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2024
L'hybride et la littérature

Ernesto d’Umberto Saba : la portée métapoétique de l’hybridité

Ernesto by Umberto Saba: the metapoetic significance of hybridity
Emmanuelle Fantoni

Résumés

Umberto Saba, poète et prosateur italien de la première moitié du XXe siècle, a toujours été considéré en marge des productions culturelles contemporaines. Le Chansonnier et Ernesto sont les deux œuvres que l’histoire littéraire retient comme majeures. Qu’il s’agisse du recueil de poèmes ou du bref roman inachevé, la critique s’est accordée pour retenir surtout la dimension autobiographique des œuvres. Bien que les indices d’investissement autobiographique constellent l’œuvre, une telle vision est trop réductrice car l’œuvre d’Umberto Saba, et tout particulièrement Ernesto, développe également une réflexion métapoétique qui investit tous les niveaux du texte et s’articule autour de la notion d’hybridité. Dans cette optique, l’article s’attache à montrer comment la double hybridation constitutive du roman, tant microtextuelle que macrotextuelle, confère à ce « petit livre » une dimension métapoétique puissante. Ainsi, après l’analyse de la construction identitaire particulière du protagoniste, l’article analyse comment l’œuvre devient la caisse de résonance formelle du personnage hybride ou, autrement dit, comment l’alternance entre l’usage du dialecte triestin et de l’italien standard et plus spécifiquement l’hybridation linguistique consciente est synonyme de transgression des codes. La transgression des codes se marque également dans la mise en œuvre du roman. En effet, l’article s’attache ensuite à présenter la multiplicité et la complexité du roman d’un point de vue formel : non seulement Ernesto questionne la finitude et la complétude d’une œuvre littéraire en jouant sur l’ambiguïté de l’énonciation, mais en outre, la dissémination de nombreux éléments théâtraux discrets crée une superposition du code théâtral et du code romanesque dans une dynamique intergénérique homogène. L’analyse montre qu’à nouveau il s’agit non d’une juxtaposition, mais bien d’une fusion des genres littéraires. Il ressort dès lors de notre étude qu’Ernesto constitue une œuvre qui ouvre les possibles, dans laquelle l’hybride devient une force créatrice pouvant investir les textes de sens multiples et les questionner sur leur nature profonde.

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Texte intégral

  • 1 Nous développerons ce point plus en détail dans la suite de l’article, dans la partie « Trieste et (...)
  • 2 Giulio Ferroni, Profilo storico della letteratura italiana, vol. II, Milan, Einaudi Scuola, 1992. D (...)
  • 3 Alessandro Cinquegrani, Solitudine di Umberto Saba. Da Ernesto al Canzoniere, Venise, Marsilio, 200 (...)
  • 4 Entendue comme « le schéma fondamental de la narration, la logique des actions et la syntaxe des pe (...)

1Umberto Saba (1883, Trieste – 1957, Gorizia) est un poète et prosateur italien de la première moitié du XXe siècle. Critique d’art, libraire et auteur prolifique, il a toujours été considéré « à part » : son histoire singulière et la position géographique spécifique de Trieste1 l’auraient poussé à se poser en marge des productions culturelles contemporaines. Parmi ses œuvres, l’histoire littéraire en a retenu deux comme majeures : Le Chansonnier, recueil de poèmes qualifié de « roman personnel » par la critique2, et Ernesto, roman bref et inachevé où se côtoient italien standard et dialecte, qui « se profile comme le portrait du poète dans sa jeunesse »3. Notre analyse du roman se détache de cette vision autobiographique jugée trop réductrice car, bien que l’œuvre présente d’évidents indices d’investissement autobiographique de type spatio-temporel et familial, ces derniers se révèlent le prétexte à une réflexion métapoétique qui investit tous les niveaux du texte et s’articule autour de la notion d’hybridité. Le roman présente effectivement une double hybridation : l’une, microtextuelle, marquée par l’alternance de codes linguistiques, et l’autre, macrotextuelle, dont plusieurs éléments jouent sur les frontières de l’unicité : la fabula4, qui, à travers la mise en scène un jeune homme en proie à une quête identitaire, s’ancre en effet dans une hybridité énonciative et générique.

2Le roman – en cinq épisodes – situe son action à Trieste, à la fin du XIXe siècle. L’histoire est celle d’un adolescent de seize ans, issu d’une famille de la petite bourgeoisie triestine et dont la mère, abandonnée par son mari alors qu’elle était enceinte, a dû éduquer son fils seule, secondée notamment par l’oncle d’Ernesto, son tuteur légal. Le récit s’ouvre sur Ernesto qui, ayant abandonné ses études, travaille dans une société commerciale où il connaît sa première expérience sexuelle avec un journalier de l’entreprise. Plus tard, il décide de vivre l’expérience de l’hétérosexualité avec une prostituée, la Tanda. Après un mois, pour échapper à la relation avec le journalier, Ernesto provoque son licenciement. Sa mère, Celestina, veut le faire réembaucher ; en conséquence de quoi, Ernesto, pour l’en empêcher, lui confesse sa relation homosexuelle. Le roman se conclut sur une description qui laisse pressentir la naissance d’une nouvelle amitié : lors d’un concert de violon, Ernesto, à présent âgé de dix-sept ans, croise Illio, un jeune garçon de quinze ans.

  • 5 Maria Antonietta Grignani (éd.), « Introduzione », dans Umberto Saba, Ernesto [1975], Turin, Einaud (...)
  • 6 Ibid., p. 3 (ma trad.) : « Questo dialogo (che riporto, come i seguenti, in dialetto; un dialetto u (...)

3Un contenu licencieux et une langue trop dialectale pourraient justifier le jugement d’Umberto Saba sur son roman : « Ernesto doit rester un “petit livre”, sinon ce voyou me tue LE CHANSONNIER [sic] »5. Cette prise de position ne se justifie toutefois pas par l’inintelligibilité du dialecte utilisé dans les dialogues ; en effet, dans une adresse au lecteur dans les premiers paragraphes du roman, l’auteur indique qu’il rapporte lesdits dialogues « dans un dialecte adouci et avec une orthographe la plus italianisée possible »6, ce qui témoigne d’une volonté de clarté. Afin de comprendre pour quelles raisons Umberto Saba considérait Ernesto impubliable et dommageable pour le passage à la postérité de son chef-d’œuvre poétique, lui conférant de la sorte une importance cruciale, nous nous intéresserons successivement à la fabula, à la langue, à l’énonciation et au genre littéraire.

Trieste et Ernesto : une construction identitaire particulière

  • 7 « Lettera di Ernesto a Tullio Mogno », dans Umberto Saba, Tutte le prose, Milan, Mondadori, « I Mer (...)

4La fabula nous plonge immédiatement dans un contexte hétérogène : le récit se situe à Trieste, ville de la frontière italo-slovène ayant appartenu à l’Empire austro-hongrois avant d’être rattachée à l’Italie. L’histoire se déroule sous la domination austro-hongroise et souligne le carrefour culturel qu’a été cette ville, du fait de sa géographie et son histoire : Ernesto, italien, fréquente un journalier tsigane au sein d’une entreprise dirigée par le Signor Wilder, un hongrois fidèle à l’Empire allemand ; bon Italien, il apprécie toutefois les cultures étrangères ; le récit nous apprend notamment qu’il a lu D’Annunzio, l’Iliade dans la traduction de Monti, les Mille et une Nuits dans la traduction française de Galand, qu’il a été voir la tragédie I Masnadieri de Schiller et qu’il écoute le violoniste Ondriček. Alors qu’Ernesto vit cette hybridité culturelle comme une richesse, d’autres personnages, représentatifs de la société bourgeoise bien-pensante, la considèrent comme une hétérogénéité stricte dont les composants ne se mélangent pas. L’oncle d’Ernesto l’accuse par exemple « d’être un sans patrie »7. Une telle appellation soulève la question de l’identité en lien étroit avec la ville natale. En effet,

  • 8 Alessandro Cinquegrani, Solitudine di Umberto Saba, op. cit., p. 18-19 (ma trad.) : « Nascere dove (...)

naître dans une ville où Italiens, Autrichiens, Slaves, Allemands, Grecs, Hongrois, juifs, laïcs ou chrétiens vivent côte à côte […] en restant bien distincts et séparés les uns des autres, et en plus dans une ville dont la diversité est réelle et mythologique en même temps, avec cette capacité de devenir condition archétypale de l’homme, apparaît comme une question [...] existentielle, capable de mettre en crise un système de reconnaissance et de certification de son identité et donc de la manière complète dont un homme se pose dans le monde8.

5L’identité du protagoniste se reflète ainsi dans la ville qu’il habite : se définit-il dans le non-être, dans l’indéfini, ou dans l’infini de possibilités que lui offre sa ville natale ? À l’image du port franc triestin qui bénéficiait de certaines libertés économiques et qui s’ouvrait sur le monde, Ernesto agit librement et délaisse l’indéfini qui le caractérise pour jouir des possibilités infinies que le monde lui offre ; il refuse d’être défini par l’absence ou le non-être et se construit grâce aux potentialités de son être. Par son parcours, il élargit la question de l’hybridité culturelle, qui contamine alors celle, existentielle, de l’identité.

  • 9 Selon Alessandro Cinquegrani, le récit présente un protagoniste qui « n’a pas une identité sexuelle (...)

6Cet élément se voit confirmé par l’âge de notre héros qui se trouve à un moment charnière de sa vie : l’adolescence, témoin d’un va-et-vient conflictuel entre la volonté de grandir, de s’affranchir du monde des adultes, tout en conservant son âme d’enfant. La découverte de la sexualité, thématique centrale du roman, reflète l’âge d’Ernesto qui expérimentera homosexualité et hétérosexualité dans une constante situation d’entre-deux : le roman nous fait clairement comprendre que la tendance naturelle du jeune homme est celle de l’homosexualité ; pour autant, il ira chez la Tanda, parce que c’est d’usage dans la société ; il devient donc un homme par obligation, parce que la norme contraint un garçon à devenir un homme en expérimentant la sexualité avec une femme9. La dimension tragique d’Ernesto réside dans ce double rapport à l’existence et à la société : adolescent, il expérimente la vie avec insouciance et désinvolture, avant de se retrouver confronté à la société, ses jugements et ses normes qui le brident et l’obligent à en suivre les règles implicites de fonctionnement. L’entre-deux se révèle par conséquent une caractéristique intrinsèque à l’identité d’Ernesto : s’il se sent italien, il n’en apprécie pas moins les différentes cultures qui coexistent à Trieste ; sa sexualité est indéfinie ; son père est absent – les on-dit font de lui un enfant adultérin, ce qui ne lui déplaît pas – et devient adulte alors qu’il veut rester un enfant.

  • 10 Ibid, p. 97 (ma trad.) : « il rapporto tra l’io e il tutto, o i tutti, tutti gli altri ».
  • 11 Laurent Jenny, « La langue, le même et l’autre », dans Jean-Louis Jeannelle (dir.), « Théorie et hi (...)

7Du fait de son caractère éponyme, le roman devient la caisse de résonance formelle de l’hybridité du personnage principal : la définition de son identité s’accomplit à travers la culture et l’orientation sexuelle, mais également à travers « le rapport entre le je et le tout, ou les tous »10 ; et c’est au moyen des modalités du discours et de l’expression que ces rapports humains s’organisent, soulevant la question de l’identité linguistique. À ce propos, nous rejoignons le discours de Cécile Gauthier, qui souligne que, une fois dépassée la volonté d’homogénéité à tout prix, mise à mal par la seule présence du monolinguisme de l’Autre, on se doit de glisser vers la question du multilinguisme au cœur du monde contemporain, conséquence des croisements, heurts et rencontres des cultures. L’errance esthétique et poétique – bien plus que linguistique11 – qui découle de cette situation de plurilinguisme n’est, selon Cécile Gauthier, pas pour autant

  • 12 Cécile Gauthier, « Changer de langue pour échapper à la langue ? L’“identité linguistique” en quest (...)

déperdition, bien au contraire : […] elle est échange avec l’autre, […] elle permet d’intégrer en soi la diversité, de ne pas se cantonner aux limites de l’unique. Aussi l’errance dans les langues peut-elle être considérée comme source de joie et de jouissance, provoquant un surcroît d’existence. L’identité « chemine » avec bonheur et curiosité à travers les possibles12.

8Ce cheminement à travers les possibles linguistiques se dessine également dans Ernesto, mais plus spécifiquement, car y émerge un questionnement identitaire concernant un seul monolinguisme, l’italien, et l’une de ses variantes dialectales, le triestin, qui sont utilisés en alternance par les différents protagonistes du récit.

« Plusieurs langages juxtaposés pour une vérité plurielle »13

  • 13 Dominique Budor et Walter Geerts, « Les enjeux d’un concept », dans Dominique Budor et Walter Geert (...)
  • 14 Dans cet article, nous nous focaliserons sur les relations familiales, à savoir : Ernesto, sa mère (...)

9Le roman présente deux codes linguistiques étroitement liés : l’italien standard et le dialecte. Le premier est utilisé dans les développements narratifs ; le second, adouci et italianisé par l’auteur, dans les nombreux dialogues qui parsèment le texte. Dans ces derniers, l’italien standard est attribué aux représentants de l’ordre moral bien-pensant et de l’autorité auxquels Ernesto s’oppose : l’oncle tuteur, père de substitution pour la société ; la mère – qui éduque Ernesto parce qu’il est son fils, mais qui éprouve du ressentiment à l’égard de son propre enfant depuis que son père les a abandonnés ; et le Signor Wilder, directeur de l’entreprise où travaille Ernesto. L’usage du dialecte est, quant à lui, attribué à des personnages de classes sociales inférieures ou qui entretiennent des rapports plus intimes avec Ernesto : le journalier, le barbier, la nourrice et la prostituée14.

10Outre la distinction sociale, la variation d’usage entre l’italien standard et le dialecte souligne une dimension plus profonde et tragique pour le protagoniste. En effet, la langue standard est la norme dont l’usage est requis par la société. Les personnages qui l’utilisent entretiennent des rapports faux, dictés par la manière dont la société exige que l’on se comporte : l’oncle tuteur est un personnage sévère, en opposition avec Ernesto et ses valeurs morales – contre le socialisme, contre les homosexuels – ; il l’approvisionne hebdomadairement en argent pour lui permettre de fréquenter les prostituées car ce serait un mal moindre que celui de s’adonner aux plaisirs solitaires. Celestina assume son rôle de mère, mais se révèle bien incapable d’accorder la moindre tendresse à son fils. La façon dont mère et oncle disqualifient l’efficience de leur rôle témoigne de la primauté des apparences dans cette société ; ce que confirme la confession d’Ernesto à sa mère, passage fondamental pour comprendre le jeu d’alternance entre les deux codes linguistiques :

  • 15 Umberto Saba, Ernesto, trad. Jean-Marie Roche, Paris, Seuil, 1978, p. 128-130. Notons que dans cett (...)

— Maman ! implora Ernesto, se cachant encore plus le visage dans les mains (le cousin corrupteur lui semblait, sur le moment, un modèle de vertu).
— Mon fils, mon pauvre fils ! s’attendrit soudain Madame Célestine.
Et suivant cette fois l’impulsion du cœur, elle envoya au diable (autant dire à son vrai père) la morale et les sermons dépourvus de sens. Elle se pencha vers le garçon et l’embrassa sur le front.
« Tu dois me jurer que tu ne le feras plus. Ce sont des choses vilaines, indécentes […], indignes d’un beau garçon comme toi. Ce sont seulement des « garnements » qui font ça, ceux qui vendent des citrons au coin des rues à Rena Vecchia, pas mon Pimpo.
(Dans ses rares moments d’épanchement, Madame Célestine donnait à son fils le nom que celui-ci avait donné à son merle.)
Après le baiser de sa mère, et voyant venir l’heure du pardon, Ernesto se sentit renaître. C’était un des rares baisers qu’il eût reçu d’elle. La pauvre femme tenait beaucoup à être – et encore plus à apparaître – une mère « spartiate ».
— N’y pense pas plus, mon fils, dit-elle, passant soudain, sans s’en rendre compte, au dialecte (une autre chose qui lui arrivait rarement).
« C’est ben vilain c’qui t’est arrivé, mais si personne vient l’apprendre, ça n’a pas, à bout’compte, tant d’importance. Grâce à Dieu, t’es pas une fille [sic].
— Non, je suis pas [sic] une fille, protesta Ernesto. J’ai même été une fois chez une femme.
[…]
— Et moi, dit-elle, qui te croyais innocent comme une petite colombe !
Depuis le lit en cuivre, lui répondit le gémissement d’un homme au supplice.
« Maintenant ça suffit.
Madame Célestine s’était levée.
« Ce qui est fait est fait. […] »
— Vraiment, maman, tu me pardonnes ?
Ernesto désirait un second baiser ; mais il n’osait pas le demander.
— Je t’ai déjà pardonné.
« Lève-toi, maintenant, et va faire un tour. Ne reste pas à ressasser tout ça15.

11Cette confession constitue l’unique extrait dans lequel la mère d’Ernesto abandonne le rôle de mère pour celui de maman : elle donne brièvement de la tendresse à son enfant. À ce moment précis, elle s’adresse à lui en dialecte, avant d’aussitôt revenir à l’emploi de l’italien standard et au monde des apparences. Elle demande alors à Ernesto d’oublier tout ce qui est arrivé et de ne jamais ébruiter cette relation. Outre la représentation de la norme morale et sociale, l’alternance de code linguistique chez la mère la transforme en censeur de la langue de l’intimité et de la tendresse. La normalisation pose de la sorte l’italien standard en tant que langue du non-dit, de la dissimulation, des apparences alors que le dialecte se révèle la langue du dit, de l’éprouvé, du cœur, de la spontanéité, du sentiment non dissimulé derrière les normes sociales.

  • 16 Massimiliano Jattoni, « Gli umani amori. La tematica omoerotica nell’opera di Umberto Saba », The I (...)

12Ernesto, quant à lui, utilise tantôt le dialecte, tantôt l’italien standard, en fonction de son interlocuteur et de la situation de communication. Il présente ainsi une hybridation linguistique qui, plutôt que d’indiquer une hésitation imputable à l’inconstance de son âge, souligne la conscience qu’il a de lui-même et de la société dans laquelle il évolue. Ernesto est pleinement conscient des actes qu’il pose et de la manière dont il s’exprime ; Massimiliano Jattoni le pointe à juste titre : « Ernesto n’est pas, […] comme l’a toujours souligné (à tort) la critique, un jeune innocent. […] Ernesto apparaît […] ingénu et “un peu sot”, […] Mais son esprit en revanche court. »16 Il connaît la vie, ses codes et les transgresse. De cette manière, alors que des personnages comme la Tanda ou le journalier représentent la caractéristique sociale du bilinguisme, Celestina et Ernesto, dans leur rapport à la langue, introduisent une réflexion sur leur identité à travers l’usage linguistique. La figure de la mère nous situe face à la dimension inconsciente et mensongère de la langue standard qui force à assumer une italianité normée et non-naturelle. Ernesto intègre lui aussi la dialectique apparence-essence, mais en tant que sujet conscient : il est en train de découvrir quelle est son essence et il se rend compte de l’opposition à la société et ses normes.

  • 17 Alessandro Cinquegrani, Solitudine di Umberto Saba, op. cit., p. 58.
  • 18 Umberto Saba, Ernesto, trad. Jean-Marie Roche, op. cit., p 151.

13Cette prise de conscience lui permet de feindre d’être ce qu’il n’est pas en réalité. Comme l’évoque donc A. Cinquegrani, l’usage du dialecte ne peut se restreindre à un simple effet de réel, bien davantage, il reproduit la duplicité d’un modèle qui se retrouve également dans la langue17 : si la mère renie sa propre essence maternelle en se cachant derrière une langue normée, se posant de ce fait dans la dimension du non-être, il en va différemment pour Ernesto qui, tout au long des quatre premiers épisodes, accepte sa condition et n’use de l’italien standard que pour se cacher et protéger son essence ; il ne se trouve pas dans la dimension du non-être, mais dans celle du non-dit ou de la dissimulation. Dans le cinquième épisode, en revanche, au moment de la rencontre avec Ilio, Ernesto adoptera un usage normé de la langue. Ce choix s’avère un signe de maturité et donc de potentielle hypocrisie : Ernesto est devenu adulte ; un adulte qui a néanmoins décidé d’assumer sa condition « en raison de la constellation particulière sous laquelle il avait vu le jour »18. Ainsi, alors que dans les premiers épisodes le dialecte exprimait les sentiments, la spontanéité et que l’italien standard était le masque que la société imposait, dans le cinquième épisode, Ernesto décide d’exprimer ses sentiments en italien. Il fait sienne la langue standard qu’il privilégie désormais comme instrument d’expression. Cet usage spontané de l’italien standard n’est rendu possible qu’après l’épisode épiphanique de la rencontre avec Ilio qui permet à Ernesto de comprendre et d’accepter sa nature hybride et toutes les potentialités qui en découlent.

« Le roman réfléchit sur sa forme traditionnelle et se régénère dans une déstabilisation de lui-même »19

  • 19 Anne Moiroux et Kirsten Wolfs, « Éléments de bibliographie raisonnée », dans Dominique Budor et Wal (...)

14Nos recherches nous amènent à considérer que la mise en forme même du roman se révèle aussi multiple et complexe que les tribulations identitaires de son protagoniste, autorisant le récit à dépasser son statut de biographie inachevée : si une transitivité entre Ernesto et Umberto Saba reste envisageable, l’œuvre tend à atténuer l’aspect singulatif de l’expérience particulière d’un jeune adolescent à un moment précis de l’Histoire au profit d’une réflexion métapoétique sur l’acte d’écriture, interrogeant par la même occasion les limites et l’hybridité des genres littéraires.

15D’un point de vue biographique, la rédaction d’Ernesto a, selon Saba lui-même, été interrompue par sa vieillesse et ses problèmes de santé. L’auteur le confirme d’ailleurs dans différents échanges épistolaires et dans le passage du roman intitulé « Presque une conclusion » :

  • 20 Umberto Saba, Ernesto, trad. Jean-Marie Roche, op. cit., p. 135.

la rencontre « fatale » qu’il [Ernesto] fait lors de ce concert […] donnerait matière à au moins cent autres pages : par lesquelles, avec la révélation de la « vocation » d’Ernesto, s’achèverait, en fait, la véritable histoire de son adolescence. L’auteur est trop vieux, trop usé et à bout, pour sentir en lui la force de l’écrire. Pourtant – à ce qu’on lui a dit – il ne faut jamais désespérer de l’avenir20.

  • 21 La notion de posture auctoriale, entendue comme « la manière dont les écrivains produisent et contr (...)
  • 22 Iouri Lotman, La Structure du texte artistique, trad. Anne Fournier, Bernard Kreise, Ève Malleret, (...)
  • 23 À travers les nombreuses métalepses dans lesquelles le narrateur extradiégétique, entre parenthèses (...)
  • 24 Il est important de souligner que cette lettre fictive, écrite par Umberto Saba en 1953 et que l’au (...)

16La présence de cette « Presque conclusion », dans laquelle le narrateur évoque l’auteur à la troisième personne du singulier, démontre une posture auctoriale21 forte : une « quasi conclusion » pousse le lecteur à considérer ce qui suit comme tel et par conséquent à réinvestir le roman dans sa totalité. L’utilisation de cet intertitre et le contenu de cette page peuvent par conséquent influencer la perception que le lecteur a du roman. De plus, en référence aux théories de Iouri Lotman sur la réception d’une œuvre littéraire, il s’agit de considérer la notion « de début et de fin du texte en tant qu’éléments structurels nécessairement présents ; et ce faisant, nous nous donnons la possibilité d’étudier le texte sous l’aspect d’une seule phrase »22. Pour le lecteur, la finitude d’une œuvre est donc inhérente à cette dernière dès lors qu’elle a été publiée : cognitivement, le lecteur tend à la rechercher, à ne pas laisser la fin de l’œuvre indéterminée et à en saisir la cohérence d’ensemble. Dans Ernesto, cette idée se voit renforcée par la présence de la « quasi conclusion » et par la forte conscience auctoriale à l’œuvre dans le roman entier23. Cette dernière s’exprime par ailleurs dans une lettre en appendice au roman (« Lettre d’Ernesto à Tullio Mogno »24) dans laquelle naît l’incertitude quant au rôle narratif des protagonistes.

  • 25 Umberto Saba, Tutte le prose, op. cit. p. 1052 (ma trad.) : « Ma il Signor Saba mi ha letto il Suo (...)

17Le complément du nom « di Ernesto » indique effectivement qu’Ernesto est toujours le personnage d’un récit dont le narrateur est extradiégétique et hétérodiégétique. Toutefois, Ernesto est le signataire de cette lettre : il devient ainsi narrateur homodiégétique en sa qualité de personnage-narrateur. En parallèle, toujours dans cette lettre, l’auteur Saba devient personnage, incarnant un prophète annonciateur du futur d’Ernesto personnage : « Mais Monsieur Saba m’a lu son magnifique écrit sur les poésies que, selon ce qu’il dit, j’écrirai quand je serai plus grand. »25

  • 26 Michèle Bokobza Kahan, « Métalepse et image de soi de l’auteur dans le récit de fiction », dans Mic (...)
  • 27 Mario Lavagetto, La Gallina di Saba, Turin, Einaudi, 1989, p. 206-207.
  • 28 Michèle Bokobza Kahan, loc. cit., p. 9.

18Nous assistons de cette matière à l’estompement de la frontière de l’énonciation : Umberto Saba écrit une œuvre dans laquelle un narrateur extradiégétique raconte l’histoire d’Ernesto – qui pourrait être considéré comme la représentation d’Umberto Saba adolescent dans une optique autobiographique. Le titre de la lettre confirme d’ailleurs cette configuration extradiégétique par l’usage du complément du nom « di Ernesto ». Dans la lettre, en revanche, la narration donne voix à Ernesto, qui assume dès lors la fonction de narrateur homodiégétique, transformant par la même occasion le « Signor Saba » en simple personnage. Pareil dispositif de métalepse ontologique26 réunissant le monde réel et le monde imaginaire tend à confondre les différentes instances énonciatives en jeu (Saba et/ou Ernesto) et, ce faisant, l’identité générique même du récit : s’agit-il d’une biographie fictive ou d’une autobiographie fictionnalisée ? Dans cette perspective, l’écriture devient pour Saba un lieu transférentiel, un théâtre où la contrainte à répéter (à confesser) assume la forme d’une mise en abyme multipliée27. En effet, tant l’auteur que son potentiel alter ego fictif assument simultanément les trois instances énonciatives : auteur/narrateur (dans le roman), personnage (dans la lettre) en ce qui concerne l’auteur et personnage (dans le roman), narrateur/auteur (dans la lettre) pour Ernesto. La Lettre d’Ernesto à Tullio Mogno sème de la sorte un doute énonciatif : nous assistons à un brouillage identitaire de l’instance auctoriale qui bascule du côté de la fiction et à une fictionnalisation de l’auteur, ce qui renforce l’illusion romanesque. Cet enchevêtrement des rôles, qui opère un renversement entre réalité et imaginaire28 par le biais de l’énonciation, remet également en question le caractère inachevé du roman. En effet, dans la lettre, Ernesto évoque

  • 29 Umberto Saba, Ernesto, Turin, Einaudi, 1995, p. 125 (ma trad.).

ce livre, [dans lequel Monsieur Saba] raconte tout de moi, même les choses que l’on ne doit pas dire ; mais il m’a promis qu’il ne le publierait jamais, et que, quand il sera fini, il le lira seulement à deux ou trois amis dignes de confiance. Espérons 1) qu’il ne finira jamais le livre ; 2) que, s’il le finit, il maintiendra sa promesse29.

  • 30 À propos des romans américains des années 30-60, Marc Chénetier (« De drôles de genre », dans Jean (...)
  • 31 Mario Lavagetto, « L’altro Saba », dans Umberto Saba, Tutte le prose, op. cit., p. XXXVIII-XXXIX.

19L’énoncé « quand le livre sera fini » pourrait confirmer que nous sommes face à un roman involontairement inachevé. Cependant, le personnage espère que l’auteur ne termine jamais son œuvre. Dès lors, l’inachèvement est-il volontaire ou involontaire ? Il est légitime de douter qu’un auteur et critique littéraire comme Umberto Saba ait laissé une œuvre inachevée tant il fait preuve d’une « distance interprétative et productive consciente »30. Pour paraphraser Mario Lavagetto, si Saba s’interrompt au cinquième épisode, la « quasi conclusion » qu’il insère juste avant témoigne de la conscience qu’il avait quant à la survivance de son œuvre. En effet, bien que Saba invoque différents facteurs justifiant l’incomplétude, le lecteur ne peut échapper à la sensation qu’une autre raison expliquerait l’inachèvement : à la fin du quatrième épisode, la forme semble parfaite ; dans le cinquième, elle s’étiole. Le fragment n’aurait donc pas le souffle d’un roman de grande dimension31.

  • 32 Umberto Saba, Ernesto, trad. Jean-Marie Roche, op. cit., p. 143.

20Selon nous, si l’œuvre présente une forme d’incomplétude, cette dernière sert de moteur à la création d’une attente et à ouvrir les champs interprétatifs car l’inachèvement semble discutable, tant au niveau de la forme qu’à celui de la fabula, par le parallélisme que l’on peut opérer entre le premier épisode qui développe la relation entre Ernesto et le journalier, et le dernier qui présente la rencontre d’Ernesto avec Ilio. La découverte de ce garçon laisse place à un développement surprenant : notre héros ressent des émotions semblables à celles que le journalier éprouvait pour lui lors du premier épisode ; subjugué par la beauté angélique de ce jeune garçon blond en culottes courtes, il souhaite devenir « son meilleur ami », mais « en prononçant le mot “ami”, Ernesto sentit que son cœur […] donnait au mot un sens qui allait au-delà de celui qu’on lui attribue d’habitude »32.

21Différents éléments invitent ainsi à créer un parallèle entre Ernesto et le journalier : ce dernier avait demandé à Ernesto de devenir son ami ; la description physique d’Ilio et la manière dont Ernesto s’adresse à lui correspondent à la manière dont le journalier percevait notre héros. En ne considérant que la fabula, nous sommes donc en présence d’un cercle fermé : du début à la fin du roman, le personnage principal reproduit inconsciemment les comportements des différents adultes de sa vie. Néanmoins, la Lettre d’Ernesto à Tullio Mogno nous apprend que son histoire, toute compliquée qu’elle ait été, permettra à Ernesto d’écrire une œuvre littéraire et de mener une réflexion sur la création artistique. En prenant en considération l’existence du personnage d’Ernesto hors du seul roman, nous ne sommes donc plus confrontés à un cercle infernal mais à une spirale vertueuse au sein de laquelle deux épiphanies coexistent : Ernesto transcendera la condamnation initiale pour la transfigurer en une expérience poétique tout comme il transcendera les pages du roman pour contaminer le co-texte de l’œuvre de Saba. Seul le caractère hybride du personnage et de la forme de l’œuvre rend possible ce dépassement.

22L’histoire d’Ernesto le confirme : adolescent en pleine quête identitaire, il expérimente pour dépasser les normes établies que la société lui impose et actualiser son être dans la synthèse hybride de ses mots et de ses actes. Prédestination, confrontation à la société, confession, trahison, péché, autant d’éléments de la fabula qui confèrent à l’œuvre une dimension tragique. Voyons à présent comment cette dernière a également contaminé la forme du récit, lui conférant par la même occasion un degré supplémentaire d’hybridité porteuse de sens.

« Parfois le théâtre et le dialogue envahissent le roman »33

  • 33 Walter Geerts, « Les “livres parallèles” de Giorgio Maganelli », dans Dominique Budor et Walter Gee (...)
  • 34 Iouri Lotman, La Structure du texte artistique, op. cit., p. 38.
  • 35 Elvira Favretti, La Prosa di Umberto Saba. Dai racconti giovanili a “Ernesto”, op. cit., p. 87 (ma (...)
  • 36 Umberto Saba, Ernesto, trad. Jean-Marie Roche, op. cit., p. 29.

23Comme l’indique Iouri Lotman, « dans un système sémiotique bien construit (c’est-à-dire dans un système qui atteint le but pour lequel il a été élaboré) il ne peut y avoir de complexité superflue, non justifiée »34. Selon nous, l’hybridation linguistique, le jeu d’énonciation et « l’inachèvement du roman (plus prétendu que vrai) »35 trouvent leur justification dans la volonté d’estomper les frontières du genre romanesque. Mais ce roman « voyou » ne se contente pas de ces nombreux éléments. La forte présence de dialogues en discours direct accompagnés de quasi-didascalies et l’organisation globale du roman lui confèrent effectivement un degré supplémentaire d’hybridation : l’hybridation générique par incorporation du genre théâtral dans le roman. En effet, Ernesto n’est pas divisé en chapitres mais en « épisodes », ceux-ci ne portent pas de titre et sont au nombre de cinq. De ce fait, avant même de s’immerger dans la fabula, le lecteur est renvoyé à une organisation théâtrale en cinq actes, et plus précisément, à l’organisation de la tragédie antique dont les actes étaient appelés « épisodes ». D’autres éléments confirment d’ailleurs la superposition du code théâtral à celui du roman et ce, à de nombreux niveaux organisationnels du texte : d’abord, Ernesto est passionné de tragédie ; ensuite, durant sa première relation charnelle avec le journalier, il se dit une phrase brève, mais lourde de sens : « Je suis perdu »36. Il apparaît logique qu’un adolescent soit désorienté lors d’une telle expérience ; néanmoins, l’évolution du roman confirmera qu’une dimension bien plus profonde réside dans cette réplique : celle de la prédestination, topos de la tragédie. Comme nous l’avons évoqué précédemment, Ernesto rencontrera Ilio – diminutif d’Emilio, mais également ancien nom de la ville de Troie. Cette rencontre qui clôt le récit confirme la présence d’une force supérieure qui impose à Ernesto l’essence de son être : l’homosexualité.

24Par la dissémination d’éléments théâtraux discrets, nous assistons à une superposition du code théâtral et du code romanesque qui crée une dynamique intergénérique homogène : nous ne sommes pas en présence de deux codes juxtaposés, mais bien de deux codes qui fusionnent pour offrir à l’œuvre une dimension interprétative supplémentaire.

Conclusion – L’hybride comme force créatrice

  • 37 Jean Bessière, « Introduction », dans Jean Bessière (dir.), Hybrides romanesques, op. cit., p. 12.
  • 38 Noël Batt, » L’entre-deux et le tiers : lieux d’émergence et d’invention problématiques », dans Cla (...)
  • 39 Iouri Lotman, La Structure du texte artistique, op. cit., p. 139.

25Ernesto se présente comme une œuvre hybride : fabula, énonciation, langue et généricité ; aucun niveau n’y échappe. En effet, sous couvert d’un petit roman (auto)biographique, nous assistons à une explosion des cadres conventionnels à travers le personnage d’Ernesto. Biographie ou autobiographie ? Roman ou tragédie ? Les multiples éléments tragiques sont disséminés dans les différents niveaux organisationnels de l’œuvre pour lui permettre de conserver toute son unité malgré le métissage structurel. Et c’est là, selon nous, toute la force de cette œuvre, de ce « petit livre » : au-delà des considérations autobiographiques, il permet d’opérer une réflexion sur la création artistique et sur la capacité de la littérature à contester les frontières. Oscillant entre roman tragique et tragédie romanesque, Ernesto confirme l’idée de Jean Bessière selon laquelle « la raison d’être de l’hybride [est que] tout récit, toute représentation montre que ce qui est narré, représenté aurait pu se passer autrement, ils sont une convenance qui ne fait pas preuve et qui appelle donc son altération »37. Qu’il s’agisse de la fabula ou de la mise en œuvre du récit, nous nous trouvons en présence d’une œuvre finie qui ouvre les possibles, posant l’hybride comme une force créatrice qui peut pleinement investir les textes de sens multiples et les questionner sur leur nature profonde. Ernesto fonctionne ainsi comme un « entre-deux qui devient tiers »38 homogène ; et, considéré comme une phrase dont le début et la fin sont essentiels39, le livre joue avec les codes pour nous offrir une fin ouverte, ponctuée non pas par un point final, mais par des points de suspension… Quoi de plus normal pour une œuvre questionnant la littérature et l’acte d’écriture, pour un voyou dont l’essence même est le vagabondage, au gré de la fabula, de la voix narrative, de la langue et des genres qui devraient le contenir ?

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Bibliographie

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Notes

1 Nous développerons ce point plus en détail dans la suite de l’article, dans la partie « Trieste et Ernesto : une construction identitaire particulière ».

2 Giulio Ferroni, Profilo storico della letteratura italiana, vol. II, Milan, Einaudi Scuola, 1992. Dans le même ouvrage, l’auteur qualifie Ernesto de « roman incomplet [qui] apparaît comme une dernière confrontation du vieux poète avec son adolescence » (p. 982 [ma trad.]). D’autres chercheurs évoquent le caractère autobiographique du roman : Elvira Favretti souligne son « caractère autobiographique transparent » (Elvira Favretti, La prosa di Umberto Saba. Dai racconti giovanili a “Ernesto”, Rome, Bonacci, « L’ippogrifo », 1984, p. 79 [ma trad.]) ; Aldo Priore insiste sur l’impossibilité de comprendre en profondeur un auteur si l’on dissocie l’œuvre de la vie et considère Ernesto comme un « journal autobiographique », « projection de l’homosexualité vraie ou présumée de Saba » (Aldo Priore, Umberto Saba. Il poeta fanciullo, Trieste, Luglio editore, 2012, p. 11, p. 63, p. 69 [ma trad.]).

3 Alessandro Cinquegrani, Solitudine di Umberto Saba. Da Ernesto al Canzoniere, Venise, Marsilio, 2007, p. 25 (ma trad.).

4 Entendue comme « le schéma fondamental de la narration, la logique des actions et la syntaxe des personnages, le cours des événements ordonné temporellement » (Umberto Eco, Lector in fabula. Le rôle du lecteur, trad. Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 1985, p. 130).

5 Maria Antonietta Grignani (éd.), « Introduzione », dans Umberto Saba, Ernesto [1975], Turin, Einaudi, 1995, p. VII (ma trad.) : « Ernesto deve restare un “libretto”, se no quel mascalzone mi ammazza IL CANZONIERE ». Cette citation est tirée d’une lettre écrite par Saba à sa fille le 12 août 1953.

6 Ibid., p. 3 (ma trad.) : « Questo dialogo (che riporto, come i seguenti, in dialetto; un dialetto un pò ammorbidito e con l’ortografia il piú italianizzata ».

7 « Lettera di Ernesto a Tullio Mogno », dans Umberto Saba, Tutte le prose, Milan, Mondadori, « I Meridiani », p. 1053 (ma trad.) : « Egli [lo zio] mi accusa di essere un senza patria ».

8 Alessandro Cinquegrani, Solitudine di Umberto Saba, op. cit., p. 18-19 (ma trad.) : « Nascere dove italiani, austriaci, slavi, tedeschi, greci, ungheresi, ebrei, laici o cristiani vivono fianco a fianco, [...] ma restando ben distinti e separati gli uni dagli altri, e per giunta in una città la cui multinazionalità è reale e mitologica al tempo stesso, con quella capacità cioè di divenire condizione archetipica dell’uomo, appare una questione [...] esistenziale, in grado di mettere in crisi un sistema di riconoscimento e certificazione della propria identità, e cioè l’intero modo di porsi di un uomo nel mondo. »

9 Selon Alessandro Cinquegrani, le récit présente un protagoniste qui « n’a pas une identité sexuelle définie » (« non ha un’identità sessuale definita », op. cit., p. 72 [ma trad.]). Selon lui, cette fluctuation entre homosexualité et hétérosexualité cessera après la première expérience hétérosexuelle d’Ernesto avec une prostituée et la source de la fluctuation réside dans l’abandon du père dont Ernesto a été victime : la figure paternelle sera dès lors assumée par le journalier. Cette interprétation psychanalytique ne nous convainc pas. En effet, après cette expérience hétérosexuelle, Ernesto n’est pas plus défini sexuellement. Il entre dans les cadres imposés par la société mais reste défini par l’entre-deux.

10 Ibid, p. 97 (ma trad.) : « il rapporto tra l’io e il tutto, o i tutti, tutti gli altri ».

11 Laurent Jenny, « La langue, le même et l’autre », dans Jean-Louis Jeannelle (dir.), « Théorie et histoire littéraire », Fabula-LhT, n° zéro, février 2005, consulté le 02 juillet 2024, URL : http://www.fabula.org/lht/0/jenny.html.

Dans cet article, Laurent Jenny aborde la question du métissage linguistique et de la créolité. Ce métissage linguistique qui « revendique […] l’impureté linguistique » rappelle la situation linguistique de Trieste. D’ailleurs, Ernesto vit son identité linguistique de manière similaire à ce que proposent Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant à propos de la créolité : le « langage sera, pour nous, l’usage libre, responsable, créateur d’une langue. […] Notre singularité exposée-explosée dans la langue jusqu’à ce qu’elle s’affermisse dans l’Être. Notre conscience en verticalité psychique. L’antidote de l’ancestrale domination qui nous accable. Par-delà le langage pourra s’exprimer ce que nous sommes, notre présence au monde, notre enracinement. » (Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1993, p. 47.)

12 Cécile Gauthier, « Changer de langue pour échapper à la langue ? L’“identité linguistique” en question », Revue de littérature comparée, 2011, vol. 2, n° 338, p. 183-196, p. 189-190.

13 Dominique Budor et Walter Geerts, « Les enjeux d’un concept », dans Dominique Budor et Walter Geerts (dir.), Le Texte hybride, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 20.

14 Dans cet article, nous nous focaliserons sur les relations familiales, à savoir : Ernesto, sa mère et son oncle.

15 Umberto Saba, Ernesto, trad. Jean-Marie Roche, Paris, Seuil, 1978, p. 128-130. Notons que dans cette traduction francophone, les guillemets sont ouverts mais ne sont pas toujours fermés.

16 Massimiliano Jattoni, « Gli umani amori. La tematica omoerotica nell’opera di Umberto Saba », The Italianist, vol. 24, n° 1, 2004, p. 38 (ma trad.) : « Ernesto non è, come l’ha sempre sottolineato (erroneamente) la critica, un giovane innocente. [...] Ernesto appare ingenuo e “sciocchino”, a causa dei suoi modi di fare e per una certa timidezza. Ma la sua mente invece corre. »

17 Alessandro Cinquegrani, Solitudine di Umberto Saba, op. cit., p. 58.

18 Umberto Saba, Ernesto, trad. Jean-Marie Roche, op. cit., p 151.

19 Anne Moiroux et Kirsten Wolfs, « Éléments de bibliographie raisonnée », dans Dominique Budor et Walter Geerts (dir.), Le Texte hybride, op. cit., p. 134.

20 Umberto Saba, Ernesto, trad. Jean-Marie Roche, op. cit., p. 135.

21 La notion de posture auctoriale, entendue comme « la manière dont les écrivains produisent et contrôlent une image d’eux-mêmes », dans le texte et dans le champ littéraire, est empruntée à Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scènes modernes de l’auteur, Genève, Slatkine érudition, 2007, p. 9.

22 Iouri Lotman, La Structure du texte artistique, trad. Anne Fournier, Bernard Kreise, Ève Malleret, et al., Paris, Gallimard, 1973, p. 139.

23 À travers les nombreuses métalepses dans lesquelles le narrateur extradiégétique, entre parenthèses, exprime un jugement sur l’histoire ou traduit une expression dialectale.

24 Il est important de souligner que cette lettre fictive, écrite par Umberto Saba en 1953 et que l’auteur date du 22 septembre 1899, ne figure pas dans la traduction française. Elle ne figure pas non plus dans la première publication italienne de 1975. Elle a été ajoutée dans la nouvelle édition du roman de 1995 aux Éditions Einaudi.

25 Umberto Saba, Tutte le prose, op. cit. p. 1052 (ma trad.) : « Ma il Signor Saba mi ha letto il Suo bellissimo scritto sulle poesie che, a quanto Lei dice, scriverò quando sarò più grande. »

26 Michèle Bokobza Kahan, « Métalepse et image de soi de l’auteur dans le récit de fiction », dans Michèle Bokobza Kahan et Ruth Amossy, « Ethos discursif et image d’auteur », Argumentation et Analyse du Discours, vol. 3, 2009, p. 4, consulté le 01 juillet 2024, URL : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/aad.671. La métalepse consiste, selon la définition proposée par Michèle Bokobza Kahan, sur la base des études de Gérard Genette, à « produire un effet de réel dans la fiction par l’intrusion d’instances extradiégétiques dans l’univers intradiégétique et/ou par l’intervention de personnages intradiégétiques au niveau extradiégétique. », loc. cit., p. 2.

27 Mario Lavagetto, La Gallina di Saba, Turin, Einaudi, 1989, p. 206-207.

28 Michèle Bokobza Kahan, loc. cit., p. 9.

29 Umberto Saba, Ernesto, Turin, Einaudi, 1995, p. 125 (ma trad.).

30 À propos des romans américains des années 30-60, Marc Chénetier (« De drôles de genre », dans Jean Bessière (dir.), Hybrides romanesques. Fiction, 1960-1985, Paris, PUF, 1988, p. 16) souligne la présence d’une distanciation consciente qui implique l’incorporation de la conscience de l’acte d’écriture dans le roman. Cette tendance peut être transposée à ce que l’on retrouve dans l’œuvre d’Umberto Saba. D’ailleurs, Saba l’écrit lui-même en 1953 : « Il y a comme une compétition entre ma fatigue, le manque d’aises, etc. […] et le terrible désir que le livre soit complet. […] Il y aura certainement quelque chose qui (fatigue à part) fera d’Ernesto un livre incomplet. », dans Tutte le prose, op cit., p. 1294 (ma trad.). Ce « quelque chose » laisse planer le doute quant à la raison de l’incomplétude, sans pouvoir trancher quant à savoir si cette raison sera biographique ou littéraire.

31 Mario Lavagetto, « L’altro Saba », dans Umberto Saba, Tutte le prose, op. cit., p. XXXVIII-XXXIX.

32 Umberto Saba, Ernesto, trad. Jean-Marie Roche, op. cit., p. 143.

33 Walter Geerts, « Les “livres parallèles” de Giorgio Maganelli », dans Dominique Budor et Walter Geerts (dir.), Le Texte hybride, op. cit., p. 87.

34 Iouri Lotman, La Structure du texte artistique, op. cit., p. 38.

35 Elvira Favretti, La Prosa di Umberto Saba. Dai racconti giovanili a “Ernesto”, op. cit., p. 87 (ma trad.) : « L’incompiutezza del romanzo (più pretesa che vera) ».

36 Umberto Saba, Ernesto, trad. Jean-Marie Roche, op. cit., p. 29.

37 Jean Bessière, « Introduction », dans Jean Bessière (dir.), Hybrides romanesques, op. cit., p. 12.

38 Noël Batt, » L’entre-deux et le tiers : lieux d’émergence et d’invention problématiques », dans Claudine Verley (dir.), L’Entre-deux, Poitiers, Université de Poitiers, 1996, p. 22.

39 Iouri Lotman, La Structure du texte artistique, op. cit., p. 139.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Emmanuelle Fantoni, « Ernesto d’Umberto Saba : la portée métapoétique de l’hybridité »TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 03 octobre 2024, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trans/10240 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12f2v

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Auteur

Emmanuelle Fantoni

Université catholique de Louvain

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Droits d’auteur

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