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Références érudites, dénotations spéculatives dans Essais fragiles d’aplomb de Pierre Senges et Abrégé d’histoire de la littérature portative d’Enrique Vila-Matas

Cyril Verlingue

Résumés

Loin de prétendre à une rigueur savante, la multiplication de références érudites dans Essais fragiles d’aplomb et Historia abreviada de la literatura portatil met plutôt en doute une vision dogmatique du réel ainsi que du monde dénoté par les fictions. Malgré le désœuvrement fragmentaire de l’intrigue, ces romans se construisent à partir d’un cadre intersubjectif, depuis la société shandy chez Vila-Matas, à partir de la communauté des hommes d’aplomb chez Senges. Sans chercher à fonder des mondes possibles, ces œuvres légères et parodiques fissurent plutôt la référence au réel et évoquent par analogie une dénotation elle-même gagnée par la spéculation.

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Texte intégral

1Dans Bartleby et compagnie d’Enrique Vila-Matas, le triestin Bobi Balzen ressaisit un poncif de l’histoire littéraire :

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Je crois qu’on ne peut plus écrire de livres. C’est pourquoi je n’écris plus de livres. Presque tous les livres ne sont guère que des notes en bas de page, gonflés jusqu’à en faire des volumes. Je n’écris donc que des notes de bas de page1.

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2Puisqu’il a déjà été trop dit que « tout a été dit » – et même de manière ironique – il faut par conséquent écrire en dessous ou à côté, faire œuvre de commentaire, en s’adossant à des ouvrages devenus par la force des choses de référence. Cette vision de la littérature comme œuvre seconde entretient des liens étroits avec la figure de l’érudit littéraire, dans une veine savante qui, depuis la Satire Ménippée, s’exerce entre autres chez Sterne ou Swift, et à des degrés divers chez Diderot, Flaubert, Borges, Gadda ou Sebald. Pourtant, selon la thèse défendue par Nathalie Piegay-Gros dans L’érudition imaginaire2, cette contamination par le discours savant ne produit pas tant une fin ou un affaiblissement de la littérature qu’une ouverture de ses possibles. En utilisant des matériaux hétérogènes, en brouillant la hiérarchie entre discours premier et second ou en fabulant sur le savoir et la mémoire du monde, les livres en « note de bas de page » possèdent nombre de potentialités fictionnelles. Le dernier numéro de la revue « Devenirs du roman » édité par le groupe de romanciers contemporains Inculte3, reprend par exemple cette problématique en élargissant le sens de l’érudition pour aller vers la question du matériau de la fiction, qu’il soit écrit savant, document ou même expérience du réel. À l’inverse, dans une tentative de particularisation du champ, les théories de l’épistémocritique4 se sont constituées depuis les années 1990 quatre-vingt-dix afin de placer la question spécifique du savoir au centre du récit, comme de l’analyse littéraire.

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3Pour étudier deux romans contemporains, Abrégé d’histoire de la littérature portative d’Enrique Vila-Matas5 et Essais fragiles d’aplomb de Pierre Senges6, le caractère second de la création littéraire gagne à être pensé selon ces diverses perspectives, que j’essayerai j’essaierai de ressaisir à travers la polysémie du concept de référence. Parfois envisagé seulement comme support de la relation mimétique, comme « cadre de référence », le terme peut aussi désigner au sens large l’emprunt d’une donnée ou d’un matériau : « faire référence à » ceci ou cela, c’est citer ou mentionner des éléments hétérogènes, souvent pour se les approprier. La référence interroge donc l’idée d’œuvre littéraire comme totalité, ainsi que son mode d’inscription dans des discours hétérogènes. En suivant les habitudes de traduction du terme en France7 et pour tenter d’éclairer sa profondeur sémantique, je distinguerai donc ce qui dénote8 (le fait d’être un contexte ou un cadre de référence, que l’on pense qu’il s’agisse d’un monde actuel extralinguistique ou d’une référence déjà « verbalisée ou susceptible d’être verbalisée9 ») de ce qui réfère (l’acte de faire référence à ceci ou cela, l’opération qui relie la fiction et ses matériaux, le monde et ses constructions discursives).

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4Plusieurs ouvrages de nos auteurs reposent sur des références littéraires, bien souvent détournées, ou parodiées. Fragments de Lichtenberg de Pierre Senges évoque par exemple l’histoire d’une société érudite qui tente de recomposer le grand œuvre hypothétique du philosophe Georg Christoph Lichtenberg en recollant les fragments de son livre. Vila-Matas pratique lui aussi les emprunts et les détournements, ne serait-ce que dans Impostura, qui détourne des mots de Rimbaud ou de Robert Walser sans d’ailleurs donner de références à ses citations. Ces œuvres insérées dans des flux de discours et consacrées à évoquer d’autres écrits naviguent donc constamment entre l’essai et le roman, à l’instar d’Abrégé d’histoire de la littérature portative et des Essais fragiles d’aplomb. Les deux récits sont dédiés à des communautés d’individus, la « société shandy » pour Vila-Matas, les « hommes d’aplomb » chez Senges, qui possèdent chacune une fonction particulière. La conspiration shandy, qui porte le nom du célèbre personnage de Sterne10, rassemble écrivains et artistes dont l’œuvre se doit d’être suffisamment légère pour être transportable, afin de célébrer « l’apothéose des poids légers dans l’histoire de la littérature11 ». Chez Senges, il s’agit plutôt d’évoquer la vie et l’histoire « des hommes et des femmes qui, depuis Icare jusqu’à la veille de la Grande Guerre, n’ont pas cessé de tomber, parfois à plusieurs reprises, [et qui] ne cherchaient pas à connaitre l’ivresse du vol, ni déjouer ses mystères, mais testaient la gravitation, et tombaient pour de bon, parce qu’ils le voulaient bien12 ». Les Essais fragiles d’aplomb cherchent donc à écrire une « Histoire des Chutes à vol d’oiseau13 », version négative du développement de l’aéronautique. Ces compilations de vies minuscules et de récits souvent insolites frayent avec une tonalité parodique, tout en prenant des formes savantes et des apparences d’encyclopédie. Le matériau référentiel est convoqué jusqu’à la saturation : collections de faits scientifiques ordonnés par des typologies (Senges), emprunts à des épisodes avérés de l’histoire littéraire (Vila-Matas), convocation de protagonistes historiques, évocation de grandes découvertes ou d’événements documentés, citation – et détournement – d’ouvrages censément consacrés au sujet. Pourtant, l’érudition débordante et parodique perturbe la diégèse romanesque. La multiplication de références savantes va jusqu’à troubler la construction d’un cadre de référence commun, voire le processus même de dénotation. Au-delà des manipulations de la fiction, ces œuvres poussent donc à spéculer sur le monde auquel elles réfèrent.

Histoires encyclopédiques de « vies très brèves »

5Un jeu de négociation se met en place entre la posture savante et la constitution d’un récit dans ces romans. Chez Senges, la séparation fragmentaire d’articles à teneur quasi encyclopédique se heurte à une narration qui cherche à instaurer une progression chronologique, alors que les chapitres sont reliés de manière plus explicite dans le roman de Vila-Matas, bien que l’arbitraire de la succession des événements, explicitement accentué, menace la conduite du récit.

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6Aussi enlevé que ses personnages, le livre de Vila-Matas n’en est pas moins construit comme un ersatz d’histoire littéraire que le narrateur, « chercheur en cours d’enquête sur la société secrète shandy14 », s’évertue à reconstituer. Au fil des pérégrinations de ses membres, entre Zurich, Paris, Port Hâtif, Vienne, Trieste, Prague, Séville, la constellation shandy s’accroît de manière exponentielle en regroupant un nombre étonnant d’artistes, Andrei Biély, Edgar Varese, Walter Benjamin, Marcel Duchamp, Maurice Blanchot, Georgia O’Keefe, Franz Kafka ou Aleister Crowley entre autres15. Mais la prolifération des personnages et des événements n’empêche pas l’aspiration à un vernis de cohérence référentielle et narrative. Tous les protagonistes que Vila-Matas emprunte à l’histoire ont vécu à l’époque de la société shandy, créée « à la fin de l’hiver 1924 » et dissoute « le jour même de l’hommage rendu à Góngora à Séville en l’an 192716 ». De son côté, le récit de Senges cherche plutôt à se défaire de la figure ascensionnelle d’une histoire téléologique et positiviste en substituant la chute à l’envol. Dès leur titre, les Essais fragiles d’aplomb désignent « autant les précipitations qu’une ébauche d’histoire raisonnée17 » : l’essai est à la fois l’examen – « exagium » de Montaigne – et la tentative, l’expérimentation des sauts. En s’écrivant dans les chutes du grand récit historique, le livre de Senges suit donc la trajectoire verticale de ses protagonistes. Chaque fragment constitue une nouvelle expérience vouée à confirmer la gravité, qu’elle soit classée parmi les « Vies très brèves », notes biographiques sur des hommes d’aplomb ou qu’elle appartienne aux « Théories de la gravitation », qui expliquent les lois de l’attraction terrestre. Ces diverses ébauches semblent donc indépendantes d’un grand récit qui les articulerait au-delà de la répétition des expériences particulières. Néanmoins, une portée syntagmatique cherche malgré tout à traverser la construction fragmentaire. Disséminés d’un chapitre à l’autre, les « Épisodes de la Tour » retranscrivent par exemple les progrès de la construction de la Tour Eiffel, roche tarpéienne du xixe siècle. Le narrateur s’emploie également à retracer une histoire de ce qu’il appelle « l’art pondéraire », depuis les précurseurs Icare et Talos, jusqu’aux théories d’Einstein, qui signent l’arrêt de mort des adeptes de la gravité.

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7Tout en négociant avec leur part narrative et syntagmatique, ces œuvres montrent également les failles de l’érudition, parodiée ou rendue trop fantaisiste. Les postures savantes ne permettent en effet de soutenir avec aplomb que de bien fragiles vérités et les narrateurs-faussaires laissent très souvent bailler la fiction dans des dispositifs qui ne possèdent finalement que les dehors de l’encyclopédie. Dans un entretien avec son traducteur français André Gabastou, Vila-Matas raconte par exemple que son livre fut classé parmi les essais littéraires dans l’édition de poche allemande18. Cette anecdote, elle-même non dénuée de rouerie, incarne une tonalité générale, orientée par la supercherie et la falsification. À l’instar du Sir Andrew Marbot de Wolfgang Hildesheimer, notamment évoqué par Dorrit Cohn19, nos ouvrages cherchent à mimer une forme savante, à convoquer les lieux communs de l’historiographie. L’Abrégé d’histoire possède par exemple une bibliographie en annexe, d’ailleurs aussi bien composée de références réelles que fictionnelles. Les dispositifs paratextuels abondent également dans ces ouvrages, que ce soit les notes de bas de page qui émaillent le corps des textes ou les prologues à valeur programmatique. Les divers chapitres peuvent alors être conçus comme des variations sur un même thème, exemples d’une histoire qui les subsume. Pourtant, à la différence du Marbot, nos œuvres ne cherchent pas à imiter parfaitement « un discours spécifiquement non fictionnel (historiographique) pour relater la vie d’un personnage fictionnel20 » mais plutôt à employer des protagonistes ou des événements qui, sous des apparences historiques, révèlent bien facilement leur caractère fictionnel. Les postures érudites ne dissimulent donc pas vraiment les subterfuges des faussaires21. Le narrateur de Vila-Matas invente ainsi des œuvres apocryphes que l’ironie de leur présentation suffit à démasquer, à l’instar de ce Veuves et Militaires de Francis Picabia « inédit jusqu’à présent22 » ou encore avec les Inédits secrets de Miriam Cendras23 censés révéler le processus de rédaction de l’Anthologie Nègre, « une escroquerie en bonne et due forme24 », dont le narrateur de l’Abrégé d’histoire prétend d’ailleurs avoir « eu recours dans tel ou tel chapitre de ce livre25 ». Chez Senges, le renversement littéralement burlesque du haut et du bas, la substitution de la chute à l’envol, fissure à elle seule le sérieux savant tout en ne renonçant pas au projet d’écrire une histoire de ces chutes. La constante inversion des valeurs et l’emploi volontairement voyant de la supercherie possèdent cependant une dimension esthétique fondamentale, qui repose sur la connivence exigée pour lire ces fictions : il faut entrer dans le secret de ces « conspirations » et intégrer leurs références. Autrement dit, à travers l’usage répété de la parodie, ces œuvres mettent surtout en avant le nécessaire partage des mots de la communauté, la relation d’intersubjectivité que réclame tout cadre de référence pour se construire.

Sociétés secrètes, références communes

8Cette tentative de faire « société » s’exprime non seulement par la connivence entre les personnages, qui partagent plutôt des caractères semblables dans l’Abrégé d’histoire et un objectif commun dans les Essais fragiles, mais aussi à travers le fait que les fragments se forment dans une tension vers la totalité. Que ce soit par la création d’un lien de coprésence ou par l’existence en tant qu’organon, représentatif de l’ensemble, ce dépassement de la disparate dans le commun s’exprime à de nombreuses reprises dans ces romans, par exemple dans l’image du « visage imaginaire » composé par les portatifs, à la fin d’Abrégé d’histoire :

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En ese rostro, que es todos los rostros shandys, hay grietas ya desde la juventud : grietas que irán lentamente abriéndose hasta conformar el vacío : esa única mascara, que es compendio de todas la máscara portátiles, y que será descubierta, en la luz etérea de una estancia sevillana, ridendo pleitesía a su majestad el tiempo, que es quien devastó ese rostro único y solitario : el rostro, en definitiva, del ultimo shandy26.

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9Cette aspiration à la coprésence, à la réunion de l’ensemble malgré la séparation, révèle ainsi forcément le vide de l’unité perdue et montre que la communauté, « ridée depuis sa jeunesse », regarde vers le néant, contient nécessairement en germe sa propre disparition. Dans L’absolu littéraire, Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe ont analysé cette fonction de la projection immédiate de l’inachevé dans le fragment27 : la suspension n’est pas une interruption brutale mais plutôt un désœuvrement, car « sous le désœuvrement, il y a encore une œuvre, une œuvre inavouable28 ». Ainsi, au contraire d’une perte dans les errements de l’érudition ou d’un solipsisme vain, ce qui « des-œuvre » chez Senges et Vila-Matas possède plutôt l’allure impétueuse de la variation, la mobilité d’une narration labile qui déroule ses exemples fragiles.

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10Contre l’uniformité de la communauté, ces « sociétés secrètes » instaurent donc des singularités plurielles, qui passent par la variation sur des situations communes. La référence partagée se construit par l’ajout de chaque épisode, par exemple dans l’Abrégé d’histoire qui fait presque correspondre à chaque découverte d’un membre shandy une nouvelle étape de la constitution de la société. Cette progression peut s’incarner dans l’objet totem de la conspiration, la « boîte-en-valise » de Marcel Duchamp, ce secrétaire portatif qui permet de transporter des miniatures de ses œuvres. Cet objet fait lui-même référence à la « malette-écritoire » de Paul Morand et il est bientôt retouché, modifié, voire même « profané » par les différents shandys. De réinterprétations en refigurations, il devient bientôt semblable à la machine à peser les livres de Walter Benjamin, qui permet de mesurer avec une « précision absolue » le caractère « insupportable » et donc « intransportable » de certains livres29. La « boîte-en-valise » constitue ainsi l’image du transfert des références dans la constellation shandy, qui se construit dans une version parfois secrète de la coprésence. Chez Senges, face à « l’évangile de l’aéronautique », la confrérie des hommes d’aplomb se voue à démontrer sans cesse l’attraction terrestre : la communauté est fondée dans l’expérimentation de la « seule loi universelle30 ». Celle-ci est attestée par les retranscriptions en écriture scientifique d’équations modélisant la chute, « seul exemple de mouvement uniformément accéléré31 ». Cependant, malgré cette loi générale qui relie les hommes et les femmes d’aplomb, les trajectoires verticales ne résistent pas au multiple et à l’accidentel. À la gravitation universelle se substituent en effet des variations plurielles puisque

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la pensée sensible seule perçoit le multiple et doit s’en tenir à cette tâche : les sens en acte durant une chute entretiennent avec les apparences un rapport étroit basé sur la complicité, l’acoquinement (on parle aussi d’association de malfaiteurs), d’où découle une imprévue mais irréfutable science physique – partant une philosophie32.

11Les phénomènes, les malfaçons de l’expérience, contredisent ainsi l’intégrité de la loi. Malgré la référence commune, les choses diffèrent dans la pratique : « l’être-avec », la complicité qui s’exprime dans l’attraction terrestre, l’aspect le plus matériel de notre « être-en-commun », ne résiste donc pas à l’« association de malfaiteurs » qu’est la perception. Le partage de la gravité laisse place à la variation, les jointures des singularités crissent pour quasiment se suspendre dans le quelconque et l’indistinct.

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12Mais ce mode d’existence sous la forme du quelconque n’est pas seulement thématique. Il doit être associé au fait que les œuvres de Senges et de Vila-Matas s’insèrent dans un flux de références, d’expériences et de paroles. Toute création passe nécessairement par la citation, comme en témoigne l’acte de naissance de la société shandy marqué par la crise de nerfs d’Andrei Biély « sur le rocher même où Nietzsche avait eu l’intuition de l’éternel retour » et « le même jour et à la même heure, non loin » de là par la chute de cheval « simulée » d’Edgar Varese « parodiant Apollinaire33 ». La société shandy provient d’une construction référentielle, assez proche de ce que Tiphaine Samoyault désigne par le concept de « référencialité » : saturé d’emprunts et de références, le texte de Vila-Matas « correspondrait bien à une référence de la littérature au réel, mais médiée par la référence proprement intertextuelle », dépassant en cela « la distinction communément admise entre littérature référentielle et littérature non référentielle34 ». Quand le réel n’existe que par la médiation de la littérature, l’écriture verse dans le « quelconque » et contient potentiellement son absence et sa disparition, ce qu’Agamben voyait déjà se réaliser dans la figure de Bartleby, en écrivant à son propos qu’est « proprement quelconque l’être qui peut ne pas être35 ». C’est bien à la puissance de cet effacement, à ce pouvoir de n’être pas, que s’essaie Vila-Matas quand il affirme dans un entretien avec Jean Echenoz que le sujet-écrivain fonctionne comme assimilation de voix et de gloses, telle une parole déplacée dans un « nous » quelconque et commun :

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« Je m’appelle Erik Satie, comme tout le monde ». Comme l’a écrit Juan Villoro, cette phrase du compositeur français résume à elle seule mon idée de la personnalité. Être Satie, c’est être exceptionnel, c’est-à-dire avoir trouvé une façon à soi de dissoudre dans l’anonymat triomphal, où l’unique est le propre de tout le monde36.

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13Dans cette phrase elle-même feuilletée de références s’exprime un moi-société au sens fort, Jean-Luc Nancy dirait une « sociation37 », c’est-à-dire une condition essentielle du sujet, si ce n’est de l’écriture, qui n’instaure ni contrat, ni convention collective mais qui repose sur une connivence fondamentale. Dans ce partage de références, le quelconque de « l’anonymat triomphal » peut à la fois être perçu comme une menace de dissolution et comme un geste esthétique, où la dénotation d’un monde commun ne repose plus nécessairement sur un réel dogmatique.

La légèreté, spéculations portatives

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14Ces romans de références ne cherchent donc pas la saturation de l’« hénaurme » flaubertien, la superposition d’exemples en vue de signifier la perte du sens. Au contraire, s’ils aspirent à « l’absence totale de grands desseins38 », ils ne condamnent pourtant pas les connections de détail, la redécouverte de minuscules zones de sens. Une image de cette esthétique pourrait résider dans ce que Calvino désigne comme un « symbole votif pour saluer le nouveau millénaire […] : le bond agile et imprévu du poète-philosophe, qui prend appui sur la pesanteur du monde, démontrant que la gravité détient le sens de la légèreté39 ». Dans nos œuvres, ce pas de côté se noue principalement dans une temporalité de l’instant et se modélise dans l’espace du minuscule. Tout comme pour le philosophe des Leçons américaines, la mobilité et la vivacité le disputent à la lourdeur chez les hommes d’aplomb. Ils se démarquent par exemple de la posture des stylites, en privilégiant l’éphémère de la chute à la tenue hiératique et stationnaire :

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Contrairement à Siméon du désert qui donnait à sa vie la simplicité muette et utile du cadran solaire […] l’ascétisme du plongeur dure le temps d’une chute, et se consume en un instant. L’éternité de l’ermite tout en haut de sa colonne […] devient ici fugace épreuve, même préparée depuis des lustres40.

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15Les plongeurs de Senges ne passent qu’un instant dans le livre, chacun occupe le fragment d’une « vie très brève » pour ne plus revenir. Cette mobilité fugace, inversion du lourd progrès vers la science consacrée, privilégie le passage des théories et souligne les amendements entre Léonard de Vinci, Galilée, Newton et Einstein. De son côté, le shandy Biély s’échappe du rocher nietzschéen de l’éternel retour pour fonder la conjuration. La société portative peut donc être considérée comme « l’exaltation spectaculaire de ce qui surgit et disparaît avec l’arrogante vélocité de l’éclair de l’insolence41 ». Sa disparition, présente dès l’origine, lui assure un mode d’existence éphémère. La légèreté n’est ainsi pas nécessairement un amuïssement et davantage de possibles s’ouvrent dans l’espace minuscule : le monde en petit permet d’exprimer une multiplicité de sens et même d’être à l’origine de l’interprétation, car « miniaturiser c’est également dissimuler42 ». Les tentatives d’écriture microscopique de Benjamin et de Duchamp évoquent ce nécessaire déchiffrement, dans un glissement entre la forme resserrée, miniaturisée, et le sens :

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Lo que esta reducido se halla en cierto modo liberado de significado. Su pequeñez es al mismo tiempo, un todo y un fragmento43.

16Dans cette dissémination du cadre se joue un transfert du sens. La multiplication des anecdotes et l’exhaustivité encyclopédique fondent en réalité la légèreté et la brièveté des œuvres de Vila-Matas et Senges. Ce mirage de lourdeur s’appuie sur la transformation opérée par la réduction, qui modifie le monde dénoté. Ainsi, le fait qu’une carte postale de Crowley nécessite tout un chapitre du livre de Vila-Matas pour être retranscrite produit un glissement de sens : quand l’objet – ou le texte – dénoté échappe, des erreurs de lecture peuvent se produire. Est-ce à dire que la littérature se défait du monde ou de l’objet auquel elle réfère ? Face à cette multiplication de références secondes, la fiction est-elle condamnée à l’autoréférence, voire à la construction de mondes ? Dans la suite de ses Memos for the next millennium, Calvino se défait justement d’une écriture conçue comme possibilité de recréation du monde, au nom même de la légèreté :

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Dois-je m’engager sur cette voie ? La conclusion qui m’attend ne paraitra-t-elle pas trop convenue ? L’écriture comme modèle de tout procès dans le réel… et même comme seule réalité connaissable… et même comme seule réalité tout court… Non je ne suivrai pas ces rails qui m’entraînent trop loin de l’acception qu’a pour moi ce mot : perpétuelle poursuite des choses, faculté de s’adapter à leur infinie diversité44.

17Mon intuition est que Senges et Vila-Matas, loin de prétendre créer des mondes possibles, s’inscrivent plutôt dans une perspective qui épouse la mobilité et la vaporisation des choses, qui explore une matière devenue friable. C’est la constitution même d’une littérature de références, de citations et d’emprunts qui nous permet, par analogie, d’éprouver le caractère fragile des choses et du monde. Autrement dit, les œuvres ne sont pas envisagées comme un possible du monde auquel elles réfèrent, mais cherchent plutôt à figurer une dénotation elle-même atteinte par le trouble de la spéculation. Afin d’étayer cette affirmation, je me propose d’esquisser deux exemples – l’hypothèse de la gravité et le statut de l’objet – même si les thèses proposées resteront ici, comme les « théories » de Senges et de Vila-Matas, au stade de la conjecture.

« Hypothèse et refus de l’hypothèse » (Senges)

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18Les Essais fragiles d’aplomb manipulent parfois avec beaucoup d’ironie une vision poppérienne45 de l’histoire de la science, où les versions du réel se modifient en fonction des discours (notamment scientifiques) qui le construisent. La variabilité des références et des épistémologies modifie alors notre manière de dénoter le monde. Fabien Gris a déjà montré que Senges renverse axiologiquement l’échec de la chute en des retrouvailles avec la vérité matérielle de notre être en pesanteur46. La passion du saut se veut confirmation de la gravité, célébration de la constance de la ligne droite, rigueur toujours déjà reconduite du tracé perpendiculaire. Mais la recherche d’une confirmation sans fin, quand bien même elle donnerait sans cesse le même résultat, ne repose finalement que sur l’angoisse d’une ligne déviante, ou pire, sur le pressentiment de la contingence de ces lois dont rien ne peut nous prouver la nécessité. Tant que le livre est ouvert, rien ne nous dit que la ligne droite ne déviera pas et les hommes d’aplomb ne peuvent que « sauter pour rien, sinon confirmer l’inanité des lois47 ». Dans les tentatives aveuglément répétées des chutes, on vise moins un progrès ou un résultat qu’une confirmation, ce qui ouvre la possibilité d’une déviance ou d’une exception. Chaque saut se transforme donc soit en « une quête de ce qui, de toute façon, n’existe pas », soit en « un geste de pure esthétique : comme celui qui, après des années d’apprentissage, fait tracer par un calligraphe, d’un seul mouvement, à main levée, le caractère oiseau, ou homme, ou sphère48 ». Le désœuvrement du saut sans cesse répété, galéjade métaphysique, s’interprète en effet comme le geste gratuit de l’art, autant que comme l’ouverture du hasard, le tremblé de la nécessité des lois de la pesanteur, traversées qu’elles sont par la légèreté. Afin d’approfondir la perspective, il serait possible de dire, à l’instar de Quentin Meillassoux dans Après la finitude49, que les variations ne dépendent pas nécessairement du regard, ou de la manière dont nous interprétons les choses du monde. Au contraire, la possible contingence des lois peut s’extrapoler du monde dénoté, de l’univers auquel on fait référence : rien ne nous prouve que ce que les lois du « réel », ou du monde actuel, soient absolument nécessaires50. La multiplication des expériences ne confirme une loi générale que par une extrapolation probabiliste : l’assurance des hommes d’aplomb contient en germe une fragilité, la possibilité d’un écart avec les résultats de l’expérience. Si nous pensons nos œuvres selon un imaginaire des « fictions hors science51 », un hasard pourrait très bien s’exprimer contre le « nombre », même si ce dernier semble pourtant l’emporter sur les « théories » à la fin des Essais fragiles52. Le sérieux des chiffres et « la gravité nécessaire à la gravitation » pourraient ainsi ne pas nécessairement empêcher une ouverture vers l’ironie, un possible pas de côté.

Des Labyrinthes d’Odradeks (Vila-Matas)

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19Le récit de Vila-Matas ne se consacre pas tant à évoquer la contingence d’une loi qu’à éprouver la mobilité de la matière du monde. Les shandys sont en effet poursuivis, voire hantés, par leurs Odradeks, ces objets aux formes variées, parfois humaines, « des êtres (de naissance non maternelle) dont la façon d’agir et la pensée sont fragmentaires et indiscriminées53 ». Image concrète de l’esprit shandy, ces Odradeks proviennent également d’un souvenir littéraire, une nouvelle de Kafka intitulée Die Sorge des Hausvaters, citée presque mot à mot dans le texte de Vila-Matas, sans que la référence soit explicite. En plus du trouble de son origine, l’Odradek est ainsi lui-même un objet « d’une mobilité extraordinaire et proprement insaisissable54 ». Constitué d’un tel amoncellement de référents qu’il en devient illisible, il offre l’image d’un monde de l’« ontologie plate », où les choses existent sans nécessairement avoir besoin d’être saisies par la conscience raisonnante. Support d’une vision spéculative, la perspective ludique de ces objets « incompossibles » transforme ainsi le regard du lecteur. En se détachant de la saisie directe, les « choses » doivent donc être appréhendées à l’oblique, non plus selon un monde pensé comme stable et dogmatique, mais depuis la « fantaisie objective » qu’est devenue la dénotation, comme si la littérature partait d’une object oriented ontology55 qui permet les variantes, la mobilité, voire même les apories de la non-contradiction. Véritable « hydre intime56 », à l’instar du nom secret de la société shandy emprunté à Rimbaud, la fiction peut donc jouer de la traditionnelle séparation entre subjectivité de la création et ontologie objective, en cherchant à sortir d’une relation de « corrélation » qui réduirait toute œuvre à un accès, à une vision ou une dénotation d’un monde non-problématique en soi.

20Si ces deux propositions mériteraient sans doute d’être davantage étayées, elles ont cependant en commun d’essayer de renverser la perspective pluraliste généralement ouverte par l’étude des relations référentielles dans le domaine littéraire. La surcharge de références, loin d’annoncer une littérature qui se refermerait sur un murmure érudit ou qui ne témoignerait que de la diffraction relativiste de points de vue, tend à se retourner vers la dénotation du monde, des objets et des mots afin d’essayer la variabilité et la fragilité de la matière référentielle. Bien que n’ayant pas vocation à se transformer en traité et s’en gardant d’ailleurs bien, grâce aux procédés de la mise à distance et de l’ironie, ces œuvres littéraires possèdent cependant des armes pour mettre en question la stabilité de nos références, pour figurer un monde spéculatif, à la fois fragile et mobile.

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Bibliographie

SENGES, Pierre, Essais fragiles d’aplomb, Paris : Verticales/Le seuil, 2002.

VILA-MATAS, Enrique, Historia abreviada de la literatura portátil, Barcelona : Editorial Anagrama, 1985.

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VILA-MATAS, Enrique et GABASTOU André. Vila-Matas, pile et face. 1 vol. Coll. « Les singuliers ». Paris : Argol, 2010.

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Notes

1

Vila-Matas Enrique, Bartleby et compagnie, Traduction Éric Baumartin, Christian Bourgois, 2002, p. 36.

2

Piegay-Gros, Nathalie. L’érudition imaginaire. Genève, Suisse : Droz, 2009.

3

Devenirs du roman : 2. Écritures et matériaux. Inculte Naïve. Paris : Inculte, 2014.

4

Pierssens, Michel. Savoirs à l’œuvre : essais d’épistémocritique. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires de Lille, 1990.

5

Vila-Matas, Enrique, Historia abreviada de la literatura portátil, Barcelona : Editorial Anagrama, 1985. Les traductions, sauf indication contraire, sont empruntées à Vila-Matas, Enrique, Abrégé d’histoire de la littérature portative, traduction d’Éric Baumartin, Christian Bourgois éditeur, 1990.

6

Senges, Pierre, Essais fragiles d’aplomb, Paris : Verticales/Le seuil, 2002.

7

Le traducteur de Gottlob Frege, choisit de gloser Bedeutung par « dénotation » même s’il précise qu’il aurait été possible de le traduire par « référence » (comme les anglo-saxons) parce que « le régime indirect du verbe se référer à aurait immanquablement introduit des tournures fort lourdes », in Gottlob Frege, « Sens et dénotation », Écrits logiques et philosophiques, traduction Claude Imbert, Éditions du Seuil, Points Essais, 1971, p. 15.

8

Ce terme de « dénotation » ne doit pas être confondu avec son emploi dans le couple dénotation/connotation de la linguistique de Port-Royal.

9

Il s’agit ici, pour succinctement résumée qu’elle soit, de la définition de la « fonction référentielle » de Roman Jakobson, donnée dans Essais de linguistique générale, Les fondations du langage, traduit et préfacé par Nicolas Ruwet. Paris : Éditions de Minuit, 1963, p. 214.

10

Et qui signifie également « joyeux », « loufoque » et « volubile » dans le dialecte « de certaines zones du comté du Yorkshire » selon une note de Vila-Matas, op. cit., p. 12.

11

Senges Pierre, op. cit., p. 12.

12

Ibid., p. 9.

13

Ibid., p. 10.

14

« investigador de la sociedad secreta shandy », Vila-matas, op. cit., p. 92.

15

En raison du format lui-même portatif de cet article, la liste n’est pas exhaustive.

16

Vila-matas, op. cit., p. 11 et 16.

17

Senges, Pierre. Essais fragiles d’aplomb. Minimales. Paris : Verticales, 2002, p. 10.

18

Vila-Matas, Enrique, et Gabastou, André. Vila-Matas, pile et face. 1 vol. Coll. « Les singuliers ». Paris : Argol, 2010, p. 61.

19

Dorrit Cohn, The Distinction of Fiction, The John Hopkins University Press, Baltimore, 1999.

20

Ibid., p. 133.

21

Pour une analyse précise de ce processus chez Senges, voir Aurélie Adler, « La voix polémique du faussaire » in Actes de la journée d’étude Pierre Senges, à paraître aux Éditions Classiques Garnier, coll. « Écritures contemporaines Minard », sous la direction d’Audrey Camus et Laurent Demanze.

22

Vila-Matas, op. cit., p. 17 : « libro hasta ahora inédito ».

23

C’est un demi-mensonge, celle-ci est bien l’auteur de nombre d’ouvrages sur son père, Blaise Cendrars

24

Vila-Matas, Enrique, op. cit., p. 68 : « un fraude en toda regla ».

25

Ibid., p. 65 : « en algún que otro capítulo de este libro ».

26

Vila-Matas, op. cit., p. 117. Ce visage, qui est tous les visages shandy à la fois, est ridé depuis sa jeunesse, et ces rides se creuseront lentement jusqu’à s’ouvrir sur le vide : ce masque unique, compendium de tous les masques portatifs, sera ôté dans la lumière éthérée d’un séjour sévillan, faisant ainsi acte d’allégeance envers Sa Majesté le Temps, qui a vaincu en le dévastant ce visage unique et solitaire : le visage, en somme, du dernier shandy.

27

En effet, selon Lacoue-Labarthe et Nancy, « [l]e fragment-projet ne vaut pas comme programme ou prospective, mais comme projection immédiate de ce que pourtant il inachève. », in L’Absolu littéraire : théorie de la littérature du romantisme allemand, coll. « Poétique ». Paris : Éditions du Seuil, 1978. p. 63.

28

Nancy, Jean-Luc. La communauté affrontée. Coll. « La philosophie en effet ». Paris : Galilée, 2001. p. 39.

29

« …nos permite detectar, con absoluta precisión, cuales son las obras literarias que resultan insoportables y por tanto, aunque traten de disimularlo, intransportables. »Vila-Matas, op. cit., p. 10.

30

Senges, op. cit., p. 74.

31

Ibid., p. 43.

32

Ibid., p. 75.

33

« Aquel mismo día y a la misma hora, a no mucha distancia de allí, el músico Edgar Arese caia repentinamente del caballo cuando, parodiando a Apollinaire, simulaba que se preparaba ir a la guerra » Vila-Matas, p. 9.

34

Samoyault, Tiphaine. Intertextualité : mémoire de la littérature. Coll. « 128 258 ». Paris : Nathan, 2001, p. 86.

35

Agamben, Giorgio. La Communauté qui vient : théorie de la singularité quelconque. Traduit par Marilène Raiola. Coll. « La Librairie du xxe siècle ». Paris : Éd. du Seuil, 1990. p. 40, nous soulignons.

36

Vila-Matas, Enrique, et Jean Echenoz. De l’imposture en littérature. Traduit par Sophie Gewinner et Guadalupe Nettel. Éd. bilingue. 1 vol. Coll. « Les bilingues ». Saint-Nazaire : MEET, 2008, p. 17.

37

Jean-Luc Nancy, Conloquium, in Esposito, Roberto. Communitas : origine et destin de la communauté. Traduit par Nadine Le Lirzin. Coll. « Les essais du Collège international de philosophie ». Paris : Presses universitaires de France, 2000.

38

Vila-Matas, op. cit., p. 13.

39

Calvino, Italo. Leçons américaines : aide-mémoire pour le prochain millénaire. Traduit par Yves Hersant. Coll. « Du monde entier ». Paris : Gallimard, 1989, p 32.

40

Senges, Pierre, op. cit., p. 46.

41

« la espectacular exaltación de lo que surge y desaparece con la arrogante velocidad del relámpago de la insolencia. » Vila-Matas, p. 86.

42

« Miniaturizar es también ocultar », Ibid., p. 11.

43

Ibid., p. 11. Ce qui est réduit se voit d’une certaine façon libéré de toute signification. La petitesse de ses réductions en fait à la fois le tout et le fragment.

44

Calvino, Italo, op. cit., p. 54.

45

Dans La logique de la découverte scientifique Karl Popper, défend l’idée que tout événement, aussi étrange puisse-t-il paraître, est compatible en droit avec l’état actuel ou futur de la science. La théorie scientifique est par conséquent intrinsèquement falsifiable, voire réfutable par l’expérience.

46

Gris, Fabien « "La chute était leur trajectoire" : erreurs et échecs chez Pierre Senges », in Actes de la journée d’étude Pierre Senges, à paraître aux éditions Classiques Garnier, coll. « Écritures contemporaines Minard », sous la direction d’Audrey Camus et Laurent Demanze.

47

Senges, Pierre, op. cit., p. 54.

48

Ibid., p. 54.

49

Meillassoux, Quentin. Après la finitude : essai sur la nécessité de la contingence. L’ordre philosophique. Paris : Éd. du Seuil, 2005.

50

Selon Meillassoux, les réponses de Kant et de Popper au problème de Hume (à savoir : qu’est-ce qui nous garantit au juste – mais aussi nous persuade – que les lois physiques vont être encore valables dans un instant, dès lors que ni l’expérience, ni la logique ne nous permettent d’en avoir l’assurance ?) peuvent être réfutées.

51

Meillassoux, Quentin. Métaphysique et fiction des mondes hors-science. 1 vol. Essais 4. Paris : les Éd. Aux forges de Vulcain, 2013.

52

Senges, Pierre, op. cit., p. 145.

53

« seres (no nacidos de madre), cuyo pensamiento y forma de actuar está construido por retazos sin ninguna selección » Vila-Matas, op. cit., p. 57.

54

Kafka, Franz, « Ce qui tracasse le père de famille », À la colonie disciplinaire et autres récits, traduction de Catherine Billamann et Jacques Cellard, Paris : Actes Sud, [1998] p. 93.

55

Graham Harman, Tool Being: Heidegger and the metaphysics of objects, Chicago (Ill.): Open Court, 2002

56

Vila-Matas, op. cit., p. 84.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Cyril Verlingue, « Références érudites, dénotations spéculatives dans Essais fragiles d’aplomb de Pierre Senges et Abrégé d’histoire de la littérature portative d’Enrique Vila-Matas »TRANS- [En ligne], 18 | 2014, mis en ligne le 06 novembre 2014, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/1036 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trans.1036

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Auteur

Cyril Verlingue

Cyril Verlingue est doctorant à l'université Paris 3-Sorbonne Nouvelle.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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