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Dossier central

Faux et usage de faux. Sur le bilinguisme chinois de René Leys

Juliette Salabert

Résumés

Cet article a pour objectif de démontrer que le bilinguisme franco-chinois de René Leys, contrepoint burlesque à l’hiératisme orchestrédans Stèles, joue du faux et de la contrefaçon. L’étude se construit autour de la dualité et de la duplicité de la traduction, reflétée par les deux caractères inauguraux du roman : Da Nei. Dépliant à un lecteur non sinisant l’ « infra » chinois du texte, l’article a à cœur de montrer ses pièges et ses leurres et d’analyser comment le recours au bilinguisme vient ici aider à désorienter, dans un jeu parodique, le romanesque occidental.

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Texte intégral

  • 1  Victor Segalen, René Leys, Paris, Le Livre de poche n°16051, 1999, p. 164. Toutes mes références s (...)

« Un obscur état de désir ou d’ironie »1

1Dans le cadre d’une réflexion comparatisteautour de la dichotomie Est/Ouest, j’aimerais présenter ici un cas singulier. Celui de René Leys de Victor Segalen.

2Singulier tout d’abord puisque le texte de Segalen s’inscrit d’emblée et de plain-pied à l’Est, dans le monde de l’autre, celui de la dernière Chine impériale, qui attend l’imminente chute de la dynastie mandchoue des Qing.

  • 2  Victor Segalen, Œuvres Complètes, II, édition présentée et établie par Henry Bouillier, Paris, Laf (...)

3Singulier d’autre part car Segalen a recours à un procédé linguistique qui lui est propre, le bilinguisme franco-chinois. « Parler chinois en français »2, telle est bien une des spécificités de l’écriture segalenienne, un de ses défis aussi. Nous ne sommes donc pas, a priori, dans une logique d’opposition Est/Ouest, mais au contraire, dans une tentative de pénétration d’une civilisation par une autre. Pénétration à la fois spatiale, - le narrateur de René Leys cherche à violer un espace interdit et secret, la Cité Interdite de Pékin - et linguistique - par la mise en place d’une fusion asymptotique des langues.

4Le recours au bilinguisme ne surprend guère un lecteur déjà habitué à la prose segalenienne. Segalen, en effet, a déjà utilisé, et on sait avec quel brio, ce procédé dans Stèles, son magistral recueil de poèmes paru en 1912. C’est aussi ce même travail linguistique qui sous-tend son autre grande entreprise romanesque, Le Fils du Ciel, projet concomitant à la rédaction de René Leys.

  • 3 RL, ibid., p. 263.

5Pour autant, si le rapport de Segalen à la langue chinoise peut être qualifié de hiératique dans Stèles, il me semble que le bilinguisme dans René Leys joue d’un tout autre registre. Celui ici de la supercherie. Il est à lire à travers le prisme du double sens que l’on peut attribuer aux deux caractères venant ouvrir l’oeuvre : 大内. Car si en chinois, Da Nei (littéralement le « Grand Dedans ») est d’abord une allusion directe à une appellation bien connue de Gugong, ce vieux Palais qu’est la Cité Interdite, Da Nei prend aussi dans le roman le sens de tromperie, selon une traduction propre à l’auteur dans ses notes : « Être mis grandement Dedans ». Cet article a pour objectif de démontrer que le bilinguisme franco-chinois de René Leys joue un jeu subtil, celui du faux et de la contrefaçon. Pour paraphraser le narrateur, nous sommes ici dans un espace-frontière, entre « un obscur état de désir ou d’ironie ». Au regard du récit rocambolesque que le jeune René donne à entendre et à voir au narrateur, le bilinguisme du roman est tout entier placé sous le signe de l’équivoque. Oui ou non, - question ouverte qui vient clore le livre, Segalen se moque-t-il de nous ? Ou pour le dire autrement, « Faut-il faire traduire ? Si c’ [était] faux »3 ?

Pénétrer le Da Nei, le « Grand Dedans » de la langue

Écriture de l’écho : « Parler chinois en français »

  • 4 Ibid., p. 215.

6Contrairement à Stèles, recueil poétique dont l’esthétique est entièrement fondée sur la coexistence, en vis-à-vis, de deux systèmes d’écriture au sein de chaque poème, - des idéogrammes et leur traduction-variation en français - René Leys se démarque par sa quasi-absence de caractères chinois. Le roman, en effet, n’a que deux fois recours à l’écriture idéographique, pour nommer les deux noms de lieux autour desquels prend place l’action : et , Bei Jing, la « capitale du Nord ». Il me semble que ce procédé vise ici à mettre sous les yeux du lecteur, par le surgissement de caractères chinois au cœur même du texte français, la figuration de l’altérité absolue et de l’inaccessible. Notons que leur apparition intervient à des moments stratégiques dans l’économie du roman : en position inaugurale pour le premier et au dénouement de l’intrigue4 pour le second, créant ainsi une circularité dans le texte, qui mime, à mes yeux, l’échec de la quête du narrateur et son impossible pénétration de l’espace sacré. La présence des deux idéogrammes rythme ainsi et encadre un « retour à la case départ » avec recul puisqu’un glissement s’opère, de l’espace intérieur, le saint des saints, l’intérieur de la Cité, à un espace plus large, moins circonscrit, celui de la ville dans sa globalité, Pékin.

  • 5  Ancêtre de l’actuel pin yin, le « système EFEO », du nom de l’École Française d’Extrême- Orient, d (...)
  • 6 Ibid., p. 89. 东华门, Dong Hua Men.Par convention, j’opte pour les caractères simplifiés lorsqu’il s’a (...)

7La présence du chinois dans René Leys n’est pas donc idéographique. Elle est essentiellement phonétique. La langue chinoise prend en effet corps dans le texte sous sa forme romanisée, selon la retranscription phonétique en vigueur à l’époque, le système EFEO5. On a donc affaire à un bilinguisme moins ostentatoire, moins manifeste que dans le recueil poétique. C’est que Segalen ne cherche pas dans son roman à « faire monument » comme dans Stèles. Pour autant, le chinois, pour n’être pas idéographiquement visible, n’en est pas moins présent. Il est même systématiquement affiché et revendiqué. Tout le jeu de nominalisation respecte à la lettre l’énonciation de la langue-source. Les noms de lieux apparaissent toujours d’abord en chinois, suivis de leur traduction, contribuant ainsi à créer une étrangeté visuelle et auditive : « Me voici face à Tong-houa-men6, la Porte de l’Orient Fleuri. » Deux remarques immédiates. Le chinois de René Leys, n’étant pas mis en exergue par sa forme idéographique, se trouve d’emblée intégré au cœur même de la langue française. Nonobstant la frontière des langues, le texte met en scène un chinois présent à l’intérieur du français, un chinois de l’intérieur, comme on le verra plus tard. Cette appropriation de la langue de l’autre, excédant un effet d’exotisme ou couleur locale, répond en réalité à un principe essentiel à l’écriture segalennienne : mêler le même et l’autre, faire surgir l’altérité dans l’identité même du discours français. Procédé fondamental qui sera à l’origine de l’«  esthétique du divers », propre à Segalen. Notons, d’autre part, que le bilinguisme du roman est auditif et non visuel. Ce qui n’est pas anodin pour une œuvre qui déploie le fantasme de la vision. Tout se passe comme si, dans René Leys, paradoxalement, le voir, pour être vu, devait passer d’abord par l’entendre.

  • 7  OC, II, ibid., Lettre à Ythurbide, p. 710.
  • 8  Haiying Qin, Segalen et la Chine, écriture intertextuelle et transculturelle, Paris, L’Harmattan, (...)
  • 9  文言, le wen yan est le nom donné à la langue chinoise classique.
  • 10 RL, ibid., p. 78.
  • 11 Ibid., p. 43.

8Mais le bilinguisme de fait de la nomination se double, et c’est là toute l’originalité du roman, d’un bilinguisme formel, structurel, en un mot syntaxique. De façon quasi systématique, le texte, dans sa syntaxe, cherche à se faire l’écho du chinois classique. René Leys intègre donc à l’écriture romanesque le procédé linguistique de Stèles : on y parle « chinois en français7 ». Je renvoie ici à l’excellent article de Mme Qin Haiying8, qui liste de façon exhaustive les caractéristiques formelles du wen yan9, que Segalen aime à imiter : goût pour la concision et l’ellipse, recours aux monosyllabes et à l’infinitif, jeux de parallélismes et de juxtapositions, omission de l’article, substantivation de l’adjectif… J’aimerais plutôt ici montrer comment le chinois est véritablement mis en scène, comment il travaille et oriente, (au double sens de direction et de sinisation), de l’intérieur, le français de l’écriture. Notons d’abord la façon dont le narrateur se montre très attentif à respecter, en français, les détours scrupuleux du chinois dans sa désignation de l’Empereur. On sait en effet que, dans la Chine Impériale, le nom de l’Empereur, mot tabou, ne devait jamais être prononcé. Aussi voit-on le narrateur utiliser les détours de la majuscule impériale, (Lui), ou ceux de la périphrase, comme dans le syntagme « Le prisonnier des Palais cardinaux10 ». Le français se sinise donc, s’infléchit, au contact du chinois. Inclination chinoise ici bien illustrée : « Lui, - et ne pouvant dire le nom, je donne au pronom européen tout l’accent incliné du geste mandchou (les deux manches levées par les poings réunis jusqu’au front baissé) qui Le désigne 11 ».

  • 12  Ibid., p. 184.
  • 13 万岁, wan sui.
  • 14  RL, ibid., p. 80.
  • 15  九 泉
  • 16 天 子, de 天 tian, le cielet 子 zi, le fils.

9Le texte n’a de cesse, ensuite, de puiser dans l’immense substrat lexical et symbolique, propre à la culture de la Chine ancienne, en réutilisant ses formules rituelles lexicalisées. Page 184, par exemple : « Il vient d’assiéger et vaincre le cœur impérialement clos, la Personne triple et quadruplement enceinte ! L’Inexpugnable ! la Mère de l’Empire, l’Aïeule des Dix mille Ages !12 ». C’est ici l’hyperbole wan sui13, (dix mille années), exclamation rituelle à l’adresse de l’Empereur, qui est réactivée. Ailleurs, c’est René, évoquant l’Empereur défunt, « “qui s’en est allé montant au char du Dragon, s’abreuver aux neuf fontaines“ (Ceci est dit avec respect comme une citation chinoise…) 14 », qui reprend à son compte la vieille métaphore chinoise des neuf fontaines, les jiu quan15désignant la mort, mot bien entendu tabou. La parenthèse, en outre, vient souvent redoubler le mimétisme et créer comme un second écho citationnel, comme à la page 84 : « “du bout du pinceau, le papier tendre“- (ceci, prononcé dans un rythme de citation chinoise) ». Mme Qin souligne, par ailleurs, que ce recours aux images lexicalisées, comme le classique « Fils du Ciel » 16fait presque plus sens français qu’en chinois, où ces topoï ont perdu, par l’usage, toute valeur concrète.

10Ainsi, la langue chinoise, tant du point de vue de l’énoncé que de l’énonciation, est omniprésente dans René Leys : visuelle sous sa forme romanisée, lexicale, syntaxique, prosodique, symbolique… Mais cette ubiquité de l’autre languese donne à lire à travers ou plutôt sous le français. C’est un chinois de l’intérieur, un « infra » langage. À l’image de la Cité Interdite dont il est un des multiples reflets réfractés, le chinois, dans le roman, est un absent-présent, qui se voit moins qu’il ne se laisse entendre.

 Écriture du transfert et de la contamination

  • 17  OC, II, ibid., Lettre à Ythurbide,p. 710.

« Mais dès qu’on agite l’influence chinoise, il est bon d’en remonter à la plus fondamentale expression 17 ».

11Si le bilinguisme est revendiqué de fait, c’est avant tout parce que Segalen-narrateur se présente lui-même comme apprenant le chinois, donc personnellement plongé au cœur des deux univers linguistiques. Mais son apprentissage est avant tout un moyen, oblique, d’accès, et un outil de… conquête. Tant il semble que le détour par la langue soit un passage obligé, soit le seul sésame ouvrant les portes du Palais. Dans le roman, tout se passe comme si la pénétration du Grand Dedans nécessitait d’abord de pénétrer le Grand Dedans de la langue de l’autre ; pénétrer intimement la forêt des signes, percer la frontière langagière. La page 46 est à cet égard explicite : « Je m’accorde une dernière chance de pénétrer dans le “ Dedans“. C’est de m’adresser à son langage, le dur Mandarin du Nord ; - de me passer de tout entremetteur, de tout eunuque. » Aussi n’est-on pas étonnés de voir décrire les progrès du narrateur en termes spatiaux d’avancée ; martiaux, d’invasion, ou encore sexuels, de viol :

  • 18  RL, ibid., p. 117. Je souligne.

Est-ce les leçons magistrales du vieux Wang […] - ou l’air pénétrant, les effluves lettrés de Peiking… - le fait est que je progresse en une langue, pratique puisqu’elle annule la syntaxe en réduisant toutes les règles à trois, - et que je m’éprends tout d’un coup du Style écrit, ayant découvert une architecture et toute une philosophie dans la série ordonnée des “Caractères“ … 18

  • 19  Encore une fois, soulignons l’occurrence du mot entendre, à la place de comprendre.
  • 20  Ibid., p. 46.
  • 21 Ibid., p. 88.
  • 22 Ibid., p. 110.

12Va alors se créer, entre le narrateur et son jeune professeur de chinois, le belge René Leys, une forme de dialogue fondée essentiellement sur le partage des langues. S'il « est convenu que pour mieux [s’] entendre19 [ils] ne [se] parleron[t] que chinois20 », les deux personnages ne vont cesser de passer d’une langue à l’autre. On les retrouve donc page 144 au milieu d’une « policière et secrète et franche causerie [qui] se prolonge, mots coupés, en Français furtif, au milieu même de la foule chinoise ». Mais plus qu’un dialogue bilingue, c’est bien plutôt un idiome commun que sont en train de tisser les deux protagonistes, un idiolecte fondé sur l’entre-deux et le transfert de sens et des valeurs. René n’envoie-t-il pas au narrateur, un « mot, écrit au pinceau, mais en belge21 » ? La figure de l’hypallage me semble, à ce titre, emblématique de la relation langagière des personnages qui échangent « des mots rapides en chinois discret22 ». Là encore, ce transfert linguistique des qualifications n’est pas anodin puisqu’il annonce des transferts plus profonds, fonctionnels (conteur/spectateur, narrant/narré), ou sexuels, et contribue à brouiller les pistes, à établir en loi l’équivoque, (oui ou non, vérité/mensonge), sur laquelle repose tout le roman.

À qui s’adresse ce texte ?

  • 23  OC, II, ibid., Lettre à Ythurbide,p. 710.
  • 24 RL, ibid., p. 198.
  • 25 RL, ibid., p 111. Diables d’étrangers, 洋 鬼 子, traduction littérale du chinois yang (océan, outre-me (...)
  • 26 Ibid., p. 68.
  • 27 Ibid., p. 96. 百家姓.
  • 28  Ibid., p. 133 (佛) : « Au nom de Fô et des chiens de Fô ! Qu’il parle ! Qu’il dise n’importe quoi…  (...)

13À bien des égards, René Leys est un texte allusif, crypté, qui semble exiger de son lecteur de savoir « parler chinois tout court23 ». René en effet, par deux fois, se dispense de traduire. D’abord en évoquant son « t’ong-t’ong24 », la réduction obtenue de son billet d’entrée au Palais, puis lorsqu’il parle de ces « diables d’étrangers »25, les « Teu Kouo jen », ie les Allemands, terme chinois non traduit en français. De la même façon, le narrateur ne traduit pas tout, et part lui aussi d’un postulat d’évidence. Il ne juge pas ainsi nécessaire d’indiquer à son lecteur que la « Fleur du Milieu26 », - Zhong Hua, en chinois - fait évidemment allusion à la Chine ; il n’explique pas que le Bai Jia Xing,27- autrement dit « Le Classique des Cent Familles », est un ouvrage rimé répertoriant les noms de famille utilisés à l’époque de la dynastie Song (954-1279), sous l’Empereur Zhao. Il omet de traduire, à la page 131, le terme de Yamen, ( ) désignant la résidence officielle d’un mandarin, son bureau administratif, et laisse tel quel le nom de Bouddha en chinois, Fô28.

  • 29  Ibid., p. 107.
  • 30  Ibid., p. 126.
  • 31  C’est d’ailleurs un des ressorts comiques des 相 声, xiang sheng, cette forme d’art théâtral très po (...)
  • 32  Ibid., p. 142. Ce qui a d’ailleurs contribué à faire du jaune la couleur impériale.

14Aux allusions culturelles et linguistiques, s’ajoute une série de jeux de mots, ou plutôt, de caractères, réservés, semble-t-il, aux seuls lecteurs sinisants. Le premier apparaît lors de la soirée très arrosée que le narrateur passe avec René et ses amis de Qian Men Wai au Palais des Délices Temporelles : « C’est ma trente-huitième tasse… Eh ! bien, « Kan-Pei », je la sèche !29 ». Le narrateur joue ici sur la traduction littérale ( , de gan =sec, et bei = verre) d’une expression chinoise figée signifiant « À la vôtre ! ». Un peu plus loin, c’est le trait d’esprit qui met fin à l’ennuyeuse visite du voisin Jarignoux : « J’attends, avec une patience de Dragon moi-même qu’il s’en aille. Il s’en va. C’est long ! (Long= Dragon. Jeu de mots intraduisible en chinois) 30 ». Ici, c’est le caractère signifiant dragon, , qui se prononce en chinois approximativement comme l’adjectif « long » en français. À la page 142, le narrateur utilise le procédé inverse, un trait d’humour typiquement chinois,31 reposant sur une homophonie, au même ton, de deux caractères à la graphie différente : « La Ville Impériale, qu’un mauvais jeu de mots, celui-là, intraduisible en Français, sur le caractère “houang“ laisse souvent appeler la “Ville Jaune“ 32 ». En effet, il existe en chinois deux caractères houang au deuxième ton, , signifiant empereur, impérial, et , désignant la couleur jaune. Le dernier jeu, enfin, concerne l’accord, le « t’ong-t’ong » de René, reposant très probablement sur l’homophonie entre 通通, le tout, l’ensemble, et 通同 signifiant « de connivence pour faire des malversations », où le premier désigne des rapports sexuels illicites.

  • 33  Ibid., p. 183.

15Le texte semble donc bien s’adresser, en premier lieu, à un lecteur sinisant, ou tout du moins initié à la langue chinoise et à ses référents implicites. C’est même ce que laisse entendre Segalen-narrateur lors de sa spectaculaire « découverte » : « Ce Phénix et une femelle. Déjà, j’en ai trop dit : tout lecteur chinois de ces notes a dû comprendre33 ». Quel lecteur, effectivement, un tant soit peu féru de mythologie chinoise ne sait-il pas, d’emblée, que si le Dragon est l’attribut de l’Empereur, le Phénix est évidemment celui… de l’Impératrice ?


  • 34  Dans sa première édition de 1912, Stèles, « non commis à la vente », n’a été tiré qu’à quatre-ving (...)

16Mais, dès lors, une question se pose : à qui donc s’adresse ce texte crypté qui nécessite un tel déchiffrement ? Est-il destiné aux seuls « Lettrés d’Extrême-Orient »34, comme c’était le cas pour Stèles ? Le lecteur non sinologue est-il un tiers exclu ? Et que penser d’un texte qui impose à son lectorat, par ce jeu du bilinguisme, un présupposé d’initiés ?

  • 35  Ibid., p. 96.
  • 36  Ibid., p. 41. Je souligne. On sait en effet que le chinois est une langue tonale et qu’un même son (...)

17« Tous Mandchous : ces noms à deux caractères ne trompent pas 35 », s’exclame le narrateur devant les amis de René, croyant avoir affaire à des Princes de l’Empire… qui ne sont probablement que les compagnons des jeux nocturnes du jeune belge ! Première piste. Et si ces noms à deux caractères, Da Nei, Bei Jing, étaient justement trompeurs ? Amener le lecteur à ce soupçon, c’est peut-être ce que vise d’avance la double traduction de Da Nei en« Être mis grandement Dedans », indice que Segalen pose discrètement dans ses notes. Il me semble, en vérité, que le rapport au chinois dans René Leys est bel et bien placé sous le signe d’une dualité qui signe en fait une duplicité. Pour reprendre les mots mêmes du narrateur, le recours au chinois est « ridicule ou diplomatique - selon l’accent qu’on lui prête »36. Tout est là, c’est bien d’une question d’accent, de tonalité qu’il s’agit ici. Ridicule ou diplomatique, comme « le carton à double face » de Jarignoux, déployant pompeusement, en français et en chinois, ses titres de fonctionnaire au Ministère de la Communication. En l’occurrence ridicule. Et si le lecteur de René Leys soupçonne ce roman bilingue d’être un texte crypté, c’est bien parce que le roman lui-même se construit, dans et par le chinois, comme un texte-piège à horizon déceptif, qui joue avec le lecteur et se joue de lui. Car le bilinguisme pratiqué ici par Segalen, ce tunnel creusé sous la langue française, sonne, à l’instar de celui menant au Palais, terriblement creux. C’est en réalité un leurre.

18D’abord parce que le chinois de Segalen, à y regarder de près, est, si ce n’est faux, du moins utopique. C’est un chinois inventé, rêvé… et intransitif. À l’image de la Cité interdite, le chinois du roman est partout et donc nulle part.

19Ensuite parce que ce bilinguisme se place toujours sous le signe de l’impropriété de la langue et de l’équivoque. Par un jeu de la traduction systématiquement miné de l’intérieur, le texte piège tous ses lecteurs, les francophones, comme les sinisants. Il est de l’ordre de la grande parodie, de la grande supercherie, en un mot, du canular.

Le faux Da Nei de la langue et l’espace burlesque du jeu : « être mis grandement Dedans »

À Rebours, un chinois qui n’existe plus 

  • 37 严 复, (1854-1921).
  • 38 梁 启 超, (1859-1935).
  • 39  « 欲 新 一 国 之 民, 不 可 不 先 新 一 国 之 小 说 », yu xin yi guo zhi min, bu ke bu xian xin yi guo zhi xiao shu (...)
  • 40 林 纾, (1852-1924).
  • 41 鲁 迅, (1881-1936).
  • 42 新 文 化 运 动 Xin wen hua yun dong. Mouvement qu’exposeront successivement, en 1917, Hu Shi, 胡 适, (1891 (...)

20Il faut tout d’abord préciser que la langue utilisée par Segalen-auteur va à l’encontre del’histoire littéraire chinoise. La révolution littéraire du 4 mai 1919, s’inscrit, on le sait, dans un contexte plus large de crise politique généralisée, déclenchée par les guerres de l’Opium (1885-1895) et l’invasion occidentale. Au moment où Segalen est en poste, la Chine vit une intense période de remise en question nationale et prépare déjà, en amont, sa révolution littéraire. Comment moderniser la Chine ? Telle est la grande question des intellectuels de l’époque. Or, ce sont des penseurs comme Yan Fu37 et Liang Qichao38 qui, les premiers, vont établir un lien entre renouveau national et révolution littéraire : la modernisation de la Chine passe d’abord, affirment-ils, par la modernisation de sa culture, et, précisément, par la réhabilitation de son roman, le xiao shuo, ( ), catégorie considérée alors comme mineure dans la classification des genres littéraires chinois. Liang Qichao, qui crée en 1902, la revue xin xiao shuo ( ) y expose ainsi son principe : « Si on veut changer le peuple, il faut d’abord changer son roman »39. Yan Fu, quant à lui, dans son célèbre manifeste, critique le roman chinois traditionnel et appelle à l’imitation du roman étranger. La traduction des romans occidentaux, enclenchée par l’incroyable travail de Lin Shu40 va être vite relayée par des auteurs plus connus de nous comme Lu Xun. 41Au moment donc où Segalen rédige son René Leys, le milieu intellectuel chinois est en pleine effervescence ; il accouche déjà du mouvement Nouvelle Culture42.

  • 43  Comme l’atteste le grand journal de Shanghai, qui crée un supplément en baihua pour les femmes et (...)
  • 44  言文一致, yan wen yi zhi, en chinois.
  • 45  Et en 1911 se crée un alphabet phonétique, le fameux Bopomofo ou 注 音 字 母, zhu yin zi mu en chinois (...)
  • 46 新 青 年, xin qing nian

21Parallèlement, et c’est ce qui nous intéresse plus précisément, s’engage une violente révocation de la langue classique, le Wen Yan : langue jugée dorénavant morte, inintelligible, et symbole à elle seule d’un monde à détruire, celui de la superstition taoïste et du vieux moralisme confucéen. Dès 1870, se met en place le bai hua, (étymologiquement la langue claire), un chinois simplifié, conforme au chinois parlé. On introduit alors la ponctuation, et les caractères, qui s’alignent désormais horizontalement, se donnent à lire de gauche à droite… En 1895, le bai hua est utilisé dans certains journaux43. Cette réforme de la langue, qui suit de près celle enclenchée au Japon, le Genbun’ Itchi 44, prend vite des allures iconoclastes. Certains vont jusqu’à prôner la disparition des caractères en vue d’une totale romanisation45. Du point de vue linguistique donc, la Chine que rencontre Segalen est déjà celle qui prépare sa révolution du 4 mai qui s’ancrera autour de la revue Nouvelle Jeunesse46. Le narrateur de René Leys semble, quant à lui, hermétique à tous ces bouleversements. Il est donc celui qui passe doublement à côté de l’histoire ; s’accrochant à une dynastie qui court à sa perte, et rêvant, à rebours, d’une langue déjà moribonde.

  • 47  Je souligne.
  • 48  Les 骈 文, pian wen, sont des petits poèmes jouant sur la symétrie, de synonymes, d’antonymes et de (...)
  • 49 Ibid., p. 195.

22Mais cette langue qu’il rêve de perpétuer, a-t-elle même jamais existé ? Il semble au contraire que le wen yan utilisé dans le roman soit bien plutôt de l’ordre de l’imaginaire, du fantasme ; c’est, en un mot, un faux modèle. Segalen-narrateur l’avoue d’ailleurs lui-même. Je cite, page 195 : « J’aurais beaucoup aimé écrire, d’un seul jet de pinceau ancien, en style coulé dans le bronze des vieux caractères “Tchouan“, ce petit poème que j’ose affirmer “de circonstance“. Je dois me contenter de le retraduire en français, d’un chinois qui ne fut pas…47 ». Non seulement le poème n’apparaît pas en chinois dans le texte, (il est re-traduit), mais son existence elle-même est mise en doute. Belle infidèle donc d’un modèle rêvé et usurpé sur la tradition, ce poème reflète à lui seul le statut du chinois dans le texte, qu’on soupçonne impropre et inventé de toutes pièces. Ce que la suite confirme. Car le poème du narrateur, conformément au modèle des pian wen,48 est censé recevoir en réponse « un poème qui reprenne les mêmes rimes (comme il est d’usage) 49 », auquel l’interlocuteur, René, ne répond pas. Cette intransitivité accuse, il me semble, l’inexistence du modèle auquel le narrateur se réfère.

Dans le leurre du seuil : un chinois qu’il ne comprend pas

  • 50 Ibid., p. 50.
  • 51 Ibid., p. 88.

23C’est bien d’ailleurs le langage lui-même et son impropriété qui vont mettre le narrateur « en dedans ». Segalen-narrateur ne cesse de se présenter, dans le roman, comme celui qui se heurte à la barrière de la langue. Il est, quoiqu’il en dise, celui qui ne sait pas lire les signes, au sens propre comme au figuré. Aussi déchiffre-t-il à peine la carte de visite de Jarignoux : « J’ai pu lire avec fierté un des trois caractères de son nom 50 » ; il se trouve ensuite dans l’incapacité de lire la lettre de maître Wang, pourtant rédigée en chinois simple, « indéchiffrable, mais couramment lue par mon boy51 ». Les caractères, loin de devenir pour lui des signes, demeurent au contraire des images confuses. Comme le prouve le reçu de la première nuit au Palais :

  • 52 Ibid., p. 182.

Il me tend un papier couvert de caractères dont les abréviations cursives demeurent dans ma main peu efficaces à éclairer ce qu’il vient de me dire... Je regarde, sous les derniers éclats de ma lampe qui saute, les files de caractères aussi mystérieux pour moi qu’une sténographie Aégyptique enveloppée d’arabesques Hittites, cloutée de cunéiformes et regrattée par vingt archéologues !52 

  • 53 Ibid., p. 168.

24Le narrateur, faux Champollion, faux Paul Pelliot, s’avoue dans l’impossibilité de déchiffrer, malgré son érudition, cette pierre de rosette chinoise, ces pseudo-manuscrits enfouis dans les grottes de Dunhuang !53

  • 54 Ibid., p. 48.
  • 55 Ibid., p. 167.
  • 56 Ibid., p. 147.

25Incapable de traduire, il est aussi celui qui ne comprend pas tout, qui se contente de noter « des confidences, qu’[il] ne p[eut] garantir exactement traduites54 ». Il se heurte ainsi au barrage du shanghaïen, véritable « aquarium verbal 55 » où il se noie. Son échec est encore plus flagrant au théâtre : « Je ne veux rien comprendre à ce qui se passe là. […] Je ne sais point ce que cela signifie56 ». Traduttore traditor, le rapport à la langue est bien placé sous le signe de la trahison et de la perte. Aussi la pénétration de la langue est-elle donnée d’emblée comme impossible, comme le sera celle de la Cité ; parce qu’il ne parvient pas à dépasser le seuil minimal d’une vraie compréhension du chinois, le narrateur est condamné à rester aux portes du Palais.

26Ou aux portes du rêve. En effet, cette langue, utopique par définition, car usurpée et miroir vide, devient par là même le lieu par excellence de l’utopie. C’est bien dans la faille de la langue (entre dénotation et connotation) que va s’installer, au choix, la supercherie et le mensonge ou le pur plaisir de la fiction, en un mot, la fabula. Le fameux faux reçu du Palais est en ce sens significatif : des caractères indéchiffrés, va naître, dans une fabuleuse cosmogonie, tout un monde à imaginer :

  • 57 Ibid., p. 263.

J’ai déjà tenté de le déchiffrer. Mais suis-je mauvais élève ou le devoir trop dur ? Ces caractères représentent des objets redoutables : des couteaux, une lance à croc ; des yeux en long ou dressés en hauteur, des fleurs, des dents de rat, des femmes se cachant le ventre, des puits, des creux, des tombes, des trous, lutés d’un couvercle …un fourneau magique, une bouche vide, un bateau…57 

27L’espace perdu de la traduction laisse donc aussi place à l’espace trouvé de la fiction.

Le bilinguisme, entre supercherie et farce

28Si l’acte d’écriture se situe bien dans une zone indistincte entre traduction et invention, il place dès lors l’acte de lecture sous le mode du jeu. Et en effet, ce désir d’une langue et d’un monde perdus vient se doubler, comme pour en afficher la prétention ou l’impasse, d’une ironie et d’un humour de bon ton qui sous-tendent tout le roman. Véritable Janus, René Leys est une œuvre aussi bien tragique… que comique.

29L’humour

30L’humour de René Leys se construit sur deux niveaux. Il existe un socle humoristique commun, accessible à tous, auquel s’ajoute un second palier, un second degré, pensé spécialement pour les lecteurs sinisants.

  • 58 Ibid., p. 93.
  • 59 Ibid., p. 112.
  • 60 Ibid., p. 117.

31Du côté des francophones, un premier jeu consiste à réactiver le lexique en inversant les connotations Est/Ouest. Ainsi Mme Wang, un peu ivre, a-t-elle les » yeux débridés58 » ; et le narrateur, lui, de se sentir « tout d’un coup très seul. Très désoccidenté59 ». Ces « classiques » jeux de mots segaleniens se doublent d’un jeu sur l’onomastique chinoise. Comme celui sur « Pureté Indiscutable », nom donné à la jeune prostituée du « Palais des Délices Temporelles »... Ces jeux linguistiques sont, en outre, renforcés par un art certain pour la caricature. Celle-ci n’épargne personne. Que ce soient les français expatriés, ridicule incarné par le personnage de Jarignoux, dont Segalen ne cesse de souligner les clichés, (je renvoie à sa seconde visite, entrecoupée par les commentaires acerbes du narrateur, page 124 et suivantes) ou les chinois eux-mêmes et leur sens du protocole, raillé explicitement : « Maître Wang ne comprend pas mon essai timide de traduction du mot « imprévu ». Tout comme “impossible“ en français, “imprévu“ ne serait-il pas chinois ? 60 »

  • 61  Ibid., p. 44.
  • 62  Ibid., p. 137. Le 磕 头, ke tou.
  • 63  Ibid., p 197.

32Du côté des franco-sinisants, on peut regrouper un ensemble d’allusions que le texte éclaire à demi, savoureuses surtout pour un public connaisseur de la civilisation chinoise. C’est d’abord la référence, assez explicite ici, aux Eunuques de la Cité : « C’est une autre confrérie, aussi honorable, mais plus fermée. N’entre pas qui veut : on exige d’abord le diplôme. Les fonctions sont toutes restrictives, avec certains amendements61 ». Plus obscure, l’allusion au Ke Tou, « la triple et triple prosternation couchée d’autrefois62 ». Le Ke Tou fait référence à la cérémonie rituelle de prosternation face contre terre, à laquelle devait se soumettre les représentants des pays vassaux, payant leur tribut à la Chine et reconnaissant ainsi l’Empereur comme Fils du Ciel. Ce savoir est nécessaire pour apprécier la chute du paragraphe : « C’est d’un front haut que je passe la Porte ». Notons enfin la référence à Sun Yat Sen, jouant sur une expression française figée, mais réactualisée par le contexte politique chinois : « Je vous ai mis à l’oreille cette Puce cantonaise63 ». Encore faut-il savoir que Sun Yat Sen, originaire du Guangdong (province du sud dont la capitale est Canton) a commencé sa carrière politique en essayant d’organiser des groupes de réformes des chinois exilés à Hong Kong…

33Une ironie généralisée

  • 64  Ibid., p. 91. Je souligne.

34J’aimerais maintenant attirer l’attention sur cette phrase, a priori anodine, page 46 : « Loin de remonter à notre second Empire - (je traduis), madame Wang actuelle, est la troisième Madame Wang, c’est-à-dire ma toute contemporaine…64 ». Or, si on regarde de près les notes et variantes du texte, on s’aperçoit que Segalen propose aussi en marge « je paraphrase ». Ce glissement du je traduis ou je paraphrase me semble, à tout égard, fondamental. En effet, c’est bien là que se trouve l’équivocité du bilinguisme de René Leys De la paraphrase à la parodie, il n’y en en fait qu’un pas, vite franchi par le narrateur.

  • 65  Ibid., p. 103.
  • 66  Ibid., p. 66.
  • 67  Les Cinq Classiques (五 经, Wu Jing) sont : le Livre des Mutations (易  经, Yi Jing), le Livre des Ode (...)
  • 68  Je souligne l’hyperbole.
  • 69  Ibid., p. 46. Je souligne.

35Le texte en substance se présente comme une grande paraphrase parodique du chinois classique. L’emploi de la majuscule de majesté l’illustre bien, d’abord appliquée avec respect à l’Empereur, elle est vite reprise pour désigner René, le faux maître de la Cité interdite, voire même les amis du jeune belge, « Enfin, enfin, Les voilà !65 ». C’est le même principe qui est à l’œuvre dans l’utilisation des parenthèses, censées appuyer le sérieux de la citation, mais qui en souligne aussi l’effet pastiche. D’autre part, les références aux classiques littéraires chinois sont subtilement falsifiées. Comme lorsque le narrateur, fatigué d’entendre les ennuyeuses leçons de Maître Wang, multiplie volontairement par deux le nombre des vertus du Livre des Rites, évoquant « Trente-six vertus obligatoires 66 ». Jeu encore plus savoureux page 92. Décrivant madame Wang, le narrateur reprend parodiquement, par une hyperbole, une référence au Shi Ji, le Livre des Odes, un des Cinq Classiques chinois67 : « “ce poli gras du suif épuré et figé“ (Livre des vers, ode dix millième68». Retenons surtout l’aveu et l’autoparodie qui suivent : « Je suis dix mille fois ridicule à me moquer ainsi ». On a bien affaire en réalité à une auto caricature du je sinologue. « J’ai conscience de mes prouesses : je parlote, je parle- je dis… déjà n’importe quoi 69 ». Phrase programmatique, puisqu’en un mot, le texte, comme René, et comme enfin le narrateur, disent tous n’importe quoi.

36Fausses pistes et faux cryptages pour sinologues avertis : le jeu du burlesque

  • 70  Ibid., p. 61.
  • 71  Dans des expressions communes comme le Palais du Milieu ou le Palais de Derrière. Cette associatio (...)

37Segalen ménage enfin, dans son René Leys, un labyrinthe de fausses pistes destinées à perdre dans ses dédales, dans un formidable pied de nez burlesque, un lecteur sinologue qui se voudrait détective. Car les pistes que le texte suggère sont toutes des impasses. Prenons le premier exemple, l’évocation, assez tôt dans le roman, de la muraille du Palais, appelée sciemment la « Grande Enceinte Interdite 70 ». C’est un premier faux indice, par prolepse. En effet, les sinologues savent bien que l’Impératrice est souvent désignée, par synecdoque (contenant/contenu), par le nom du palais lui-même71. Un lecteur sinisant va donc instinctivement faire le lien entre Cité et Impératrice. Le jeu de mots sur « Enceinte », en français, prépare, quant à lui, dès le départ, l’aberrante révélation finale de René. Tout se passe comme si des allusions étaient progressivement posées pour inciter le lecteur avide de sens, pris dans un vertige de la polysémie et de la connotation, à s’engouffrer volontairement dans ces pièges pourtant à peine suggérés. In fine, c’est le lecteur qui, comme le narrateur face à René, crée lui-même sa propre fable. De la même façon, il n’est pas anodin que Jarignoux travaille au ministère des Voies et des Communications. La Voie, est ici immédiatement entendue dans son sens taoïste ; pour un lecteur sinologue, c’est le Dao, , le chemin d’accès à la connaissance, et non pas les compagnies de chemin de fer ! C’est particulièrement intéressant ici, car la voie est aussi la voix - comme le suggère le mot communication -, la voix du conteur, de la fable…

38Ce faux cryptage piège en réalité le lecteur sinisant dans son propre rapport à la langue chinoise. Il joue, me semble-t-il, sur l’imaginaire collectif que l’Occident s’est forgé sur la Chine, je parle notamment du vieux fantasme sur le sens sacré, quasi magique des Caractères. Or, Segalen, dans un mouvement d’autoparodie, n’a de cesse de briser l’horizon d’attente d’un lecteur féru de chinois et trop attaché au pouvoir du mot, du caractère, pour créer un effet burlesque. Ceci est très net dans la thématique tissée du mot manquant. René Leys est, on le sait, un roman centré sur le vide. Aussi le texte est-il elliptique, troué. Il y manque des mots, et certains sont même interdits, tabous. Le texte ménage donc des vides, qui appellent un plein, celui de la signification. Or ce vide est lui-même vidé de tout contenu sacré. Examinons la page 113, la concubine de René. « Elle est vierge. Elle n’a jamais été… Ici, un verbe chinois délicatement expressif, et qui mêle à l’épanouissance de la fleur toute la défloration des sépales encore tendres qui éclatent. » Le mot manquant est très probablement , mei da kai, non ouverte. La virginité non déflorée de la concubine est donc d’abord évoquée sur le mode poétique, par la métaphore de la femme-fleur. Or, plus loin, page 196, à propos cette fois-ci de l’Impératrice elle-même :

C’est elle qui m’a… Ici, un verbe que je me refuse à noter, purement par décence chinoise. Bien que son usage remonte à la plus haute antiquité, il est surtout connu dans notre français moderne par un emploi tout inverse, et emprunte à Jeanne, la Pucelle d’Orléans, son héroïsme et sa signification conquérante.

  • 72  Sur le burlesque, je renvoie aussi à l’ordination désacralisée de la hiérarchie du Palais proposée (...)
  • 73  Selon Qian Xuanlong, (钱 玄 同) le roman chinois classique ne serait qu’une apologie du sexe et de la (...)

39Par un emploi tout inverse donc, c’est-à-dire burlesque72, le roman déjoue tout hiératisme et réduit le secret du Palais à une vulgaire histoire d’alcôve et d’érotisme de bas étage, véritable cliché de toute la littérature chinoise classique73 ! Fausses pistes et faux cryptage concourent donc à mettre « grandement Dedans », dans un pied de nez grivois et burlesque, les horizons d’attente d’un lecteur sinisant trop attaché …au pied de la lettre !


40Ainsi, le bilinguisme de René Leys, qui semblait fondé a priori sur une logique du même, de l’assimilation, joue en réalité de la distance maximale et de l’écart. C’est un faux bilinguisme qui cherche, dans un grand jeu parodique, à piéger toutes les figures de lecteur.

41Dans un dernier temps, nous allons chercher à dégager les véritables motivations de ce bilinguisme-leurre, ce que j’appelle « usage du faux ». Il s’agit de voir maintenant comment le détour par la Chine sert, en réalité, une remise en question radicale, si ce n’est violente, du romanesque occidental, sous toutes ses formes. Si, à mon sens, René Leys est un texte qui a du « caractère », un texte « orienté », c’est aussi parce que Segalen cherche à y désorienter le roman français, et à lui poser cette question : « Et à l’ouest, rien de nouveau ? »

De l’usage du faux. Le détour par la Chine comme prétexte à une attaque en règle du romanesque français

  • 74  Le 传 奇 小 说, chuan qi xiao shuo, ou la transmission de l’extraordinaire et le 志 怪 小 说, zhi guai xia (...)

42Le jeu du bilinguisme dans René Leys, est, on l’aura compris, avant tout un prétexte, permettant à Segalen de questionner, d’inquiéter et de remettre en question, génériquement, le roman. Nous avons déjà noté que le genre romanesque du côté chinois s’opposait au sérieux du shi, du poème. En choisissant de faire un roman, Segalen se place d’emblée dans une toute autre tonalité que Stèles ; il renoue indirectement avec les traditions romanesques de l’étrange, le Chuanqi et le Zhiguai,74, ces fameuses narrations des Tang et des Ming.

  • 75  OC, ibid., II, Lettre du 3 février 1910, à Shanghai, p. 589.
  • 76 RL, ibid., p. 162.
  • 77 Ibid., p 98
  • 78  Lettre à Ythurbide, ibid., p. 708.
  • 79  RL, ibid., p. 163. Je souligne.
  • 80 OC, II, p. 587-590.

43Du côté du français, il s’agit bel et bien d’une mise à mal de la tradition romanesque. Je reprends ici les analyses de Marie Dollé et de Christian Doumet dans la Préface de notre édition.La correspondance de Segalen est explicite : » Oui, j’étouffe dans le Roman75 », écrit-il dès 1910. Les déboires littéraires des Immémoriaux, présenté et non retenu pour le Goncourt 1907, ne sont en effet pas loin. Segalen, à partir de là, n’aura de cesse de condamner le roman naturaliste, genre pour lui périmé. René Leys est à cet égard explicite : « J’allais dire “mon roman“ si le genre n’était décidément périmé par trente années d’abus et de viols répétés de l’école naturaliste76 ». Autre contre-modèle, le roman exotique « à la Pierre Loti ». Comme avec les Goncourt, Segalen n’est pas tendre avec l’auteur des Derniers jours de Pékin, dont il brocarde les clichés, illustrés par l’ironique expression « les ruines fumantes du Palais d’Eté77 ». Car Loti joue à ses yeux d’un faux exotisme fondé sur des anecdotes superficielles, - ce qu’il appelle la « gélatine Loti78 » ! Segalen-narrateur relaie ainsi Segalen-auteur, avec une certaine virulence : » “Chercheur d’impressions“, ou rédacteur en quête d’une copie, je ne manquerai point de noter les noms bizarres épinglant les saveurs, et les sauces d’un fumet classique, très étudié, très concentré… J’ai mieux à faire79». En effet, dès 1910, Segalen travaille à un essai portant « sur une forme nouvelle du roman ou un nouveau contenu de l’essai 80 ». Il y a urgence. Car le roman français peut se comparer à l’image donnée dans le roman de Yuan Che-K’ai (Yuan Shikai), qui a une jambe bien malade :

  • 81  Ibid., p. 118.

Sa jambe malade… c’est une apocope toute littéraire, un euphémisme. Jambe est ici employé comme figure de rhétorique, à la place de Tête ; la tête, cet organe si important et pourtant si fragile dans l’Histoire ancienne de la Chine, et des Hommes, la tête, cette calebasse pédiculisée toute prête pour le couperet, avec ce trou préparé pour le Poison, la bouche ! Tout ceci intraduisible en jeux de mots chinois ! Il faudra que j’en parle, en bon français, à René Leys. 81

44Pour Segalen, le roman français est un devenu un genre amputé, mutilé ; sa bouche, organe de la parole, donc de la fiction, empoisonnée, ne peut tenter de dire autre chose, « en bon français » qu’en opérant un détour par le symbolisme chinois (la présence du néologisme « pédiculisée » le prouve bien).

  • 82  Henry Bouillier, Correspondance [1912-1919], II, Fayard, 2004, Lettre à Jules Gaultier du 11 janvi (...)
  • 83  Sur le sens du titre et les nombreuses allusions ironiques à la tradition du roman policier frança (...)
  • 84  Henry Bouillier, Correspondance, II, idem, p. 291.

45On a beaucoup glosé sur la qualification générique de cette œuvre, jugée hermétique, cryptée, échappant à la catégorisation. Je n’insiste pas. J’aimerai pour ma part souligner l’effet linguistiquement parodique dece roman » simili-policier de la vie pékinoise82 ». Ces « mystères de Pékin 83 » sont, fondamentalement, je crois, à placer sous le signe du burlesque et de la dérision généralisée. Un défaut de lecture serait, à mon sens, de trop vouloir alourdir de sérieux ce roman (par des réflexions du type texte-palimpseste, par exemple). Le mobile est clair, René Leys est d’abord un défouloir : « ça s’appelle Jardin mystérieux, et ça se vendra honteusement au dixième mille ou bien le public n’est plus le public […]. J’y déverse une fois pour toutes ma gourme d’écrire jamais un roman d’aventures84 ». Et les moyens sont affichés, comme l’illustre la parodie de la fausse note bibliophilique en première de couverture : « Cet ouvrage a paru d’abord en feuilleton dans Le Petit Parisien, du 10 octobre 1915 au 1er avril 1916 ». Relisons, dans une dernière analyse, ce passage de la page 189 :

Donc, j’accuse Dame Long-Yu d’être amoureuse du Fils de prince qu’elle élèverait, après la disparition du Régent, au rang brusque d’Empereur-Consort, accordant durant la vie, à la petite chanteuse toujours vierge, le titre de vingt-cinquième laveuse de linge de nuit de noces et à sa mort, la consécration officielle d’un bel arc de triomphe que l’on réserve aux veuves exemplaires, aux vierges à tout crin, et dont les poteaux, enjambant les carrefours, laissent passer dans leur entrejambe toute la circulation de la rue.

46Il me semble que cet extrait prouve à lui seul la tonalité nouvelle que trouve Segalen dans René Leys. Le germe chinois n’y est mis au service ni d’un travail sur la couleur locale, ni d’un procédé linguistique d’exotisation de la langue. Son mobile, puisqu’il faut bien parler en termes policiers, est une mise à mort bouffonne et burlesque du roman occidental, ici figuré par Dame Long-Yu, prise en flagrant délit de trahison et de manipulations éculées.

  • 85  Propos tenus sur Peintures dans Henry Manceron, Trahison fidèle, correspondance [1907-1918], Paris (...)
  • 86  Henry Bouillier, Correspondance [1893-1912], I, ibid., Lettre à Henry Manceron du 29 mars 1912, p. (...)
  • 87   Henry Manceron, Trahison fidèle, correspondance, ibid., Lettre à Henry Manceron du 23 sept. 1911, (...)

47René Leys, texte palimpseste, texte hermétique ? Plutôtun « Boniment85 », où le détour par la Chine laisse entendre une nouvelle voix,porteuse d’une « puissance ironique et sourde 86 ». Le faux et la contrefaçon permettent d’interroger non pas la vérité mais la valeur de notre rapport au langage, le degré de notre créance, de notre duplicité aussi. Da Nei, deux caractères en exergue, qui répondent au voeu segalenien : « Que tout mot soit double et retentisse profondément87 ». Leur usage permet de poser la question de la lecture. Qu’est-ce que lire ? C’est d’abord apprendre à ne pas être dupe des signes … et de la littérature.

  • 88  Idem, Lettre à Henry Manceron, p. 135.

48 « Évocations crues. Fantasmagories verbales ; - et tout d’un coup l’escamotage et le mur gris88 ». L’ère du soupçon entre le pacte de lecture et d’écriture, est, déjà, avant l’heure, amorcée.


49Faut-il traduire ? Disait-on en commençant. Si c’était faux ? Oui, le bilinguisme du roman joue du faux. C’est bien un montage, une mise en scène créée de toutes pièces.

50Au lecteur d’en faire bon usage, c’est-à-dire d’aborder le texte avec la juste distance ; celle de l’humour et du pastiche, de la parodie et du second degré.

  • 89  In Regards, espaces et signes, colloque organisé par Éliane Formentelli, Paris, l'Asiathèque, 1979 (...)

51Au lecteur de comprendre le bilinguisme comme un jeu symbolique qui laisse « prédominer la Littérature sur la Sinologie », entendu que « la Sinologie, base de tout ceci, et base substantielle et très avérée, ne sera point le but ultime, ni le but, mais le départ 89 ».

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Bibliographie

Cordonnier, Noël, L’expérience de l’œuvre, Champion, Paris, 1996.

Doumet, Christian, Victor Segalen, l’origine et la distance, Seyssel, Champ Vallon, 1993.

Qing, Haiying, Segalen et la Chine, écriture intertextuelle et transculturelle, Paris, L’Harmattan, 2003.

Collectifs

Cahier de l’Herne, Victor Segalen, 1998.

Regards, espaces, signes, Paris, L’Asiathèque, 1979.

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Notes

1  Victor Segalen, René Leys, Paris, Le Livre de poche n°16051, 1999, p. 164. Toutes mes références se rapportent à cette édition, qui sera indiquée RL par la suite.

2  Victor Segalen, Œuvres Complètes, II, édition présentée et établie par Henry Bouillier, Paris, Laffont, 1995, Lettre à Ythurbide, du 1er avril 1913, p. 710. Ouvrage abrégé OC par la suite.

3 RL, ibid., p. 263.

4 Ibid., p. 215.

5  Ancêtre de l’actuel pin yin, le « système EFEO », du nom de l’École Française d’Extrême- Orient, désigne la transcription phonétique du chinois conçue par Séraphin Couvreur en 1902. C’est la romanisation la plus utilisée dans l’aire linguistique française jusqu’au milieu du XXe siècle.

6 Ibid., p. 89. 东华门, Dong Hua Men.Par convention, j’opte pour les caractères simplifiés lorsqu’il s’agit d’idéogrammes et pour une retranscription en pin yin (sauf citation) du chinois sous forme romanisée.

7  OC, II, ibid., Lettre à Ythurbide, p. 710.

8  Haiying Qin, Segalen et la Chine, écriture intertextuelle et transculturelle, Paris, L’Harmattan, 2003, chap. 4 « Le bilinguisme comme procédé ».

9  文言, le wen yan est le nom donné à la langue chinoise classique.

10 RL, ibid., p. 78.

11 Ibid., p. 43.

12  Ibid., p. 184.

13 万岁, wan sui.

14  RL, ibid., p. 80.

15  九 泉

16 天 子, de 天 tian, le cielet 子 zi, le fils.

17  OC, II, ibid., Lettre à Ythurbide,p. 710.

18  RL, ibid., p. 117. Je souligne.

19  Encore une fois, soulignons l’occurrence du mot entendre, à la place de comprendre.

20  Ibid., p. 46.

21 Ibid., p. 88.

22 Ibid., p. 110.

23  OC, II, ibid., Lettre à Ythurbide,p. 710.

24 RL, ibid., p. 198.

25 RL, ibid., p 111. Diables d’étrangers, 洋 鬼 子, traduction littérale du chinois yang (océan, outre-mer) guizi (diable) ; 德 国 人, De guo ren, les Allemands.

26 Ibid., p. 68.

27 Ibid., p. 96. 百家姓.

28  Ibid., p. 133 (佛) : « Au nom de Fô et des chiens de Fô ! Qu’il parle ! Qu’il dise n’importe quoi… »

29  Ibid., p. 107.

30  Ibid., p. 126.

31  C’est d’ailleurs un des ressorts comiques des 相 声, xiang sheng, cette forme d’art théâtral très populaire en Chine, dialogues comiques à deux personnages, reposant en grande partie sur ces jeux d’homophonie.

32  Ibid., p. 142. Ce qui a d’ailleurs contribué à faire du jaune la couleur impériale.

33  Ibid., p. 183.

34  Dans sa première édition de 1912, Stèles, « non commis à la vente », n’a été tiré qu’à quatre-vingt-un exemplaires.

35  Ibid., p. 96.

36  Ibid., p. 41. Je souligne. On sait en effet que le chinois est une langue tonale et qu’un même son, selon l’accent qu’on lui prête, a des graphies et par là même des sens différents.

37 严 复, (1854-1921).

38 梁 启 超, (1859-1935).

39  « 欲 新 一 国 之 民, 不 可 不 先 新 一 国 之 小 说 », yu xin yi guo zhi min, bu ke bu xian xin yi guo zhi xiao shuo.

40 林 纾, (1852-1924).

41 鲁 迅, (1881-1936).

42 新 文 化 运 动 Xin wen hua yun dong. Mouvement qu’exposeront successivement, en 1917, Hu Shi, 胡 适, (1891-1962) dans « Ba bu zhi yi », 八 不 主 义 et Chen Duxiu, 陈 独 秀, (1879-1942) dans « San da zhu yi », 三 大 主 义.

43  Comme l’atteste le grand journal de Shanghai, qui crée un supplément en baihua pour les femmes et les ouvriers : 民 报, le Min Bao.

44  言文一致, yan wen yi zhi, en chinois.

45  Et en 1911 se crée un alphabet phonétique, le fameux Bopomofo ou 注 音 字 母, zhu yin zi mu en chinois, encore en vigueur aujourd’hui à Taiwan.

46 新 青 年, xin qing nian

47  Je souligne.

48  Les 骈 文, pian wen, sont des petits poèmes jouant sur la symétrie, de synonymes, d’antonymes et de paradigmes censés se faire face dans l’architecture du poème.

49 Ibid., p. 195.

50 Ibid., p. 50.

51 Ibid., p. 88.

52 Ibid., p. 182.

53 Ibid., p. 168.

54 Ibid., p. 48.

55 Ibid., p. 167.

56 Ibid., p. 147.

57 Ibid., p. 263.

58 Ibid., p. 93.

59 Ibid., p. 112.

60 Ibid., p. 117.

61  Ibid., p. 44.

62  Ibid., p. 137. Le 磕 头, ke tou.

63  Ibid., p 197.

64  Ibid., p. 91. Je souligne.

65  Ibid., p. 103.

66  Ibid., p. 66.

67  Les Cinq Classiques (五 经, Wu Jing) sont : le Livre des Mutations (易  经, Yi Jing), le Livre des Odes  (诗 经, Shi Jing),  le Livre des Rites (礼 经, Li Jing), le Livre des Documents (书 经, Shu Jing) et les Annales des Printemps et Automnes (春 秋 Chunqiu),  auxquels on ajoute parfois le Livre de la Musique (乐 经 Yue Jing).

68  Je souligne l’hyperbole.

69  Ibid., p. 46. Je souligne.

70  Ibid., p. 61.

71  Dans des expressions communes comme le Palais du Milieu ou le Palais de Derrière. Cette association est probablement née de l’homophonie entre les termes Impératrice 後 hou et 后  hou derrière. On trouve aussi sa trace dans la simplification des caractères qui donne à lire « Impératrice » comme 王后 wang hou.

72  Sur le burlesque, je renvoie aussi à l’ordination désacralisée de la hiérarchie du Palais proposée par Maître Wang : « J’ai très envie de lui demander impoliment quel était le chiffre ordinal de sa première épouse, au Palais : trente-troisième laveuse de vaisselle, ou quatre-vingt quinzième suppléante en expectative d’emploi ? », RL, ibid.,  p. 72.

73  Selon Qian Xuanlong, (钱 玄 同) le roman chinois classique ne serait qu’une apologie du sexe et de la violence : «诲 淫 诲 盗 », hui yin hui dao.

74  Le 传 奇 小 说, chuan qi xiao shuo, ou la transmission de l’extraordinaire et le 志 怪 小 说, zhi guai xiao shuo, les chroniques de l’étrange.

75  OC, ibid., II, Lettre du 3 février 1910, à Shanghai, p. 589.

76 RL, ibid., p. 162.

77 Ibid., p 98

78  Lettre à Ythurbide, ibid., p. 708.

79  RL, ibid., p. 163. Je souligne.

80 OC, II, p. 587-590.

81  Ibid., p. 118.

82  Henry Bouillier, Correspondance [1912-1919], II, Fayard, 2004, Lettre à Jules Gaultier du 11 janvier 1914, p. 291.

83  Sur le sens du titre et les nombreuses allusions ironiques à la tradition du roman policier français, celui de Gaston Leroux et de Ponson du Terrail, je renvoie à la Préface, p. 16 et suivantes.

84  Henry Bouillier, Correspondance, II, idem, p. 291.

85  Propos tenus sur Peintures dans Henry Manceron, Trahison fidèle, correspondance [1907-1918], Paris, Seuil, 1985, Lettre à Henry Manceron du 3 février 1913, p 135.

86  Henry Bouillier, Correspondance [1893-1912], I, ibid., Lettre à Henry Manceron du 29 mars 1912, p. 1262.

87   Henry Manceron, Trahison fidèle, correspondance, ibid., Lettre à Henry Manceron du 23 sept. 1911, p 107.

88  Idem, Lettre à Henry Manceron, p. 135.

89  In Regards, espaces et signes, colloque organisé par Éliane Formentelli, Paris, l'Asiathèque, 1979, texte de Victor Segalen, intitulé « Fragments de Littérature Chinoise », p. 159.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Juliette Salabert, « Faux et usage de faux. Sur le bilinguisme chinois de René Leys »TRANS- [En ligne], 5 | 2008, mis en ligne le 31 janvier 2008, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/221 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.221

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Auteur

Juliette Salabert

Ancienne élève de l’ENS Fontenay-St Cloud, agrégée de Lettres Modernes, ancienne AMN en littérature comparée à Paris III, Juliette Salabert prépare, sous la direction du Professeur Jean Bessière, une thèse portant sur la notion de secret dans le romanesque du début du siècle, 1910-1940, dans les œuvres de Segalen, René Leys, Kafka, Le Château, Gide, Les Faux-monnayeurs et Henry James, Le motif dans le tapis. Elle est diplômée d’une licence de chinois de l’Institut des Langues Orientales de Paris. Elle est membre du comité de lecture et de rédaction de la revue TRANS

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