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2024
L'hybride et la littérature

Pseudo-essais : l’hybridation des genres non fictionnels entre autobiographie et métatextualité aux États-Unis1

Pseudo-essays: the hybridization of non-fictional genres between autobiography and metatextuality in the United States
Guido Mattia Gallerani

Résumés

Cet article examine l’hybridation littéraire dans des ouvrages qui sont censés faire partie de la catégorie générique (ou archi-générique) de la nonfiction literature aux États-Unis. Il s’intéresse à l’hybridation présente dans les œuvres rangées sous cette étiquette et qui semble se réaliser, pour un corpus donné (William Deresiewicz, Mary Cappello, Marco Roth, David Shields), entre deux genres, l’autobiographie et l’essai critique. Chaque œuvre hybride est analysée en fonction de facteurs spécifiques tels que la référence autobiographique et la relation métatextuelle entretenue avec d’autres textes romanesques. Finalement, l’hybridation que l’on rencontre participe au processus de personnalisation des textes et se révèle être un élément important de l’épistémologie de certaines œuvres contemporaines, en ce qu’elle permet à des préoccupations d’ordre moral et d’utilité pragmatique pour la vie quotidienne de se constituer comme message de l’œuvre.

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Texte intégral

Introduction : essai et nonfiction literature

  • 1 Cet article est issu d’une intervention donnée dans le cadre du séminaire L’Hybride et la littératu (...)

1Aux États-Unis, l’essai relève en librairie de l’étiquette très vaste de la nonfiction literature, qui connaît des ventes non négligeables (quelques-uns des ouvrages qui seront cités sont devenus des best-sellers et long-sellers). Et pourtant, nonfiction literature ne se réduit pas au seul genre de l’essay, mais la formule englobe tous les ouvrages narratifs non-fictionnels comme les autobiographies et les biographies, ainsi que la nonfiction novel (faction), genre qui se démarque pour certains usages du répertoire historique (depuis In Cold Blood de Truman Capote, notamment).

  • 2 D’ailleurs, le genre de l’autobiographie était déjà inclus dans l’anthologie d’essais éditée par Al (...)

2C’est justement ce voisinage avec l’autobiographique qui amène certaines écritures essayistiques à prendre une forme plus ou moins narrative aux États-Unis2, et des conclusions comparables pourraient être confirmées pour la pratique de l’essai en France et en Italie. Cette enquête voudrait se situer, en fait, dans un plus vaste programme de recherche comparative, consacrée à la constitution d’un corpus culturel de l’essai contemporain, autour de l’hybridité de la forme, et plus particulièrement de l’hybridation narrative dans le cadre d’une littérature commerciale.

  • 3 Irène Langlet, L’Abeille et la Balance. Penser l’essai, Paris, Classique Garnier, 2015, p. 89-105.
  • 4 Pour une interprétation de l’hybridation dans un tel sens, voir Jacques Derrida, « La loi du genre  (...)

3Dans cet article, je considérerai l’hybridation comme un phénomène particulier qui ouvre le texte à une dialectique entre deux genres : l’autobiographie et l’essai critique. Dans chacune des œuvres, il y a des facteurs d’hybridité qui relèvent de ces deux genres primaires. La caractérisation du genre de l’essai, retracée par Irène Langlet et bien documentée dans l’histoire, à la fois théorique et textuelle, le présente comme une forme problématique, située nulle part entre deux genres ou, plus généralement, entre art et science3. L’hypothèse de cet article est qu’il en va de même pour ces œuvres de littérature non fictionnelle. En tout cas, il ne s’agirait pas d’hybridation dans le sens de la libération d’une œuvre des catégories traditionnelles du genre littéraire, un cas, ou une tentative, plutôt fréquent entre littérature et théorie au XIXe et au XXe siècle4. Je chercherai plutôt à démontrer comment l’entre-deux genres cherche à dissimuler, dans certains ouvrages, une hybridation d’origine commerciale où la vie de l’auteur reste la structure dominante.

  • 5 La référence classique renvoie à Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975.
  • 6 Sur la notion d’identité narrative, voir Paul Ricœur, Temps et récit I. L’intrigue et le récit hist (...)
  • 7 En ce qui concerne la métatextualité, mes points de départ remontent à Gérard Genette, Palimpsestes (...)

4D’une part, si certains essais critiques sont naturellement attirés par les formes narratives, ceci est dû au fort emploi de la narration dans l’archi-genre de la nonfiction literature, et cette attirance devient un facteur d’hybridité à l’intérieur des essais critiques. D’autre part, si des textes respectent le pacte autobiographique5, cela n’empêche pas qu’une relation métatextuelle soit au travail dans les œuvres, et qu’elle agisse comme facteur d’hybridité au même titre dans les textes autobiographiques. En effet, quels que soient les effets de lisibilité donnés par la structure autobiographique, les divers segments de la chaîne diégétique renvoient continuellement à certains ouvrages littéraires qui sont cités ou lus en guise de commentaire. Si l’identité narrative6 de l’alter ego de l’auteur est réaffirmée au sein de l’autobiographie, les références littéraires, les citations et les commentaires n’ouvrent pas moins à une relation, entre les œuvres citées et la narration autobiographique, qu’on peut définir comme de type métatextuel7.

L’essai hybride aux États-Unis entre critique et autobiographie

  • 8 Roland Barthes, S/Z, Paris, Seuil, 1970.
  • 9 Jean-Paul Sartre, L’Idiot de la famille : Gustave Flaubert de 1821 à 1857, Paris, Gallimard, 1971-1 (...)
  • 10 Giacomo Debenedetti, Saggi critici. Terza serie, Milan, Il Saggiatore, 1959 ; et Il personaggio-uom (...)

5Une explication possible, parmi d’autres, de ce phénomène est historique et trouve dans cette relation métatextuelle à la fois le dépassement et la trace de l’essai hybride de l’époque antécédente. Au moins jusqu’aux années 1960-1970, la théorie littéraire a joué un rôle important comme facteur d’hybridité dans le genre de l’essai. L’élaboration théorique d’une nouvelle approche au texte s’accordait à la mise en scène d’un lecteur nouveau, doué de caractéristiques utopiques, qui faisait de la lecture une pratique créatrice, une écriture seconde qui se développait à partir des textes cités, comme c’est le cas pour S/Z de Barthes8, pour L’Idiot de la famille de Sartre9, et pour les textes de Giacomo Debenedetti en Italie10. En ce qui concerne les œuvres hybrides de mon corpus, la relation du lecteur avec les textes commentés a pris la voie de la personnalisation de la culture. Du moins, c’est ainsi que David Shields, dans un ouvrage dont on parlera brièvement, situe l’essai contemporain, de façon intermédiaire entre l’esthétique du genre et l’écriture autobiographique à fonction privée :

  • 11 « Facebook and MySpace are crude personal essay machines. On everyone’s Facebook page is a question (...)

Facebook et MySpace sont des grossières machines permettant de rédiger des essais personnels. Sur la page Facebook de tout le monde, il y a un questionnaire, sur lequel chaque personne est invitée à lister des informations personnelles – de l’âge à l’orientation sexuelle. [...] Chaque page est une version déformée de la réalité – trop peu sophistiquée pour être de l’art, mais trop consciente pour être un simple compte rendu11.

6En raison des facteurs d’hybridité dans le corpus, qui remontent tous à la forme autobiographique ou à la relation métatextuelle, je me bornerai à introduire deux voies de lecture pour cerner les éléments hybrides spécifiques de chaque œuvre, avant de proposer une conclusion sur la nature des messages mobilisés par l’ensemble des textes :

  1. la référence ou l’allusion personnelle, à savoir l’émergence de l’alter ego autobiographique ;

  2. l’usage pragmatique de la culture dans les textes, qui modifie la relation critique dans les essais.

7La première référence nous sert comme point de départ pour des comparaisons successives. On Being Blue. A Philosophical Inquiry est le titre d’un essai de William H. Gass publié en 1976. Professeur de philosophie et écrivain connu, surtout pour ses romans modernistes (entre Joyce et Gertrude Stein), Gass compose une investigation, moins philosophique qu’essayistique, sur un thème. De même que dans ses romans, tels qu’Omensetter’s Luck (1966) ou The Tunnel (1995), la métaphore lui sert à développer les connexions entre le mot blue et divers signifiés qui font référence au contexte culturel, personnel, naturel. Cet ouvrage témoigne du fait qu’un modèle d’écriture entre théorie et essai personnel est bien ancré dans la littérature aux États-Unis parallèlement à l’essai européen de l’époque.

  • 12 « As readers, that’s what we want: the penetration of privacy. We want to see under the skirt » (Wi (...)

8L’auteur ne donne pas de modèle d’investigation, de méthode. Tout en restant dans l’approche formelle de l’essai, Gass insère des commentaires sur des textes poétiques et romanesques (comme ceux de John Barth) afin de suivre les évolutions et les nuances situées aux alentours de l’objet-mot blue. Ainsi il peut développer ses réflexions sur l’art, sur Pollock et Picasso, et sur le style musical du blues. Cela dit, l’argument n’ouvre à la subjectivité de l’auteur que par la médiation de la culture et de la littérature. C’est le cas, par exemple, pour la sexualité, un des thèmes spécifiques de son écriture : « En tant que lecteurs, c’est ce que nous voulons : la pénétration de la vie privée. Nous voulons voir sous la jupe »12. Par cela il peut faire allusion à certains épisodes biographiques, mais l’histoire privée de l’auteur reste cachée, l’identité personnelle n’est pas narrativisée. Le biographique occupe une position toujours intermédiaire : toute expérience est dite seulement à titre exemplaire, par un lecteur dépouillé de coordonnées biographiques, même dépourvu de son prénom. La non-personnalisation de l’objet culturel reste la condition d’existence pour la réception de l’œuvre par une collectivité de lecteurs également anonymes.

  • 13 Voir John D’Agata (dir.), The Next American Essay, Saint Paul, Graywolf, 2003 et The Making of the (...)
  • 14 « The lyric essay […] inherits from the principal strands of nonfiction the makings of its own hybr (...)

9Bien plus récent est l’ouvrage de David Shields, Reality Hunger. A Manifesto publié en 2010. Ce livre a connu un certain succès critique à l’étranger, en traduction française et italienne notamment. David Shields est un écrivain qui refuse dans son œuvre la différence entre fiction et nonfiction, défendant un mélange des genres, entre la narration fictionnelle et le lyric essay, un genre encouragé en particulier par les éditeurs de Seneca Review à partir de 199713. L’auteur explique dans un fragment que « [l]’essai lyrique [...] hérite des principes de la littérature non fictionnelle les éléments essentiels, créant sa propre version hybride du genre. Il prend la subjectivité de l’essai personnel et l’objectivité de l’essai public, les amalgamant dans une forme littéraire qui repose à la fois sur l’art et sur les faits, sur l’imagination et sur l’observation »14.

10En fait, l’ouvrage se présente comme une succession de fragments généralement très brefs, souvent des aphorismes. L’ordre alphabétique qui devrait relier les 618 fragments en chapitres n’apparait pas fonctionner de façon indépendante, car chaque lettre de l’alphabet introduit un chapitre, intitulé par un mot-clé, proposant donc une problématique qui ne respecte pas, dans sa lettre initiale, l’ordre alphabétique. Ainsi, chaque chapitre semble plutôt avoir un motif dominant d’ordre artistique : l’art contemporain, la musique, la photographie, la télévision (reality show), etc. Au lieu de donner à l’ouvrage la structure unifiée d’un recueil, Shields s’occupe plutôt de légitimer son écriture fragmentaire en tant que forme relevant de l’essai :

  • 15 « The aphorism is one of the earliest literary forms — the residue of complex thoughts filtered dow (...)

L’aphorisme est l’une des plus anciennes formes littéraires : le résidu de pensées complexes filtrées en une seule métaphore. Au IIe millénaire av. J.-C., chez les Sumériens, les aphorismes étaient recueillis dans des anthologies : des recueils de dictons copiés pour les nobles, les prêtres et les rois. Ces listes ont ensuite été cataloguées par thèmes : « Honnêteté », « Amitié », « Mort ». [...] Par le biais du montage et du collage, la forme s’est disséminée dans des essais plus longs, plus complexes, plus soutenus15.

11Les insertions personnelles sont également fragmentaires, sur la base du refus de la narration continue qui semble comporter, selon l’auteur, une falsification de la réalité :

  • 16 « As a work gets more autobiographical, more intimate, more confessional, more embarrassing, it bre (...)

Au fur et à mesure qu’une œuvre devient plus autobiographique, plus intime, plus confessionnelle, plus gênante, elle se fragmente. Nos vies ne sont pas préemballées selon des lignes narratives et, par conséquent, par sa nature même, l’art fondé sur la réalité – sous-traité, sous-produit – éclate et explose16.

12Dans chaque chapitre, un fragment d’ordre personnel est inséré afin de réaliser concrètement le dépassement par l’œuvre de la fiction et de l’essai, quand bien même c’est l’absence de connexion ou d’entrelacement entre les fragments qui empêche cette double appartenance, indépendamment de la nature, narrative ou essayistique, du fragment. Les insertions biographiques, du reste, ne se relient à l’ensemble que par les associations libres de la lecture. À titre d’exemple, on peut lire en entier le fragment n° 250 (à la lettre I), qui correspond au chapitre intitulé the reality-based community :

  • 17 « Tying my shoes in the lobby of the recreation center, I saw someone reading what looked like Chec (...)

Pendant que je nouais le lacet de mes chaussures dans le hall du centre de loisirs, j’ai vu quelqu’un lire ce qui ressemblait à Checkpoint, le roman de Nicholson Baker sur un homme qui rêve d’assassiner le président de l’époque, George W. Bush. Je venais de finir de lire le livre, alors j’ai dit : « Est-ce que vous êtes en train de lire Checkpoint ? Ça vous plaît ? » Le lecteur semblait méfiant et était très réticent à répondre précisément à ma question. Il m’a demandé si j’étais l’écrivain David Shields. C’est moi, le seul, l’unique (en fait, il y a au moins un autre écrivain nommé David Shields, un académicien qui est l’auteur d’un livre intitulé Oracles of Empire). Pourtant, nous n’avons parlé de Checkpoint et de Baker qu’avec circonspection. Quand j’étais près de m’en aller, j’ai bien dit, mais mal à propos : « je suis David Shields. Je suppose que vous le savez. Comment vous appelez-vous ? », ce qui, bien sûr, a ravivé tous les sous-entendus entre les deux espions, alors il a dit, très lentement : « Je m’appelle Wes ». Pas de nom de famille. Fin de la conversation. Un nouveau moment dans la république, pour autant que je puisse en juger17.

13Puisque l’anecdote est limitée à ce fragment, la référence littéraire au roman Checkpoint n’est qu’un prétexte pour insérer un souvenir autobiographique dans le traitement du thème et permettre à l’auteur de montrer comment la réalité revient toujours à la surface – dans la suite du même chapitre, Shields estime qu’Obama a gagné les élections parce qu’il paraissait plus en prise avec la réalité que ses concurrents, comparables à des personnages romanesques nés de la plume de Jane Austen. Ce type d’insertion autobiographique sert non à proposer un commentaire personnel sur le texte en question, le roman de Baker, ni à éclairer le rapport dialectique entre littérature et réalité, mais à attirer l’attention des lecteurs sur la vie contingente, celle de la personne physique de David Shields, sans avoir besoin d’en donner une narration autobiographique qui déploierait les faits et les anecdotes.

14Contrastant avec ce cas, on trouve un exemple d’insertion autobiographique visant à expliquer des textes dans un essai de Mary Cappello, Awkward. A Detour, un best-seller depuis sa publication en 2007. L’enquête porte sur l’awkwardness, la maladresse, la gêne, en lien avec l’étrangeté culturelle de l’auteure, fille d’immigrés italiens aux États-Unis. La dernière partie de l’ouvrage, Detouring, s’ouvre sur la lecture de The Awkward Age (L’Âge difficile, 1899), le roman d’Henry James. L’auteure s’appuie sur le texte et sur la critique (Tzvetan Todorov notamment), avant de passer à ses impressions personnelles de lecture, et s’arrête sur ce qui signifie, pour elle, la lecture de ce roman. Ce dernier devient une source culturelle qui permet de comprendre, au fil de la lecture, le rapport de l’auteure avec le motif de l’awkwardness, ici entendue comme une forme de solitude existentielle.

15Ce dernier chapitre de l’essai de Mary Cappello est un exemple très pertinent du processus de transformation, presque de renversement romantique, dans l’argumentation, qui va de l’analyse de textes comme possible source de vérité à un usage de la littérature comme événement biographique, où c’est la vie qui imite l’art. Au contraire de Reality Hunger, ici l’écriture dans sa continuité évite de diviser l’événement biographique et l’analyse culturelle, tout en profitant de leur enchainement dans l’argumentation. On peut suivre de près les étapes de la lecture que Mary Cappello propose du roman d’Henry James :

    • 18 « Je ne connais pas de projet artistique plus imprégné de maladresse que The Awkward Age d’Henry Ja (...)

    Première lecture : une lecture critique18 ;

    • 19 « Peut-être le roman exige-t-il un lecteur autre ou différent de moi. Peut-être que mon propre rapp (...)

    Éveil personnel en relation à l’œuvre19 ;

    • 20 « J’ai lu une grande partie du roman dans une chambre d’hôtel perchée à une altitude peu habituelle (...)

    Aller-retour, incertitudes, difficultés de lecture à cause du contexte réel et pragmatique20 ;

    • 21 « Or, descendant au restaurant de l’hôtel, je mangeais sans regarder personne dans les yeux, comme (...)

    Déconnexion du monde, et personnalisation de l’œuvre21 ;

    • 22 « À l’arrière-plan de ce roman, un roman composé entièrement de conversations entre des personnes q (...)

    Écho de l’œuvre dans la vie ; retentissement de la littérature dans le biographique ; éveil personnel en relation à soi-même22.

16Mary Cappello aboutit à une forme d’essai hybride, qui diffère soit de la fragmentation qu’on trouve chez Shields, soit de l’engagement théorique autour d’un thème, comme c’est le cas pour On Being Blue de Gass.

  • 23 Voir Claire Harman, Jane’s Fame. How Jane Austen Conquered the World, Edimbourg, Canongate Books, 2 (...)

17William Deresiewicz, ex-académicien et auteur d’un pamphlet très discuté comme Excellent Sheep: The Miseducation of the American Elite, a publié en 2011 un ouvrage intitulé A Jane Austen Education. How six novels taught me about love, friendship, and the things that really matter. Deresiewicz y exploite l’univers narratif de Jane Austen, par ailleurs source textuelle de nombreuses réécritures et adaptations médiatiques23, et le suit comme un fil rouge qui permet d’écrire son propre roman de formation. Comme le dit le sous-titre, cet ouvrage raconte ce que les six romans de Jane Austen ont enseigné à l’auteur sur des thèmes comme l’amour, l’amitié et « les choses qui comptent vraiment », à savoir certains problèmes de la vie personnelle, à partir de l’écriture de la thèse jusqu’à son mariage. La suite des romans au fil du livre (Emma, Pride and Prejudice, Northanger Abbey, Mansfield Park, Persuasion, Sense and Sensibility) ne se fait pas selon un ordre chronologique de publication ni un ordre thématique, soumis par exemple à une argumentation critique, mais elle est strictement liée à l’histoire biographique de l’auteur, c’est-à-dire d’un lecteur particulier, doté d’un nom, d’un genre, d’une biographie et d’un réseau relationnel.

18Surtout, l’ouvrage de Deresiewicz permet d’évaluer le rôle différent que la théorie littéraire, qui a contribué à la formation des essais hybrides des années 1960-1970, occupe dans les ouvrages hybrides d’aujourd’hui. En fait, Deresiewicz rejette son apprentissage théorique comme doctorant à la Columbia University et dégage sa lecture des outils analytiques qu’il pourrait utiliser en tant que critique littéraire, racontant sa libération du bagage théorique grâce à Jane Austen notamment. Auparavant, il approchait les textes avec les préjugés de l’universitaire :

  • 24 « Austen’s words, quite apart from what she said with them, also struck me as ridiculous when I fir (...)

Les mots d’Austen, indépendamment de ce qu’elle dit avec eux, m’ont également semblé ridicules quand je les ai entendus pour la première fois. J’étais habitué à la brillance stylistique qui frappe sur le crâne : les labyrinthes syntaxiques de Joyce, le vocabulaire obscur de Nabokov, les austérités obsolètes d’Hemingway24.

19Mais pendant l’apprentissage des romans de Jane Austen, une autre modalité de lecture l’emporte :

  • 25 « Literary studies, [the Professor] was trying to tell us, was not about learning a secret language (...)

Les études littéraires, [le professeur] essayait de nous le dire, n’avaient pas pour but d’apprendre un langage secret ou de maîtriser un bagage de trucs théoriques. Il ne s’agissait pas non plus d’inventer une nouvelle personnalité professionnelle. Il s’agissait de reprendre contact avec la façon dont nous avions eu l’habitude de lire – la façon dont les gens lisent quand ils lisent pour le plaisir – mais aussi de l’intensifier, en la rendant plus réfléchie et plus profondément informée25.

20Plus les lecteurs rendent leur lecture personnelle, à travers l’identification avec l’univers fictionnel du roman, plus la littérature participe de l’autobiographie. Cet usage personnel de la littérature est rendu possible par la modalité de lecture spécifique que Deresiewicz vient de défendre, à savoir une identification totale avec les personnages de roman. Chez Deresiewicz, l’élaboration autobiographique de la lecture déclenche le processus créatif de l’écriture, mais entraine en retour la disparition d’un autre processus créatif, propre au genre de l’essai des années 1960-1970, à savoir l’emploi de la théorie comme catalyseur de mutation de l’essai.

21Le point d’arrivée de mon discours est représenté par The Scientists: A Family Romance de Marco Roth, publié en 2012, un an après l’œuvre de Deresiewicz. The Scientists se présente moins comme une narration autobiographique que comme une enquête autour d’un secret d’une autre personne. Dans ce roman familial, comme le qualifie le sous-titre, l’insertion des séquences narratives est liée à la recherche de l’auteur, mais ces séquences s’organisent de nouveau autour d’un véritable corpus littéraire : la liste des livres de chevet du père de l’auteur.

  • 26 « Down again in the car, retracing my way back to the missed turn, I began to think again of those (...)

De nouveau dans la voiture, revenant au virage manqué, je repensai à ces écrivains et à leurs romans. Au sein de leurs pages mon père aurait pu se sentir plus totalement vivant. Si je devais le chercher, pour sauver sa réputation du portrait fait par ma tante d’un homosexuel manqué, affaibli et timide, du petit frère, ce serait parmi eux, ses véritables amours secrètes et insatisfaites. J’ai essayé de me souvenir des récits et des romans qu’il avait mis sur mon chemin quand j’étais adolescent et qu’il était en train de mourir. Une liste me vint alors à l’esprit : La Métamorphose, Tonio Kröger, Le Rouge et le noir, Oblomov, Ainsi va toute chair, Pères et fils26.

22Dans ce cas aussi, les textes servent d’aide pour interpréter la vie, encore que, cette fois-ci, il s’agisse de celle du père. On pourrait parler de textualisation du souvenir du père, dont la figure est entièrement réinterprétée par Roth au moyen de la comparaison entre ses souvenirs et ses commentaires des textes de la liste. La lecture biographique de ces romans permettra en fait d’effacer les accusations de sa tante relatives à certains secrets sexuels. Pour leur part, les outils critiques n’ont d’autre utilité que celle de dévoiler de tels indices :

  • 27 « I was almost convinced that my father hadn’t read me Tonio Kröger to show me that my feelings at (...)

J’étais presque convaincu que mon père ne m’avait pas lu Tonio Kröger pour me montrer que mes sentiments à Riverdale étaient, comme il le prétendait, « normaux » ou que ce qui m’arrivait à l’école avait déjà été vécu par Thomas Mann, un siècle plus tôt, mais parce qu’il avait reconnu, dans ma propre vulnérabilité d’un enfant de onze ans, une ouverture pour semer la graine d’une future confession qu’il n’aurait jamais le temps ni le courage de faire27.

Conclusions : l’hybridité comme pseudo-critique

  • 28 György Lukács, « A propos de l’essence et de la forme de l’essai » [1910], L’Âme et les formes, tra (...)
  • 29 Écritures, donc, que l’on pourrait comparer à la forme de l’autoportrait littéraire. Voir Michel Be (...)

23Finalement, on peut se demander quel message les deux facteurs d’hybridité – écriture autobiographique et relation métatextuelle – adressent au lecteur. Plus que les autres ouvrages examinés, ceux de William Deresiweicz et de Marc Roth réinterprètent très différemment la fonction intermédiaire de l’essai, entre problématique conceptuelle et réalité concrète ou individuelle, entre littérature et philosophie : une interprétation qui, à partir de Lukács, s’étend sur la conception de l’essai au moins jusqu’au milieu du xxe siècle28. Pour un essai des années soixante-dix comme On Being Blue de William Gass, une telle définition peut encore sembler appropriée ; c’est surtout dans les essais plus contemporains que l’énonciation (quoique moins prédominante chez Mary Cappello et moins articulée chez David Shields) de l’alter ego autobiographique de l’auteur fait de l’interprétation littéraire des textes une fonction subsidiaire au récit autobiographique ou biographique proprement dit29.

  • 30 Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 12.

24Mais la forme narrative n’empêche pas qu’une relation métatextuelle s’établisse entre la narration et les textes cités à travers les commentaires. Pour Genette, la métatextualité se définit comme la relation qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer30. Une telle définition n’implique pas seulement le commentaire critique, mais permet aussi de concevoir un nouveau type de rapport pragmatique, non seulement entre les textes critiques et ceux qui font l’objet de la critique, de genres divers (poésie, théâtre, roman), mais aussi entre des textes qui font l’objet d’un commentaire et le texte autobiographique qui contient ce dernier, à la fois matériellement et au niveau diégétique.

  • 31 Theodor Adorno, « L’essai comme forme », Notes sur la littérature, trad. Sibylle Muller, Paris, Fla (...)

25Dans les essais hybrides des années 1960-1970, la relation métatextuelle facilite un rapprochement entre deux textes qui se reconnaissent l’un l’autre en tant que textes littéraires, sans renoncer à une interprétation profonde des œuvres littéraires. Les ouvrages hybrides qu’on vient d’examiner, quant à eux, ne suppriment pas l’existence d’un niveau interprétatif, qui concerne par exemple les romans d’Henry James et de Jane Austen. Puisqu’il s’agit d’une interprétation, la question finale est toutefois alors moins générique qu’épistémologique. Cette relation métatextuelle amène à la fois ces écrivains et leurs lecteurs à tirer des textes une morale et une conduite dans la vie et, en même temps, elle transforme l’engagement esthétique de la forme littéraire en ressource d’abord éthique, au profit de la personnalisation par l’individu des produits culturels tels que les romans classiques et contemporains. Plus que de véritables essais, où la critique des textes est employée en fonction d’un débat collectif et dans une attitude « anticonformiste » (c’est une des caractéristiques du genre qu’Adorno individue dans son célèbre article31), on pourrait concevoir ces ouvrages comme des pseudo-essais autobiographiques, des quasi essais, des essais à moitié, qui diminuent la portée pensive de l’analyse et de l’interprétation et où la critique est fortement personnalisée.

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Notes

1 Cet article est issu d’une intervention donnée dans le cadre du séminaire L’Hybride et la littérature, Université Paris-Est Créteil, le 31 mars 2017. Cette étude a été intégrée dans un chapitre d’un livre publié en italien : Pseudo-saggi. (Ri)Scritture tra critica e letteratura, Milan, Morellini, 2019, p. 189-210.

2 D’ailleurs, le genre de l’autobiographie était déjà inclus dans l’anthologie d’essais éditée par Alfred Kazin et qui s’arrête à la première moitié du XXe siècle : voir Alfred Kazin (dir.), The Open Form: Essays for Our Time, New York, Chicago, San Francisco, Atlanta, Harcourt, Brace & World, 1961.

3 Irène Langlet, L’Abeille et la Balance. Penser l’essai, Paris, Classique Garnier, 2015, p. 89-105.

4 Pour une interprétation de l’hybridation dans un tel sens, voir Jacques Derrida, « La loi du genre » [1980], Parages, Paris, Galilée, 1986, p. 249-287.

5 La référence classique renvoie à Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975.

6 Sur la notion d’identité narrative, voir Paul Ricœur, Temps et récit I. L’intrigue et le récit historique, Paris, Seuil, 1983, et du même auteur, Temps et récit II. La configuration dans le récit de fiction, Paris, Seuil, 1984.

7 En ce qui concerne la métatextualité, mes points de départ remontent à Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, p. 12 ; et à propos de la relation critique, du même auteur, Fiction et Diction, Paris, Seuil, 2004, p. 223-246. Voir également, pour des pistes alternatives, Laurent Lepaludier (dir.), Métatextualité et métafiction. Théorie et analyses, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003.

8 Roland Barthes, S/Z, Paris, Seuil, 1970.

9 Jean-Paul Sartre, L’Idiot de la famille : Gustave Flaubert de 1821 à 1857, Paris, Gallimard, 1971-1972, 3 vol.

10 Giacomo Debenedetti, Saggi critici. Terza serie, Milan, Il Saggiatore, 1959 ; et Il personaggio-uomo. Saggi critici. Serie postuma, Milan, Il Saggiatore, 1970.

11 « Facebook and MySpace are crude personal essay machines. On everyone’s Facebook page is a questionnaire, on which each person is asked to list personal info — everything from age to sexual status. […] Every page is a bent version of reality — too unsophisticated to be art but too self-conscious to be mere reportage » (David Shields, Reality Hunger. A Manifesto, New York, Knopf, 2010, p. 92 [ma trad.]).

12 « As readers, that’s what we want: the penetration of privacy. We want to see under the skirt » (William H. Gass, On Being Blue. A Philosophical Inquiry, Boston, D.R. Godine, 1976, chap. 4 [ma trad.]).

13 Voir John D’Agata (dir.), The Next American Essay, Saint Paul, Graywolf, 2003 et The Making of the American Essay, Saint Paul, Graywolf, 2016.

14 « The lyric essay […] inherits from the principal strands of nonfiction the makings of its own hybrid version of the form. It takes the subjectivity of the personal essay and the objectivity of the public essay and conflates them into a literary form that relies on both art and fact, on imagination and observation » (David Shields, Reality Hunger, op. cit., p. 26 [ma trad.]).

15 « The aphorism is one of the earliest literary forms — the residue of complex thoughts filtered down to a single metaphor. By the second millennium b.c., in Sumer, aphorisms appeared together in anthologies, collections of sayings that were copied for noblemen, priests, and kings. These lists were then catalogued by theme: “Honesty,” “Friendship,” “Death.” […] Via editing and collage, the form germinated into longer, more complex, more sustained, and more sophisticated essayings » (Ibid., p. 6 [ma trad.]).

16 « As a work gets more autobiographical, more intimate, more confessional, more embarrassing, it breaks into fragments. Our lives aren’t prepackaged along narrative lines and, therefore, by its very nature, reality-based art — underprocessed, underproduced — splinters and explodes » (Ibid., p. 25 [ma trad.]).

17 « Tying my shoes in the lobby of the recreation center, I saw someone reading what looked like Checkpoint, Nicholson Baker’s novel about a man who fantasizes about assassinating then president George W. Bush. I’d just finished reading the book, so I said, “Are you reading Checkpoint? How do you like it?” The reader seemed wary and was strikingly reluctant to respond with any specificity to my question. He asked if I was the writer David Shields. I am, the one, the only (actually, there’s at least one other writer named David Shields, a scholar who’s the author of a book called Oracles of Empire). Still, we talked about Checkpoint and Baker only circumlocutiously. When I was ready to go, I well-meaningly but ill-advisedly said, “I’m David Shields; I guess you know that. What’s your name?”— which, of course, reanimated the entire spy-vs.-spy subtext, so he said, very slowly, “I’m Wes.” No last name. End of conversation. A new moment in the republic, so far as I could tell » (Ibid., p. 82 [ma trad.]).

18 « Je ne connais pas de projet artistique plus imprégné de maladresse que The Awkward Age d’Henry James » (« I don’t know of an artistic project more thoroughly soaked in awkwardness than Henry James’s The Awkward Age », Mary Cappello, Awkward: A Detour, New York, Bellevue Literary Press, 2007, p. 182 [ma trad.]).

19 « Peut-être le roman exige-t-il un lecteur autre ou différent de moi. Peut-être que mon propre rapport à la maladresse m’empêche de me situer correctement dans le roman » (« Maybe the novel requires a reader other or different from myself. Maybe my own relation to awkwardness prevents me from properly being placed by the novel », Ibid., p. 189 [ma trad.]).

20 « J’ai lu une grande partie du roman dans une chambre d’hôtel perchée à une altitude peu habituelle au-dessus du sommet de Salt Lake City, dans l’Utah. [...] Le but du voyage était “le boulot”, mais ce n’était pas le mien, c’était celui de Jean. [...] Aucune personne entrainée à l’interprétation des livres n’a été formée pour gérer une entreprise ou négocier des relations complexes entre des employés compliqués » (« I read most of the novel in a hotel room perched at an unnatural altitude high above the summit of Salt Lake City, Utah. […] The point of the trip was “business”— but it wasn’t my business, it was Jean’s. […] No one trained to interpret books was trained to manage a business or negotiate intricate relations among kooky personnel », Ibid., p. 189-190 [ma trad.]).

21 « Or, descendant au restaurant de l’hôtel, je mangeais sans regarder personne dans les yeux, comme si j’étais un agent infiltré dans un pays étranger, déterminé à accomplir sa mission : la solitude. [...] J’ai demandé où était le plaisir de ce texte, et le livre a répondu avec cette manifestation distincte de solitude (« Or, descending to the hotel restaurant, I ate without making eye contact as though I were an undercover agent in a foreign locale, intent on a mission: solitude. […] I asked where was the pleasure of this text, and the book answered with this distinct manifestation of solitude », Ibid., p. 193-194 [ma trad.]).

22 « À l’arrière-plan de ce roman, un roman composé entièrement de conversations entre des personnes qui semblent soit hors de la langue qu’elles appellent la leur, soit incapables de s’écouter, ou en proie à l’impossibilité de désirer dans la langue […] j’entendis les gazouillis innocents de mon neveu, les sons n’ayant de sens que pour lui, et entouré de thérapeutes désireux de rendre sa langue intelligible pour eux aussi » (« In the background of this novel, a novel made up of entirely of conversations between people who seem either beyond the ken of the very language they call their own, or unable to hear each other, or beset by impossibility of desire in language […] I heard the innocent chirpings of my nephew, making sounds only meaningful to him, surrounded by therapists intent on making his language meaningful to them too », Ibid., p. 195-196 [ma trad.]).

23 Voir Claire Harman, Jane’s Fame. How Jane Austen Conquered the World, Edimbourg, Canongate Books, 2009.

24 « Austen’s words, quite apart from what she said with them, also struck me as ridiculous when I first heard them. I was used to stylistic brilliance that hit you over the head: Joyce’s syntactic labyrinths, Nabokov’s arcane vocabulary, Hemingway’s bleached-bone austerities » (William Deresiewicz, A Jane Austen Education: How Six Novels Taught Me About Love, Friendship, and the Things That Really Matter, New York, Penguin Books, 2012, p 15 [ma trad.]). Pour définir ce qu’il attendait de sa lecture de naguère, Deresiewicz reprend une célèbre expression que Kafka emploie dans une lettre du 27 janvier 1904 à son ami Oskar Pollak : « Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? […] un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous » (Franz Kafka, « Lettre à Oskar Pollak », Œuvres complètes, t. III, éd. Claude David, trad. Marthe Robert, Claude David et Jean-Pierre Danès, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,1984, p. 575).

25 « Literary studies, [the Professor] was trying to tell us, was not about learning a secret language or mastering a bag of theoretical tricks. It was not about inventing a new, professional personality, either. It was about getting back in touch with the ways we used to read – the ways people read when they’re reading for fun – but also about intensifying them, making them more thoughtful and deeply informed » (Ibid., p. 99 [ma trad.]).

26 « Down again in the car, retracing my way back to the missed turn, I began to think again of those writers and their novels, among the pages of which my father might have felt most fully alive. If I were to look for him, to salvage his reputation from my aunt’s portrait of the enfeebled, timid homosexual manqué, the kid brother, it would be among them, his true secret and unfulfilled loves. I tried to remember the stories and novels he’d put in my path when I was teenager and he was dying. A list came to mind, then: The Metamorphosis, Tonio Kröger, The Red and the Black, Oblomov, The Way of All Flesh, Fathers and Sons » (Marco Roth, The Scientists: A Family Romance, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2012, p. 119 [ma trad.]).

27 « I was almost convinced that my father hadn’t read me Tonio Kröger to show me that my feelings at Riverdale were, as he’d claimed, “normal,” or that what was happening to me at school was something that had already been experienced by Thomas Mann, a century earlier, but because he’d recognized, in my own eleven-year-old vulnerability, an opening in which to plant the seed for a future confession he’d never have the time or courage to make » (Ibid., p. 136 [ma trad.]).

28 György Lukács, « A propos de l’essence et de la forme de l’essai » [1910], L’Âme et les formes, trad. Guy Haarscher, Paris, Gallimard, 1974, p. 12-33.

29 Écritures, donc, que l’on pourrait comparer à la forme de l’autoportrait littéraire. Voir Michel Beaujour, Miroir d’encre : rhétorique de l’autoportrait, Paris, Seuil, 1980.

30 Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 12.

31 Theodor Adorno, « L’essai comme forme », Notes sur la littérature, trad. Sibylle Muller, Paris, Flammarion, p. 5-29.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Guido Mattia Gallerani, « Pseudo-essais : l’hybridation des genres non fictionnels entre autobiographie et métatextualité aux États-Unis »TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 03 octobre 2024, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/10285 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12f2x

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Auteur

Guido Mattia Gallerani

Université de Bologne

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Droits d’auteur

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