Présentation du dossier « Université Invitée » : la Ludwig-Maximilians-Universität
Texte intégral
1Sise au cœur de Munich, en vis-à-vis de la somptueuse Bayerische Staatsbibliothek, la Ludwig-Maximilians-Universität peut se prévaloir depuis quelques années de l’appellation « d’élite » décernée par le gouvernement fédéral d’Allemagne. Elle dispose d’une importante faculté des lettres et langues au sein de laquelle la section de littérature générale et comparée (Allgemeine und vergleichende Literaturwissenschaften, ou encore Komparatistik) détient une place de choix. Il va sans dire qu’au-delà d’une vocation d’ouverture et de cosmopolitisme dont se réclame la capitale bavaroise, c’est avant tout l’excellence et la renommée internationale de son Université qui s’avère propice à une dynamique efficace des études et des recherches comparatistes. Le projet d’édition des œuvres de Roman Jakobson et la très fructueuse collaboration scientifique avec le département d’études germaniques de l’Université de Séoul, qu’évoquent Sebastian Donat et Stephan Packard, comme aussi la grande variété des sujets abordés dans ce dossier, sont des illustrations parlantes de cette effervescence.
2Notre dossier s’ouvre sur trois articles dont les sujets ont trait, sous des rapports divers, à la sémiotique. Exploitant les recoupements systémiques entre la « logique non-aristotélicienne » de Gotthard Günther et les catégories de la sémiotique Peircienne, l’essai de Nina Ort lance la théorie novatrice d’une « sémiotique logico-réflexive » (Reflexionslogische Semiotik), laquelle consiste à reconvertir la logique binaire classique, inerte dans sa relation d’un sujet contemplatif à un objet déterminé, en une logique ternaire capable de saisir l’ordre du processuel et du potentiel, les effets de progression, de renouvellement et partant, les conditions de la création. L’illustration à partir de récits de Kafka met en lumière l’intérêt de ce modèle et de ses applications, notamment pour la littérature.
Dans une démarche comparable, Stephan Packard adapte également la sémiotique de Charles S. Peirce, la combinant, pour sa part, avec la psychanalyse Lacanienne. La pertinence d’une pareille « psychosémiotique » (Psychosemiotics) est démontrée par son application au signe dans son usage en bande dessinée. La méthode permet de dégager une « seconde fonction iconique » et, par-là-même, de révéler pleinement ses ressources esthétiques.
Gundula Schiffer invoque, quant à elle, une « Semiotik der Textgestalt », sur le modèle de celle de Wolfgang Raible, s’attachant à analyser les signes réglant la structure rythmique du vers hébreux des psaumes bibliques, qui a une influence sur leur interprétation ; Le défaut courant de celle-ci consistant à n’être qu’insuffisamment définie, il demeure difficile d’en établir l’ « original » a posteriori. A cet égard, l’auteur note l’apport des traductions, en particulier de celles de Moses Mendelssohn et d’Henri Meschonnic, lesquelles tentent de proposer des « équivalents visuels » destinés à rendre manifeste l’arrangement rythmique de ces poèmes.
3Si Eva Schopohl à son tour problématise la traduction et l’interprétation, c’est sous un aspect nettement différent : celui du multilinguisme et de son impact sur la constitution de l’identité. C’est afin d’étudier les ressorts de l’auto-aliénation des individus et de leurs discours, qu’elle met en parallèle Between de Christine Brooke-Rose et Simultan de Ingeborg Bachmann, récits « polyphoniques » qui mettent en scène des personnages de traducteur-interprètes pris entre diverses cultures ; Le multilinguisme y figure la différance inhérente et fondamentale à la condition de l’individu postmoderne.
4Alexandra Schamel suggère une lecture allégorique d’A la Recherche du temps perdu de Proust, visant à mettre en évidence une dimension plus spirituelle de l’œuvre. Sa réflexion porte notamment sur le fonctionnement de l’allégorie proustienne comme véhicule de modèles transcendants, et sur la forme de subjectivité que ce procédé appelle. En effet, l’allégorie procédant d’une relation de l’humain au transcendant, la pratique allégorique de Proust ainsi postulée serait le ressort d’une « subjectivité transcendantale », dont l’article étudie les qualités, notamment en termes de performance d’écriture et de lecture.
5Sabine Biebl, quant à elle, enquête sur l’espace public de l’Allemagne Weimarienne à travers la figure récurrente, aussi composite qu’ambiguë, de la « working girl », image idéale de la femme « moderne » des années 1920. Telle représentation, cristallisant les desiderata et les conflits de son temps, n’aura pas manquée d’abreuver les plumes contemporaines. Puisant dans ce fatras, cette étude de sociologie littéraire tente de caractériser la dynamique du phénomène et la fertilité de sa projection.
6Federico Italiano, pour sa part, interroge la notion de « paysage », qu’il juge d’une portée conceptuelle insuffisante. S’agissant de déterminer selon quelles modalités opère l’intelligence entre le poète et son environnement, le terme paraît en effet inadéquat, notamment quant à son application aux courants symbolistes et modernistes. Si, pour nous conduire hors de cette « impasse terminologique », l’auteur ne nie certes pas dans son entier la pertinence de la notion traditionnelle de paysage, il lui appose celle, moins restreinte, de « géopoétique », censée l’englober et la compléter.
7Revient à Susan M. Praeder la plaisante performance de distiller une réflexion sur l’Ekloga dos Faunos de Camoëns sous la forme d’une églogue en prose, alliant ainsi le delectare au prodesse. Dans un décor pastoral, le débat s’engage entre l’historien et poète portugais Manuel de Faria e Sousa, érudit commentateur de Camoëns, et son adversaire, la comparatiste Lusitânia Nau, confrontant la notion ancienne d’ « imitation » et celle, plus actuelle d’ « intertextualité » ; Mais cette mise en perspective anachronique n’est nullement l’unique surprise que nous réserve cette « églogue sur l’églogue » à la fois discours et parodie de discours littéraire. A bon lecteur...
8Enfin, nous tenons à remercier MM. les Professeurs Clemens Pornschlegel et Robert Stockhammer de leur soutien, ainsi que M. Stephan Packard de sa disponibilité. Nous sommes en outre redevables envers Monsieur Christopher Bain pour son aide généreuse : qu’il en soit ici remercié.
Pour citer cet article
Référence électronique
Tobias V. Powald, « Présentation du dossier « Université Invitée » : la Ludwig-Maximilians-Universität », TRANS- [En ligne], 6 | 2008, mis en ligne le 07 juillet 2008, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/270 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.270
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