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2017
L'inquiétante étrangeté (N° 21 | 2017)

Disparitions/Apparitions :
le réel à l’épreuve des spectres chez Jakuta Alikavazovic

Pauline Armenoult

Texte intégral

  • 1 Sur ce sujet, voir L’Époque de la disparition. Politique et esthétique, BROSSAT, Alain, DÉOTTE, Jea (...)

1L’Histoire du XXe siècle est marquée par la violence, par deux guerres mondiales, des guerres civiles, l’émergence de pratiques de disparition (génocide nazi, disparitions en Amérique latine, génocide rwandais, épuration ethnique en ex-Yougoslavie, etc.). Ces transformations politiques, cette orchestration massive et industrialisée de la mise à mort, de la destruction et de la négation de l’existence bouleversent les esthétiques. L’art est contaminé par ces pratiques de disparition. Il se transforme1. Les nouvelles formes de pratiques artistiques – dont la littérature – tentent de réinscrire la présence du disparu dans le monde physique, et de compenser l’absence, de fournir les preuves d’une existence effacée, de mettre au jour la trace d’un passage.

  • 2 Selon le titre de l’ouvrage dirigé par Nicole AUBERT, L'Individu hypermoderne, Toulouse, Erès, coll (...)
  • 3 Ivan Jablonka interrogé par François Busnel à l’occasion de la sortie de son livre Laëtitia ou la f (...)

2Au XXIe siècle, le processus de disparition s’accentue, s’approfondit. Les générations d’après, ni victimes ni survivantes, celles qui n’ont pas connu la disparition à l’œuvre dans sa première incarnation, pure et directe, subissent les mouvements d’effacement conséquents à cette première vague de violence. L’individu hypermoderne2 se construit sur l’héritage de ces souffrances, sur le secret et le vide, à l’image de l’historien Ivan Jablonka, dont les grands-parents paternels ont été victimes de la politique d’extermination nazie : « Je suis né dans la mémoire d’un génocide3. » Dans son essai de biographie familiale, Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus, l’historien écrit le traumatisme fondateur, mais surtout récolte et inscrit les traces de l’existence des disparus, pour redonner vie et corps aux morts invisibles, aux écrasés de l’histoire. Les traumatismes se sont transmis, mais les générations d’après souffrent d’un manque de légitimité vis-à-vis de ces traumas. Le vide les constitue entièrement. De ce vide originel, autour duquel l’identité se construit, découle l’expérience individuelle de la vacuité et de l’inquiétante étrangeté, inquiétante étrangeté au sens où ce qui était familier au départ – les origines, la langue maternelle, le pays natal – est devenu l’étranger.

  • 4 Selon la notion freudienne : FREUD, Sigmund, « L’inquiétante étrangeté », in L'Inquiétante étranget (...)

3Le terme de disparition structure le lexique de l’extrême contemporain et s’installe dans les pages des romans. La thématique de la disparition devient un leitmotiv romanesque hypermoderne, un motif qu’ont déjà relevé Dominique Rabaté dans le champ de la littérature (Désirs de disparaître), Pierre Zaoui en philosophie (La Discrétion : ou l’art de disparaître) et David Le Breton à travers le prisme de la sociologie (Disparaître de soi : une tentation contemporaine). Le thème de la disparition structure une pensée de l’histoire et des arts en cours d’élaboration et une réflexion à la fois politique, sociologique et artistique. Les romans de la disparition – ceux que nous étudions dans le cadre de nos recherches – sont en majorité des œuvres diffractées, fragmentées, remettant en cause les structures de la narration, le régime narratif standard, pour rendre compte de cette disparition à l’œuvre et rappeler le disparu parmi les vivants. C’est à la lumière d’un de ces romans, publié en 2010, Le Londres-Louxor, écrit par la romancière française d’origine serbo-croate Jakuta Alikavazovic, que nous tentons d’illustrer notre réflexion sur l’écriture de la disparition et de l’original absent dans un contexte ultra-contemporain, et sur les effets d’inquiétante étrangeté4 qui en découlent. Se pose la question du vide comme point de départ de la fiction. Comment écrire ce qui n’est plus ? Comment fonder une narration sur un manque inaugural ? Comment le devoir de mémoire peut-il s’accomplir quand la mémoire même fait défaut ?

  • 5 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, « Robert Smithson : l'écrit comme hantise », LEMARDELEY, Marie-Christine (dir (...)
  • 6 Holmes et moi (L'École des loisirs, 2004) ; Leçon d'équilibrisme n°1 (L'École des loisirs, 2004) ; (...)
  • 7 Histoires contre nature (Éditions de l'Olivier, 2006).
  • 8 Corps volatils (Éditions de l’Olivier, 2007), prix Goncourt du premier roman 2008 ; Le Londres-Loux (...)
  • 9 GOUDE, Jérôme, « Le Londres-Louxor », Le Matricule des Anges, n°109, Janvier 2010. URL : http://www (...)
  • 10 « Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], Hors-Champs, France (...)

4Jakuta Alikavazovic est une jeune romancière, dont les premiers écrits – des textes pour la jeunesse – ont paru en 2004 (Holmes et moi ; Leçon d’équilibrisme n°1). L’auteur, également traductrice, doctorante5 et enseignante à Paris 3, a publié trois romans jeunesse6, un recueil de nouvelles7, trois romans adultes8, et plusieurs autres textes parus dans des revues littéraires ou dans des petits opuscules. Elle est née en 1979 à Paris, d’une mère bosniaque et d’un père monténégrin. Ses parents sont arrivés en France dans les années 19709. Sa langue maternelle est le serbo-croate, qu’elle qualifie de « langue de l'intime, presque une langue secrète, presque un vocabulaire secret10 […]. » Le serbo-croate est aussi la langue première des personnages du Londres-Louxor issus de la diaspora bosniaque.

5Ce roman écrit en français a pour cadre narratif un ancien cinéma parisien reconverti en bar, devenu le refuge de la jeunesse bosniaque exilée. L’intrigue se déroule une quinzaine d’années après le siège de Sarajevo. Les sœurs Vitch – Esme et Ariana – fréquentent ce bar, au même titre que d’autres jeunes apatrides. Les jeunes femmes sont arrivées en France, à Paris, à l’âge de six et huit ans, dans le dernier avion partant de Sarajevo. Elles ont quitté leurs parents et un pays qui dorénavant n’existe plus, pour vivre avec leur oncle. Elles ont oublié leur langue maternelle et n’ont plus de lien avec leur pays d’origine si ce n’est par ce lieu étrange, hors temps, qu’est le Londres-Louxor. Le roman s’ouvre sur la disparition mystérieuse d’Ariana qu’Esme, jeune romancière à la chevelure peroxydée, cherche en vain. Parallèlement à cette histoire de disparition, Esme rencontre Anton, un critique littéraire qui ne lit plus et qui n’écrit plus que pour la rubrique des faits divers. Anton découvre qu’Esme sert en réalité de prête-nom à un auteur illustre et qu’elle n’a jamais écrit une ligne. Le couple fusionnel se lance sur les traces d’Ariana, mais la quête est vaine et sans énergie, car Esme rechigne à se plonger dans ses souvenirs et sa mémoire, là où Ariana s’est engouffrée. La quête de la disparue se mue en quête d’identité. Esme se détourne de son but premier, et fuit davantage qu’elle ne s’y confronte. Anton revêt le costume du détective, tandis qu’Esme, bien malgré elle, s’enterre dans le silence et refuse la réalité, en regardant à côté.

6Les personnages sont en quête de leur passé, de leurs origines, dont il ne reste rien, à part des souvenirs qui s’étiolent et une langue qui s’oublie. Jakuta Alikavazovic écrit la rupture avec les origines, une rupture qui, bien qu’inspirée de son histoire familiale, est entièrement fictive. La romancière appartient à la génération d’après ; son histoire familiale se construit sur l’exil, mais elle-même n’a pas subi le déplacement :

  • 11 Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], op. cit.

7« [Je suis] une écrivaine française […] sans aucun doute, avec une histoire familiale […]. Effectivement il y a des zones d'ombre, effectivement il y a une espèce de mystère […] repoussé dans des générations qui ne sont pas la mienne […]. Un mystère, une fracture aussi, très forte, dont le choc ou la déflagration continue un peu dans ma génération et dans mon imaginaire […]. Ce que je voudrais dire sur la question des origines [...] et de l'écriture, c'est que mes origines étant quand même liées spécifiquement à la guerre d'ex-Yougoslavie, je crois qu'il s'est créé à cette occasion-là […] un vide, une espèce de perte de repères, et un vide qui n'est pas un vide à combler, qui est au contraire un vide dynamique, qui a mis les choses en mouvement pour moi, qui m'a poussée à me poser des questions sur cette période-là, sur avant, sur la génération de mes parents et de mes grands-parents, et qui finalement pousse, ou contribue à pousser le régime de la fiction, contribue à faire évoluer la fiction et donc l'écriture11. »

8Dans Le Londres-Louxor, le vide originel se manifeste par de multiples phénomènes de disparition qui ponctuent la narration : d’abord, la disparition orchestrée à grande échelle, soit le mouvement de population qui en découle, et l’éradication d’un pays de la carte mondiale ; ensuite, à échelle humaine, la disparition physique et concrète de personnages secondaires, le phénomène d’effacement qui touche aux corps et aux comportements des personnages présents au premier plan et l’oubli progressif d’éléments identitaires fondateurs tels que la langue maternelle. Ces phénomènes de disparition sont variés, et se réalisent soit à travers des mécanismes narratifs évoquant l’effacement et l’évanescence, soit à travers des éléments évoquant le recouvrement et l’empilement. Cette pluralité de la disparition comme illustration d’une perte originelle en écriture semble nécessaire pour écrire le vide fondateur, comme si l’écrivain tentait de cerner l’absence en la contournant par ses extrêmes, le vide et le plein.

9Notre étude du roman Le Londres-Louxor analyse trois manières de cerner l’absence et d’écrire la disparition : par le vide d’abord, par la captation du cœur de l’absence, la tentative de traduction d’un texte originaire absent ; par le contournement ensuite, la dissémination des traces des disparus qui délimitent leur absence en justifiant de leur présence passée ; par le plein enfin, la superposition, les effets de miroir, de duplication, et d’illusion qui renforcent le vide et donc son écriture. Nous tenterons d’expliquer pourquoi dans une quatrième partie ces trois mécanismes narratifs – creuser, contourner, cerner – s’accompagnent d’un mouvement général de décalage qui permet alors de révéler entièrement l’absent original.

Traduire le texte manquant

10Le Londres-Louxor est un roman en décalage, entre le réalisme de la violence historique et le fantasme, l’onirisme, l’incertitude. Ce texte se distingue dans la bibliographie de l’auteur par l’évocation d’une réalité historique violente bien réelle, la guerre d’ex-Yougoslavie. Le texte n’appartient pas pour autant à la littérature du réel, à la littérature du témoignage. Il est fiction, une fiction certes qui se situe dans un cadre historique réel, mais qui prend également ses distances avec ce même cadre, d’abord en situant son intrigue à des milliers de kilomètres du lieu originel de la disparition, ensuite en axant sa narration dans un lieu sans assise véritable avec le réel, où cohabitent vivants et morts, absents et présents. Les frontières entre réalité et illusion s’effacent et laissent s’infiltrer les fantômes au sein même de la fiction. La distance avec l’événement tragique, moteur de disparition, est accentuée. La romancière semble vouloir rendre ainsi le décalage ressenti par la génération d’après, celle dont la souffrance se fonde sur un manque, un vide fondateur qui pour autant n’a jamais été plein. Soit une souffrance de l’absent inconnu, le manque de quelque chose qui n’a jamais été. L’une des manières de cerner le vide fondateur est de capter l’essence du vide qu’il laisse derrière lui.

  • 12 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor [Éditions de l’Olivier, 2010], Paris, Seuil, 2012. Points, (...)
  • 13 Ibid., p.96.

11Concernant les personnages du Londres-Louxor, le vide premier est celui des origines. Les personnages sont dans un décalage constant, rendu par le déplacement forcé de population, du pays d’origine au pays d’accueil. Esme et Ariana Vitch sont « les dernières passagères à être montées dans le dernier avion à quitter Sarajevo12. » L’exil forcé a creusé en elles un vide qu’il semble impossible ni de cerner distinctement, ni de combler. Au prime abord, les sœurs sont présentées comme ayant subi un effacement complet de leurs origines, contrairement à l’oncle qui, déplacé adulte, paraît davantage subir cet éloignement et vivre pleinement le manque : « Les sœurs étaient jeunes, elles étaient souples, elles crûrent comme des plantes autour du vide en elles. […] Pour l'oncle, c'était différent. Sa perte ne fut jamais naturalisée ; elle ne devint jamais principe mais demeura béance13. » Mais l’effacement total est rapidement présenté comme impossible : priver les sœurs d’une terre originelle, c’est les priver d’un acte de naissance, d’une identité.

  • 14 FREUD, Sigmund, op. cit.

12L’effet d’inquiétante étrangeté est produit par le déplacement de la population bosniaque, par la rupture première. L’état angoissant qui survient et qui contamine tout le récit provient du changement de statut de l’intime devenu étranger. L’angoisse de la castration redoutée est mise en avant comme facteur d’inquiétante étrangeté par Freud, dans son article de 1919 sur l’Unheimliche14. L’angoisse originaire de la perte se réalise ici. L’étrangéisation du familier est plus (pour l’oncle et Ariana) ou moins (pour Esme) consciente, et ses effets sur le roman sont nombreux : les repères, les fondations, les identités, les valeurs, tout est mouvant, sujet à fluctuation. Cette fluctuation se manifeste de manière visible dans le motif de la disparition qui touche à l’animé et à l’inanimé, aux personnages, aux décors, à la narration.

13Le roman se construit autour de grands absents. Premier blanc, celui laissé par la désertion première d’Ariana. Ariana est physiquement absente pendant tout le récit, bien qu’omniprésente. Elle ressent le manque des origines et disparaît au début du roman, laissant sa sœur, sans reflet, sans repères, dans un désarroi complet. C’est la disparition inaugurale de la sœur qui interroge les conséquences du vide fondateur sur la construction identitaire. En disparaissant volontairement, Ariana prend le pas sur cette disparition progressive, subie par Esme notamment, et choisit d’agir. L’absence est action, quand la présence est attente, latence. Deuxième disparition physique, plus ressentie qu’évoquée, celle des parents, dont le sort n’est jamais révélé. Troisième disparition physique, celle du pays natal, dont les frontières sont redessinées, dont la population première a été déplacée. Le pays natal, que la jeunesse exilée n’a quasi pas connu, n’existe plus sur la carte du monde. Sa disparition entraîne une remise en question de l’existence de ceux qui y ont vu le jour. À la lumière de la cartographie mondiale actuelle, ils ne sont nés nulle part. Ils n’ont donc pas de place attitrée sur terre. Ils portent l’étiquette d’apatride et ne se retrouvent pas dans la terre d’accueil. Le déplacement du lieu d’origine au pays d’accueil est marqué d’une double perte, celle engendrée par l’exil – elle est inhérente à tous les déplacés, tous les exilés – et celle, plus singulière, liée à la disparition définitive du pays, à son éradication de la carte du monde. Le roman est troué par ces grandes disparitions, mais également ponctué de micro-absences qui marquent le rythme. Le Londres-Louxor lui-même est menacé plusieurs fois de disparition, par les mouvements de l’histoire, ou les restructurations architecturales de la ville de Paris.

  • 15 Les conséquences des traumatismes des ascendants sur les générations d’après ont été théorisées par (...)
  • 16 ROSSET, Clément, L’Invisible, Paris : Éditions de Minuit, 2012, p. 62.
  • 17 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.60.
  • 18 Ibid., p.60-61.

14Le vide fondateur sur lequel se construit le roman est donc engendré par l’éloignement du lieu originaire des personnages, et renforcé par les disparitions en série autours desquelles la narration se structure. Ce vide s’incarne en partie par l’absence de la langue maternelle des exilés, le serbo-croate, qui, pourtant, tout au long du roman, tente d’émerger sous la langue écrite, la langue française. La langue absente, celle des origines donc, n’est pas écrite. La version serbo-croate du texte n’existe pas. L’auteur ruse pour lui donner une place. Si le noir de l’écriture ne peut saisir cette langue invisible et spectrale, les blancs de la page lui laissent une place de choix. La langue oubliée investit donc les marges : elle est un retour de ce que les exilés, pour la plupart, refoulent. Nous nommerons cette langue sous-jacente une langue-fantôme15 en ce qu’elle porte en elle les caractéristiques du motif du fantôme dans son incarnation populaire, paré du traditionnel « voile blanc qui le couvre (et le dissimule) tout entier16 » : elle est invisible, muette, et blanche, en contrepoint du noir de la langue écrite. Le roman se construit sur cette tension entre langue de l’intime et langue de l’écriture, entre vide et plein, blanc et noir. La narration poreuse, le style poétique et aérien, laissent poindre à certains endroits les occurrences de cette langue-fantôme. Dans la bouche même d’Esme, qui tente tant bien que mal de recouvrir sa langue natale par « des vagues de français, de pages lues, de pages aimées, sous lesquelles la langue natale affleurait, fantomatique17 », la langue-fantôme resurgit, par moments : « Quelquefois si on l’écoutait avec attention on percevait, ou croyait percevoir, une ombre d’accent, un roulis de « r ». L’entendait-on, ou voulait-on l’entendre ? Elle n’avait pas d’accent (mais son anglais et son italien étaient ceux d’une slave éduquée18[…]. » Si la langue intime déplacée dans la langue de l’écriture crée cet effet d’inquiétante étrangeté, c’est par sa traduction littérale sans annonce, les occurrences « étranges » de la langue, qui créent une langue décalée. De l’aveu même d’Alikavazovic, la langue de l’intime – le serbo-croate – affleure sous le français, par touches, clins d’œil, usages métaphoriques :

  • 19 Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], op. cit.

15[…] dans tous mes romans, il y a quelques images, quelques tournures de phrase qui sont en fait des espèces d'hommage à cette langue que je parle avec mes parents, avec les intimes, et qui fournissent des espèces de métaphores un peu déplacées, un peu décalées, qui sont évidemment compréhensibles tout de suite, mais qui pour moi parlent un peu de cette origine, pas perdue, parce qu'elle n'est pas perdue, mais déplacée19.

  • 20 GOUDE, Jérôme, op. cit.

16Le rapport complexe entre la langue de l’intime et la langue du pays d’accueil est un rapport inhérent au travail même d’écriture de la romancière : « [...] le décalage initial entre la langue littéraire et la langue des affects guide Le Londres-Louxor davantage que l'histoire elle-même. Le français n'est pas ma langue maternelle. Mes parents m'ont très tôt parlé en serbo-croate. Pourtant, j'écris une langue choisie que je parle bien mieux que le serbo-croate. Mais il y a un retour des langues dans la langue20. » Ce « retour des langues dans la langue » permet en soubassements l’écriture d’un texte manquant, celui retraçant les origines à présent disparues. Ce texte n’ayant pas d’existence physique, la langue de l’intime ne peut être traduite. En lieu et place de « traduction », au sens strict et littéral du terme, comme transposition d’un texte d’une langue dans une autre, nous utiliserons plutôt celui de « translation », car il désigne à la fois le passage d’une langue à une autre, et celui d’un lieu à un autre. La langue de l’intime subit un mouvement de translation, lequel la déstructure, la fragmente et la dissémine : ce sont les références, les « quelques images, […] tournures de phrase », les « espèces de métaphores un peu déplacées, un peu décalées » évoquées par la romancière. Notre réflexion autour de l’écriture du vide fondateur ne pouvait aboutir sans cette nuance de mise à distance, car elle s’orchestre autour d’une réflexion sur la perte conséquente au déplacement du pays natal, à présent disparu, vers le lieu de substitution, le cinéma du Londres-Louxor. La translation rend davantage compte du mouvement de la langue de l’intime, celle des origines, vers une nouvelle, celle de l’écriture, et des altérations qu’il provoque.

  • 21 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.56.

17Car la langue de l’intime souffre du déplacement imposé. Le déplacement d’un peuple n’implique pas uniquement un mouvement sur la carte du monde. Il est plus profond, plus insidieux. Il touche aux origines, à la culture, aux souvenirs, à la langue. Le déplacement engendre à la fois l’altération et la perte. La langue de l’intime devient la langue étrangère. Esme et Ariana, les deux sœurs Vitch, personnifient le peuple déplacé en masse. Leurs personnalités troublées, bien qu’opposées, mettent au jour les pertes engendrées par ce mouvement. La dissolution identitaire a lieu par étapes : d’abord la perte des repères spatiaux, celle des membres de la famille, puis progressivement la perte des souvenirs qui se corrèle à l’oubli progressif de la langue maternelle. Le sujet déplacé d’un point A à un point B est altéré par le mouvement. Son angle de perception, sa vision du monde, sont modifiés : le familier devient étranger, car il est tenu à distance. Le regard s’éloigne, il englobe plus qu’il ne fixe, et les détails qu’il peut retenir sont en apparence insignifiants. Le roman se gorge de ces détails qui masquent tant bien que mal la perte initiale. Par ce regard en biais, Esme esquive le réel ; elle veut être au monde en oubliant sa mise au monde. Elle refoule ses souvenirs, les spectres de son passé, et les repousse à la marge : « La question de l’origine était l’un des points sur lesquels elles divergeaient. Ariana l’accusait d’amnésie volontaire ; il n’était pas certain qu’elle soit de bonne foi21. »

  • 22 Ibid., p.95.
  • 23 Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], op. cit.

18La langue de l’intime est ce qui existe avant l’intellectualisation du langage, avant la réflexion pure. C’est la langue de l’immédiat, du sentiment, du spontané. C’est la langue de l’enfance, des souvenirs. C’est aussi la langue de la blessure familiale, celle des origines marquées par la violence du conflit bosniaque. La langue française, au contraire, est celle de la distance par rapport au conflit. Elle est la langue de l’écriture / réécriture, la langue travaillée, retravaillée. Il y a une tension entre ces deux langues, l’une recouvrant l’autre, l’autre affleurant quand la couche de protection se fait plus fine. On assiste à un conflit permanent entre la langue qu’Esme souhaite oublier et le français dont elle se sert pour recouvrir et patiner le passé. C’est en apprenant le français qu’Esme fait la première ce mouvement de recouvrement de la langue maternelle et par conséquent s’éloigne davantage de sa terre natale. Son nouveau lexique, elle l’assimile en nommant dans la nouvelle langue, un par un, les objets composant son ancienne maison. Elle crée elle-même un décalage entre ces mots alors étrangers, qui ne véhiculent pas vraiment le sens (l’essence) des objets familiers invoqués. Elle inverse alors les notions de familier et d’étranger : « La maison entière qu'elle traduisit et indexa ne fut pas la nouvelle, qu'elle avait sous les yeux, mais l'ancienne, qu'elle ne reverrait pas. Pour autant qu'elles sachent, c'était tout ce qu'il en restait. Si elles avaient un jour connu leur adresse, elles l'avaient oubliée depuis longtemps. Ainsi démontée et remontée lettre à lettre dans une langue étrangère, leur demeure devint un lieu d'esprit22. » Les couches de langues s’empilent et se recouvrent sans cesse, à l’image du conflit intérieur qui agite la jeune femme, luttant entre son identité passée, perdue, et son identité idéalisée, détachée du pays premier. La langue est hantise et hantée. Cette profondeur langagière, ce « feuilleté de sens », sont rendus par l’usage intensif des italiques, selon l’aveu même de l’auteur : « […] les italiques, c'est l'espèce de feuilleté de sens qu’il peut y avoir dans l'expression la plus commune, et qui d'un seul coup peut révéler des profondeurs, des degrés divers de réalité, de sens, […] une espèce d'architecture finalement, d'archéologie des expressions, même les plus communes, même les plus triviales23. » Face à ce rapport conflictuel avec la langue originelle, certains personnages du roman choisissent de s’exprimer par le silence, dont le personnage du Mime, l’un des habitués du bar. La confiance en la langue est brisée. La langue, qu’elle soit celle des origines ou celle du pays d’accueil, échappe toujours. Les relations, le lien avec les autres passent par la gestuelle, par le mime donc.

  • 24 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.23.
  • 25 GOUDE, Jérôme, op. cit.

19Pour écrire le vide fondateur causé par l’exil et la disparition de la langue maternelle, Jakuta Alikavazovic file la métaphore de la perte des couleurs, symbolisée par la décoloration des cheveux d’Esme, sur lequel s’ouvre le roman : « [...] ce blond (qui, ayant coûté une fortune, paraissait naturel), presque blanc, n’avait rien de séduisant (sensuel, sexy) mais semblait simplement abstrait. Elle-même avait l’air absente, comme si elle avait la tête ailleurs24. » Cet aveu de blancheur, formulé dès le début du roman, est celui de l’impossible inscription des origines chez Esme. La jeune femme a subi un traumatisme profond lorsqu’elle a fui la guerre. Elle est une page blanche sur laquelle rien ne s’écrit. Elle-même signe des livres qu’elle n’écrit pas. Elle s’efface progressivement. Seule une couleur, un pigment, demeure, par touches, et imprègne l’atmosphère entière du roman, le bleu, qui pour la romancière a une symbolique toute particulière : « Le bleu est la couleur atmosphérique, la couleur du jour qui finit et devient soir... C'est le bleu flottant de Klee, la liquéfaction, l'entre-deux, la saturation, l'hématome du monde. Le bleu est là25. »

  • 26 Ibid.
  • 27 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Fuga in Blu, VOLPI, Alice (trad.), Massa (Italie), Transeuropa Edizioni, 2012

20Si la disparition est blanche, la « revenance » est bleue. À l’image de la langue intime, la nuance hante tout le récit. Et pour cause, le bleu même est l’incarnation de cette langue spectrale, qui fait de petites apparitions dans la langue de l’écriture. La romancière s’explique : « Cette obsession du bleu est compréhensible par le détour de la langue étrangère. En serbo-croate, le bleu se dit plav. Plav est le mot qu'on utilise pour parler de la blondeur. Là-bas, les blondes étaient des bleues (rires)26. » Dans ce clin d’œil linguistique, la langue spectrale est totalement incarnée. La blancheur est blondeur en français ; le blond est bleu en serbo-croate, mais également, de manière détournée, en italien où le roman est traduit sous ce titre : Fuga in blu27. Le déplacement, la translation d’une langue à une autre, altère jusqu’à la couleur de la disparition et de la perte, jusqu’alors blanche comme les fantômes.

  • 28 LE BRETON, David, Disparaître de soi : une tentation contemporaine, Paris, Éditions Métailié, coll. (...)
  • 29 Ibid., p.17.
  • 30 David Le Breton cite également la formule de « la psychose blanche » d’André Green et Jean-Luc Donn (...)
  • 31 VIRILIO, Paul, Esthétique de la disparition, Paris, Galilée, 1989, p.111.
  • 32 Cette poupée totalement fictive représente Tippi Hedren attaquée par des oiseaux. Elle est l’une de (...)
  • 33 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.159-160.

21Le sociologue David Le Breton, dans son essai Disparaître de soi : une tentation contemporaine28, fait du blanc la couleur du désengagement et de l’effacement volontaire : « cet état d'absence à soi plus ou moins prononcé, le fait de prendre congé de soi sous une forme ou sous une autre à cause de la difficulté ou de la pénibilité d'être soi29. » Ce qu’il nomme « blancheur » est cette absence individuelle, volontaire ou subie, temporaire ou définitive30. Nous reprenons et déroulons le fil blanc de la disparition, en raccrochant ce motif de l’effacement à la couleur de cheveux d’Esme qui s’affadit jusqu’à devenir presque transparente. Jakuta Alikavazovic, dont la formation universitaire est anglophone, n’ignore pas que le blank en anglais est l’espace à remplir dans la phrase, ce mot ou cette pensée qui échappe, le vide, la vacance, voire l’oubli. Ce blank, ce serait les espaces blancs de la page qui laissent s’insinuer une langue-fantôme. La disparition est blanche dans le monde réel, de la marche blanche, collective et silencieuse, organisée à la suite d'un fait divers tragique, du Pôle Nord qui, pour Paul Virilio, est le lieu vide par excellence : « un au-delà dépourvu d'identité puisqu'il ne ressemble à rien tout en n'étant pas le néant : pôle Nord, désert sidéral31 . » Les cheveux décolorés d’Esme renforcent le caractère spectral du personnage. Dans les films en noir et blanc – ceux projetés sur les écrans du Louxor, ceux qu’affectionne particulièrement l’un des personnages, inventeur de la Barbitchcock32 – le blond capte la lumière ; les héroïnes sont donc blondes. Presque diaphane, comme celui d’Esme, il se rapproche de la transparence, de l'invisible, du drap blanc du fantôme. Le Mime également se caractérise par sa blancheur, une pâleur fantomatique que l’on pourrait rapprocher de celle des habitués du Louxor, une fois qu’ils ont été confrontés aux Tantes. Ces goules, vampires modernes, les vident presque de leur sang, sous prétexte de faire des analyses et de retracer leur généalogie, de retrouver leurs disparus. Elles sont ces vampires modernes venues elles aussi d’Europe de l’Est, qui subtilisent à cette jeunesse apatride le dernier indice de son appartenance première – le sang, l’identité organique : « [Anton] était hanté par le sang qu'il les avait vues prélever à son amie. Il se demandait ce que les goules, une fois l'argent extorqué, avaient bien pu en faire. Il imaginait cette part d'Esme à la dérive, dans des endroits qui étaient pires les uns que les autres. Il imaginait son sang versé dans une ruelle, jeté dans une benne, tiré dans une chasse d'eau. Il s'en rendait malade33. »

Suivre les traces des disparus et cerner l’absent

  • 34 Ibid., p.26.

22On tente de cerner l’absence par son vide fondateur, par son cœur creux, mais le vide sans contour échappe. Alors il faut essayer de saisir les éléments qui pourraient délinéer le vide. À l’image de cette langue-fantôme, les disparus s’infiltrent, en spectres, sous la narration. Quelques traces des disparus, quelques empreintes, permettent de saisir leur présence au monde, fût-elle passée. Les traces sont les indices du vide. La blessure enfouie est trahie par la cicatrice, l’empreinte dans la chair. Les corps des personnages sont marqués par ces traces du passé. La maladresse est une caractéristique contagieuse. Tous, trébuchent, se cognent, ont des bleus au corps. La première partie du roman s’ouvre sur Valéry, l’ami d’Esme, gribouillant des signes indistincts sur une feuille et, étant gaucher, se tachant la tranche de la main, puis la joue : « En conséquence (et en l'absence du buvard), [Valéry] était couvert d'encre, une encre bleu nuit qui soustrayait ses mots à eux-mêmes. Ils disparaissaient, noyés dans une nuée sombre qui était le mouvement même de l'écriture, étalée sur la feuille par la main du gaucher – précisément par son tranchant34. » Voici les traces qui tapissent le roman : la trace de la langue de l’intime, la trace laissée par les absents, les traces laissées sur les corps par, on l’a vu, un peu d’encre ou un méchant coup, et la trace laissée par l’écriture. Tous les personnages écrivent (ou font semblant), l’écrit, fictif, chiffré, juridique, est au cœur de leurs vies professionnelles : Valéry est notaire ; Ariana est comptable ; Esme est une (fausse) romancière ; Anton est journaliste / critique littéraire avorté. La trace est tache, partout, collante, contagieuse. Esme est sur la piste d’Ariana, Ariana est en quête de son passé… Les personnages suivent les traces laissées par l’autre. Eux-mêmes sont traqués, tachés sans le vouloir, poursuivis par une menace permanente.

  • 35 DERRIDA, Jacques, Spectres de Marx. L’État de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internat (...)
  • 36 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.71.
  • 37 Ibid., p.142.
  • 38 Id.
  • 39 FREUD, Sigmund, op. cit., p.246.

23Car la violence est en substance dans tout le roman. Elle se rappelle par touches à ceux qui l’ont fuie, à ceux qui tentent de l’oublier, elle menace et préfigure un retour violent à la réalité, pour ceux qui tentent d’y échapper. Elle devient physique et concrète incarnée par les personnages des Tantes. Ces femmes apparaissent toujours de manière « furtive et intempestive » à l’image du spectre derridien35, et elles jouent un grand rôle dans l’atmosphère d’inquiétante étrangeté qui se dégage du roman. Elles sont le lien entre le présent et le passé, dans sa forme mortifère, car elles n’entretiennent que le sentiment de peur et le traumatisme. Elles n’encouragent pas la quête identitaire et le retour aux origines, mais au contraire terrifient leur interlocuteur : « [les Tantes] étaient proprement terrifiantes, d'autant qu'on ne les voyait jamais36. » Sorte de spectres dont on ignore le nombre, l’identité, la langue, les déplacements, elles semblent flotter, occuper l'espace de manière fantastique et inquiétante ; elles apparaissent sans que l’on se doute de leur présence initiale : « Elles se déployaient, prenaient position, accaparaient l'espace. Leur coordination motrice était bien meilleure que ce qu'on aurait pu imaginer37. » Elles sont les réminiscences d’un passé violent qu’Esme veut oublier : « Elles évoquaient les chers disparus et le pays, et bien que le pays n'existât pas plus sur les cartes que dans sa tête, Esme se laissa prendre au jeu38. » Figures de l’inquiétant, elles incarnent la menace dont on tait le nom. La violence n’est donc pas frontale, mais spectrale, et est présente dans le roman par fragments. Esme rejette tout ce qui la rattache à son passé, à ses origines perdues. Elle n’a aucune assise, aucune base, aucune fondation. Ce rejet total des origines témoigne d’un traumatisme profond. Sous l’écriture de la perte et de la disparition, une écriture du trauma, à l’œuvre dans la création des effets d’inquiétante étrangeté. Les spectres qui peuplent le roman sont issus de ce passé qu’Esme rejette inlassablement, se vidant ainsi de toute substance. Rappelons que selon Freud, l’inquiétante étrangeté est une « espèce de l’angoissant » qui traduit « quelque chose de refoulé qui fait retour39 ». Le roman est donc fondé sur deux mouvements : celui du déplacement, d’abord, du décalage, de la mise à distance et en marge des personnages ; celui du retour, ensuite, le retour du refoulé, du traumatisme premier, de la violence des origines. Ce mouvement de retour s’incarne par la multiplication des figures de la « revenance » mises à jour, langue-fantôme, spectres menaçants. Le phénomène de « spectralisation » est global. La disparition contamine tout le roman ; elle poursuit un travail d’effacement progressif débuté en ex-Yougoslavie, venu creuser les murs du Londres-Louxor et gangréner les âmes de ceux qui le fréquentent.

  • 40 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.43.
  • 41 « Mais ce que sonde et exprime Jakuta a plus à voir avec les traces, les ombres – elle dit elle-mêm (...)

24S’il faut contourner l’absence pour écrire l’absence, l’absence en écriture dans ce roman paraît bien contagieuse. Présents et absents se confondent presque quand les présents eux-mêmes se vident de leur substance, de leur identité, et deviennent des entités textuelles, presque des fantômes. Un phénomène étrange de disparition généralisée, comme si l’absence venait contaminer tout le roman et qu’à l’intérieur d’un lieu abstrait et irréel tel qu’est décrit le Londres-Louxor les vivants avaient rendez-vous avec les morts. En lieu et place du roman Bise d’hiver, qu’elle signe mais n’a pas écrit, Esme imagine un autre texte qu’elle souhaiterait écrire. Son titre : Spectographie, soit « à la fois le procédé qui permettait de donner voix aux apparitions et un étrange récit émanant d’outre-tombe40 » : la définition parfaite de ce qu’est Le Londres-Louxor. S’exprimant sur son œuvre dans son intégralité, Jakuta Alikavazovic affirme d’ailleurs que tous ses romans « pourraient être lus comme des histoires de fantômes41. » Dans l’« histoire de fantômes » qu’est Le Londres-Louxor, les corps demeurent, mais ils sont troués, gommés de la carte des vivants. Ils n’ont plus de terre, plus de langue. Ils ne sont pas nés ; ils n’existent pas. L’absence de l’original empêche l’ancrage dans le monde. Sans corps, sans voix, ces spectres s’infiltrent sous la narration dans le seul lieu qui permet leur accueil, un entre-deux, presque un non-lieu : le Londres-Louxor. Les personnages souffrent de l’absence et leur souffrance est traduite par des caractéristiques physiques surnaturelles. Ils sont décrits comme flottants et abstraits. Cette spectralité, mise en mots à travers des personnages fuyant la réalité, met à jour les problèmes identitaires profonds causés par le déplacement de population et la destruction des originaux. Les notions de visible et d’invisible sont interrogées dans un lieu propice à la métamorphose : le Londres-Louxor.

  • 42 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.9-10.
  • 43 Ibid., p.16.
  • 44 Ibid., p.19.

25Ce bâtiment à l’architecture étrange, inversée, refermée, est presque une tombe, un mausolée : « Les murs de l’édifice se resserrent vers le haut, inversement à ceux du porche, qui s’élargissent. La National Geographic Society distingua de surcroît la monumentalité de l’édifice, accentuée par l’absence presque totale de fenêtres42. » Le prologue du roman dépeint l’histoire fantasmée du bâtiment. Cette longue contextualisation historique a pour objectif de brouiller les frontières entre cadre réel et cadre fictionnel, et se présente comme un texte scientifique érudit, truffé de références historiques et d’anecdotes réelles, notamment sur le cinéma. Mais sournoisement, la romancière y glisse des bouts d’histoires entièrement fictifs qui fragilisent le cadre et remettent en cause son existence. Elle écrit dans ces premières pages l’histoire vivante du bâtiment : un lieu entre nulle part (l’ex-Yougoslavie) et ailleurs (la terre d’accueil pas apprivoisée). Ce lieu est aussi mouvant qu’imposant : « […] plusieurs personnes disent avoir vu les bas-reliefs bouger43. » Les murs sont poreux, le bâtiment est littéralement construit sur des cadavres (on retrouve des corps, piégés dans les murs). Le cinéma est incarné, doué de certains pouvoirs magiques. Les films projetés heurtent physiquement les spectateurs. Le lieu est abstrait, à l’image des individus qui hantent ses couloirs. Comme le trait d’union qu’il renferme, il est un lieu de transition. Il symbolise lui-aussi la notion de déplacement : le déplacement d’un genre à un autre (du cinéma au bar), le déplacement entre réalité et fiction (du Louxor de Barbès présenté dans le prologue au Londres-Louxor du roman), le déplacement forcé d’un peuple en temps de guerre. Il est le refuge parisien d’une jeunesse apatride, sans racine ni origine. Il devient même une figure maternelle de substitution : « Cet étrange bâtiment néo-égyptien (ni fait ni à faire, diraient d’aucuns) leur est familier : c’est une deuxième maison, ce qui est très triste dans la mesure où le Londres-Louxor n’est pas un endroit réel mais une construction imaginaire, une abstraction. Le Londres-Louxor n’est pas un point mais une distance. Ces jeunes gens sont à leur place déplacés, ils appartiennent à une géographie des failles et des écarts. Bien sûr ils sont incapables de voir les choses telles qu’elles sont. Ils ne connaissent rien, ou presque rien, de l’histoire du Londres-Louxor avant les années 199044. » Le lieu, entité presque organique, joue un rôle protecteur, en accueillant en ses murs (en son ventre) une jeunesse perdue en quête de chaleur et d’une famille. Le bâtiment est une nation parallèle, déplacée sur la carte du monde. Le lieu est même hors carte : seul un petit nombre de gens connaissent et fréquentent le bar, et la grande majorité est issue de la diaspora. Dans cet entre-deux, la temporalité est autre ; l’inactivité et l’immobilisme priment. Le cinéma ne projette plus de films ; Esme est une romancière qui n’écrit pas ; Anton est un critique littéraire qui ne lit pas… Les fonctions de chacun sont remises en question. Les personnages sont à la marge et, par ce décalage, ne sont plus dans le mouvement : ils semblent l’objet du mouvement du centre, soumis à l’effet centrifuge. Ils glissent tous vers un entre-deux. Le Londres-Louxor est cet espace autre, dans une temporalité autre, accueillant une communauté en marge, à son image.

  • 45 SEKIGUCHI, Ryōko, « Traduire les noms propres » [en ligne], in « Chroniques », Vacarme, Vol. 23, 2 (...)
  • 46 GOUDE, Jérôme, op. cit.
  • 47 SEKIGUCHI, Ryōko, op. cit.

26Les identités des habitués du Louxor sont troubles, les noms propres sont altérés, amputés, déformés. La traductrice Ryōko Sekiguchi le rappelle dans son article « Traduire les noms propres » : « Les noms propres sont chargés de culture et d’histoire, et attachés à un contexte45. » Détachés de leur contexte, de leur pays d’origine, donc, les noms propres n’ont plus de signification. Ils sont vides. L’auteur admet aisément ce pouvoir de convocation du passé : « Longtemps, j'ai ressenti une certaine forme de réticence à parler de l'ex-Yougoslavie. Quand on s'appelle Jakuta Alikavazovic, qu'on écrit des livres, c'est la première chose qu'on attend [de vous]46. » Le jeu de désidentification prend donc forme dans l’altération des noms des personnages. Arrivés fraîchement dans un nouveau pays, les personnages sont renommés. Certains sont désignés par des surnoms (le Vice-Président, l’Oncle, le Mime) ; certains voient leur nom initial altéré (Esme s’appelle en fait Esma, Anton se nomme Anthony) … Seule Ariana semble conserver son identité première. Mais seule Ariana est totalement absente du roman, puisque déjà disparue au début de l’intrigue. Il semble que la destruction de l’identité première soit la condition sine qua non à l’existence physique des personnages, à la présence. Dans Le Londres-Louxor, on ne peut conserver un lien avec ses origines et être (dans le) présent. L’altération du nom d’origine dénoue le lien qui relie au passé, elle pose une distance supplémentaire. Les papiers d’identité qui assurent un lieu et une date de naissance, soit une preuve de l’existence, ne sont plus valables. Les personnages destitués de leurs papiers ne sont bien que des entités textuelles vides, vides de leur identité et vides de leurs contours. Pour Ryōko Sekiguchi, les noms propres agissent dans le processus d’évocation et de survie d’un passé disparu : « Chaque fois qu’on convoque un nom propre, on suscite une apparition. […] nous pouvons conserver ces noms propres, et continuer à les convoquer, ce qui suscite l’apparition de ces objets dans le moment de leur convocation, et nous donne les moyens de vivre avec eux47. » La convocation des noms propres est donc un peu invocation. On invoque les fantômes, les esprits, les souvenirs. Au jeu anthroponymique s’ajoute un jeu toponymique. Le pays disparu même est peu nommé. Seuls quelques lieux sont convoqués, de manière sporadique : Paris, Sarajevo… Le roman entier est recouvert par un seul et même lieu, si omniprésent qu’il transforme presque le récit en huis clos : le Londres-Louxor. On remarque cependant que même ce lieu emblématique est renommé ; il s’appelait initialement, simplement, Le Londres.

  • 48 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.41.
  • 49 Ibid., p.40.
  • 50 Ibid., p.37.
  • 51 Ibid., p.36.
  • 52 Ibid., p.28.
  • 53 Ibid., p.38.

27Esme est l’incarnation de ce phénomène d’effacement progressif et généralisé : « [Esme] était très concrète (sa colère l'était, indubitablement), mais elle respirait l'abstraction48. » Elle est spectrale dans ses mouvements et ses déplacements : « Sur le parquet elle se contenta de glisser49. » Elle est effacée, on oublie parfois sa présence. Son discours est laconique : « Elle se montrait à la télévision ; elle ne disait presque rien. Ses textes parlaient pour elle50. » La jeune femme est absente d’elle-même. Pour gagner sa vie, elle « prête » son corps, son visage et son nom à un grand écrivain. Lorsqu’il la voit pour la première fois, cet auteur s’exclame, ravi : « La jeune fille spectrale ! C'est à frémir – une plante poussant dans un placard n'aurait pas cette allure – elle doit être télégénique à souhait51 ! […] » La jeune femme laisse derrière elle l’impression troublante de ne pas être, de ne pas exister. Cela lui vaut une critique laconique d’Anton, qui ne la connaît pas encore, après un passage sur un plateau télévisé : « Presque un phénomène spectral, avait-il écrit juste avant. On a peine à croire qu'elle sache épeler son nom52. » Elle-même qualifiera cette prestation télévisuelle d’« apparition53. » Cette abstraction est marquée visuellement par son changement de couleur de cheveux, comme si elle cherchait d’elle-même à disparaître complètement, tête la première.

  • 54 Selon le néologisme « hantologie » défini par Jacques Derrida dans son essai Spectres de Marx écrit (...)

28Vaporeux, évanescents, fuyants, abstraits… Tels sont les adjectifs qui nous permettraient de qualifier la faune louxorienne. Des caractéristiques qui sont celles des spectres. Ni présents ni absents, ces morts-vivants illustrent la vision apocalyptique et eschatologique qui se dégage du discours de certains personnages : le monde comme on l’a connu est terminé ; le pays d’origine a disparu ; les survivants sont presque morts, contaminés par une disparition protéiforme, omniprésente et menaçante. Le roman semble répondre à la définition de l’œuvre hantologique54 : les traces du passé marquent le récit présent, les fantômes peuplent le roman et créent cet indéfectible sentiment d’inquiétante étrangeté qui domine de la première à la dernière page.

Renforcer le vide et surligner les contours

  • 55 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.67.

29Si l’écriture du vide sur lequel se fonde le récit passe d’abord par son identification, sa mise au jour, puis sa délimitation, il est parfois nécessaire pour comprendre la nature même du vide d’accentuer le creux, de souligner l’absence. Ce travail d’intensification de l’absence est, dans le cas du Londres-Louxor, rendu par une écriture du faste, du clinquant, de l’excès, et par l’architecture même du cadre narratif principal. Le texte regorge, dégorge de trop d’éléments, déploie une logorrhée massive qui tend à mettre en lumière les silences gênants que l’on tente de masquer, par un ornement chargé. Le vide est plus apparent quand il est artificiellement recouvert. Les multiples couches de narration, qui brouillent les frontières entre fantasme et réalité et qui confèrent au roman son caractère baroque et son étrangeté, mettent au jour, par leurs excès, le vide structural fondateur. Ancien cinéma, lieu de projection de fictions, le Londres-Louxor facilite l’exposition des mensonges et mascarades. Sur ses murs, des miroirs placés l’un en face de l’autre, où se déplie un monde de possible, un gouffre abyssal : « L’étage du Londres-Louxor était un monument à la désorientation ; l’oncle y avait veillé lui-même. Il avait personnellement supervisé la pose de parois coulissantes, d’écrans et de grands miroirs qui rendaient l’espace impossible à saisir55. »

30Chaque notion fonctionne en tension avec son reflet : invisible/visible, disparition/apparition, absent/présent, vide/plein, réel/illusion, une opposition permanente et un jeu reflet/reflété qui accentuent l’impression d’incertitude à l’œuvre dans tout le roman. Les choses ne sont pas réellement ce qu’elles semblent être. Ce qui se projette dans le miroir n’est pas la réalité, c’est le reflet, l’inverse de la réalité. Esme n’est pas sa sœur disparue, Ariana ; le pays d’accueil n’est pas le pays des origines ; la langue de l’intime n’est pas la langue de l’écriture. Ce qui a disparu n’est pas exactement remplacé. Comme reflétées dans un miroir, également, les valeurs de la fiction sont inversées par rapport à la réalité. Des choses invraisemblables sont acceptées comme telles (une femme passe à travers un mur ; un film « tue » ses spectateurs). Ce qui est inquiétant dans la réalité (la disparition d’Ariana) ne l’est pas dans le cadre du roman.

  • 56 Ibid., p.37.
  • 57 Ibid., p.29.

31L’exemple le plus flagrant de cette écriture du double, du reflet et de l’inversé, est le couple formé par les sœurs Vitch. Ariana est excessive, dans son rapport aux hommes, son goût du danger, son appétit de vivre et sa quête des origines perdues. Esme, elle, est dans l’excès inverse. Elle est un personnage sur le fil, précaire, dans l’effacement volontaire. Comme la langue de l’intime rencontrant la langue de l’écriture, les personnages – les doubles – fonctionnent en tension. Ce sont des personnages polarisés, des pôles opposés qui se repoussent. Ariana sera absente pendant la quasi-totalité du récit, et Esme hyper présente, comme si l’omniprésence de l’une impliquait l’absence de l’autre. Dans leur rapport au passé, elles s’opposent, toujours : l’une souhaite se souvenir, renouer avec les origines, l’autre aspire au droit à l’oubli. La construction en miroirs, le jeu de reflets participent de toute cette architecture en rhizomes, qui grandit, s’accroît et crée autant d’embranchements que de mondes possibles. Dans le roman, tout est imposture. Ainsi, l’écrivain qui écrit les livres signés par Esme construit un mensonge dans le mensonge : « Les motivations de l’écrivain étaient obscures. Il se prétendait facétieux mais, en apprenant à le connaître, Esme découvrit sous sa bonhomie un tissu de rancunes56. » Valéry, le meilleur ami d’Esme, ne cache pas non plus ses capacités de divulgation : « Valéry [...] avait appris à faire semblant pour s'immiscer dans l'existence des deux sœurs. Cela avait marché57 […]. » Chacun porte un masque, fondu au visage. Esme est le double de l’Auteur, le personnage qui écrit les livres qu’elle signe de son nom. Elle est son ombre, bien qu’elle soit dans la lumière. Elle est l’imitation, la copie.

  • 58 Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], op. cit.
  • 59 GOUDE, Jérôme, op. cit.

32À l’évocation du statut d’écrivain-imposteur d’Esme – l’inverse donc d’un nègre, d’un écrivain-fantôme ou ghost-writer – on ne peut s’empêcher de réfléchir au rapport qu’entretient Jakuta Alikavazovic à son propre travail d’écriture. Dans quelle mesure la romancière n’expose-t-elle pas dans le statut d’écrivain-imposteur de son personnage l’imposture qu’elle-même peut ressentir en écrivant une histoire qui n’est pas la sienne ? Interrogée par Laure Adler, la romancière s’explique sur la difficulté du témoignage : « Pour moi en tant qu'écrivain jeune, née en France, le témoignage est problématique. Parce que témoigner de quoi ? Étant donné que moi j'étais à Paris, je n'ai vu les choses que de loin et, dans un premier temps, je ne peux témoigner que de cette distance […] de la souffrance qu'elle implique, de la souffrance que j'ai vue également, mais pour le moment je n'envisage pas de me poser comme témoin de première main, comme témoin direct. Ça peut évoluer, les œuvres se construisent parfois de cette distance-là58. » Le sentiment d'illégitimité dans l’écriture apparaît. Avec ce roman, la romancière peut tenter de redonner vie à ce passé jamais vécu, de comprendre ce qui lui échappe. Car de son propre aveu : « Pour moi, l'Histoire de l'ex-Yougoslavie demeure opaque59. » Ce sentiment d’opacité, cette illisibilité est rendue par les strates qui forment une fiction riche et touffue, fondée paradoxalement sur un gouffre. Les couches de fictions, comme les couches de béton, s’entassent pour une mise en abyme vertigineuse de l’acte de création. Se construit une bibliothèque imaginaire, constituée de livres qui n’ont d’existence que fictive. Les fausses références jalonnent la narration du Londres-Louxor, à travers la bibliographie de la (fausse) romancière Esme Vitch. Ces livres – ceux qu’Esme dit avoir écrit, ceux qu’elle souhaiterait écrire – viennent presque recouvrir le livre réel. Les histoires s’empilent, sur le modèle du palimpseste.

33Le cinéma est plus qu’un lieu d’apparitions (là où les films sont projetés), il est un lieu où la disparition est possible, un lieu qui confond temporalité intime et temporalité collective. Ce qui est raconté au sein même du cinéma n’est jamais certifié. Le climat d’incertitude du roman est accentué par de nombreuses périphrases qui contournent la réalité des situations et objets. Le discours narratif est ponctué de modalisateurs et de clausules d’incertitude qui nourrissent le doute du lecteur : se multiplient les « ou », « peut-être », « sans doute », « il est possible que », … Les éléments factuels du récit, portés à l’attention du lecteur, sont déduits la plupart du temps des discours rapportés des personnages. Les discours des uns remettent en question les discours des autres. Les couches de la narration se superposent : les scènes sont narrées à travers le prisme d’un écran de cinéma, d’un article de journal retranscrit, d’une photographie… Les parenthèses et les tirets, figures même de la digression, de la pause, saccadent le récit, coupent la narration, allongent les phrases, donnent au texte toute sa dimension onirique, et accentuent le sentiment d’inquiétante étrangeté. La langue de l’écriture, celle que le lecteur maîtrise, semble vouloir dire autre chose. Mais quoi ?

  • 60 ROSSET, Clément, Le Réel et son double, Paris, Gallimard, 1976.

34À l’indécision nourrie par le style d’écriture, la duplication et les effets de miroir, s’ajoute une indécision quant à l’original et la copie, quant au réel et l’illusion. Si l’original – le pays disparu, la langue maternelle, la sœur – est porté disparu dès le début de la narration, alors il est possible que les éléments narratifs se présentant comme les originaux soient en fait les doubles de ces originaux manquants. La narration première, fondée sur un vide premier, serait en fait bien plus poreuse, car trouée de multiples absences, lesquelles seraient grossièrement comblées par des doubles persuadés d’être les originaux. Vertige narratif. Le double est vecteur d’inquiétante étrangeté, cet état angoissant causé par une rupture avec le familier. Comme pour pallier le manque des origines, la perte identitaire, les personnages se dédoublent, cherchent la preuve de leur existence dans le regard d’autrui, aidés par ces multiples miroirs qui tapissent les murs du Louxor et reflètent à l’infini les copies. Mais l’original manque toujours, et le refus de l’unicité, le déni de soi, le refus du réel n’est qu’une esquive temporaire qui préfigure le retour violent du refoulé, comme mis à jour par Clément Rosset dans son essai Le Réel et son double60. Se dédoubler, c’est disparaître un peu de soi. Être le double de l’original, c’est ne pas être dans le réel. Sans Ariana, Esme glisse progressivement, un peu plus, vers l’effacement complet.

Écrire le réel sans l’écrire

  • 61 JABLONKA, Ivan, « Raisonnement historique et littérature du réel », conférence tenue dans le cadre (...)
  • 62 « […] les italiques, c'est l'espèce de feuilleté de sens qui peut y avoir dans l'expression la plus (...)
  • 63 Le terme d’étrangisation est également utilisé. Le texte est paru dans sa version originale en 1917 (...)

35Citons une nouvelle fois Ivan Jablonka, qui s’interroge sur l’écriture de l’histoire et la création littéraire : « Il me semble possible d’écrire des réalités passées ou présentes, c’est-à-dire de combiner création littéraire et compréhension du réel. Mais à quel prix et de quelle manière ? »61 Jablonka fait allusion ici à ce qu’il nomme « littérature du réel », genre allant du témoignage aux journaux intimes, auquel le roman à l’étude n’appartient pas. Le roman peut-il écrire le réel, un réel si proche du temps de l’écriture que l’absence de distance complique la création ? Le roman peut-il écrire les pratiques de disparition à l’œuvre au XXe siècle et ses répercussions sur l’époque ultra-contemporaine ? L’écriture frontale d’un vide fondateur paraît compliquée par de nombreux écueils (impossibilité ontologique d’écrire le vide, interrogation sur la légitimité du roman à écrire l’histoire, polémiques autour des fictions sur les pratiques de disparition, légitimité de l’écrivain face au travail de post-mémoire, etc.). Dans l’incapacité de saisir réellement ce qui constitue le vide et de l’écrire, Alikavazovic semble avoir combiné deux approches de la spectralité, l’une par évanescence, l’autre par recouvrement. Le vide est creusé et encerclé à l’excès, son exposition est rendue par contrastes, ses contours dessinés grossièrement, à l’aide d’une narration chargée et clinquante, un decorum fastueux, où les miroirs recouvrent presque les murs, où l’opacité des murs devient reflet. Reflet de quoi ? Reflet du reflet, dans une démultiplication vertigineuse des copies, rappelant cette formule d’Alikavazovic qui évoquait les « feuilletés de sens62 » produits par l’usage des italiques. Rappelant également le concept de défamiliarisation63 développé par Victor Chklovski dans L’Art comme procédé, où la transmission du sens est retardée par les complications de la forme, où le sens émerge de l’écart, du décentrement, de la singularité, de l’effet d’étrangeté. Ici, les strates et les creux, les couches et la porosité de la narration brouillent les pistes. Le surgissement de la langue fantôme sous la langue d’écriture vient compliquer la lecture ; l’incertitude des frontières entre réel et illusion, fiction et histoire, absence et présence compliquent également la compréhension générale ; le sentiment rémanent d’inquiétante étrangeté et l’absence de résolution de l’intrigue appellent à la réflexion. Que le roman nous dit-il ? Pourquoi derrière le faste et le clinquant, le vide s’expose-t-il, béant ? La forme opulente ceinture un cœur creux qui se vide de sa substance, cerclage à l’excès qui entraîne la contamination de tous les éléments par cette même absence. L’écriture de l’original absent se situerait entre l’écriture de l’excès et celle du vide à l’excès.

  • 64 ROSSET, Clément, op. cit., p.11.
  • 65 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.101.
  • 66 ROSSET, Clément, op. cit., p.9.
  • 67 LE BRETON, David, op. cit.
  • 68 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.123.
  • 69 Sur ce sujet : BROSSAT, Alain, DÉOTTE, Jean-Louis, « La disparition, dispositif de la terreur », in(...)
  • 70 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.123.
  • 71 La « tentation » dépeinte par David Le Breton dans son essai Disparaître de soi : une tentation con (...)
  • 72 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.125.

36Deux mouvements de perception se confrontent, représentés par les regards des deux sœurs Vitch. Esme ne regarde ni en arrière (le passé) ni en avant (le futur). Elle est en décalage. Ariana disparaît, son regard ne semble donc porté nulle part, puisqu’il est hors-champ. Pour autant, elle est celle qui incarne le devoir de mémoire. Le regard déplacé d’Esme, qui ne nie pas la réalité, mais refuse de la confronter, rappelle la définition de l’illusion selon Clément Rosset pour qui « la chose n’y est pas niée : seulement déplacée, mise ailleurs64. » Le déplacement n’a pas provoqué l’amnésie complète, mais le réel est mis à distance volontairement par cette jeunesse déracinée : « Au Londres-Louxor, Anton espérait en apprendre davantage sur l’Europe. La guerre d’ex-Yougoslavie en représentait, pensait-il, la vie secrète. Il aurait voulu qu'on lui parle du siège de Sarajevo [...] mais personne, étrangement, ne semblait s'en souvenir65. » S'il n'y a pas d'amnésie, il y a en tout cas un silence de la guerre, un refus de convoquer le passé pour le faire disparaître. L’existence du réel est reconnue, mais les déplacés refusent de le voir, dans cette « attitude d’aveuglement volontaire66» décrite par Clément Rosset et de disparitions volontaires de soi par David Le Breton67 : « Anton, parfois, évoquait la guerre auprès des joueurs de rami. Semsa, Vedran et Niko réagissaient comme Esme : ils ne disaient rien. Ils faisaient semblant de ne pas entendre. Il était impossible de reconstituer leurs histoires personnelles : comme si, à force de se taire, ils pouvaient faire disparaître l'écart entre ce qui les avait fait et ce qu'ils étaient68. » Mais l’esquive a un prix. Par leurs silences, ces jeunes déplacés jouent le jeu des pratiques de disparition, à l’origine de leur malheur. Ils nourrissent le secret qui entoure ces crimes de guerre, le processus de négation qui les accompagnent69, et par ce biais, enterrent un peu plus les disparus, un acte de déni en guise de protection, à double tranchant : « Ils faisaient semblant de ne pas savoir qu'Erol n'avait pas vingt-quatre ans, mais huit ou dix de plus, et qu'il avait un passé militaire. (Lui-même prétendait jouer à la poupée.) Ils faisaient semblant de ne pas savoir que, pendant que des milliers d'hommes et de femmes mouraient dans des camps de concentration, l'Europe prétendait s'interroger sur l'existence de ces derniers. Leurs silences comme leurs sourires relevaient du mimétisme animal, l'équivalent d'un papillon déguisé en écorce – un peu pathétique. Ils étaient d'un autre monde, ils étaient à contretemps, ils avaient cru (ou on avait cru pour eux)70 [...]. » Face à l’horrible réalité, le repli semble l’ultime solution. Le cinéma, dans sa pénombre et le relatif secret de ses activités, apparaît comme un lieu idéal pour ces exilés en quête d’oubli de soi, tentés par la disparition71. Entre ces murs qui enferment littéralement des corps, la jeunesse apatride orchestre son propre enterrement, son incorporation physique dans le monde, l’arrêt du déplacement. Le Londres-Louxor autorise l’oubli, il est un interstice où le temps s’est arrêté, et où la réalité n’a pas de prise : « (…) on se repliait dans les profondeurs du Londres-Louxor, avec son passé de fabrique à rêves, son réseau d'associations ; distances niées, lointains qui n'étaient pas politiques mais poétiques, immatériels, apaisants. Là on pouvait continuer à ne rien voir, ne rien savoir72. » Et l’oubli est justement ce contre quoi le roman lutte.

37En imaginant ce lieu étrange qu’est le Londres-Louxor, Alikavazovic dédoublerait-elle le réel, dans une hétérotopie vouée à l’échec, pour mieux l’exposer ? Le choix d’un non-lieu pour cadre narratif permettrait de mettre en perspective le monde réel. Le déni des personnages, la mise à distance de l’original absent et la tentative de l’oubli creuseraient ainsi l’écart nécessaire à l’écriture et la compréhension du réel, dans sa brutalité. Le double spectral et abstrait apporterait la preuve irréfutable de la réalité abrupte et concrète. Il rappellerait aux vivants leur statut de vivant. Écrire le vide, la disparition en écrivant l’illusion ? Le disparu est doublé, reproduit, avec ses lacunes, ses failles. Les doubles ne sont que personnages poreux, spectraux, arborant des masques et des fausses étiquettes. Les couches formées par les mensonges et les impostures accentuent, par leur excès, la fausseté des apparences et creusent le trou qu’ils capturent. Le faux sert à révéler le vrai. Le visible, le sur-visible (traces et taches qui recouvrent le visible) mettent au jour l’invisible, l’illusion surligne le vrai, le réel, son absurdité. Le double prouve l’existence de l’état premier.

  • 73 Ibid., p.188-189.

38Le cinéma est présenté d’abord comme un refuge, avant de lentement migrer, par son esthétique en miroirs et son architecture mobile et fluctuante, vers une nature plus métaphorique : celle d’un révélateur des illusions. En contestant massivement une réalité –contestation qui s’écrit par les phénomènes de disparition en cours – le processus narratif permettrait la révélation du réel cru, comme il ne peut pas s’écrire. Le cinéma a d’abord valeur de protection, de mise à distance du réel, mais l’hétérotopie est mensongère, le sentiment de sécurité est erroné. Le mensonge est exposé quand le monde extérieur s’invite dans ses murs poreux, quand la négation des camps par le monde extérieur est révélée. Cette révélation insidieuse, presque silencieuse, est celle du Mime, dont la voix s’élève à travers celle du Vice-Président : « Il était en ex-Yougoslavie en 1993. Il a tout dit des camps. […] Enfin tout, je ne sais pas. Je sais qu’il a dit qu’ils existaient. Que ce n’était pas une invention. Je crois que c’est ce qu’on disait ici, à l’époque. Mais lui, il a fait la lumière là-dessus73. » La dénonciation passe par le déplacement : le regard est porté ailleurs – sur le Londres-Louxor – tandis qu’au loin se dessine le spectre des camps. Leur apparition – dans la bouche du Mime – est d’autant plus violente et marquante que rien ne l’annonçait.

La fin des illusions

39Cerner l’absence, la contourner, délimiter, encercler, délinéer… Voici les mouvements à l’œuvre, en tension avec ceux des phénomènes de disparitions en série, qui permettraient d’écrire l’absent original dans Le Londres-Louxor. De ces deux mouvements en tension, l’un qui creuse la narration, l’autre qui la remplit à l’excès, un autre mouvement se fait sentir tout au long du roman, celui du décalage permanent. Car depuis le déplacement premier des personnages, le décalage semble la seule posture que ces exilés puissent tenir. Le cadre du Londres-Louxor, entre-deux, à la lisière de deux pays et de deux cultures, est le seul point de chute qu’ils puissent habiter, ni dans l’ici ni dans l’ailleurs.

40Si elle semble flotter aux yeux des autres, Esme dérive surtout ; elle est dans l’esquive. À l’esquive s’oppose le mouvement du retour, le retour du passé, du réel en force. Le texte manquant qui ne s’écrit pas, dans une langue-fantôme qui ne se lit pas, mais se devine, c’est celui qui émerge lorsque les illusions qui recouvrent le roman s’estompent, après que les masques tombent, après que l’on découvre des éléments du réel cachés – l’existence des camps de concentration – après que les couches s’effritent à l’image de ces « feuilletés de sens » évoqués par l’auteur. Les personnages principaux subissent alors un retour violent du réel, comme pressenti par Clément Rosset qui, dans son texte Le Réel et son double, annonce l’échec de l’esquive, l’impossibilité du double et la suprématie du réel. Le déplacement oriente le regard, décale la perception, et place le réel dans un hors-champ. Les notions de réel et d’illusion sont interrogées, celles de visible et d’invisible sont remises en question, l’inquiétante étrangeté et la notion de spectralité sont questionnées à la lumière d’un contexte ultra-contemporain.

41Le Londres-Louxor apparaît à la première lecture comme une expression littéraire du refus de la réalité. Les personnages sont le nez dans leur verre, cloisonnés dans un cinéma/bar à l’architecture mobile, sans passé, sans avenir, sans discours présent. Pour autant, derrière ce jeu narratif sur la porosité des frontières, des murs, des identités, des notions (invisible/visible, illusion/réalité), il semble que le roman, par son décalage, invite le lecteur à regarder de biais, à s’ouvrir à une autre réalité, laquelle n’est pas le double de la réalité, mais plutôt celle masquée, celle hors-champ, celle d’une violence qui échappe, peut-être celle d’une violence qui ne peut s’écrire directement, dont la représentation est impossible, mais l’évocation plus parlante.

42Le Londres-Louxor est un roman en décalage, certes, dans sa forme et dans son sujet, dans la bibliographie de son auteur, dans le mouvement de population qu’il écrit, mais surtout dans son mécanisme narratif : le décalage permet la représentation de ce qui dans son immédiateté, dans son incompréhensible violence, dans sa crudité, est irreprésentable. La translation d’un texte premier qui n’existe pas permettrait de contourner les difficultés de la représentation et d’écrire le réel. Pour écrire le réel, l’auteur contourne le vide pour exposer le vide premier, écrit ce qui n’existe pas pour exposer ce qui n’existe plus, car l’original, le copié, le doublé, est absent. Le réel cherche ailleurs pour se dire.

43La disparition permettrait donc l’apparition. La disparition pour faire reparaître, et la littérature, l’art, pour combler le manque, redonner une place aux disparus, là où la trace s’étiole. Exposer le réel par l’illusion, révéler par l’absence.

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Bibliographie

ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor [Éditions de l’Olivier, 2010], Paris, Seuil, 2012. Points, n°2863, p.20.

« Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], Hors-Champs, France Culture, diffusée le 26 février 2013, à 22h15, émission de 44 minutes. URL : www.franceculture.fr/emission-hors-champs-jakuta-alikavazovic-2013-02-26

AUBERT, Nicole (dir.), L'Individu hypermoderne, colloque consacré à l'individu hypermoderne organisé en septembre 2003 par l'École supérieure de commerce de Paris et le Laboratoire de changement social de l'Université Paris 7, Toulouse, Erès, coll. « Sociologie clinique », 2005.

BROSSAT, Alain, DÉOTTE, Jean-Louis (dir.), L’Époque de la disparition. Politique et esthétique, Paris, L’Harmattan, 2000.

DERRIDA, Jacques, Spectres de Marx. L’État de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internationale, Paris, Galilée, coll. « La philosophie en effet », 1993.

FREUD, Sigmund, « L’inquiétante étrangeté » in L'Inquiétante étrangeté et autres essais. Traduit de l'allemand par Bertrand Féron, Paris, Gallimard, 1985, coll. « Connaissance de l'Inconscient », p.246.

GOUDE, Jérôme, « Le Londres-Louxor », Le Matricule des Anges, n°109, Janvier 2010. Disponible en ligne : http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=63499 (consulté le 24 avril 2016).

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RABATÉ, Dominique, Désirs de disparaître. Une traversée du roman français contemporain, Université du Québec à Rimouski / Université du Québec à Trois-Rivières, Tangence Editeurs, "Confluences", 2016, ISBN : 9782981510013.

ROSSET, Clément, Le Réel et son double : essai sur l’illusion [1984. Nouvelle édition], Paris, Gallimard, 1996, 129 p., ISBN 2-07-070284-7.

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VIRILIO, Paul, Esthétique de la disparition, Paris, Galilée, 1989, p.111.

ZAOUI, Pierre, La Discrétion ou l’art de disparaître, Paris, Autrement, coll. « Les Grands Mots », 2013.

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Notes

1 Sur ce sujet, voir L’Époque de la disparition. Politique et esthétique, BROSSAT, Alain, DÉOTTE, Jean-Louis (dir.), Paris, L’Harmattan, 2000.

2 Selon le titre de l’ouvrage dirigé par Nicole AUBERT, L'Individu hypermoderne, Toulouse, Erès, coll. « Sociologie clinique », 2005.

3 Ivan Jablonka interrogé par François Busnel à l’occasion de la sortie de son livre Laëtitia ou la fin des hommes (Seuil, 2016), sur le plateau de l’émission de télévision La Grande Librairie, diffusée le 29 septembre 2016 sur France 5.

4 Selon la notion freudienne : FREUD, Sigmund, « L’inquiétante étrangeté », in L'Inquiétante étrangeté et autres essais, FÉRON, Bertrand (trad.), Paris, Gallimard, 1985, coll. « Connaissance de l'Inconscient », p.209-263, ISBN 2-07-070407-6.

5 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, « Robert Smithson : l'écrit comme hantise », LEMARDELEY, Marie-Christine (dir.), Thèse de doctorat : Études anglophones, germanophones, et européennes : Paris 3 - Sorbonne Nouvelle / Prismes : en préparation depuis le 26 octobre 2016.

6 Holmes et moi (L'École des loisirs, 2004) ; Leçon d'équilibrisme n°1 (L'École des loisirs, 2004) ; Irina vs Irina (L'École des loisirs, 2012).

7 Histoires contre nature (Éditions de l'Olivier, 2006).

8 Corps volatils (Éditions de l’Olivier, 2007), prix Goncourt du premier roman 2008 ; Le Londres-Louxor (Éditions de l’Olivier, 2010) ; La Blonde et le Bunker (Éditions de l’Olivier, 2012).

9 GOUDE, Jérôme, « Le Londres-Louxor », Le Matricule des Anges, n°109, Janvier 2010. URL : http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=63499 (consulté le 24 avril 2016).

10 « Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], Hors-Champs, France Culture, diffusée le 26 février 2013, à 22h15, émission de 44 minutes. URL : www.franceculture.fr/emission-hors-champs-jakuta-alikavazovic-2013-02-26

11 Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], op. cit.

12 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor [Éditions de l’Olivier, 2010], Paris, Seuil, 2012. Points, n°2863, p. 20.

13 Ibid., p.96.

14 FREUD, Sigmund, op. cit.

15 Les conséquences des traumatismes des ascendants sur les générations d’après ont été théorisées par Nicolas Abraham et Maria Torok, sous le nom de « fantômes », dans L'Écorce et le noyau, Paris, Flammarion, 1987.

16 ROSSET, Clément, L’Invisible, Paris : Éditions de Minuit, 2012, p. 62.

17 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.60.

18 Ibid., p.60-61.

19 Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], op. cit.

20 GOUDE, Jérôme, op. cit.

21 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.56.

22 Ibid., p.95.

23 Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], op. cit.

24 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.23.

25 GOUDE, Jérôme, op. cit.

26 Ibid.

27 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Fuga in Blu, VOLPI, Alice (trad.), Massa (Italie), Transeuropa Edizioni, 2012.

28 LE BRETON, David, Disparaître de soi : une tentation contemporaine, Paris, Éditions Métailié, coll. « Traversées », 2015.

29 Ibid., p.17.

30 David Le Breton cite également la formule de « la psychose blanche » d’André Green et Jean-Luc Donnet quand « le Moi procède à un désinvestissement des représentations qui le laisse confronté à son vide constitutif. Le Moi se fait disparaître." » in L'Enfant de ça. Psychanalyse d'un entretien : la psychose blanche, Paris, Éditions de Minuit, 1973, p.18.

31 VIRILIO, Paul, Esthétique de la disparition, Paris, Galilée, 1989, p.111.

32 Cette poupée totalement fictive représente Tippi Hedren attaquée par des oiseaux. Elle est l’une des nombreuses références cinématographiques qui scandent le roman de Jakuta Alikavazovic.

33 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.159-160.

34 Ibid., p.26.

35 DERRIDA, Jacques, Spectres de Marx. L’État de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internationale, Paris, Galilée, coll. « La philosophie en effet », 1993, p.17.

36 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.71.

37 Ibid., p.142.

38 Id.

39 FREUD, Sigmund, op. cit., p.246.

40 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.43.

41 « Mais ce que sonde et exprime Jakuta a plus à voir avec les traces, les ombres – elle dit elle-même avoir l’impression que tous ses livres pourraient être lus comme des histoires de fantômes » : extrait d’un portrait de Jakuta Alikavazovic par BOURGEON, Laurence, « Polyphonies en héritage », Zone littéraire, publié le 14 mars 2010. URL http://www.zone-litteraire.com/litterature/portraits/polyphonies-en-heritage.html (consulté le 30 mars 2016).

42 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.9-10.

43 Ibid., p.16.

44 Ibid., p.19.

45 SEKIGUCHI, Ryōko, « Traduire les noms propres » [en ligne], in « Chroniques », Vacarme, Vol. 23, 2 octobre 2003. URL http://www.vacarme.org/article1647.html. Consulté le 24 février 2014.

46 GOUDE, Jérôme, op. cit.

47 SEKIGUCHI, Ryōko, op. cit.

48 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.41.

49 Ibid., p.40.

50 Ibid., p.37.

51 Ibid., p.36.

52 Ibid., p.28.

53 Ibid., p.38.

54 Selon le néologisme « hantologie » défini par Jacques Derrida dans son essai Spectres de Marx écrit en 1993.

55 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.67.

56 Ibid., p.37.

57 Ibid., p.29.

58 Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], op. cit.

59 GOUDE, Jérôme, op. cit.

60 ROSSET, Clément, Le Réel et son double, Paris, Gallimard, 1976.

61 JABLONKA, Ivan, « Raisonnement historique et littérature du réel », conférence tenue dans le cadre du banquet d'automne de Lagrasse « Écrire le réel », 24 octobre 2015. URL : https://www.youtube.com/watch?v=Eayz-HrIbL8 (consulté le 4 avril 2017).

62 « […] les italiques, c'est l'espèce de feuilleté de sens qui peut y avoir dans l'expression la plus commune, et qui d'un seul coup peut révéler des profondeurs, des degrés divers de réalité, de sens, […] une espèce d'architecture finalement, d'archéologie des expressions, même les plus communes, même les plus triviales. », in « Laure Adler reçoit Jakuta Alikavazovic, écrivain » [Émission radiophonique], op. cit.

63 Le terme d’étrangisation est également utilisé. Le texte est paru dans sa version originale en 1917. Il est disponible en français sous le titre L’Art comme procédé (Allia, 2008).

64 ROSSET, Clément, op. cit., p.11.

65 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.101.

66 ROSSET, Clément, op. cit., p.9.

67 LE BRETON, David, op. cit.

68 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.123.

69 Sur ce sujet : BROSSAT, Alain, DÉOTTE, Jean-Louis, « La disparition, dispositif de la terreur », in L’Époque de la disparition. Politique et esthétique, BROSSAT, Alain, DÉOTTE, Jean-Louis (dir.), Paris, L’Harmattan, 2000.

70 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.123.

71 La « tentation » dépeinte par David Le Breton dans son essai Disparaître de soi : une tentation contemporaine.

72 ALIKAVAZOVIC, Jakuta, Le Londres-Louxor, op. cit., p.125.

73 Ibid., p.188-189.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pauline Armenoult, « Disparitions/Apparitions :
le réel à l’épreuve des spectres chez Jakuta Alikavazovic
 »
TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 22 septembre 2017, consulté le 13 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/1624 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.1624

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Auteur

Pauline Armenoult

Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle

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Droits d’auteur

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