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2021
Hors frontières (N° 26 | 2021)
Relectures du récit de voyage : figures de l’entre-deux

Aller là où le monde vous fait advenir

Le récit viatique contemporain entre traversée de territoires et immersion dans le lieu
Gilles Louÿs

Résumés

Si tout récit de voyage est la relation d’un déplacement qui mène quelqu’un quelque part pour ensuite le ramener (généralement) à son point de départ, il ne s’ensuit pas que les formes prises par ce déplacement s’équivalent : lorsqu’on traverse des territoires, on ne vit pas la même expérience que celui ou celle qui est parti pour séjourner, durablement, dans un lieu, et qui en ressent profondément l’emprise. Il y a ainsi des déplacements qui vous affectent, parce qu’ils vous conduisent en des endroits où votre identité s’altère, et d’autres qui ne vous changent en rien. Le présent article aborde, à travers un corpus de récits viatiques contemporains, les formes prises par ces transformations intérieures, qui sont parfois formulées de manière quasi identique, comme une sorte de coïncidence à soi seulement permise par la confrontation avec l’altérité.

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Texte intégral

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  • 1 Le caractère référentiel du récit de voyage, s’il est aujourd’hui encore considéré comme la marque (...)

2Le déplacement – dans un espace réel, effectué par une personne réelle – est constitutif de la littérature de voyage. C’en est même son trait définitionnel exclusif1. Mais il ne s’ensuit pas que les finalités données au déplacement s’équivalent : lorsqu’on se déplace de lieu en lieu, lorsqu’on traverse les communautés qui vous accueillent, on ne vit pas la même expérience que celui ou celle qui est parti pour séjourner, durablement, dans un lieu, et qui en ressent profondément l’emprise. Il y a ainsi des déplacements qui vous affectent, parce qu’ils vous conduisent en des endroits où votre identité est mise à l’épreuve, et d’autres qui ne vous changent en rien. Cette dualité s’exprime dans le corpus des récits de voyage : on peut distinguer, d’un côté, les récits de traversées de territoires, et de l’autre, les récits de séjour prolongé dans un lieu : ce qu’on pourrait appeler les récits d’immersion dans un lieu, dans une culture.

  • 2 Cette orientation explique que la plupart des récits de traversée se présentent sous la forme d’un (...)
  • 3 Cédric Gras, L’Hiver aux trousses. Voyage en Russie d’Extrême-Orient [2015], Paris, Gallimard, 2016

3C’est au premier type de récit qu’on associe spontanément la littérature de voyage, et de fait, il existe un très vaste corpus de textes qui relatent le parcours d’un voyageur à travers un espace, en un temps plus ou moins long, avec pour conséquence que, sauf accident, le voyageur ne fait que traverser la ou les communautés qui y vivent, ce qui donne à son récit une orientation particulière : celle de témoigner de ce qu’il voit successivement2, de transmettre ses observations, avec plus ou moins de distance, ou, au contraire, d’adhésion. Dans ce type de relation, le voyageur, en somme, reste sur son quant à soi, il n’est pas profondément affecté par ce qu’il voit, ou par ce qu’il partage avec les communautés rencontrées le long de la route. Pour prendre un exemple récent, la traversée de l’Extrême-Orient russe par Cédric Gras, dans L’Hiver aux trousses3, lui permet de faire part des bouleversements qu’a connus ce territoire gigantesque, passé de l’état de « Far East » à coloniser, durant les temps les plus glorieux de l’URSS, à sa désaffection actuelle, que traduit son déclin démographique. Les impressions personnelles, l’impact qu’exercent les paysages traversés sur le voyageur, ne sont pas absents de son récit, mais cela n’aboutit à aucun chamboulement intérieur.

4Il en va tout autrement des récits relatant une immersion prolongée dans un lieu, qui a pour effet d’affecter durablement le voyageur, voire de lui faire vivre une véritable transformation intérieure.

  • 4 Nicolas Bouvier, Le Poisson-Scorpion, Paris, Gallimard, 1981, repris dans Nicolas Bouvier, Œuvres, (...)
  • 5 Nicolas Bouvier, Chronique japonaise [1967 (sous le titre Japon), 1975, 1989], Œuvres, Paris, Galli (...)

5Il me semble que la littérature de voyage se répartit entre ces deux types de relation, avec, bien sûr, des chevauchements qui peuvent se produire : si Le Poisson-Scorpion4 de Bouvier, relatant son séjour de sept mois dans la ville de Galle, au sud du Sri-Lanka, est clairement un récit d’immersion (mais dans lequel la transformation intérieure s’est là avérée catastrophique), Chronique japonaise5, du même auteur, peut se lire à la fois comme un récit d’immersion dans la culture japonaise (essentiellement à Tokyo et Kyoto) et comme un récit de traversée, lorsque Bouvier raconte son voyage vers le nord du Japon, à Hokkaïdo.

  • 6 Nicolas Bouvier, L’Usage du monde [1963], Œuvres, Paris, Gallimard, « Quarto », 2004, p. 59-388.

6Inversement, L’Usage du monde6, du même Bouvier, est certes un récit de traversée de territoires multiples (l’ex-Yougoslavie, la Grèce, la Turquie, l’Iran, le Pakistan, l’Afghanistan), mais qui raconte aussi un séjour de plusieurs mois à Tabriz, et c’est un moment particulièrement fort dans son récit, un moment où Bouvier fait preuve d’une grande empathie envers les différentes communautés de Tabriz – qu’il s’agisse des Kurdes, des Arméniens ou des Azéris, et là on retrouve les caractéristiques du récit d’immersion.

7Ce sont ces caractéristiques que je me propose d’exposer : je pars de l’hypothèse qu’il y a en effet une poétique propre au récit d’immersion (par exemple avec la forte présence du récit itératif dans ce type de textes) mais aussi, et c’est ce qui va m’intéresser plus particulièrement, toute une topique reconnaissable d’un récit à l’autre, par laquelle on voit se configurer l’expérience vécue au contact prolongé avec l’autre.

  • 7 Michel Butor, « Égypte », dans Le Génie du lieu [1958], Paris, Grasset, « Les cahiers rouges », 199 (...)
  • 8 Raymond Figueras, Au pays des hommes-fleurs. Avec les chamans des îles Mentawai, Paris, Transboréal (...)
  • 9 Anita Conti, Racleurs d’océans [1953], Paris, Payot & Rivages, 2002.

8Je m’appuierai sur un corpus nécessairement limité, mais que je crois probant, bien qu’il soit hétérogène, ou plutôt parce qu’il l’est, à l’image de l’extrême diversité qui affecte la bibliothèque du Voyage : il n’y a en effet pas grand-chose de commun entre le récit de Butor consacré à son séjour de huit mois à Minieh, en Égypte, pendant l’année 1950-1951, ceux, plus récents, de Linda Gardelle et Corine Sombrun en Mongolie, celui de Nicole-Lise Bernheim au Japon, le récit du séjour de Fabienne Verdier dans une université du Sichuan, dans la Chine des années 1980, ou encore la chronique que Sébastien Ortiz a tenue de son séjour de plusieurs mois dans un temple zen à Taïwan7. J’ai même recherché dans deux textes qui a priori ont encore moins à voir avec les précédents de quoi conforter ou au contraire contredire mes observations : d’une part le récit de l’anthropologue Raymond Figueras, consacré à ses nombreux séjours parmi les chasseurs-cueilleurs des îles Mentawai8, de l’autre le texte beaucoup plus ancien – il date de 1952 – de l’océanographe Anita Conti, relatant son embarquement de plusieurs mois à bord d’un chalutier-saleur dans sa campagne de pêche aux confins du Labrador et du Groenland9. En superposant des textes et des expériences si différents, je me suis aperçu qu’on retrouvait malgré tout un certain nombre d’éléments constants dans la façon dont ces voyageurs réagissent à un environnement radicalement autre.

L’intensification du rapport au monde

  • 10 « Ne parlant pas la langue, je deviens ici analphabète et sourde. C’est comme si je venais de naîtr (...)

9Un premier élément de cette topique commune est ce qu’on pourrait appeler l’intensification du rapport au monde : sous l’effet du dépaysement, la plupart de ces voyageurs font part d’un état d’acuité, à la fois sensorielle et psychique, une forme de disponibilité qui vous transforme en éponge absorbant tout, même et peut-être surtout quand on ne comprend pas la langue, comme le note Nicole-Lise Bernheim, qui parle de renaissance pour évoquer cette attention nouvelle au monde 10.

  • 11 Remontant un fleuve en pirogue à la rencontre des chasseurs-cueilleurs mentawai, Figueras note : «  (...)
  • 12 Ibid., p. 34.

10Même un anthropologue comme Figueras, pourtant censé être à l’abri, de par sa formation, de toute déstabilisation induite par le contact avec une autre culture, témoigne dans son récit d’une sensibilité accrue à l’environnement. Il évoque à plusieurs reprises le sentiment d’une profonde désorientation spatio-temporelle11, sous l’emprise du monde dans lequel évoluent les chasseurs-cueilleurs mentawai, ce monde, dit-il, qui est « le monde d’avant », le monde des « hommes premiers12 ».

  • 13 Michel Butor, « Égypte », op. cit., p. 112.
  • 14 Ibid., p. 117.
  • 15 Ibid., p. 152.
  • 16 Voir la biographie de Corine Sombrun sur son site : https://www.corinesombrun.com/biographie/ [cons (...)
  • 17 Voir le récit de son séjour à Iquitos, dans l’Amazonie péruvienne : Corine Sombrun, Journal d’une a (...)

11Butor, à Minieh, se montre particulièrement sensible à « l’emprise de la foncière étrangeté égyptienne13 » qui lui fait dire qu’il a vécu pendant tout son séjour « dans un état de dépaysement croissant se transformant bientôt en émerveillement14 ». Il relève en particulier le surprenant pouvoir des odeurs, qui « prennent une importance, un volume » qu’elles « ne possèdent jamais en Europe15 » – et de fait, c’est dans la littérature de voyage qu’on a les plus fréquents exemples de cette redécouverte de notre potentiel olfactif. Dans le même ordre d’idée, je note que la surprenante facilité à entrer en transe que s’est découverte Corine Sombrun durant ses séjours en Mongolie, et qui l’a conduite par la suite à participer à un protocole d’expérimentation scientifique sur les relations observables entre transe et fonctionnement cérébral16, cette facilité à entrer en transe est liée à ses capacités de réponse au rythme du son, capacités que seuls ses séjours répétés auprès de chamanes, au Pérou17 d’abord, en Mongolie ensuite, ont permis de révéler.

  • 18 Sébastien Ortiz, Dans un temple zen, op. cit., p. 61.
  • 19 Ibid. – Le mot « surgissement » employé par Sébastien Ortiz fait bien évidemment penser à Nicolas B (...)
  • 20 Sébastien Ortiz, Dans un temple zen, op. cit., p. 61.
  • 21 Ibid., p. 41.
  • 22 « En Chine, aux prises avec la plus antipodique des matières, j’attends beaucoup de cet exotisme ex (...)
  • 23 « Ainsi, j’en arrivai au point où je n’avais même pas besoin d’attendre que mon interlocuteur ouvrî (...)

12C’est chez Sébastien Ortiz qu’on trouve l’expression la plus détaillée de cette modification du rapport au monde, sans doute en raison de son initiation à la pratique intensive de la méditation, qui favorise l’auto-observation : il note une « plus grande présence au monde18 », une attention neuve au réel qui lui fait prendre conscience que les choses ne sont pas statiques, mais qu’elles apparaissent tel « un surgissement19 » ; il fait état d’une « adhésion plénière à l’instant présent », d’un « tonus rarement éprouvé », d’une surconcentration mentale qui lui fait dire que son cerveau fonctionne « au cube de ses facultés ordinaires20 ». De même, l’immersion dans la langue chinoise, « la plus antipodique des matières21 », note-t-il en reprenant la formule de Segalen22, agit comme un amplificateur de ses facultés : le chinois développe chez lui une faculté d’intuition qu’il s’ignorait, au point, écrit-il, de comprendre ses interlocuteurs avant même qu’ils s’expriment23 !

  • 24 Anita Conti, Racleurs d’océans, op. cit., p. 250.
  • 25 Ibid., p. 163.

13Même chez Anita Conti, dans un texte qui se veut relation documentaire sur les conditions de travail et de vie à bord lors d’une campagne de pêche lointaine, et qui pousse ce souci documentaire jusqu’à reprendre aux marins-pêcheurs leur vocabulaire, sans mise au premier plan de la subjectivité de l’observatrice, on trouve néanmoins à plusieurs reprises des traces d’émotion, lorsqu’elle se découvre une vitalité nouvelle face à un environnement marin pourtant chaque jour renouvelé, qui lui fait dire que « [c]haque aurore est une vie nouvelle24 ». Il y a ainsi un moment qui lui arrache une phrase digne de Giono, lors d’un réveil difficile un matin, où elle note, après avoir contemplé la « clarté bleue » depuis le hublot de sa cabine : « Après quoi je me suis découvert une âme et j’ai évité les paroles25. »

Altération de soi

  • 26 « Quiconque n’a pas connu cette expérience de ne pas parler sa langue pendant des mois, ni de l’ent (...)
  • 27 Ibid., p. 32. – Cette volonté d’acculturation est souvent évoquée dans son récit : « Rien ne me fai (...)
  • 28 Impression relatée dans Linda Gardelle, Aylal, une année en Mongolie, op. cit., p. 179-180.
  • 29 Ibid., p. 181-182.
  • 30 Ibid., p. 248.

14 Un autre élément qu’on retrouve quasi identiquement dans ces textes est le sentiment d’une perte d’identité, d’une forme d’étrangeté à soi-même. Cela se manifeste par exemple par l’oubli de sa propre langue chez Linda Gardelle26, chez Fabienne Verdier, ou chez Sébastien Ortiz, ou par l’oubli de son ethos d’origine. Gardelle raconte ainsi le malaise qui la prend subitement lorsque, invitée à une soirée à l’Ambassade de France, à Oulan-Bator, alors qu’elle revient tout juste d’un séjour de plusieurs mois parmi des éleveurs nomades de la province du Khentii, au Nord-Est de la Mongolie, elle se sent tellement « déplacée » qu’elle ne parvient pas à se réintégrer comme Française parmi d’autres Français dont les propos la heurtent à ce point qu’elle perd littéralement pied : elle tombe évanouie. Il faut dire qu’elle a poussé si loin sa fascination pour le mode de vie nomade, au point, comme elle le note, de « [se] sentir mongole » elle-même27, que le choc est grand du retour parmi ceux qu’elle ne parvient plus à reconnaître comme les siens : il est très frappant de voir que c’est le spectacle de la connivence des nationaux qui la heurte, cette connivence identitaire dont elle ressent à quel point elle s’en est détachée, et qui lui paraît désormais hors de sa portée28. Mais c’est aussi la forme que prennent les interactions verbales entre Français qui la désoriente profondément : elle qui s’est totalement acclimatée, non seulement à la langue mongole, mais aussi au calme, à la douceur, dit-elle, que prennent les conversations en mongol, ressent durant cette soirée quelque chose d’agressif dans la façon dont les Français s’adressent la parole29. Un tel éloignement de son ethos d’origine explique alors qu’elle puisse se dire, lors de son retour en France : « J’allais quitter mon chez-moi pour un chez-moi que j’avais oublié et qui était si loin dans le temps et l’espace30. » L’expérience prolongée du séjour parmi les nomades mongols aboutit ici à une forme de renversement du processus de défamiliarisation qui, à la veille du retour, n’affecte plus l’ailleurs, mais l’ici.

  • 31 Fabienne Verdier, Passagère du silence, op. cit., p. 271.
  • 32 Michel Butor, « Égypte », op. cit., p. 138 et suiv.

15 Pareillement, après un séjour de plusieurs années dans la Chine profonde, dans cette université du Sichuan où elle est la seule étudiante étrangère, Fabienne Verdier raconte le choc du retour quand elle arrive à Hong Kong, ses difficultés à se réhabituer à un environnement à l’occidentale : « Je ne savais plus vivre dans un appartement normal, avec de la moquette, une cuisine fonctionnelle ; je ne savais plus me servir des objets usuels ni même parler français31. » Cette difficulté à se ré-identifier à ce qu’on était, à se retrouver dans des gestes et un habitus perdu, on la retrouve chez Butor, quand il évoque l’embarras qu’ont les Égyptiens à concilier leur identité profonde avec les intrusions de la culture européenne, malaise qu’il en vient à éprouver lui-même au point que cela lui rend problématique et incertaine sa propre identité d’Européen : d’où sa décision de s’échapper, chaque week-end, au Caire, où il peut retrouver, à travers les restaurants, les cinémas, les librairies, les tramways, les affiches, bien assise, bien évidente, cette culture européenne conquérante. Il faut lire, par exemple, ce qu’il écrit au sujet de l’apparition improbable, dans le décor du Minieh de l’année 1950, d’une table à l’européenne, avec tiroirs et mensurations idoines, pour se rendre compte à quel point c’est par des objets familiers que passe le sentiment de notre identité, lorsque, transplantés dans un lieu où ils apparaissent incongrus, ils nous deviennent tout d’un coup très étranges32.

  • 33 Sébastien Ortiz, Dans un temple zen, op. cit, p. 91.
  • 34 Fabienne Verdier, Passagère du silence, op. cit., p. 120.
  • 35 Anita Conti, Racleurs d’océans, op. cit., p. 270.

16 Cette impression d’étrangeté à soi-même a des manifestations diverses : il peut s’agir du constat d’une non-coïncidence à soi, comme chez Ortiz, perturbé par ce que les enseignements du bouddhisme zen « infusent » en lui : « J’avais même de plus en plus de mal à me reconnaître dans celui que j’avais été33. » Chez Fabienne Verdier, c’est au terme d’une longue période d’ascèse, de privations, de doutes aussi quant à son apprentissage de la culture chinoise, qu’elle note : « Je ne sais même plus qui je suis34 » – et il est curieux de constater qu’Anita Conti utilise presque les mêmes mots pour évoquer les effets sur elle-même de son long séjour à bord : « Est-ce que je m’accorde avec moi-même35 ? »

  • 36 Nicolas Bouvier, Chronique japonaise, op. cit., p. 628.

17 Mais il peut s’agir aussi d’une forme radicale d’absence à soi-même, comme ce qu’éprouve Bouvier à Hokkaïdo, qu’il décrit à travers une image aussi familière que frappante : « […] le pays et l’été m’ont déjà gobé comme un œuf, ne laissant que la coquille, et je vois mal ce que je pourrais faire de plus pour lui et comment exister moins36. »

  • 37 Corine Sombrun, Mon initiation chez les chamanes, op. cit., p. 125.

18 On peut également être à ce point submergé par une expérience psychique extrême qu’on bascule dans une forme de dissociation de la personnalité. C’est ce qui est arrivé à Corine Sombrun, dont le témoignage présente l’intérêt de décrire l’espèce d’éclatement intérieur qui se produit au moment de l’entrée en transe, la transe étant en elle-même une expérience de dissociation : « Le corps de “Je” n’obéit plus à ma raison. Déconnectée. Qu’est devenu “je” ? Qui est “je” ? Où est “je”37 ? » J’emploie le mot « dissociation » ici dans un sens phénoménologique, et non pas dans le sens clinique qu’il a en psychiatrie, quoique, dans ce moment de la transe qui précède la vision chamanique, et dont Corine Sombrun explique dans son livre que c’est un moment critique qu’elle a du mal à maîtriser, la psychiatrie pourrait voir quelque chose de clinique, puisque, quand on la lit, c’est bien d’un dédoublement de la personnalité qu’il s’agit :

  • 38 Ibid., p. 124.

Moi j’ai le trac. De devenir ce que je suis. […] Qu’est-ce que « je » risque, au fond, à part découvrir ce que je suis ? C’est ça qui te fait peur, mon ego ? Tu sais qu’accepter ce que « je » suis, c’est te faire exploser38 !

  • 39 Un monde plus grand, film de Fabienne Berthaud, 1h40, Haut et court, Gaumont, Mahi Films, octobre 2 (...)

19Et on notera que le code graphique qu’elle utilise a pour effet de radicaliser cette sensation de dédoublement : les guillemets autour du pronom « je » portent autant sur son identité ordinaire que sur l’être extraordinaire qui se manifeste en elle lors de la transe, et qui est son « double » chamanique. De fait, dans son récit, ce passage d’un « je » à l’autre est réellement spectaculaire : entrant en transe, elle raconte qu’elle a des convulsions, qu’elle crie et montre les dents, parce qu’elle se sent devenir loup – et on ne s’étonnera pas, du coup, que son récit ait inspiré, tout récemment, le cinéma39.

  • 40 Claude Lévi-Strauss, Le Regard éloigné, Paris, Plon, 1983.
  • 41 Raymond Figueras, Au pays des hommes-fleurs, op. cit., p. 107.

20Il n’est pas jusqu’à Figueras, anthropologue pourtant formé à l’école du « regard éloigné » cher à Lévi-Strauss40, qui ne ressente une profonde altération de soi au contact de ceux qu’il assimile aux « hommes premiers ». Cela se produit lors d’une nuit passée en forêt avec les chasseurs-cueilleurs mentawai se préparant à une chasse aux singes. Lors de cette nuit rituelle, plongé dans un monde soudainement éteint qui lui remet en mémoire les mythes mentawai de création du monde, accompagnant ces chasseurs-cueilleurs qui accomplissent les mêmes gestes que ceux de leurs ancêtres il y a des millénaires, Figueras a le sentiment de basculer dans un état second, qu’on pourrait qualifier de régressif, comme le suggèrent ses notations : « Noyau d’hommes au cœur d’une forêt primaire. Chasseurs de temps. Dans ce clair-obscur ma réalité s’estompe, s’enroule sur elle-même en une fantastique involution41. »

Transformations intérieures

  • 42 Fabienne Verdier, Passagère du silence, op. cit., p. 142.
  • 43 D’Ella Maillart voir notamment Des Monts célestes aux sables rouges [1934], Paris, Payot & Rivages, (...)
  • 44 Voir les travaux de spécialité de Linda Gardelle : Des sociétés nomades et des États. Enjeux identi (...)
  • 45 La problématique de ce « sujet d’étude » est de savoir « si le chamanisme est l’expression d’un phé (...)

21Ces expériences d’immersion, aussi diverses soient-elles, ont ceci en commun qu’elles aboutissent toutes au constat d’une profonde transformation intérieure. Fabienne Verdier parle même à plusieurs reprises de la « mutation intérieure42 » qui s’accomplit en elle durant sa longue initiation à la calligraphie et à la culture chinoises, qui lui prendra près de dix ans, et au terme de laquelle elle trouvera sa voie artistique. De même, Linda Gardelle et Corine Sombrun doivent à leurs séjours en Mongolie la révélation d’une vocation : l’une, partie à 19 ans en Mongolie parce que, comme Ella Maillart soixante-dix ans plus tôt43, elle était fascinée par le mode de vie des nomades d’Asie centrale, deviendra à son retour une anthropologue spécialiste du pastoralisme nomade44 ; l’autre, au terme d’une initiation qui la fera devenir chamane, en tirera la conviction d’avoir trouvé sa place, en acceptant l’altérité en soi-même que provoque la transe, avec le désir d’approfondir et de faire connaître cette expérience, et d’accepter de devenir, comme elle le dit, un « sujet d’étude45 ». Le fait de trouver sa voie suite à une expérience de vie intense, à valeur initiatique, est d’ailleurs quelque chose de très fréquent dans ce type de récits.

  • 46 Cette conviction est formulée à plusieurs reprises par Butor : « […] l’Égypte a été pour moi comme (...)
  • 47 Sébastien Ortiz, Dans un temple zen, op. cit., p. 103.

22On pourrait dire aussi que, d’une certaine manière, tous ces textes formulent le même processus : le détour par l’autre reconduit à soi-même, mais à un Soi dont on ignorait au fond la vraie présence. Voir Butor, qui se sent Égyptien, qui voit dans l’Égypte quasiment une terre natale qu’il aurait oubliée, et qu’il aurait retrouvée en débarquant à Minieh46. Dans son cas, l’immersion se solde par une forme d’élargissement identitaire. Ortiz, lui, dénoue son récit par un retour à soi qui prend la forme d’une ré-identification : alors qu’il s’est si bien acclimaté au rythme des jours et des saisons qui passent dans le temple zen, et qu’il est totalement accaparé par l’étude approfondie des textes chinois au point d’oublier sa propre langue, il raconte que quelque chose va subitement interrompre son séjour quelque chose qui le reconduit à sa culture d’origine, à son identité française, enfin acceptée et assumée. C’est la découverte d’un volume d’Apollinaire, qu’il avait oublié au fond de son sac, qui lui fait redécouvrir sa langue maternelle, avec le plaisir quasi physique des rythmes et des sons de la poésie, et qui lui inspire le désir de renouer avec le pays natal. Dans ce pouvoir de réveil de ce qu’il appelle la « littérature » (ici la lecture d’Apollinaire), on pourrait voir une forme d’habitus, un habitus bien français qui le rattrape (le sous-titre de son livre est d’ailleurs Rencontre avec Guillaume Apollinaire), un style de vie qui passe aussi par la musique occidentale, puisque, simultanément à ce retour à Apollinaire, il se met à ré-écouter les cassettes qu’il avait emportées : il y a ainsi un passage étonnant où il raconte qu’il met dans la chaîne hi-fi du temple qui sert à la diffusion des mantras lors des cérémonies l’album blanc des Beatles « en poussant le son au maximum »47.

23Reste que l’expérience même du séjour au temple aura été formatrice, et d’une certaine façon nécessaire pour qu’il se ré-identifie comme Français, en redécouvrant la puissance d’attraction de sa culture maternelle : si Ortiz se détourne finalement de la voie du bouddhisme zen, il en a néanmoins retiré quelque chose de décisif qui le conduit, par contraste, à la ré-évaluation de son identité culturelle française. D’ailleurs, le fait qu’à l’issue de ce séjour taïwanais Ortiz reparte en France pour terminer ses études et devenir par la suite diplomate nous rappelle une fois de plus le rôle initiatique de ces séjours d’immersion. Qu’est-ce qu’un diplomate, si ce n’est un médiateur entre deux cultures ?

  • 48 Nicole-Lise Bernheim, Saisons japonaises, op. cit., p. 83.

24 J’ai évoqué la transformation intérieure qui s’accomplit au contact prolongé d’une autre culture. Encore faut-il avoir la disposition d’esprit nécessaire pour s’ouvrir à la totalité de cette culture, y compris dans ses manifestations les plus inattendues. Ce qui n’est pas donné à tout le monde : le livre de Nicole-Lise Bernheim en témoigne. Dans la chronique de son séjour au Japon, au sein du complexe de temples bouddhiques de Koyasan, où on lit une vraie curiosité, une ouverture d’esprit incontestable, il y a en même temps un passage significatif qui montre qu’il peut y avoir des limites fortes à l’acceptation pleine et entière d’une culture. C’est lorsqu’elle assiste à une cérémonie où le bouddhisme japonais est étroitement associé à des rites shintoïstes, comportant notamment une forme d’épreuve consistant pour les participants à marcher pieds nus sur des cendres encore chaudes. Cette intrusion de rituels archaïques, qui lui rappelle la violence des rites pré-islamiques auxquels elle avait assisté lors d’un séjour au Maroc, la perturbe profondément, parce que cela dérange la vision qu’elle entretenait d’un certain Japon, profondément insulaire, avec sa civilisation raffinée, définitivement à part. Elle a alors la révélation des « liens du bouddhisme japonais avec les rituels hindouistes brahmaniques », ce qui lui fait dire : « Dans le non-dit, ou le mal-dit, du bouddhisme japonais, il y a l’Inde brahmanique, la pire, celle des castes et des pratiques magiques. Je refusais de le voir48. »

  • 49 Je me permets de renvoyer à mon analyse du Poisson-Scorpion : « Les évidences sensorielles de l’out (...)

25On trouverait dans cette littérature d’immersion bien d’autres exemples, sans doute, de tels blocages. Mais même ceux-ci donnent à penser : ils nous rappellent que toute compréhension interculturelle est tributaire des limites qu’impose à chacun sa propre histoire personnelle. Il ne suffit pas de partir vers un ailleurs aussi étranger à soi que possible pour faire tomber ses défenses identitaires : même un Bouvier n’a pu faire autrement que rejeter profondément, viscéralement, la culture bouddhiste de Ceylan49.

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Bibliographie

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Bouvier, Nicolas, L’Usage du monde [1963], dans Œuvres, Paris, Gallimard, « Quarto », p. 59-388.

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Butor, Michel, « Égypte », dans Le Génie du lieu [1958], Paris, Grasset, « Les cahiers rouges », 1994, p. 107-210 ; accessible en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00910087/document [consulté le 07/05/2020]

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Gardelle, Linda, Aylal, une année en Mongolie, Montfort-en-Chalosse, Gaïa Éditions, 2004. 

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Verdier, Fabienne, Passagère du silence [2003], Paris, Librairie Générale Française, 2005 (Albin Michel, 2003).

Films

Berthaud, Fabienne, Un monde plus grand, film adapté du récit de Corine Sombrun (Mon initiation chez les chamanes), 1h40, France, Haut et court, Gaumont, Mahi Films, octobre 2019.

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Notes

1 Le caractère référentiel du récit de voyage, s’il est aujourd’hui encore considéré comme la marque qui le définit en propre, par opposition à la fiction, explique en grande partie son statut problématique au sein du champ littéraire, tel que celui-ci s’est constitué historiquement : voir Jean-Louis Jeannelle, « Histoire littéraire et genres factuels », Fabula LhT, n°0, février 2005 [en ligne], URL : www.fabula.org/lht/0/jeannelle.html [consulté le 15/04/2020]

2 Cette orientation explique que la plupart des récits de traversée se présentent sous la forme d’un journal de route, sous une forme plus ou moins élaborée (du carnet de voyage au récit rétrospectif organisé).

3 Cédric Gras, L’Hiver aux trousses. Voyage en Russie d’Extrême-Orient [2015], Paris, Gallimard, 2016.

4 Nicolas Bouvier, Le Poisson-Scorpion, Paris, Gallimard, 1981, repris dans Nicolas Bouvier, Œuvres, Paris, Gallimard, « Quarto », 2004, p. 721-811.

5 Nicolas Bouvier, Chronique japonaise [1967 (sous le titre Japon), 1975, 1989], Œuvres, Paris, Gallimard, « Quarto », 2004, p. 495-669.

6 Nicolas Bouvier, L’Usage du monde [1963], Œuvres, Paris, Gallimard, « Quarto », 2004, p. 59-388.

7 Michel Butor, « Égypte », dans Le Génie du lieu [1958], Paris, Grasset, « Les cahiers rouges », 1994 ; Linda Gardelle, Aylal, une année en Mongolie, Montfort-en-Chalosse, Gaïa Editions, 2004 ; Corine Sombrun, Mon initiation chez les chamanes. Une Parisienne en Mongolie, Paris, Albin Michel, 2004 ; Nicole-Lise Bernheim, Saisons japonaises [1999], Paris, Payot & Rivages, 2002 ; Fabienne Verdier, Passagère du silence [2003], Paris, Librairie Générale Française, 2005 ; Sébastien Ortiz, Dans un temple zen. Rencontre avec Guillaume Apollinaire, Paris, Arléa, 2017.

8 Raymond Figueras, Au pays des hommes-fleurs. Avec les chamans des îles Mentawai, Paris, Transboréal, 2010.

9 Anita Conti, Racleurs d’océans [1953], Paris, Payot & Rivages, 2002.

10 « Ne parlant pas la langue, je deviens ici analphabète et sourde. C’est comme si je venais de naître – je ne sais plus ni parler, ni lire, ni écrire. Seulement absorber, comme une éponge. » (Nicole-Lise Bernheim, Saisons japonaises, op. cit., p. 13)

11 Remontant un fleuve en pirogue à la rencontre des chasseurs-cueilleurs mentawai, Figueras note : « Je n’ai aucune autre envie réelle en ce moment que de me laisser emporter corps et âme vers ce que je ressens instinctivement comme le début d’un autre espace-temps. » (Raymond Figueras, Au pays des hommes-fleurs, op. cit., p. 34.) Et le même sentiment de désorientation spatio-temporelle s’exprime lorsqu’il les accompagne dans leurs déplacements en forêt : « Il est difficile pour moi de me repérer précisément dans le temps. Dans l’espace, n’en parlons pas. » (Ibid., p. 122.)

12 Ibid., p. 34.

13 Michel Butor, « Égypte », op. cit., p. 112.

14 Ibid., p. 117.

15 Ibid., p. 152.

16 Voir la biographie de Corine Sombrun sur son site : https://www.corinesombrun.com/biographie/ [consulté le 07/05/2020].

17 Voir le récit de son séjour à Iquitos, dans l’Amazonie péruvienne : Corine Sombrun, Journal d’une apprentie chamane, Paris, Albin Michel, 2002.

18 Sébastien Ortiz, Dans un temple zen, op. cit., p. 61.

19 Ibid. – Le mot « surgissement » employé par Sébastien Ortiz fait bien évidemment penser à Nicolas Bouvier qui parlait dans Routes et déroutes des « moments de surgissement » par lesquels le réel, subitement, nous apparaît : Nicolas Bouvier, Routes et déroutes, dans Œuvres, op. cit., p. 1337.

20 Sébastien Ortiz, Dans un temple zen, op. cit., p. 61.

21 Ibid., p. 41.

22 « En Chine, aux prises avec la plus antipodique des matières, j’attends beaucoup de cet exotisme exaspéré ». (Lettre de Victor Segalen à Jules de Gaultier du 20 mai 1908, citée par Claude Courtot, Victor Segalen, Paris, Éditions Henry Verrier, 1984, p. 16.)

23 « Ainsi, j’en arrivai au point où je n’avais même pas besoin d’attendre que mon interlocuteur ouvrît la bouche pour savoir ce qu’il allait dire. Mon intuition précédait le sens et se situait comme en amont du langage. […] J’étais prégnant de toute la virtualité du langage, de même que le luth sans cordes de T’ao Yüan-ming était riche de toutes les sonorités possibles. » (Sébastien Ortiz, Dans un temple zen, op. cit., p. 71.)

24 Anita Conti, Racleurs d’océans, op. cit., p. 250.

25 Ibid., p. 163.

26 « Quiconque n’a pas connu cette expérience de ne pas parler sa langue pendant des mois, ni de l’entendre, ne peut comprendre cette situation où l’on se sent profondément perdu et abandonné par soi-même. » (Linda Gardelle, Aylal, une année en Mongolie, op. cit., p. 179)

27 Ibid., p. 32. – Cette volonté d’acculturation est souvent évoquée dans son récit : « Rien ne me faisait plus plaisir que d’entendre que j’étais “comme une mongole” ». (Ibid., p. 120)

28 Impression relatée dans Linda Gardelle, Aylal, une année en Mongolie, op. cit., p. 179-180.

29 Ibid., p. 181-182.

30 Ibid., p. 248.

31 Fabienne Verdier, Passagère du silence, op. cit., p. 271.

32 Michel Butor, « Égypte », op. cit., p. 138 et suiv.

33 Sébastien Ortiz, Dans un temple zen, op. cit, p. 91.

34 Fabienne Verdier, Passagère du silence, op. cit., p. 120.

35 Anita Conti, Racleurs d’océans, op. cit., p. 270.

36 Nicolas Bouvier, Chronique japonaise, op. cit., p. 628.

37 Corine Sombrun, Mon initiation chez les chamanes, op. cit., p. 125.

38 Ibid., p. 124.

39 Un monde plus grand, film de Fabienne Berthaud, 1h40, Haut et court, Gaumont, Mahi Films, octobre 2019.

40 Claude Lévi-Strauss, Le Regard éloigné, Paris, Plon, 1983.

41 Raymond Figueras, Au pays des hommes-fleurs, op. cit., p. 107.

42 Fabienne Verdier, Passagère du silence, op. cit., p. 142.

43 D’Ella Maillart voir notamment Des Monts célestes aux sables rouges [1934], Paris, Payot & Rivages, 2001.

44 Voir les travaux de spécialité de Linda Gardelle : Des sociétés nomades et des États. Enjeux identitaires en Mongolie et au Mali, Lille, Atelier national de Reproduction des Thèses, 2008 ; Pasteurs touaregs dans le Sahara malien. Des sociétés nomades et des États, Paris, Buchet-Chastel, 2010.

45 La problématique de ce « sujet d’étude » est de savoir « si le chamanisme est l’expression d’un phénomène cognitif propre à l’espèce humaine […] ou un phénomène culturel, propre à une tradition… » (Corine Sombrun, Mon initiation chez les chamanes, op. cit., p. 103 [les italiques sont de l’auteure].)

46 Cette conviction est formulée à plusieurs reprises par Butor : « […] l’Égypte a été pour moi comme une seconde patrie, et c’est presque une seconde naissance qui a eu lieu pour moi » (Michel Butor, « Égypte », op. cit., p. 110) ; « […] vivant en ce pays, me trouvant en quelque sorte devenu l’un d’entre eux ayant particulièrement oublié ses origines et ayant particulièrement bien assimilé l’enseignement européen, comme si j’étais né dans ce pays, comme si je l’avais quitté tout petit pour la France, et que mon arrivée fût un retour » (ibid., p. 194). – Sarga Moussa a montré la persistance de cet « enracinement » égyptien de Butor, dont on retrouve la trace jusque « dans l’exergue que Butor fait figurer au début du Portrait de l’artiste en jeune singe ». (Sarga Moussa, « L’Égypte de Butor au miroir de l’“ethnographie” nervalienne », Catherine Mayaux, dir., Écrivains et intellectuels français face au monde arabe, Paris, Champion, 2011, p. 107-116 ; accessible en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00910087/document [consulté le 07/05/2020]

47 Sébastien Ortiz, Dans un temple zen, op. cit., p. 103.

48 Nicole-Lise Bernheim, Saisons japonaises, op. cit., p. 83.

49 Je me permets de renvoyer à mon analyse du Poisson-Scorpion : « Les évidences sensorielles de l’outre-monde : Le Poisson-Scorpion de Nicolas Bouvier », Gilles Louÿs et Emmanuelle Sauvage, dir., De la singularité dans la communication interculturelle, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 113-129. Article accessible en ligne, URL : https://hal-univ-paris10.archives-ouvertes.fr/hal-01407627 [consulté le 07/05/2020]

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gilles Louÿs, « Aller là où le monde vous fait advenir »TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 30 mars 2021, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/5434 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.5434

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