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AccueilPublications associéesSéminaires2017Des copies originales (N° 22 | 2017)Introduction

2017
Des copies originales (N° 22 | 2017)

Introduction

Claudine Le Blanc

Texte intégral

Cette introduction a bénéficié de l’élaboration commune du séminaire faite avec Muriel Détrie, ainsi que de sa relecture attentive.

  • 1 La disparition de l’original peut alors donner lieu à une traduction dans la langue originale, comm (...)

1Si l’on définit, de façon intuitive, la traduction comme la production, dans une autre langue, d’un texte équivalent à un texte premier, élevé dès lors au rang d’original selon une hiérarchisation logique autant que chronologique, force est de constater que bien souvent, et trop souvent pour que cela reste anecdotique, le dédoublement fait défaut, ou présente une difficulté. Deux cas, simples, de traductions sans texte original viennent immédiatement à l’esprit : celui où l’original a disparu avec le temps, celui où il n’a jamais existé. Le premier cas est illustré tant par le corpus gréco-latin, comme le rappelle ici Dimitri Garncarzyk dans « Originaux, traductions et langue neutre : pistes pour une théorie de la traduction-relais au xviiie siècle », que par la littérature bouddhique ancienne qui est connue par des versions tibétaines ou chinoises, ou le célèbre Saturne et la mélancolie de Panofsky, Saxl et Klibansky, dont l’original allemand disparut pendant le bombardement de Hambourg et qui parut finalement en 1964 dans un nouvel original, la version anglaise1. Le second cas, bien connu, est celui des pseudo-traductions dont certains exemples, présentés comme des traductions de poèmes ou de contes de tradition orale, sont fameux : les Fragments of Ancient Poetry, collected in the Highlands of Scotland, and translated from the Gaelic or Erse language (1760), attribués au légendaire Ossian par James Macpherson, ou La Guzla. Choix de poésies illyriques recueillies dans la Dalmatie, la Croatie et l’Herzégovine que fit paraître Mérimée en 1827 et qui trompa Pouchkine aussi bien que Mickiewicz. Ce qui était présenté comme copie se trouvait être un original.

2Mais entre ces deux extrêmes clairement identifiables s’étend toute une gamme de traductions ayant reçu le statut d’œuvres originales, parce que le texte premier a, pour des raisons diverses, été éclipsé sans avoir pour autant disparu, ou que la distinction entre texte premier et texte second, entre copie et original, reste indécise ou a été brouillée.

3On prendra deux exemples pour illustrer notre propos.

Contrefaçons prosélytiques et autres preuves de l’universalité de la création : écrits de missionnaires jésuites en Inde

  • 2 Pour plus de détails, voir la fiche très complète rédigée par Claire Gallien dans la Banque de donn (...)
  • 3 Voir le chapitre intitulé « Des Bracmanes, du Védam, et de l’Ezourvedam » dans la deuxième édition (...)

4Le premier, qui fut l’objet d’une fameuse controverse au xviiie siècle, est l’Ezour Vedam. Rappelons brièvement les faits2. En 1760, Voltaire reçut la visite d’un militaire français, Louis-Laurent de Féderbe, chevalier de Maudave qui, de retour d’Inde, lui offrit la copie d’un manuscrit déjà possédé par la Bibliothèque royale, l’Ezour Vedam, envoyé en France en 1731 par la mission jésuite du Carnate comme la traduction en français d’un des textes sacrés de l’Inde ancienne, les Védas. Dans une lettre antérieure dont un fragment est conservé au Muséum d’Histoire naturelle à Paris, Maudave précisait que le texte, écrit sous la forme d’un dialogue entre le brahmane Chumontou et Biache, un « Indien idolâtre », avait été traduit en français par le père Martin ; mais Maudave émettait des doutes sur la qualité de la traduction, en signalant des convergences appuyées avec la doctrine chrétienne et des contradictions dans les positions de Chumontou. Voltaire s’enthousiasma pour ce texte, qui lui apparut comme un témoignage précieux sur « l’ancienne religion des gymnosophistes » au moment où celle-ci commençait à être corrompue par la superstition3.

  • 4 Pour la transcription des termes appartenant aux langues indiennes, les conventions suivantes ont é (...)
  • 5 Pierre Sonnerat, Voyage aux Indes orientales et à la Chine, Paris, chez l’Auteur, Nyon, Froulé, Bar (...)

5Cependant, en Grande Bretagne, en proie à une autre controverse – la controverse autour des poèmes d’Ossian –,  le texte redécouvert par Voltaire est accueilli avec beaucoup plus de circonspection par les représentants du nouvel orientalisme, savant et institutionnel, qui se développe dans le cadre de la colonisation de l’Inde. En menant une comparaison précise avec les textes de l’Inde ancienne récemment découverts, John Holwell et Alexander Dow, respectivement administrateur et officier de l’armée de l’East India Company, dénoncent l’imposture de l’Ezour Vedam. En France, les positions sont moins tranchées : un des orientalistes les plus connus, Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron qui examine en 1766 une nouvelle copie de l’Ezour Vedam arrivée en France juge que certains passages ne peuvent avoir été écrits que par un Européen, mais s’il met en cause la qualité de la traduction, il ne doute pas de l’authenticité du texte. Lorsque l’ouvrage est publié par l’antiquaire Sainte-Croix en 1778, le voyageur Pierre Sonnerat réagit cependant vivement dans son Voyage aux Indes orientales (1782) : le manuscrit vendu comme un texte indien authentique n’est autre, écrit-il, qu’« un livre de controverse écrit à Masulipatam par un Missionnaire. C’est une réfutation de quelques Pourannon [PurâNa4, compilation mythologique] à la louange de Vichenou, qui sont de bien des siècles postérieurs aux Védams. On voit que l’auteur a voulu tout ramener à la religion Chrétienne, en y laissant cependant quelques erreurs, afin qu’on ne reconnût pas le Missionnaire sous le manteau de Brame5. »

  • 6 L’accommodation, ou adaptation, désigne dans l’exégèse biblique une pratique d’interprétation d’un (...)
  • 7 Ainsi « Réfutation de la métempsychose » (PunarjanmâkSepam) probablement composé en vernaculaire pa (...)
  • 8 Ezourvedam: A French Veda of the Eighteenth Century, Amsterdam and Philadelphia, John Benjamins, « (...)

6L’affaire fut dénouée au début du xixe siècle lorsqu’on découvrit dans la bibliothèque des missions catholiques de Pondichéry un nouveau manuscrit de l’Ezour Vedam et un ensemble de textes similaires. Francis Whyte Ellis, administrateur civil de l’East India Company et indianiste, montra alors dans un article posthume publié dans le quatorzième volume des Asiatic Researches (1822) que l’Ezour Vedam était une œuvre écrite en 1621 par le jésuite italien de la mission du Madurai, Roberto De Nobili, dans le cadre de l’accommodatio mise en œuvre par les jésuites pour la conversion des peuples « idolâtres6 ». Confrontés aux résistances des brahmanes, les jésuites avaient cherché à les convaincre en leur proposant des écrits imités de textes sacrés indiens qui venaient montrer la supériorité du christianisme7. L’Ezour Vedam est dès lors classé parmi les « pseudo-Védas » traduits du sanskrit, du tamoul ou du bengali vers le français. Cependant son originalité, si l’on peut dire, est qu’aucun original n’a jamais été trouvé. Selon Ludo Rocher8, le texte a été rédigé directement en français, ou plus exactement n’a jamais été traduit dans une langue indienne, puisque c’est dans ce sens que devaient été fabriqués des textes qui, sous l’apparence de « pseudo-Védas », en l’occurrence « pseudo-Yajur-Véda », étaient bien des traductions-adaptations du « Livre de Jésus », en tamoul Ezour [prononcé « Yezour » ] Vedam (où Véda ne signifie pas Veda, mais, de façon générique, « livre sacré »).

7Doublement « copie originale » (traduction apostolique inachevée qui aurait dû être présentée comme PurâNa en Inde ; pseudo-traduction d’un texte sacré indien à l’usage des philosophes), l’Ezour Vedam a fini comme pièce à charge contre l’orientalisme missionnaire, déjà affaibli par la dissolution de la Compagnie de Jésus en 1773 et la fermeture des missions en Inde. En disqualifiant les amateurs, coupables de naïveté ou d’asservissement à des fins idéologiques, l’orientalisme colonial imposa alors sa scientificité, non sans masquer du même coup ses propres partis-pris. Ce qui est remarquable en effet, c’est la relativité de l’original chez les jésuites comme chez Voltaire dont la « croyance » en l’Ezour Vedam n’est pas prouvée ; les savants, eux, posèrent la primauté d’un original, qui de fait, ne put se trouver. Alors que les philologues prenaient le relais des théologiens dans la sacralisation de la lettre, paradoxalement, c’est dans l’espace du religieux que se trouva amorcée une désacralisation du texte parce que, plus encore que le texte, comptaient la réalité de la Création, l’esprit et les exigences de la conversion. En ce sens, ces textes prosélytiques prouvaient l’universalité de la création non parce qu’ils auraient renvoyé à un texte unique de la Révélation, mais parce qu’ils manifestaient, dans la diversité du réel, un socle commun qui permet la traduction, l’adaptation et même la tromperie.

8Cela se trouve illustré par un autre écrit jésuite indien, du xviiie siècle cette fois : Paramârtta kuruviN katai / Les Aventures du Gourou Paramarta. Il s’agit d’une œuvre en tamoul de Costanzo Giuseppe Beschi (1680-1747) présentée comme un recueil de fables indiennes alors que le volume reprend, dans une large mesure, des fables occidentales. D’origine italienne, Beschi passa trente-sept ans de sa vie en Inde du Sud, où il mourut ; il acquit une maîtrise remarquable du tamoul qui lui permit de rédiger un dictionnaire et une grammaire de cette langue ainsi qu’une épopée chrétienne en tamoul, la Thembâvanî (« La Guirlande inaltérable »), consacrée à la vie de Saint Joseph. À la fois premier spécialiste de tamoul et fondateur de la prose tamoule moderne, Beschi est connu aujourd’hui encore au pays tamoul comme un renonçant chrétien devenu poète et érudit tamoul sous son nom de Vîramâmunivar (« ascète héroïque »). Or, cette popularité est principalement due au Paramârtta kuruviN katai, qui met en scène un maître spirituel stupide (Guru Paramarta) et ses cinq disciples (Stupide, Idiot, Hébété, Badaud et Lourdaud), pour reprendre les noms de la traduction française proposée en 1826 par l’Abbé Dubois (1766-1848), prêtre des missions étrangères qui avaient pris la suite des jésuites en Inde.

  • 9 Le Pantcha-tantra ou les cinq ruses, fables du Brahme Vichnou-Sarma, Paris, J.-S. Merlin, 1826, p. (...)
  • 10 Ibid., p. xiv-xv.

9Cette traduction a été publiée en annexe de la traduction par Dubois de versions vernaculaires du recueil de contes du Pañcatantra9. Dans la préface, Dubois précise que même si certains pensent que « le P. Beschie [sic] » est l’« auteur » de ces histoires comiques (du type : des citrouilles prises pour des œufs de jument, etc.), lui-même soutient que Beschi n’en a été que le compilateur : « J’ai reconnu, écrit-il, le fond de ces contes dans des pays où ni le nom ni les écrits du P. Beschie [sic] n’étaient jamais parvenus, et je ne fais aucun doute qu’ils ne soient réellement d’origine indienne au moins quant au fond, quoique ce ne soit en effet qu’une satire fine contre les brahmes10. »

  • 11 Aventures du Gourou Paramarta, conte drôlatique indien, Paris, A. Barraud, 1877, incipit de la préf (...)
  • 12 Ibid., p. ii.
  • 13 Ou anti-luthérienne, selon R.E. Asher, « Aspects de la prose dans le Sud de l’Inde », BEFEO, 1972, (...)
  • 14 Ibid., p. iv.
  • 15 « Les œufs de jument » a été collecté dans les années 1970 au Québec (CT1319 : La citrouille vendue (...)

10Dans la réédition de 1877 des seules Aventures, illustrées de nombreuses eaux-fortes, le préfacier Francisque Sarcey, critique dramatique et journaliste français (1827-1899), opposant à Napoléon III, mais par la suite anti-communard et anti-dreyfusard, affirmait lui aussi la dimension populaire de ces contes, tout en minorant la question de leur origine : « Il ne faut point me demander l’origine de ce petit conte. Tout ce que nous en savons, c’est qu’il nous vient d’Inde […] J’imagine que ces histoires ont longtemps flotté dans l’imagination populaire, comme nos Contes de fées, avant que Perrault les ramassât en forme de livre, comme nos fabliaux11… » Sarcey, qui reconnaît qu’il ne connaît rien à l’Inde – il lit « tancourt » pour « tamoul » –, juge qu’il est clair qu’il s’agit d’une compilation car, dit-il, l’œuvre d’un peuple enfant ne pourrait être rédigée par « un lettré, fût-il jésuite12 ». Sarcey passe sous silence la charge anti-brahmanique13 et s’attache au comique, développant une comparaison avec le personnage du valet niais Jocrisse, et plus généralement avec la figure du sot qui « est aussi vieille que le monde14 » – d’où le sous-titre qu’il ajoute, « Conte drôlatique », qui assimile le texte à un genre illustré entre autres par Balzac. L’universalité du propos est également suggérée par la page de titre, qui donne à lire dans un phylactère la sentence parodique clôturant la dernière aventure (« La froideur du derrière est un signe de la mort »). Comme pour l’Ezour Vedam, la réception est aveugle à la dimension prosélytique, non pas tant par manque de rigueur scientifique que par indifférence à l’idée même d’original, qu’il s’agisse d’un original indien, ou d’un écrit missionnaire. Ce qui compte, c’est un principe d’universalité ; où il importe peu que le recueil puisse être le résultat de l’introduction de contes15, de Boccace notamment (dont s’est d’ailleurs inspiré Balzac) et plus généralement de fabliaux médiévaux sur les nigauds (du type « Le larron qui embrassa un rayon de lune »), c’est-à-dire d’une tradition anticléricale européenne. Le fait est que cette tradition a rencontré la tradition indigène de satire anti-brahmanique, ce qui explique le succès du recueil au pays tamoul.

  • 16 Op. cit., p. 236, note 1.
  • 17 Aventures.., op. cit., p. 54.

11L’original, parfois, est invisible : à un seul moment, dans la première aventure, Dubois évoque la possibilité d’une interpolation par « Beschie », mais il rejette l’hypothèse, car il s’agit d’une histoire « originairement indienne, et généralement connue dans le pays16 » ; ni lui ni Sarcey ne font de remarque en revanche sur une réplique de Lourdaud dans la deuxième aventure, « N’entendons-nous pas dire tous les jours que Celui qui sème de la bonne semence recueillera de bon grain17 ? », alors même que la traduction opère un rapprochement avec la parabole dans Matthieu, 13 de la bonne semence et de l’ivraie. Comme pour l’Ezour Vedam, l’original par excellence, l’Évangile, bien connu, n’est pas reconnu (ou plutôt pas bien reconnu).

Des études de traduction à la théorie littéraire : circulations en traduction, créations traductives

  • 18 Non sans parti pris, car le naturel stupide du gourou et de ses compagnons semble bien convenir à d (...)
  • 19 Ce qui confirme la conception classique de la traduction telle que l’analyse Dimitri Garncarzyk, vo (...)
  • 20 Pour une réflexion sur cet aspect par définition négligé de la vie littéraire, on lira, de Judith S (...)
  • 21 Ceux-ci, à l’exception de la contribution d’Adeline Liébert, ont été présentés oralement dans le ca (...)

12Associant dans le contexte des Lumières un art d’user des originaux et un postulat d’universalité18, ces deux exemples suggèrent qu’il n’y a, au fond, que de la copie ou, pour reprendre une expression d’époque, des « originaux seconds19 ». D’autres cas envisagés dans le présent volume s’attachent à montrer, à l’inverse, que toute copie est un original. Les deux ne sont pas nécessairement contradictoires : par-delà les aléas de la transmission des textes (dans le cas des originaux perdus20) et les voies tortueuses qu’emprunte parfois la création pour trouver un public (dans celui des pseudo-traductions), c’est à une remise en cause générale des évidences terminologiques qu’invitent les textes réunis ici21, qui explorent un éventail de brouillages et d’indistinctions entre original et traduction, en Occident et en Orient, à l’âge classique aussi bien que dans la modernité et la postmodernité, dans les pratiques de lecture comme dans la création.

  • 22 Voir Sarah Kofman, L’enfance de l’art. Une interprétation de l’esthétique freudienne, Paris, Payot, (...)
  • 23 « Charles Baudelaire », Le Moniteur, 9 septembre 1867.
  • 24 « L’Europe des traductions est d’abord l’Europe de l’effacement des traductions », Poétique du trad (...)
  • 25 « Translations […] edit, highlight and compensate. Great translations go a step further ; instead o (...)
  • 26 Voir les travaux, d’inspiration bourdieusienne, de Pascale Casanova sur le champ littéraire interna (...)

13Les œuvres traduites sans texte premier clairement identifiables, qu’on a appelées « copies originales », en s’inspirant de la spéculation freudienne sur l’œuvre d’art comme substitut originaire22, intéressent la réflexion sur la littérature à plusieurs titres. Si elles invitent, de façon générale, à remettre en cause la notion d’œuvre originale dans son lien avec une langue de création et une édition de référence – et fondent ainsi, dans le fait littéraire même, la démarche comparatiste non sans bousculer le principe même des études de réception –, elles manifestent d’abord plus particulièrement ce qui semble une tentation profonde de la pratique de la traduction, celle de conquérir son autonomie par des « traductions tellement excellentes qu’elles semblent des œuvres originales23 », comme l’écrivait Théophile Gautier des traductions de Poe par Baudelaire. Tentation au demeurant constitutive peut-être de la formation de tout patrimoine littéraire, si l’on suit Henri Meschonnic lorsqu’il pose dans Poétique du traduire que l’Europe s’est construite par des traductions dont l’origine en tant que telle a été effacée24. Le poète et critique indien Arvind Krishna Mehrotra, lui-même traducteur, va jusqu’à évoquer la dimension meurtrière (« homicidal ») des grandes traductions qui, tel The Rubaiyat of Omar Khayyam d’Edward Fitzgerald, « anéantissent l’original et font transmigrer son âme dans une autre langue25 ». Fruit de réceptions créatrices, les « copies originales » sont aussi souvent, en effet, le produit de circulations inégalitaires, où l’original et son auteur, parce qu’ils relèvent d’un genre mineur (la littérature pour la jeunesse, par exemple, que traite ici Mathilde Lévêque dans « Quand les souris dînent au clair de lune et que les chats font des chiens : réflexions sur le statut de l’œuvre originale dans quelques albums traduits pour la jeunesse ») ou de langues et de traditions minorées, se trouvent écrasés, voire effacés par une autorité seconde, celle d’un écrivain traducteur ou d’une traduction-relais faite dans une langue de médiation (le latin et le français à l’époque classique, l’anglais depuis le xviiie siècle)26. Ces traductions ont souvent imposé une image particulière de l’œuvre, qui à son tour a été diffusée par les nouvelles traductions auxquelles elles ont donné lieu : on peut penser au rôle joué par les traductions anglaises de Mishima ou, plus troublante, à l’autotraduction par Tagore de son recueil de poèmes bengalis qui lui valut le Prix Nobel de littérature en 1913.

  • 27 On pourra citer l’exemple du roman Khasâkkinte Itihâsam (1969) d’O.V. Vijayan, dont l’original en m (...)
  • 28 Le recueil de pseudo-poèmes chinois intitulé La Flûte de jade (1927) a fait l’objet en 1970 d’une é (...)

14Car parfois le dédoublement traductif existe, mais il prend place dans le processus de création de l’auteur, et permet des repentirs, voire une inflexion de l’œuvre27. Loin d’effacer un original et son auteur, la traduction contribue alors à l’extension du domaine de celui-ci, et autorise de multiples jeux. Œuvre de l’auteur, ou contrôlée par lui, elle peut apparaître la première dans l’ordre de la publication et orienter la réception de l’original, entraînant éventuellement un remaniement de celui-ci (ainsi des œuvres de Kenneth White qu’étudie ici Muriel Détrie dans « L’identité mouvante des œuvres littéraires de Kenneth White », qui furent publiées d’abord en traductions françaises, puis en versions « originales » anglaises), quand elle ne commande pas d’emblée l’écriture, pour Kundera par exemple qui, après son départ de Tchécoslovaquie, se trouva en situation d’écrire pour des traducteurs. Prenant acte de l’hégémonie de la langue anglaise (ou parce qu’ils sont censurés dans leur pays d’origine, tel le Chinois Ma Jian), de plus en plus d’écrivains aujourd’hui en viennent à publier leurs œuvres d’emblée en traduction – la traduction restant parfois la seule version disponible – et c’est cette traduction qui est utilisée pour la traduction en d’autres langues. De tels phénomènes rejoignent le cas plus structurel de traductions qui établissent le texte premier, qu’il s’agisse des traductions fondées sur un manuscrit ou des traductions-transcriptions de la littérature orale (présenté dans ce numéro par Ines Horchani dans « La traduction des littératures orales comme copie originale : l'exemple des contes berbères et de la geste hilalienne ») ; on ne saurait toutefois manquer de noter leur démultiplication dans le monde contemporain, marqué par l’émergence de nouvelles formes de cosmopolitisme, la globalisation du marché littéraire (et les facilités de communication entre écrivain et traducteur, dont témoigne ici Paolo Magagnin dans « Traduire un texte entre les langues. Retour sur l’expérience de traduction de Hong bai hei »), ainsi que l’intégration des nouveaux médias à la vie littéraire (voir à ce sujet l’article d’Anne Isabelle François « Le dragon, le traducteur et la " copie originale ". Pseudo-traduction, littérature de fantasy et dispositifs multimédiatiques »). À la fois unes et doubles, ces œuvres mettent en question les lignes de partage traditionnelles : les publications en version bilingue (tel Impressions d’été, recueil de haikus en chinois et français de Ying Chen, écrivain d’origine chinoise, mais d’expression française), voire en version plurilingue posent la question de savoir quelle version est l’original, et quelle version est la traduction. De telles pratiques, qui bouleversent la dichotomie apparemment claire entre ce qui traduit et ce qui est traduit, témoignent d’une interculturalité généralisée, pour partie subie, mais aussi subversive, qu’exploitaient déjà des pratiques fictionnelles plus anciennes, du Don Quichotte donné par son narrateur comme la traduction d’un manuscrit arabe comme le rappelle Adeline Liébert dans son texte « Fiction et simulacre de la traduction chez Cervantes, Balzac et Cheng : conjectures en forme de cheminement trajectif et politique », jusqu’à ces cas limites que sont les « poèmes chinois » de Franz Toussaint écrits après leur « traduction28 », en un scénario d’invention du texte premier par le traducteur que Claude Bleton a exploité avec humour dans son roman Les Nègres du traducteur (2004).

  • 29 Voir Raphaëlle Leyris, « En visite dans le réel », Le Monde des livres, 6 juin 2014, p. 10.

15Dès lors, dans un retournement de la conception traditionnelle de la traduction comme lieu de déperdition, celle-ci devient un atout – une possibilité d’émancipation du cadre culturel intralinguistique comme le montre Soufian Al Karjousli à propos du Coran (« Restitutions coraniques en question et imaginaires du Coran », et que manifeste aussi bien la démarche de Yoko Tawada étudiée par Tom Rigault (« L’original n’existe pas : Yoko Tawada entre allemand et japonais »)–, voire une nécessité : un « dispositif d’embrayage par le vide » qui rend possible l’énonciation poétique pour Jacques Brault, écrivain québécois présenté ici par Myriam Suchet (« Jacques Brault et la nontraduction, un Unland original »). On comprend ainsi pourquoi, de façon de plus en plus fréquente, la traduction se trouve au cœur du processus d’écriture : après avoir écrit le texte de Sept années de bonheur en hébreu, l’écrivain israélien Edgar Keret a choisi de le traduire en anglais afin de le retravailler à une distance qui interdisait toute complaisance et neutralisait la question du destinataire29. En intégrant la traduction à l’écriture, procédé qui ne se superpose ni à l’autotraduction, ni à l’écriture en deux langues, comme le donne à voir l’œuvre de Yoko Tawada développée dans l’entre-deux des langues allemande et japonaise, l’écrivain gagne des espaces d’expérimentation, voire des vies possibles, tel Water Moers dédoublé en dragon (v. l’article d’Anne Isabelle François), mais aussi Saint-John Perse qui envisageait la traduction de son œuvre (parfois confiée à d’autres) comme un mouvement d’ouverture et d’expansion de l’Être et de la parole poétique (v. l’article d’Olivier Liron « Les traductions et autotraductions de Saint-John Perse en Amérique latine et aux États-Unis »).

  • 30 La proximité entre le poème XXX du Jardinier d’amour de Tagore, traduit en espagnol en 1924, et le (...)
  • 31 Voir « Traductions en anglais », Bibliographie Maupassant, Memini, 2008, t. I, p. 277 sqq. Les écla (...)

16En même temps, cette auctorialité accrue est toujours susceptible de se dégonfler et de révéler sa fragilité, soit parce qu’il ne s’agit en vérité que de fiction de traduction et de langues imaginaires – on peut penser au dragon Hildegunst von Mythenmetz comme aux récits d’Antoine Volodine « traduits » d’une langue étrangère qui n’existe pas –, soit parce que l’écriture entre les langues n’est pas sans affinité avec une forme d’imposture, que débusque avec virtuosité l’ironie romantique de Jean Paul étudiée par Aurélie Moioli dans « Traduire, un " acte filoutique " dans Leben Fibels de Jean Paul ». Le grand auteur se dévoile alors en génie plagiaire, tel Jacques Brault qui ne sait plus à quelle poétesse russe il emprunte. La traduction est en effet une des façons les plus efficaces de voler les mots des autres sans qu’il y paraisse30 – ou de lui en attribuer, ce qui revient sans doute au même : Maupassant en anglais est depuis 1903 l’auteur d’une trentaine de contes qui lui sont selon toute probabilité faussement attribués (tels que « The Debt », « A Night in White Chapel », ou « The Lancer’s Wife », adapté ensuite au cinéma « d’après Maupassant »), mais qui, proches des « originaux » par leurs thèmes et par leur style, n’ont jamais été écartés des éditions ultérieures31.

  • 32 À paraître.

17Originaux masqués en copies (dans le cas de la pseudo-traduction) ou copies exhibées comme originaux (dans le cas des traductions plagiaires) : c’est toute la question de la singularité créatrice que posent les traductions-copies originales, qui sèment dans le champ littéraire le vertige autant que le soupçon. Car plus l’identité à soi est manifeste, plus elle peut s’avérer douteuse. C’est le paradoxe que met bien en lumière ici Paolo Bellomo dans son étude de la pratique du pastiche d’œuvres étrangères en France au xxe siècle (« L’original inarrêtable. Pastiches d’œuvres étrangères, pastiches de traduction »), qui redouble le paradoxe de tout pastiche, lequel constitue mécaniquement un modèle imaginaire en original – ce qui rejoint l’analyse que propose Muriel Détrie du haiku international comme « forme simple originale non originelle32 ». Que vise en effet l’imitation dans le cas du pastiche d’une œuvre étrangère : le style d’un auteur, le style de la traduction, la langue étrangère ? L’imposture suprême de la traduction serait d’ailleurs peut-être de faire croire aux langues, c’est-à-dire à une identité linguistique ou culturelle que se plaît à mythifier et démystifier le Dictionnaire Khazar de Milorad Pavić dont Mathias Verger propose ici une lecture résolument pluraliste (« Le Dictionnaire Khazar : de la crise de l’original à la crise de la langue originale »).

  • 33 Rainier Grutman, à qui l’on doit la notion, définit l’hétérolinguisme comme « la présence dans un t (...)
  • 34 Voir Myriam Suchet, L’imaginaire hétérolingue. Ce que nous apprennent les textes à la croisée des l (...)

18En ce sens, traductions et traductions imaginaires finissent par se rejoindre parce qu’aucune langue n’apparaît pur donné, ni entité fixe et close, ce qu’illustre de façon remarquable la pratique de la lecture japonaise des poèmes chinois présentée ici par Marguerite-Marie Parvulesco (« Kanshi, poèmes chinois et japonais. Écriture, lecture et traduction »), que rendent possible les spécificités de l’écriture chinoise, où la traduction prend la forme d’une lecture autre de l’original qui ne le dédouble ni ne le fait disparaître. Loin d’être un cas extrême, l’hétérolinguisme33 mis en œuvre par l’écrivain chinois Chen He dans Hong bai hei, qui conduit son traducteur italien à traduire en albanais (v. l’article de Paolo Magagnin), fait apparaître un continuum d’altérité dans toute pratique linguistique, qui bouleverse la notion même de traduction34.

Figures nouvelles de la traduction

  • 35 Voir par exemple Catherine Kinztler, « La copie et l’original », revue DEMéter, décembre 2003, Univ (...)
  • 36 Traditionnellement opposée à la gravure originale (où le graveur est l’auteur du « dessin »), l’est (...)
  • 37 Voir Bernard Lahire, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le s (...)

19Un tel vertige nous est pour une part devenu familier : la remise en question de la distinction entre original et copie en esthétique n’est pas en soi originale35. Le champ de l’art est à cet égard un lieu riche d’enseignements par ses pratiques de duplication, celle des bien-nommés « graveurs-traducteurs » au xviiie siècle par exemple36, mais aussi parce que, plus radicalement, comme des travaux sociologiques récents l’ont montré, c’est le discours qui y fait la « copie » ou l’« original » : un même tableau peut passer d’un statut à l’autre, et être dès lors vu différemment, dans une émotion différente, en un processus qui révèle bien ce qui ressortit dans l’art à un processus de fabrication ou de subversion du sacré37, que l’on trouve évoqué dans plusieurs des articles ici réunis.

  • 38 En mars 2015 un colloque de l’American Comparative Literature Association à l’University of Washing (...)
  • 39 Voir notamment Ronald Jenn, La pseudo-traduction de Cervantès à Twain, Louvain, Peeters, 2013.
  • 40 Routledge, 1999.
  • 41 Voir Sherry Simon, « Translating and interlingual creation in the contact zone : border writing in (...)
  • 42 Voir Maria Tymoczko, Post-colonial writing and literary translation », ibid., p. 19-40 et G.J.V. Pr (...)
  • 43 Citons Maria Tymoczko, « Reconceptualizing Translation Theory : Integrating Non-Western Thought abo (...)

20Ce n’est en revanche que plus récemment qu’on a vu se multiplier les colloques consacrés à la traduction et abordant de façon variée la question de l’original38, tandis que la recherche sur la pseudo-traduction était reprise à nouveaux frais, dans une perspective moins érudite et plus théorique39. Cependant les discussions restent souvent d’ordre technique et pragmatique, et les implications littéraires du brouillage entre originaux et traductions opéré par la traduction elle-même, qu’on a voulu examiner ici, sont assez peu envisagées, sauf dans quelques cas emblématiques tels que celui de Beckett, ou lorsque les études de traduction se trouvent associées à une perspective postcoloniale : le volume collectif dirigé par Susan Bassnett et Harish Trivedi, Post-Colonial Translation. Theory and Pratice40 est riche en exemples de dissolution de l’opposition entre original et traduction, qu’il s’agisse des zones de contact où, dans la co-existence et la friction des langues, le processus même de traduction se défait41, ou de la littérature postcoloniale dont les auteurs écrivent comme s’ils traduisaient42. Or, on l’a vu, autant et plus que la part des traducteurs (illustrée ici par les articles de Didier Chiche « Une réécriture sous contrainte : la traduction d’un roman japonais (Soleil couchant, de Dazai) » et Paolo Magagnin, qui sont aussi des témoignages de professionnels de la traduction) ou tout autre terme du processus traductif, c’est en définitive toute la conception de la traduction comme opération de transfert interlinguistique qui se trouve bousculée et réévaluée par la problématisation de la notion d’original. Les traductions-copies originales opèrent ainsi un décentrement qui fait écho aux études menées récemment sur les pratiques et les conceptions non occidentales de la traduction, où bien souvent ni l’originalité ni la langue ne sont des notions pertinentes43.

  • 44 On pourrait ajouter les analyses de la traduction inspirées plus spécifiquement par la pseudo-tradu (...)

21Par-delà la relativisation de ce qui apparaît comme le moment romantique de l’originalité (d’un auteur, d’un texte), et qui est du même mouvement celui de sa contestation, comme on le voit chez Jean Paul ou Pavić, ce que fait apparaître la série retenue de traductions-copies originales, ce sont des figures différentes de la traduction, plus ou moins méconnues, parfois oubliées. Le texte traduit est une nouvelle « empreinte linguistique » (D. Garncarzyk) d’une pensée qui précède le discours sans constituer pour autant un original (dans la conception du xviiie siècle français, mais aussi celle de Yoko Tawada) ; une « trace » (I. Horchani) ; un « miroir sans reflet » (Y. Tawada). Le processus de traduction, lui, est conçu comme écriture sous contrainte, « quasi oulipienne » (D. Chiche) lorsqu’il s’agit de traduire d’une langue qui, contrairement à la langue-cible, privilégie l’ordre de la perception sur celui de la narration ; processus d’émancipation de la culture d’origine et désacralisation du mythe de l’origine (qu’il s’agisse d’un texte sacré ou d’écriture poétique) ; « catégorie non spécifique de l’intertextualité » (selon l’expression de D. Garncarzyk, qui vaut aussi bien pour l’œuvre de Pavić ou de Moers) et, dans une extension qui rejoint la dénonciation de l’imposture de la traduction interlinguistique, mouvement même de la création littéraire (pour K. White, J. Brault, Y. Tawada ou encore Saint-John Perse), aussi bien, du côté de la réception, qu’exercice de la lecture (Pavić, Y. Tawada, la poésie japonaise écrite en chinois, ou kanshi)44

22Libérée de sa définition étroite – assujettie à la diversité linguistique et à l’ordre du temps – la traduction peut alors apparaître comme la figure même de la littérature, au risque de se dissoudre en tant que telle : il n’y a pas de traduction en définitive pour K. White, et dans l’œuvre de Yoko Tawada comme dans les kanshi, la traduction n’est autre qu’une lecture bilingue. Mais dans cette reconfiguration, elle se situe aussi au point de rencontre de la littérature et des autres langages, et ce n’est sans doute pas un hasard si, parmi les textes qui travaillent, bouleversent, inversent, effacent leur secondarité, et la secondarité même en usant de l’opération de traduction (mais en la perturbant aussi), un certain nombre possèdent une dimension visuelle forte, par leur mise en page et/ou l’usage de systèmes d’écriture idéographiques. Or, dans le champ de ce qu’on appelle les traductions transmédiatiques ou intersémiotiques, la notion de « nouvel original » relève presque de l’évidence. L’évidence est à préciser toutefois : les « copies originales » en ce domaine ne se réduisent pas aux cas classiques de transposition ou d’adaptation de la littérature, à propos desquelles la notion de traduction est souvent moins repensée qu’utilisée de façon métaphorique. D’autres « copies originales » sont devenues courantes dans le monde contemporain qui, loin de copier la littérature, la révèlent en copie : l’album pour enfants traduit étudié ici par Mathilde Lévêque, ou la novellisation, abordée pour finir par Claudine Le Blanc, sont autant de lieux de métamorphoses et de perturbations chronologiques se plaisant d’ailleurs, à l’instar du roman moderne ou de la poésie, à thématiser et problématiser la notion d’origine.

23Ces « copies originales » nouvelles manifestent la fortune du phénomène en un temps où création et production culturelle tendent à se confondre, pour en jouer souvent. Mais les traductions sans texte premier et leurs enjeux théoriques, on l’aura compris, ne se limitent pas au monde contemporain. C’est pourquoi le numéro s’ouvre par des réflexions sur ces copieurs originaux que sont les traducteurs, du xviiie siècle à l’extrême contemporain, puis s’attache au travail d’émancipation et de subversion de l’original confié à la traduction, qu’il s’agisse de traductions réelles ou de traductions fictionnelles, avant de s’arrêter sur quelques exemples de créations littéraires contemporaines dans et par la traduction. La dernière section se penche enfin sur des traductions qui, parce qu’elles mettent en jeu des éléments visuels (idéogrammes, illustrations des albums pour enfants, images et fantasmes d’une série télévisée), donnent à voir dans la traduction un jeu de signes aux significations instables, inachevées, en quête de sens plutôt que détentrices et productrices de sens. En bouleversant les représentations de l’ordonnancement de la création dans le temps, les traductions-copies originales défont ainsi non seulement les langues, mais la parole dans sa prétention, et son aspiration à avoir un sens.

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Notes

1 La disparition de l’original peut alors donner lieu à une traduction dans la langue originale, comme ce fut le cas pour The Drum Singers de l’écrivain chinois Lao She.

2 Pour plus de détails, voir la fiche très complète rédigée par Claire Gallien dans la Banque de données AGON (http://base-agon.paris-sorbonne.fr/querelles/controverse-de-l-ezour-vedam).

3 Voir le chapitre intitulé « Des Bracmanes, du Védam, et de l’Ezourvedam » dans la deuxième édition de l’Essai sur les mœurs de 1763.

4 Pour la transcription des termes appartenant aux langues indiennes, les conventions suivantes ont été retenues (sauf pour les noms de lieux ou de dieux donnés dans leur forme d’usage en français) : l’accent circonflexe note une voyelle longue, la majuscule un son rétroflexe, « sh » enfin représente le s palatal.

5 Pierre Sonnerat, Voyage aux Indes orientales et à la Chine, Paris, chez l’Auteur, Nyon, Froulé, Barrois, 1782, vol. 1, p. 215.

6 L’accommodation, ou adaptation, désigne dans l’exégèse biblique une pratique d’interprétation d’un texte ou d’une doctrine, présumée divine, à la lumière de circonstances nouvelles, en l’occurrence ici les exigences du prosélytisme.

7 Ainsi « Réfutation de la métempsychose » (PunarjanmâkSepam) probablement composé en vernaculaire par De Nobili et traduit en sanskrit, ou « Vingt sermons » (Iruvai PrasamgâLu) en télougou. Voir Jackie Assayag, Jackie, Catherine Champion, Pascale Chaput, Catherine Clémentin-Ojha, Gérard Colas, Marc Gaborieau, Gilles Tarabout, « Un programme de recherche du Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud : Acculturation du christianisme et de l’islam en contexte hindou », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, t. 80, 1993, p. 291.

8 Ezourvedam: A French Veda of the Eighteenth Century, Amsterdam and Philadelphia, John Benjamins, « University of Pennsylvania Studies on South Asia 1 », 1984.

9 Le Pantcha-tantra ou les cinq ruses, fables du Brahme Vichnou-Sarma, Paris, J.-S. Merlin, 1826, p. 231-338.

10 Ibid., p. xiv-xv.

11 Aventures du Gourou Paramarta, conte drôlatique indien, Paris, A. Barraud, 1877, incipit de la préface, p. i.

12 Ibid., p. ii.

13 Ou anti-luthérienne, selon R.E. Asher, « Aspects de la prose dans le Sud de l’Inde », BEFEO, 1972, vol. 59, p. 123-188. Asher précise : « La plupart des lecteurs ne se doutent pas de cet aspect de l’histoire et la lisent pour son côté plaisant. »

14 Ibid., p. iv.

15 « Les œufs de jument » a été collecté dans les années 1970 au Québec (CT1319 : La citrouille vendue comme un œuf d’âne).

16 Op. cit., p. 236, note 1.

17 Aventures.., op. cit., p. 54.

18 Non sans parti pris, car le naturel stupide du gourou et de ses compagnons semble bien convenir à des Indiens enfants…

19 Ce qui confirme la conception classique de la traduction telle que l’analyse Dimitri Garncarzyk, voir ici « Originaux, traductions et langue neutre : une théorie de la traduction-relais au xviiie siècle ».

20 Pour une réflexion sur cet aspect par définition négligé de la vie littéraire, on lira, de Judith Schlanger, Présence des œuvres perdues, Paris, Hermann, 2010.

21 Ceux-ci, à l’exception de la contribution d’Adeline Liébert, ont été présentés oralement dans le cadre du séminaire du Centre d’études et de recherches comparatistes (CERC) de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 « Des copies originales. Les traductions sans texte premier », coordonné en 2014-2016 par Muriel Détrie et Claudine Le Blanc.

22 Voir Sarah Kofman, L’enfance de l’art. Une interprétation de l’esthétique freudienne, Paris, Payot, « Bibliothèque scientifique. Science de l’homme », 1970.

23 « Charles Baudelaire », Le Moniteur, 9 septembre 1867.

24 « L’Europe des traductions est d’abord l’Europe de l’effacement des traductions », Poétique du traduire, Paris, Verdier, 1999, p. 32-57.

25 « Translations […] edit, highlight and compensate. Great translations go a step further ; instead of compensating for losses, they shoot to kill, and having obliterated the original, transmigrate its soul into another language », The Absent Traveller. Prâkrit Love Poetry from the Gâthâsaptashatî of Sâtavâhana Hâla, Gurgaon, Penguin Books India, 2008 [1991], Translator’s Note, p. xii. On retrouve l’image classique de la transmigration, dans une perspective critique toutefois, puisqu’il ne s’agit pas d’une vie nouvelle, mais d’un vol d’âme et d’une défiguration.

26 Voir les travaux, d’inspiration bourdieusienne, de Pascale Casanova sur le champ littéraire international : La République mondiale des lettres, éditions du Seuil, 1999 ; et La langue mondiale, éditions du Seuil, 2015.

27 On pourra citer l’exemple du roman Khasâkkinte Itihâsam (1969) d’O.V. Vijayan, dont l’original en malayalam a été « corrigé » d’un point de vue esthétique aussi bien qu’idéologique dans l’autotraduction anglaise The Legends of Khasak parue vingt-cinq ans plus tard, v. Panikkar, Chitra, « Self-Translation as Self-Righting : O.V. Vijayan’s The Legends of Khasak », in Chandran, Mini, Mathur, Suchitra (éds.), Textual Travels : Theory and Practice of Translation in India, New Delhi, Routledge, 2015, p. 21-34.

28 Le recueil de pseudo-poèmes chinois intitulé La Flûte de jade (1927) a fait l’objet en 1970 d’une édition plurilingue (français, anglais, danois, chinois) par les peintres Asger Jorn et Walasse Ting où les poèmes de Toussaint sont accompagnées de leur traduction en anglais et en danois, mais aussi d’une version chinoise calligraphiée qui apparaît dès lors comme l’original chinois, alors qu’il s’agit toujours d’une traduction, faite à partir de l’anglais, car il n’existe pas de véritable original. Merci à Muriel Détrie de nous avoir fait découvrir cet ouvrage : La Flûte de Jade / Jadefloejten / The Jade Flute, St. Gallen, Erker-Verlag, 1970.

29 Voir Raphaëlle Leyris, « En visite dans le réel », Le Monde des livres, 6 juin 2014, p. 10.

30 La proximité entre le poème XXX du Jardinier d’amour de Tagore, traduit en espagnol en 1924, et le 16e des Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée de Neruda parus la même année, n’a été signalée (et dénoncée) dans des revues qu’en 1934, et c’est en 1960 seulement, à l’occasion d’une nouvelle édition, que le poète chilien a reconnu son emprunt qu’il nomme « paraphrase » (paráfrasis). Voir sur ce point Margaux Valensi, « La politique du chant dans l’œuvre de Pablo Neruda et de Louis Aragon », thèse soutenue à l’Université Bordeaux Montaigne, 2016, p. 155-156.

31 Voir « Traductions en anglais », Bibliographie Maupassant, Memini, 2008, t. I, p. 277 sqq. Les éclaircissements de Noëlle Benhamou sur cette question nous ont été précieux ; qu’elle en soit vivement remerciée.

32 À paraître.

33 Rainier Grutman, à qui l’on doit la notion, définit l’hétérolinguisme comme « la présence dans un texte d’idiomes étrangers, sous quelque forme que ce soit, aussi bien que de variétés (sociales, régionales ou chronologiques) de la langue principale » (Des langues qui résonnent. L’hétérolinguisme au XIXe québécois, Québec, Fides, 1997, p. 37).

34 Voir Myriam Suchet, L’imaginaire hétérolingue. Ce que nous apprennent les textes à la croisée des langues, Paris, Classiques Garnier, 2014.

35 Voir par exemple Catherine Kinztler, « La copie et l’original », revue DEMéter, décembre 2003, Université de Lille3 ; Charlotte Guichard (éd.), De l’authenticité. Une histoire des valeurs de l’art (xvie-xxe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 2014, notamment l’introduction de C. Guichard, « Qu’est-ce qu’une œuvre originale ? ».

36 Traditionnellement opposée à la gravure originale (où le graveur est l’auteur du « dessin »), l’estampe dite d’interprétation ou de reproduction (qui reproduit l’invention d’un peintre, qu’il s’agisse d’un dessin ou d’une peinture) a fait l’objet au XVIIIe siècle d’une réévaluation comme œuvre d’un « graveur-traducteur », selon le modèle explicite de la traduction littéraire, voir Christian Michel, « Réflexion sur la comparaison entre gravure et traduction au xviiie siècle », in François Fossier (éd.), Delineavit et Sculpsit. 19 contributions sur les rapports Dessin-Gravure du xvie au xxe siècle. Mélanges offerts à Marie-Félicie Perez-Pivot, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2003, p. 151-161.

37 Voir Bernard Lahire, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, Paris, La Découverte, 2015.

38 En mars 2015 un colloque de l’American Comparative Literature Association à l’University of Washington in Seattle se penchait sur les « Double frames: authors, texts, audiences in original translation ». En mai 2016 se tenait à Montréal un colloque intitulé « Théorie et pratique de la trahison. L’original en question dans la traduction intersémiotique » tandis que l’Université Paris-Sorbonne accueillait en octobre le colloque international « Plurilinguisme et auto-traduction : langue perdue, ‘langue sauvée’ ». En novembre 2017 et janvier 2018 enfin doit se tenir à Grenoble et Paris un colloque sur « L’écrivain-traducteur. Ethos et style d’un co-auteur ». On notera toutefois que dès les années 1990, Jean-René Ladmiral mettait en évidence la sacralisation de l’original dans les pratiques littéralistes de traduction (v. notamment « Pour une théologie de la traduction », TTR. Traduction, Terminologie, Rédaction, vol. XI, n° 2, 1990, p. 121-138)

39 Voir notamment Ronald Jenn, La pseudo-traduction de Cervantès à Twain, Louvain, Peeters, 2013.

40 Routledge, 1999.

41 Voir Sherry Simon, « Translating and interlingual creation in the contact zone : border writing in Quebec », ibid., p. 58-74.

42 Voir Maria Tymoczko, Post-colonial writing and literary translation », ibid., p. 19-40 et G.J.V. Prasad, « Writing Translation : the strange case of the Indian English Novel », ibid., p. 41-57.

43 Citons Maria Tymoczko, « Reconceptualizing Translation Theory : Integrating Non-Western Thought about Translation », in Theo Hermans (éd.), Translating Others, vol. 1, Manchester, St Jerome Publishing, p. 13-22 (réédité par Routledge, 2014) ; Judy Wakabayashi, Rita Kothari (éds), Decentering Translation Studies. India and Beyond, New Delhi, Orient Blackswan, 2009 ; Eva Hung, Judy Wakabayashi (éds), Asian Translation Traditions, Manchester, St Jerome Publishing, 2005 (réédité par Routledge, 2014) ; Émilie Aussant (éd.), La traduction dans l’histoire des idées linguistiques. Représentations et pratiques, Paris, Geuthner, 2015.

44 On pourrait ajouter les analyses de la traduction inspirées plus spécifiquement par la pseudo-traduction et élaborant la traduction comme mise en évidence des possibles de la fiction (Louis Watier, « ‘Manquant place’ : ou d’une poétique de la pseudo-traduction », http://www.fabula.org/atelier.php?Pseudo-traduction), ou procédé de clonage (Emily Apter, The Translation Zone. A New Comparative Literature, Princeton University Press, chap. 14 : « Translation with No Original : Scandals of Textual Reproduction », p. 210-225).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claudine Le Blanc, « Introduction »TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 27 septembre 2017, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/1643 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.1643

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Auteur

Claudine Le Blanc

Claudine Le Blanc est maître de conférences en littérature comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, membre du Centre d’études et de recherches comparatistes (CERC). Ses travaux portent sur les littératures de l’Inde classique et moderne, leur traduction et leur circulation ainsi que sur les modernités extra-occidentales. Elle a publié Une littérature en archipel. La tradition orale de La Bataille de Piriyapattana au Karnataka, Inde du sud, (Champion, 2005) et Les livres de l’Inde. Une littérature étrangère en France au xixe siècle (PSN, 2014).

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