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Université invitée

Sous la rature, la littérature. L’expérience de la philologie italienne au service de la littérature comparée

Erica Durante

Résumés

Dans l’Italie de la fin des années quarante, Benedetto Croce et Gianfranco Contini ont débattu autour d’une critique des textes littéraires fondée sur l’étude des brouillons des écrivains. Celle qui s’annonçait comme une question de critique littéraire nationale est devenue une interrogation plus générale sur l’écriture, l’étude des œuvres littéraires et a représenté un enrichissement précieux pour l’histoire de la littérature et de la critique littéraire européenne du XXe siècle.

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Texte intégral

  • 1 D’après Florence Callu, ancienne directrice du Département des manuscrits de la Bibliothèque nation (...)
  • 2  Cf. Bernard Cerquiglini, « En écho à Cesare Segre ; réflexion d’un cisalpin », Génésis, no 7, 1995 (...)

1L’Italie est un pays de longue tradition philologique. Contrairement à la France qui s’est investie tardivement dans la conservation systématique des manuscrits d’écrivains, elle possède un trésor inestimable de manuscrits d’auteur qui, depuis Pétrarque et Boccace, atteste des grands moments de son histoire littéraire1. La disponibilité de ces manuscrits a contribué au surgissement d’une tradition illustre de philologues. Depuis l’époque de l’Humanisme et de la Renaissance, jusqu’à l’âge moderne, la philologie a donc participé très rapidement et de manière considérable au développement des études littéraires. Au fil des siècles, elle s’est définie comme une discipline douée d’une spécificité méthodologique, d’une rigueur exemplaire et d’une « élégance professionnelle », qui lui a en particulier été reconnue à l’étranger2.

  • 3  Nous rappelons à ce sujet une observation de Gianfranco Contini : « Quant aux principes de ce que (...)

2Bien que la discipline s’inscrive dans une tradition solide et dans une pratique ancienne et constante, la philologie a connu un grand développement à la période romantique et à l’époque du positivisme. Cependant, si la démarche positiviste a permis d’affiner l’étude de la tradition du texte, par la mise en place d’un stemma codicum de provenance lachmannienne, elle a fait apparaître la discipline comme fonctionnelle et ancillaire, « mécaniciste et pédante ». À l’issue de cette expérience, qui a intéressé l’ensemble de la philologie européenne, le XXe siècle a représenté un moment important de réflexion et de théorisation pour l’avenir de la discipline. En Italie, Michele Barbi et Giorgio Pasquali ont été les pionniers du renouveau de la philologie. Partant de visées distinctes et aboutissant à des résultats eux aussi différents, Barbi, dans le domaine de la philologie italienne, et Pasquali, dans celui de la philologie classique, ont inscrit la philologie dans une perspective culturelle plus large, dans une perspective qui ne s’opposait au lachmannisme que pour en dépasser les limites3.

  • 4  Vittore Branca, Introduzione, in Michele Barbi, La nuova filologia e l’edizione dei nostri scritto (...)
  • 5 GiorgioPasquali, Storia della tradizione e critica del testo, Firenze, Le Monnier, 1934, p. XIV. No (...)

3Leur « nuova filologia italiana » naissait d’une confiance retrouvée dans l’initiative et dans les compétences de l’exégète, réhabilité dans son statut d’éditeur critique ; elle se voulait critique et visait à être une « philologie intégrale et omnicompréhensive, qui n’abandonne jamais le terrain de la documentation la plus vaste et la plus solide, ni l’exercice de la raison la plus vaillante »4. Ces maîtres de la philologie italienne moderne ont opéré une médiation entre les pratiques anciennes et présentes d’une discipline qui, par son historicité, voyage constamment entre deux dimensions temporelles : le passé des témoins sur lesquels elle fonde son analyse, (dans le cas des philologies classique et romane) et le présent de l’écriture qu’elle restaure dans sa genèse (dans le cas de la philologie moderne, dite « philologie des textes d’auteur »). Dans cette Italie partagée entre l’école de Croce et la montée du fascisme, les philologues ont agi en véritables avant-gardistes. Partout, dans les universités, les revues, et jusque dans les écoles, la pensée de Croce s’était imposée et avait monopolisé l’essor culturel du pays, encore aux prises avec la résolution des problèmes intérieurs qui remontaient à l’unité nationale obtenue en 1861. La critique littéraire se situait dans une perspective d’interprétation esthétique des textes qu’elle étudiait en tant qu’expression de l’« intuition lyrique de l’Esprit ». Le « sentiment », la « beauté » étaient les seuls critères admis dans l’analyse textuelle, la structure de l’œuvre représentant la « non-poésie », ce que l’esprit n’avait pas su rendre lyrique et donc digne de la définition de « poésie ». Le terme de « philologie » avait été déformé en « philologisme », qui témoigne du regard porté par Croce sur la critique textuelle, considérée comme une satisfaction éphémère de la libido sciendi, excessivement technique, mécanique et précieuse. Par leurs réflexions et leurs travaux, Barbi et Pasquali, chacun dans son domaine de recherche, sont parvenus à assurer une place à la philologie à l’intérieur du système universitaire, l’ont convertie en discipline d’enseignement et ont proposé aux maisons d’éditions des collections d’éditions critiques. Cette nouvelle philologie se proposait comme lien possible entre les diverses sciences de l’esprit, les Geisteswissenschaften, en vue de forger un seul et multiple outil de recherche, au service du texte et de l’analyse du travail de création de l’auteur. C’est ainsi que le changement des modes de l’enquête philologique a entraîné en Italie une rencontre et un rassemblement de toutes ces disciplines qui avaient été jusqu’alors trop cloisonnées dans la spécificité de leurs recherches. Tout au long du siècle, grâce à des chercheurs tels que Barbi et Pasquali, suivis de Avalle, Contini, D. De Robertis, Roncaglia et Segre, la philologie, les sciences du langage, la paléographie, l’étude des archives, l’histoire et la sociologie de la littérature ont pris ensemble conscience de l’existence de « problèmes qui doivent souvent être affrontés en même temps, par des méthodes dérivées de diverses disciplines »5.

  • 6  L’édition des Frammenti autografi dell’Orlando Furioso, publiée en 1937 par Santorre Debenedetti, (...)
  • 7  Pour une première approche de la personnalité et de la production de Gianfranco Contini (1912-1990 (...)
  • 8  Nous reprenons ici la formulation de Vittore Branca, La filologia, in Vittore Branca et Jean Staro (...)

4À ce renouveau participe également la critique des variantes ou variantistica, contemporaine de la « nuova filologia ». En 1937, pendant que Barbi fournit ses contributions majeures sur l’étude d’auteurs avec variantes, paraissent l’édition des Frammenti autografi dell’Orlando furioso de Santorre Debenedetti6 et l’article Come lavorava l’Ariosto, de Gianfranco Contini7. La variantistica est apparue comme « la filiation directe et renouvelée de la “nouvelle philologie” »8, et s’est posée à son tour comme une alternative critique, plus que comme une opposition révolte, de l’esthétique idéaliste de Croce. Beaucoup plus complète et éclairante qu’on ne l’imaginait, elle a éclairci des interprétations courantes et des œuvres et a reconsidéré certaines notions et catégories propres à la pensée de Croce, en particulier les concepts de « poésie et non poésie », de « structure », qu’il a introduits dans le débat d’une manière propositive et constructive.

  • 9  Rappelons, à ce propos, ce que dit Cesare Segre : « Contini n’a pas “inventé” la critique des vari (...)
  • 10  Sur le concept de « système » que Contini doit à la linguistique structurale, voir Implicazioni le (...)
  • 11  Nous reprenons ici l’affirmation de Contini : « On ne peut être fidèle à Croce qu’à condition de l (...)
  • 12  « tagliare il cordone ombelicale che collegava lui, e le due precedenti generazioni, al grande pen (...)

5Gianfranco Contini, le théoricien de la critique des variantes9, a ainsi incarné le rôle idéal du philologue, tel qu’il avait été esquissé par les deux pionniers de la critique textuelle italienne moderne. Sans nier l’établissement d’un appareil critique des variantes, sur lequel il s’est sans cesse appuyé, Contini a poussé la constatation philologique à la maturité du jugement critique, en considérant chaque variante à l’intérieur d’un « système » plus complexe, celui de l’œuvre dans sa totalité10, et cela, en se tenant à la devise médiévale du totum est prius partibus. C’est ainsi qu’il a marié critique et philologie, histoire de la tradition et histoire de la rédaction, époque « crociana » et époque « post-crociana », sans pour autant passer par une réaction « anti-crociana », en accordant à l’analyse des variantes le statut d’une étude proprement critique et non pas esthétique11. Son but n’était pas de « couper le cordon ombilical qui le liait, lui et les deux générations précédentes, à [ce] grand penseur [qu’était Croce] ». Ce qui explique qu’il ait « préféré l’étiquette de réformateur à celle d’hérétique »12.

  • 13  « dalle correzioni ariostesche e petrarchesche […], dai saggi su Leopardi, su Manzoni, su De Sanct (...)

6Ses recherches qui se sont étendues « des corrections de l’Arioste et de Pétrarque […], des essais sur Leopardi, Manzoni, De Sanctis, Pascoli, Mallarmé, Serra et Proust, jusqu’à la présentation de la Cognizione [del dolore de C. E. Gadda], [en passant par le] chapitre très ample qu’il a consacré à l’œuvre de Dante »13, ont fait de lui l’un des plus grands maîtres critiques de notre temps. Sa capacité inégalable à détecter dans chaque écrivain la « description caractérisante » de sa poétique, ce qui le rend unique, dans la manière d’organiser sa matière linguistique, a fait en sorte que son travail de philologue rejoigne parfois l’intuition du critique idéaliste, comme pour le cas du chef-d’œuvre de l’Arioste, que Contini, comme Croce, a défini comme le poème de l’harmonie.

  • 14  « una perenne approssimazione al “valore” », Gianfranco Contini, Come lavorava l’Ariosto, in Merid (...)
  • 15  « sbaraglia l’“artista” », Gianfranco Contini, Saggio alle correzioni del Petrarca volgare, Firenz (...)
  • 16  « quale opera umana o lavoro in fieri, [dont elle] tende a rappresentarne drammaticamente la vita (...)

7Loin de rechercher ce mouvement originel de l’âme revendiqué par les esthétiques du « sentimento » de Croce et de l’« etymon spirituel » de la Stilkritik, la critique des variantes a évacué tout jugement de valeur en se donnant pour objet d’étude l’« auscultation ininterrompue des textes ». Au lieu de classer a priori les œuvres littéraires selon les catégories de « poésie et non poésie », la variantistica de Contini a conçu le texte comme « une approche perpétuelle de la “valeur” »14 et l’a étudié du point de vue du « producteur », en écartant les interprétations par intuition. Elle a privilégié l’analyse de l’« acte poétique » et s’est tournée vers le poète qui « déroute l’“artiste” »15, tandis que son regard dynamique sur l’écriture l’a amenée à considérer le texte « en tant qu’œuvre humaine ou travail in fieri, [dont elle] vise à représenter dramatiquement la vie dialectique »16. L’étude des variantes a avant tout introduit une autre idée de l’art, où ce n’était plus l’esprit qui, à l’apogée de son parcours spirituel, recevait l’illumination fulgurante de la poésie, mais le travail ininterrompu de l’écriture, réalisé avec la précision et la conséquence rigide des mathématiques, qui aboutissait, après un long « état d’attente », au passage victorieux du « non-être poétique à l’être ».

  • 17  « nell’interno incomunicabile di un’opera d’arte e dell’arte in genere », Giuseppe De Robertis, «  (...)
  • 18  « come elemento di giudizio […], come parte attiva d’una dialettica », Giuseppe De Robertis, « Nel (...)

8Le grand essor de la philologie dans les années vingt et trente n’a guère découragé les tons anti-philologiques de Benedetto Croce. Lorsqu’en 1946, Giuseppe De Robertis publiait « Nel segreto del libro » la confrontation était ouverte. Il s’agissait d’un bref article sur cette partie cachée de l’écriture qui coïncide avec le moment de sa naissance, dans lequel De Robertis soulignait le sens et la valeur d’une lecture à « l’intérieur incommunicable de l’œuvre d’art et de l’art en général »17. Une lecture menée à travers les ébauches des auteurs, « élément[s] de jugement […] comme part active d’une dialectique »18. Conscient du succès de la nouvelle méthodologie et des conséquences critiques qu’impliquerait l’importance croissante qu’on attachait à la genèse des textes, Croce n’a pas résisté à la tentation de rappeler la suprématie de son école. Et cela d’autant plus qu’il craignait une perte d’influence sur les poètes hermétiques italiens, se revendiquant des symbolistes français et semblant orienter l’attention des critiques sur l’acte poétique plutôt que sur le texte achevé. Deux mois après la publication de « Nel segreto del libro », la réponse ne se faisait pas attendre. C’était une réponse dure, formulée dans l’article « Illusioni sulla genesi delle opere d’arte documentata dagli scartafacci degli scrittori », dont le titre témoignait ouvertement de l’aversion de l’école idéaliste contre la variantistica.

  • 19  « incapaci di cogliere con la meditazione i rapporti della vita dello spirito e […] [che] consider (...)
  • 20  Gianfranco Contini, La parte di Benedetto Croce nella cultura italiana, cit., p. XI.

9Fidèle à sa doctrine poétique n’admettant qu’une genèse idéale de l’œuvre, Croce excluait l’hypothèse de pouvoir conduire une analyse littéraire à partir de l’étude de la genèse scripturale et accusait De Robertis, d’abord, et Contini ensuite, de fonder leurs commentaires sur un produit inachevé et brut, sur les « scartafacci », les paperasses des auteurs. Les manuscrits des écrivains n’avaient à ses yeux aucun droit de cité, aucun statut ne pouvait leur être accordé dans le cadre d’une critique littéraire sérieuse et documentée. Les brouillons manuscrits n’étaient pour Croce qu’un simple mémento pour l’écrivain, un moyen d’arrêter sur la feuille une idée qui vient d’ éclore pour la dérober au passage du temps. Dans cette optique, la démarche de la variantistica lui apparaissait prétentieuse, illusoire, voire dérisoire. Cependant, les objections et les revendications de Croce ne visaient pas uniquement la critique des variantes. Contrairement aux précédents « débats », cette fois-ci, les enjeux étaient bien plus importants, puisque non seulement il était question de contrecarrer les fondements théoriques de la critique des variantes, mais encore il s’agissait de discuter les modèles poétiques de cette méthodologie appliquée à la littérature, que Croce faisait remonter aux « décadents », « incapables de saisir par la méditation, les mécanismes de la vie de l’esprit et […][qui] considèrent la poésie comme quelque chose qui se fabrique avec la raison et le calcul »19. La querelle initiale a donc vite dépassé la simple confrontation de méthodes critiques et, dans ses moments les plus tendus, a franchi les frontières de l’histoire littéraire italienne jusqu’à émettre des avis sur un courant poétique, celui des poètes symbolistes, les « têtes de turc », les « bêtes noires » de la critique idéaliste20.

10Très souvent, plutôt qu’un acte d’accusation à l’égard de la variantistica, le « débat » a consisté en un procès contre les soi-disant « décadents » et, en particulier, contre les deux auteurs les plus représentatifs, dans leur continuité, de ce mouvement : Stéphane Mallarmé et Paul Valéry :

  • 21  « […] la generale disistima per il cosiddetto “decadentismo” ed il sostanziale disinteresse per tu (...)

 […] la mésestime générale envers le soi-disant « décadentisme » et le peu d’intérêt démontré à l’égard de tout ce qui ne rentre point dans le « système-encyclopédie » fondé par Croce, ont fini par aplatir légèrement les termes du problème, en déclenchant toute une série de confusions entre des données très diverses, telles que la « critique stylistique », les théories sur l’art de Mallarmé et de Valéry, et le « formalisme » critique en général21.

  • 22  « la cosiddetta critica stilistica […] conforme a questa sorta di vacua poesia […] nata nella odie (...)

11Aux yeux de Croce, le lien entre « poésie pure » et « critique pure » était devenu indissociable à partir du moment où les hommes de lettres et les artistes s’étaient essayés à la critique et à l’histoire littéraire et avaient banni les philosophes d’un domaine qui leur appartenait depuis les temps d’Aristote. Mallarmé et Valéry, critiques et théoriciens de leur propre poésie, participaient d’après Croce à ce mouvement de littérateurs engagés dans la « soi-disant critique stylistique […] conforme à cette sorte de poésie vide […], qui dérive de la poésie d’aujourd’hui et de l’art décadent »22. Nourrie de « fausse » poésie, cette critique était, elle aussi, symptomatique d’une « maladie » que l’esprit avait contractée à l’époque du romantisme et que les décadents avaient exacerbée jusqu’à atteindre :

  • 23  « il vuoto del sentimento, o per lo meno l’estrema sua povertà, l’impartecipazione a tutta la pass (...)

le sentiment vide, ou sa pauvreté extrême, l’indifférence à toute cette passion que les hommes portent dans leur cœur. [Et] ce vide ne se comble point : leurs comportements restent étrangers à notre âme, qui, elle, est à la recherche d’autres âmes et non pas d’alignements et de combinaisons de sons. Leur poésie n’est faite ni de mots ni de musique, puisque même les tons musicaux possèdent un caractère spirituel et constituent des mots-images du sentiment23.

12Ainsi, Croce utilisait la variantistica, qui avait servi de prétexte à une condamnation contre la « pseudopoésie », pour mener une critique plus vaste contre l’ensemble de la société de l’époque. Une société qu’il accusait d’être à son tour

  • 24  « dell’irrazionalismo, della mancanza di ogni guida in una fede religiosa, di ogni fiducia nella l (...)

irrationnelle, désorientée du point de vue de sa foi religieuse, sans aucune confiance dans la liberté, proche de l’abrutissement, de l’animalité et de la bestialité, autrement dit, imbibée de toute cette charge inhumaine qui tourmente le monde entier et qui a célébré son orgie sanglante au cours de la dernière guerre24.

13Mais comment expliquer le déplacement de l’objet même du « débat », qui de la philologie devint la poésie ? Il semble parfois que Croce soit entré dans la discussion afin de renouveler à la fois son dédain pour une époque tombée dans la perversion et sa mésestime vis-à-vis des poétiques de Mallarmé et de Valéry. Ces deux auteurs que Contini avait proclamés les exempla d’une recherche illimitée, inconditionnée et inachevable de la parole, d’une poésie qui est le produit de la réflexion langagière et d’une volonté délibérée de l’écrivain, ne pouvaient qu’être rejetés par Croce, dont le credo esthétique excluait toute forme de poésie qui ne fût que création de la fantaisie, acte théorétique étranger au fait physique :

  • 25  « il Mallarmé e il suo figlio spirituale Valéry, entrambi poverissimi di intelletto, – anche il se (...)

Mallarmé et son fils spirituel, Valéry, les deux intellectuellement très pauvres – même le deuxième, dont jamais je n’ai pu comprendre comment et pourquoi il est devenu un penseur célèbre – ; les deux héroïques, mais aussi adversaires comiques du génie et de l’inspiration, prêcheurs de rationalisme aride et de calcul froid ; les deux étrangers et indifférents à la vie civile et politique de leur temps […], l’un et l’autre – et peut-être mieux le premier – doués de pessimisme désolé et de sensualité tragique, ils trouveront leur place dans l’histoire de la poésie, dans laquelle, au-delà de nombreuses choses pénibles et insignifiantes, ils ont introduit quelques-unes de leurs heureuses notes lyriques25.

  • 26  Entre 1946 et 1949, pendant les années du « débat », en plus de plusieurs textes autour du mouveme (...)
  • 27  Avalle fait référence à Mallarmé et à Valéry en termes de junctura, et unit les noms des deux poèt (...)
  • 28  Nullo Minissi, « Le correzioni e la critica », Belfagor, III, 1948, p. 94-97.

14Plusieurs remarques féroces de ce genre s’accumulent dans les écrits de Croce de ces années, tandis que, les noms de Poe, D’Annunzio et Gozzano reviennent dans des pages nuancées de cruauté26 et côtoient ceux de Mallarmé et Valéry, nommés comme une seule junctura etqui, paradoxalement, semblent devenir les fils conducteurs de ces trois années de « débat »27. Contre ces équivoques autour de la variantistica qui risquaient de rallier de nouveaux partisans, il s’imposait qu’un manifeste de la nouvelle « critique des corrections », pour reprendre l’expression employée par Nullo Minissi, un jeune adepte de Croce, soit rédigé pour exposer en guise d’ultimatum la doctrine de la nouvelle méthodologie critique28.

  • 29  Gianfranco Contini, La critica degli scartafacci, in La Rassegna d’Italia, III, 1948, p. 1048-1056 (...)
  • 30  « l’opera è qualcosa che non è fatto ma si fa », Ibid., p. 10. Nous traduisons.
  • 31  « Assoluto [qui est] (il Poema unico) », Ibid. Nous traduisons.

15Gianfranco Contini fut l’auteur de cette réponse. Son texte, La critica degli scartafacci29, qui reprenait le terme employé par Croce pour désigner la démarche philologique, demeure aujourd’hui la pierre angulaire de la philologie d’auteur, la théorisation la plus solide de la variantistica, le point de vue à la fois le plus conciliant et le plus audacieux à l’égard de la critique de Croce. Tout en reprenant les termes du « débat » et les points clés de sa méthode, dans sa réponse, Contini n’a pas manqué d’affronter une des questions les plus délicates de la discussion : la convocation de Mallarmé et Valéry en tant que modèles poétiques de la critique des variantes. Las des commentaires malveillants des idéalistes, le philologue a confirmé son choix de désigner Mallarmé et Valéry comme prototypes du « producteur » en poésie. Il a insisté sur la notion d’œuvre comme « quelque chose qui n’est pas fait, mais qui se fait »30 et sur l’idée que les expériences de Mallarmé et de Valéry, quoique différentes, visaient, toutes deux, l’éloignement du casuel et la « production du nécessaire » en vue de cet « Absolu [qui est] (LE Poème unique) »31.

  • 32  Rappelons qu’à l’époque du « débat » Contini-Croce, Paul Valéry venait à peine de mourir.

16Mais pourquoi avoir choisi conjointement ces deux poètes ? Quel a été l’intérêt de se tourner vers la littérature française et, qui plus est, à un moment récent de cette histoire littéraire pour chercher des prédécesseurs32 ? Pour quelle raison Contini, qui pourtant avait étudié la genèse de l’Orlando Furioso, les autographes du Canzoniere de Pétrarque ou les « paperoles » proustiennes n’a-t-il pas plutôt fait appel à ces autres écrivains qui avaient également témoigné d’une création et d’une production critique intense ?

  • 33  Nous rappellerons à ce propos que dans les années 1970, la critique génétique française, fondée en (...)

17Le retour de la part de la critique des variantes à Mallarmé et à Valéry pour légitimer son approche de la littérature peut trouver une explication dans le fait que l’œuvre de ces deux poètes, en comparaison avec celle d’autres auteurs tout aussi impliqués dans la démarche philologique, présente une cohésion conceptuelle rare33. L’attention qu’ils portent à la création poétique est loin d’être un fait épisodique et perdure dans la totalité de leur production. Ni Pétrarque ni l’Arioste n’avaient abouti à une théorie systématisée de l’activité créatrice, bien que leurs autographes manuscrits révèlent la conscience d’une recherche poétique au travers de l’écriture tout aussi constante et déterminée que celle de Mallarmé ou de Valéry. Leopardi et Foscolo, pourtant sensibles aux problèmes rédactionnels, n’avaient pas réellement entrepris une théorisation poétique de cette ampleur, ni une telle systématisation conceptuelle de leur création.

18De la part de Contini, la référence à ces deux poètes français, dont les noms ont très souvent été joints et prononcés d’une même voix, comme s’ils ne formaient qu’un seul mot, n’était donc pas une nostalgie anachronique, mais une reconnaissance perspicace de leur apport et de l’affinité de leur intense recherche poétique. Ils figuraient une « métaphore » de l’acte poétique : voici comment la critique des variantes les avait entendus, et comment elle aurait souhaité qu’ils soient reçus :

  • 34  « quella di Mallarmé-Valéry, come di qualsiasi altro produttore, era semplicemente una metafora, c (...)

La référence à Mallarmé-Valéry était simplement une métaphore, comme aurait pu l’être le renvoi à tout autre producteur. Je croyais que la métaphore de ce rappel du fait poétique à l’acte serait facile à comprendre : il ne s’agissait aucunement ni d’autobiographie […], ce qui aurait été indécent, ni d’une profession absurde de foi esthétique, ce qui aurait été ridicule34.

  • 35  « una poesia di cui coloro che il mondo ha onorati del nome di poeti avrebbero avuto tutt’al più q (...)

19C’est essentiellement une Poétique et non pas une Méthodologie critique qui a poussé les variantistes à se tourner vers une poésie très récente qui, venant de France, était tout de même proche de la tradition culturelle italienne de l’époque. En se référant à l’intérêt poïétique de leur œuvre, Contini pensait à la conception moderne que Mallarmé, Valéry et la saison symboliste avaient introduite dans la culture littéraire et artistique du XXsiècle. Et c’est justement dans cette pensée non avouée, que résidait la véritable raison de la polémique avec Croce. Répondre à Croce en convoquant Mallarmé et Valéry signifiait non seulement légitimer une rupture en termes de méthode, mais aussi légitimer la rupture, le renouveau de la poésie italienne récente. Croce était effrayé par cette poésie, de même qu’il était épouvanté par la nouvelle démarche de la variantistica. Le fait que Contini fasse référence à Mallarmé et à Valéry a sans doute suscité chez lui une accusation encore plus déterminée, dans la mesure où cela comportait, comme condition nécessaire, la diffusion en Italie d’une poésie qui non seulement était étrangère, mais encore qui rompait avec les schémas de son esthétique de la littérature. Croce lui-même avait défini le « phénomène Mallarmé » comme l’annonce d’une poésie très différente, dans sa substance, par rapport à la tradition, « une poésie qui a pu, tout au plus, traverser l’esprit de ceux qui ont été honorés du titre de poètes […] qui, dans son essence, est absolument différente de la poésie en tant que telle »35.

  • 36  Benedetto Croce, La cosiddetta critica stilistica, in Letture di poeti e riflessioni sulla teoria (...)
  • 37  Paul Valéry, Existence du symbolisme, in Œuvres, édition établie et annotée par Jean Hytier, Paris (...)

20L’inclusion de Mallarmé et Valéry, en tant que modèles poétiques d’une nouvelle méthodologie philologique, faisait de ces auteurs les emblèmes d’une revendication littéraire face à la pratique de l’activité critique que Croce avait réservée exclusivement aux philosophes36. Le cadre proprement esthétique du « débat » était à nouveau dépassé. Les symbolistes français avaient introduit, dans les habitudes d’écriture et de lecture, un changement qui supposait une démarche spirituelle tout à fait distincte de celle des idéalistes. Peu importe que Croce ait qualifié ce nouveau « sentiment » de « vide » ou de « pauvre ». De façon paradoxale, il a convergé avec Valéry dans la perception du symbolisme comme une éthique plutôt que comme une esthétique, comme « un état d’esprit et des choses de l’esprit le plus opposé à celui qui r[é]gn[ait] et même qui gouvern[ait] » dans les années 188037.

  • 38  « impotenza nel soggetto, [et de la] gratuità nell’oggetto (un lancio di dadi jamais n’abolira le (...)
  • 39  « definitivo e inamovibile, mai provveduto d’immutabile necessità », Ibid. Nous traduisons.
  • 40  « il “fatto” fossile, naturalisticamente inteso, la lettera immutabile, il testo in sé, il sacro b (...)
  • 41  Paul Valéry, Première leçon du Cours de poétique, in Œuvres, cit., t. I, p. 1343.

21La variantistica a fait partie des disciplines qui ont contribué à rendre le XXe siècle sensible aux processus de genèse des textes littéraires. Symptôme et prélude d’un élan prochain de la culture italienne, elle a dévoilé des modèles intellectuels que la philosophie idéaliste avait momentanément destitués. À l’action déstabilisante des deux conflits mondiaux, la critique des variantes a répondu par une mise en cause de la conscience artistique et de la finitude de l’œuvre. Elle a aboli les certitudes sur lesquelles se fondait « l’esthétique de l’expression » et a transposé dans la lecture du texte la précarité de l’individu d’après-guerre. Mallarmé et Valéry incarnent cette recherche inachevable et ce mécontentement intellectuel qui suscitent, dans la poésie moderne, une inquiétude constante. Le défi de la création qui a occupé leurs existences les a rendus conscients de l’« impuissance du sujet [et de la] gratuité de l’objet (un coup de dés jamais n’abolira le hasard) »38, et leur a surtout appris que le labeur scriptural n’est jamais « définitif et inamovible ; il n’est jamais pourvu de nécessité immuable »39. Et ceci dans la mesure où ils ont démoli la notion d’immobilité de l’objet artistique, conçu comme « un “fait” fossile – au sens naturaliste du terme –, comme le texte lui-même, la lettre immuable, le bien sacré qui demeure »40 et où ils ont considéré « avec plus de complaisance, et même avec plus de passion, l’action qui fait, que la chose faite »41.

  • 42  Nous renvoyons, en particulier, aux contributions récentes de Maria Teresa Giaveri et de Louis Hay (...)

22Au croisement entre histoire littéraire européenne et histoire de la critique littéraire, le « débat » italien autour des manuscrits des écrivains s’est avéré utile non seulement en termes de renouveau méthodologique, mais aussi en termes esthétiques et poétiques. Il a montré comment, pour définir une méthodologie d’étude des textes littéraires au sens large, il a été nécessaire de sortir du cadre de la littérature nationale et de porter un regard comparé sur les auteurs et leurs différentes pratiques d’écriture. Les générations de chercheurs ayant succédé à Contini se sont attachées à récupérer d’innombrables textes. Ils ont ainsi contribué à la définition d’un canon d’auteurs européens tout en continuant de faire évoluer les enjeux théoriques de la philologie. Une discipline qui est loin d’épuiser ses ressources comme le montrent l’essor relativement récent de la critique génétique française ou les résultats précieux des études de littérature comparée qui s’inscrivent dans une démarche philologique42.

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Bibliographie

Antonelli, Roberto, 1985, Interpretazione e critica del testo, in Letteratura italiana, textes réunis et présentés par Asor Rosa, Alberto, Torino, Einaudi, IV, p. 141-200.

Cerquiglini, Bernard, 1989, Éloge de la variante. Histoire critique de la philologie, Paris, Éditions du Seuil.

Contini, Gianfranco, 1936,La poesia. Introduzione alla critica e storia della poesia e della letteratura, Bari, Laterza.

—,1972, Altri esercizî(1942-1971), Torino, Einaudi.

—, 1988,Ultimi esercizî ed elzevirî, Torino, Einaudi.

Segre, Cesare, 1969, I segni e la critica. Fra strutturalismo e semiologia, Torino, Einaudi.

Stussi, Alfredo,La critica del testo, Bologna, Il Mulino, 1985.

— (éd.), Fondamenti di critica testuale, Bologna, Il Mulino, 1998.

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Notes

1 D’après Florence Callu, ancienne directrice du Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, de ce versant des Alpes, « l’intérêt pour les manuscrits d’auteurs est né tardivement. À partir du XVIIIe siècle, quelques écrivains comme Diderot ou Jean-Jacques Rousseau ont pressenti l’intérêt que gardait le manuscrit de l’œuvre après l’impression. Mais il [a fallu] attendre le XIXe siècle pour voir cette attitude se confirmer avant de se généraliser au XXe siècle » ; Florence Callu, Les collections parisiennes, in Les sentiers de la création. Traces, trajectoires, modèles, textes réunis et présentés par Maria Teresa Giaveri et Almuth Grésillon, Reggio Emilia, Diabasis, p. 77-87. En effet, c’est après que Lamartine et Victor Hugo inaugurent la pratique de conservation du manuscrit d’auteur, par le legs de leurs autographes, que d’autres écrivains, ou leurs héritiers, commencent à faire don à la Bibliothèque nationale de leur œuvre manuscrite. Sur les rapports entre philologie italienne et critique génétique française, voir aussi Maria Teresa Giaveri, « La critique génétique en Italie : Contini, Croce et l’étude des paperasses », Génésis, no 3, 1993, p. 9-29 ; Cesare Segre, « Critique des variantes et critique génétique », Génésis, no 7, 1995, p. 29-45 ; Genesi, critica, edizione, Atti del convegno internazionale di studi (Scuola Normale Superiore di Pisa, 11-13 aprile 1996), textes réunis et présentés par Paolo D’Iorio et Nathalie Ferrand, in Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, Serie IV, Quaderni, 1, Pisa, 1998.

2  Cf. Bernard Cerquiglini, « En écho à Cesare Segre ; réflexion d’un cisalpin », Génésis, no 7, 1995, p. 47.

3  Nous rappelons à ce sujet une observation de Gianfranco Contini : « Quant aux principes de ce que l’on appelé […] de manière emblématique, le lachmannisme, on a assisté au [XIXe siècle] et pendant la première moitié du siècle successif, à une œuvre de raffinement, de réécriture et de révision qui fait que l’on puisse parler d’antilachmannisme (principalement Joseph Bédier et dom Quentin), de postlachmannisme (c’est le cas de Giorgio Pasquali et, d’une certaine façon, de Michele Barbi) et, pourquoi pas, de néolachmannisme (pour une partie des romanistes italiens) ». « Sui principî di quello che fu chiamato lachmannismo […] e emblematicamente, è seguitata a svolgersi nel secolo e mezzo successivo quell’opera di raffinamento, reazione e revisione per cui si può anche parlare di antilachmannismo (principalemente Joseph Bédier e dom Quentin), postlachmannismo (così Giorgio Pasquali e in certo modo Michele Barbi) e, perché no ?, neolachmannismo (parte della romanistica italiana) », Gianfranco Contini, Breviario di ecdotica, Torino, Einaudi, 1990, p. 7.Nous traduisons. Sur la méthode de Karl Lachmann, voir Sebastiano Timpanaro, La genesi del metodo del Lachmann, Padova, Liviana, 1985 et Giovanni Fiesoli, La genesi del lachmannismo, Firenze, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2000. Sur Bédier, voir en particulier, Gianfranco Contini, « Ricordo di Joseph Bédier », Letteratura, III, 1939, p. 145-152, réimpr. in Gianfranco Contini, Esercizî di lettura sopra autori contemporanei con un’appendice su testi non contemporanei, Torino, Einaudi, 1974, p. 358-371.

4  Vittore Branca, Introduzione, in Michele Barbi, La nuova filologia e l’edizione dei nostri scrittori da Dante a Manzoni, Firenze, Le Lettere, 1994, (reproduction anastique de la première édition, Firenze, Sansoni, 1938),p. 8. Nous traduisons.

5 GiorgioPasquali, Storia della tradizione e critica del testo, Firenze, Le Monnier, 1934, p. XIV. Nous traduisons. Sur cet ouvrage, voir le compte rendu de Gianfranco Contini in Archivum romanicum, XIX, 1935, p. 330-340, réimpr. dans la revue Filologia e critica (Su/per Gianfranco Contini), XV, II-III, 1990, p. 347-362. Sur Pasquali, voir les essais de Sebastiano Timpanaro et de Gianfranco Folena, in Letteratura italiana. I critici, cit. vol. III, p. 1803-1833.

6  L’édition des Frammenti autografi dell’Orlando Furioso, publiée en 1937 par Santorre Debenedetti, aux éditions Chiantore de Turin, a succédé à l’édition Ludovico Ariosto, Orlando Furioso, par Santorre Debenedetti, Bari, Laterza, 1928. Pour une biobibliographie de Santorre Debenedetti (1878-1948), voir Cesare Segre, Santorre Debenedetti, in Letteratura italiana. I critici, Milano, Marzorati, 1976, vol. IV, p. 2645-2664.

7  Pour une première approche de la personnalité et de la production de Gianfranco Contini (1912-1990), voir Giorgio Petrocchi, Gianfranco Contini, in Letteratura Italiana. I critici, cit., vol. V, p. 3801-3817 et Dante Isella, Contini e la critica delle varianti, in Filologia e critica (Su/per Gianfranco Contini), cit., p. 281-297. Le public français ne connaît actuellement qu’une partie exigüe de l’œuvre de Contini, en particulier, l’édition des Rime de Guido Cavalcanti (Paris, Tallone, 1968), l’article Dante et la mémoire poétique, paru dans la revue Poétique, n° 27 (1976), et l’anthologie de contes surréels modernes, Italia Magica, comprenant des textes de Moravia, Landolfi, Palazzeschi et Baldini, traduite par Hélène Breuleux, Paris, Phébus, 1991.

8  Nous reprenons ici la formulation de Vittore Branca, La filologia, in Vittore Branca et Jean Starobinski, La filologia e la critica letteraria, Milano, Rizzoli, 1977, p. 82-83.

9  Rappelons, à ce propos, ce que dit Cesare Segre : « Contini n’a pas “inventé” la critique des variantes. Il représente le point d’aboutissement d’un travail séculaire, auquel il a fourni pourtant ses justifications théoriques », Cesare Segre, « Critique des variantes et critique génétique », cit., p. 33.

10  Sur le concept de « système » que Contini doit à la linguistique structurale, voir Implicazioni leopardiane, in Gianfranco Contini, Varianti e altra linguistica. Una raccolta di saggi (1938-1968), Torino, Einaudi, 1970, p. 41-52. Sur l’évolution de la notion de « système », voir Cesare Segre, Sistema e strutture nelle « Soledades » di A. Machado, in I segni e la critica. Fra strutturalismo e semiologia, Torino, Einaudi, 1969, p. 95-134.

11  Nous reprenons ici l’affirmation de Contini : « On ne peut être fidèle à Croce qu’à condition de le dépasser, de même que, selon Croce, on ne peut être hégélien sans être post-hégélien » (« Il solo modo di essere crociani è di essere postcrociani, come, per il Croce stesso, il solo modo di essere hegeliano è di essere post-hegeliano »), Gianfranco Contini, La parte di Benedetto Croce nella cultura italiana, Torino, Einaudi, 1972, p. 52 (écrit en 1951, l’essai fut publié pour la première fois en 1966 dans la revue L’Approdo letterario, octobre-décembre 1966, sous le titre L’influenza culturale di Benedetto Croce). Nous traduisons. Nous citerons à ce propos un ouvrage d’intérêt capital pour cette question, intitulé Riuscire postcrociani senza essere anticrociani. Gianfranco Contini e gli studi letterari del secondo Novecento. Atti del convegno di studio (Napoli, 2-4 dicembre 2002), textes réunis et présentés par Angelo R. Pupino, Firenze, Edizioni del Galluzzo, 2004. Nous signalons en particulier les contributions de Dante della Terza (Contini e Croce, p. 113-124), de Franco Gavazzeni (Critica [delle varianti] e filologia [come ecdotica] in Gianfranco Contini, p. 139-156) et de Cesare Segre (Contini, Croce e la critica degli scartafacci, p. 297-304).

12  « tagliare il cordone ombelicale che collegava lui, e le due precedenti generazioni, al grande pensatore, e preferì l’etichetta di riformatore a quella di eretico », Cesare Segre, Contini, Croce e la critica degli scartafacci, cit., p. 304.

13  « dalle correzioni ariostesche e petrarchesche […], dai saggi su Leopardi, su Manzoni, su De Sanctis, su Pascoli, su Mallarmé, su Serra, su Proust, sino alla […] presentazione della Cognizione [del dolore], e [à l’]amplissimo capitolo dedicato all’opera di Dante », Giorgio Petrocchi, Gianfranco Contini, in Letteratura italiana. I critici, cit., vol. V, p. 3810. Nous traduisons.

14  « una perenne approssimazione al “valore” », Gianfranco Contini, Come lavorava l’Ariosto, in Meridiano di Roma, 18 luglio 1937, réimpr. in Esercizî di lettura sopra autori contemporanei, cit., p. 233. Nous traduisons.

15  « sbaraglia l’“artista” », Gianfranco Contini, Saggio alle correzioni del Petrarca volgare, Firenze, Sansoni, 1943, p. 10. Nous traduisons.

16  « quale opera umana o lavoro in fieri, [dont elle] tende a rappresentarne drammaticamente la vita dialettica », Gianfranco Contini, Come lavorava l’Ariosto, cit., p. 233. Nous traduisons.

17  « nell’interno incomunicabile di un’opera d’arte e dell’arte in genere », Giuseppe De Robertis, « Nel segreto del libro », Risorgimento liberale, 22 septembre 1946, réimpr. in Primi studi manzoniani e altre cose, Firenze, Le Monnier, 1949, p. 100. Sur la production critique de De Robertis, voir Felice Del Beccaro, Giuseppe De Robertis, in Letteratura italiana. I critici, cit., vol. III, p. 2329-2357, puis, la bibliographie, p. 2359-2360.

18  « come elemento di giudizio […], come parte attiva d’una dialettica », Giuseppe De Robertis, « Nel segreto del libro », cit., p. 103.

19  « incapaci di cogliere con la meditazione i rapporti della vita dello spirito e […] [che] considerano la poesia come qualcosa che si fabbrica raziocinando e calcolando », Benedetto Croce, Illusioni sulla genesi delle opere d’arte documentata dagli scartafacci degli scrittori, Quaderni della critica, n° 9, nov. 1947, p. 94. Nous traduisons.

20  Gianfranco Contini, La parte di Benedetto Croce nella cultura italiana, cit., p. XI.

21  « […] la generale disistima per il cosiddetto “decadentismo” ed il sostanziale disinteresse per tutto ciò che non rientra nel “sistema-enciclopedia” fondato da Croce, hanno finito con l’appiattire leggermente i termini del problema e provocare tutta una serie di confusioni fra dati assai diversi gli uni dagli altri, quali la “critica stilistica”, le teorie sull’arte di Mallarmé e di Valéry ed in genere il ‘formalismo’ critico” », d’Arco Silvio Avalle, L’analisi letteraria in Italia. Formalismo, strutturalismo, semiologia, Milano-Napoli, Ricciardi, 1970, p. 17. Nous traduisons.

22  « la cosiddetta critica stilistica […] conforme a questa sorta di vacua poesia […] nata nella odierna poesia e arte decadente », Benedetto Croce, La cosiddetta « critica stilistica » in Letture di poeti e riflessioni sulla teoria e la critica della poesia, Bari, Laterza, 1950, p. 269. Nous traduisons.

23  « il vuoto del sentimento, o per lo meno l’estrema sua povertà, l’impartecipazione a tutta la passione che gli uomini hanno nel loro cuore di uomini. [Et] il vuoto non si colma, e i loro componimenti restano estranei all’anima nostra, che cerca altre anime e non allineamenti e combinazioni di suoni che parole non sono e non sono neppure musica, perché anche i toni musicali posseggono carattere spirituale e sono parole-immagini di sentimenti », Ibid., p. 249-250. Nous traduisons.

24  « dell’irrazionalismo, della mancanza di ogni guida in una fede religiosa, di ogni fiducia nella libertà, della tendenza all’istupidimento, all’animalità e bestialità, e, insomma, alla disumanità, che travaglia il mondo intero e che ha celebrato la sua orgia sanguinosa nell’ultima guerra », Ibid., p. 254. Nous traduisons.

25  « il Mallarmé e il suo figlio spirituale Valéry, entrambi poverissimi di intelletto, – anche il secondo, che non ho mai compreso come e perché sia asceso a fama di pensatore –, entrambi eroici ma altresì comici avversari del genio e dell’ispirazione, e predicatori di arido razionalismo e di freddo calcolo, entrambi estranei e indifferenti alla vita civile e politica del loro tempo […] e, in fatto di poesia poetata, l’uno e l’altro, e meglio forse il primo, col desolato pessimismo di triste e tragica sensualità, avranno il loro posto nella storia della poesia nella quale hanno messo, di là delle molte loro cose faticose e insignificanti, qualche loro propria e felice nota lirica », Ibid., p. 252. Nous traduisons.

26  Entre 1946 et 1949, pendant les années du « débat », en plus de plusieurs textes autour du mouvement symboliste et de la « poésie pure » (La cosiddetta critica stilistica, 1946 ; La « poesia pura », 1947 ; Uso e abuso del concetto di « simbolo » nel giudizio della poesia, 1948 ; Il segreto di Mallarmé, 1949 ; L’arte pura nella arti figurative,1949), Croce a consacré divers essais ou paragraphes d’articles à Poe (Intorno ai saggi del Poe sulla poesia, 1947) et à la poésie italienne contemporaine : D’Annunzio, Pascoli, Di Giacomo, apparaissent souvent dans les passages les plus polémiques contre la nouvelle littérature italienne. Guido Gozzano et Francesco Gaeta qui, selon Croce, étaient apparentés à la « poésie hermétique » d’influence française, sont référencés dans le sixième volume de la série Letteratura della Nuova Italia, Bari, Laterza, 1940.

27  Avalle fait référence à Mallarmé et à Valéry en termes de junctura, et unit les noms des deux poètes par un trait d’union, cf. d’Arco Silvio Avalle, L’analisi letteraria in Italia. Formalismo, strutturalismo, semiologia, cit., p. 19.

28  Nullo Minissi, « Le correzioni e la critica », Belfagor, III, 1948, p. 94-97.

29  Gianfranco Contini, La critica degli scartafacci, in La Rassegna d’Italia, III, 1948, p. 1048-1056, réimpr. in La critica degli scartafacci e altre pagine sparse, con un ricordo di Aurelio Roncaglia, Pisa, Scuola Normale Superiore, 1992, p. 1-32.

30  « l’opera è qualcosa che non è fatto ma si fa », Ibid., p. 10. Nous traduisons.

31  « Assoluto [qui est] (il Poema unico) », Ibid. Nous traduisons.

32  Rappelons qu’à l’époque du « débat » Contini-Croce, Paul Valéry venait à peine de mourir.

33  Nous rappellerons à ce propos que dans les années 1970, la critique génétique française, fondée environ trente ans après l’expérience de la variantistica, a considéré Paul Valéry comme l’un de ses précurseurs majeurs et a repris nombreuses affirmations de cet auteur au moment de légitimer certains de ses fondements théoriques et de ses enjeux critiques. Voir, à ce propos, Maria Teresa Giaveri, « Faire un poème est un poème : Paul Valéry e la critica genetica », Micromégas, no 2-3, 1983, p. 173-183 et Judith Robinson-Valéry, « Valéry, précurseur de la génétique », Génésis, n° 5, 1993, p. 89-98.

34  « quella di Mallarmé-Valéry, come di qualsiasi altro produttore, era semplicemente una metafora, che m’illudevo di facile comprensibilità, di codesto richiamo dal fatto all’atto : non era né autobiografia […], che sarebbe stato poco decente, né balorda professione di fede estetica, che sarebbe stato da ridere », Gianfranco Contini, La critica degli scartafacci, cit., p. 11. Nous traduisons.

35  « una poesia di cui coloro che il mondo ha onorati del nome di poeti avrebbero avuto tutt’al più qualche lampeggiamento […] che sarebbe cosa intrinsecamente diversa dalla poesia », Benedetto Croce, Mallarmé, in Poesia e non poesia. Note sulla letteratura europea del secolo decimonono, Bari, Laterza, 1955, p. 327. Nous traduisons.

36  Benedetto Croce, La cosiddetta critica stilistica, in Letture di poeti e riflessioni sulla teoria e la critica della poesia, cit., p. 243.

37  Paul Valéry, Existence du symbolisme, in Œuvres, édition établie et annotée par Jean Hytier, Paris, Gallimard, 1957, cit., t. I, p. 706.

38  « impotenza nel soggetto, [et de la] gratuità nell’oggetto (un lancio di dadi jamais n’abolira le hasard) », Gianfranco Contini, La critica degli scartafacci, cit., p. 10. Nous traduisons.

39  « definitivo e inamovibile, mai provveduto d’immutabile necessità », Ibid. Nous traduisons.

40  « il “fatto” fossile, naturalisticamente inteso, la lettera immutabile, il testo in sé, il sacro bene che non sfugge », Ibid., p. 13. Nous traduisons.

41  Paul Valéry, Première leçon du Cours de poétique, in Œuvres, cit., t. I, p. 1343.

42  Nous renvoyons, en particulier, aux contributions récentes de Maria Teresa Giaveri et de Louis Hay, respectivement : Comparatistica e genetica testuale, in Comparatismi e Filosofia, Atti del Convegno(Naples, 12-14 mai 2004), textes réunis par Maria Donzelli, [à paraître] ; La Letteratura comparata fra tradizioni e prospezioni, in Le Letterature comparate : metodi e obiettivi, Atti del Convegno Internazionale (Naples, 4-5 décembre 1998), Istituto Universitario Orientale, [à paraître].

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Pour citer cet article

Référence électronique

Erica Durante, « Sous la rature, la littérature. L’expérience de la philologie italienne au service de la littérature comparée »TRANS- [En ligne], 2 | 2006, mis en ligne le 22 juin 2006, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/171 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.171

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Auteur

Erica Durante

Docteur en Littérature Générale et Comparée de l’université Paris III et de l’université « L’Orientale » de Naples, Erica Durante a soutenu en 2004 une thèse intitulée « Questions de poétique. La voix de Dante dans l’écriture de Valéry et de Borges » [à paraître aux Editions Honoré Champion]. Ses travaux ont porté essentiellement sur des auteurs français (Mallarmé, Valéry, Gautier, Gide) anglophones (Poe), italiens (Dante en particulier) et hispanophones (Borges, Darío, Guillén), avec des compétences historiques (domaine médiéval, au sens large, XIXe siècle et époque contemporaine) et des intérêts méthodologiques divers (poétique, génétique, intertextualité)

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Droits d’auteur

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