Navigation – Plan du site

AccueilPublications associéesSéminaires2017Des copies originales (N° 22 | 2017)Traduction et transfiguration : v...En guise de postface. Les préquel...

2017
Des copies originales (N° 22 | 2017)
Traduction et transfiguration : voir, lire, traduire

En guise de postface. Les préquelles des enfants : questions d’origine dans une série et ses novellisations

Claudine Le Blanc

Résumés

Très en vogue parmi les produits dérivés des séries télévisées, les préquelles bouleversent l’ordre de l’original et de la copie, non seulement parce qu’elles proposent une action antérieure à celle de l’œuvre première, mais aussi parce qu’elles s’inscrivent dans une structure régressive que donne à voir de façon exemplaire la série Twin Peaks. Alors qu’on use volontiers du modèle de la traduction pour penser la production transmédiatique, les constellations constituées par les séries télévisées, les livres et les sites internet qui leur sont attachés, invitent ainsi à envisager comme mythologie les notions d’origine et d’original sur lesquelles se fonde la pratique occidentale moderne de la traduction, et qu’elle contribue en retour à fonder.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Cette définition est celle de Jan Baetens dans « De l’image à l’écrit : la novellisation, un genre (...)

1Le champ des relations entre cinéma (et séries) et littérature (roman, mais pas seulement) offre de nombreux cas d’opérations perturbant l’ordre chronologique que suppose la notion traditionnelle d’original où c’est l’antériorité qui fonde l’authenticité : ainsi des romans étant écrits d’emblée en fonction de leur adaptation cinématographique ou réécrits après celle-ci ; ou des films servant de référence pour la traduction des romans dont ils sont l’adaptation. Mais au sein même du procédé dit de novellisation (ou novélisation), procédé qui, comme son nom d’origine anglaise le laisse entendre, consiste en la « transposition [sous forme de roman] d’un film ou d’un scénario original1 », l’ordre n’est pas toujours simple.

2Bien qu’elle ne soit pas la seule à faire preuve d’une vertigineuse virtuosité dans un genre marqué par une grande réflexivité, la célèbre série télévisée Twin Peaks donne à voir un jeu avec l’original et l’origine assez exceptionnel, et c’est la raison pour laquelle nous nous fonderons sur elle pour lancer quelques pistes conclusives. Plus qu’une série télévisée, l’expression Twin Peaks dénote en effet un ensemble de produits culturels liés entre eux, en un complexe de « copies originales » qui ressortit à la télévision, au cinéma mais aussi à l’industrie du livre.

La constellation2 Twin Peaks

  • 2 Le terme est emprunté à Anne Besson, Constellations. Des mondes fictionnels dans l’imaginaire conte (...)
  • 3 Pour une étude approfondie de la série, voir notamment, dans une abondante bibliographie où, selon (...)
  • 4 Elle est de nouveau diffusée en France en 2000 sur 13e Rue, et en 2011 et 2013 sur Arte.
  • 5 L’analyse proposée ici ne tient pas compte de cette troisième saison, diffusée en France à partir d (...)

3Au point de départ, on trouve une série américaine en deux saisons (de sept et vingt-deux épisodes), Twin Peaks, créée par Mark Frost et David Lynch et diffusée pour la première fois sur la chaîne ABC du 8 avril 1990 au 10 juin 19913. La série raconte l’enquête menée par l’agent spécial du FBI Dale Cooper pour résoudre le meurtre d’une jeune lycéenne, Laura Palmer, dans la ville imaginaire de Twin Peaks située dans l’État réel de Washington. Les droits sont achetés par Silvio Berlusconi pour l’Europe entière, et la série est diffusée en France d’avril à septembre 1991 sur La Cinq, sous le titre Mystères à Twin Peaks (calqué sur le titre italien I segreti di Twin Peaks) ; elle est rediffusée sous son titre original, Twin Peaks, en juillet 1994 sur Canal Jimmy, puis pour la première fois en version originale sous-titrée en 1997 sur Série Club4. Après plus de vingt-cinq ans, une troisième saison de dix-huit épisodes, intégralement tournés par David Lynch, est programmée sur la chaîne américaine Showtime à partir de mai 20175. Il s’agit donc d’une série originale diffusée internationalement comme il est courant pour les produits des industries culturelles américaines, riche de développements potentiels, selon le principe même de la série.

  • 6 Néologisme en anglais (apparaissant pour la première fois en 1958 dans un article d'Anthony Boucher (...)

4En 1992 sort un film, tourné après la première diffusion de la série, intitulé Twin Peaks : Fire Walk with Me. Signé par David Lynch, le film raconte les sept derniers jours de la vie de Laura Palmer et constitue ce qu’on appelle une préquelle6. Dans la mesure où Lynch est, depuis le succès d’Elephant Man en 1980, un cinéaste reconnu qui s’est également distingué comme musicien, photographe et peintre, le film tend toutefois à être intégré à la filmographie de Lynch plutôt qu’à la constellation des produits dérivés de la série.

5Deux novellisations sont enfin parues sous copyright Twin Peaks Productions, Inc., dans des collections de poche (Pocket Books). Ce sont également des préquelles. Intitulé The Secret Diary of Laura Palmer (1990) / Le Journal secret de Laura Palmer (trad. Philippe Rouard, Presses Pocket, 1990), le premier se présente sous la forme du journal tenu par Laura Palmer de 1984, année où, à l’occasion de son douzième anniversaire, elle a reçu le carnet sur lequel elle se met à écrire, jusqu’à sa mort en 1989. La dernière page est datée du 31 octobre, or elle est morte le 23 février : nous reviendrons sur cette incohérence. The Aubiography of FBI Special Agent Dale Cooper. My Life, My Tapes (1991) / L’Autobiographie de l’agent très spécial Dale Cooper : ma vie, mes enregistrements tels que Scott Frost les écouta (trad. Annick Bauduin, Presses Pocket, 1991) propose de son côté les enregistrements faits par le jeune Dale Cooper depuis le jour de Noël 1967 où il a reçu en cadeau l’enregistreur (il a alors treize ans), jusqu’au 24 février 1989, où il annonce qu’il est appelé pour le meurtre d’une jeune femme à Twin Peaks.

  • 7 La perspective de la troisième saison a relancé la production de produits dérivés : sont parus à l’ (...)

6On compte aussi un carnet d’enquête manuscrit de Dale Cooper réalisé par la chaîne télé Bravo, Bravo Diaries ; un livre audio « Diane... » - The Twin Peaks Tapes of Agent Cooper (Simon & Schuster Audio), ainsi que divers produits non autorisés, et des sites internet (le site officiel aussi bien que des sites privés, car les amateurs ont vite été partie prenante dans la production de commentaires parfois fictionnalisés)7. Ce sont les deux livres toutefois qui retiendront principalement notre attention, car d’emblée, ils perturbent l’idée de « produits dérivés », issus d’un simple passage transmédiatique de l’image à l’écrit.

Antériorité des seconds : logique des préquelles

  • 8 Art. cit., p. 17.
  • 9 Novellisations et préquelles sont des cas exemplaires de ce que Richard Saint-Gelais nomme fictionn (...)

7On notera d’abord qu’ils sont parus en même temps que la série était diffusée, et même, dans le cas de la traduction française du journal de Laura Palmer, avant la diffusion française : comme le rappelle Jan Baetens, la novellisation (qui existe, rappelle-t-il, depuis les débuts du cinéma), n’est pas symétrique de l’adaptation d’une œuvre littéraire au grand ou petit écran, et c’est la raison pour laquelle elle « offre l’occasion de rompre avec l’étude des rapports entre cinéma et littérature en termes d’adaptation8 ». Elle ne relève pas en effet à proprement parler du passage d’un média à un autre, mais du développement d’une étape du scénario. Qu’il s’agisse de l’idée initiale ou de ce que J. Baetens appelle la « continuité dialoguée », l’élément originel se situe en deçà de l’« œuvre originale », laquelle apparaît dès lors toujours seconde. Au modèle de l’œuvre originale et des copies, il convient alors de substituer une arborescence à partir d’un avant-œuvre, un noyau, pour filer la métaphore horticole9.

8Parce que les deux novellisations sont en outre des préquelles, c’est-à-dire des œuvres littéraires, théâtrales, filmiques ou vidéoludiques dont l’histoire (la diégèse) précède celle de l’œuvre première, des œuvres-analepses donc, elles se trouvent tout entières commandées par un principe de remontée du temps, jusqu’à l’origine : l’adolescence de Laura Palmer, celle de Dale Cooper. Les préquelles imposent en effet un ordre des choses qui abolit l’irréversibilité et la non-contradiction : plus on avance, plus on recule. L’arborescence est celle de racines.

  • 10 Il faut noter la rupture énonciative entre le titre et le sous-titre dans The Aubiography of FBI Sp (...)

9En ce sens, ces deux œuvres sont originales parce qu’originelles, et il est remarquable que ces « copies originales » semblent dans leur forme issues de la série même. À la différence d’un troisième ouvrage, Twin Peaks: An Access Guide to the Town, paru également chez Pocket Books en 1991, sans nom d’auteur, ces journaux de personnages ont un énonciateur diégétique, et le texte lui-même appartient à la diégèse : le journal intime de Laura dont les dernières pages sont données comme déchirées, intervient dans la série. Les couvertures des volumes contribuent de leur côté à consacrer comme auteur le personnage, ou la série elle-même : le nom de la série apparaît à la place du nom de l’auteur (en haut pour The Autobiography, en bas pour Le Journal) ; la mise en page (du nom de Laura Palmer) et la police de caractères (pour le nom de Dale Cooper) renforcent la position auctoriale que confère chaque titre au personnage10. L’impression est renforcée en quatrième de couverture par la mention éditoriale « Former eagle scout… DC brings us his autobiography », où Dale Cooper apparaît comme une personne réelle, dont le récit a été transcrit par un tiers, comme le précise la page de titre : « As heard by Scott Frost ». Dans la traduction française du Journal, on peut lire à la page 6 : « Ce livre met en scène les personnages inventés par David Lynch et Mark Frost pour la série TV Twin Peaks » ; l’auteur est également escamoté.

  • 11 La différence est moindre en apparence dans la série, puisque les acteurs Kyle MacLachlan et Sheryl (...)

10Mais ces novellisations sont aussi œuvres originales en ce qu’elles créent de l’inédit : en mettant en parallèle deux adolescents non contemporains l’un de l’autre, éloignés d’une génération – l’un né en 1954 pourrait quasiment être le père de l’autre, née en 197211 –, elles les réinventent en duo de jeunes gens contemporains, alors qu’ils ne sont jamais rencontrés, la mort de l’une ayant été nécessaire pour faire venir l’autre. Là repose une explication possible du prolongement de la vie de Laura dans le Journal, mais cette interprétation met en jeu la psyché réelle d’un auteur, dont il faut maintenant parler.

  • 12 Est-ce un hasard ? La date de naissance de Scott Frost n’est jamais indiquée dans les articles et s (...)
  • 13 Voir par exemple la préface de David Lynch à la réédition du Journal en 2011 chez Gallery Books : « (...)

11Ces deux récits jumeaux remontant aux origines d’une série qui est elle-même doublement portée par un mouvement de retour à l’origine (selon la logique de l’enquête policière qui fait retour sur le crime, mais aussi en raison de la nature du crime, incestueux, marqué par la confusion des générations, des géniteurs et des enfants), sont en effet l’œuvre respective de la fille de David Lynch, Jennifer Lynch, et du frère de Mark Frost, Scott Frost, noms qui apparaissent sur la page de titre du Journal et dans la mention « As heard by Scott Frost » pour l’Autobiography, mais sans que soit explicité le lien familial. Les préquelles sont ainsi préquelles des enfants (la fille, le frère semble-t-il cadet12), œuvres paradoxales de ceux qui suivent (ceux qui relèvent plutôt des séquelles), mais qui restent ici fixés sur le temps d’avant, une enfance-adolescence qui ne passe pas (on notera que le père de Mark Frost, l’acteur Warren Frost, joue également dans la série un rôle de père, Dr. Hayward). La signature par la fille de Lynch d’une fiction mettant en scène le personnage paternel de fille abusée par son père accroît pour le lecteur qui l’a identifiée l’effet de vertige suscité par la série, mais elle participe plus généralement du vaste jeu avec l’origine qui caractérise toute la constellation Twin Peaks, jusqu’à la provocation, où il est laissé au lecteur/spectateur le soin de trancher – ou non – entre sérieux et parodie13.

  • 14 Op. cit., p. 147.

12À la confusion de l’original et de la copie – présente déjà dans la série où les épisodes que Lynch n’a pas réalisés n’en ont pas moins un style lynchien –, et à celle de l’antérieur et de l’ultérieur se combine ainsi l’entremêlement de la vie réelle et de sa représentation qu’affiche de façon programmatique le titre double de l’autobiographie de Dale Cooper, My Life, My Tapes, lequel semble moins annoncer la vie et les enregistrements du personnage que ses enregistrements comme raison d’être, cœur créatif de son existence, sur le modèle de l’expression « sa vie, son œuvre ». Dale Cooper est d’ailleurs montré tout au long de la série en train de parler au dictaphone à une « Diane » invisible, qui fait au début de la quatrième partie de The Autobiography une brève apparition en tant que secrétaire, aussitôt censurée « for reasons of security14 ». La « réalité » cède vite la place à son double.

Traduction, régression et sacré

  • 15 Op. cit., p. 10. La version française est à cet égard plus suggestive que le texte anglais : « she (...)
  • 16 Avant qu’il ne soit réédité en 2011 par Gallery Books. La traduction française est quant à elle tou (...)

13La démultiplication des dédoublements dans la bien nommée Twin Peaks exhibe l’origine et l’occulte à la fois, au risque de faire disparaître les filiations, voire la constellation : à l’instar du film Twin Peaks : Fire Walk with Me, le livre The Autobiography of FBI Special Agent Dale Cooper est souvent cité de façon autonome comme le premier roman de l’écrivain Scott Frost. La traduction s’inscrit dans la continuité de ce phénomène, puisque les préquelles en traduction ajoutent une strate dans l’effacement des instances auctoriales : le traducteur français du Journal est nommé en page 6 seulement. La quatrième de couverture présente en revanche la préquelle comme un « complément indispensable du feuilleton télévisé », donnant « les indices essentiels pour découvrir le meurtrier ». Il est vrai que le livre est paru entre deux saisons aux États-Unis, et a précédé la diffusion de la série en France : il pouvait alors jouer un rôle indiciaire. Mais l’argument renseigne aussi sur la nature de l’ouvrage car, à la différence de ce qui se passe dans un récit d’énigme classique, le double sens ne se résout pas avec la fin du récit, mais à la vision d’une production autre, la série, de la même façon que le propre de la traduction est de renvoyer à un texte premier, qu’il existe ou non. Ainsi, la notation de Laura au tout début du Journal, lorsqu’elle reçoit un poney de son père sans que sa mère ait été mise au courant (« elle a dit à papa qu’il était un fameux cachottier15 »), ne peut-elle être saisie dans son ambivalence que par un public d’initiés, les spectateurs de la série qui ont fait le succès de l’ouvrage – et l’ont épuisé16.

  • 17 Citons par exemple la mention par Windom Earle dans le 27e épisode de maléfiques dugpa dont la théo (...)
  • 18 On pourra consulter par exemple les avis des internautes sur The Secret History of Twin Peaks: A No (...)

14Si la constellation Twin Peaks renoue ainsi avec un fonctionnement initiatique et sacré, ce dernier n’est cependant ni religieux, ni textuel. Imitant une dynamique spirituelle tout en la démontant – il faut noter la place occupée dans le syncrétisme de Twin Peaks par ces « copies originales » des doctrines religieuses indiennes que sont les reformulations occidentales17 –, Twin Peaks institue une « origine » de l’ordre du trou noir, attirant tout, mais vide, puisque c’est une puissance qui s’avère toujours plus ésotérique et surnaturelle de saison en saison, d’épisode en épisode, de produit dérivé en produit dérivé, qui est à l’œuvre dans le déploiement du mal. Le secret, promis de façon récurrente par les titres : I segreti di Twin Peaks, The Secret Diary of Laura Palmer, The Secret History of Twin Peaks : A Novel, n’est jamais définitivement livré, d’où, chez les spectateurs/lecteurs, un comportement d’addiction, mais aussi l’expression d’une frustration18. Si l’affinité de l’univers des séries avec les prequels plus que les sequels (de même qu’avec le paranormal) s’explique sans doute par la structure imaginaire profonde de la série, qui instaure une sérialité régressive, sans issue possible autre qu’une scène de crime primitive, fantasmatique, l’originalité paradoxale de la série Twin Peaks est d’exhiber en le surjouant ce fonctionnement, au risque de se condamner elle-même : après avoir connu un grand succès en un moment peu favorable, alors que les images en continu de la Guerre du Golfe concurrençaient celles des fictions, la seconde saison qui développait l’occulte et le surnaturel s’est vite essoufflée.

  • 19 Palimpsestes, Paris, éditions du Seuil, 1982, p. 242.
  • 20 Ibid., p. 293 sqq.
  • 21 Tout en posant que la traduction est la forme de transposition « la plus voyante, et à coup sûr la (...)
  • 22 Voir les travaux récents sur ce qu’on appelle la fan fiction, notamment Karen Hellekson, Kristina B (...)
  • 23 Le fonctionnement d’internet rejoint ce que dit Lawrence Venuti des pratiques de traduction américa (...)

15Il faudrait dès lors se demander ce que nous apprennent ces préquelles de série en ce qui concerne la traduction, dont elles ne relèvent a priori pas. Les unes comme l’autre, dans sa conception courante du moins, postulent une vérité antérieure et cachée, approchée par la réitération de l’acte narratif ou traductif, mais fondamentalement inaccessible. En plongeant le spectateur/lecteur dans les affres de ces représentations, la constellation Twin Peaks invite à sortir du paradigme originel, à renverser l’usage métaphorique de la notion de traduction (intersémiotique, etc.) et à se demander si, à l’inverse, il ne conviendrait pas de repenser la traduction – distinguée de façon exceptionnelle à partir du XIXe siècle en tant que processus interlinguistique – comme un cas particulier d’opération de génération d’un texte. Une possibilité serait alors de revenir à la terminologie genettienne, tant pour la traduction que pour la préquelle, qui constitue un cas d’imitation sérieuse que Genette dans Palimpsestes nomme « continuation analeptique19 ». Mais le petit nombre d’exemples cités (les Chants cypriens qui remontent aux « causes premières » de la guerre de Troie), par comparaison avec les innombrables suites ou continuations (d’un récit inachevé), aussi bien que le traitement de la traduction dans Palimpsestes comme simple transposition d’« un texte d’une langue dans une autre20 » posant des problèmes bien connus21, invitent plutôt à reprendre l’analyse à nouveaux frais. Le nombre de ce qu’on appelle aujourd’hui, dans les industries culturelles, préquelle, suggère en effet un nouveau paradigme, lié sans doute au développement de nouveaux médias et à la prolifération de lecteurs-auteurs22, mais aussi, plus précisément, au succès de représentations qui, dans un monde du tout-traduction23, du tout-illusion, du tout-double (« My Life, My Tapes »), manifestent en l’exploitant le deuil infini, tragi-comique, de l’origine/al.

Haut de page

Bibliographie

Bibliographie

Twin Peaks: An Access Guide to the Town, New York, Pocket Books, 1991.

Baetens, Jan, « De l’image à l’écrit : la novellisation, un genre mineur ? », Le français aujourd’hui 2009/2 (n° 165), p. 17-25.

Besson, Anne, Constellations. Des mondes fictionnels dans l’imaginaire contemporain, Paris, CNRS Éditions, 2015.

Frost, Scott, The Aubiography of FBI Special Agent Dale Cooper. My Life, My Tapes, New York, Pocket Books, 1991 / L’Autobiographie de l’agent très spécial Dale Cooper : ma vie, mes enregistrements tels que Scott Frost les écouta, trad. Annick Bauduin, Presses Pocket, 1991.

Frost, Mark, The Secret History of Twin Peaks: A Novel, New York, Flatiron Books, 2016 / L’Histoire secrète de Twin Peaks, trad. Éric Betsch, Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon, 2016.

Genette, Gérard, Palimpsestes, Paris, éditions du Seuil, 1982.

Hellekson, Karen, Busse, Kristina (éds), The Fan Fiction Studies Reader, Iowa City, University of Iowa Press, 2014.

Lynch, Jennifer, The Secret Diary of Laura Palmer, New York, Pocket Books, 1990 / Le Journal secret de Laura Palmer, trad. Philippe Rouard, Presses Pocket, 1990.

Saint-Gelais, Richard, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, éditions du Seuil, « Poétique », 2011.

Venuti, Lawrence, The Translator’s Invisibility : A History of Translation, New York, Routledge, 1995.

Haut de page

Notes

1 Cette définition est celle de Jan Baetens dans « De l’image à l’écrit : la novellisation, un genre mineur ? », Le français aujourd’hui 2009/2 (n° 165), p. 17-25. C’est moi qui souligne « original ».

2 Le terme est emprunté à Anne Besson, Constellations. Des mondes fictionnels dans l’imaginaire contemporain, Paris, CNRS Éditions, 2015.

3 Pour une étude approfondie de la série, voir notamment, dans une abondante bibliographie où, selon le principe même de la constellation (auquel la présente réflexion ne prétend pas tout à fait échapper), ne se distinguent pas toujours essais critiques et contributions d’amateurs : David Lavery (éd.), Full of Secrets : Critical Approaches to Twin Peaks, Wayne State University Press, 1995 ; Guy Astic, Twin Peaks. Les laboratoires de David Lynch, Pertuis, Rouge Profond, coll. « Raccords », 2005 ; Pacôme Thiellement, La main gauche de David Lynch, Puf, 2010 ; Marisa C. Hayes, Franck Boulègue (éds), Fan Phenomena. Twin Peaks, Bristol, Intellect Books, 2013 ; Brad Dukes, Reflections: An Oral History of Twin Peaks, Nashville, short/Tall Press, 2014 ; John Thorne, The Essential Wrapped In Plastic. Pathways to Twin Peaks, John Thorne, 2016 (qui reprend les articles du magazine Wrapped In Plastic parus depuis treize ans) ; H. Perry Horton (éd.), Between Two Worlds : Perspectives on Twin Peaks, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2016 ; Franck Boulègue, Twin Peaks: Unwrapping the Plastic, Bristol, Intellect Books, 2016.

4 Elle est de nouveau diffusée en France en 2000 sur 13e Rue, et en 2011 et 2013 sur Arte.

5 L’analyse proposée ici ne tient pas compte de cette troisième saison, diffusée en France à partir de juillet 2017 sur Canal+.

6 Néologisme en anglais (apparaissant pour la première fois en 1958 dans un article d'Anthony Boucher publié dans le Magazine of Fantasy & Science Fiction d'après l’Oxford English Dictionary), le terme prequel a été médiatisé lors de la sortie de la seconde trilogie Star Wars (1999-2005), et est entré dans la langue française sous la forme préquelle. On parle aussi de préquel ou prequel, et d’antépisode au Canada francophone.

7 La perspective de la troisième saison a relancé la production de produits dérivés : sont parus à l’automne 2016 un beau livre signé par Mark Frost (The Secret History of Twin Peaks: A Novel, New York, Flatiron Books), aussitôt traduit en français par Éric Betsch chez Michel Lafon sous le titre L’Histoire secrète de Twin Peaks), ainsi bien qu’un livre de recettes (Linsay Bowden, Damn Fine Cherry Pie: And Other Recipes from TV’s Twin Peaks, New York, Harper Design, 2016).

8 Art. cit., p. 17.

9 Novellisations et préquelles sont des cas exemplaires de ce que Richard Saint-Gelais nomme fictionnalité qui est un partage d’éléments fictifs par plusieurs œuvres, sans que l’accent soit mis sur la relation entre celles-ci (voir Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, éditions du Seuil, « Poétique », 2011).

10 Il faut noter la rupture énonciative entre le titre et le sous-titre dans The Aubiography of FBI Special Agent Dale Cooper. My Life, My Tapes, comme si la voix du personnage surgissait dès la couverture. En réalité, le sous-titre est seul cohérent avec le principe d’une écriture autobiographique, mais le titre permet d’identifier la fiction, et donc de la vendre.

11 La différence est moindre en apparence dans la série, puisque les acteurs Kyle MacLachlan et Sheryl Lee sont nés respectivement en 1959 et 1967.

12 Est-ce un hasard ? La date de naissance de Scott Frost n’est jamais indiquée dans les articles et sites qui lui sont consacrés.

13 Voir par exemple la préface de David Lynch à la réédition du Journal en 2011 chez Gallery Books : « Even though Mark Frost and I started catching ideas in a Los Angeles coffee shop, it was the great mystery of the woods that began to creep in – riding on a kind of dark night wind, bringing everything that was to become Twin Peaks […] Laura Palmer was born in this dream and so was her diary ; Jennifer Lynch found The Secret Journal of Laura Palmer in the heart and mind of Laura herself » (« Même si Mark Frost et moi avons commencé par noter des idées dans un café de Los Angeles, ce fut le grand mystère des bois qui d’emblée s’insinua – porté par une sorte de vent nocturne obscur, apportant tout ce qui allait devenir Twin Peaks […] Laura Palmer est née de ce rêve, et son journal aussi ; Jennifer Lynch a trouvé The Secret Journal of Laura Palmer dans le cœur et l’esprit de Laura elle-même. », ma traduction). Lynch achève sa préface en invitant le lecteur à se munir de café et de tarte (« coffe and pie », ce qui ramène au « coffee shop »), et à savourer (« enjoy ») avec lui un récit dont la lecture, à dire vrai, est parfois difficile à supporter.

14 Op. cit., p. 147.

15 Op. cit., p. 10. La version française est à cet égard plus suggestive que le texte anglais : « she started asking Dad how he managed to do it without anyone knowing. »

16 Avant qu’il ne soit réédité en 2011 par Gallery Books. La traduction française est quant à elle toujours épuisée à ce jour.

17 Citons par exemple la mention par Windom Earle dans le 27e épisode de maléfiques dugpa dont la théosophiste Helena Blavatsky a emprunté le nom à une secte du bouddhisme tibétain, les ‘Brug-pa ; et celle des Thugs, secte d’adorateurs de Kali pratiquant des meurtres rituels que popularisa le récit de Philip Meadows Taylor, Confessions of a Thug (1839) : « You would have appreciated the dugpas, Leo, ancient sorcerers bent on evil, rather like the Kali worshippers in India, another fine bunch of zanies. Blood for breakfast, blood for lunch… Those were the good old days… » (« Tu aurais apprécié les dugpa, Léo. Des sorciers d’autrefois voués au mal, un peu comme les adorateurs de Kali en Inde, une autre belle bande de zozos. Sang au petit déjeuner, sang au déjeuner… C’était le bon temps… », ma traduction). Le terme zany, de l’italien dialectal zanni qui désigne le personnage bouffon de valet masqué dans la commedia dell’arte, est à relever : il fait entendre, dans la bouche même d’un personnage diabolique, tout le jeu de masques et de postures mis en œuvre par la série.

18 On pourra consulter par exemple les avis des internautes sur The Secret History of Twin Peaks: A Novel.

19 Palimpsestes, Paris, éditions du Seuil, 1982, p. 242.

20 Ibid., p. 293 sqq.

21 Tout en posant que la traduction est la forme de transposition « la plus voyante, et à coup sûr la plus répandue », Genette coupe court à un développement approfondi : « Il n’est pas question de traiter ici des fameux ‘problèmes théoriques’, ou autres, de la traduction : il y a là dessus de bons et de mauvais livres, et tout ce qu’il faut entre les deux. Nous suffise que ces ‘problèmes’, largement couverts par certain proverbe italien, existent, ce qui signifie simplement que, les langues étant ce qu’elles sont (« imparfaites en cela que plusieurs »), aucune traduction ne peut être absolument fidèle, et tout acte de traduire touche au sens du texte traduit. » (ibid., p. 294)

22 Voir les travaux récents sur ce qu’on appelle la fan fiction, notamment Karen Hellekson, Kristina Busse (éds), The Fan Fiction Studies Reader, Iowa City, University of Iowa Press, 2014. Plus de cent soixante-quinze textes écrits par des fans sont recensés sur Twin Peaks Fan Fiction Archive (https://www.fanfiction.net/tv/Twin-Peaks, consulté le 16 janvier 2017).

23 Le fonctionnement d’internet rejoint ce que dit Lawrence Venuti des pratiques de traduction américaines qui, tout en tenant un discours de la transparence, assurent en réalité la domination de la langue anglaise par l’effacement des marques de la traduction dans des textes qui donnent dès lors l’illusion d’être des originaux. Voir The Translator’s Invisibility : A History of Translation, New York, Routledge, 1995.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Claudine Le Blanc, « En guise de postface. Les préquelles des enfants : questions d’origine dans une série et ses novellisations »TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 03 octobre 2017, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/1691 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.1691

Haut de page

Auteur

Claudine Le Blanc

Claudine Le Blanc est maître de conférences en littérature comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, membre du Centre d’études et de recherches comparatistes (CERC). Ses travaux portent sur les littératures de l’Inde classique et moderne, leur traduction et leur circulation ainsi que sur les modernités extra-occidentales. Elle a publié Une littérature en archipel. La tradition orale de La Bataille de Piriyapattana au Karnataka, Inde du sud, (Champion, 2005) et Les livres de l’Inde. Une littérature étrangère en France au xixe siècle (PSN, 2014).

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search