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AccueilPublications associéesSéminaires2021Hors frontières (N° 26 | 2021)Écrire en déplacés« Où est la frontière? »

2021
Hors frontières (N° 26 | 2021)
Écrire en déplacés

« Où est la frontière? »

Isabelle Eberhardt ou la sagesse de l’hybridité
Vanezia Pârlea

Résumés

À l’époque des redéfinitions de l’interculturalité et des migrations mondialisées, une déconstruction de la notion de frontière comme celle proposée par Isabelle Eberhardt – que le présent article s’emploie à analyser – s’avère féconde, en préfigurant l’essor des « littératures migrantes » d’aujourd’hui. Fruit de multiples déplacements – identitaires, spatiaux, interculturels et idéologiques qui, bien que consubstantiels, seront analysés séparément, selon leur spécificité – la pensée eberhardtienne, empreinte de la logique d’une hybridation continuelle, en vient ainsi à construire une perspective dynamique de la frontière, envisagée non plus comme coupure ou barrière, mais comme pont, comme passage entre les cultures. En même temps, loin de toute idéalisation, cette sagesse de l’hybridité léguée par Isabelle Eberhardt n’est pas sans rappeler les écueils de la transculturalité qu’un être hybride, « déplacé », se doit d’affronter.

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Texte intégral

  • 1 Ottmar Ette, TransArea. Une histoire littéraire de la mondialisation [TransArea. Eine literarische (...)

1Le xxe siècle, défini par Ottmar Ette comme le « siècle des migrations1 », a vu se déployer une véritable culture de la mobilité, allant de pair avec l’essor du genre correspondant des « littératures migrantes » ou littératures du déplacement. Il s’agirait d’ailleurs d’un phénomène qui, loin d’être spécifiquement européen, se manifeste déjà depuis longtemps à une échelle globale et serait dès lors à analyser dans une perspective mondiale. Car, bien qu’on soit habitué à concevoir la mondialisation comme relativement nouvelle,

  • 2 Ibid., p. 29.

[…] la mondialisation n’est pas un phénomène récent, mais renvoie à un processus au long cours, s’étendant sur plusieurs siècles – un processus qui recoupe quatre phases de mondialisation accélérée et qui relie la première époque moderne de l’historiographie européenne aux premières décennies de notre xxie siècle2 [...].

2Cette nécessaire historicisation des phénomènes liés à la mondialisation nous ramène à de nouvelles perspectives théoriques, voire à de véritables déplacements conceptuels proposés ces derniers temps par un certain nombre de chercheurs venant de disciplines et aires culturelles différentes, comme par exemple Homi Bhabha, Ottmar Ette ou François Jullien, pour n’en citer que quelques-uns. Au-delà des spécificités des démarches singulières de chacun d’entre eux, l’un des fils directeurs communs qui semblent conduire à renouveler des réflexions devenues déjà traditionnelles sur les identités et les rapports interculturels, semblent être les notions-clé d’hybridité culturelle (Homi Bhabha), de croisements culturels (Ottmar Ette), voire d’hétérogénéisation des cultures (François Jullien) conçues comme fluides, perméables, poreuses, en permanente recomposition.

  • 3 Homi K. Bhabha, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale [The Location of Culture, 1994], (...)

3Dans son ouvrage fondamental pour la théorie et la pensée postcoloniale, Les Lieux de la culture, Homi Bhabha affirmait déjà que « Les concepts mêmes de cultures nationales homogènes […] traversent actuellement un profond processus de redéfinition3 » en vertu duquel il faudrait que « nous repensions notre perspective sur l’identité de la culture » (HB, p. 79). Car, à l’en croire, « [l]es cultures ne sont jamais unitaires en elles-mêmes, ni aussi simplement dualistes dans leur relation à soi ou à l’Autre » (HB, p. 79). Il s’agirait ainsi de repenser non seulement la manière de concevoir les relations entre cultures, mais les notions mêmes d’identité et de différence culturelle qui perpétuent l’illusion d’une homogénéité, voire d’une « fixité » ou d’une « pureté » des cultures.

  • 4 François Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle, Paris, Éditions de l’Herne, 2016, p. 5.
  • 5 Ibid., p. 38.

4De son côté, François Jullien propose, dans un ouvrage intitulé de manière suggestive Il n’y a pas d’identité culturelle, de dépasser cette vision bâtie autour des notions d’identité et de différence et de les remplacer par d’autres, plus fécondes pour le déploiement d’une perspective dynamique des cultures et des rapports qu’elles entretiennent dans un contexte de mondialisation. Étant donné que « le propre d’une culture est de muter et de se transformer4 », il serait souhaitable d’y appliquer des concepts comme ceux de ressource ou de fécondité – qui remplaceraient la notion d’identité – ainsi que celui d’écart – censé se substituer à la notion de différence – plus aptes à rendre compte du processus d’hétérogénéisation, de diversification permanente des cultures, voire d’hybridation culturelle. Concevoir les cultures sous forme de ressources ainsi que leurs rapports sous formes d’écarts serait une manière de mettre l’accent sur l’ouverture et le dialogue interculturels, puisque « [l’]écart, par la distance ouverte entre l’un et l’autre, a fait apparaître de l’“entreˮ, par conséquent, et cet entre est actif5 ».

  • 6 Ibid., p. 48.
  • 7 Ottmar Ette, TransArea, op. cit., p. 50.

5Penser les cultures selon la notion d’hybridité ou de « l’hétèrogène propre à toute culture6 » permettrait en outre de dépasser le paradigme des cultures nationales repliées sur elles-mêmes, qui ne reproduisent éternellement que du Même, et d’envisager une véritable « culture internationale » (HB, p. 83) à même de générer ce tiers-espace (HB, p. 83) dynamique, aux frontières vacillantes, ouvert aux échanges et aux déplacements de toutes sortes. Ce nouveau paradigme qui voit le jour correspondrait en premier lieu à la situation postcoloniale. Il ne faut cependant pas perdre de vue le fait que cette quatrième et dernière phase de mondialisation accélérée – pour reprendre les termes de Ottmar Ette – ne saurait être comprise dans toute sa complexité sans une connaissance et une compréhension approfondies des étapes précédentes, notamment la troisième, celle des « modernités divergentes7 », qui recoupe dans une certaine mesure la période coloniale.

6C’est bien à cette époque-là, au tournant des xixe et xxe siècles, qu’une voyageuse infatigable traverse des espaces multiples, en faisant du nomadisme une véritable vocation. Il s’agit d’Isabelle Eberhardt. Son expérience, ainsi que sa pensée et ses écrits – qui préfigurent d’une certaine manière les débats contemporains autour des enjeux soulevés par les « littératures migrantes » – témoignent de l’« état d’urgence colonial » (HB, p.87) qu’on pourrait tout à la fois envisager comme un « état d’émergence » (HB, p.87), favorable à l’apparition de nouvelles attitudes, de nouvelles représentations, de nouvelles formes de pensée hybrides.

  • 8 Il s’agit notamment du volume de notes de route Sud Oranais (1903-1904), du recueil de correspondan (...)
  • 9 « The diary serves as an ideal space to record the subjects displacement because it is, in a sense (...)
  • 10 « Eberhardt’s situation was itself quintessentially that of multiple displacement; she is a “displa (...)

7Afin de cerner la spécificité de sa pensée et de son expérience interculturelle, nous avons sélectionné essentiellement des écrits viatiques et autobiographiques8. Ce corpus, choisi également en fonction de sa nature « hybride » – qui reflète par ailleurs la nature « déplacée » de l’auteure –, peut apparaître « comme un espace idéal pour témoigner du déplacement du sujet, étant lui-même, d’un certain point de vue, une forme de déplacement9 ».  Car, pour rappeler aussi les paroles de Marjorie Garber, « [l]a situation d’Eberhardt était essentiellement celle d’un déplacement multiple ; c’est une “personne déplacée” dans pratiquement tous les sens du terme. […] Car Eberhardt est, d’un certain point de vue, un exemple de personnification du déplacement10 ». En effet, une lecture attentive permet d’identifier chez Isabelle Eberhardt plusieurs formes ou niveaux de « déplacement » –mais qui peuvent être analysés séparément, dans leur spécificité et leur évolution propre, selon une perspective dynamique.

Déplacements identitaires

  • 11 Sidonie Smith, « Isabelle Eberhardt Travelling Other/wise: The European” Subject in OrientalI (...)
  • 12 Vanezia Pârlea, « Parcours oriental et quête identitaire chez Isabelle Eberhardt », in Vanezia Pârl (...)

8Précisons d’emblée que le profil contrasté d’Isabelle Wilhelmine Marie Eberhardt, qui plongeait ses contemporains dans la confusion, s’explique aisément par toute une série de déplacements identitaires, ce qui pourrait justifier l’expression « un sujet fragmentaire » – « a fragmented subject11 » – ou celle d’« identité éclatée12 ». En effet, la notion de « déplacement » – dont la version anglaise « displacement » reflète peut-être encore mieux la polysémie – est merveilleusement illustrée par son parcours existentiel hors du commun.

9Il s’agit premièrement d’un déplacement originaire : une Russe, fille illégitime de surcroît, qui naît à Genève, en 1877, sous le nom de son grand-père maternel, Eberhardt. Sa mère, Nathalie de Moerder, mariée d’abord au général russe Pavel Karlovitch de Moerder, de qui elle avait eu cinq enfants, avait quitté Saint-Pétersbourg en 1872 pour s’établir en Suisse avec le précepteur de ses enfants, l’Arménien Alexandre Trophimowsky, sans doute le père biologique d’Isabelle Eberhardt, malgré les doutes qui planaient à l’époque sur cette paternité.

10Le fait qu’elle ait été élevée en garçon dans une maison isolée, Villa Neuve, près de Genève, ne fera que renforcer le flou identitaire originel. L’habit masculin est vite préféré par la jeune fille, l’une des premières photos que nous avons d’elle étant celle en habit de matelot. Avec cela, une certaine conscience de la marginalité et de la différence se développe chez Isabelle, favorisée par la suspicion qui plane sur cette pseudo-famille de Russes exilés en Suisse et surveillés de près par les autorités.

  • 13 « Yet the overriding sensation I had was of always being out of place », Edward W. Said, Out of Pla (...)
  • 14 Alain Buisine, L’Orient voilé, Paris, Zulma/Calmann-Lévy, 1993, p. 199.

11La jeune fille développera très tôt une conscience du déracinement – la terre suisse lui apparaissant comme une terre d’exil – mais aussi le sentiment d’être « déplacée », à l’instar d’un Edward Said qui, se souvient-il dans ses mémoires, avait dès son enfance « la sensation constante de “ne pas être à [s]a place” 13 ». Avec Edward Said, Isabelle Eberhardt partage encore un même flou identitaire et linguistique. Si le petit Edward Said se sent comme condamné à l’hybridité par cette réunion d’un prénom anglais et d’un nom arabe, dans le cas de la petite Isabelle Eberhardt, Alain Buisine parlera d’une « inaugurale défaillance onomastique14 ».

12Du côté de la langue, on note le même désarroi dans les deux cas :

The travails of bearing such a name were compounded by an equally unsettling quandary when it came to language. I have never known what language I spoke first, Arabic or English, or which one was really mine beyond any doubt.

  • 15 Edward W. Said, Out of Place, op. cit., p. 3. Trad. op. cit., p. 17.

« Le tourment de porter un tel nom s’accompagnait d’un autre dilemme tout aussi embarrassant, celui de la langue. Je n’ai jamais su laquelle, de l’arabe ou de l’anglais, je parlais en premier, ni laquelle était vraiment indiscutablement la mienne15. »

13Que dire alors d’Isabelle, quelle fut sa première langue, le russe ou le français ? Et après, entre le latin, le grec, l’allemand, l’italien et, enfin, l’arabe, comment s’y retrouve-t-elle ? Ceux qui connaissent ses écrits savent d’ailleurs à quel point son français porte la marque d’une altérité linguistique qui était la sienne.

14S’il nous est donc loisible d’envisager Isabelle Eberhardt comme originairement « déplacée », on pourrait également parler d’une sorte de déplacement identitaire redoublé, au déplacement initial venant s’ajouter un déplacement second – une femme européenne et chrétienne qui adopte « une personnalité d’emprunt » jusqu’à ce que celle-ci lui colle à la peau, celle du jeune taleb Mahmoud Saadi. Cela en vertu d’une passion irrépressible pour le Maghreb, devenu sa « patrie d’élection » et dont elle ne cessera de parcourir les zones frontalières, « hybrides et vagues », à l’image de sa propre identité fluide et mouvante.

  • 16 Le 29 janvier 1901, lors de son passage dans le village algérien de Behima, en compagnie du cheikh (...)

15Dès son adolescence genevoise, Isabelle Eberhardt développe une véritable passion pour l’Islam et pour l’Orient, se mettant à apprendre toute seule l’arabe et entretenant également tout un réseau de correspondance avec des natifs. En 1897, à 20 ans, elle entreprend un premier voyage en Algérie en compagnie de sa mère, pour s’établir avec elle à Bône (Annaba), où Nathalie de Moerder mourra au mois de novembre de la même année et sera enterrée sous le nom de Fatma Mannoubia au cimetière musulman. Pour quelque temps encore, son existence se passera dans un va-et-vient entre l’Europe – Genève, mais aussi Marseille, Paris et même un bref séjour en Sardaigne, à Cagliari en 1900 – et l’Afrique du Nord. C’est lors d’un séjour à El-Oued, toujours en 1900, qu’elle fera connaissance de celui qui allait devenir son époux, Slimène Ehnni, sous-officier de spahis. C’est également l’époque où Isabelle se fait admettre en tant que khouan (frère) au sein de la confrérie soufie des Qadriya – signe que sa conversion à l’Islam était chose faite. Après nombre d’autres tribulations, entre autres le fameux attentat perpétré contre elle où elle faillit y laisser la vie16 et son mariage avec Slimène Ehnni qui lui vaudra la nationalité française et la possibilité de revenir en Afrique du Nord – après en avoir été expulsée par les autorités coloniales – Isabelle Eberhardt ne résistera pas à la tentation de courir à nouveau l’Algérie en tant que reporter de guerre, envoyée par le journal La Dépêche algérienne à la frontière marocaine où s’affrontaient l’armée coloniale et les tribus encore insoumises. Ce périple, commencé en 1903, allait finir avec son existence et se concrétisera dans le journal de notes de route Sud Oranais – retrouvé sous les décombres de sa maison grâce aux efforts du général Lyautey qui était de ses amis.

  • 17 Sur ce sujet voir aussi Michel Tournier, « Isabelle Eberhardt ou la métamorphose accomplie », in Mi (...)
  • 18 Voici ce qu’elle écrivait à son frère Augustin de Moerder le 10 novembre 1900 depuis El Oued dans u (...)

16Il est important de souligner le fait que, jusqu’à sa mort prématurée, Isabelle Eberhardt traverse une métamorphose17 intérieure dont elle prend conscience la toute première, et qu’elle se plaît à désigner par le terme d’« incubation18 ». Si le terme d’incubation suggère un processus – lent, mais irréversible – de transformation, mais en quelque sorte subi et involontaire, celui-ci est doublé d’un projet formé et assumé depuis son premier voyage en Algérie, en 1897, formulé explicitement dans une lettre à Ali Abdul Wahab, son ami tunisien : « je compte rester toujours en pays musulman » (EI, p. 77). Il s’agit, en effet, de ce qu’elle-même désignera par le terme d’« islamisation », revendiquée de manière plus ou moins explicite tout au long de ses écrits et hautement affirmée dans sa correspondance, dont voici quelques exemples : « cette langue arabe que j’adore, sans savoir pourquoi » (EI, p.88) ; « je tâche de combattre mon incrédulité passée, de m’islamiser » (EI, p. 169) ; « je deviens croyante » (EI, p.178) ; « puisque j’ai déjà commencé à devenir musulmane » (EI, p. 94).

17Pour ce faire, elle ne reculera pas devant les obstacles qui surgissent sur son chemin, en mettant en œuvre toute une série de stratégies d’immersion – parfois caméléonesques – dont l’une des plus spectaculaires est ce que la critique anglo-saxonne désigne du terme de cross-dressing, supposant un travestissement vestimentaire et identitaire plus d’une fois perçu comme transgressif. Bien que ces stratégies d’immersion soient interprétées de nos jours par certains critiques comme des formes d’un orientalisme exotisant et des tentatives d’appropriation de l’Autre, cette volonté de vivre parmi les Arabes et les Bédouins lui réussit, faisant dire à Ali Behdad :

And yet […] orientalist transvestism can and did in the case of Eberhardt produce the effect of identification with the Other: “enveloping” oneself in the Other’s clothes […] implies and imposes the desire to occupy the place of the Other, a “transcultural” urge to become a “real” Oriental through cross-dressing.

  • 19 Ali Behdad, Belated Travelers. Orientalism in the Age of Colonial Dissolution, Durham and London, D (...)

« Et pourtant [...] ce travestissement orientaliste peut mener et mena vraiment, dans le cas d’Eberhardt, à l’identification avec l’Autre : “s’envelopper” dans les vêtements de l’Autre […] suppose et impose le désir de prendre la place de l’Autre, une volonté “transculturelle” de devenir un “vrai” Oriental grâce au travestisme19. »

  • 20 « Eberhardt’s “failure” to “be” any one of these three identities exposes the difficulty of fixing (...)

18Cependant, en dépit de cette volonté d’islamisation maximale, elle reste tout aussi Autre par rapport à sa « culture d’accueil » qu’elle l’était déjà par rapport à sa « culture d’origine » ou plutôt à sa « culture de départ ». Loin de pouvoir la « fixer » dans une quelconque « identité » – à l’instar de ses contemporains qui y échouaient lamentablement – on devrait la situer plutôt du côté du « devenir » qui revient si souvent sous sa plume, dans la logique dynamique d’une hybridation continuelle, ce qui témoignerait de « la difficulté de fixer l’identité elle-même, de la situer autrement que dans un ailleurs20 ».

Déplacements spatiaux

19Cette hybridation identitaire n’aurait cependant pu se déployer véritablement qu’à travers le voyage, ce qui nous amène à notre deuxième niveau d’analyse, à savoir les déplacements spatiaux. Comme nous venons déjà de le préciser, Isabelle Eberhardt est un être-pour-la-route, la mobilité intérieure de sa nature trouvant son correspondant dans son penchant envers le nomadisme.

  • 21 Ottmar Ette, TransArea, op. cit., p. 53.

20Rendant compte de manière fragmentaire mais suggestive de son parcours sinueux, de ses va-et-vient à peine interrompus de brefs moments de répit, le corpus sélectionné déploie une véritable « poétique du mouvement21 » et du déplacement. Nous assistons ainsi à la construction progressive d’un imaginaire spatial dé-centré, se traduisant premièrement par l’accent mis sur la figure du dé-part comme moment privilégié de la dynamique du dé-placement, ce qui engendre une véritable poétique du départ :

  • 22 Isabelle Eberhardt, Sud Oranais, Paris, Joëlle Losfeld, 2003, p. 148-149. – Les références à cet ou (...)

Le jour finit doucement sur Aïn Sefra, noyée de vapeurs légères et de fumées odorantes. J’éprouve la sensation de mélancolie délicieuse et d’étrange rajeunissement des veilles de départ. Tous les soucis, le lourd malaise des derniers mois dans la fastidieuse et énervante Alger, tout ce qui constituait mon noir, mon « cafard », est resté là-bas22.

Et, avec cela, la joie intime de penser que je vais partir demain, dès l’aube, et quitter toutes ces choses, qui pourtant me plaisent ce soir et me sont douces. Mais qui, sauf un nomade, un vagabond, pourrait comprendre cette double jouissance ? (SO, p.149)

21Au moment où Isabelle Eberhardt écrit ces lignes, en 1904, l’Europe était bien loin d’elle et elle n’allait plus jamais y retourner. Pourtant, loin d’avoir constitué un centre, un point d’ancrage, l’Europe avait été pour elle au mieux une halte ou un refuge, comme Paris ou Cagliari, au pire une « terre d’exil » comme Genève qu’elle avait fui dès qu’elle en avait eu l’occasion. Ce que l’on constate cependant dans les passages ci-dessus, c’est que même au Maghreb la pulsion qui l’aiguillonne est bien celle de l’errance et qu’un séjour plus long de quelques mois en vient à lui peser et à lui inspirer un « lourd malaise », voire « le cafard », comme cette « fastidieuse et énervante Alger » qu’elle ne ressent de la sorte que parce qu’elle y est menacée de sédentarité, d’immobilité. Alors que le départ, le mouvement, le déplacement est source de bonheur, de vie et de rajeunissement, lui inspirant à chaque fois une rêverie poétique de l’Ailleurs et de l’inconnu.

22À la différence du départ, le retour est à chaque fois abhorré, évité ou retardé tant que faire se peut, surtout s’il s’agit de regagner l’Europe : « Quant à retourner en Europe […] il ne faut plus nous en parler ; jamais plus, si Dieu le permet, je ne remettrai les pieds sur la terre d’exil » (EI, p.289, lettre à Augustin, 1900). Ou comme ce retour vers Aïn Sefra en 1904, qui allait être le dernier. C’était aussi le moment de séparation d’avec ses compagnons de route qu’elle n’allait plus jamais revoir :

Comme ce voyage de retour sera différent de ce qu’il fut à l’aller, quand je marchais vers le pays inconnu ! […] Remontés à cheval, nous partons dans des directions opposées : El Hassani vers l’Ouest inexploré, où j’aurais tant voulu le suivre, et moi vers le désenchantement des régions connues. […] Avec eux s’évanouit pour moi la dernière lueur d’espoir : de longtemps, peut-être jamais, je ne pourrai pénétrer plus avant au Maroc. (SO, p.253-254)

23La différence entre l’aller et le retour y est explicitement exprimée. D’ailleurs, le vocabulaire affectif en dit long, les expressions employées formant des champs lexicaux opposés, le connu, le familier ne pouvant lui inspirer qu’un sentiment de désenchantement, alors que l’inconnu et l’inexploré seraient les seuls à même de lui redonner espoir.

24Quant à l’arrivée, elle est également bien représentée en tant que figure privilégiée d’une sorte de chorégraphie du mouvement, cet instant acquérant à son tour certaines particularités, comme dans l’exemple suivant :

  • 23 Harara (pluriel haraïr) : long sac en laine noire et grise qu’on accouple sur le bât des chameaux.

C’est un bon moment, cette arrivée au campement, en temps de Ramadhane, une sensation de « home » retrouvé sous une tente étrangère, que je quitterai demain pour toujours, mais où je suis si bien ce soir étendue sur d’épais haraïr23. (SO, p. 27)

  • 24 Vanezia Pârlea, « Errance(s) et intimité(s) chez Isabelle Eberhardt », in Philippe Antoine, Vanezia (...)

25Ce qu’Isabelle Eberhardt retrouve en arrivant dans ce camp de soldats arabes est bien le chez-soi paradoxal du nomade, qui ne saurait être que mobile et provisoire. Le bien-être qu’elle éprouve l’espace d’une soirée grâce à ces retrouvailles avec des étrangers constitue déjà l’un des éléments de cette possible sagesse de l’hybridité et de la mobilité sous le signe de laquelle son parcours pourrait être placé. Ce « paradoxal ancrage dans le provisoire24 » témoigne aussi d’une tout autre représentation de ce centre qu’est le plus souvent la maison, le foyer, faisant signe vers « le sentiment […] de la relocalisation du foyer » (HB, p. 41) propre aux situations coloniale et postcoloniale. Nous voyons en effet s’esquisser dans ses textes un imaginaire décentré du chez-soi, dont l’espace paradigmatique est la figure oxymorique du « foyer errant » (SO, p. 131).

  • 25 Zaouïa : établissement religieux, école, siège d’une confrérie.

26Ce leitmotiv, celui d’une sorte de foyer portable propre aux nomades qui prend une diversité de visages, constitue le Maghreb, à travers sa mobilité et son ubiquité foncières, en un véritable espace migratoire. Cet espace perméable, poreux, avec des régions désertiques et dangereuses et, par là, difficilement mesurable et maîtrisable, est également un espace ouvert, « hybride et vague », comme celui où se trouve la zaouïa25 de Kenadsa où Isabelle Eberhardt passera environ deux mois à l’été 1904 et qui lui inspire la réflexion suivante :

  • 26 Nous soulignons.

Il faut mettre pied à terre et franchir une autre porte : nous sommes dans la zaouïa. Les marabouts Ziania sont favorables à la France. Ce sont des gens paisibles et humains qui saluent une puissance de justice. Ils apportent tous les jours des preuves nouvelles de leur sentiment de déférence et de respect de la parole donnée. Kenadsa est située hors frontière26 et reconnaît la suzeraineté du sultan de Fez. Nous voici donc en territoire marocain, à vingt-cinq kilomètres de Bechar, terre française.

  • 27 Nous soulignons.

En réalité, où est la frontière27 ? où finit l’Oranie, où commence le Maroc ? Personne ne se soucie de le savoir.

  • 28 Nous soulignons.

Mais à quoi bon une frontière savamment délimitée28 ? La situation actuelle, hybride et vague, convient au caractère arabe. Elle ne blesse personne et contente tout le monde… (SO, p. 176-177)

27Nous avons affaire dans ce fragment à une mise en question de la frontière en contexte colonial, celui de l’avancée française vers les terres du Maroc, qui se fait en deux temps. À travers une première question – « En réalité, où est la frontière ? » – Isabelle Eberhardt conteste implicitement la « réalité » de la frontière, en suggérant qu’il s’agirait plutôt d’une fiction, d’une construction, s’inscrivant dans la logique d’un « Orient créé par l’Occident » (Edward Said). La preuve, c’est que personne – parmi les Arabes, s’entend, – « ne se soucie de le savoir », ce qui implique en effet qu’il s’agit bien d’une préoccupation non pas indigène, mais allogène. C’est d’ailleurs ce que remarquait aussi la biographe d’Isabelle Eberhardt, Edmonde Charles-Roux :

  • 29 Nous soulignons.
  • 30 Edmonde Charles-Roux, Nomade j’étais. Les années africaines dIsabelle Eberhardt 1899-1904, Paris, (...)

Au-delà d’Aïn Sefra, dernier poste d’observation face à la houle incertaine des dunes, la frontière était un leurre29. […] Perdue dans les sables, elle était aisément franchissable et, pour tout dire, si absurde, qu’elle en était indéfendable. Pour comble, elle servait de voie de communication30.

28C’est ainsi que, dans le contexte colonial dominé par l’incertitude et la mobilité, la frontière n’est qu’un leurre – le mot est bien trouvé. Non seulement elle apparaît comme absurde, car aisément franchissable, et par là indéfendable, mais en plus elle facilite la communication, le passage. En l’occurrence, la frontière n’est donc pas coupure, mais couture, elle n’est pas fermeture, mais ouverture, l’écart s’avérant fécond, car productif d’entre.

29« Mais à quoi bon une frontière savamment délimitée ? » Cette deuxième question représente un pas de plus dans sa démarche subversive par le fait qu’elle en nie non plus l’existence – d’ailleurs illusoire – mais l’utilité. Ainsi Isabelle Eberhardt invite-t-elle son lecteur à ce que nous pourrions appeler une « suspension du jugement » sur le mode arabe qui représente, en même temps, un éloge de l’hybridité, conçue comme facteur d’harmonie interculturelle. Ce décentrement d’une pensée sur la frontière n’est d’ailleurs possible que grâce au détour par l’Autre, l’adoption du point de vue arabe constituant ainsi un opérateur de décalage. Connue pour sa pulsion transgressive, celle du border crossing, Isabelle Eberhardt en vient ainsi à construire une pensée dynamique de la frontière comme pont, comme passage entre les cultures.

30Cette réflexion sur la frontière est également une occasion de remettre en question la perspective eurocentrique aussi bien de l’imaginaire spatial de la frontière que du contexte culturel et politique de la région :

  • 31 Nous soulignons.
  • 32 Djich (pluriel djiouch) : pillage ; par extension, les pilleurs armés.

Pour eux il n’est question ni de guerre avec le Maroc ni surtout de guerre sainte. La région a toujours été bled el baroud (pays de la poudre) et les tribus de la vague frontière31 se sont toujours razziées les unes les autres. Mouley Idriss désigne l’ennemi d’un nom significatif : el khian, les voleurs, les bandits. Il considère les opérations militaires actuelles comme des contre-razzias et des représailles sur les djiouch32, tout simplement. (SO, p. 17)

31Grâce au regard du dedans qu’Isabelle Eberhardt nous propose, nous pouvons avoir accès au point de vue des indigènes – « pour eux », « Mouley Idriss désigne », « Il considère » – sensiblement différent des projections européennes à leur égard. En outre, pour ces gens habitués aux périls de l’existence nomade, cette région « de la vague frontière » n’est rien d’autre que leur « foyer errant ». C’est ainsi que, grâce à un déplacement conceptuel opéré à travers le déplacement spatial, « les frontières deviennent le foyer, et le monde devient confus » (HB, p. 41). En effet, la répétition du terme « vague » pourrait nous faire penser aux « frontières vacillantes » évoquées par Homi Bhabha et associées à « l’anxiété suscitée par l’hybridation » (HB, p. 112), expression de « la condition “inconfortableˮ du monde moderne » (HB, p. 44).

Déplacements interculturels et idéologiques

32Se situer dans l’entre-deux génère souvent ce malaise « inhérent à ce rite d’initiation extraterritoriale et transculturelle » (HB, p. 41) de plus en plus répandu à l’époque de la mondialisation. Une fois de plus, les écrits viatiques d’Isabelle Eberhardt préfigurent cette situation d’inconfort jusqu’à en devenir un des leitmotivs. En plus, que celui-ci soit subi ou assumé, il est double : à la fois ressenti, éprouvé, voire douloureusement vécu à cause des Autres, mais en même temps provoqué chez les Autres par l’être hybride ou nomade comme Isabelle Eberhardt, dont la condition ressemble déjà à celle des migrants d’aujourd’hui.

  • 33 François Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle, op. cit., p. 41.
  • 34 « […] this study argues that her hybrid political and sartorial practices were all relied on as emp (...)

33Il s’agirait, dans les termes de François Jullien, de cet « écart dérangeant » qui, nous faisant « sortir de la perspective identitaire », fait en même temps « surgir “quelque choseˮ qui d’abord échappe à la pensée33 ». Ce « quelque chose » est, en l’occurrence, l’hybridité de l’être inclassable, fuyant, qui échappe aux grilles d’interprétation traditionnelles et que les autorités coloniales vont inlassablement traquer – comme l’avait déjà fait la police genevoise –, à quelques exceptions près, dont l’une des plus notables sera le cas du général Lyautey. Mais cette amitié, qui fera jaser à l’époque, suscite jusqu’à aujourd’hui la défiance de nombre de critiques, surtout anglo-saxons, dont certains, comme Lynda Chouiten par exemple, voient en Isabelle Eberhardt un agent de la colonisation, voire une espionne de Lyautey, dont la motivation centrale serait la soif de domination – « la tentation du pouvoir » ou « la quête de la reconnaissance et du pouvoir34 » n’étant que quelques-uns des syntagmes employés à son égard.

34Ali Behdad propose cependant une interprétation plus nuancée et, à notre sens, bien plus judicieuse et ingénieuse, la dépeignant sous les traits du parasite orientaliste – « the Orientalist Parasite » –, ce qui est de nature à la situer dans un rapport d’ambivalence à l’égard du pouvoir colonial en place, à la fois de collaboration et de subversion, qu’il décrit en ces termes :

The colonial system […] used her as unintentional colonial agent. […] In fact, her writing during her Sud Oranais journey often entails more noise than “valuable” information. […] the spy is transformed into a spiritual seeker, participating in mystical activities while producing an irrelevant “message” rather than information.

  • 35 Ali Behdad, Belated Travelers, op. cit., p. 129-130.

« Le système colonial [...] l’a utilisée à son insu en tant qu’agent colonial. […] En fait, les notes de routes prises durant son voyage dans le Sud Oranais renferment plus de brouillage que d’informations précieuses. […] l’espion se transforme en un voyageur en quête de spiritualité qui participe à des activités mystiques et qui, au lieu de transmettre des informations, ne produit qu’un “message” sans intérêt35. »

35Cette ambivalence – qu’elle manifeste d’ailleurs aussi bien à l’égard des « dominants » que des « dominés »– relève de son hybridité à la fois culturelle et linguistique. En effet, l’une des dimensions fondamentales de son hybridité est son multilinguisme, responsable de toute une série de pratiques translinguistiques. Sans entrer dans le détail philologique des textes, il faut tout de même préciser que ce plurilinguisme s’exerce chez Isabelle Eberhardt dans le sens d’une permanente interférence de mots, expressions, phrases tout entières ou citations en diverses langues (arabe, russe, italien, voire latin) que les traducteurs ont à chaque fois marqués dans les éditions plus récentes, en gardant parfois certains termes en original.

  • 36 Ottmar Ette, TransArea, op. cit., p. 78.

36Cela donne une mosaïque linguistique, une écriture fragmentaire, hybride, polyphonique, propre à porter et à proposer une « sagesse » non pas monologique, mais polylogique, caractéristique des « littératures sans domicile fixe36 ». Sidonie Smith, qui parle aussi de ses pratiques linguistiques polyphoniques, note à ce titre ce qui suit :

Through this polylinguism she effectively displaced the privileges of French as the monolanguage through which the colonial order was consolidated. […] Eberhardt incorporated into the language of her journal the transcultural traces of the history of Europe’s colonial engagement with North Africa.

  • 37 Sidonie Smith, « Isabelle Eberhardt Travelling “Other”/wise », op. cit., p. 315.

« À travers ce plurilinguisme elle a vraiment réussi à déloger le français de sa position privilégiée en tant que monolangue grâce à laquelle le système colonial s’était consolidé. […] Eberhardt a incorporé dans la langue employée dans son journal les traces transculturelles de l’histoire de l’engagement colonial de l’Europe en Afrique du Nord37. »

37Ces multiples déplacements analysés jusqu’à présent fonctionnent comme autant d’opérateurs de décalage à même d’engendrer une véritable reconfiguration du monde et de soi et qui entraînent également des déplacements idéologiques. Cependant, loin d’obéir à une logique simplement dualiste, ceux-ci font place à une certaine ambiguïté propre à ouvrir de l’entre, sans que certaines limitations et stéréotypes en soient absents pour autant.

38En effet, on est amené à constater dans un premier temps que, du moins sous certains aspects, le discours d’Isabelle Eberhardt demeure clairement colonial, comme par exemple dans une série d’articles consacrés aux troubles à la frontière algéro-marocaine écrits en 1903-1904 pour le journal La Dépêche algérienne dont nous proposons quelques extraits :

Nous avons devant nous deux populations absolument distinctes et dont les intérêts sont la plupart du temps opposés. Les ksouriens sédentaires, attachés au sol qu’ils cultivent et possèdent, donc directement intéressés à la pacification de leur pays, et les nomades. Il est une erreur de croire que seule la famine est la cause des incursions des nomades : traditionnellement et depuis les origines du monde, les nomades ont toujours été querelleurs et pillards. Ce qui s’explique par leur genre de vie lui-même.

Ce sont les nomades qui sont la cause de tous les désordres, de toutes les effusions de sang qui désolent la région qui nous occupe.

Seule une organisation rapide des territoires acquis amenant une ère nouvelle de prospérité peut légitimer aux yeux de la raison et de l’équité notre marche en avant dans les régions désertiques. […]

En résumé, pour justifier notre présence dans le Sud-Ouest oranais, la France a le devoir le plus impérieux d’y faire régner une paix bienfaisante et d’employer tous les moyens économiques pour améliorer le sort de ce pays et l’amener à un développement économique normal.

  • 38 Isabelle Eberhardt, Choses du Sud Oranais, in Écrits sur le sable : récits, notes et journaliers, v (...)

Sans cela, la conquête, dont l’opportunité a déjà été si contestée, resterait une équipée sans aucune utilité, et que tout esprit sensé n’hésiterait pas à condamner sévèrement38.

39Sans nous attarder sur ce fragment, il faut tout de même dire qu’il porte la marque du colonialisme orientaliste. À part les anciens stéréotypes orientalistes qui refont surface, comme les qualificatifs dépréciatifs appliqués aux nomades – vus comme « querelleurs et pillards » ainsi que responsables « de tous les désordres » –, ce texte assez inattendu sous la plume d’Isabelle Eberhardt laisse paraître un regard objectivant, réifiant de l’Autre, ce qui trahit une certaine « dépendance au concept de “fixitéˮ dans la construction idéologique de l’altérité » (HB, p. 121). En effet, la tendance est ici à l’essentialisation : les nomades sont enfermés dans une identité immuable, étant les mêmes « traditionnellement et depuis les origines du monde », alors que l’unique facteur de progrès, de paix et de prospérité est incarné par l’autorité française paternaliste.

  • 39 Isabelle Eberhardt, Les Journaliers, in Écrits sur le sable : récits, notes et journaliers, vol. I, (...)

40En outre, d’autres textes viennent renforcer cette perspective, en y ajoutant un élément supplémentaire, à savoir le refus du mélange ou la volonté de la pureté des identités ethniques : un certain arabe est « encrassé d’européanisme » (EI, p. 203), ailleurs elle dénonce « l’influence néfaste de l’européanisation des Arabes » (EI, p. 242), ou enfin « l’influence française donne des avortons […] ou des monstres39 […] ».

41Ces quelques exemples témoignent d’une méfiance typiquement coloniale envers le « métissage » et l’« impureté » « vus comme transgressifs et corrupteurs » (HB, p. 124). Cependant, le fait même de déplorer cette « influence néfaste » venue du côté de l’Europe semble être porteuse d’ambivalence. Car qui en est le principal responsable, l’Arabe qui essaie de s’approprier la culture dominante, de l’imiter, sans vraiment y arriver, ou celui qui est venu sur son territoire et s’efforce de l’imposer ? En effet, à y regarder de plus près, l’on s’aperçoit qu’Isabelle Eberhardt est loin d’épouser sans réserve la cause coloniale, la présentant en réalité comme potentiellement contestable, en suggérant que « tout esprit sensé n’hésiterait pas à [la] condamner sévèrement » si l’œuvre de « pacification » [n’était pas accomplie.

42Non seulement elle laisse entendre qu’elle serait sans doute la première à le faire, mais elle la condamne effectivement à maintes reprises – les exemples abondent en ce sens. Déjà en 1897, lors de son premier voyage en Algérie, elle vitupérait : « Ce qui m’écœure ici, c’est l’odieuse conduite des Européens envers les Arabes » (EI, p. 74). Plus tard, arrivée dans l’oasis El Oued, elle dira se trouver « loin des banalités profanatrices de l’Occident envahisseur » (EI, p. 269).

43Un épisode bien intéressant a lieu en 1899, lors d’une collecte des impôts – « l’arriéré de la medjba, l’impôt de capitation que payent les hommes musulmans en Tunisie » – lorsqu’elle se joint « par curiosité » au responsables indigènes :

J’ai pu, aidé par des circonstances fortuites singulièrement favorables, voir comment l’on fait rentrer là-bas les arriérés d’impôts et comment l’on fait les enquêtes judiciaires. Eh bien je déclare que l’un et l’autre se pratiquent de la façon la plus révoltante, la plus barbare, et cela non pas occasionnellement mais constamment, au vu et au su de la plupart des fonctionnaires français civils ou militaires chargés de contrôler les fonctionnaires indigènes. […]

  • 40 Isabelle Eberhardt, Un automne dans le Sahel tunisien, in Écrits sur le sable, tome I, op. cit., p. (...)

Ce ne sont donc pas des vestiges non encore réprimés de la fameuse « barbarie » musulmane que je compte relater plus loin, mais bien les résultats des ordres, conseils et exemples donnés d’en haut par des hommes qui comprennent très singulièrement leur mission pacificatrice40.

  • 41 Ibid., p. 51.
  • 42 Ibid., p. 52.

44Si les « fonctionnaires indigènes » – plus ou moins européanisés, donc plus ou moins « dégénérés » – sont fustigés en raison de leur collaboration avec le régime colonial, l’indignation du témoin qu’est Isabelle Eberhardt éclate dans un discours et une rhétorique cette fois-ci ouvertement anti-colonialistes. Il s’agit en outre d’une thématisation de la barbarie, d’inspiration montaignienne, qui entraîne un véritable déplacement idéologique, sinon carrément un renversement de perspective. Car, sous le regard compatissant et impuissant devant la misère et la souffrance des « sombres tribus indociles et pauvres41 », à voir « des femmes en larmes » qui « amènent la dernière chèvre, la dernière brebis à qui elles prodiguent des caresses d’adieux42 », la barbarie change de camp : tout comme chez Montaigne (« Des cannibales »), le barbare est moins l’Autre que ces « hommes qui comprennent très singulièrement leur mission pacificatrice ». L’ironie s’y fait mordante, le ton caustique et impitoyable, signe que le médiateur lui-même a changé de camp, en prenant le parti des opprimés.

45Comment dès lors concilier ces points de vue antagoniques ? Comment expliquer toutes ces contradictions ainsi que leur coexistence ? Lisons à cet effet quelques passages de Sud Oranais :

Ces premières heures du soir, en Ramadhane, ont leur charme. Une atmosphère d’intimité fraternelle, inusitée, règne dans les cafés maures. […]

  • 43 Il s’agit d’une tribu nomade.

Des rires s’élèvent, des plaisanteries. Moi, on me traite narquoisement de Meniaï, parce que j’ai eu la naïveté de proposer de rompre le jeûne, ayant vu les Doui Menïa43 commencer à manger. (SO, p. 111)

Ce sont presque tous des Marocains du Nord […] Quelques-uns sont des Berbères blonds, aux yeux bleus […] Comme nous cuisions des pommes de terre […] des hommes en vareuse et en béret gris circulaient autour de nous, sous l’œil des légionnaires. Je reconnus en eux des « exclus » de l’armée […] des condamnés militaires […] ils étalaient d’extraordinaires tatouages parisiens, soulignés de devises pessimistes, révoltées ou obscènes.

Par ennui, exclus et légionnaires viennent nous parler. Cela m’amuse d’abord, et j’ai peine à ne pas rire en les entendant dire entre eux : « Il est girond, le petit spahi, il a la peau fine » !

  • 44 Le terme désigne les cavaliers du makhzen, c’est-à-dire des soldats algériens ou marocains.

Quelques mokhazni44 nous rejoignent. Ils sont de Beni Ounif et je reconnais en eux des figures amies de l’an dernier.

Avec eux nous préparons le café dans une gamelle et nous causons, comme causent les gens du Sud, en répliques courtes, avec des plaisanteries naïves sans mots malsonnants. (SO, p. 160-161)

46Comment apparaît ici Isabelle Eberhardt ? Est-ce une femme ou bien le jeune taleb Mahmoud Saadi ? Est-elle un Meniaï, c’est-à-dire l’un des membres de la tribu des Doui Menïa, ou bien le petit spahi à la peau fine ? Ce que l’on peut constater, c’est que ce caméléon transculturel « franchit les frontières manichéennes pour affirmer sa liberté » (HB, p. 115-116). En maîtrisant à merveille l’art du déguisement ainsi que les codes culturels de ces cultures croisées, en présence l’une de l’autre, elle est également la seule à reconnaître aussi bien les « exclus », les « tatouages parisiens » ainsi que les « figures amies » des mokhazni – adresse et sagesse dont seul un hybride est capable.

47Il serait par ailleurs intéressant de suivre l’évolution du pronom « nous » – d’identification, d’assimilation – à travers les fragments ci-dessus. Car il ne s’agit pas du même « nous ». Si dans les textes d’inspiration coloniale, on a nettement affaire au « nous » de la domination et de la conquête, dans ces derniers passages c’est un « nous » de l’immersion, de l’intégration, de la convivialité et du partage aussi bien du jeûne que des plats préparés ensemble dans une « atmosphère d’intimité fraternelle ».

48En outre, loin de nous dépeindre cette « momification culturelle » (HB, p. 138) à laquelle une culture colonisée risque d’être condamnée, Isabelle Eberhardt nous facilite l’accès à l’intérieur d’une culture bien vivante, à même d’intégrer les éléments extérieurs – comme les légionnaires et les exclus, et elle-même d’ailleurs –, perméable et dynamique, où les frontières spatiales, identitaires et culturelles sont plus d’une fois brouillées, ce qui est de nature à mettre en évidence cet « état d’émergence » évoqué au début.

49Et ce n’est finalement pas un hasard si ces passages sont placés sous le signe de l’amusement et du rire. Les plaisanteries échangées, ainsi que l’ironie malicieuse dont Isabelle Eberhardt fait l’objet lorsqu’on la traite « narquoisement de Meniaï » parce qu’elle avait eu la « naïveté » d’imiter les Doui Menïa, font signe vers la complicité qui s’est installée entre les soldats arabes et la voyageuse, qui reste cependant, à certains égards, Autre – à preuve sa « naïveté » mais aussi sa compréhension des soldats européens. Ces fragments illustrent d’ailleurs à merveille une opinion de Clifford Geertz, cité par Homi Bhabha, selon laquelle l’expérience de la compréhension d’autres cultures « tient plutôt au fait de saisir un proverbe, une allusion, voire une blague […] que de parvenir à une communion » (HB, p. 111). Renoncer à toute perspective idéalisante et à tout rêve de communion au profit d’une interaction vivante, sans que celle-ci élimine complètement la situation fondamentale d’inconfort – supposant aussi bien la possibilité de l’entente que du malentendu –, serait ainsi un élément essentiel d’une possible sagesse de l’hybridité léguée par Isabelle Eberhardt.

  • 45 François Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle, op. cit., p. 91-92.

50Cette impression de convivialité transculturelle et de bonne humeur qui se dégage de ces derniers passages pourrait ainsi constituer l’une des expressions de la contribution d’Isabelle Eberhardt à la réflexion actuelle autour des conditions d’un vivre-ensemble, qui préfigure l’émergence du sujet contemporain, défini par François Jullien comme « un sujet agile ou […] “alerteˮ […] circulant, à partir d’une langue et d’un certain milieu, parmi d’autres langues et d’autres milieux, et puisant aux ressources des uns et des autres45 ».

  • 46 Hartog propose l’image de l’homme-frontière comme figure du passeur culturel, pour caractériser des (...)

51Car, par sa pratique du déplacement multiple, Isabelle Eberhardt s’avère une femme-frontière au sens où l’entend François Hartog46, incarnant tout à la fois la figure du passeur et du parasite qui, comme nous venons de le voir, est capable d’assumer l’inconfort définitoire de l’entre-deux, ainsi que l’ambiguïté de l’hybridité, au risque de susciter parfois la méfiance, voire l’hostilité. De même, sa pensée et son regard ambivalents, empreints de contradictions à l’égard aussi bien de l’Europe que du Maghreb, réunissant de manière paradoxale fixité et fluidité, pureté et hybridité, stéréotypes et ouverture, annoncent déjà, du moins sous certains aspects, la condition des migrant writers, voire notre condition postmoderne et globale, tellement inconfortable…

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Bibliographie

Corpus primaire

Eberhardt, Isabelle, Sud Oranais, Paris, Joëlle Losfeld, 2003

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Études critiques

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Tournier, Michel, « Isabelle Eberhardt ou la métamorphose accomplie », in Michel Tournier, Le Vol du vampire. Notes de lecture, Paris, Mercure de France, 1981.

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Notes

1 Ottmar Ette, TransArea. Une histoire littéraire de la mondialisation [TransArea. Eine literarische Globalisierungsgeschichte, 2012], trad. Chloé Chaudet, Paris, Classiques Garnier, coll. « Bibliothèques francophones », p. 56.

2 Ibid., p. 29.

3 Homi K. Bhabha, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale [The Location of Culture, 1994], trad. Françoise Bouillot, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2007, p. 35. – Les références à cet ouvrage figureront désormais dans le corps du texte, précédées de l’abréviation HB.

4 François Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle, Paris, Éditions de l’Herne, 2016, p. 5.

5 Ibid., p. 38.

6 Ibid., p. 48.

7 Ottmar Ette, TransArea, op. cit., p. 50.

8 Il s’agit notamment du volume de notes de route Sud Oranais (1903-1904), du recueil de correspondance Écrits intimes : lettres aux trois hommes les plus aimés ainsi que du premier volume des Écrits sur le sable : récits, notes et journaliers.

9 « The diary serves as an ideal space to record the subjects displacement because it is, in a sense, a form of displacement itself », Masha Belenky, « Nomadic Encounters: Leïla Sebbar Writes Isabelle Eberhardt », Dalhousie French Studies, vol. 96, 2011, p. 93–105, p. 98, notre traduction – Sauf si mention contraire, lensemble des traductions françaises proposées dans cet article seront désormais de notre fait.

10 « Eberhardt’s situation was itself quintessentially that of multiple displacement; she is a “displaced person” in virtually every sense. […] For Eberhardt is, in a sense, an example of the personification of displacement », Marjorie Garber, Vested Interests: Cross-Dressing and Cultural Anxiety, New York, Harper Perennial, 1993, p. 328.

11 Sidonie Smith, « Isabelle Eberhardt Travelling Other/wise: The European” Subject in OrientalIdentity »,in Gisela Brinker-Gabler (dir.), Encountering the Other(s): Studies in Literature, History and Culture, Albany, State University of New York, 1995, p. 295-314, p. 303.

12 Vanezia Pârlea, « Parcours oriental et quête identitaire chez Isabelle Eberhardt », in Vanezia Pârlea (dir.), Femmes d’extérieur. Les déplacements féminins dans la littérature et les relations de voyage, Bucarest, Éditions de l’Université de Bucarest, coll. « Heterotopos », 2013, p. 38.

13 « Yet the overriding sensation I had was of always being out of place », Edward W. Said, Out of Place. A Memoir, London, Granta Books, 1999, p. 3. À Contre-voie. Mémoires, trad. de Brigitte Caland et Isabelle Genet, Paris, Le Serpent à Plumes, 2002, p. 17.

14 Alain Buisine, L’Orient voilé, Paris, Zulma/Calmann-Lévy, 1993, p. 199.

15 Edward W. Said, Out of Place, op. cit., p. 3. Trad. op. cit., p. 17.

16 Le 29 janvier 1901, lors de son passage dans le village algérien de Behima, en compagnie du cheikh Si El Hachmi de la confrérie des Qadriya et de sa suite, Isabelle Eberhardt fut victime d’une tentative de meurtre perpétrée par un certain Abdallah ben Mohammed qui, lors du procès du 18 juin de la même année qui s’est tenu à Constantine, déclarait avoir agi « sous une impulsion divine ». Bien qu’encore enveloppé de mystère, cet assassinat manqué a été mis depuis sur le compte des Tidjanïa, une confrérie maraboutique ennemie des Qadriya.

17 Sur ce sujet voir aussi Michel Tournier, « Isabelle Eberhardt ou la métamorphose accomplie », in Michel Tournier, Le Vol du vampire. Notes de lecture, Paris, Mercure de France, 1981.

18 Voici ce qu’elle écrivait à son frère Augustin de Moerder le 10 novembre 1900 depuis El Oued dans une lettre signée « Mahmoud » : « mon âme […] traverse une sorte d’incubation lente, depuis mon départ de Genève… incubation dont j’aperçois déjà quelques résultats », in Isabelle Eberhardt, Écrits intimes : lettres aux trois hommes les plus aimés, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs », 2003 [1991], p. 276. – Les références à cet ouvrage figureront désormais dans le corps du texte, précédées de l’abréviation EI.

19 Ali Behdad, Belated Travelers. Orientalism in the Age of Colonial Dissolution, Durham and London, Duke University Press, 1994, p. 120.

20 « Eberhardt’s “failure” to “be” any one of these three identities exposes the difficulty of fixing identity itself, of locating it anyplace but elsewhere », Sidonie Smith, « Isabelle Eberhardt Travelling “Other”/wise », op. cit., p. 313.

21 Ottmar Ette, TransArea, op. cit., p. 53.

22 Isabelle Eberhardt, Sud Oranais, Paris, Joëlle Losfeld, 2003, p. 148-149. – Les références à cet ouvrage figureront désormais dans le corps du texte, précédées de l’abréviation SO.

23 Harara (pluriel haraïr) : long sac en laine noire et grise qu’on accouple sur le bât des chameaux.

24 Vanezia Pârlea, « Errance(s) et intimité(s) chez Isabelle Eberhardt », in Philippe Antoine, Vanezia Pârlea (dir.), Voyage et intimité, Paris, Paris, Classiques Garnier, coll. « Carrefour des lettres modernes », 2018, p. 181.

25 Zaouïa : établissement religieux, école, siège d’une confrérie.

26 Nous soulignons.

27 Nous soulignons.

28 Nous soulignons.

29 Nous soulignons.

30 Edmonde Charles-Roux, Nomade j’étais. Les années africaines dIsabelle Eberhardt 1899-1904, Paris, Grasset, 1995, p. 524.

31 Nous soulignons.

32 Djich (pluriel djiouch) : pillage ; par extension, les pilleurs armés.

33 François Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle, op. cit., p. 41.

34 « […] this study argues that her hybrid political and sartorial practices were all relied on as empowering strategies in her attempt to reconcile her numerous markers of weakness with a no less marked quest for recognition and power. […] Eberhardt’s case shows that neither carnivalesque practices nor nomadism are immune from the temptation of power », Lynda Chouiten, Isabelle Eberhardt and North Africa: A Carnivalesque Mirage, Maryland, Lexington Books, 2015, Preface, p. vii, notre traduction.

35 Ali Behdad, Belated Travelers, op. cit., p. 129-130.

36 Ottmar Ette, TransArea, op. cit., p. 78.

37 Sidonie Smith, « Isabelle Eberhardt Travelling “Other”/wise », op. cit., p. 315.

38 Isabelle Eberhardt, Choses du Sud Oranais, in Écrits sur le sable : récits, notes et journaliers, vol. I, Paris, Grasset, 1988, p. 474-477. Il est assez difficile d’expliquer cette différence de ton tellement saillante, cette défense explicite de l’action coloniale et « civilisatrice » à travers la série d’articles écrits par Isabelle Eberhardt pour ce quotidien algérois à l’aube du xxe siècle. On pourrait avancer l’hypothèse qu’il s’agit d’un quotidien politique, ce qui peut déterminer un certain horizon d’attente, donc modifier le discours d’Eberhardt en ce sens. Les éditeurs de l’œuvre eberhardtienne, Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu, vont effectivement dans le sens d’une semblable hypothèse d’une tendance à faire des concessions en raison de son amitié envers le général Lyautey, se traduisant par une adhésion partielle et circonstancielle non pas à la version classique, radicale du colonialisme, mais plutôt à la doctrine de la « pénétration pacifique » soutenue par Lyautey : « Journaliste, officiellement reconnue par le gouvernement général d’Algérie […], Isabelle Eberhardt a bénéficié de l’amitié et de l’estime du général Lyautey. Il facilita sa vie quotidienne et notamment ses déplacements. Sous l’influence de l’officier, sans doute, elle n’hésite pas à défendre la “politique des marchésˮ, base de la théorie du protectorat prônée par Lyautey. Celui-ci, volontiers visionnaire, l’oppose à la colonisation classique qu’il désapprouvait formellement à l’époque », note des éditeurs, p. 483.

39 Isabelle Eberhardt, Les Journaliers, in Écrits sur le sable : récits, notes et journaliers, vol. I, op. cit., p. 327.

40 Isabelle Eberhardt, Un automne dans le Sahel tunisien, in Écrits sur le sable, tome I, op. cit., p. 64.

41 Ibid., p. 51.

42 Ibid., p. 52.

43 Il s’agit d’une tribu nomade.

44 Le terme désigne les cavaliers du makhzen, c’est-à-dire des soldats algériens ou marocains.

45 François Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle, op. cit., p. 91-92.

46 Hartog propose l’image de l’homme-frontière comme figure du passeur culturel, pour caractériser des individus situés « à la fois dedans et dehors, intermédiaires, passeurs, traducteurs » (François Hartog, Mémoire d’Ulysse. Récits sur la frontière en Grèce ancienne, Paris, Gallimard, 1996, p. 13).

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Référence électronique

Vanezia Pârlea, « « Où est la frontière? » »TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 02 avril 2021, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/5489 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.5489

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