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2021
Hors frontières (N° 26 | 2021)
Écrire en déplacés

De l’Amérique à l’Europe des années 1920

Expériences du déplacement dans les récits de voyage de Tani Jōji
Gérald Peloux

Résumés

Les récits de voyage de l’écrivain japonais Tani Jōji (1900-1935) rédigés entre 1925 et 1930 sont caractéristiques d’une littérature japonaise de l’entre-deux-guerres qui connait une première mondialisation, avec des écrivains de plus en en plus cosmopolites voyageant à l’étranger. Tani Jōji a vécu en tant que travailleur itinérant de 1920 à 1924 dans le Midwest et à New York, puis a effectué un long périple européen de treize mois avec son épouse à la toute fin des années 1920. Il en rapporte chaque fois des récits au format moderniste, en complète osmose avec les recherches littéraires de l’époque. Ses textes sont actuellement plutôt étudiés du point de vue de l’immigration, des rapports interethniques. Notre article se propose d’analyser la question du déplacement dans ses récits viatiques, la manière dont celui-ci est présenté, mais aussi quelle influence ce paradigme a pu avoir sur son écriture.

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Texte intégral

BUMP !

  • 1 On peut trouver cette photographie dans Ozaki, « Hasegawa Kaitarō, masukomi bungaku no paionia », p (...)

1Le premier mai 1927 un Argosy du constructeur anglais Armstrong Whitworth décolle de l’aéroport de Croydon, situé au sud de Londres, pour un vol de deux heures trente en direction du Bourget. Cette ligne commerciale entre les deux capitales avait été ouverte l’année précédente, mais ce vol du printemps 1927 vient inaugurer la version deluxe. Une photographie du 21 juillet 1928 montre le couple Hasegawa posant devant un avion de la même compagnie, lui vêtu de plus-fours et coiffé d’une casquette, elle habillée d’une robe dévoilant ses genoux, un chapeau cloche sur la tête1. Ces deux voyageurs apparaissent aujourd’hui comme l’archétype du couple moderne des années 1920, avec leurs habits, leur pose devant ce qui est alors un des symboles du progrès technique. L’écrivain Hasegawa Kaitarō (1900-1935) et son épouse Kazuko (1895-1984) sont arrivés en Europe par le Transsibérien quelques mois plus tôt, en avril 1928, et se sont installés à Londres au tout début du mois de mai. Le 21 juillet ils quittent la Grande-Bretagne pour un long périple sur le continent européen qui va durer jusqu’au 28 avril 1929, date de leur retour à Londres. Quelques jours après, ils embarquent sur le paquebot qui va les ramener à Tokyo, via Marseille, Port-Saïd, Colombo, Singapour, Shanghaï et Kobe.

  • 2 Son épouse enverra également des relations de voyage, pour la revue Fujin Kōron (L’Opinion féminine(...)
  • 3 Nous utiliserons désormais ce nom pour désigner l’écrivain.

2Durant son séjour européen, Hasegawa Kaitarō rédige à la demande de Chūō Kōron (L’Opinion centrale)2, une des grandes revues généralistes japonaises, ses impressions de voyage dont les différents épisodes seront par la suite réunis en 1929 dans un volumineux ouvrage de 785 pages, intitulé Odoru chiheisen (L’Horizon dansant). Il utilise pour cela un de ses noms de plume, Tani Jōji3. Le texte, qui oscille entre un récit ostensiblement basé sur la réalité du voyage et la fictionnalisation la plus totale, s’appuie sur les techniques d’écriture moderniste : appropriation de divers genres (récit viatique, bien sûr, mais aussi anecdotes humoristiques, interviews, enquêtes policières, récits historiques, guides touristiques, etc.), ruptures de style et de la trame narrative, phrases nominales, longues digressions, insertions de divers documents (menus de restaurant, fiches descriptives, etc.), utilisation massive de mots en langues étrangères rédigés en caractères latins ou retranscrits en kana (syllabaires japonais), etc. La description de sa traversée de la Manche durant l’été 1928 constitue un des moments essentiels de cette pratique : le modernisme vient démultiplier la modernité des années 1920 dans ce qu’elle a de plus symbolique, l’aviation.

BUMP

と、風をついて滑走(タクシ)していた機がじっさいいつからともなくふわりと宇乗りをはじめたらしい。いままで機窓の直ぐそとにあった地面がどんどん下へ沈みつつある。

天文とジュラルミンと大胆細心と石油と共同作業は、ここに開始された。

飛び出したのだ。

Off she goes — The Silver Wing!

OH! Glory! 何という刹那的な煽情(センセイション)!刺激・陶酔・優超感・魘(うな)されるこころこのGRRRRと、そしてBUMP!

  • 4 Tani, Odoru chiheisen, vol. 1, p. 211. Dans les notes suivantes, nous présenterons les références d (...)

生きながらの昇天だ。人と鞄と旅行免状とランチ包(づつ)みとボウイさんとの。4

BUMP ! L’appareil qui roulait sur le tarmac emporté par le vent semblait entamer doucement son décollage — en fait depuis déjà un petit moment. Le sol qui se trouvait jusqu’à présent juste là à côté des hublots s’enfonçait petit à petit.

Le travail en commun des cieux, du duralium, de la plus haute précision et du pétrole avait commencé ici.

Nous avions quitté le sol.

Off she goes The Silver Wing !

OH ! Glory ! Quelle émotion de l’instant ! Nous étions excités, enivrés, nous nous sentions les maîtres du monde, nous étions pris dans un cauchemar. — Ces GRRRR, puis ces BUMP !

  • 5 Ibid. (notre traduction).

Cette ascension vers les Cieux, encore vivants. Ascension des êtres humains, des bagages, des autorisations de voyage et des boîtes pour le déjeuner5.

  • 6 Chap. 1 : Japon, Corée, Chine, U.R.S.S. ; chap. 2 : Grande-Bretagne ; chap. 3 : Grande-Bretagne ; c (...)
  • 7 Duffy, Enda, The Speed Handbook: Velocity, Pleasure, Modernism, Durham (Caroline du Nord), Duke Uni (...)

3L’envol de l’Argosy depuis Croydon vient d’autre part mettre en avant une thématique qui ne cesse de réapparaître dans chacun des douze chapitres qui correspondent plus ou moins aux différentes étapes du voyage6 : le mouvement, le déplacement. Comme Enda Duffy l’explique dans son ouvrage The Speed Handbook: Velocity, Pleasure, Modernism7, la vitesse et son corollaire, le déplacement, constituent un des aspects de la modernité des années 1920, l’auteure s’appuyant surtout sur l’image de l’automobile. Ce dernier moyen de transport, mais aussi, sans être exhaustif, l’avion, le train, le bateau (de la barque au paquebot), le tramway, le métro, l’autobus, le dos d’âne, font partie de cette grande danse – pour reprendre le titre du livre de Tani Jōji – moderniste et composent des éléments incontournables de L’Horizon dansant. L’étude de ce dernier, et plus généralement de toute l’œuvre viatique de cet écrivain, ne peut passer sous silence la thématique du déplacement, en partant de son approche la plus pratique pour nous mener à une analyse de sa signification et de son influence dans le processus d’écriture de l’auteur.

  • 8 Tani, Hōbōki (Chroniques d’un trimardeur), Tekisaku mushuku / Kiki, p. 2.
  • 9 Ibid., p. 6.
  • 10 Tani, Chroniques d’un trimardeur japonais en Amérique, p. 23. Désormais les références à ce recueil (...)
  • 11 Tani, Sail’Ho, Tekisaku Mushuku ta 31-pen, p.16. Désormais, les références à cet ouvrage seront ind (...)
  • 12 Tani, Chroniques, p. 55.

4La question du déplacement n’apparaît pas pour la première fois lorsque Tani Jōji rédige son récit de voyage européen. Dès le début de sa carrière, en 1925, ses premières nouvelles dans la revue Shinseinen (Le Jeune Homme moderne) sont marquées du sceau de cette même thématique. En effet, il se fait connaître du grand public par ses « récits jap-américains » (meriken jappu mono) qui relatent sa vie de jeune homme, d’abord en tant qu’étudiant, puis en tant que travailleur migrant, dans le nord-est des États-Unis, de 1920 à 1924. Contraint et forcé par un niveau d’anglais trop faible, il a abandonné, au bout de quelques mois, la vie sédentaire de l’université Oberlin (Ohio) où il était inscrit, pour une vie marquée par l’instabilité économique, les changements incessants de lieux de résidence, la mixité sociale et raciale. Ces courts textes, dont certains titres sont évocateurs (Kaigai inshōki – tokorodokoro [Impressions d’outre-mer. D’un lieu à l’autre, janvier-février 1925], Dassō [En Fuite, juin 1925], Tekisasu mushuku [Sans Logis au Texas, octobre 1926], Shiroi eri o shita wataridori [Oiseaux migrateurs au col blanc, octobre 1927], Kuni no nai hitobito no kuni [Le Pays des sans-pays, décembre 1927]) font référence à son statut de hobo qu’il traduit en japonais par un jeu de mot idéophonographique, en utilisant deux caractères chinois qui se lisent hōbō et qui pourraient se traduire par « dans toutes les directions »8. La description de son séjour américain donne l’impression d’une course en avant, d’une inextinguible appétence pour le mouvement, symbolisée par l’odeur du charbon : が、落ちつけないのがこの人の病、煤煙の臭いを嗅ぐと放浪の心むらむらと起って、市俄古落ち。9 (« Mais l’instabilité est la maladie de votre serviteur : lorsqu’il sent l’odeur de la fumée du charbon, il ne peut retenir son désir de vagabonder, et le voilà à Chicago10. »), ou dans un autre texte, 「第三、汽車線路へ近いので日夜むらむらと起る放浪心をどうすることも出来ない私はいまだに悪いことに煤煙のにおいを嗅ぐと莫迦に国際的になる。」11 (« Tertio, comme nous étions proche d’une voie ferrée, je ne pouvais empêcher mon esprit vagabond de divaguer jour et nuit — aujourd’hui encore à ma grande peine, dès que je sens l’odeur de la fumée d’une locomotive, je deviens horriblement international12. »).

5Les lignes qui vont suivre se proposent ainsi d’analyser la place et le rôle du déplacement dans les nouvelles américaines de Tani Jōji, marquées par l’errance, la migration, aussi bien que dans son récit viatique, relatant un voyage flamboyant dans l’Europe des années folles. Malgré la différence dans l’expérience de vie qui semble opposer ces deux corpus, nous voudrions nous interroger sur l’unité qui pourrait malgré tout en ressortir à la lumière du paradigme du déplacement et de l’impact qu’il pourrait avoir sur l’aspect formel des récits.

Nécessité du déplacement et vitalisation des moyens de transport

  • 13 Les textes publiés sous ses deux autres noms de plume, Maki Itsuma et Hayashi Fubō, adoptent majori (...)

6Les récits de Tani Jōji, s’ils prennent le format court de la nouvelle13, ne peuvent paradoxalement s’apprécier que dans le plaisir de la digression, de la liste, du temps long. Dans Hōbōki (Notes manuscrites d’un vagabond, août 1925), l’auteur présente le territoire de ses pérégrinations américaines sur une trentaine de lignes, dans une logorrhée verbale où la structure syntaxique est poussée à ses limites :

  • 14 Tani, Hōbōki, Tekisaku mushuku / Kiki, p. 6-7.

これが病みつきで、北ダコタの鉱山町からクレメンス山の温泉場と流れ歩き、又デテロイトへ舞い戻って猶太人(ジュウ)フェニクス倶楽部の給仕人長、百貨店の売子、元のクラブで給仕人、夏の別荘倶楽部(カンツリクラブ)のベルハップ、とうとう出世してそこの次席給仕(キャプテン)、黒人(くろ)のボウイがつきゝりで、一つの机を持って電話で事務。これがまた大したもの。が、落ちつけないのがこの人の病、煤煙の臭いを嗅ぐと放浪の心むらむらと起って、市俄古落ち。美術店の現金掛り、旅館のボウイ、ずっと飛んでケントキイ州エリザベスの町、鉄道路線の下働き、山火事専門の消防夫、インデアナ州活動常設館オデオン座の仲売り、南京豆とアイス・クリイムの呼売り、大学倶楽部や旅館のボウイ。市俄古へ逃げて、さる大富豪の執事(バトラア)。また、デトロイトへ帰って家内労働、自動車会社へ出てみたり、ペンキ屋の真似をしたり、やっと腰を据えたかと思うと、又旅に出て、北を廻って着いたところが世界第一の紐育。さあ、恐入ったね。金はなし、仕事はなし、第三街の露西亜料理の皿洗い、猶太人町(ゲトウ)で太腸詰(ハット・ドッグ)の立売り、自暴(やけ)を起して貨物船(フレイタア)のボウイから火夫までやって英国はカアデフ港に三日間、引っかえして、船を変え、中央亜米利加から墨西哥(メキシコ)の南[14

  • 15 Tani Jōji utilise un système de glose, les furigana, qui permettent d’indiquer au-dessus d’un mot ( (...)
  • 16 Tani, Chroniques, p. 23-24.

[…] Je ne pouvais plus m’en passer : je passais par une ville minière du Dakota du Nord pour atterrir dans la station thermale de Mount Clemens, je m’en retournai à nouveau à Detroit où j’officiais comme maître d’hôtel d’un club juif, le Phoenix Club, comme vendeur d’un grand magasin, puis à nouveau comme serveur dans le club précédent et comme groom (bellhop)15 d’un country club durant la saison estivale ; je finis par y gagner du galon car je fus promu chef de rang (captain) avec toujours autour de moi des boys noirs et, installé à mon bureau, je gérai les affaires par téléphone. Voilà qui était vraiment bath. Mais l’instabilité est la maladie de votre serviteur : lorsqu’il sent l’odeur de la fumée du charbon, il ne peut retenir son désir de vagabonder, et le voilà à Chicago. Caissier dans une galerie d’arts, puis boy dans un hôtel, je m’envolai ensuite bien loin vers Elizabethtown dans le Kentucky où je fus manœuvre sur les rails et pompier spécialisé dans les feux de forêts, mais aussi ouvreur à l’Odeon, une salle de cinématographe dans l’Indiana, vendeur ambulant de cacahouètes et de glaces, boy dans un club d’université et dans un hôtel. Je m’enfuis à Chicago pour devenir majordome (butler) d’un milliardaire. Ensuite, je revins à Detroit où je m’essayai à un emploi à domicile puis dans une entreprise automobile, je me faisais passer pour peintre en bâtiment, et alors que je semblais installé, me voilà reparti en voyage : je pris la route du nord et mon point de chute fut la plus grande ville du monde, New York. Surpris, non ? Pas un sou, pas un boulot, puis plongeur dans un restaurant russe de la Troisième avenue, vendeur ambulant de hot dogs dans le quartier juif (ghetto) ; déçu je devins tout d’abord boy puis chauffeur dans un cargo (freighter) avec lequel je passais trois jours dans le port de Cardiff en Grande-Bretagne, et à mon retour, je changeai de navire : de l’Amérique centrale au sud du Mexique […] 16.

  • 17 Tani, Hōbōki, Tekisaku mushuku / Kiki, p. 7.
  • 18 Tani, Chroniques, p. 24.
  • 19 Voir à ce sujet Anderson, Nels, Le Hobo, Sociologie du sans-abri (1923), traduction de l’anglais pa (...)
  • 20 Voir à ce sujet McIntyre, Iain, On the Fly! Hobo Literature & Songs 1879-1941, Oakland (Californie) (...)
  • 21 London, Le Trimard, p. 51.

7Ce long extrait ne constitue qu’une partie de ce résumé géographique mais il suffit à montrer combien les récits américains sont marqués du sceau du déplacement. Le lecteur est emporté dans un tourbillon de déplacements, de villes en villes, de régions en régions, comme si le narrateur ne pouvait plus s’arrêter. C’est d’ailleurs ce que laissent entendre la métaphore déjà évoquée de la fumée de charbon mais aussi la fin du paragraphe précédent qui se conclut par le retour dans la ville natale, le port de Hakodate : 「おや、見たこのある港だな、ぐらいが放浪常習人(ボヘミアン)の心意気ってものさ。」17 (« Hé ! Mais j’ai déjà vu ce port, voilà qui est propre à un fougueux vagabond (bohemian)18. »). Cette fougue vagabonde constitue une caractéristique essentielle des récits américains et nous pouvons voir là un éloge de la liberté du hobo, éloge qui ne passe cependant pas sous silence les aspects les plus terribles de ce statut complexe marqué par une très forte violence socio-économique19. Si l’œuvre majeure en lien avec cette catégorie sociale est sans conteste The Road (La Route ou Le Trimard, 1907) de Jack London (1876-1916), une littérature hobo s’est développée dès la fin du XIXe siècle aux États-Unis, tout d’abord chez des auteurs se posant comme moralisateurs, puis par d’autres, sympathisants voire ayant connu la route20. Le rail est pour ces trimardeurs le symbole de cette difficile liberté, parfois forcée, comme le montre London dans le chapitre « Comment on brûle le dur ». Le combat avec les différents représentants des autorités locales et ferroviaires est parfois une question de vie ou de mort : « This will never do. Sleep on the rods spells death […] » (« Mais c’est absolument impensable. S’endormir sur une barre, c’est la mort assurée []21 »).

  • 22 Tani, P.D.Q., TM, p. 218.
  • 23 Tani, Chroniques, p. 84.
  • 24 « modern symbol » et « sense of movement, speed, or electric power » dans Sollors, Ethnic Modernism(...)
  • 25 Tani, P.D.Q., TM, p. 221.
  • 26 Tani, Chroniques, p. 86. « P.D.Q. » signifie d’après les personnages « Pretty Damn Quick » ou « Ple (...)

8La présence continuelle de la vie et de la mort dans la vie du hobo alors qu’il se déplace au gré de ses nécessités se trouve symbolisée dans un des récits de Tani Jōji, P.D.Q. (octobre 1925) qui relate le suicide de Joe, un migrant japonais installé depuis une vingtaine d’années aux États-Unis, et les réactions des personnages qui gravitent autour de lui. Si la découverte du corps sans vie dans son lit constitue la scène centrale, on constate que le reste de la nouvelle semble vouloir conjurer cette mort survenue dans un espace fermé (la chambre) par une surenchère de mouvement et de déplacements entre différentes villes. Après la constatation du décès par les autorités, le narrateur décide de rentrer avec ses compagnons dans l’État du Michigan, sans doute à Detroit (le récit se passe à Chicago). Comme si l’immobilité cadavérique de Joe pouvait avoir une influence néfaste sur leurs propres personnes, il déclare dans une sorte d’évidence logique : 「もうけちがついたら何うしても今日の正午発でM州へ帰ると私は主張した。」22 (« Comme il n’y avait plus rien à faire, je déclarai qu’il fallait absolument revenir dans l’État de M, par le train de midi aujourd’hui23 »). Cet impératif catégorique appelant au déplacement, aussitôt suivi d’effet, mène tout son groupe d’amis dans le tramway qui doit les conduire à la gare. Ce moyen de transport, « symbole, comme l’écrit Werner Sollors, de la modernité », permettant de transmettre le « sens du mouvement, de la vitesse ou la puissance électrique » 24est la scène d’un débat, d’un combat verbal, que Tani Jōji met sur le compte du racisme anti-asiatique de certains Américains, mais que l’on peut aussi analyser, à travers leur refus de descendre du tram, comme celui d’être laissés à l’arrêt alors que le mouvement du wagon, tel celui de la vie, continue. Ce n’est que lorsque la vengeance du groupe d’amis japonais envers le machiniste moqueur et raciste s’accomplit qu’ils décident de descendre pour marcher jusqu’à l’arrêt suivant : 「停車場は近くもない。乗り遅れはないようにと、四人のメリケン・ジャップは脚を揃えて広い大通りを闊歩して行ったそれこそほんとにPDQに。」25 (« L’arrêt n’était pas si proche. Pour éviter de manquer notre tramway, nous, les quatre Japs américains marchions à grands pas, en cadence, sur le large boulevard – et tout cela précisément de manière PDQ26 »). Ainsi la majeure partie des scènes fait-elle référence aux déplacements, comme si le récit se devait d’être toujours en mouvement, symbole de vitalité, de vie, à l’opposé de ce vieux Joe qui finit ses jours dans un lit, enfermé dans une pièce, de manière statique.

9Cette connexion entre déplacement et vitalité s’exprime également à travers un élément phare de la modernité américaine : l’automobile Ford. Alors que l’être humain, à travers l’exemple du vieux Joe, perd sa « vitalité » lorsqu’il ne peut plus se déplacer, la Ford, symbole même du déplacement à travers l’Amérique des années 1920, devient dans les textes de Tani Jōji, d’objet inerte, un personnage doué de vie, différent des autres automobiles, et est comparée à un animal :

  • 27 Tani, Futatsu no jūjika – A Story of the American Slang (Les deux Croix – A Story of the American S (...)

基督(キリスト)教を信棒する世にも健実なる日本学生二人、夏休みのあいだ農家に雇われたし。豚は洗ってもいゝがフォウドを洗うことだけは御めん。豚には個性も意地もないが、フォウドは個性と意地とで一ぱいだからいやです。27

  • 28 Tani, Chroniques, p. 96.

Deux étudiants japonais bons et honnêtes chrétiens recherchent emploi pour travaux à la ferme durant les vacances d’été. Prêts à laver les porcs, mais pas les Ford, non merci. Les porcs n’ont ni personnalité ni volonté, tandis que les Ford en sont pleines, d’où notre refus28.

10Cette vitalisation qu’accorde l’auteur aux machines de la période de l’entre-deux-guerres se retrouve également dans son récit de voyage. Cette fois-ci, ce n’est plus l’automobile, mais le train, au départ de son périple, et le bateau, pour le retour, qui sont l’objet de cette transformation. Tani Jōji décrit son départ en ces termes :

  • 29 Tani, OC 1, p. 10.

交通機関はつねに無慈悲にまで個人の感情に没交渉である。彼女が贈られた花束を振り、私が、この刹那(せつな)の印象をながく記憶しようと努力しているうちに、汽車はじぶんの任務にだけ忠実に、well ―急行だから早い。さっさと出てしまった。私たちは車室へ帰る。29

  • 30 Tani, OC 1, p. 10 (notre traduction).

Les moyens de transport sont totalement coupés des sentiments des individus jusqu’à en être impitoyables. Alors qu’elle [Kazuko] remuait le bouquet de fleurs qu’on lui avait offert et tandis que je tentai de me souvenir le plus longtemps possible des impressions de cet instant, le train, fidèle à son devoir, démarra sans plus attendre, well — c’était un express, il était donc rapide. Nous retournâmes dans notre compartiment30.

11Le train se voit doté de fidélité et de responsabilité (l’auteur utilise le terme « jibun », en principe réservé aux êtres humains, pour exprimer l’idée de propriété ou de réflexivité). Dans une symétrie syntaxique quasi parfaite, le paquebot remplace le train à leur retour :

  • 31 Tani, OC 2, p. 322-323.

交通検閲はつねに無慈悲にまで個人の感情に没交渉である。私と彼女が、桟橋に立っている二人の巡査と、数人の近処の子供らと、一団の荷役人夫たちに別れの手を振りながら、すこしでも強く長くこの倫敦(ろんだん)の最後の印象を持続しようと焦っているうちに、船は自分の任務にだけ忠実に大きな身体(からだ)のくせに驚くほど早い。さっと出てしまった。私達は船室へ帰る。31

  • 32 Tani, OC 2, p. 322-323 (notre traduction).

Les douanes des transports sont totalement coupées des sentiments des individus jusqu’à en être impitoyables. Tout en saluant du bras pour le départ les deux gendarmes en poste sur le ponton, les nombreux enfants du voisinage et le groupe des porteurs de bagages, nous tentions par tous les moyens de faire durer cette dernière impression aussi longtemps et aussi intensément que possible, mais à ce moment, le navire, fidèle à son devoir, démarra sans plus attendre ; malgré un corps imposant, il était étonnamment rapide. Nous retournâmes dans notre cabine32.

12À côté de Tani Jōji, son épouse et tous les protagonistes rencontrés durant son séjour américain et leur voyage européen, le déplacement est élevé au rang d’un personnage, avec un caractère propre, souvent très indépendant, à travers les objets qui le personnifient le plus, les moyens de transport. La place essentielle qu’ils occupent est marquée dès la première nouvelle américaine publiée en janvier 1925, Yangu Tōgō (Young Tōgō). Si le récit voit la naissance du meriken jappu (le Jap-américain) en prise avec le racisme quotidien d’autres Américains, le cadre est déjà celui d’un tramway qui semble recomposer une petite Amérique dans laquelle certains sont en butte au racisme, tandis qu’une majorité reste silencieuse pour pencher à la fin vers celui qui l’emporte.

13Cette mise en avant du déplacement constitue ainsi un choix de l’auteur : on peut y voir un aspect incontournable de sa production littéraire. Le déplacement n’est pas cet entre-deux, cet espace instable, entre deux moments d’un récit, il n’est pas une simple transition d’un espace à un autre : il constitue la part essentielle de la narration, voire fonctionne comme le déclencheur d’un nouveau récit, il est également là où se passe le cœur même de l’action et les moyens de transport constituent les meilleurs supports de cette symbolique.

Le déplacement, vecteur du récit

14Les récits de voyage de Tani Jōji sont également marqués, comme on peut le constater à travers les extraits présentés ci-dessus, du sceau de l’humour. L’auteur se fera d’ailleurs une spécialité de ce genre durant sa carrière, en participant aux rubriques humoristiques de la revue Shinseinen, en traduisant des œuvres du l’humoriste canadien Stephen Leacock (1869-1944), enfin en publiant un recueil de saynètes humoristiques en 1930, Modān tokuhon (Lectures modernes).

  • 33 On retiendra cependant qu’un des premiers journaux intimes (nikki) à l’origine du genre du même nom (...)
  • 34 Best-seller en son temps, ce texte continue à être largement publié de nos jours sous divers format (...)
  • 35 Le voyage humoristique n’est bien sûr pas l’apanage de la littérature japonaise. Voir à ce sujet : (...)

15Sans vouloir refaire toute l’histoire du récit de voyage, c’est un fait que l’humour occupe une place majeure dans la littérature de voyage japonaise33. Un des best-sellers de la littérature prémoderne de l’archipel est un texte intitulé Tōkaidōchū hizakurige (À Pied sur le Tōkaidō, 1802-1822) écrit par Jippensha Ikku (1765-1831)34. Il remet au goût du jour, celui d’une littérature populaire friande de comique, de grotesque, de rire parfois graveleux, le voyage entre Edo, la capitale shogunale qui sera renommée Tokyo en 1868, et la capitale impériale, Kyoto, grâce à deux complices Yajirobē et Kitahachi, qui d’étape en étape sont les victimes et les acteurs d’aventures loufoques. À Pied sur le Tōkaidō est également un guide touristique qui indique le nom des étapes et les distances entre chacune d’elles et qui présente les auberges, ses propriétaires et ses clients, les sites célèbres, les spécialités locales qu’un voyageur de l’époque pouvait alors découvrir. Le récit de Jippensha Ikku va devenir un genre à lui tout seul : de 1870 à 1876, alors que le pays s’est désormais ouvert au reste du monde, Kanagaki Robun (1829-1894) publie une « suite » parodique à cette œuvre, Seiyō dōchū hizakurige (À Pied en Occident) : les petits-fils des deux compères se rendent non plus à Kyoto mais à Londres – nouvelle capitale du monde ? – pour participer à l’Exposition universelle de 1862. Ce récit rapporte leurs aventures rocambolesques en bateau puis en Grande-Bretagne. Temporellement plus proche de l’œuvre de Tani Jōji, l’artiste Kondō Kōichirō (1884-1937) rédige à son tour un récit picaresque relatant son séjour en Europe, Ikoku hizakurige (À Pied dans les pays étrangers) qu’il publie dans une anthologie de textes humoristiques en 1928, anthologie dans laquelle Tani Jōji, sous le nom de plume Maki Itsuma, publiera deux volumes. Dans le second, intitulé Veranda no isu (Le Fauteuil dans la véranda, 1930), on retrouve d’ailleurs certains textes américains tirés du second recueil des nouvelles de ce genre, Modan dekameron (Le Décaméron moderne, 1929). Dans À pied dans les pays étrangers on voit l’auteur, avec deux de ses amis, en prise avec l’Europe, ses nouveautés, décrivant sur un mode humoristique les écarts entre les deux cultures et ses difficultés d’adaptation. Il est important de constater que dans ce texte également, l’itinéraire – mais également les préparatifs du voyage – entre le Japon et l’Europe occupe une place importante (224 pages sur les 526 que compte l’ouvrage). Si Tani Jōji n’affirme pas que L’Horizon dansant est un hommage à À pied sur le Tōkaidō, le couple formé par les Hasegawa auquel il arrive toute une série d’aventures plus ou moins étonnantes, le découpage du récit en chapitres qui suivent l’avancée des deux « héros », le format souvent utilisé de la saynète, qui plus est humoristique, ne peuvent que confirmer son appartenance à un genre parfaitement identifié au Japon35. En outre, l’importance accordée dans ce genre du hizakurige aux déplacements spatiaux ne fait que conforter ce lien générique.

16Affirmer que c’est le déplacement qui a donné naissance au genre viatique peut passer pour une lapalissade. Le déplacement n’est cependant pas une obligation pour écrire un récit de voyage : on sait que certains d’entre eux ne reposent pas sur une réalité du déplacement et que d’autres invitent à un mouvement plus que limité (Voyage autour de ma chambre, 1794, de Xavier de Maistre [1863-1852], par exemple). Dans le cas des récits américains et de l’œuvre viatique européenne de Tani Jōji, c’est le déplacement qui semble vouloir faire œuvre, non pas simplement dans le sens où le voyage impliquerait, comme pour une commande d’un journal, d’un magazine ou d’une maison d’édition, de rendre un récit à intervalles plus ou moins réguliers (ce qui était le cas de L’Horizon dansant), mais dans le sens où le déplacement provoque une mise en écriture, où, au-delà des descriptions des paysages traversées, des personnes rencontrées, il devient l’acteur même de l’écriture.

  • 36 Les onomatopées dans la langue japonaise n’ont pas de connotation enfantine ou orale. Elles font pa (...)

17Il faut revenir ici à l’aspect circulaire (ou symétrique) de L’Horizon dansant que nous avions présenté plus haut. Les citations précédentes montraient une quasi-symétrie entre la description du départ et du retour à travers une vitalisation du train et du paquebot. De manière tout aussi symbolique, le premier mot de cette œuvre est une onomatopée36, « gatan », qui retranscrit un son sourd, le bruit d’un objet dur. « Gatan » est souvent associée au bruit des roues d’une locomotive, de sa mise en mouvement. Par la force des premiers mots de l’incipit, ce récit viatique s’inscrit entièrement dans le déplacement symbolisé par le train à vapeur dont l’auteur avait expliqué dans ses récits américains qu’elle lui donnait une irrépressible envie de voyager. Symboliquement, la même onomatopée réapparaît au début du dernier chapitre, celui du retour au Japon en paquebot.

踊る地平線へ

がたん!

  • 37 Tani, OC 2, p. 305.

 という一つの運命的な衝動を私達の神経へ伝えて、私たちの乗り込んだNYKSSH丸は倫敦(ロンドン)・横浜間の定期船だけに、ちょいと気取った威厳と荘重のうちにその推進機の廻転を開始した。37

En route vers l’horizon dansant — !

  • 38 Tani, OC 2, p. 305 (notre traduction).

— Le H-maru de la compagnie Nippon Yusen, sur lequel nous avions embarqué, transmit, bam ! un choc définitif à notre système nerveux et fit démarrer le mouvement de ses moteurs, quelque peu empreint de solennité et de gravité, lui navire de la liaison régulière entre Londres et Yokohama38.

  • 39 Entre crochets, les termes exacts utilisés en japonais.

18Cette évocation psycholinguistique du mouvement au moyen de l’onomatopée est renforcée par l’utilisation dans la phrase nominale précédente de la particule grammaticale « e » qui indique le déplacement vers un lieu : « Odoru chiheisen e — ! » traduit ci-dessus par « En route vers l’horizon dansant — ! ». Le mouvement induit par le déplacement du paquebot et transmis aux systèmes nerveux du couple Hasegawa est ainsi dédoublé par les outils linguistiques de la langue japonaise. En outre la phrase est marquée par une surabondance de termes répondant à cette même thématique du déplacement, concret ou abstrait : « transmit », « mouvement [rotation] », « moteurs [machine à propulsion] »39.

19La fusion des objets vitalisés et du mouvement se retrouve quelques pages plus loin lorsque l’auteur décrit leur départ de Londres :

がたん・がたん!

  がたん・がたん!

  Home-coming blues!

  Home-coming blues!

 なんとそれが調子よく機関のひびきに乗ったことよ!

 これからは当分、この連続的に退屈(モノトナス)な低音階と、ぺいんとの香(におい)と、飛魚と布張椅子(キャンヴス・チェア)と、雲の峰だけの世界である。

  • 40 Tani, OC 2, p. 324-325.

 ろんどんジブロウタ馬耳塞(マルセーユ)—NAPOLI—ぽうと・さいどスエズ古倫母(コロンボ)シンガプア香港(ホンコン)上海(シャンハイ)コウブよっくへえま! ふうれえい!40

Bam, bam !

Bam, bam !

Home-coming blues !

Home-coming blues !

Comme tout cela va bien en rythme avec la mélodie des machines !

Désormais, et pendant quelques temps, notre monde sera celui des notes régulières, basses et monotones, des machines, de l’odeur de la peinture, des poissons-volants, des fauteuils en toile (canvas chair), des montagnes de nuages.

  • 41 Tani, OC 2, p. 324-325 (notre traduction).

Londres—Gibraltar—Marseille—NAPOLI—Port-Saïd—Suez—Colombo—Singapour—Hong Kong—Shanghaï—Kobe—Yokohama ! Hurray41 !

  • 42 Ozaki, « Modan Dekameron ni tsuite », p. 313.

20Nous retrouvons les « gatan/bam » évocateurs du mouvement des machines et du départ des trains et des paquebots. Mais, ici, ceux-ci sont reliés aux « notes régulières, basses et monotones », tandis que Tani Jōji évoque le « blues » du retour, qui peut faire référence à la nostalgie mais aussi à ce style musical qui serait une des origines du jazz, si caractéristique des années 1920. De fait, l’écriture de l’écrivain japonais dont le graphisme, avec une utilisation très originale des gloses textuelles (furigana), a souvent été remarqué, est également, dès ses premiers textes, une écriture marquée par un rythme, une musicalité, souvent comparés au jazz42. Non seulement des références à cette musique émaillent les récits américains mais, de manière plus générale, la forme même de ses textes offre une place importante à la musicalité. Nous voudrions terminer notre réflexion sur la place du déplacement dans son œuvre viatique par cette question.

Musicalité du déplacement

  • 43 Retour qui sera loin d’être direct. Si l’on en croit ce qu’il écrit, il serait passé par Cardiff (l (...)

21Dans Sail’Ho (juin 1926), Tani Jōji relate son départ plus ou moins clandestin de New York pour le Japon dans un bateau de commerce43. Son intégration au sein de l’équipage se révèle compliquée et les dernières lignes de la nouvelle font un lien entre le déplacement du navire, le rythme du moteur et son désir de revenir au Japon :

それからまた私は汽関室へ追い込まれた。私は夢中で機械の下へ潜りこみ、いつの間にか動き出した繭棒(ピストン)の音に合せて、頭のなかで「にっぽん、だんし、にっぽん、だんし」と繰り返しながら、大きな螺旋廻(ねじまわ)しを締めつけていた。朝になったとみえて、船は港を出かかっていたのである。だから、私はアメリカへ「アデュウ」の手を振る機会を持たなかった。

 フロリダの岸に沿うて船は南下する、南下する。サンサルバドルの島かげもほど近かろう。一週間後にはパナマ運河だ。それから先は太平洋。

  • 44 Tani, Sail’Ho, TM, p. 24.

 「にっぽんだんし、にっぽんだんし」と汽関が唸る。Sail—ho ! 44

Puis je fus renvoyé à nouveau dans la salle des machines. Je me plongeai éperdument sous les moteurs ; et, en rythme avec les pistons qui avaient commencé à s’activer sans que je m’en rende compte, je répétais dans ma tête « Japonais et fier, Japonais et fier » tout en serrant de grosses vis. Le matin semblait s’être levé et le navire était sur le point de quitter le port. Ainsi, je n’avais pas eu l’occasion de dire « Adieu » d’un mouvement de la main à l’Amérique.

Le navire filait plein sud en longeant les côtes de Floride. Les caches de l’île de San Salvador ne devaient pas être bien loin. Dans une semaine, nous serions au canal de Panamá. Puis, ce serait l’océan Pacifique —

  • 45 Tani, Chroniques, p. 45.

« Japonais et fier, Japonais et fier » vrombissait le moteur. Sail — ho45 !

  • 46 Camelin, « « Image simultanée » et « immobilité vive » (Cendrars, Delaunay, Léger) ».

22Le moteur du bateau reprend à son compte, avec le rythme intimé par les pistons, les paroles émises dans un premier temps par le narrateur. Autrement dit, une passation de pouvoir s’effectue de l’homme vers la machine. La musicalité de celle-ci, point commun aux récits américains et à L’Horizon dansant, s’exprime d’abord dans la transfiguration d’un rythme simple mais lié à la modernité technologique. Elle se retrouve dans tout le corpus viatique à différentes étapes des déplacements du narrateur. Ainsi dans le chapitre consacré à la traversée de la Manche en avion, « Niji o wataru hi » (« Le jour où nous traversâmes l’arc-en-ciel »), le voyage aérien est rythmé par de très nombreuses phrases nominales, produisant une accélération de la vitesse de lecture à l’instar de celle de l’avion. On ne peut que penser à La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913) de Blaise Cendrars (1887-1961) qui cherche à travers ce poème « une écriture qui rende le mouvement, l’accélération de la vie des hommes46 ». La description du voyage en train entre Tokyo et Moscou s’appuie sur cette technique rythmique marquée par la répétition, le cadençage des gares : les descriptions de paysages se limitent majoritairement à des phrases nominales mais sont thématisées par l’inscription des villes traversées par leur train. On assiste ainsi à une fusion du visuel (le panneau de la gare) et du rythmique/musical :

「京城」

 降りて行った亜米利加(アメリカ)の女伝導師と、彼女の靴下のやぶれ。

 午後七時四十分。

「安東まで」

 低い丘。雑木林。

 金泉で雨。

 黙々として黒く濡れている貨車。

 停車場の棚に金雀枝(えにしだ)がいっぱい咲いていた三浪津(さんろうしん)の駅。

 秋風嶺(しゅうふうれい)でも雨。

 見たことのあるような気のする転轍手(てんてつしゅ)の顔。

 鉄道官舎のまえに立っていた日本の女。

 唐傘(からかさ)。雑草。石炭。枕木。

 日の丸。

 小学校。

「安東」

 税関。鉄橋。驟雨。日光。

「奉天まで」

  • 47 Tani, OC 1, p. 15-16.

 ゆるいカアキイ色の起伏。47

« Séoul »

Une missionnaire américaine nous quitte, ses chaussettes sont déchirées.

19 h 40.

« En chemin vers Andong »

Des collines basses. Des forêts aux essences diverses.

Pluie à Gimcheon.

Wagons noirs et silencieux, trempés par l’averse.

Gare recouverte de genêts en fleur — gare de Samnangjin.

Pluie aussi à Chunpungnyeong.

Le visage d’un aiguilleur que je crois avoir déjà vu quelque part.

Une Japonaise devant un bâtiment des chemins de fer.

Parapluies en papier huilé. Herbes folles. Du charbon. Des traverses de bois.

Un drapeau japonais.

Une école primaire.

« Andong ».

La douane. Un pont métallique. Trombes d’eau. Rayons de soleil.

« En chemin vers Fengtian »

  • 48 Tani, OC 1, p. 15-16 (notre traduction).

Légères ondulations couleur kaki48.

23On retrouve ce type de rythme, autant sonore que visuel, à plusieurs endroits du récit viatique européen et aussi dans ce que l’on peut considérer comme le prologue aux nouvelles américaines : un poème publié en janvier et février 1925, Kaigai inshōki – tokorodokoro (Impressions d’outre-mer. D’un lieu à l’autre), retraçant certaines étapes de son séjour aux États-Unis et de son retour au Japon. Par exemple, pour New York, où les « bruits de la vie quotidienne » sont mis en avant, la référence au futurisme dont on connait l’intérêt pour la représentation du bruit vient renforcer la place de l’aspect auditif :

27階。71階。

八時十五分の広小路。

四十二丁目の角。

ざんぎり頭の文学少女。

宝石店の前を杖をふり行くお洒落者。

未来派の絵、切紙細工の人形。

真珠と香水の舞踏靴。

窓に並ぶおしめ。

黒い雨と紫いろの光線。

石と鉄と人とが一つになろうとする

生活の音。

  • 49 Tani, Kaigai inshōki (Impressions d’outre-mer), Meriken jappu ichidaiki, p. 15.

そのなかの赤ん坊の泣き声。怪物。49

Vingt-sixième étage. Soixante-et-onzième étage

Huit heures quinze, sur Broadway.

Au coin de la 42e rue.

De jeunes passionnées de littérature, débarrassées de leurs chignons.

Des dandys passent devant une bijouterie, balançant leur canne.

Peintures futuristes, poupées en papier découpé.

Perles et chaussures de danse parfumées.

Langes suspendus aux fenêtres.

Pluie noire et rayons de soleil violets.

Pierre, acier et êtres humains ne vont bientôt faire plus qu’un :

Bruits de la vie quotidienne.

  • 50 Tani, Chroniques, p. 17.

Et au milieu, les pleurs des bébés. Des monstres50.

24De même, l’onomatopée « BUMP », transcrite en caractères latin – sans doute pour insister sur la modernité du contexte, les caractères latins étant à cette époque considérés comme des marqueurs de progrès – apparaît 28 fois dans la traversée de la Manche qui se déploie sur 37 pages. Ce « BUMP », son produit par l’avion lors des différents mouvements de l’habitacle mais aussi lors des trous d’air, rythme visuellement – les caractères latins les rendent particulièrement visibles dans le texte japonais – et musicalement par une scansion quasi régulière, avec un emballement à la fin où trois « BUMP » apparaissent simultanément lorsque l’avion atterrit au Bourget.

  • 51 Hosokawa, « Rubi de odotte – Ben Hekuto no hon.yaku to Tani Jōji no yūgiteki shokihō », p. 138.
  • 52 Voir à ce sujet Séité, Yannick, Le Jazz à la lettre – la littérature et le jazz, Paris, Presses Uni (...)

25Hosokawa Shūhei a analysé les techniques graphiques utilisées par l’auteur japonais et y voit l’expression littéraire d’une écriture jazzy : la tension du style ainsi inventée permet d’accélérer la vitesse du texte, vitesse qui constituerait un des aspects essentiels du jazz ; les règles de transcription graphiques sont poussées à leur extrême limite, dans une volonté ostensiblement ludique ; les récits ainsi construits s’appuient sur la technique du montage51. Les structures des nouvelles de Tani Jōji ressortissent à cette esthétique : vitesse, rythme, ludicité, montage mais aussi rythmique syncopée, répétition, digression52. Les textes oscillent entre de longs moments où le récit semble s’emballer par des improvisations comme si Tani Jōji lâchait la bride à son texte et des instants où le rythme s’accélère dans une conflagration d’informations. Le texte semble alors se gorger d’indications les plus diverses pour former un continuum particulièrement hybride. Le déplacement physique – même s’il est encore présent, comme dans l’exemple suivant – est redoublé par un déplacement incessant des formats textuels : le texte ne peut pas, ne doit pas se stabiliser, car, comme pour Joe dans P.D.Q., ce serait la mort assurée.

はろう! せいの高い船だ。昇っても昇っても上へ届かないから、僕は、出張船商人(シップ・チャンドラア)としての僕の到来を宣言して、now, 潮風にひとつ唄った。誰か聞きつけて出て来るだろう。

  Carrrry mee

  Cheerfulliee

  Over de sea!

  いいい!

 『誰だ地獄(フウダ・ヘル)!』

 果たしてらんかんから植民地英語の声が覗いた。

 『船上出張商人(ヴェンデドル・デアボルド)!』

 『EH? WHAT?

 『 支那公(チンキイ)Long Woo。』

 『Well, 俺は呪われた。その支那的(チンキイ)ロン・ウウまた何の用で上船しようてんだ。HEY ?

 『船商人(シュップチャン)旦那(サア)?』

 『いよいよ俺は呪われた。何を持って来た一体?』

  • 53 Tani, OC 2, p. 82-84.

 『AYE! いろんな物、sir, 色んなもの。あなたを悦(よろこ)ばすべきたくさんの品。[53

Hello ! Le bateau était grand. On avait beau grimper et grimper encore, on ne pouvait atteindre le pont. Aussi, j’annonçai mon arrivée, le ravitailleur de navires (ship chandler) et, now, chantai une petite fredaine dans la brise marine. Quelqu’un allait sans doute m’entendre.

Carrrry mee

Cheerfulliee

Over de sea !

Iiiiiiiii !

« Qui est là, bon dieu (Who the hell) ? Je perçus en effet une voix avec un accent anglais des colonies au-delà de la rambarde.

- C’est le ravitailleur de navires (Vendedor de bordo) !

- Eh ? What ?

- Long Woo le chinetoque.

- Well, j’suis damné. Et ce Long Woo, qu’est-ce qu’il veut faire sur le bateau ? Hey ?

- Un ravitailleur (shipchan) — monsieur (sir) ?

- J’suis fichu. Qu’apportes-tu donc ?

  • 54 Tani, OC 2, p. 82-84 (notre traduction).

- Aye ! Plein de choses, sir, tout plein ! Beaucoup de choses qui vont vous réjouir54 […].

26Dans cet extrait tiré du chapitre « Shippu Ahōi ! » (« Ship Ahoy ! ») relatant le séjour lisboète du couple, l’improvisation, l’instabilité sont portées à leur comble. Instabilité linguistique avec l’intrication de différentes langues (japonais, anglais et portugais), mais aussi instabilité des identités : le personnage chinois Long Woo n’est autre que Tani Jōji car dans ce chapitre totalement fictionnalisé, l’auteur devient un ravitailleur de navires mais aussi un rabatteur pour un proxénète anglais, Limpy Limp. En montant sur le bateau, nouvel espace annonciateur d’un déplacement, Tani Jōji/Long Woo se doit d’improviser un discours pour flouer son client. Il est exactement dans la même situation que Jack London en train de chercher à obtenir de la nourriture avant de quitter Reno au Nevada :

For know that upon his ability to tell a good story depends the success of the beggar. First of all, and on the instant, the beggar must "size up" his victim. After that, he must tell a story that will appeal to the peculiar personality and temperament of that particular victim. And right here arises the great difficulty: in the instant that he is sizing up the victim he must begin his story. Not a minute is allowed for preparation. As in a lightning flash he must divine the nature of the victim and conceive a tale that will hit home. The successful hobo must be an artist. He must create spontaneously and instantaneously […]. I have often thought that to this training of my tramp days is due much of my success as a story-writer.

  • 55 London, op.cit., p. 12.

Car sachez que le succès d’un mendiant dépend de sa capacité à raconter une histoire qui se tient. Tout d’abord, et d’emblée, le mendiant doit « jauger » sa victime. Ensuite, il lui faut raconter une histoire qui corresponde à son goût, à la personnalité et au tempérament de cette personne. Et c’est là que réside la grande difficulté : au moment même où il prend la mesure de sa victime, il lui faut entamer son histoire. Il ne dispose pas de la plus petite minute pour se préparer. Avec la rapidité de l’éclair, il doit deviner la nature de la victime et concevoir un récit qui touchera sa cible. Le trimardeur, pour réussir, se doit d’être un artiste. Sa création doit être tranchée et spontanée […]. J’ai souvent pensé que c’est à cet entraînement de mes jours de vagabondage que je dois dans une large mesure d’avoir réussi comme conteur55.

  • 56 Troisième strophe de la chanson : « Yo! ho, how we go! / Oh! how the winds blow! / “White Wings” th (...)

27Tani Jōji/Long Woo et Jack London, chacun sur sa route, créent, improvisent et font du déplacement non seulement un objet de description mais le sujet – actant – de leur récit de voyage. La nécessité du déplacement est ainsi fondamentalement connectée à celle de la création et cela permet d’expliquer la porosité entre la réalité et la fiction que l’on retrouve dans tous les récits viatiques de Tani Jōji. Le début de l’improvisation de l’auteur japonais est une chanson (« Carrrry mee / Cheerfulliee / Over de sea »), qui est sans doute une référence à White Wings (Les Blanches Ailes)56, chanson écrite en 1912 par William Banks Winter (1857-1936), un célèbre chanteur et acteur américain spécialisé dans les spectacles de blackface. Les « blanches ailes » sont une référence aux voiles du bateau évoquées dans la chanson, permettant à Tani Jōji, ici encore, de lier musique et déplacement.

Conclusion

  • 57 Dès le début des années 1930 les récits américains avaient été considérés par le critique Hata Toyo (...)

28L’œuvre de Hasegawa Kaitarō (sous ses trois noms de plume) a connu un destin fulgurant : après son brusque décès en 1935, il est rapidement oublié, sans doute à cause de son refus de s’intégrer aux cénacles de la littérature populaire et à cause de l’image négative attachée à sa production « populaire » sous le nom Maki Itsuma. Ce n’est qu’à la fin du siècle dernier que ses textes – mais seulement ceux de Tani Jōji – sont redécouverts et étudiés. Cependant, ce retour en grâce de l’auteur s’est effectué à la faveur de l’intérêt manifesté par la recherche pour la littérature nippo-américaine et la littérature de migration, et non dans le cadre de la littérature de voyage57. Quant à L’Horizon dansant, malgré une réédition en 1999 dans la collection de poche de la prestigieuse maison d’édition Iwanami shoten, il n’a guère suscité d’intérêt, à part quelques articles dont celui de Hosokawa Shūhei cité plus haut.

29Pourtant, comme nous venons de le voir, le corpus des textes publiés sous le nom de Tani Jōji se prête à une analyse qui permet de montrer combien son œuvre est riche d’un contenu qui propose une nouvelle approche de la littérature japonaise des années 1920. La prise en compte du déplacement est un de ces paradigmes : élément nécessaire de ce corpus, c’est lui qui rend possible un récit innervé d’éléments syntaxiques, phonétiques, grammaticaux mais aussi de références à la musicalité dont le jazz constituerait l’horizon. Le déplacement n’est plus l’objet du récit, il en devient l’acteur, comme si l’écrivain n’était plus qu’un simple intermédiaire. Le choc que subit le couple Hasegawa dans le train au départ et qui se transmet à travers leurs systèmes nerveux serait cet instant où la bascule s’opère. Le retour au Japon et la fin du déplacement ne pouvaient dès lors qu’avoir un impact majeur sur l’écrivain. Il écrit dans sa postface :

  • 58 Tani, OC 2, p. 361.

もう、実を言うと原稿なんかどうでもいいんで、ただやたらに日本の着物を着て、たたみに寝ころんで、好きな日本の食物を並べておいて、片っ端から食べていたいだけだ。58

  • 59 Tani, OC 2, p. 361 (notre traduction).

À la vérité, peu importe désormais mon manuscrit, je n’ai qu’une seule et unique envie : porter des habits japonais, dormir sur des tatamis, me retrouver face à mes plats japonais préférés et les manger goulûment les uns après les autres59.

30De fait, à partir de 1930, Tani Jōji va laisser la place à Maki Itsuma, écrivain reclus à Kamakura, produisant d’innombrables œuvres méprisées pour leur aspect feuilletonesque et mélodramatique, mais applaudies par les lecteurs et les lectrices. Le déplacement qui constituait « le charbon » des œuvres de Tani Jōji va laisser la place à d’autres paradigmes qui ne demandent qu’à être analysés.

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Bibliographie

Sources primaires

London, Jack, Le Trimard [1907], Romans, récits et nouvelles, traduit de l’anglais par Marc Chénetier, vol. 2, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2016.

Tani, Jōji, Tekisaku Mushuku ta 31-pen (Sans Logis au Texas et 31 autres nouvelles), Tokyo, Kaizō-sha, 1929.

Meriken jappu ichidaiki (Vie d’un Jap-américain), textes réunis et commentés par Kawasaki Kenko et Eguchi Yūsuke, Tokyo, Hakubunkan, coll. Sōsho Shinseinen, 1995.

Odoru chiheisen (L’Horizon dansant) [1929], 2 vol., Tokyo, Iwanami shoten, coll. Iwanami bunko, 1999.

Tekisaku mushuku / Kiki (Sans Logis au Texas / Kiki), Textes réunis et commentés par Deguchi Yūkō, Tokyo, Misuzu shobō, coll. Otona no tana, 2003.

Chroniques d’un trimardeur japonais en Amérique, traduit du japonais par Gérald Peloux, Paris, Les Belles Lettres, coll. Japon, 2019.

Sources secondaires

Anderson, Nels, Le Hobo, Sociologie du sans-abri [1923], traduction de l’anglais par Annie Brigant, Paris, Armand Colin, coll. « Individu et Société », 2018 (nouvelle édition).

Camelin, Colette, « “Image simultanée” et “immobilité vive” (Cendrars, Delaunay, Léger) », Polysèmes [En ligne], n°18, 2017 (dernière consultation le 29 décembre 2020).

URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/polysemes/2291.

Duffy, Enda, The Speed Handbook: Velocity, Pleasure, Modernism, Durham (Caroline du Nord, Duke University Press), 2009.

Hosokawa, Shūhei, « Rubi de odotte – Ben Hekuto no hon.yaku to Tani Jōji no yūgiteki shokihō » (« Danser avec les rubi – les traductions de Ben Hecht en japonais et l’écriture ludique de Tani Jōji »), in Hosokawa, Shūhei, Molasky, Michael, Miyakawa, Toshifumi (éds), Nyū jazu sutadīzu – Jazu kenkyū no aratana ryōiki e (New Jazz Studies – vers un nouveau champ des études sur le jazz), Tokyo, Artes Publishing, 2010, p. 123-138.

McIntyre, Iain, On the Fly! Hobo Literature & Songs 1879-1941, Oakland (Californie), PM Press, 2018.

Mizuno, Mariko, Nikkei Amerikajin no bungaku katsudō no rekishiteki hensen – 1880-nendai kara 1980-nendai ni kakete (L’Évolution historique de l’activité littéraire des Américains d’ascendance japonaise – des années 1880 aux années 1980), Tokyo, Kazama shobō, 2013.

Ozaki, Hotsuki, « Hasegawa Kaitarō, masukomi bungaku no paionia » (« Hasegawa Kaitarō, pionnier de la littérature de masse »), in Niigata nippō-sha, Sado ga unda Nihonteki jinbutsu (Ces personnalités si japonaises nées sur l’île de Sado), Niigata, Niigata nippō-sha, 1965, p. 311-330.

« Modan Dekameron ni tsuite » (« À propos du Décaméron moderne »), Tani, Jōji, Modan Dekameron (Le Décaméron moderne), Tokyo, Shakaishisō-sha, 1975.

Pigeot, Jacqueline, Michiyuki-bun, poétique de l’itinéraire dans la littérature du Japon ancien, Paris, Collège de France, Bibliothèque de l’Institut des hautes études japonaises, 2009 (édition revue et corrigée).

Sangsue, Daniel, « Le récit de voyage humoristique (XVIIe -XIXe siècles) », Revue d'histoire littéraire de la France, vol. 101, n°4, 2001, p. 1139-1162.

Séité, Yannick, Le Jazz à la lettre – la littérature et le jazz, Paris, Presses Universitaires de France, 2010.

Sollors, Werner, Ethnic Modernism, Cambridge (Massachusetts), Londres, Harvard University Press, 2008 (édition révisée).

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Notes

1 On peut trouver cette photographie dans Ozaki, « Hasegawa Kaitarō, masukomi bungaku no paionia », p. 323. Elle est accessible en ligne (dernière consultation : 29 décembre 2020) :

URL : http://sado2298.blog.fc2.com/img/20160510175439429.jpg/

2 Son épouse enverra également des relations de voyage, pour la revue Fujin Kōron (L’Opinion féminine), version féminine de Chūō Kōron.

3 Nous utiliserons désormais ce nom pour désigner l’écrivain.

4 Tani, Odoru chiheisen, vol. 1, p. 211. Dans les notes suivantes, nous présenterons les références de cette œuvre de la manière suivante : Tani, OC 1, p. 211.

5 Ibid. (notre traduction).

6 Chap. 1 : Japon, Corée, Chine, U.R.S.S. ; chap. 2 : Grande-Bretagne ; chap. 3 : Grande-Bretagne ; chap. 4 : Traversée de la Manche, Belgique, Pays-Bas ; chap. 5 : Danemark, Norvège, Suède, Finlande ; chap. 6 : France ; chap. 7 : Espagne ; chap. 8 : Portugal ; chap. 9 : Côte d’Azur, Monaco ; chap. 10 : Italie ; chap. 11 : Suisse ; chap. 12 : voyage du retour en paquebot.

7 Duffy, Enda, The Speed Handbook: Velocity, Pleasure, Modernism, Durham (Caroline du Nord), Duke University Press, 2009.

8 Tani, Hōbōki (Chroniques d’un trimardeur), Tekisaku mushuku / Kiki, p. 2.

9 Ibid., p. 6.

10 Tani, Chroniques d’un trimardeur japonais en Amérique, p. 23. Désormais les références à ce recueil de traductions seront présentées de la manière suivante : Tani, Chroniques, p. 23.

11 Tani, Sail’Ho, Tekisaku Mushuku ta 31-pen, p.16. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées de la manière suivante : Tani, Titre de la nouvelle, TM, p. 16.

12 Tani, Chroniques, p. 55.

13 Les textes publiés sous ses deux autres noms de plume, Maki Itsuma et Hayashi Fubō, adoptent majoritairement la forme longue, souvent en feuilleton.

14 Tani, Hōbōki, Tekisaku mushuku / Kiki, p. 6-7.

15 Tani Jōji utilise un système de glose, les furigana, qui permettent d’indiquer au-dessus d’un mot (ou à droite si le texte est écrit à la verticale) une aide sémantique ou phonétique : ici dans cette situation, la prononciation en anglais du mot correspond au mot écrit en japonais dans le texte. Pour des questions techniques, les furigana, dans le texte japonais, sont présentées à droite entre parenthèses, après le mot concerné.

16 Tani, Chroniques, p. 23-24.

17 Tani, Hōbōki, Tekisaku mushuku / Kiki, p. 7.

18 Tani, Chroniques, p. 24.

19 Voir à ce sujet Anderson, Nels, Le Hobo, Sociologie du sans-abri (1923), traduction de l’anglais par Annie Brigant, Paris, Armand Colin, coll. « Individu et Société », 2018 (nouvelle édition).

20 Voir à ce sujet McIntyre, Iain, On the Fly! Hobo Literature & Songs 1879-1941, Oakland (Californie), PM Press, 2018.

21 London, Le Trimard, p. 51.

22 Tani, P.D.Q., TM, p. 218.

23 Tani, Chroniques, p. 84.

24 « modern symbol » et « sense of movement, speed, or electric power » dans Sollors, Ethnic Modernism, p. 35-36.

25 Tani, P.D.Q., TM, p. 221.

26 Tani, Chroniques, p. 86. « P.D.Q. » signifie d’après les personnages « Pretty Damn Quick » ou « Please Do Quick ».

27 Tani, Futatsu no jūjika – A Story of the American Slang (Les deux Croix – A Story of the American Slang), TM, p. 258-259.

28 Tani, Chroniques, p. 96.

29 Tani, OC 1, p. 10.

30 Tani, OC 1, p. 10 (notre traduction).

31 Tani, OC 2, p. 322-323.

32 Tani, OC 2, p. 322-323 (notre traduction).

33 On retiendra cependant qu’un des premiers journaux intimes (nikki) à l’origine du genre du même nom (nikki bungaku) emprunte également ses thématiques au récit de voyage : le Tosa nikki (Le Journal de Tosa) est rédigé vers 934 par Ki no Tsurayuki (872-945, dates incertaines) et relate les 55 jours du voyage de retour depuis la province de Tosa, où l’auteur avait exercé la fonction de gouverneur pendant plusieurs années, jusqu’à Kyoto. Fait remarquable, Ki no Tsurayuki utilise un des syllabaires de la langue japonaise, les hiragana, pour rédiger son texte alors que ce système d’écriture est alors considéré comme l’apanage de la littérature féminine, les hommes se devant, en principe, d’utiliser les kanji (caractères chinois) et la langue chinoise. La littérature classique japonaise accordera ainsi une place majeure au récit de voyage, et plus particulièrement à l’itinéraire : voir à ce sujet Pigeot, Jacqueline, Michiyuki-bun, poétique de l’itinéraire dans la littérature du Japon ancien (édition revue et corrigée), Paris, Collège de France, Bibliothèque de l’Institut des hautes études japonaises, 2009.

34 Best-seller en son temps, ce texte continue à être largement publié de nos jours sous divers formats. La langue de l’époque étant difficilement compréhensible aujourd’hui, il existe de nombreuses éditions en langue moderne, des versions manga, des versions pour enfants, des versions abrégées, des adaptations au théâtre kabuki et toute une série d’adaptations cinématographiques. Le duo formé par les deux personnages principaux est devenu un incontournable de la culture populaire japonaise.

35 Le voyage humoristique n’est bien sûr pas l’apanage de la littérature japonaise. Voir à ce sujet : Sangsue, Daniel, « Le récit de voyage humoristique (XVIIe -XIXe siècles) », Revue d'histoire littéraire de la France, vol. 101, no. 4, 2001, p. 1139-1162. Daniel Sangsue remarque cependant que la tradition humoristique semble disparaître au XXe siècle, « l’écrivain-voyageur du vingtième siècle sembl[ant] condamné à un récit désenchanté… » (p. 1162).

36 Les onomatopées dans la langue japonaise n’ont pas de connotation enfantine ou orale. Elles font partie intégrante de la littérature et peuvent représenter des sons, des bruits (giseigo), mais aussi des sentiments, des sensations (gitaigo).

37 Tani, OC 2, p. 305.

38 Tani, OC 2, p. 305 (notre traduction).

39 Entre crochets, les termes exacts utilisés en japonais.

40 Tani, OC 2, p. 324-325.

41 Tani, OC 2, p. 324-325 (notre traduction).

42 Ozaki, « Modan Dekameron ni tsuite », p. 313.

43 Retour qui sera loin d’être direct. Si l’on en croit ce qu’il écrit, il serait passé par Cardiff (lors d’un premier départ raté), le Canal de Panama, l’Australie, puis la Chine, la Corée, avant d’arriver au Japon.

44 Tani, Sail’Ho, TM, p. 24.

45 Tani, Chroniques, p. 45.

46 Camelin, « « Image simultanée » et « immobilité vive » (Cendrars, Delaunay, Léger) ».

47 Tani, OC 1, p. 15-16.

48 Tani, OC 1, p. 15-16 (notre traduction).

49 Tani, Kaigai inshōki (Impressions d’outre-mer), Meriken jappu ichidaiki, p. 15.

50 Tani, Chroniques, p. 17.

51 Hosokawa, « Rubi de odotte – Ben Hekuto no hon.yaku to Tani Jōji no yūgiteki shokihō », p. 138.

52 Voir à ce sujet Séité, Yannick, Le Jazz à la lettre – la littérature et le jazz, Paris, Presses Universitaires de France, 2010, plus particulièrement son analyse des liens entre le jazz et l’œuvre de Jean Cocteau (1889-1963).

53 Tani, OC 2, p. 82-84.

54 Tani, OC 2, p. 82-84 (notre traduction).

55 London, op.cit., p. 12.

56 Troisième strophe de la chanson : « Yo! ho, how we go! / Oh! how the winds blow! / “White Wings” they never grow weary, / They carry me cherrily over the sea. / Night comes, I long for my dearie, / I'll spread out my “White Wings” / And sail home to thee ». Pour les paroles complètes, voir : http://www.contemplator.com/america/wwings.html (dernière consultation : 27 décembre 2020).

57 Dès le début des années 1930 les récits américains avaient été considérés par le critique Hata Toyokichi (1892-1956) comme les premiers représentants d’une nouvelle littérature, la littérature d’immigration (« imin bungaku »). Son affirmation doit être nuancée car toute une réflexion avait déjà été lancée de l’autre côté de l’océan Pacifique par l’écrivain Okina Kyūin (1888-1973) dans une série d’articles. Voir à ce sujet : Mizuno, Nikkei Amerikajin no bungaku katsudō no rekishiteki hensen – 1880-nendai kara 1980-nendai ni kakete, p. 67-156. Il n’en demeure pas moins que dès son vivant Tani Jōji et son œuvre ont connu une réception particulière.

58 Tani, OC 2, p. 361.

59 Tani, OC 2, p. 361 (notre traduction).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gérald Peloux, « De l’Amérique à l’Europe des années 1920 »TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 02 avril 2021, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/5499 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.5499

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