Éditorial
Texte intégral
1Le statut de l'image est depuis quelques années au cœur de nombreux débats sur l’esthétique (que l’on pense aux travaux de Georges Didi-Huberman, de Jacques Rancière ou encore de Jean-Luc Nancy). Persuadés qu'une approche spécifiquement comparatiste peut enrichir la réflexion théorique autour de cette question essentielle, nous avons décidé de proposer dans ce deuxième numéro une analyse des liens entre littérature et image qui permette d’élargir les perspectives de recherche au-delà des études proprement stylistiques et thématiques. Les nombreuses contributions que nous avons reçues ont confirmé la pertinence de ce choix.
2Plusieurs axes de réflexion se dessinent à travers les huit articles retenus: l’étude du rapport entre littérature et arts visuels, qui s'est cristallisée autour de la question du temps, l’analyse du procédé textuel du montage et enfin, dans une perspective plus spéculative, une réflexion sur la représentation et la philosophie du langage. La convergence de certains de ces questionnements, qui souvent s’entrecroisent au sein des articles, ne doit pas masquer la diversité des genres abordés (le récit fantastique, la poésie, le roman) et des domaines linguistiques évoqués (littératures d'Asie, d’Europe et des Amériques).
3Le lien entre littérature et arts visuels (peinture, photographie et cinéma) est envisagé à travers un regard qui parfois renouvelle la tradition (article d'Irene María Artigas Albarelli sur l’ekphrasis et la nature morte), parfois s’en détache, pour explorer les liens entre visible et dicible (Charlotte Thimonnier) ou investir de façon inédite l’opposition entre arts de l’espace et arts du temps. C’est en effet le rapport de l’image à son dehors, le temps, qu’interrogent plusieurs de ces textes à travers des perspectives variées : « l’animation » de la peinture dans l’écriture fantastique chinoise (Fanfan Chen), les « possibilités narratives » de la photographie (Ivan Salinas Escobar), ou encore, dans une perspective plus contemporaine, les « calligrammes animés » qui n’ont d'autre support que le web (Alexandra Saemmer) et constituent une tentative de « réinscrire l’image dans une temporalité » qui briserait « son immobilité mortifère » (Charlotte Thimonnier).
4L'alliance de la poésie au numérique dans ces « calligrammes animés » illustre un rapport plus intime entre littérature et arts visuels, dans le cadre de pratiques hybrides qui intègrent au texte l’image dans sa dimension concrète. Le mouvement italien de la « poesia visiva », dans les années 60, confronte ainsi mots et images publicitaires en une « interlangue » qui vise à subvertir la portée aliénante des médias (Gaëlle Théval). Cette pratique rencontre le dispositif du montage qui tire sa force de la confrontation d'éléments hétérogènes : montage « dialectique » et critique dans la « poésie visive », technique du "cut up" dans les œuvres de William Burroughs et Brion Gysin (Clémentine Hougues). A travers ce dispositif fondé sur l'image et sa puissance «disruptive», c'est une certaine tendance de l'esthétique moderne qui se dessine, privilégiant la discontinuité et le choc des hétérogènes.
5Pour clore ce dossier, nous avons privilégié un point de vue plus philosophique sur la notion d’image, analysée dans son rapport à la pensée nietzschéenne du langage : une traversée des différentes « valences » du Bild dans les textes du philosophe, mais aussi dans la pensée du romantisme allemand et de Walter Benjamin (Diana Andrasi).
6Les lecteurs de Trans-auront sans doute remarqué divers changements dans la présentation de ce numéro : nous avons rénové le site et sommes heureux de pouvoir vous inviter à parcourir les articles plus agréablement. Nous inaugurons également une nouvelle rubrique, intitulée « Université invitée », qui accueillera dans chaque numéro les contributions de jeunes chercheurs d'une ou plusieurs universités d'un pays étranger. Cette rubrique a pour but d'offrir une sorte d'état des lieux des études comparatistes à l’étranger. Dans ce deuxième numéro, nous avons invité l'université de Naples, qui porte en elle une longue tradition d'étude et d'enseignement des langues et littératures orientales : ce dossier est sous la responsabilité de notre correspondante étrangère pour l'Italie, Erica Durante, que nous remercions pour le sérieux et l'exemplarité de son travail.
Pour citer cet article
Référence électronique
Émilie Lucas-Leclin, « Éditorial », TRANS- [En ligne], 2 | 2006, mis en ligne le , consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/146 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.146
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