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Dossier central

Déviance de l’histoire et histoire de la déviance : Sade et l’institution

Dominic Marion

Résumés

Après avoir ancré la lecture de La Philosophie dans le boudoir dans son contexte d’émergence, je propose d’étudier l’évolution de la figure de Sade à travers les retournements de sa réception au xxe siècle. Avec sa récente intronisation en Pléiade, l’œuvre de Sade se donne à lire à même une posture contradictoire : sa marginalité initiale entre en tension avec une reconnaissance institutionnelle publique. L’intégration de la déviance au canon de la littérature est ainsi interrogée comme lieu potentiel de l’exercice du pouvoir.

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Texte intégral

  • 1 Bertrand Binoche, Sade ou l’institutionnalisation de l’écart, Québec, Presses de l’Université Laval (...)

1Le savoir universitaire apparaît parfois comme un milieu bien confortable : la parole peut y prendre sur soi perversion, déviance et violence sans que les charges de responsabilité semblent lui revenir. La critique peut faire valoir l’autonomie du texte et forger la légitimité théorique d’une « expérimentation littéraire1 » qui vient justifier la représentation de la violence : l’or du savoir prémunit de l’échéance violente du référent des discours qu’il finance.

  • 2 Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola, Paris, Seuil, 1971, p. 140-141.

Le langage a cette faculté de dénier, d’oublier, de dissocier le réel : écrite, la merde ne sent pas ; Sade peut en inonder ses partenaires, nous n’en recevons aucune effluve, seul le signe abstrait d’un désagrément. Tel apparaît le libertinage : un fait de langage. Sade oppose foncièrement le langage au réel, ou plus exactement se place sous la seul instance du “réel de langage” […]. Le “réel” et le livre sont coupés : aucune obligation ne les lie : un auteur peut parler infiniment de son œuvre, il n’est jamais tenu de la garantir2.

  • 3 Sade, Histoire de Juliette [1801], Œuvres III, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1998, (...)

2Ce « réel de langage » que Roland Barthes faisait valoir en réaction à la tradition critique de la première moitié du xxe siècle n’a pas seulement eu pour effet de distinguer le texte de son référent : la conquête structuraliste est venue scinder le réel et le langage jusqu’à ce que la littérature apparaisse comme un univers tout à fait autonome. Cette légitimation de la liberté du langage se maintient avec une insistance particulièrement prégnante dans le cas de Sade : la fiction a acquis le droit de « tout dire3 ». Dans la mesure où ils sont réfléchis dans le corps de la fiction, inceste, viol, torture et meurtre participent légitimement de la sphère du savoir. La pensée littéraire actuelle engendre des espaces de réception où marginalité et légitimité peuvent coexister sans contradiction nécessaire.

  • 4 Cf. Richard von Krafft-Ebing, Psychopatia sexualis [1886], trad. René Lobstein, Paris, Payot, 1931.

3Il faut rappeler le chemin parcouru : c’est d’abord le discours clinique4 qui vient arracher la figure de Sade au silence discursif qui la recouvre jusqu’à la fin du xixe siècle. Déchets qu’aucune autorité ne peut assimiler à l’espace littéraire, ses textes les plus violents sont rejetés sans appel vers une radicale marginalité : celle d’un cerveau dérangé, d’un monstre qu’on hésite à accueillir parmi les humains, d’un fou qu’on a de fait enfermé pendant près de trente ans. À partir du début du xxe siècle, l’intérêt fondateur d’Apollinaire et des surréalistes fait basculer la figure de Sade des bas-fonds vers le piédestal de la consécration poétique. Jean Paulhan, Pierre Klossowski, Maurice Blanchot, Georges Bataille et Simone de Beauvoir nuancent ensuite ce doublage de l’anathème par le dithyrambe, façonnant ainsi le visage trouble de la modernité française au tournant des années soixante. La vague structuraliste vient alors distinguer le texte de Sade du mythe noir de sa figure : la voie d’une intellectualisation de la violence fictionnelle se creuse, si bien qu’aujourd’hui, Sade siège en Pléiade, non loin de Rousseau et de Sainte-Beuve. Sade a écrit au crépuscule des Lumières, mais il n’a fait œuvre que bien longtemps après sa mort. C’est dans cette distance entre interdit de lecture et réception critique que son écriture s’est configurée en tant que texte, et ce jusqu’à se consolider comme référence indépassable de l’expérience des limites, mais surtout comme corpus reconnu, valorisé et respecté par maintes institutions influentes. La déviance sadienne se pose aujourd’hui dans une posture contradictoire où sa marginalité se donne à lire à travers une reconnaissance institutionnelle publique.

4Je voudrais ainsi retracer la réception de l’œuvre de Sade comme le cœur d’un problème : le littéraire n’est pas qu’un lieu privilégié de revendication de la transgression, il est aussi un organe de régulation de la marginalité. Cette coextension de la subversion et de la normativité exige d’appréhender le territoire institutionnel à partir de la construction de ses marges. Là où la déviance revêt les apprêts de la norme, là où le pouvoir se maintient par la digestion de discours déviants auparavant inassimilables par l’organisme de l’institution, la déviance traverse les espaces discursifs en fonction d’un principe qui ne peut se réduire à une dialectique de l’interdit et de la transgression. Il est un point dans le surgissement du discours où la violence échappe au partage de la loi, où le pouvoir s’apparente à la subversion en se nourrissant d’un désordre que la configuration des interdits vient découper. Ce qui dévie du cadre institutionnel fait apparaître un plan d’immanence où circulent, sans convergence unitaire, des multiplicités d’intensité produisant d’immenses charges pulsionnelles où le pouvoir puise ses énergies répressives. Les dynamiques de déviance, d’attraction et de répulsion des corps discursifs apparaissent ainsi comme des trajectoires où la légitimité du politique se joue. Ce sont les mises en scène de ce rapport entre déviance et pouvoir que je propose d’éclairer : de Sade aux effets de réception de son œuvre, se tracent des parcours où l’histoire de la déviance se lit à même la déviance de l’histoire.

La déviance de l’histoire : marginalité et subversion

  • 5 Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, c (...)
  • 6 Bertrand Binoche, Sade ou l’institutionnalisation de l’écart, op. cit., p. 20.

5Si le xviiie siècle français a enfermé tant d’écrivains, c’est qu’au cœur de cet « âge classique » que Foucault définit comme « le règne du discours représentatif5 », l’écriture s’articule avec une insistante persistance sur le monde événementiel. Il faut évidemment reconnaître que Sade a d’abord été enfermé en raison d’actes étrangers à l’espace littéraire : c’est d’ailleurs entre les murs de sa cellule octogonale de Vincennes que sa compulsion de scripteur semble lui être venue. Il l’entretient à la Bastille, où il produit l’incroyable manuscrit des Cent vingt journées de Sodome (1785) et celui des Infortunes de la vertu (1787), ce dernier texte jetant les fondements de son premier roman publié, Justine ou les Malheurs de la vertu (1791). Si le parcours de Sade dans les prisons de la Révolution est le résultat de ses prises de position publiques dans la section de Piques, son séjour final à Charenton – de 1801 à 1814 – vient certainement punir l’homme pour les livres qu’il ose mettre en circulation. La violence sexuelle de Justine, plus tard amplifiée dans La Nouvelle Justine (1799) et dans l’Histoire de Juliette (1801), suscite la répression des autorités policières comme si elle impliquait la brûlure de son propre référent : la réception de Sade se résume alors à la descente de police qui mène à l’arrestation de l’écrivain chez un imprimeur, le 6 mars 1801. La déviance de son texte résonne dans l’espace public comme le bouleversement de l’imaginaire de la rupture par lequel l’autorité politique conjure alors l’horreur de la Terreur. Si la fiction sadienne se limitait à faire apparaître « la vérité de la société d’Ancien régime6 », il aurait sans doute été possible d’en récupérer la subversion dans un discours de consolidation des acquis de la Révolution. Mais la plus grande violence symbolique du texte de Sade atteste en fait la sourde continuité de l’Ancien Régime et de la République :

  • 7 Sade, « Français, encore un effort si vous voulez être républicains », dans La Philosophie dans le (...)

Une nation déjà vieille et corrompue, qui courageusement secouera le joug de son gouvernement monarchique pour en adopter un républicain, ne se maintiendra que par beaucoup de crimes ; car elle est déjà dans le crime, et si elle voulait passer du crime à la vertu, c’est-à-dire d’un état violent dans un état doux, elle tomberait dans une inertie dont sa ruine certaine serait bientôt le résultat7.

  • 8 Cf. Michel Foucault, « Des espaces autres » [1967], dans Dits et écrits IV, Paris, Gallimard, 1994, (...)
  • 9 Peter Brook, Marat/Sade [1966], adaptation de la pièce de Peter Weiss, Die Verfolgung und Ermordung (...)

6Le pouvoir ne tolère l’existence publique de la déviance que sous le cachet d’une malédiction : l’autorité en fige l’image dans un procès de conjuration. De l’Ancien Régime à l’Empire, le pouvoir maintient son autorité dans l’ordre même de la représentation, privant les corps étrangers d’une libre circulation dans le savoir. On feint de ne pas prendre l’écriture de Sade au sérieux, et les organes de réception des discours manquent à y lire un témoignage lucide. Malgré les puissantes charges de déterritorialisation de l’écriture sadienne, le territoire maintient sa position, écrivant l’histoire de la déviance à même la définition des marges du corps social. Les emplacements hétérotopiques de la prison et de l’asile8 marquent les frontières de ce partage : un procès de figuration désamorce la transgression de sa menace politique tout en la maintenant symboliquement en vie. En s’appuyant sur une situation historique (Sade interné à Charenton, mais ayant la liberté d’organiser avec le concours des autres malades des représentations théâtrales devant public), le film Marat/Sade9 exploite la structure de ce dispositif. Les bourgeois de l’empire naissant ne s’intéressent pas à la lecture du texte de Sade, mais ils assistent volontiers à une mise en scène qui traite du confinement de sa violence. D’un point de vue hétérotopique, l’intérêt ne réside pas dans le débat entre les personnages de Marat et de Sade, mais plutôt dans le regard que le public jette sur les aliénés dont il est séparé par une grille de fer forgé.

  • 10 Michel Foucault, L'Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 12.
  • 11 Robert Richard, L'Émotion européenne. Dante, Sade, Aquin, Montréal, Éditions Varia, coll. « Philoso (...)
  • 12 Sade, « Français, encore un effort… », op. cit., p. 138.

7La délimitation de la déviance se révèle ainsi comme le discours de vérité que le pouvoir fait valoir à même la circulation des corps discursifs : « [L]e discours n’est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer10. » La posture des libertins sadiens apparaît ici dans toute son ambiguïté : dénonçant le despotisme de pouvoir tout en exprimant une volonté de pouvoir manifeste, le discours déviant articule de fait l’imposture du discours révolutionnaire. De la prise de la Bastille à la Terreur, et de la Terreur à l’Empire, la légitimité du pouvoir se fonde dans la violence. L’acte de fondation ne parvient pas à « fonder », en ceci que la souveraineté de la loi ne s’affirme « que sous la forme de sa propre transgression11 ». C’est bel et bien cette impasse fondatrice que le narrateur de « Français, encore un effort si vous voulez être républicains » pointe lorsqu’il « ose assurer en un mot que l’inceste devrait être la loi de tout gouvernement dont la fraternité fait la base12 ».

  • 13 Ibid., p. 158.
  • 14 Theodor W. Adorno et Max Horkheimer façonnent de fait l’identité des œuvres de Sade et du fascisme (...)
  • 15 Georges Bataille, « La valeur d’usage de D.A.F. de Sade » [1929], Œuvres complètes II, Paris, Galli (...)
  • 16 Guillaume Apollinaire, L’Œuvre du marquis de Sade, Paris, Bibliothèques des Curieux, 1909, p. 17.

8Bien que Sade enjoigne à son lecteur de ne pas confondre « l’absurde despotisme politique, avec le très luxurieux despotisme des passions du libertinage », on voit la tentation du rapprochement entre l’univers sadien et le totalitarisme lorsqu’on lit qu’il « n’est point d’homme qui ne veuille être despote quand il bande13 ». L’apologie des surréalistes immobilise en fait le risque de la pensée de Sade. Ce risque resurgit lorsque le génocide nazi fait résonner gravement la propension des libertins sadiens à torturer, supplicier et exécuter afin d’organiser les paramètres de leurs jouissances14. Dès 1929, Georges Bataille voyait en Sade l’intenable portée d’une hétérologie dont il retrouvera aussi l’expression quelques années plus tard dans le fascisme montant15. Déjà, la conscience critique ne pouvait rattacher la lecture de Sade au témoignage de « cet esprit le plus libre qui ait encore existé16 ».

  • 17 « Définition de l’hétérologie » [circa 1930], Cahiers Bataille, n° 1, Éditions les Cahiers, octobre (...)
  • 18 « La structure psychologique du fascisme », op cit., p. 348.
  • 19 « Définition de l’hétérologie », op. cit., p. 231.
  • 20 « La valeur d’usage de D.A.F. de Sade », op. cit., p. 62.
  • 21 « Définition de l’hétérologie », op. cit., p. 231.
  • 22 « La notion de dépense » [1933], Œuvres complètes I, Paris, Gallimard, 1970, p. 304.
  • 23 Il est nécessaire « d’anéantir pour jamais l’atrocité de la peine de mort, parce que la loi qui att (...)

9Les figures de Sade, Mussolini et Hitler gravitent alors à l’extrémité du « domaine de l’activité pratique et rationnelle » : partant du fait que « l’hétérologie est la science de l’hétérogène, c’est-à-dire de la partie exclue (ou à tout le moins du mode d’exclusion de cette partie) », et qu’« elle se base sur le fait que les éléments de la vie humaine se divisent en deux classes dont l’une présente par rapport à l’autre un caractère absolu d’hétérogénéité17 », Bataille s’intéresse aux éléments culturels qui, dans leur saillance sociale, apparaissent « tout autres18 ». Ce qui le fascine évolue en marge du « domaine de l’activité pratique et rationnelle19 » du savoir. Assumant le double sens du sacer latin – » aussi bien souillé que saint20 » –, le sacré de Bataille rapproche le pur de l’impur, le mystique du maudit, la noblesse de la misère, le chef d’État sublime du camp de concentration. À travers cette concentration de forces traversées par un « courant double d’attraction et de répulsion21 », est accentuée l’importance de la décharge, du déchet, de l’excrétion, d’une certaine forme de catharsis qui vient purger le corps dans le déchaînement de ses passions : c’est leur commune mobilisation d’un procès de « dépense improductive22 » qui sacralise la violence de la subversion sadienne et celle du génocide nazi. En 1947, Bataille reprend à son compte la distinction de Sade entre le déchaînement meurtrier des passions libertines et la froideur exécutive de la peine de mort23. Qu’un « intérêt froid » intervienne dans l’économie hétérologique, Bataille peut soutenir que

  • 24 « Le mal dans le platonisme et dans le sadisme » [1947], Œuvres complètes VII, Paris, Gallimard, 19 (...)

cette définition du mal qui est donnée dans La Philosophie dans le Boudoir est la condamnation profonde de tout ce que nous avons vu opérer par les Allemands. Car il est clair que comparées aux exécutions de la Terreur que Sade envisageait dans La Philosophie dans le Boudoir, les exécutions des nazis répondaient bien davantage aux images, aux suggestions de Sade. Mais aussi, elles répondaient tout le temps à l’objection fondamentale que faisait Sade aux exécutions de la Terreur, puisque d’un bout à l’autre le déchaînement des passions qui a sévi dans Buchenwald ou dans Auschwitz était un déchaînement qui était sous le gouvernement de la raison24.

  • 25 Pier Paolo Pasolini, Salò ou les 120 journées de Sodome [1975], Criterion, 2011.
  • 26 C’est là le point de vue du cinéaste Jean A. Chérasse (« Sade et le cinéma ou les infortunes du div (...)

10Si Bataille a toujours maintenu sa valorisation ambiguë de la violence sacrée, dé-pensant Sade en se dépensant à le lire et à le réécrire, le film Salò ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini25 vient en quelque sorte anéantir la possibilité d’une récupération critique de l’univers sadien en l’inscrivant sans nuance dans le cadre politique du fascisme italien. L’hétérotopie se modèle ici sur la dystopie. L’œil pervers de la caméra donne à réfléchir au spectateur : que se passe-t-il lorsque la déviance s’empare du pouvoir ? Si on peut à bien des égards considérer le film de Pasolini comme une trahison26, sa démarche intéresse en ceci qu’elle fait de la déviance la source même de la volonté de pouvoir.

11Le contenu de violence du texte de Sade et son rapprochement avec le fascisme permet de donner la mesure d’une exclusion : de Bataille à Pasolini, quelque chose en Sade demeure profondément inavouable. Sa figure conserve un caractère d’exception qui semble s’être effrité dans les trente dernières années. Jusqu’au seuil des années quatre-vingt, la critique s’agite pour faire valoir la puissance fantasmatique de Sade au détriment de la violence de son référent. Les éditions de poche circulent, mais Sade continue à orbiter en marge des institutions littéraires.

L’histoire de la déviance : institution et digestion

  • 27 Pourquoi le xxe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ?, Paris, Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2011.
  • 28 « Éden, Éden, Éden : rien de tel n’a été risqué depuis Sade » (Philippe Sollers, « 17.. /19.. (sugg (...)

12Le dernier livre d’Éric Marty27 est récemment venu synthétiser sous une problématique unitaire la profusion des discours sur Sade à partir des années d’après-guerre jusqu’au milieu des années soixante-dix. D’Adorno à Pasolini, en passant par les noms de Klossowski, Bataille, Blanchot, Foucault, Lacan, Deleuze, Barthes et Sollers, Marty met en relief le sérieux avec lequel ces penseurs marquants de notre modernité ont fait du texte de Sade une expérience cruciale dans la formation des contours de leur discours. Sade participait de l’air du temps : le refrain de la transgression de l’interdit était en vogue, et le nom du « divin marquis » se prononçait à l’extrémité de l’expérience littéraire. S’il s’agissait de penser la légitimité du texte de Sade, on le faisait plus souvent à travers les enjeux contemporains qu’en regard de son contexte sociohistorique propre. Les préfaces accompagnant la première édition d’Éden, Éden, Éden de Pierre Guyotat donnent le pouls de cette volonté de délier la violence de la fiction de l’emprise de la censure. Si celle de Sollers articule directement le texte de Guyotat à l’œuvre de Sade28, celle de Barthes revendique une radicale autonomie du signifiant face au réel :

  • 29 Roland Barthes, « Ce qu’il advient au signifiant », dans Pierre Guyotat, op. cit., p. 275.

Éden, Éden, Éden est un texte libre […]. Guyotat produit […] un élément nouveau […] ; cet élément est une phrase : substance de la parole qui a la spécialité d’une étoffe, d’une nourriture, phrase unique qui ne finit pas, dont la beauté ne vient pas de son « report » (le réel à quoi elle est supposée renvoyer), mais de son souffle, coupé, répété, comme s’il s’agissait pour l’auteur de nous représenter, non des scènes imagées, mais la scène du langage, en sorte que le modèle de cette nouvelle mimésis n’est plus l’aventure d’un héros, mais l’aventure même du signifiant : ce qu’il lui advient29.

  • 30 Ibid.
  • 31 Annie Le Brun, Les Châteaux de la subversion [1982], suivi de Soudain un bloc d’abîme, Sade [1986], (...)

13Qu’une telle performance soit ainsi exigée du lecteur – il faut “entrer” dans le langage de Guyotat : « […] écrire ce langage avec lui, à sa place, le signer en même temps que lui30 » –, le fait que l’enjeu du texte se joue entièrement sur la scène de l’énonciation, autant d’éléments qui viennent légitimer l’existence littéraire de la déjection qui s’y trouve signifiée, comme si la guerre immanente qui ravit des vies ne hantait pas le texte de Guyotat. Barthes lit Sade selon une posture semblable : la violence du sexe ne décharge sa dépense qu’à l’intérieur des limites du Texte ; la Terreur ne saurait entrer dans l’équation sadienne que sous la forme d’un signifiant. C’est à propos de cette propension à édifier le pouvoir autonome du signifiant qu’Annie Le Brun parle de la « criminelle légèreté de croire que les mots vivent indépendamment des choses et que les êtres vivent indépendamment des mots31 ».

  • 32 Xavier de Sade, « Préface », dans Jean A. Chérasse et Geneviève Guicheney, Sade, j’écris ton nom li (...)
  • 33 Marcel Hénaff, Sade. L’Invention du corps libertin, Paris, Presses universitaires de France, coll. (...)

14C’est qu’il s’en faut de beaucoup que la consécration de l’autonomie du texte soit généralisée. Le comte Xavier de Sade signe en 1976 un petit texte où il parle de la pénible persistance du mythe noir qui entache son nom : « [L]’abus de l’expression “crime sadique” est intolérable, et c’est la seule chose qui puisse rendre parfois mon nom difficile à porter32. » Malgré la cohorte de penseurs qui se sont acharnés à délier Sade des préjugés qui oblitèrent son nom, l’imaginaire populaire confond toujours le corps biographique de Sade avec le sadisme, la figure de Sade avec le texte. Marcel Hénaff dit encore deux ans plus tard du nom de Sade qu’« il ne sera pas dédouané33 ». Sade ne semble être reconnu qu’à l’intérieur d’un cercle d’initiés.

  • 34 Frank Secka, Sade Up, Arles, Éditions du Rouergue, 2011. Rappelons que les livres utilisant cette t (...)

15À regarder un livre récemment paru – Sade Up, de Frank Secka –, force est de constater que la douane est peut-être levée : ce livre d’images où le lecteur dévoile des sexes en tirant des languettes selon le principe du pop-up34 donne un aperçu du spectre par où passe la reconnaissance de la figure de Sade. Non pas que le ludique en soit le seul mode de lisibilité ; mais cela fait maintenant partie de la donne : le nom de Sade est aujourd’hui bien intégré à la circulation des marchandises. Le sacré de la violence sadienne s’est dilué dans l’accroissement de son accessibilité : il n’est pas étonnant que la levée d’un interdit désacralise l’objet et amoindrisse le tabou à son égard.

16Nous sommes aujourd’hui ailleurs : le livre de Marty traite d’une époque révolue. Si Gallimard s’est résolu à publier Sade en Pléiade, c’est que les conditions de réception se sont développées jusqu’à ce qu’apparaisse la nécessité d’une restitution précise du contexte historique où s’inscrit l’écriture sadienne. Or, c’est précisément par cette restitution de l’illégitimité initiale des écrits clandestins de Sade – ceux qui justement forment la plus grande partie des Œuvres de la Pléiade – que la critique travaille à l’institutionnalisation de la marge. Un procès de désacralisation travaille la réception à son insu : intégrant l’hétérogénéité de l’écriture sadienne à l’homogénéité du canon de la littérature française, l’inscription du texte de Sade dans une continuité littéraire et philosophique confère au déchet de son écriture l’immunité du savoir institutionnel. L’autorité littéraire a maintenant mainmise sur la marge où le xviiie siècle a vu germer le texte sadien : que Sade dorme maintenant bien au chaud dans sa Pléiade témoigne de la puissance digestive du principe organisateur du canon de la littérature.

  • 35 Ainsi que le stipule l’achevé d’imprimer figurant en clôture d’une Pléiade de la nouvelle génératio (...)

17Si Bataille tenait à dégager la valeur d’usage de Sade, l’histoire littéraire a bien plutôt fini par lui insuffler une valeur d’échange. En corrodant l’image de Sade compris comme grande exception, comme grande anomalie venant faire rendre tout son refoulé au siècle des Lumières, la consécration de la continuité historique et discursive du texte sadien a eu pour effet de dissocier son univers fictionnel de son monde référentiel. Une distance s’est établie non seulement entre le corps biographique et le corps de la fiction, mais aussi entre le contexte d’émergence de l’œuvre et ses implications sociopolitiques. Si le savoir a conquis une meilleure compréhension des articulations à l’œuvre dans l’écriture de Sade, maintes anesthésies locales parsèment sa réception : la distance historique à partir d’où son œuvre énonce sa violence ressemble parfois à un abîme historique où la virulence subversive de l’écriture sombre. Paradoxalement déracinée de sa subversion par la description de son contexte sociopolitique, la fiction perd ses fonctions d’immanence : sa valeur d’usage s’émousse au fil de sa circulation dans la sphère du savoir. La logique de récupération par où l’institution littéraire se maintient à même les fluctuations du marché culturel digère la virulence subversive du texte de Sade pour en restituer une figure intellectualisée : désacralisée, la violence circule dans l’espace social sans grande contrainte, cautionnée par l’autorité d’une reliure « en pleine peau, dorée à l’or fin 23 carats35 ».

  • 36 Michel Foucault, L’Ordre du discours, op. cit., p. 11. Dans sa conférence inaugurale au Collège de (...)

18Le cas de Sade donne un relief exemplaire au principe dynamique de redéfinition du canon de la littérature. L’évolution de la perception relative à la subversion sadienne donne le pouls de la métamorphose des « procédures d’exclusion36 » : l’inclusion de l’œuvre de Sade au canon de la littérature française témoigne de la redéfinition du principe organisateur de la légitimité du discours littéraire. Si la figure de Sade passe de la déjection à la libre circulation dans le système des marchandises, c’est que les critères d’exclusion qui l’ont d’abord ostracisée sont sujets à un principe de variation. Le renouvellement de l’arène culturelle affecte les rapports de force à l’œuvre dans la lutte des discours : le pouvoir est non le fait de conditions de possibilités a priori du savoir, mais le résultat des interactions de marché qui déterminent la valeur des produits culturels. L’essor critique du xxe siècle a fait augmenter la valeur de la figure de Sade à la bourse du savoir littéraire : l’intronisation de Sade en Pléiade fonctionne comme une plus-value où l’institution puise son profit.

19L’époque est pour nous révolue où il fallait fixer Sade dans un rôle discursif : fou, libertin, pervers, révolutionnaire, critique, philosophe, écrivain, moraliste ; la critique a fini par balayer tout le spectre s’étalant du vice à la vertu. Il importe maintenant de penser Sade comme un espace discursif où se réfléchissent les saillances de ce principe dynamique qui module le corps de l’interdit, qui détermine ce qui peut être dit et qui génère les paramètres d’acceptabilité du cadre de la représentation. Penser Sade revient ici à soulever dans son texte un point non-dyadique articulant la normativité et la déviance dans un même geste. La déviance s’inscrit dans l’histoire littéraire comme un opérateur de sa lisibilité qui éclaire le procès de constitution des discours de réception.

  • 37 Mot de l’éditeur, cité par Philippe Sollers, « Sade, aujourd’hui », dans Liberté du xviiie, Paris, (...)
  • 38 Robert Richard, L’Émotion européenne. Dante, Sade, Aquin, op. cit., p. 126.

20Comment devient-il donc possible de penser la subversion sadienne ? « L’enfer sur papier bible » : le slogan publicitaire qui accompagne en 1990 la parution du premier des trois volumes des Œuvres de Sade en Pléiade soutient la légitimité de ces textes à travers le pouvoir de séduction d’une formule oxymorique. « Sans banalisation ni provocation, Sade a sa place dans la Bibliothèque de la Pléiade37. » La qualité grandissante de cette collection, assurant à elle seule à un auteur une notoriété institutionnelle certaine du seul fait d’y être publié, une telle publication représente aujourd’hui à la fois une consécration populaire et spécialisée. La réhabilitation du nom de Sade permet de penser comment l’histoire littéraire se replie périodiquement sur elle-même, orientant la recherche de nouvelles pratiques du fait littéraire à partir de configurations d’écriture initialement indigestes du point de vue de l’histoire ; elle indique aussi que la valeur d’usage de Sade n’aura été que celle d’un détournement. La fascination devant la transgression manque en quelque sorte l’ambition du projet sadien en ce qu’elle méconnaît le geste d’institution par lequel Sade donne à lire la violence du désir. Sade nous demeure profondément étranger, en ce que le lieu d’énonciation de son écriture se dérobe, « socle fuyant » de la fondation d’une loi dont le point de référence échappe sans cesse dans le glissement d’une « ironie généralisée38 ».

  • 39 « Une jolie fille ne doit s’occuper que de foutre et jamais d’engendrer. » (Sade, La Philosophie da (...)
  • 40 Si la conception de la liberté démocratique inhérente à l’article 4 de la Déclaration des droits de (...)
  • 41 Ibid., p. 41.

21Car il ne faut pas oublier que l’unité théâtrale de La Philosophie dans le boudoir est donnée par le rite d’éducation d’Eugénie, que Dolmancé prend en charge aussi bien moralement que physiquement : il s’agit bien d’éduquer la jeune fille, d’instituer en elle le goût d’une déviance contrastant avec l’éducation puritaine qu’elle a reçue au couvent. Après Annie Le Brun, Bertrand Binoche insiste sur l’importance de la notion d’écart dans l’écriture sadienne : écart de la perversion devant la fonction de reproduction de l’activité sexuelle39, mais surtout écart entre la philosophie du boudoir libertin et celle qui affirme la réciprocité et l’égalité dans le cadre de la conception émergente du citoyen républicain40. Le théâtre sadien est lui-même un espace de détournement des idées reçues. Déviance généralisée qui exige effectivement de se demander ce « que deviennent les institutions en général, et les institutions politiques en particulier, du point de vue de celui qui bande – et qui écrit pour bander41 ». L’écart est fonction d’une dérive pulsionnelle qu’il n’appartient à aucun interdit de venir circonscrire en tant que transgression.

  • 42 Ibid., p. 39. Binoche souligne à ce sujet la présence de la jouissance dans l’article 16 de la Décl (...)
  • 43 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie I. L’Anti-Œdipe, Paris, Minuit, 1972 (...)

22En explicitant les modalités d’un « libéralisme pervers », la volonté d’institutionnalisation de l’écart manifeste le nœud par où « le lien social est entièrement redéfini par référence à la jouissance privée42 ». Inversement, la jouissance individuelle devient fonction d’un réseau où elle se perd : l’organisation machinique des postures par où les corps s’articulent les uns aux autres traduit l’intuition d’une industrialisation de la jouissance. Par ces assemblages de machines orgiaques, par ces programmes de disposition des corps qui ressemblent à des manufactures de fluides corporels, Sade instaure la division du travail au cœur même de la sexualité. On peut ainsi lire Sade comme penseur d’une révolution industrielle qui affecte jusqu’aux modes de production du désir. La posture s’arrange : la jouissance traverse l’ordre des flux de production. « Le capitalisme, dans son processus de production, produit une formidable charge schizophrénique sur laquelle il fait porter le poids de sa répression, mais qui ne cesse de se reproduire comme limite du procès43. » Sade constitue un symptôme de cette limite du procès, de ce procès de la limite qui exige de penser le territoire institutionnel à partir de ses charges de déterritorialisation.

  • 44 Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Coli (...)

23La déviance sadienne et la réception dont elle fait l’objet manifestent ainsi le pouvoir de reterritorialisation des espaces littéraires. Le concept de paratopie développé par Dominique Maingueneau cerne l’« impossible lieu44 » où le discours littéraire se constitue, entre marginalité et normativité :

  • 45 Ibid., p. 52-53.

Celui qui énonce à l’intérieur d’un discours constituant ne peut se placer ni à l’extérieur ni à l’intérieur de la société : il est voué à nourrir son œuvre du caractère radicalement problématique de sa propre appartenance à cette société. Son énonciation se constitue à travers cette impossibilité même de s’assigner une véritable « place ». Localité paradoxale, paratopie, qui n’est pas l’absence de tout lieu, mais une difficile négociation entre le lieu et le non-lieu, une localisation parasitaire, qui vit de l’impossibilité même de se stabiliser. Sans localisation, il n’y a pas d’institutions permettant de légitimer et de gérer la production et la consommation des œuvres, mais sans dé-localisation, il n’y a pas de constituance véritable45.

24Ce double procès par où l’énonciation est prise en étau entre le désir de subversion et celui de la reconnaissance, Maingueneau le considère généralement par rapport à la situation paratopique de l’écrivain. Or, il faut ici reconnaître que c’est la réception de Sade, et non l’auteur lui-même, qui jusqu’à un certain point a dû prendre en charge le plaidoyer. À partir de l’hétérotopie de la dépense qu’on peut relire chez Bataille, une difficile négociation paratopique s’est de fait entamée entre la critique sadienne et l’institution. La Pléiade où la violence sadienne siège aujourd’hui ne constitue ni un lieu plein ni une terre d’errance, mais un espace de savoir qui évoque dans un même geste l’impossible appartenance et la nécessaire cohabitation de la déviance et de la normativité. Le texte pénètre encore et toujours le territoire critique à partir d’une expérience de la dépossession. C’est à partir de la condition fuyante des contours de ce territoire que j’ai voulu aborder l’œuvre de Sade telle qu’elle se propage dans le désordre des discours où nous parlons tous en même temps, et où les pouvoirs, autant institutionnels qu’alternatifs, découpent des fragments d’ordre.

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Notes

1 Bertrand Binoche, Sade ou l’institutionnalisation de l’écart, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Mercure du Nord/Verbatim », 2007, p. 40.

2 Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola, Paris, Seuil, 1971, p. 140-141.

3 Sade, Histoire de Juliette [1801], Œuvres III, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1998, p. 1261.

4 Cf. Richard von Krafft-Ebing, Psychopatia sexualis [1886], trad. René Lobstein, Paris, Payot, 1931.

5 Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1966, p. 222.

6 Bertrand Binoche, Sade ou l’institutionnalisation de l’écart, op. cit., p. 20.

7 Sade, « Français, encore un effort si vous voulez être républicains », dans La Philosophie dans le boudoir [1795], Œuvres III, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, p. 147. Klossowski soutient à ce propos que « c’est en quelque sorte pour avoir la conscience nette d’avoir infligé un démenti aux vérités proclamées par la Révolution [que Sade] donna alors la version la plus virulente de sa Justine [1799] ; il fallait que l’impulsion secrète de la masse révolutionnaire fût quelque part mise à nue » (Sade mon prochain, Paris, Seuil, 1947, p. 18).

8 Cf. Michel Foucault, « Des espaces autres » [1967], dans Dits et écrits IV, Paris, Gallimard, 1994, p. 752-762.

9 Peter Brook, Marat/Sade [1966], adaptation de la pièce de Peter Weiss, Die Verfolgung und Ermordung Jean Paul Marats dargestellt durch die Schauspielgruppe des Hospizes zu Charenton unter Anleitung des Herrn de Sade, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1964.

10 Michel Foucault, L'Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 12.

11 Robert Richard, L'Émotion européenne. Dante, Sade, Aquin, Montréal, Éditions Varia, coll. « Philosophie », 2004, p. 125.

12 Sade, « Français, encore un effort… », op. cit., p. 138.

13 Ibid., p. 158.

14 Theodor W. Adorno et Max Horkheimer façonnent de fait l’identité des œuvres de Sade et du fascisme allemand dans « Juliette ou Raison et morale », dans La Dialectique de la raison. Fragments philosophiques [1944], trad. Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 92-127.

15 Georges Bataille, « La valeur d’usage de D.A.F. de Sade » [1929], Œuvres complètes II, Paris, Gallimard, 1970, p. 54-72, et « La structure psychologique du fascisme » [1933], Œuvres complètes I, Paris, Gallimard, 1970, p. 339-371.

16 Guillaume Apollinaire, L’Œuvre du marquis de Sade, Paris, Bibliothèques des Curieux, 1909, p. 17.

17 « Définition de l’hétérologie » [circa 1930], Cahiers Bataille, n° 1, Éditions les Cahiers, octobre 2011, p. 231.

18 « La structure psychologique du fascisme », op cit., p. 348.

19 « Définition de l’hétérologie », op. cit., p. 231.

20 « La valeur d’usage de D.A.F. de Sade », op. cit., p. 62.

21 « Définition de l’hétérologie », op. cit., p. 231.

22 « La notion de dépense » [1933], Œuvres complètes I, Paris, Gallimard, 1970, p. 304.

23 Il est nécessaire « d’anéantir pour jamais l’atrocité de la peine de mort, parce que la loi qui attente à la vie d’un homme, est impraticable, injuste, inadmissible ; ce n’est pas […] qu’il n’y ait une infinité de cas où, sans outrager la nature […], les hommes n’aient reçu de cette mère commune l’entière liberté d’attenter à la vie les uns des autres, mais c’est qu’il est impossible que la loi puisse obtenir le même privilège, parce que la loi froide par elle-même ne saurait être accessible aux passions qui peuvent légitimer dans l’homme la cruelle action du meurtre » (Sade,
« Français, encore un effort… », op. cit., p. 124-125).

24 « Le mal dans le platonisme et dans le sadisme » [1947], Œuvres complètes VII, Paris, Gallimard, 1976, p. 376.

25 Pier Paolo Pasolini, Salò ou les 120 journées de Sodome [1975], Criterion, 2011.

26 C’est là le point de vue du cinéaste Jean A. Chérasse (« Sade et le cinéma ou les infortunes du divin
marquis », Obliques, n° 12-13 (Sade), 1977, p. 191), que partage Annie Le Brun (Sade, aller et détours, Paris, Plon, 1989).

27 Pourquoi le xxe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ?, Paris, Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2011.

28 « Éden, Éden, Éden : rien de tel n’a été risqué depuis Sade » (Philippe Sollers, « 17.. /19.. (suggestions) », dans Pierre Guyotat, Éden, Éden, Éden, Paris, Gallimard, coll. « L'imaginaire », 1970, p. 277).

29 Roland Barthes, « Ce qu’il advient au signifiant », dans Pierre Guyotat, op. cit., p. 275.

30 Ibid.

31 Annie Le Brun, Les Châteaux de la subversion [1982], suivi de Soudain un bloc d’abîme, Sade [1986], Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2010, p. 312.

32 Xavier de Sade, « Préface », dans Jean A. Chérasse et Geneviève Guicheney, Sade, j’écris ton nom liberté, précédé de Comment sortir du Cercle de Famille, Paris, Éditions Pygmalion, 1976, p. 12.

33 Marcel Hénaff, Sade. L’Invention du corps libertin, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Croisées », 1978, p. 5.

34 Frank Secka, Sade Up, Arles, Éditions du Rouergue, 2011. Rappelons que les livres utilisant cette technique sont généralement destinés aux enfants : la subversion tend ici à s’infantiliser.

35 Ainsi que le stipule l’achevé d’imprimer figurant en clôture d’une Pléiade de la nouvelle génération.

36 Michel Foucault, L’Ordre du discours, op. cit., p. 11. Dans sa conférence inaugurale au Collège de France, Foucault traite de trois grands systèmes d’exclusion – » la parole interdite, le partage de la folie et la volonté de vérité » (p. 21) – en fonction d’une hypothèse qui estime « que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité » (p. 10-11). Il va sans dire que c’est surtout la valeur de l’interdit qui est ici en cause.

37 Mot de l’éditeur, cité par Philippe Sollers, « Sade, aujourd’hui », dans Liberté du xviiie, Paris, Gallimard, 1996, p. 61.

38 Robert Richard, L’Émotion européenne. Dante, Sade, Aquin, op. cit., p. 126.

39 « Une jolie fille ne doit s’occuper que de foutre et jamais d’engendrer. » (Sade, La Philosophie dans le boudoir, op. cit., p. 18.)

40 Si la conception de la liberté démocratique inhérente à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 peut s’exprimer par une formule de réciprocité (« [L]a liberté de chacun s’arrête là où commence celle de l’autre », Bertrand Binoche, Sade ou l’institutionnalisation de l’écart, op. cit., p. 27), les libertins sadiens renchérissent : « [N]ous nous engageons à subir absolument tout ce que nous infligeons à autrui, parce qu’autrui ne peut rien qui ne nous soit plaisir » (ibid., p. 32).

41 Ibid., p. 41.

42 Ibid., p. 39. Binoche souligne à ce sujet la présence de la jouissance dans l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 : « Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. »

43 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie I. L’Anti-Œdipe, Paris, Minuit, 1972/1973, p. 42.

44 Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004, p. 70.

45 Ibid., p. 52-53.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Dominic Marion, « Déviance de l’histoire et histoire de la déviance : Sade et l’institution »TRANS- [En ligne], 13 | 2012, mis en ligne le 11 mai 2012, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/539 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.539

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Auteur

Dominic Marion

Dominic Marion est titulaire d’une maîtrise en littérature comparée de l’Université de Montréal. Son mémoire, "Savoir et affect : pour une économie du non-savoir" (2009), évalue les paramètres et les implications sociopolitiques de l’expérience du non-savoir telle que mise en scène dans l’œuvre de Georges Bataille. Un texte critique traitant de la notion de non-savoir paraîtra sous peu dans le premier numéro des Cahiers Bataille, publié aux Éditions les Cahiers. Il poursuit des études de doctorat au département d’études françaises de l’Université Western Ontario, orientant ses recherches sur l’écriture de D.A.F. de Sade et le contexte socio-historique de la Révolution française.

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