touches d’ironie fine et intelligente. Suite au succès international de Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, Dai Sijie et son œuvre vont faire l’objet de nombreuses recherches. Plusieurs études, publiées en Chine continentale (Chen 2013, Jia 2013, Tang 2008, Liu et Jiao 2004) et en Occident (Watts 2011, Chevaillier 2010, Fritz-Ababneh 2006, Hsieh 2002), portent sur la représentation de la dimension interculturelle dans son premier roman ; d’autres (Hsieh 2005, Taylor 2008, Gándara et Sartori 2016) explorent la question du dialogue entre les cultures française et chinoise dans son deuxième roman, Le Complexe de Di. Les cultures française et chinoise ne sont pas seulement représentées dans les romans de Dai Sijie, elles coexistent également à l’intérieur de l’auteur lui-même : en tant qu’écrivain migrant, Dai Sijie possède une identité composite. Celle-ci est étudiée dans les essais de Chen Siyu (2014) et Rosalind Silvester (2006), tandis que Sophie Croiset se concentre sur le conflit d’identité inscrit dans son expression linguistique (2009). D’autre part, l’emploi de la langue française par Dai Sijie est étudié par Christian Moraru (2009) et Karen Thornber (2009), qui explorent les causes et les conséquences de ce choix linguistique. Enfin, plusieurs études se penchent sur l’utilisation par l’auteur de l’intertextualité (Cañas 2011, McCall 2006). Si les essais mentionnés ci-dessus saisissent différents aspects de l’expression littéraire de Dai Sijie, toutefois le point de vue qu’ils adoptent est similaire : l’auteur est toujours abordé comme un écrivain émigré à l’étranger. Dans la présente contribution, en revanche, on va prendre le témoignage de Dai Sijie en matière de migration comme étude de cas pour explorer la question du déplacement dans une phase singulière de l’expérience du migrant : le moment où il retourne à son pays d’origine. On se concentrera sur la perception de l’espace et sur la représentation littéraire du sujet en abordant trois dimensions du déplacement : le déplacement identitaire, la pérégrination narrative et le voyage dans l’interculturalité.

2. Le retour à la maison

5Le Complexe de Di (2003) est le deuxième roman de Dai Sijie. Il raconte l’histoire de Muo, « le premier psychanalyste chinois » (Dai 2005 : 24) qui, après avoir passé des années à Paris, retourne en Chine en 2000 pour tenter de faire sortir de prison son amour, Volcan de la Vieille Lune, condamnée pour avoir vendu des preuves d’un scandale politique à des journalistes étrangers. De retour au pays natal, Muo se trouve confronté à la Chine du nouveau millénaire et à ses contradictions. Sa mission va consister à trouver une vierge pour corrompre le juge Di, qui détient le pouvoir de décision sur le destin de celle qu’il aime. L’aventure de Muo se déroule en différents endroits de la Chine, où il se démène pour dénicher cet introuvable homme de loi, ainsi qu’une femme pure et innocente à lui offrir. Néanmoins, les péripéties et les difficultés du protagoniste ne se limitent pas au niveau « logistique ». Après des années d’étude de Freud et de Lacan, Muo a développé un regard critique dont il ne peut se défaire, ce qui lui fournit « l’altérité » fondamentale à la base de ses observations sur le pays (Moraru 2009 : 131). Représentant une discipline – la psychanalyse – encore largement méconnue en Chine, le protagoniste doit faire face à un déplacement qui n’est pas simplement spatial, mais aussi intellectuel.

6Le premier roman de Dai Sijie, Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, est largement fondé sur l’expérience de l’auteur en matière de rééducation, et sa mémoire individuelle s’entrelace avec une évocation fictive de l’histoire chinoise. Dans Le Complexe de Di, ce n’est pas l’histoire personnelle de l’auteur qui fournit la base de l’intrigue, mais bien sa situation psychologique. À la croisée des chemins entre la Chine et la France, l’auteur aborde sa terre natale sous un angle singulier, représenté par le protagoniste du roman : un intellectuel dont le jugement a été radicalement modifié par son expérience de la culture occidentale. Cette fois, l’auteur revient à la Chine du point de vue d’un individu véritablement déplacé, non seulement parce qu’il se rend concrètement dans les lieux de sa jeunesse, mais aussi – et surtout – parce qu’il se sent rapidement inadapté dans un pays auquel il n’appartient plus de la même façon.

7Dans une histoire où la fin justifie les moyens, le noble esprit de Muo lutte pour rester à flot, tout en faisant face aux conditions tragicomiques dans lesquelles la Chine contemporaine accueille son fils. Exploitant sa position transculturelle privilégiée, Dai Sijie décrit un voyage multidimensionnel à travers l’identité, l’espace et les cultures. C’est précisément en suivant ces trois voies que je vais montrer comment le roman exprime différentes facettes du déplacement du migrant.

3. Un déplacement identitaire

8En jetant un premier coup d’œil sur les pages qui ouvrent le roman, il est en effet aisé de repérer la similitude indéniable entre le protagoniste Muo et l’auteur. L’expérience de « l’entre-deux » est l’une des principales sources d’inspiration pour la littérature des auteurs migrants ; en particulier, les œuvres de Dai Sijie ont toujours insisté sur cette caractéristique, en raison de leurs racines autobiographiques (Cañas 2011 : 197). Le protagoniste est également présenté avec une double identité qui résume en quelques caractéristiques éloquentes le pouvoir intellectuel du transculturalisme.

9Le roman débute in medias res, avec la scène de Muo voyageant en train à travers la Chine, en compagnie de sa valise bien-aimée, une scène qui suggère immédiatement son instabilité spatiale (Dai 2005 : 11). Dai Sijie exploite sa sensibilité visuelle de cinéaste (Cañas 2011 : 196) pour décrire les apparences des protagonistes, en révélant ainsi leur parcours particulier : Muo est vu comme un intellectuel binoclard, assis, tenant en main un cahier « acheté en France » (Dai 2005 : 12) dans lequel il écrit exclusivement en français, « le langage de la mondialisation » (14). Dans les pages suivantes, l’auteur définit les coordonnées temporelles de l’histoire en indiquant que la scène se déroule en l’an 2000 et que Muo est rentré au pays après onze années passées à Paris. Durant cette période, il a reçu une formation approfondie en psychanalyse, maintenant prête à être mise en pratique. Comme Dai Sijie lui-même, Muo a quitté la Chine pour poursuivre ses études et le pays qui l’a accueilli fait désormais partie de sa propre identité.

10Le voyage dans l’identité composite de Muo est guidé par ses souvenirs, que l’auteur raconte en utilisant un narrateur à la troisième personne dont le point de vue est celui du protagoniste. Il est intéressant à ce stade d’explorer les liens possibles entre les souvenirs du déplacement de Dai Sijie et l’individualisme transculturel de Muo dans la narration. En effet, mémoire, narration et identité sont trois facteurs étroitement liés. Si on appréhende la représentation du « premier psychanalyste chinois » comme une réinterprétation fictive – et grotesque – de l’expérience de déplacement de l’auteur, on peut en souligner les implications au niveau du roman. Bien que la voix de Muo soit formellement cachée derrière la narration à la troisième personne, il n’est pas possible de l’identifier avec le moi qui raconte, mais Muo joue manifestement le rôle du moi qui fait l’expérience. On ne peut pas identifier ouvertement Muo avec l’alter ego de Dai Sijie, mais le conflit d’identité qu’il incarne est la conséquence du déplacement du migrant, que l’auteur a dû lui-même affronter.

11La Chine et la France sont les deux axes imaginaires qui délimitent le plan cartésien de la mémoire de Muo. Dans les toutes premières pages du récit, alors qu’il voyage dans un train chinois, le protagoniste pense à son passé parisien, soulignant en particulier les difficultés auxquelles il devait faire face à l’époque, lorsqu’il était obligé de s’exprimer dans une langue qui n’était pas la sienne (Dai 2005 : 25). Le souvenir de ce malaise est déclenché par l’effet de surprise qu’il crée sur les autres passagers chinois lorsque ceux-ci ne reconnaissent pas la langue qu’il écrit. Ce qui a d’abord constitué un obstacle est maintenant devenu une part de lui-même, qui incarne, non le contraste, mais le dialogue entre les deux pôles, si typique de la fiction de Dai Sijie (Silvester 2006 : 369). Néanmoins, si la langue française et les connaissances made in France qu’il a acquises au cours de son long séjour à Paris habitent son passé récent, les réminiscences de sa jeunesse sont toutes placées en Chine. Cependant, l’origine de ces souvenirs est bien différente : alors que la langue et les connaissances étrangères ont été poursuivies et recherchées par le sujet, c’est de manière inattendue que les fragments de sa patrie enfouis sous sa culture personnelle refont surface. L’odeur qui se répand dans le wagon lui rappelle les odeurs âcres de la Révolution culturelle (34) ; et lorsque le train approche d’une fabrique de confiseries, il se souvient de la saveur unique des bonbons au lait qu’il mangeait dans les années soixante (46). Dans ce cas, l’auteur évoque la perception sans intermédiaire de l’enfant Muo. Le sujet qui se souvient – l’auteur – façonne une identité narrative sur la base de son expérience, en établissant un dialogue avec son passé (Neumann 2008 : 336).

12Bien que le passé de Muo soit divisé entre un fil de trame chinois et un fil de chaîne français, ses rêveries d’une fin heureuse avec l’amour de sa vie, Volcan de la Vieille Lune, se situent idéalement en Chine (Dai 2005 : 75-6). Là, il s’imagine servant de pont entre les deux pays et révélant les secrets de Freud à ses compatriotes qui, méconnaissant le pouvoir de la psychanalyse, ont tendance à rabaisser le psychanalyste au rôle de diseur de bonne aventure (151). En effet, Muo est parfaitement conscient de son identité transculturelle et du processus de médiation qu’il est sur le point de mener. Il se présente à plusieurs reprises comme un psychanalyste revenant de France (96, 128), mais il avoue avoir commencé à douter de sa discipline depuis son arrivée en Chine (123), presque comme s’il avait été amené à contester sa deuxième culture. Tout au long de l’histoire, Muo est décrit comme un mélange parfaitement équilibré, illustrant à quel point l’identité culturelle est une question de « devenir » plutôt que d’« être » (Hall 1990 : 225). En ce qui concerne les principaux comportements ou besoins humains, c’est son identité chinoise qui prévaut ; en revanche, c’est vers la France qu’il se tourne lorsqu’il évoque ses compétences intellectuelles et professionnelles. Il boit du thé vert comme si c’était un scotch délicieux (163) ; il voyage avec un stock de piment et de nouilles instantanées (174), mais les livres qu’il emporte sont presque tous en français (172). Et c’est encore une fois la langue française qu’il utilise pour tester sa mémoire, après un accident, afin de vérifier que son cerveau fonctionne toujours (224).

13La reconnaissance par Muo de son identité complexe n’empêche pas le narrateur de la mettre en discussion. L’auteur crée un tournant dans l’intrigue pour jeter le doute sur le protagoniste de manière ludique : un cas hilarant d’identité erronée. Au cours de sa recherche du juge Di, Muo rencontre un malade mental, évadé d’un hôpital psychiatrique, qui prétend être l’éminent homme de loi. Soudainement l’aliéné assomme Muo, troque sa chemise rayée contre celle de Muo et s’éloigne, amenant sa victime à être poursuivie et attrapée par le personnel de l’hôpital. Là, Muo doit prouver qu’il n’est pas le fugueur recherché ; pour les convaincre il exploite son côté français :

Il nia catégoriquement cette identité et prétendit être un certain Muo, psychanalyste de retour de France […]. Il récita, à voix haute et en français, des passages de Freud, des phrases de Lacan, Foucault, Derrida, le début d’un poème de Paul Valéry, le nom de la rue où il habitait à Paris, celui de sa station de métro et du tabac d’à côté, « Le chien qui fume », celui du café au pied de son immeuble, du café d’en face, etc. (Dai 2005 : 99-100)

14Tenu de démontrer son identité, Muo exploite l’altérité cachée en lui pour mettre en évidence la nature de son moi réel. À travers des références culturelles et des repères géographiques, il localise son identité en France. Se souvenir de ces mots et de ces lieux spécifiques légitime sa position transculturelle et lui confère le droit d’être libéré. Ce n’est d’ailleurs pas la seule occasion où Muo utilise son côté français comme bouclier pour se protéger. À la fin du roman, une rencontre malheureuse avec un groupe de hors-la-loi l’amène à se faire passer comme étant de nationalité française dans le but de dissuader ceux-ci de commettre un crime contre une incarnation chinoise de « l’esprit chevaleresque » (Dai 2005 : 335-6).

15L’alternance perpétuelle, chez Muo, du conflit et de l’harmonie entre ses deux identités constitue l’élément moteur du roman, conférant à la narration une exquise saveur ironique qui conduit parfois à des scènes grotesques. Le protagoniste du roman est positivement animé par cette énergie, comme si sa dislocation était une étape nécessaire pour le mettre au défi, avant de reconnaître sa personnalité particulière.

4. Une pérégrination narrative

16Retourner dans sa patrie après un éloignement prolongé peut constituer la cause d’un choc émotionnel profond. Le décalage horaire métaphorique provoqué par un retour soudain du sujet dans son environnement culturel d’origine est susceptible d’affecter sa perception de la terre qu’il connaissait si bien. Dans Le Complexe de Di, le voyage de Muo de la France vers la Chine ne représente que la première phase de son aventure, le cœur du roman résidant plutôt dans la narration de ses errances à l’intérieur des frontières chinoises, en quête du juge Di et d’une vierge à lui offrir. D’un côté, Dai Sijie décrit un transfert transcontinental de sinité, mais, depuis une autre perspective, en effectuant un zoom sur les mouvements de Muo dans le pays, de l’autre il se montre capable de décrire les difficultés du déplacement à l’échelle plus petite de la vie quotidienne.

17Dès le début du roman, Muo est présenté comme un sujet déraciné qui poursuit une existence itinérante visant à atteindre un état de bonheur idéal. L’obtention de cet état idyllique semble être l’harmonie absolue entre la réalisation intellectuelle et la satisfaction sentimentale. Dans ce contexte, la Chine ne représente pas simplement le cadre de son enfance, un patchwork spatial où se situent ses souvenirs. Son parcours se déroule à travers plusieurs étapes illustrant la progression de sa mission tout en révélant la géographie du roman. Dans la première scène, Muo est déjà en mouvement dans un train dont la destination est inconnue, tout comme les raisons de son voyage. Depuis la fenêtre du train, il est en mesure de voir combien son pays a changé pendant son absence et de prendre contact avec l’extraordinaire diversité de la Chine (Cañas 2011 : 196). Mais la confusion n’est pas ressentie par le migrant seulement, elle l’est également par le lecteur : la structure narrative ne révèle aucune ligne claire dans les premiers chapitres et laisse le lecteur aux prises avec un enchevêtrement d’anachronies et une juxtaposition de différents rythmes de narration. Le parcours de Muo présente plusieurs caractéristiques qui évoquent les difficultés de la migration, bien que dans son cas le processus soit inversé puisque la terre qu’il approche était autrefois sa patrie. Le premier signe de dislocation, et le plus évident, est l’errance incessante. Le protagoniste tente d’atteindre le juge Di, mais sa quête ne repose pas sur un plan bien défini. Le parcours réel réalisé par le protagoniste comprend divers endroits du pays que l’auteur identifie par des noms spécifiques qui leur confèrent une « situation concrète » (Casey 1993 : 23). La liste inclut non seulement la ville très connue de Chengdu ou l’île de Hainan, mais aussi des lieux de fiction tels que la Colline du Moulin, le Marché aux Femmes de Ménage, la Montagne de la Tête du Dragon, etc. Ces lieux soigneusement nommés fonctionnent comme des repères spatiaux qui brisent le sens de l’errance et donnent au lecteur une illusion de reconnaissance. Néanmoins, l’aspect le plus important de l’aventure de Muo n’est pas le voyage lui-même, conçu comme un mouvement d’un point a à un point b, mais plutôt la sensation de mobilité qui fait partie intégrante de sa personnalité. Même en s’imaginant devenu millionnaire, Muo n’est pas en mesure de réduire sa vie à un seul endroit : il rêve d’avoir un appartement à Paris, un à Pékin et un à Chengdu, et de plonger, lui-même et ses livres, entre les trois (Dai 2005 : 272). En outre, le roman est constitué non seulement par les lieux réels où le protagoniste se rend, mais également par les destinations qu’il entend atteindre sans jamais y parvenir. Un exemple : ayant décidé de fuir pour éviter d’être incriminé pour l’enlèvement du juge Di, Muo saute dans un train pour Kunming, d’où il envisage de prendre un vol pour Paris et retourner dans son deuxième pays pour disparaître en Occident (285). Mais le changement de plans est une caractéristique fréquente de la vie d’un migrant : bien que suscitant une sorte d’inquiétude, cela reste toujours gérable pour celui qui a choisi la fluctuation de l’instabilité géographique pour rythmer son existence.

18En fait, ce qui déclenche chez le lecteur le sentiment de déplacement de Muo, ce n’est pas la pluralité de lieux qu’il doit visiter, ce sont plutôt les paysages. Le manque de netteté de ces entités, qui englobent ce qu’on définit habituellement comme des « lieux » (Casey 1993 : 24), joue en effet un rôle fondamental dans la confusion du vagabond. C’est le cas lorsque Muo s’approche de la Montagne de la Tête du Dragon depuis la gare de Meigou, un nom qui désigne à la fois la ville et la rivière qui coule à côté :

Quand tu marches le long du fleuve, tes pas semblent ceux d’un autre. Ta respiration, les phrases que tu prononces prennent un rythme différent. Tu as peur, comme si tu pénétrais dans un pays inconnu, peuplé d’ombres et de bruits hostiles, et étais toi-même un fantôme intrus. (Dai 2005 : 308)

19L’étrangeté qui transpire de la configuration environnementale de cet endroit déclenche la réaction instinctive la plus naturelle : la peur. Toutefois, cette réaction n’est pas seulement le résultat d’une rencontre rapprochée avec des lieux inconnus. Muo ressent l’effet de perplexité le plus fort lorsqu’il se perd dans sa propre ville, qu’il ne reconnaît plus (Dai 2003 : 208). Le « capitalisme sauvage » a défiguré le paysage urbain en imposant une vision d’immeubles standardisés devant le regard de son fils perdu. L’impossibilité de reconnaître sa propre ville est le signe ultime de déplacement du vagabond, qui isole le sujet et le situe « en dehors » de quelque lieu qui soit, tangible ou métaphorique.

5. Un voyage dans l’interculturalité

20Dai Sijie fait l’objet de multiples recherches en raison de la signification interculturelle de ses œuvres, il constitue ainsi l’un des cas les plus intéressants de la littérature transnationale sino-française. Son intention de se présenter comme un traducteur culturel lui a valu une grande partie de sa renommée, même si le risque de tomber dans l’auto-orientalisme a suscité des réserves chez certains critiques chinois et occidentaux (Chen 2013 : 63). Son roman Le Complexe de Di a été défini comme « picaresque, exotique et ethnographique » (Hsieh 2005 : 3) : trois termes qui illustrent bien la base multiculturelle sur laquelle il a été construit. Les frictions perpétuelles entre la Chine et la France qui agitent l’esprit de Muo ne constituent pas simplement un artifice pour les lecteurs internationaux. Outre le fait qu’il est représenté au moyen d’une identité divisée et d’une errance déconcertante, le déplacement revêt également une troisième forme : un voyage dans l’interculturalité. Pour analyser ce dernier aspect, il convient d’abandonner la connotation négative du mot « déplacement » en tant que mouvement désorientant et d’explorer son potentiel de réduction de l’écart entre deux éléments. Ce qui est déplacé, ce n’est pas seulement un émigré chinois qui rentre chez lui, ni un Roméo qui emprunte toutes les voies possibles pour faire sortir son amour de la prison. Le mouvement en jeu se situe entre deux cultures, deux langues, deux traditions littéraires. Si Balzac et la Petite Tailleuse chinoise se nourrissait de l’intertextualité, avec Le Complexe de Di la communication déborde les frontières des textes littéraires et devient interculturelle, reflet d’un dialogue profond et authentique (Cañas 2011 : 198).

21Muo est en effet très fier de porter sa « francité » (Taylor 2008 : 377), et ses évocations répétées de sa seconde patrie sont présentées à travers des détails qui enrichissent la narration avec de stimulants contrepoints culturels. Par exemple, au moment d’emprunter l’escalator dans un tunnel de verre d’un centre commercial, il se rappelle immédiatement le Centre Pompidou (Dai 2005 : 114), comme si le célèbre bâtiment parisien symbolisait la modernité que la Chine cherche à mettre en œuvre. Nombreuses également sont les citations non seulement du français, mais aussi d’ouvrages de psychanalyse et de classiques de la littérature européenne : Joyce (66), Mallarmé (94-5), Kafka (128, 162), Baudelaire (129), Conrad (294) sont quelques-uns des géants qui peuplent le dense réseau de références intertextuelles occidentales.

22Néanmoins, un dialogue, pour pouvoir avoir lieu, nécessite une contrepartie : Dai Sijie ne s’interdit donc pas de parsemer son récit de références culturelles à la Chine traditionnelle (Tang 2008 : 90), comme l’explication où le narrateur précise que l’histoire de l’écriture ancienne chinoise est « vieille de trois mille six cents ans » (Dai 2005  : 127), et aux classiques de la littérature chinoise, comme la poésie Tang (122) ou Le Rêve dans le Pavillon rouge (311). Si l’intertextualité soutient l’image de Muo en tant qu’individu bien éduqué exsudant parfois une érudition étrange (Taylor 2008 : 477), cependant son rôle dépasse la fonction dénotative des citations et ouvre la voie à un échange transculturel. Les espaces occidentaux et orientaux sont nettement séparés et Muo agit comme une navette culturelle exploitant le pouvoir de la littérature à se déplacer entre les deux territoires. Des signes de distinction spatiale et de confusion des frontières se retrouvent à plusieurs reprises dans le roman. Freud devient l’incarnation d’un monde opposé à celui dans lequel vit le juge Di (Dai 2005 : 123), mais Muo se rend compte qu’il entre dans un état de confusion lorsque Freud et Confucius commencent à se fondre dans son esprit (153) et que À la recherche du temps perdu de Proust devient banalement « l’équivalent français du roman chinois Le Rêve dans le Pavillon rouge (391). Par ailleurs, le protagoniste lui-même est décrit comme une sorte de pont non autorisé quand il est trouvé par des soldats en possession de traductions chinoises des œuvres de Freud, dont la diffusion est illégale en Chine continentale (277). En s’efforçant de dépasser les frontières imposées à la connaissance, l’esprit chevaleresque de Muo s’étend au domaine de la médiation culturelle, où sa dame en détresse n’est rien moins que l’ouverture d’esprit qu’il a tant travaillé à acquérir pendant sa vie à l’étranger.

23En plus de doter les références intertextuelles d’une valeur symbolique, l’auteur tente de renforcer la médiation entre la France et la Chine par le biais de diverses opérations déguisées destinées à satisfaire la curiosité du lecteur au sujet du pays de Muo. En effet, cette « distance doxique » résulte du fait que le destinataire n’est pas chinois (Gándara et Sartori 2016 : 582-3). En conséquence, le narrateur prend le temps d’expliquer la signification du drapeau chinois (Dai 2005 : 108) ou de préciser la taille de la ville de Chengdu (87), dans l’intention d’atténuer le déplacement culturel du lecteur et de favoriser l’empathie avec le protagoniste. En effet, aux yeux d’un lecteur occidental, l’un des traits les plus obscurs de la culture chinoise est son système d’écriture, et Dai Sijie, comme c’était déjà le cas dans Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, ne manque pas de souligner l’aura mystérieuse qui semble entourer tout idéogramme chinois. De façon regrettable, dans ce genre de contexte ce qui transparaît des descriptions de l’auteur semble perdre son admirable ambition d’acculturation et s’entacher d’un auto-orientalisme qui cible le marché. Cette dernière stratégie se focalise sur la langue, en lui conférant le pouvoir de relier les deux cultures, tout en offrant de nouvelles inspirations pour étudier le pouvoir du langage et de la traduction :

  • 1 Cette description se réfère au caractère meng dans l’écriture antique ossécaille (jiagu wen 甲骨文).

Deux traits verticaux croisés avec deux autres, plus courts, horizontaux, à peine perceptibles, symbolisent un lit. À côté, trois traits verticaux, minces comme des fils et courbés, représentent des cils baissés sur le gros plan d’un œil fermé. Au-dessus, un doigt pointé sur lui semble dire qu’il continue à voir dans son sommeil. Voilà le signe du « rêve » dans l’ancienne écriture chinoise hiéroglyphique, vieille de trois mille six cents ans. (Dai 2005 : 127) 1

Conclusion

24Il est fondamental de souligner l’importance de la littérature de la diaspora dans la nouvelle configuration de la littérature chinoise, de plus en plus entrelacée avec la littérature mondiale. Le déplacement des auteurs est le moteur qui déclenche la déterritorialisation de la littérature nationale et la transnationalité de certaines œuvres. Dans le cas de Dai Sijie, j’ai montré que le déplacement s’exprime à trois niveaux : au niveau de l’identité du protagoniste, à travers le voyage narratif, et au moyen des connections interculturelles établies par l’auteur qui font du Complexe de Di un roman-pont entre les deux cultures, française et chinoise. L’altérité intrinsèque du regard du migrant, l’instabilité, la mobilité constante et le réseau de références culturelles sont les modalités à travers lesquelles Dai Sijie expose au public francophone la complexité de la condition diasporique, même quand l’exilé retourne à son propre pays d’origine.

25Un possible développement de cette étude pourrait consister en une analyse se focalisant sur le déplacement du texte lui-même. En particulier, on pourrait approfondir l’exploration du rôle des traductions dans la représentation du déplacement, ainsi que leur contribution au re-placement de certains textes dans le contexte mondial. Les traductions, tant en chinois qu’en d’autres langues, pourraient montrer comment un texte auparavant exilé vers une langue étrangère (dans ce cas, le français) serait en mesure de circuler à travers les frontières nationales et aussi de retourner à sa langue et sa culture d’origine.

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Bibliographie

Cañas, Beatriz Mangada, « Dai Sijie : écrire en français pour évoquer dans la distance le pays quitté », Cédille : Revista de estudios franceses, 7, 2011, p. 190-203.

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Notes

1 Cette description se réfère au caractère meng dans l’écriture antique ossécaille (jiagu wen 甲骨文).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Martina Codeluppi, « Le complexe de la complexité : déplacement multidimensionnel dans l’œuvre de Dai Sijie »TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 29 mars 2021, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/5556 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.5556

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