L’identité mouvante des œuvres littéraires de Kenneth White
Résumés
Kenneth White, écrivain d’origine écossaise mais vivant en France, écrit ses essais en langue française et ses œuvres littéraires (récits de voyage ou poèmes) en langue anglaise, mais celles-ci ont été publiées pour la plupart d’abord (voire uniquement) en France et en traduction française. L’étude des avatars éditoriaux de deux de ses « way-books » publiés pour la première fois en traduction française sous les titres Le Visage du Vent d’Est (1980) et Les Cygnes sauvages (1990), puis édités en anglais dans un volume commun intitulé Pilgrim of the Void (1992), avant d’être réédités séparément en français sous une forme remaniée, montre que pour l’auteur, les distinctions entre original et traduction, langue source et langue cible, auteur et traducteur, importent moins que l’ajustement constant de l’œuvre à son public et à son époque. En rééditant sans cesse ses œuvres sous une forme nouvelle et en accueillant en leur sein toutes les langues et les littératures, Kenneth White manifeste son rejet des identités nationales, littéraires et linguistiques au profit d’une écriture-monde en constante évolution.
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- 1 Le Poète cosmographe-Entretiens, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1987, p. 165.
1Kenneth White est un écrivain difficile à classer car non seulement il écrit en français et en anglais, mais ses œuvres ne sont pas nécessairement publiées dans la langue dans laquelle elles ont été écrites. Né en Ecosse en 1936, après des études de littérature et de philosophie à Glasgow puis en Allemagne, il est venu à Paris où il a poursuivi ses recherches et travaillé comme lecteur d’anglais à la Sorbonne, et c’est en France qu’il a publié ses premières œuvres : Wild Coal, petit recueil de poèmes, en 1963, et En toute candeur, recueil de textes mêlant la prose et la poésie, en 1964. Mais bien que toutes deux écrites en anglais, seule la première a été publiée en langue originale, la seconde étant parue en traduction française. Puis ayant obtenu un poste de maître-assistant à l’université de Glasgow, il est retourné dans son pays et a commencé de publier des œuvres poétiques et narratives en anglais chez l’éditeur Jonathan Cape à Londres (The Cold Wind of Dawn, poems, 1966 ; Letters from Gourgounel, narrative, 1966 ; The Most Difficult Area, poems, 1968). Mais déçu du peu d’audience que ces œuvres ont reçu et du climat qui régnait alors en Angleterre, peu propice à la littérature et fermé selon lui à toute pensée nouvelle, en 1967 il a démissionné de son poste et quitté son pays pour s’installer définitivement en France (il y redeviendra lecteur d’anglais, à Bordeaux puis à Paris, avant d’obtenir un poste de maître-assistant quelques années plus tard à l’université Paris 7, puis de professeur à la Sorbonne une fois soutenue sa thèse d’État), où il a pris la nationalité française en 1979 tout en gardant sa nationalité d’origine. « Je me sens absolument chez moi en France », dira-t-il. « J’ai trouvé ici le terrain culturel et intellectuel qu’il me fallait, et que je ne trouvais pas en Grande-Bretagne1. » Mais c’est qu’il y a trouvé aussi un accueil favorable à sa poésie et à sa pensée : alors que ses œuvres publiées en Angleterre n’avaient suscité aucun écho, ses toutes premières œuvres publiées en France avaient immédiatement éveillé l’attention de la critique comme du public. Ce succès l’a encouragé à publier dès lors pratiquement toutes ses œuvres en France, que ce soit en langue française, ou en traduction française, ou encore sous forme bilingue.
- 2 Extrait d’une émission de France-Culture, cité in Duclos, Michèle, Kenneth White nomade intellectue (...)
2Kenneth White est en effet un écrivain parfaitement bilingue qui écrit tantôt en anglais, tantôt en français, et qui est pareillement à l’aise avec les deux langues. Toutefois, il réserve à chacune un usage particulier : alors que presque tous ses essais et articles critiques sont écrits directement en français, ses œuvres littéraires – poèmes courts, poèmes longs, ou encore récits de voyage qu’il appelle « way-books » et qui mêlent généralement la prose et la poésie – sont toutes écrites en anglais, un choix sur lequel il s’est expliqué : « Pourquoi est-ce que j’écris en anglais ? À la limite, je pourrais dire que j’utilise le français, c’est un outil, mais je vis plus l’anglais2. » En outre, bien qu’il ait traduit quelques écrivains du français ou de l’allemand vers l’anglais, ou de l’anglais vers le français, il ne pratique pas, à quelques exceptions près, l’autotraduction : presque toutes ses œuvres littéraires ont été traduites par d’autres que lui (Pierre Leyris pour En toute candeur, Gil et Marie Jouanard pour Lettres de Gourgounel) et, à partir de 1979, par son épouse Marie-Claude White essentiellement. Ses œuvres poétiques sont parues pour la plupart en édition bilingue français-anglais chez divers éditeurs français tels que Alfred Eibel (Hong Kong Scènes d’un monde flottant, 1976 ; Terre de diamant, 1978, titres qui seront repris ensuite chez Grasset), Le Mercure de France (En toute candeur, 1964 ; Mahamudra, 1979 ; Le Grand Rivage, 1980 ; Les Rives du silence, 1997 ; Limites et marges, 2000 ; Le Passage extérieur, 2005) ou encore Grasset (Atlantica, 1986), mais à l’exception de Letters from Gourgounel publié initialement à Londres en 1966, ses œuvres narratives sont toutes parues pour la première fois en traduction française et chez des éditeurs français uniquement (Les Limbes incandescents, 1976 ; Dérives, 1978 ; Le Visage du Vent d’Est, 1980 ; La Route bleue, 1983 ; Les Cygnes sauvages, 1990 ; etc.). Et ces éditions françaises ont elles-mêmes servi de base à de nombreuses traductions en d’autres langues (espagnol, allemand, hollandais, polonais, etc.). Si l’on s’en tient à son œuvre littéraire, on peut donc dire qu’avec Kenneth White on a affaire à un auteur de langue anglaise mais qui pendant longtemps s’est fait connaître uniquement par des publications en France et en traduction française ou sous forme bilingue.
3Sa notoriété en France n’ayant cessé de croître au fil des ans (plusieurs thèses et ouvrages, mais aussi des colloques et des numéros spéciaux de revues lui ont notamment été consacrés), son pays d’origine a fini par s’intéresser à sa production, si bien qu’à partir de 1989, un certain nombre de ses œuvres connues jusqu’alors uniquement en français ont enfin commencé d’être publiées en Grande-Bretagne en version originale. Mais d’une part les éditions anglaises sont, à l’heure qu’il est, bien moins nombreuses que les éditions françaises, certaines œuvres étant encore disponibles uniquement en traduction française ; d’autre part, ces éditions anglaises ne correspondent pas toujours aux éditions françaises antérieures, le titre et le contenu de celles-ci ayant été transformés, si bien qu’il n’est pas possible d’établir entre elles le même rapport qu’entre originaux et traductions. Par ailleurs, le fait que Kenneth White intéresse désormais des éditeurs anglais n’a pas remis en cause sa pratique de publier ses œuvres d’abord en traduction française (et toujours désormais dans une traduction faite par son épouse) : c’est ainsi que les éditions Le mot et le reste ont récemment publié un récit de voyage, Les Vents de Vancouver (2014), jusqu’alors inédit en français comme en anglais.
4Quel est donc le statut de ces traductions françaises originales au double sens du terme, à savoir premières et sans équivalents connus ? En quoi l’édition d’une traduction antérieurement au texte qu’elle est censée traduire et qui n’est pas accessible remet-elle en cause l’idée même de traduction ? En quoi brouille-t-elle les frontières ou les distinctions entre auteur et traducteur, mais aussi entre langue source et langue cible ? Pour tenter de répondre à ces questions sans nous disperser dans l’examen d’une multitude d’ouvrages, nous allons nous limiter à l’étude de deux œuvres de Kenneth White qui relèvent de la catégorie des « way-books » ou « livres de la voie » et qui rendent compte, sous forme de prose mêlée de poésie, de voyages faits par l’auteur en Asie. Ces deux œuvres sont parues pour la première fois en traduction française sous le titre Le Visage du Vent d’Est pour la première (en 1980, chez l’éditeur parisien Les Presses d’aujourd’hui), récit de plusieurs voyages faits en 1975 à Hong Kong, Macao, Taiwan et en Thaïlande, et sous le titre Les Cygnes sauvages pour la seconde (en 1990 chez Grasset), récit d’un périple effectué en 1984 au Japon, de Tokyo au Hokkaidô. Elles ont donné lieu en 1992 à une édition anglaise où elles ont été réunies sous le nouveau titre de Pilgrim of the Void. Travels in South-East Asia and the North Pacific. Mais après cette publication chez l’éditeur écossais Mainstream Publishing Company à Édinbourg, elles ont été rééditées séparément en France, chez de nouveaux éditeurs (Albin Michel et la collection de poche « Espaces libres » en 2007 pour Le Visage du Vent d’Est, et l’éditeur marseillais Le mot et le reste en 2013 pour Les Cygnes sauvages) et, on le verra, sous une forme légèrement différente des premières éditions, ce qui nous amènera à nous demander si la publication du texte original anglais dans l’intervalle de temps entre les deux séries d’éditions françaises a changé ou non le statut ou la nature de la traduction française.
Un brouillage des frontières entre texte premier et texte second
- 3 Les Belles infidèles, Lille, Presses universitaires de Lille, 1994 [1955], p. 13.
- 4 Dans les ouvrages critiques consacrés à l’ensemble de l’œuvre de Kenneth White, ses récits de voyag (...)
5Dans Les Belles infidèles, Georges Mounin écrit : « Tous les arguments contre la traduction se résument en un seul : elle n’est pas l’original3. » La traduction en effet est généralement conçue comme un texte second, venant après un premier texte déjà connu, et à ce titre elle a un statut inférieur à celui du texte original auquel elle est subordonnée. Mais lorsque l’original manque parce qu’il n’en existe pas de publication antérieure, pour le public la traduction a le même statut qu’un texte premier : c’est elle qui crée l’œuvre, en impose le titre et une image qui perdurera, et par rapport à laquelle seront évaluées toutes les autres éditions de l’œuvre qui pourront apparaître ensuite, y compris les éditions du texte original qui feront alors figure d’œuvres secondes. Tel est le cas pour Le Visage du Vent d’Est et Les Cygnes sauvages : ces deux œuvres sont identifiables et identifiées, par leur auteur, par les lecteurs et même par les critiques, y compris les anglicistes4, à partir du modèle qu’en a donné leur traduction, à savoir des œuvres autonomes, chacune avec son titre en français et une forme dont il n’existe à ce jour aucun équivalent anglais.
- 5 Mais Les Presses d’aujourd’hui, le premier éditeur français de Visage du Vent d’Est, n’est pas indi (...)
6Toutes les éditions françaises du Visage du Vent d’Est et des Cygnes sauvages, aussi bien les secondes que les premières, ne donnent comme copyright que les éditeurs français, marquant ainsi leur autonomie ; l’édition anglaise des deux œuvres réunies, Pilgrim of the Void, indique en revanche comme copyright les « Éditions Grasset et Fasquelle5 », soulignant ainsi son statut de texte second. Par ailleurs, les éditions françaises ne signalent aucun titre anglais d’où viendraient les titres français (mais dans les éditions bilingues des textes poétiques, qui ne portent en couverture qu’un titre français, un titre anglais est néanmoins donné à l’intérieur des livres) ; en revanche l’édition anglaise Pilgrim of the Void porte sur la page de garde : « First published in France as Le Visage du Vent d’Est (1980) and Les Cygnes sauvages (1990) ». En outre, la jaquette cite, traduits en anglais, des extraits de la presse française (Le Nouvel Observateur et Le Monde) où des critiques, Claude Roy et Jean Laude, ont exprimé leur appréciation de l’œuvre de Kenneth White telle qu’ils l’ont lue en français : la réception française des deux traductions est ainsi utilisée comme argument de vente du texte original, ce qui est là encore une inversion complète de ce qui se passe d’ordinaire où c’est le succès de l’œuvre en langue originale qui conduit à sa traduction.
7L’édition anglaise est donc clairement subordonnée aux éditions françaises antérieures qui ne sont pourtant que des traductions, mais elle montre par d’autres signes qu’elle entend néanmoins rétablir une primauté du texte anglais sur le texte français. Après avoir rappelé que Kenneth White s’est établi en France et y a obtenu la reconnaissance à la fois en tant que professeur à la Sorbonne et en tant qu’écrivain (« After publishing his first books from London, he settled in France in 1967, where he now holds the chair of Twentieth-Century Poetics at the Sorbonne, and where he has won some of the most prestigious literary prizes, becoming known not only as one of the most important writers of the time, but also as one who has put forward “the first coherent expression of post-modernity”. »), le texte de presentation du revers de la jaquette remarque : « After seeing his work published in German, Dutch, Spanish, Polish and Bulgarian, as well as French, he returned to the English-language context in 1989, where his books immediately attracted excited and discerning attention and where his readership has been steadily growing. » Cette formulation « he returned to the English-language context » montre que l’éditeur anglais souhaite, par la publication qu’il fait de ses œuvres originales, réintégrer l’auteur dans son milieu linguistique d’origine et lui accorder une place de premier ordre en tirant profit de la reconnaissance que lui a value son exil à l’étranger.
8Cette intention de « canonisation » de White au sein de la littérature anglaise se manifeste aussi par le choix de publier ses œuvres, non sous la forme d’œuvres indépendantes comme cela a été fait initialement en France, mais sous la forme de volumes anthologiques. C’est ainsi que Mainstream, comme le signale encore la jaquette, « have published The Bird Path (collected longer poems) » et « Handbook for the Diamond Country (collected shorter poems) », deux volumes qui n’ont pas d’équivalent en français mais qui rassemblent, genre par genre (poèmes longs d’une part, poèmes courts d’autre part), des textes poétiques qui sont parus auparavant en volumes séparés en traduction française (ou en version anglaise et en traduction française, comme Handbook for the Diamond Countrry qui reprend le contenu des deux premiers volumes de poèmes parus en Angleterre, mais aussi celui du volume bilingue paru en France sous le titre Terre de diamant, plus encore quelques poèmes inédits). Pour ce qui est de Pilgrim of the Void, le volume rassemble les deux récits de voyage en Asie déjà publiés en traduction française, mais en les recomposant sous une forme nouvelle où ils perdent leur statut d’œuvres distinctes. En effet, on n’a plus affaire à deux récits de voyage avec chacun son titre et son espace géographique propres, mais à un seul récit de voyage se déroulant dans un espace géographique plus large indiqué par le sous-titre « Travels in South-East Asia and the North Pacific » et faisant se succéder sept parties ayant chacune son unité géographique. De ces sept parties, les six premières sont reprises telles quelles du récit Le Visage du Vent d’Est, mais la septième est constituée tout entière par le récit des Cygnes sauvages dont la matière se trouve dès lors réagencée : dans l’édition française, on avait en effet une structure en trois parties, chacune présentant un certain nombre de chapitres numérotés à partir de 1, précédées d’un « Prologue » et suivies d’un « Épilogue », tandis que dans l’édition anglaise, on n’a plus affaire qu’à une succession de chapitres numérotés en continu de 1 à 37, dont le premier, intitulé « Another departure », n’est autre que le « Prologue », et le dernier l’ « Épilogue ».
9Cette fusion des deux premières éditions françaises en une seule œuvre continue a entraîné aussi des modifications du péritexte de chacune. Dans Pilgrim of the Void, la « Préface » du Visage du Vent d’Est a disparu (acquérant de ce fait le statut de préface traduite d’un original qui n’existe définitivement pas) et une nouvelle « Preface » en anglais, tout à fait inédite, est venue coiffer l’ensemble des deux textes réunis. Les épigraphes (une pratique dont White use abondamment dans toutes ses œuvres et qui oriente la lecture) ont elles aussi subi des remaniements : des trois épigraphes qui ouvraient Le Visage du Vent d’Est et des deux épigraphes qui ouvraient Les Cygnes sauvages, toutes données en français, une seule, venue de la première œuvre, a été conservée (de Rinzai), mais rendue en anglais, et sont venues s’y ajouter deux nouvelles épigraphes (de Nietzsche et Hugh MacDiarmid), données en anglais elles aussi. Quant à celles qui précédaient chaque partie des éditions françaises, elles ont été conservées dans le cas du Visage du Vent d’Est, mais supprimées dans le cas des Cygnes sauvages, et une nouvelle épigraphe est venue précéder le texte de cette dernière œuvre devenue une simple partie du volume anglais. Enfin, les sous-titres génériques (« Errances asiatiques » pour Le Visage du Vent d’Est et « Voyage-haïku » pour Les Cygnes sauvages) qui figuraient sur chaque page de titre intérieure des éditions françaises ont été remplacés par le sous-titre « Travels in South-East Asia and the North Pacific » sur la page de couverture de l’édition anglaise.
10Du fait de ces aménagements, l’édition anglaise fait figure d’œuvre originale (au sens d’inédite), mais non d’original (au sens d’œuvre première) par rapport aux éditions françaises antérieures qui gardent leur statut d’œuvres « originales » ne renvoyant qu’à elles-mêmes. Mais par son ambition de rassembler les récits des divers voyages en Asie accomplis par Kenneth White, elle montre sa prétention à faire figure d’œuvre définitive, conclusive. Toutefois, cette vision des choses, qui tendrait à faire de l’édition anglaise, bien que seconde, une édition de référence, est mise à mal par les éditions françaises ultérieures qu’a assurées l’auteur et qui ne reprennent pas l’œuvre intégrée des récits de voyage en Asie telle que l’a établie l’édition anglaise. En effet, Le Visage du Vent d’Est et Les Cygnes sauvages ont été réédités, respectivement en 2007 chez Albin Michel et en 2013 chez l’éditeur Le mot et le reste, sous forme à nouveau de volumes autonomes, et chacune de ces deux éditions signale sur la page de garde l’éditeur français de la « première édition », sans nullement mentionner l’édition anglaise. Il est permis néanmoins de se demander si l’édition anglaise n’a pas marqué d’une façon ou d’une autre ces secondes éditions françaises dans la mesure où celles-ci ne sont pas la simple réédition des premières, mais où elles en proposent chacune des versions nouvelles, ainsi que le signalent en premier les textes de page 4 de couverture qui sont totalement différents dans les deux cas.
11Pour ce qui est du Visage du Vent d’Est, le sous-titre « Errances asiatiques » est venu s’ajouter sur la page de couverture (il ne figurait initialement que sur la page de titre intérieure), faisant écho au début du sous-titre de l’édition anglaise, « Travels in South-East Asia […] ». Des deux épigraphes initiales, seule celle de Saraha a été conservée (alors que l’édition anglaise avait conservé celle de Rinzai), et lui ont été ajoutées deux nouvelles épigraphes (de John Donne et Antonin Artaud), mais qui ne sont pas celles qu’avait ajoutées l’édition anglaise. Par ailleurs, une nouvelle Préface (« Préface à la nouvelle édition ») a été substituée à la première qui a complètement disparu, préface où est néanmoins reprise la citation de Rinzai qui figurait en épigraphe de la première édition et qui avait été la seule à être reprise dans l’édition anglaise. Enfin, l’illustration de couverture a elle aussi changé : il ne s’agit plus d’une peinture chinoise, mais d’un détail d’une estampe japonaise de Hokusai (peintre japonais auquel Kenneth White a par ailleurs consacré un essai écrit directement en français : Hokusaï ou l’horizon sensible. Prélude à une esthétique du monde, Terrain vague, 1990), « Vieux pêcheur fumant la pipe », celle-là même qui figurait, selon un découpage un peu plus grand, sur la jaquette de l’édition anglaise. Mais tandis que le renvoi au Japon était justifié dans le cas de Pilgrim of the Void, il ne l’est plus, du moins pour ce qui est de l’espace géographique parcouru, dans le cas du Visage du Vent d’Est. Par ces changements péritextuels, on le voit, la seconde édition française du Visage du Vent d’Est constitue bien une nouvelle édition, une nouvelle édition qui ne se fonde pas sur l’édition anglaise parue entretemps, mais qui en reprend néanmoins quelques éléments, brouillant ainsi les indices qui permettraient de bien identifier les œuvres.
- 6 Les Cygnes sauvages, Paris, Grasset, 1990, p. 145.
- 7 Les Cygnes sauvages, Marseille, Le mot et le reste, 2013, p. 101.
- 8 Sur le rapport entre Les Cygnes sauvages et Bashô, voir Muriel Détrie, « Le voyage vers le nord du (...)
- 9 Pilgrim of the Void. Travels in South-East Asia and the North Pacific, Edinburgh, Mainstream Publis (...)
- 10 Les Cygnes sauvages, 2013, p. 111.
- 11 Ibid., « Préface à la nouvelle édition », p. 11.
12De même pour la seconde édition française des Cygnes sauvages, des changements importants sont intervenus par rapport à la première, mais des changements qui ne s’expliquent pas tous par référence à l’édition anglaise. Outre que l’illustration de couverture a changé (on y voit dans les deux cas des grues, mais là provenant d’une peinture japonaise de Sôtasu, ici dessinées par un artiste non identifié, dans un style ne renvoyant pas spécifiquement au Japon), le sous-titre générique « voyage-haïku », que l’édition anglaise ignorait aussi, n’a pas été repris. Les deux épigraphes initiales qui se référaient à des écrivains français (Merleau-Ponty et Barthes) ont été remplacées par un « koan zen du maître Obscurité Blanche » (alors que l’édition anglaise les avait remplacées par une citation du Dhammapada) et une nouvelle Préface est venue remplacer la première. Mais ce n’est pas seulement le péritexte qui diffère d’une édition à l’autre : comme dans l’édition anglaise, mais de manière encore différente, le texte lui-même se trouve transformé. Tout d’abord, on constate la disparition totale d’un chapitre, le chapitre 8 de la dernière partie, intitulé « Le parcours du saumon », ce qui a conduit à une réécriture du dernier paragraphe du chapitre précédent qui assurait la transition : alors que dans la première version, le chapitre 7 se terminait par « J’attends mon repas de poisson, pensant aux saumons6 », afin d’enchaîner avec le premier mot du chapitre 8, « Saumon », dans la seconde version le chapitre 7 intitulé « La ruelle des Chats » reprend pour finir l’avant-dernière phrase du chapitre 8 qui ramenait le voyageur à « la ruelle des Chats7 ». Il est difficile de dire pour quelle raison le chapitre 8 a été supprimé, mais étant donné qu’il était essentiellement composé d’un long poème narratif évoquant les itinéraires des saumons, on peut penser que l’écrivain a jugé qu’il n’avait pas sa place dans un récit consacré surtout aux oiseaux migrateurs et qui, par certains côtés, s’apparentait à un récit d’initiation au haïku sur les traces de Bashô8. Quoi qu’il en soit, il montre de la part de White une volonté de resserrer son texte, de le rendre plus concis, ce que manifeste aussi l’autre transformation textuelle la plus notable qui est la suppression totale de l’Épilogue. On a vu précédemment que l’Épilogue de la première édition française avait été transformé en dernier chapitre dans l’édition anglaise, mais les deux transformations produisent un effet totalement différent. Alors que dans Pilgrim of the Void, le récit du voyage au Japon n’était plus que l’ultime partie d’un récit plus vaste, d’une ville asiatique (Hong Kong) à une autre, qu’il venait conclure – « and it was there my journey ended9 » étaient ses derniers mots –, achevant ainsi un « cycle asiatique », dans la seconde édition française le récit s’achève avec le haïku de White évoquant l’arrivée des cygnes sauvages (« Sur le lac vide / ce matin du monde / les cygnes sauvages10 »), sans nous reconduire à Tokyo ni nous entraîner à Kyoto : à un récit se bouclant sur lui-même succède donc un récit ouvert sur le vide, celui de la page blanche, qui est aussi celui du paysage blanc du nord-est du Hokkaidô, mais également celui de « l’esprit [qui] commence graduellement à s’ouvrir et à se dessiner11 » qu’annonce la nouvelle Préface. On ne saurait donc dire en définitive que l’édition anglaise ait joué un rôle déterminant dans le remaniement du péritexte ou du texte du Visage du vent d’Est et des Cygnes sauvages : la publication du texte original dont elles sont censées être la traduction n’a en rien empêché que ces deux œuvres continuent, par leur évolution, d’afficher leur statut d’œuvres indépendantes.
- 12 Ibid., p. 9.
13Dans la « Préface à la nouvelle édition » des Cygnes sauvages, Kenneth White, sans mentionner les changements importants qu’il a effectués par rapport à la première édition, s’en est implicitement expliqué en indiquant que « la nouvelle édition d’un ouvrage n’est pas seulement une remise en disponibilité pour une nouvelle génération de lecteurs, c’est l’occasion d’une nouvelle lecture, y compris de la part de l’auteur, et d’un nouveau positionnement général12. » C’est dire que chaque édition s’adresse à un public spécifique, à une époque déterminée, et que dans ce processus de réajustement continuel de l’œuvre en fonction des publics et des époques, il n’y a pas lieu d’instaurer une hiérarchie entre texte premier et texte second, entre original et traduction : puisque le public et l’époque changent, de même que l’auteur, l’œuvre se doit aussi d’évoluer. Que les œuvres littéraires de White soient publiées d’abord en traduction française ou d’abord en version originale anglaise n’y change rien : aucune édition ne constitue une édition de référence qui aurait le statut d’œuvre première ou d’œuvre définitive, et entre éditions françaises et éditions anglaises, on ne peut établir d’équivalences, chaque édition recomposant un nouveau texte, que ce soit en langue originale ou en traduction. Cela étant, une même œuvre peut être publiée en anglais et en français sous deux titres différents, on l’a vu, mais on pourrait voir aussi qu’un même titre peut coiffer des œuvres différentes en français et en anglais : ainsi Terre de diamant, nous dit l’édition française bilingue, a pour titre anglais Handbook for the Diamond Country, mais en réalité, l’édition anglaise intitulée Handbook for the Diamond Country qui lui est postérieure contient, outre la version anglaise de Terre de diamant, d’autres œuvres. De même l’ « anthologie personnelle » de son œuvre poétique que White a composée et qui a été éditée en premier par Polygon en Écosse en 2003 sous le titre Open World ne correspond nullement à l’édition qu’a publiée Gallimard en 2006 dans sa collection « Poésie » sous le même titre traduit en français par Un monde ouvert : non seulement parce que l’édition française contient des poèmes postérieurs à l’édition anglaise, mais aussi parce que le nombre des poèmes sélectionnés (il est presque deux fois plus important dans Open world que dans Un monde ouvert) et leur classement sont totalement différents. On voit en outre à travers ce dernier exemple combien le lieu d’édition et donc le public visé influent sur la composition même de l’œuvre puisque Un monde ouvert s’ouvre sur des poèmes extraits du recueil de jeunesse En toute candeur qui évoquent des paysages non situés précisément dans l’espace, et se ferme sur des évocations de la terre bretonne où vit actuellement Kenneth White, tandis que dans l’édition écossaise, l’anthologie s’ouvre et se clôt par un choix de poèmes relatifs à l’Écosse.
Un brouillage des frontières entre auteur et traducteur, langue d’écriture et langue de traduction
- 13 Les Cygnes sauvages, 1990, p. 10-11.
- 14 Ibid., p. 15.
- 15 Ibid., p. 159-160 (c’est nous qui soulignons).
- 16 Pilgrim of the Void, op. cit., p. 245 (c’est l’auteur qui souligne).
14La conception évolutive de l’œuvre qu’impliquent la publication des traductions françaises avant celle des textes originaux anglais et la non-concordance entre éditions françaises et éditions anglaises, celles-ci ne restituant pas un texte original mais recomposant un nouveau texte par rapport à celles-là, ne remet pas seulement en cause l’idée que le texte écrit en langue originale serait premier par rapport à sa traduction, mais remet en cause l’idée même d’auteur comme garant de l’œuvre et la distinction entre auteur et traducteur. Remarquons tout d’abord que la comparaison des textes anglais et français des œuvres de Kenneth White montre parfois des différences telles qu’on puisse douter qu’elles résultent de l’opération de translation d’une langue à l’autre. Prenons le cas des Cygnes sauvages : dans ce récit de voyage au Japon sur les traces du poète japonais Bashô, Kenneth White dit d’emblée, dans le Prologue de la première édition, vouloir à travers son périple de Tokyo jusqu’à la lointaine île du Hokkaidô « voir les cygnes sauvages venus de Sibérie s’abattre avec leurs cris d’outre-terre sur les lacs du Nord où ils viennent hiverner13 ». Or les deux épigraphes qui précèdent sont empruntées à des ouvrages de penseurs français, Signes de Maurice Merleau-Ponty et L’Empire des signes de Roland Barthes, qui, par leurs titres contenant le mot « signes », nous invitent à voir dans cette quête des « cygnes sauvages » une quête de « signes » d’un autre ordre. Cette double lecture du voyage comme se déroulant à la fois dans le monde géographique et dans le monde de l’esprit, le lecteur français est régulièrement encouragé à la faire par la récurrence du mot « signes », alternant avec le mot « cygnes », tout au long du récit (par exemple, au tout début, le narrateur se décrit « les yeux tournés vers la fenêtre, à l’affût de toutes sortes de signes14 »), mais aussi par le recours à des expressions ou des métaphores filées où il joue sur l’homophonie entre « signes » et « cygnes », comme dans le chapitre « La philosophie du cygne » où il conclut un hommage à Buffon et à son Histoire naturelle des oiseaux dont il a résumé les pages consacrées aux « cygnes sauvages », par le vœu de voir venir « des esprits qui essaient de coordonner et de concentrer ce champ [le « champ de correspondances » entre science, philosophie et poésie qu’il vient d’évoquer], qui restent réceptifs aux signes sauvages, et qui savent voler15 ». Ces jeux de mots étant impossibles en anglais où « swans » n’est pas homophone de « signs », on pourrait croire que c’est le texte français qui est premier et que le texte anglais, comme toute traduction, en a perdu une part des suggestions sémantiques. On a d’ailleurs vu que les épigraphes de Merleau-Ponty et de Barthes, qui orientaient le lecteur vers une double lecture du récit de voyage, avaient disparu de l’édition anglaise. Mais inversement, le texte anglais, si nous le comparons au texte français, nous paraît en d’autres endroits riche en suggestions dont le texte français est privé. Pour reprendre le même exemple que celui que nous venons de citer, là où le texte français appelait de ses vœux « des esprits […] qui restent réceptifs aux signes sauvages, et qui savent voler », le texte anglais en appelle à « somebody, some body, […] keeping the sense of wild signs – and flying16 », indiquant par la légère variation graphique sur « somebody » que ce n’est pas seulement par l’« esprit », mais physiquement, par le « corps » comme le souligne l’italique (« body »), que la « compréhension globale » du monde pourra se faire. Un autre jeu de mots qui permet une double lecture de l’œuvre d’un bout à l’autre, mais seulement dans la version anglaise, est celui qui lie le nom de l’auteur White et l’adjectif « white » renvoyant à la couleur des « cygnes » mais aussi au « white world » des espaces nordiques qui est lui-même une métaphore du « Tout ». On pourrait multiplier les exemples de la sorte où c’est tantôt le texte français qui apparaît comme le plus riche en suggestions et significations, tantôt le texte anglais, sans qu’il soit possible de dire en définitive lequel des deux traduit l’autre.
15Mais parfois aussi, il arrive que les langues disent la même chose, presque de la même façon, comme dans cet exemple de jeu de mots analogue en anglais et en français qui met les deux textes sur le même plan :
Donc, à Macao, pas loin du front de mer, entre la Rua da Patane et la Rua dos Colonos, s’étend le Jardim de Camões, et dans le jardin il y a une grotte, la Gruta da Camões.
- 17 Le Visage du Vent d’Est, Paris, Les Presses d’aujourd’hui, 1980, p. 63.
La grotte est… grotesque17.
So, in Macao, not far from the seafront, between the Rua da Patane and the Rua dos Colonos, lies the Jardim de Camões (The Camoens Garden), and in the jardim there is a gruta (a grotto), called the Gruta de Camões.
- 18 Pilgrim of the Void, op. cit., p. 47.
The grotto is … grotesque18.
16Et s’il est vrai que « swans » et « signs » ne sont pas homophones comme « cygnes » et « signes », « signe » et « sign » le sont presque, à une lettre et un son près, et le diminutif de « cygne », « cygnet », qui a disparu en français, est encore courant en anglais, comme le remarque l’auteur en se référant à Buffon :
- 19 Les Cygnes sauvages, 1990, p. 156.
Cygne se dit kuknos en grec ; olor en latin ; en arabe, baslak ou cinnana ; en italien, cygno, cino ; en espagnol, cisne ; en catalan, signe ; en allemand, schwan ; en saxon et en suisse, elbsch (supposé dérivé du latin albus, blanc) ; en anglais, swan, et le petit, cygnet […]19.
- 20 Ibid.
- 21 Pilgrim of the Void, op. cit., p. 244 (c’est nous qui soulignons).
- 22 Les Cygnes sauvages, 2013, p. 11.
17Cette nomenclature montre que d’une langue à l’autre, les correspondances, les échos, les dérivations et les emprunts sont nombreux, et que pour bien dire le monde, il ne faudrait pas seulement le parcourir en son entier, mais « faire le tour du monde en mots20 » (« going round the world in words21 », un jeu de mots inexistant en français !) comme le dit White, aucune langue ne suffisant à elle seule à dire l’infinité des rapports entre les mots et les choses comme entre les choses mêmes. L’auteur lui-même, malgré sa recherche constante de justesse, ne saurait garantir un texte plus qu’un autre, mais d’une édition à l’autre il ne cesse d’ajuster son dire en fonction de l’évolution de sa pensée, de sa manière de voir les choses, mais aussi de l’évolution générale du langage et de la culture, et du public visé. Ainsi peut-on penser que s’il a supprimé les épigraphes de Merleau-Ponty et de Barthes dans sa nouvelle édition française des Cygnes sauvages, c’est parce qu’elles renvoyaient à une époque où la sémiologie régnait en maître au sein des sciences humaines, et risquaient donc de « dater » son texte alors que son objectif principal (ouvrir « un autre espace de l’esprit22 » ainsi qu’il le dit dans la nouvelle Préface) est à ses yeux plus actuel que jamais. La traduction française qui a constitué la première édition de ses œuvres n’apparaît dès lors elle-même que comme un de ces ajustements que l’absence d’échos de sa pensée dans la littérature anglaise des années 1960-80 avait alors rendus nécessaires.
- 23 Kenneth White, En toute candeur (1964), Préface et traduction de Pierre Leyris, Paris, Mercure de F (...)
18Mais allons plus loin : peut-on vraiment parler de « traduction » en ce qui concerne White ? Les notions de « langue source » et de « langue cible » ne sont-elles pas inopérantes dans son cas ? Ayant volontairement tourné le dos à son pays, White s’est installé en France parce qu’il s’y est trouvé très vite un public, et s’il a continué d’écrire ses textes de création en anglais à partir de 1968-69, c’est en ayant en tête un lectorat français. Déjà son premier ouvrage paru en France en 1964, En toute candeur, n’avait pas seulement été traduit de l’anglais en français par Pierre Leyris : il avait été, selon les dires mêmes de celui-ci dans son « Avertissement du traducteur », sollicité par lui après qu’il eut remarqué certains des poèmes de White parus auparavant dans la revue Commerce, « de sorte qu’En Toute Candeur se trouve avoir été écrit en premier lieu ad usum Gallorum23 », quand bien même il a été écrit en anglais. Si les ouvrages suivants de White qui ont été publiés en France n’ont pas été conçus pour leur part en accord avec un traducteur, ils ont néanmoins été écrits eux aussi ad usum Gallorum, pour être édités en français. Aussi peut-on penser que, même s’il écrivait en anglais, White avait déjà en vue la traduction de ses œuvres, et donc un texte français, au moment où il les composait, brouillant ainsi la distinction entre langue source et langue cible.
- 24 Il est au moins deux cas où les époux ont reconnu leur collaboration en tant que traducteurs : Hong (...)
- 25 Nous observons cependant que l’œuvre Dérives, parue pour la première fois en 1978 (Robert Laffont, (...)
- 26 Voir Le Visage du Vent d’Est, 1980, p. 105 et p. 157, repris in Le Visage du Vent d’Est, 2007, p. 1 (...)
19Par ailleurs, à partir de 1976, toutes ses œuvres ont été traduites par sa femme Marie-Claude White (d’abord en collaboration avec un ou plusieurs autres traducteurs, puis par elle seule). Outre que les liens entre les deux époux peuvent laisser supposer une certaine collaboration entre eux24, remarquons que même pour le lecteur qui ignore ces liens, le nom affiché de la traductrice, Marie-Claude White (et non Marie-Claude Charluet qui est son nom de jeune fille), suggère une certaine familiarité entre auteur et traducteur. Et le fait que toutes les œuvres publiées en France sont désormais systématiquement présentées comme « traduites par Marie-Claude White », outre qu’il donne l’impression que chaque œuvre résulte de la collaboration des deux mêmes personnes, renforce encore cet effet de brouillage entre auteur et traducteur25. Il vaut d’ailleurs la peine de noter que, à la différence de Pierre Leyris, traducteur de En toute candeur, qui avait écrit un « Avertissement du traducteur », Marie-Claude White n’intervient jamais en tant que traductrice dans le péritexte, toutes les notes (à deux exceptions près semble-t-il dans Le Visage du Vent d’Est 26) étant des notes explicatives de termes étrangers probablement dues à Kenneth White et figurant aussi dans l’édition anglaise.
- 27 L’Anorak du goéland, in L’Ermitage des brumes. Occident, Orient et au-delà, Paris, éditions Dervy, (...)
20Enfin, le principe établi par White selon lequel il écrit tous ses textes littéraires en anglais et tous ses textes critiques en français fait peser un doute sur la nature exacte des Préfaces qui précèdent ses œuvres littéraires : puisqu’il s’agit de textes critiques (des sortes de guides de lecture), n’ont-elles pas été écrites directement en français, à l’intention du public français, et non traduites de l’anglais (le fait qu’elles ne sont jamais reprises dans les éditions anglaises postérieures le laisserait aussi supposer) ? Un doute plane aussi sur la langue dans laquelle ont été écrits les poèmes de type haïku qui parsèment les récits de voyage de White. Nombre d’entre eux en effet ont été repris dans un petit recueil de haïkus intitulé L’Anorak du goélang. Haïkus (1986, repris en 2005 dans L’Ermitage des brumes), sur le modèle du recueil de Bashô Le Manteau de pluie du singe. Or dans le Préambule de ce recueil, Kenneth White précise : « Écrits d’abord parfois en anglais, d’abord parfois en français, les haïkus sont présentés ici dans les deux langues27 », ce qui laisse à penser que non seulement certains haïkus du Visage du Vent d’Est et des Cygnes sauvages repris ici ont pu être écrits directement en français, mais aussi que ceux qui ont été écrits directement en anglais ont ensuite été traduits (ou réécrits) en français par White lui-même.
21De manière plus générale, dans toutes les œuvres de Kenneth White, la frontière entre langue de création et langue de traduction est floue, dans la mesure où l’écrivain cite très souvent d’autres auteurs s’exprimant dans toutes sortes de langues voire de dialectes, dont les sources ne sont pas toujours indiquées ou bien sont indiquées de telle manière qu’on ne peut savoir s’il s’agit de traductions ou d’originaux. Dans le cas des auteurs francophones, il arrive parfois qu’une référence précise soit donnée qui permet de savoir qu’on a affaire au texte original français dans l’édition française, et à une traduction anglaise de White qui se fait alors traducteur dans l’édition anglaise. Pour les auteurs anglophones, même si les sources ne sont généralement pas données précisément, on peut supposer que leur texte est donné en version originale dans l’édition anglaise, et traduit en français par la traductrice dans l’édition française, mais on constate une différence de traitement entre textes français et textes anglais d’une édition à l’autre : alors que tous les textes français se trouvent traduits en anglais dans l’édition anglaise Pilgrim of the Void (seuls quelques mots ou expressions isolés restant en français), les textes anglais, dans les éditions françaises, tantôt sont traduits, tantôt ne le sont pas : cela indique que le lecteur idéal francophone est censé connaître aussi l’anglais, alors que le lecteur anglophone ignorerait le français, mais cela montre aussi que pour l’auteur, le souci de la réception importe plus que le respect des sources.
- 28 Le Visage du Vent d’Est, 1980, p. 87.
- 29 In Matsuo Bashô, The Narrow Road to the Deep North and Other Travel Sketches, translated from the J (...)
- 30 Voir Bashô, Journaux de voyage, Paris, POF, 1984, p. 23-34.
- 31 Le Visage du Vent d’Est, 1980, p. 157. Cette note permet en outre de comprendre que, contrairement (...)
22Par ailleurs, dans le cas des auteurs s’exprimant dans des langues autres que le français et l’anglais, auxquels White a eu accès à travers des traductions ou françaises ou anglaises (voire allemandes car il possède parfaitement aussi cette langue), étant donné qu’aucune référence bibliographique précise n’est donnée, il est souvent difficile de savoir s’ils sont cités, dans l’édition française, directement à partir d’une traduction française, ou bien à partir d’une traduction anglaise retraduite en français par la traductrice ; et inversement, dans l’édition anglaise, il est difficile de savoir si les textes étrangers cités en anglais le sont à partir d’une traduction anglaise, ou à partir d’une traduction française retraduite en anglais par White. Dans Le Visage du Vent d’Est par exemple, au chapitre 3 de la partie « Méditations sur une île chinoise », on trouve une citation de Bashô en français tirée, nous dit le texte, de Notes d’un squelette battu des vents28, ce qui pourrait laisser croire qu’elle est tirée d’une traduction française de Bashô, mais il n’existe aucune traduction de Bashô sous ce titre : en fait, ce titre provient d’une traduction anglaise de l’œuvre de Bashô Nozarashi kikô faite en 1966 par Nobuyuki Yuasa sous le titre Records of a Weather-Exposed Skeleton29 (œuvre que René Sieffert traduira plus tard en français sous le titre assez différent mais plus proche du japonais « Dussent blanchir mes os… Notes de voyage »30) que l’on retrouve bien dans Pilgrim of the Void. Inversement, au chapitre 14 (« The Country that does not Exist ») de la partie « The Taiwan itinerary », sont cités successivement deux extraits des classiques taoïstes Zhuangzi et Daodejing qu’on pourrait croire tirés de traductions anglaises quelconques (il en existe plusieurs pour chacun des deux classiques) puisque les titres sont donnés dans une transcription anglaise (« the Chuang tzu » et « the Tao-te Ching ») mais qui, si l’on se réfère au Visage du Vent d’Est, s’avèrent être une traduction anglaise faite par White d’une traduction française dont, exceptionnellement, la source est donnée par la traductrice dans une note qui précise : « Nous reprenons ici la traduction de Pierre Salet citée dans le Voyage dans la Chine ancienne (N. d. T.)31. » Mais dans d’autres cas, en particulier les cas assez nombreux de citations de textes asiatiques et notamment chinois, la comparaison des deux versions de la même œuvre ne permet en aucune manière de savoir si on a affaire à une traduction anglaise retraduite en français par Marie-Claude White ou à une traduction française retraduite par White en anglais puis de nouveau retraduite par Marie-Claude White en français, d’autant que pour la transcription des noms chinois, quelle que soit la source utilisée, dans l’édition française c’est toujours le système de transcription français EFEO qui est adopté, tandis que dans l’édition anglaise c’est le système anglais Wade qui est systématiquement utilisé. Entre l’auteur Kenneth White qui cite des textes étrangers traduits en français en les retraduisant en anglais et en leur donnant une couleur anglaise par le système de transcription adopté, et la traductrice Marie-Claude White qui retraduit en français des traductions anglaises (qui peuvent elles-mêmes être des retraductions de traductions françaises !) en les francisant par le système de transcription adopté, on ne saurait marquer de différence : dans les deux cas, il s’agit de s’approprier un texte étranger et de le rendre accessible au lecteur visé.
- 32 Voir par exemple Les Cygnes sauvages, 1990, p. 69.
23Mais la distinction entre auteur et traducteur n’est pas seulement remise en cause par la pratique citationnelle de White qui ne se préoccupe guère de donner ses sources ou de revenir aux sources originales, elle l’est aussi par sa manière plus générale de s’approprier des textes étrangers venus des cultures les plus diverses, faisant siennes leurs paroles, leur pensée, leur manière de voir ou de dire, en les intégrant à son propre texte. Tous les textes de White sont truffés d’intertextes présents sous toutes les formes possibles (citations on l’a vu, mais aussi références, allusions, emprunts, imitations, réécritures, etc.), des intertextes venus de l’ensemble de la littérature universelle, mais aussi des intertextes et des paroles venus du monde comme affiches, pancartes, enseignes, listes de stations de train, chansons, cris d’animaux ou bruits rendus par des onomatopées, etc. Ces textes ou paroles allogènes sont parfois donnés sous leur forme originale, en écriture non alphabétique et/ou en transcription phonétique, ils sont parfois donnés en traduction, ou en traduction de traduction, ou bien à la fois en version originale et en traduction, mais ils sont souvent aussi si parfaitement intégrés au propre texte de l’auteur qu’on ne peut plus faire le départ entre ce qui est personnel et ce qui vient d’ailleurs, toutes les langues et les discours étant accueillis dans son œuvre, et lui-même s’essayant aussi à pratiquer toutes les langues (et même toutes les écritures puisque des caractères chinois viennent parfois s’immiscer dans les textes en écriture latine32) et toutes les sortes de discours ou de langages.
- 33 L’Ermitage des brumes, op. cit., p. 108-109. Sur le « nomadisme intellectuel » de Kenneth White, vo (...)
24Cette forme d’écriture très accueillante, qui donne parfois à ses textes une allure de patchwork multilingue et polyphonique, Kenneth White l’a revendiquée et en a même fait la théorie sous le nom de « nomadisme intellectuel » : il s’agit pour lui de se nourrir de ce que chaque culture a produit de meilleur, qu’il y ait accès directement ou à travers des traductions, car « l’essentiel passe à travers les langues et les cultures33 ». Mais elle ruine toutes nos distinctions et hiérarchies entre original et traduction, texte premier et texte second, entre je et les autres, entre les langues ou entre les littératures nationales, et même entre le texte et le monde, le monde entier trouvant place dans l’œuvre et l’œuvre se faisant elle-même monde. Kenneth White non seulement écrit dans toutes les langues (en anglais et en français, mais aussi, avec des degrés divers bien sûr, en allemand, en espagnol, en portugais, en chinois, en japonais, en aïnou, etc., et encore dans toutes sortes de dialectes ou même idiolectes, la diversité résidant également à l’intérieur même des langues), mais encore il substitue sans cesse une langue à une autre, écrit dans une langue en songeant au lecteur qui le lira dans une autre langue, ou écrit dans une langue en rêvant à telle autre langue (ses poèmes de type haïku, par exemple, sont écrits en anglais ou en français, mais un français ou un anglais qui tente d’avoir la concision, la densité, l’a-grammaticalité du chinois !). Dans cette écriture-monde, les distinctions entre version française et version anglaise finissent par s’estomper, comme on pouvait le voir déjà dans l’extrait du Visage du Vent d’Est et de Pilgrim of the Void cité plus haut à propos de la grotte de Camões à Macao, ou comme le montre cet autre exemple où l’on voit que chacune des langues française et anglaise accueille l’autre et toutes les autres :
Saumon – du latin salire, bondir.
Le poisson bondissant…
- 34 Les Cygnes sauvages, 1990, p. 145.
Le Chinook, le Tyee, le Quinnat, le Coho, le Sockeye, le Blueback, le Nerka, le Bossu, le Chum, le Chien, le Keta, le Cherry, le Masa, le Steelhead34…
Salmon – from salire (Latin), to leap.
The leaping fish…
- 35 Pilgrim of the Void, op. cit., p. 238.
The King, the Chinook, the Tyree, the Quinnat, the Cohu, the Silver, the Sockeye, the Blueback, the Nerka, the Humpie, the Chum, the Dog, the Keta, the Cherry, the Masa, the Steelhead35…
25Comme on l’aura remarqué, les deux versions ne correspondent pas exactement : « The King » et « the Silver » n’ont pas leur équivalent dans la version française, et certains termes sont orthographiés avec de légères variantes (« le Tyee/the Tyree » et « le Coho / the Cohu ») sans que l’on sache quelle version est la plus proche des termes originaux, ni de quelle langue originale il s’agit d’ailleurs. Mais d’autres termes sont identiques dans les deux versions parce qu’ils sont les mêmes en français et en anglais (« latin / Latin »), ou parce qu’ils viennent de la même langue étrangère (« salire »), ou encore parce qu’ils n’ont pas été traduits de l’anglais en français (« Blueback », « Cherry », « Steelhead »). Pour l’écrivain, la multiplicité des langues n’est pas une malédiction car elles peuvent s’échanger, se compléter, s’engendrer, se modifier pour toujours mieux tenter de faire advenir dans l’œuvre la réalité qui, elle, est à la fois diverse et universelle.
26En choisissant de se faire un nom comme écrivain en traduction française, Kenneth White n’a pas renoncé à sa langue pour en adopter une autre, il s’est affirmé comme écrivain non ancré dans une langue ou une littérature nationale, ni anglais (ou même écossais !) ni français, ni même franco-anglais ou franco-écossais, mais écrivain du monde pour qui aucune langue n’est jamais tout à fait étrangère ni aucune langue supérieure à une autre, quand bien même l’anglais est par la force des choses celle qui est lui est la plus intime et le français celle qui lui apporte le plus d’audience, et pour qui tout texte n’est toujours qu’un texte provisoire, une étape à l’intérieur du processus de transformation universelle à l’œuvre en lui-même comme au sein du monde. Un écrivain pour qui finalement il n’y pas de traduction, ni même d’auteur, parce qu’il n’y a pas de langue originelle, ni de texte définitif, mais seulement un désir de dire le monde dans toute sa diversité et ses transformations.
Bashô, Matsuo, The Narrow Road to the Deep North and Other Travel Sketches, translated from the Japanese with an Introduction by Nobuyuki Yuasa (1966), London, Penguin Books, s.d.
Bashô, Journaux de voyage, Textes présentés et traduits par René Sieffert, Paris, POF, 1984.
Delbard, Olivier, Les Lieux de Kenneth White. Paysage, pensée, poétique, Paris, L’Harmattan, 1999.
Détrie, Muriel, « Le voyage vers le nord du Japon chez Matsuo Bashô et Kennth White », in Dubar, Monique et Moura, Jean-Marc (éds), Le Nord, latitudes imaginaires, Lille, Édition du Conseil Scientifique de l’Université de Charles-de-Gaulle-Lille3, coll. UL3, 1999, p. 251-260.
Duclos, Michèle, Kenneth White nomade intellectuel, poète du monde, Grenoble, ELLUG, 2006.
Mounin, Georges, Les Belles infidèles, Lille, PUL, 1994 [1955].
White, Kenneth, Le Visage du Vent d’Est. Errances asiatiques, traduit de l’anglais par Marie-Claude White, Paris, Les Presses d’aujourd’hui, 1980.
White, Kenneth, Le Poète cosmographe-Entretiens, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1987.
White, Kenneth, En toute candeur, Préface et traduction de Pierre Leyris, Paris, Mercure de France, 1989 [1964].
White, Kenneth, Les Cygnes sauvages, voyage-haïku, traduit de l’anglais par Marie-Claude White, Paris, Bernard Grasset, 1990.
White, Kenneth, Pilgrim of the Void. Travels in South-East Asia and the North Pacific, Edinburgh and London, Mainstream Publishing, 1992.
White, Kenneth, L’Ermitage des brumes. Occident, Orient et au-delà, Paris, éditions Dervy, 2005.
White, Kenneth, Le Visage du Vent d’Est. Errances asiatiques, traduit de l’anglais par Marie-Claude White, Paris, Albin Michel, coll. « Espaces libres », 2007.
White, Kenneth, L’Esprit nomade, Paris, Grasset, 1987 ; rééd. Le Livre de poche, Biblio Essais, 2008.
White, Kenneth, Les Cygnes sauvages, traduit de l’anglais par Marie-Claude White, Marseille, Le mot et le reste, 2013.
Notes
1 Le Poète cosmographe-Entretiens, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1987, p. 165.
2 Extrait d’une émission de France-Culture, cité in Duclos, Michèle, Kenneth White nomade intellectuel, poète du monde, Grenoble, ELLUG, 2006, p. 106.
3 Les Belles infidèles, Lille, Presses universitaires de Lille, 1994 [1955], p. 13.
4 Dans les ouvrages critiques consacrés à l’ensemble de l’œuvre de Kenneth White, ses récits de voyage en Asie sont toujours cités ou commentés à partir des seules éditions françaises (voir par exemple Olivier Delbard, Les Lieux de Kenneth White. Paysage, pensée, poétique, Paris, L’Harmattan, 1999 et Michèle Duclos, Kenneth White nomade intellectuel, poète du monde, Grenoble, ELLUG, 2006) et Pilgrim of the Void est ignoré.
5 Mais Les Presses d’aujourd’hui, le premier éditeur français de Visage du Vent d’Est, n’est pas indiqué, sans doute parce qu’il a disparu entretemps.
6 Les Cygnes sauvages, Paris, Grasset, 1990, p. 145.
7 Les Cygnes sauvages, Marseille, Le mot et le reste, 2013, p. 101.
8 Sur le rapport entre Les Cygnes sauvages et Bashô, voir Muriel Détrie, « Le voyage vers le nord du Japon chez Matsuo Bashô et Kenneth White », in Dubar, Monique et Moura, Jean-Marc, Le Nord, latitudes imaginaires, Lille, Édition du Conseil Scientifique de l’Université de Charles-de-Gaulle-Lille3, coll. UL3, 1999, p. 251-260.
9 Pilgrim of the Void. Travels in South-East Asia and the North Pacific, Edinburgh, Mainstream Publishing Company, 1992, p. 254.
10 Les Cygnes sauvages, 2013, p. 111.
11 Ibid., « Préface à la nouvelle édition », p. 11.
12 Ibid., p. 9.
13 Les Cygnes sauvages, 1990, p. 10-11.
14 Ibid., p. 15.
15 Ibid., p. 159-160 (c’est nous qui soulignons).
16 Pilgrim of the Void, op. cit., p. 245 (c’est l’auteur qui souligne).
17 Le Visage du Vent d’Est, Paris, Les Presses d’aujourd’hui, 1980, p. 63.
18 Pilgrim of the Void, op. cit., p. 47.
19 Les Cygnes sauvages, 1990, p. 156.
20 Ibid.
21 Pilgrim of the Void, op. cit., p. 244 (c’est nous qui soulignons).
22 Les Cygnes sauvages, 2013, p. 11.
23 Kenneth White, En toute candeur (1964), Préface et traduction de Pierre Leyris, Paris, Mercure de France, 1989, p. 11.
24 Il est au moins deux cas où les époux ont reconnu leur collaboration en tant que traducteurs : Hong Kong Scènes d’un monde flottant (Bilingual edition, Paris, Alfred Eibel, 1976) où il est indiqué sur la page de titre intérieure : « Texte anglais. Traduction française par Marie-Claude White et l’auteur », et Mahâmudrâ : le grand geste (Mercure de France, 1978) où le titre est suivi de la mention : « poèmes traduits de l’anglais par Marie-Claude White et l’auteur ».
25 Nous observons cependant que l’œuvre Dérives, parue pour la première fois en 1978 (Robert Laffont, les Lettres nouvelles) avec la mention « Traduit de l’anglais » sur la couverture, est ressortie tout récemment dans une « version remaniée » (Marseille, Le mot et le reste, 2017) qui ne parle plus de traduction, laissant supposer que c’est White lui-même qui est l’auteur du texte français : cette édition inaugure peut-être une nouvelle étape de l’histoire des œuvres littéraires de White où s’effacerait totalement la distinction entre langue de création et langue de traduction.
26 Voir Le Visage du Vent d’Est, 1980, p. 105 et p. 157, repris in Le Visage du Vent d’Est, 2007, p. 105 et p. 160.
27 L’Anorak du goéland, in L’Ermitage des brumes. Occident, Orient et au-delà, Paris, éditions Dervy, 2005, p. 108.
28 Le Visage du Vent d’Est, 1980, p. 87.
29 In Matsuo Bashô, The Narrow Road to the Deep North and Other Travel Sketches, translated from the Japanese with an Introduction by Nobuyuki Yuasa (1966), London, Penguin Books, s.d., p. 51-64.
30 Voir Bashô, Journaux de voyage, Paris, POF, 1984, p. 23-34.
31 Le Visage du Vent d’Est, 1980, p. 157. Cette note permet en outre de comprendre que, contrairement à ce que dit le texte avant et après ces deux citations et le commentaire qui les accompagne (« Je pensai à ce chapitre du Tchouang-tseu […]. Revenons à notre Voyage dans la Chine ancienne. », p. 156-157), Kenneth White n’a jamais abandonné la lecture de l’ouvrage auquel il s’est explicitement référé depuis le début du chapitre (« Le livre que je viens de lire et dans lequel j’ai puisé les informations qui précèdent, […] est le Voyage dans la Chine ancienne de Kiang Chao-Yuan, traduit du chinois en français par Fan Jen et publié à Shanghai en 1937. », p. 152). Cela montre que, pour lui, le récit de voyage (un terme qu’il ne revendique pas d’ailleurs, lui préférant celui de « way-book ») n’est pas compte rendu fidèle d’une expérience réelle, mais recréation d’un cheminement à la fois géographique et mental.
32 Voir par exemple Les Cygnes sauvages, 1990, p. 69.
33 L’Ermitage des brumes, op. cit., p. 108-109. Sur le « nomadisme intellectuel » de Kenneth White, voir notamment son essai L’Esprit nomade, Paris, Grasset, 1987, rééd. Le Livre de poche, Biblio Essais, 2008, et Michèle Duclos, Kenneth White nomade intellectuel, poète du monde, Grenoble, ELLUG, 2006.
34 Les Cygnes sauvages, 1990, p. 145.
35 Pilgrim of the Void, op. cit., p. 238.
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Référence électronique
Muriel Détrie, « L’identité mouvante des œuvres littéraires de Kenneth White », TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 29 septembre 2017, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/1657 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.1657
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